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Ressources Thérapie 180 PSYCHOLOGIES MAGAZINE MAI 2016 Propos recueillis par Flavia Mazelin Salvi Illustration Mélanie Kochert D épasser nos conflits intérieurs, se libérer des fardeaux du passé pour retrouver le plaisir et la puissance d’être soi. Sans entraves. C’est ce que pro- pose l’Internal Family Sys- tems (IFS). Cette thérapie, élaborée il y a trente ans aux États-Unis par Richard Schwartz, docteur en thérapie familiale et conjugale, ne cesse de gagner du terrain outre-Atlantique, où elle est reconnue parmi les pratiques dont l’efficacité repose sur les preuves (evidence-based). Moins connue en France, elle est portée par François Le Doze, neurologue François Le Doze “L’Internal Family Systems restaure notre unité intérieure” et psychothérapeute, qui lui a consacré un livre : La Force de la confiance, une thérapie pour s’uni- fier (Odile Jacob). Il a découvert l’IFS il y a dix ans. Il évoque une vraie rencontre, « de celles qui changent une vie ». Il venait de mettre fin à une psy- chanalyse de sept ans, mais avait le sentiment pro- fond d’avoir en lui « quelque chose d’inaccompli ». Par ailleurs, il n’ignorait plus, depuis un moment déjà, que ce qui le passionnait en tant que médecin n’était pas la maladie, mais les malades. Le déclic se produit un soir alors qu’il assiste à la présentation de cette nouvelle méthode venue des États-Unis. La thérapeute chargée de l’expo- ser fait appel à un volontaire, qui doit identifier les différentes parts de lui (croyances ou émotions) en lien avec son problème. D’autres volontaires, dont François Le Doze, sont chargés d’incarner ces parts. La thérapeute instaure alors un dialogue entre celles-ci et le porteur du problème, de manière que ce dernier prenne conscience de ce qui l’entrave et qu’il se détache de ces parts parasites. À la fin de la soirée, François Le Doze est convaincu d’avoir trouvé la méthode qu’il recher- chait. Celle qui « implique aussi bien le corps que l’esprit, et qui repose sur une vision globale, FRANÇOIS LE DOZE Neurologue de formation et psychothérapeute, formateur en Internal Family Systems (IFS), il est l’auteur, avec Christian Krumb, de La Force de la confiance (Odile Jacob). Rens. : selftherapie.org et francoisledoze.com. À voir, sa conférence TEDx : « On croit qu’on a des problèmes… », tedxvaugirardroad.com. >> COLLECTION PERSONNELLE

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Ressources

Thérapie

180 PSYCHOLOGIES MAGAZINE mai 2016

Propos recueillis par Flavia Mazelin SalviIllustration Mélanie Kochert

D é p a s s e r n os co n f l i t s intérieurs, se libérer des fardeaux du passé pour retrouver le plaisir et la puissance d’être soi. Sans entraves. C’est ce que pro-pose l’Internal Family Sys-tems (IFS). Cette thérapie, élaborée il y a trente ans

aux États-Unis par Richard Schwartz, docteur en thérapie familiale et conjugale, ne cesse de gagner du terrain outre-Atlantique, où elle est reconnue parmi les pratiques dont l’efficacité repose sur les preuves (evidence-based). Moins connue en France, elle est portée par François Le Doze, neurologue

François Le Doze “L’Internal Family Systems restaure

notre unité intérieure”

et psychothérapeute, qui lui a consacré un livre : La Force de la confiance, une thérapie pour s’uni-fier (Odile Jacob). Il a découvert l’IFS il y a dix ans. Il évoque une vraie rencontre, « de celles qui changent une vie ». Il venait de mettre fin à une psy-chanalyse de sept ans, mais avait le sentiment pro-fond d’avoir en lui « quelque chose d’inaccompli ». Par ailleurs, il n’ignorait plus, depuis un moment déjà, que ce qui le passionnait en tant que médecin n’était pas la maladie, mais les malades.

Le déclic se produit un soir alors qu’il assiste à la présentation de cette nouvelle méthode venue des États-Unis. La thérapeute chargée de l’expo-ser fait appel à un volontaire, qui doit identifier les différentes parts de lui (croyances ou émotions) en lien avec son problème. D’autres volontaires, dont François Le Doze, sont chargés d’incarner ces parts. La thérapeute instaure alors un dialogue entre celles-ci et le porteur du problème, de manière que ce dernier prenne conscience de ce qui l’entrave et qu’il se détache de ces parts parasites.

