André Larquié président Brigitte Marger directeur général

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André Larquié président Brigitte Marger directeur général

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André LarquiéprésidentBrigitte Margerdirecteur général

notes de programme | 3

le Mandingue : l’empire de la parole

introduction Ce n’est pas un hasard si la cité de la musique, à laveille de l’an 2000, s’est intéressée aux héritiers d’unRoyaume qui a connu son apogée au XIIe siècle denotre ère…C’est même un défi lancé au temps : découvrir unemusique contemporaine de notre Moyen Age euro-péen qui a su rester vivante, populaire, évolutive,« classique » au sens noble du terme…Car si cette musique émerveilla les premiers décou-vreurs de l’Afrique noire, c’est aussi celle qui se joueaujourd’hui à l’ombre des gratte-ciel d’Abidjan commedans les faubourgs de Bamako ou de Conakry, sousces auvents de toile qui barrent les rues lors desmariages ou des funérailles ; vous l’entendez dansles cours des chefs de village comme à la radio ou àla télévision : dans toute l’Afrique de l’ouest, c’est lamusique la plus écoutée, la plus respectée.En cassette, en disque compact, on l’enregistre jouret nuit dans les studios où elle s’accommode sanshonte de tous les sons à la mode : synthétiseurs etboîtes-à-rythme ne risqueront pas de dénaturer lamusique « mandingue », avec ses voix héroïques, sesinstruments de bois et de peaux parfaitement sem-blables à ceux que décrivait le grand explorateur arabeIbn Batouta en 1352.Cette musique presque millénaire - car elle a sûre-ment précédé la fondation de l’empire du Mali, celuides Mandingues - c’est avant tout celle des « griots ».Une partie des chanteurs et musiciens programmésdans ce cycle de concerts appartiennent à cette castetraditionnellement investie d’un rôle essentiel : la trans-mission de la mémoire par la parole dans une sociétésans écriture - car malgré l’islamisation très ancienne,hors des mosquées, l’arabe coranique n’a jamaisréussi à supplanter la tradition orale.La musique mandingue est avant tout « verbale » : elleest l’expression d’une langue magnifique qui, dansses diverses variantes (bambara, dioula, malinké, etc.),joue dans toute l’Afrique de l’ouest un rôle prépon-dérant - économique, historique, politique et social - car

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le Mandingue : l’empire de la parole

c’est la langue du commerce… sur les marchés, ellea toujours été préférée à la langue coloniale, le français.

La langue mandé, comme la plupart des langues afri-caines ou asiatiques, est une langue « à tons ». Enfonction de sa tonalité (basse, modulée ascendante ouhaute), chaque syllabe peut avoir trois sens différents.Ce qui signifie, pour simplifier, qu’un mot à trois syl-labes peut avoir jusqu’à 27 significations possibles,selon la façon dont il est « chanté ».Pour un musicien mandingue, la mélodie est doncavant tout affaire de sens. Les contraintes de la modu-lation signifiante prédéterminent forcément toute consi-dération artistique, à moins que cette musicalité de lalangue, partagée par tous ses locuteurs pour la plu-part illettrés, ne soit dès son origine un choix esthé-tique qui échappera toujours à ceux qui necomprennent pas le mandé.Rassurez-vous : ce débat compliqué entre linguisteset musicologues - aussi passionnant qu’il soit - n’em-pêche pas de tomber amoureux, dès la premièreécoute, des musiques de l’ancien empire mandingue.La splendeur lyrique des voix ; la délicatesse desharpes, des luths et des xylophones ; l’énergie tré-pidante des tambours mêlée aux sons grêles deshochets, et parfois à ceux des guitares et claviersélectroniques ; tout ce qui fait la musique mandingued’aujourd’hui, si proche de celle d’avant-hier, c’estbien plus qu’une idée neuve de l’Afrique : c’est lemodèle unique d’une musique qui a su conserver sonoriginalité au fil des siècles et qui offre au monde unexemple de continuité et d’ingéniosité pour le pro-chain millénaire.

Gérald Arnaud

carte de l’empire Mandingue

Jean-Pierre Magnier © cité de la musique

Comme le montre cette carte, la zone d’extension actuelle de la culture mandingueexcède largement les frontières historiques de ce royaume. Il faut néanmoinspréciser que ces frontières sont encore discutées aujourd’hui par les historiens.

vendredi 15 octobre - 20h

salle des concertschants de femmes

Mauritaniedurée : 1 heure

Dimi Mint Abba, chant, ardinFeyrouze Mint Seymali, Dendenny Mouna Mint, chœurDendenny Louleid Ould, guitareMoloud Adeba Ould, percussions, tidinitMohamed Ahmed Ould Fall, basse

entracte

Malidurée : 1 heure

Oumou Sangaré, chant, percussionsNabintou Diakité, Alima Touré, chœurs, percussionsBrehima Diakité, kamale n’goniBaba Salah, guitareAbdoulaye Fofana, flûte, percussionsKhalifa Koné, basseBasidi Keita, djembé, percussions

concert enregistré par Radio France

Dimi Mint Abba :la reine des « Iggawin »

Monique Brandily, auteur d’une Introduction auxmusiques africaines (co-édition Actes Sud - cité dela musique), a bien noté que la séparation entre lescultures du Maghreb et de l’Afrique noire sahélienne,fondée sur l’étude des arts plastiques, n’a aucun senspour un ethnomusicologue. Si l’expansion de l’Islama inhibé les arts plastiques issus de l’expressionnismeanimiste africain, elle n’a pas établi une frontière pré-cise entre les musiques du « Soudan » (mot arabequi désigne l’Afrique) qui est, depuis mille ans, l’undes principaux enjeux de la conquête musulmane.En Mauritanie - dernier pays à avoir aboli officielle-ment l’esclavage en 1982 -, la co-existence entreMaures et Négro-Africains reste une affaire politiquecomplexe ; mais la musique a depuis longtemps sur-monté cette opposition raciale. Comme au temps del’Empire Mandingue (qui englobait le sud du pays),la plupart des musiciens appartiennent à des dynas-ties, celles des Iggawin. Et quelle que soit la couleurde leur peau, ils utilisent à peu près les mêmes ins-truments que ceux de leurs voisins Maliens ouSénégalais.Contrairement à un préjugé habituel sur les sociétésislamiques, en Mauritanie, les femmes ont toujours -comme dans le Maroc voisin - dominé la vie musi-cale : ce qui n’est pas le cas dans nombre de paysafricains peu touchés par l’Islam.Paradoxalement la musique actuelle mauritanienneest peut-être la plus proche de celle de l’ancien EmpireMandingue : visitant le Sultan du Mali, Ibn Batoutaraconte que, tandis que le Griot-Interprète joue dubalafon, « ses épouses et ses femmes esclaves chan-tent avec lui et jouent avec des harpes ». La mêmeharpe, sans doute, qui accompagne aujourd’hui DimiMint Abba : cette « ardin » semblable à la « kora »des griots guinéens ou maliens, et qui n’est jouéechez elle que par des femmes.

le Mandingue : l’empire de la parole

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Oumou Sangaré :une diva de la worldmusic

Ceux qui ont assisté à son premier concert parisienlors de la Fête de la musique en juillet 1990 n’oublie-ront jamais ce moment : inconnue en France maisdéjà célèbre au Mali, somptueusement vêtue, à latête d’un groupe bien préparé, Oumou Sangaré avaitsu tétaniser un public de hasard, subjugué par la voixde cette sculpturale diva.On ne connaissait alors rien en Europe de cette tra-dition assez austère qu’incarnent les femmes duWassoulou, une région plutôt privilégiée par sarichesse agricole, au sud du Mali…Très éloigné de l’art des grandes griotes mandingues,qui, d’une façon très « verticale » assez proche dubel canto, rivalisent avec les improvisations écheveléesdes harpistes et des xylophonistes, le style Wassoulouest plus archaïque, assez répétitif. Il s’est imposédepuis quelques années dans toute l’Afrique de l’ouestet aussi en Europe et aux USA où il est perçu commeun ancêtre hypothétique du blues et du rock…Oumou Sangaré est ainsi devenue une superstar de laworld music. Elle n’a rien fait pour cela, mais le nom desa région (« wassoulou ») est reconnu grâce à ellecomme celui d’un style nouveau qui séduit toutel’Afrique de l’ouest en revalorisant des instrumentstraditionnels naguère en voie de disparition, tels lesgrelots de cauris sur calebasse, le luth kamele n’goni(celui des jeunes) ou dozo n’goni (celui des chasseurs).Le succès mondial d’Oumou Sangaré prouve quel’adoption des instruments « modernes » issus de lacolonisation - hormis la guitare, qui s’est imposéedès le XVIIe siècle - n’est pas une fatalité dans l’évolu-tion des musiques africaines.

G. A.

le Mandingue : l’empire de la parole

samedi

16 octobre - 16h30

dimanche

17 octobre - 15h

amphithéâtre du musée

épopée mandingue de Sunjata Keita

M’Bady Kouyaté, kora Diaryatou Kouyaté, chantensemble instrumental de Guinée : Sekou Kouyaté, koraKemoko Condé, chantIbrahim Sylla, percussionsSekou Bembeya Diabaté, guitareSekou Sylla, balafonAmadou Camara, chant

concert sans entracte, durée : 1 heure

Ce spectacle est proposé pour le jeune public le mercredi

13 octobre à 15h et le jeudi 14 octobre à 14h30.

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épopée mandinguede Soundiata Keita,par M’Bady Kouyaté :une odyssée africaine

le Mandingue : l’empire de la parole

Depuis les origines de l’Empire Mandingue - c’est-à-dire la conversion à l’Islam, au XIe siècle, de quelquesclans établis sur les rives du Niger -, les mêmes nomsde famille ont traversé les siècles.C’est alors que des lignées de griots (Diabaté, Dramé,Kanté, Kouyaté) nous racontent en musique depuisprès de mille ans, fidèlement, l’histoire de grandesdynasties : Keïta, Konaté, Traoré… Ces épopées sontplus complexes que les chansons de geste du Moyen-Age européen, plus alambiquées que les sagas nor-diques et surtout plus actuelles puisqu’aujourd’huiencore, elles constituent les fondements de la cul-ture mandingue.Au milieu des années 1960, la dictature du MalinkéSékou Touré s’est imposée en Guinée (au détrimentdes autres ethnies) par une appropriation de cette his-toire glorieuse, relayée par un soutien sans faille aux« griots-musiciens ». Pendant vingt ans, le chant et lamusique ont joué le premier rôle, celui d’un art qui trans-cendait la politique à tel point que les fonctionnaires-musiciens étaient les vrais ambassadeurs de ce paysmarginalisé de l’Afrique post-coloniale. Dans les années60-70, la Guinée passait alors pour un paradis musi-cal : chanteurs et orchestres (traditionnels ou modernes)y étaient subventionnés comme nulle part ailleurs.Soundiata Keita - qui au milieu du XIIIe siècle conquitl’Empire de Ghana pour fonder celui du Mali - étaitdevenu ce héros régional auquel s'identifiait SékouTouré. En 1970, le prodigieux chanteur-griot KouyatéSory Kandia enregistra son histoire sous le titreL’Épopée du Mandingue. Ce terme, « épopée » nedoit pas tromper : il ne s’agit pas seulement des faitset gestes d’un grand personnage. Comme chezHomère ou dans le Mahabarhata, d’innombrablesdigressions racontent la vie des « seconds rôles » oùtout un chacun se reconnaît, participant à la célé-bration d’une légende qui est une somme de petiteshistoires très familières.

G. A.

samedi 16 octobre - 20h

salle des concerts

Mali d’aujourd’hui

Toumani Diabaté, Ballake Sissoko, koradurée : 45 minutes

Kar Kar (Boubacar Traoré), chant, guitare, calebasseSidiki Camara, chant, calebasse

durée : 45 minutes

entracte

Habib Koité, chant, guitareEnsemble Bamada :Souleymane Ann, chœur, batterieKeletigui Diabaté, violon, balafonBoubacar Sidibe, chœur, guitare, harmonicaAbdoul Wahab Berthe, basse, kamale n’goniSidiki Camara, percussions

durée : 1 heure

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Toumani Diabatéet Ballake Sissoko :le renouveaude la harpe

Parmi toutes les dynasties griotiques, celle des Diabatéest sans doute (avec celle des Kouyaté) la plusancienne et prestigieuse. Toumani est le fils et l’héri-tier du vieux Sidiki Diabaté, né en Gambie et qui formaen 1987 un ensemble merveilleux où un trio de chan-teuses accompagnait un duo de koras… Douze ansaprès, Toumani Diabaté reprend cette idée de duo,assez peu courante chez les griots. Il est vrai que,tout en restant très fidèle à la tradition de sa caste,le jeune Toumani n’a cessé de prouver son désir defaire évoluer la musique de ses ancêtres. Installé àLondres à la fin des années 80, il y a créé l’étonnantgroupe Songhaï, première expérience très réussie desynthèse entre les cordes mandingues et les guitaresdu flamenco. Et tout dernièrement, il vient d’enregis-trer en Géorgie (USA) un superbe disque avec le grandbluesman Taj Mahal et le génial griot KassemadyDiabaté. Curieusement, c’est l’album le plus « tradi-tionnel » qu’il ait jamais signé !Toumani n’est pas le premier harpiste mandingue àavoir « électrifié » la kora. On se souvient notammentdes albums expérimentaux de son cousin GambienFoday Musa Suso avec le pianiste Herbie Hancock.Mais Toumani Diabaté est indiscutablement le pre-mier à maîtriser parfaitement cet emprunt à la tech-nologie moderne sans que le son gracieux del’instrument en souffre le moins du monde. Il a misdes années à trouver la position idéale pour les« micros-pastilles », ce qui n’était pas du tout évident.Jamais on n’a aussi bien entendu les moindresnuances de la kora, souvent imperceptibles à plusd’un mètre de l’exécutant, et ignorées dans la plu-part des enregistrements anciens.

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notes de programme | 13

Boubacar Traoré :un néo-folk émouvant

La première Biennale de la Jeunesse (1970) fut un évé-nement capital dans l’histoire culturelle du Mali. Ellerévéla l’existence d’une « nouvelle musique mandingue »où les instruments européens, notamment la guitareet les cuivres, savaient merveilleusement s’intégrer aurépertoire traditionnel, sous l’influence du jazz et de lamusique cubaine. Comme en Guinée voisine, lesorchestres subventionnés se livraient une concurrenceacharnée. A côté des groupes prestigieux de Bamako- Orchestre National « A », National Badema ; Rail Bandet Ambassadeurs où débutèrent Mory Kanté et SalifKeita - une dizaine d’orchestres régionaux devinrentde formidables pépinières de talents. En témoigne lasuperbe collection Mali Music éditée à l’époque (en33 tours) par le ministère de la Culture.Ces orchestres ont hélas presque tous disparu, vic-times des politiques de « redressement » imposées parle Fonds monétaire international. L’un des plus éton-nant était sans nul doute l’Orchestre régional deKayes. Originaire de cette région, Boubacar Traoréen était le guitariste soliste. C’est aussi lui qui fut l’in-génieur du son à qui l’on doit tous ces précieux enre-gistrements du premier âge d’or de la musiquemandingue moderne.Boubacar, dit « Kar Kar », avait débuté comme pro-fesseur, avant d’intégrer l’Orchestre de Kayes, puisd’entamer une carrière personnelle en 1973. Vingtcinq ans après, à l’instar d’Ali Farka Touré, NahawaDoumbia, Oumou Sangaré ou Rokia Traoré, il estl’une des vedettes internationales d’un « néo-folk »malien en pleine ascension. Son chant sobre et feu-tré, aux antipodes de l’expressionnisme griotique, estadmirablement porté par un jeu de guitare élégant,qui évoque une promenade paisible dans le paysageimmuable de la poésie mandingue.

le Mandingue : l’empire de la parole

Habib Koité : le sonde la rue de Bamako

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Ce chanteur-guitariste de Bamako incarne une nou-velle génération d’artistes considérés comme lesgloires montantes de la jeune et turbulente démo-cratie malienne. Comme la plupart, il est issu d’unefamille de griots, de l’ethnie Khassonké - un peuplemétissé de Malinké et de Peul qui occupe l’ouest dupays en bordure du Sénégal et qui a toujours produitun grand nombre de musiciens exprimant la diver-sité « multi-ethnique » de cette région-carrefour.D’abord tenté par une carrière d’ingénieur, HabibKoité a finalement choisi de perpétuer la vocationmusicale de ses ancêtres (son grand-père était uncélèbre joueur de luth n’goni), complétant ses connais-sances traditionnelles à l’Institut National des Arts.Son groupe Bamada - fondé en 1988 - mêle harmo-nieusement batterie et percussions traditionnelles(balafon et tambour d’aisselle tama), cordes occi-dentales (guitare et basse électriques) et mandingues(luth n’goni). A cet égard, il faut souligner que pourla jeunesse de Bamako, l’instrumentarium ancestraln’est nullement perçu comme archaïque : on assistemême depuis quelques années à un renouveau spec-taculaire du luth kamele n’goni dans les bars et lesdancings à la mode. C’est d’ailleurs en s’inspirant desa rude sonorité que Habib Koité a façonné son jeu deguitare. Une influence qui est loin d’être une exceptionen Afrique, puisque le son spécifique des guitarescongolaises s’inspire de celui des sanzas, tandis queles guitares camerounaises sonnent délibérémentcomme des xylophones, celles de Guinée et du Maliimitant la kora ou le n’goni.Quant aux chansons de Bamada, elles traitent avechumour des problèmes de l’Afrique urbaine : le plusfameux de leurs tubes, « Cigarette A Bana » (« la ciga-rette, c’est fini ») est moins une dénonciation des dan-gers du tabac que de la dévaluation qui en a doubléles prix !

G. A.

le Mandingue : l’empire de la parole

dimanche 17octobre - 16h30

salle des concerts

musiques du Mali, du Sénégal et de la Guinée

Ensemble Bajourou :Lafia Diabaté, Kassemady Diabaté, chantDjeli Mady Tounkara, Bouba Sacko, guitares

durée : 50 minutes

M’Bady Kouyaté, kora mandingue

durée : 20 minutes

entracte

Cheikh Lô, chant, guitareMoustapha D. Sitapha Mbayé, percussionsIbrahima Cissé, claviersBadara Ndaye, batterieSeydou Norou Koité, saxophoneSamba Ndock Ndayé, tamaPathé Jassi, basseOusmane Ndayé Mbengue, percussionsOmar Sow, guitare

durée : 1 heure

durée du concert : 2 heures 30

16 | cité de la musique

Bajourou : le génievocal des griots

Peu connu en France où il a pourtant longtemps vécu,mais relativement célèbre en Grande-Bretagne où il aenregistré la plupart de ses albums, KassemadyDiabaté est un authentique génie, sans nul doute leplus grand chanteur actuel appartenant au mondemandingue. Moins aventurier que Salif Keita, beau-coup moins séducteur que Mory Kanté, il réunit toutesles vertus techniques du chant griotique - assez com-parables à celles du bel canto - et un potentiel émo-tionnel qui n’a d’égal que chez les maîtres du cantejondo andalou ou du khyal indien. A l’aise dans tousles registres, du chant de louange au récit épique, dela romance à la déploration, il est toujours exaltant,bouleversant, inspiré même quand les circonstancess’y prêtent le moins.L’art vocal du djeli (griot) tient d’abord à la façon dontil lance sa voix, dont il la place délibérément, dès lapremière note, au-delà de ce qu’on attend de lui.Comme dans une saeta flamenca ou l’alap d’un grandragâ, comme dans une aria de Mozart, tout est perdusi l’on n’a pas l’impression, jusqu’au moment où lechant s’éteindra, qu’il procède directement de cettenote initiale.Une autre preuve du génie de Kassemady est la grâcehallucinante avec laquelle il se « pose » ou même se« repose » sur l’un des instruments qui l’accompa-gnent, laissant glisser les notes, puis décolle brus-quement, tel un oiseau, mais sans perdre uneseconde le fil de la mélodie autour de laquelle il vavirevolter, avec un naturel, une simplicité qui inspireen retour ses accompagnateurs : l’un d’eux m’a dit unjour qu’en jouant avec Kassemady, il sentait dans sondos une bizarre démangeaison, comme si des ailes luipoussaient...Au sein de son ensemble Bajourou, Kassemady estaccompagné par deux des meilleurs guitaristesmaliens actuels : Djeli Mady Tounkara et Bouba Sacko.

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M’Bady Kouyaté :une kora de rêve

Comme le montre bien l’exposition La Parole du fleuveau musée de la musique, la harpe est (après le tam-bour) l’un des instruments les plus pratiqués en Afriquenoire. Si l’Afrique centrale et orientale reste le royaumede la harpe « arquée », probablement issue de l’arcmusical, l’Afrique occidentale a en revanche préféré la« harpe à chevalet », souvent appelée à tort « harpe-luth ». Quel que soit le nombre de cordes, le modèleest partout le même : une demi-calebasse bouchéepar une peau fixée à l’aide de clous de tapissier sertde caisse de résonance, cette dernière étant percéed’un trou proche du manche en bois, sur lequel lescordes sont fixées par des anneaux coulissants encuir. Elles sont tendues sur un grand chevalet. Deuxpoignées de bois obliques permettent de tenir l’ins-trument, qui se joue face à l’exécutant.Un « bruiteur » en fer blanc, identique à ceux du tam-bour djembé (autre instrument favori des griots man-dingues) agrémente le son.La grande kora mandingue possède vingt et unecordes : sept pour le passé, sept pour le présent,sept pour l’avenir, selon la tradition…Si aujourd’hui la kora est, de plus en plus, accordéeselon le système tempéré européen, l’accord tradi-tionnel reste le suivant : fa-do-ré-mi-sol-si bémol-ré-fa-la-fo-mi pour la main gauche ; fa-la-do-mi-sol-sibémol-ré-fa-sol-la pour la main droite.Cet instrument magnifique est devenu un emblèmepour toute l’Afrique, comme en témoignent les« koras », équivalent des « oscars », qui depuis troisans récompensent les meilleures ventes du show-business africain.M’Bady Kouyaté est un virtuose mais aussi un « sin-gulier » de la kora : il accorde l’instrument selon unegamme très personnelle qu’il appelle « tomora » etqu’un génie féminin lui aurait révélée en rêve…

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Cheikh Lô : le plusmandingue des wolof

18 | cité de la musique

De par ses origines, ce jeune chanteur aux faux-airs derasta (il appartient en fait à une grande confrérie soufîdu Sénégal) peut sembler très éloigné de la culturemandingue. Pourtant, il est né à Bobo Dioulasso, laseconde ville du Burkina Faso, majoritairement peupléede dioulas, c’est-à-dire de cette nombreuse diasporamandingue qui a investi toute l’Afrique de l’ouest. Lebambara est sa première langue, et ses parents étaientdes nyamakalas (caste d’artisans à laquelle sont assi-milés les griots) spécialisés dans l’argenterie…Sa présence dans cette série de concerts n’a d’ailleursaucun besoin d’être justifiée : Cheikh Lô y représenteune génération qui ne se soucie guère des distinc-tions ethniques, il incarne l’avenir d’une Afrique del’ouest qui a tout entière assimilé la culture mandingueau même titre que les autres, notamment celle desWolof : son amitié avec Youssou N’Dour (qui est sonproducteur), son admiration pour Fela (à qui il rendun superbe hommage dans son nouvel album) fontpartie de sa vie au même titre que sa passion pour lamusique afro-cubaine, et sa fascination pour les tam-bours d’aisselle - ces « tambours parleurs » qui sontles moteurs de toutes les musiques de danse de la« sous-région ». Sa voix sulfureuse fait monter la fièvredu mbalax, ce fantastique langage tambouriné desGawlos (les griots Wolof) qui n’a rien à envier à celuides djembefolas mandingues. Et quand il chante,dans son dernier album, son hommage à Bobo-Dioulasso en duo avec Oumou Sangaré, on peut sedemander qui est le plus « mandingue » des deux !

G. A.

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glossaire

ardinHarpe à chevalet de Mauritanie, jouéepar les femmes.

balaMot mandingue désignant le xylophone.

balafonJoueur de bala ; par extension, désignedepuis l’époque coloniale l’instrumentlui-même.

bamana/bambaraLe moins « islamisé » des peuples delangue mandé, majoritaire dans l’actuelMali.

bolonHarpe à chevalet, à une ou trois cordes,commune aux Mandingues et auxSénoufo.

dioulaDésigne la langue mandé parlée auBurkina Faso et en Côte d’Ivoire, et lesMandingues de cette région (ne pasconfondre avec les Diola, peuple duSénégal).

djeli(littéralement : « sang ») Terme mandédésignant le griot.

djembe ou jembeGrand tambour tronconique à une peau,battu à mains nues. Depuis quelquesannées, il est devenu l’instrument africain leplus joué hors du continent.

dum-dum/dun-dunOnomatopée désignant dans presquetoute l’Afrique occidentale le tambourd’aisselle. En forme de sablier, il com-porte deux peaux reliées et tendues parun lacet sur lequel on appuie avec lecoude pour varier la hauteur du son et lefaire ainsi « parler ».

dozongoniHarpe à chevalet à quatre ou six cordesjouée par les chasseurs (dozo).

griot/grioteDu portugais « criado » (serviteur) ou duwolof « gawlo ».Homme ou femme appartenant à lacaste des chanteurs, conteurs, généa-logistes, messagers et musiciensattachés à la cour d’un horon.

horonNoble.

iggiw/iggawin (féminin : tigiwit/tigi-waten)Mots berbères désignant les griotsmauritaniens.

jazzEn Guinée et au Mali, ce mot désigne lamusique de danse des années 60-70.

kamele ngoniLuth joué par les adolescents.

koraGrande harpe à chevalet à manchedroit, à caisse en demi-calebasse et à21 cordes réparties en deux rangées

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verticales. Elle accompagne tradition-nellement les chants d’épopée ou delouanges.

mandéGroupe linguistique comprenant notam-ment le bambara et le songhaï (Mali), ledioula (Burkina et Côte d’Ivoire), le sous-sou (Guinée) et le soninké (Mali,Mauritanie, Sénégal). Le nombre totalde locuteurs dépasse dix millions.

n’goniLuth basse à trois ou quatre cordes (uneseule chez les Peul) joué par les griots.

Peul (ou Fulbe)Peuple d’origine nilotique et nomade,omniprésent en Afrique de l’ouest. Leurnombre (environ 15 millions), leur languecomplexe (le fufulde) et leur musiquetrès originale leur confèrent uneinfluence considérable dans le mondemandingue, où certains, sédentarisés,sont appelés Toucouleurs.

sabarInstrument wolof composé de quatretambours à une peau fixés entre eux.Accompagnant la lutte, la musicothéra-pie (ndeep) et aujourd’hui la danse, il estau cœur du mbalax, rythme favori desSénégalais.

Songhaï (prononcer « sonraï »)Peuple des rives du Moyen-Niger. AuXVe siècle, cet empire islamisé (capitaleGao) surpassa celui du Mandingueavant d’être détruit par le Maroc.

tamaPetit tambour d’aisselle des Wolof.

tidinitLuth mauritanien, traditionnellementjoué par les hommes.

WassoulouRégion du sud du Mali ; par extension lemot désigne le style vocal qui lui estpropre.

WolofPeuple principal du Sénégal.

xalam (pron. « ralam »)Luth à quatre ou cinq cordes des Wolof,considéré comme l’ancêtre du banjo.

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notes de programme | 21

biographies Dimi Mint Abbaest issue d’une familled’iggawins, lignées degriots chez les Maures,qui bénéficie d’unegrande réputation. Leschants poétiques sontaccompagnés au petitluth tidinit (proche duxalam des Wolof et dun’goni des Bambara), à lagrande harpe ardin (sortede kora rustique réservéeaux femmes), ainsi qu’à laguitare. Mélanges dedouces mélodies improvi-sées sur le mode arabe etde chants accompagnésà la kora d’Afrique del’ouest, ses chanson sym-bolisent la rencontre desdeux Afriques.

Oumou SangaréAutre tendance actuelle :le renouveau et le succèsinternational du chantrude et répétitif de larégion du Wassoulou (suddu Mali) où la musiquen’est pas l’apanage desgriots, mais une distrac-tion collective dominéepar les femmes. La jeuneet puissante OumouSangare, devenue l’unedes stars de la worldmusic, a fait du « stylewassoulou » l’expressiond’un féminisme décom-

plexé, entraînant dans sonsillage d’autres cantatricesqui ne sont pas toutes desa région (Coumba et SaliSidibe, Nahaw`aDoumbia…).

M’Bady KouyatéIssu d’une longue dynas-tie de griots (maîtres de laparole, chanteurs-conteurs, musicienstroubadours) du royaumede N’Gabou (actuelleGuinée-Bissau), M’BadyKouyaté est l’un desmeilleurs joueurs de koradu monde mandingue.Son groupe est constituéde trois joueurs de kora(dont son plus jeune filsâgé de 14 ans) et de sonépouse Diaratou Kouyaté,grande voix, spécialiséedans les chants épiques.

ensemble instrumen-tal de GuinéeM’Bady Kouyaté, est leharpiste-soliste del’Ensemble Instrumentalde Guinée fondé il y a plusde trente ans par le grandDjeli Kouyaté Sory Kandia.Comme ce dernier,M’Bady donnera soninterprétation personnellede la geste de SoundiataKeita, toujours chantéesur les accords de la kora.

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Toumani DiabatéLe jeune Toumani Diabaté(fondateur du fameuxgroupe Songhai avec desmusiciens de flamenco)incarne quant à lui unenouvelle vague qui n’hé-site pas à électrifierl’instrument et à s’inspirerdes guitaristes de jazz oude rock. Il faut d’ailleurssouligner que la guitare(introduite dans la régionpar les Portugais dès leXVe siècle) est à partentière un instrument desMandingues, qui lui ontadapté les doigtés et lessonorités de la kora ou deleur propre luth tradition-nel n’goni…

Ballake SissokoDjelimoussa « Ballake »Sissoko (né en 1967 àBamako) est depuis tou-jours le « voisin » deToumani Diabaté. Ils ontdonc grandi en jouantensemble et ont déve-loppé des styles qui seressemblent et se com-plètent. Ballake est le filsd’un autre grand musicienmalien, le regrettéJelimadi Sissoko. Leurpremier projet comprendune majorité de duos ins-trumentaux. Il est inspirédu tout premier disque de

la musique de kora :Cordes Anciennes, enre-gistré au Mali en 1970avec la participation desdeux maîtres de la korade l’époque : SidikiDiabaté et DjelimadiSissoko. Ce grand clas-sique est devenu unsymbole du pays, sonpeuple et son histoire, etla musique est jouéeencore aujourd’hui pourles grands événements.Nouvelles CordesAnciennes rend hom-mage à ces thèmes touten montrant l’évolution dela musique de la kora àtravers les décennies.Leurs 42 cordes tissentune tapisserie de mélo-dies lyriques et derythmes prononcés, dansla tradition de l’ancienempire du Mali.L’enregistrement a été faiten une seule soirée —sans interruption,répétition ou reprises —en 1997 au Palais desCongrès à Bamako, parles producteurs de Kaira(Nick Parker et LucyDuran). Vous entendez lakora pure, sans effet niartifice, brillante, virtuoseet lyrique.

Kar Kar (Boubacar Traoré)est natif de Kayes (nord-ouest du Mali). Avec sontimbre voilé et sa dictiontrès naturelle, il incarne(comme Ali Farka Touréou la jeune Rokhia Traoré)l’évolution du chant delouanges classique versun folk song nostalgiqueen pleine maturation, quitresse un lien solide entrele village ancestral et lacité moderne. Dans lesannées 60 suivant l’indé-pendance, la radioréveillait les Maliens auson de ses tubes (Malitwist, Kar Kar Madison etKayes Ba) dans lesquels ilincitait ses compatriotes àrevenir et construire lepays, il était alors sur-nomé l’« Elvis Presleymalien ».

Habib KoitéAprès 4 années d’étudesà l’Institut National desArts de Bamako, d’où ilsort major de sa promo-tion, il est nommé chefd’orchestre et enseignedès lors la guitare, endevenant l’initiateur denombreux groupes. Ayantdéjà acquis une longueexpérience de la scène,Habib Koité côtoie les

le Mandingue : l’empire de la parole

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figures les plus mar-quantes de la musiquemalienne, pour lesquellesil deviendra rapidement lechanteur et guitariste atti-tré. En 1988, il fonde sonpropre groupe, Bamada,avec qui il se produira denombreuses fois sur lascène malienne, avant deconnaître un succèsretentissant dans toutl’Afrique de l’ouest. Lesuccès d’Habib Koité estlié à sa voix chaude et auson étonnant qu’il puisede sa guitare ; Il s’ac-corde en pentatonique etjoue les cordes à vide,comme s’il s’agissait d’unkamele n’goni.

Kassemady Diabatéappartient à l’une desplus illustres familles grio-tiques, mieux, il estoriginaire du village deKela (au bord du Nigerprès de la frontière gui-néenne), véritableconservatoire vivant oùles jeunes djelis vont par-faire leur initiation auprèsdes anciens, et auquel il adédié son plus beau CD.Ancien chanteur duNational Badema (l’or-chestre qui sut le mieuxadapter le répertoire clas-sique mandingue aux

instruments modernes),Kassemady a une magni-fique voix de ténor auxaccents épiques, et samaîtrise absolue desponctuations et dessilences permet de lecomparer au grand maître(guinéen), le regretté SoryKandia Kouyaté

Cheikh LôWolof né à BoboDioulasso (la grande citémandingue du Burkina) etinstallé à Dakar, CheikhLô est le principal discipledu prince des « gawlos »Youssou N’Dour. Sonchant nasal typiquementgriotique et ses textesrésolument contempo-rains collentmerveilleusement aumbalax (musique dedanse des Wolofs) enrichid’influences exotiques(jazz, reggae, salsa etmême flamenco) qui ontdepuis longtemps investil’aire mandingue et sesmarges.

technique

régie générale

Olivier Fioravanti

régie plateau

Jean-Marc Letang

régie lumières

Marc Gomez

régie son

Didier Panier