À la fin de la soirée, François Le  Doze est convaincu d’avoir trouvé la méthode qu’il recher-chait. Celle qui «  implique aussi bien le corps que l’esprit, et qui repose sur une vision globale,

FRANÇOIS LE DOZENeurologue de formation et psychothérapeute, formateur en Internal Family Systems (IFS), il est l’auteur, avec Christian Krumb, de La Force de la confiance (Odile Jacob). Rens. : selftherapie.org et francoisledoze.com. À voir, sa conférence TEDx : « On croit qu’on a des problèmes… », tedxvaugirardroad.com. >> C

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holistique, de l’être humain, appréhendé dans toutes ses dimensions ». Il se forme auprès de Richard Schwartz et devient psychothérapeute.

Psychologies : Quel est le but de l’IFS et quels en sont les grands principes ?François Le Doze : L’IFS est issue du courant des thérapies systémiques, elle postule que le psychisme est à la fois multiple et unique. Ce n’est pas une nou-veauté. Pour Freud ou pour des méthodes comme l’analyse transactionnelle, la psychosynthèse ou le dialogue intérieur, nous sommes également com-posites. Mais ce qui caractérise l’IFS, c’est l’idée que les parts qui nous constituent sont une réalité vivante de nous-mêmes et s’incarnent dans notre corps [lire encadré p. 184, ndlr]. Elles sont autant de sous-personnalités autonomes (en lien avec nos compétences, nos croyances, nos émotions) qui se développent en fonction de nos besoins et de notre environnement. Dans la vie, nous faisons tous des expériences négatives, plus ou moins précoces et plus ou moins contraignantes et douloureuses, que nous ne parvenons pas toujours à assimiler, à métaboliser comme notre corps sait métaboliser les aliments. Alors ces souffrances restent à l’inté-rieur de nous, et agissent à notre insu en poussant nos parts à endosser des rôles dysfonctionnels. Le problème est que, lorsque nous sommes coupés de nos sensations – et c’est le cas pour la plupart d’entre nous –, nous passons à côté des messages que nous envoie notre corps. L’un des premiers objectifs de l’IFS vise à rétablir une conscience cor-porelle afin de commencer à restaurer le sentiment d’unité de la personne. C’est la première étape, le but étant de retrouver le self leadership, c’est-à-dire la colonne vertébrale de l’être, le centre depuis lequel il va rayonner en faisant librement ses choix, en s’appuyant sur ses ressources, en s’ouvrant à sa créativité, en nouant et en nourrissant des relations harmonieuses avec les autres.

Comment se déroule ce processus de réunification intérieure ?F.L.D. : L’IFS soulage de leurs fardeaux (conflits intérieurs, amalgames, émotions négatives, croyances) les différentes parts qui en ont besoin, de manière qu’elles puissent à nouveau fonctionner librement. Nous appelons ce déchargement « la

guérison de la part ». Une des caractéristiques d’un système libéré est qu’il est en mouvement perpétuel, qu’il s’adapte aux situations auxquelles est confron-tée la personne qui a accès à ses ressources. Il s’agira donc pour le thérapeute d’aider le patient à prendre conscience de son monde intérieur et de sa multi-plicité, d’identifier les parts alourdies par des far-deaux, puis de se libérer de ceux-ci. Le self peut être comparé au soleil, fixe, qui brille tout le temps, et les parts aux nuages, au brouillard, à la pluie, à tout ce qui nous empêche de voir l’astre. Lors de la première séance, la personne évoque ce qui l’amène à consul-ter. Le travail du thérapeute consiste à repérer avec elle les parts mises en jeu dans son problème.

Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?F.L.D. : J’ai reçu récemment une cliente qui se plaignait de la négativité de son supérieur hiérar-chique vis-à-vis d’elle. Lors de la séance, plusieurs parts ont émergé : la part en colère, la part qui se sentait nulle et enfin celle qui redoutait d’être licen-ciée si elle devait entrer dans un conflit ouvert. Je l’ai aidée à choisir la part qui lui posait le plus problème. C’est celle-ci qui a fait l’objet du travail : comment s’exprimait-elle ? Quand était-elle apparue ? Quels effets avait-elle dans sa vie ? Concentrée et guidée par le thérapeute, la patiente pourra ressentir de la compassion pour cette part d’elle-même. Et sera en mesure ensuite de se décharger, en conscience, des fardeaux que celle-ci porte, et qui sont en lien avec des situations passées dans lesquelles elle est restée bloquée. Des rituels d’imagerie mentale

– comme jeter une valise dans le feu ou les boulets qui entravent sa marche dans un précipice – per-mettent cette libération. Ce n’est pas de la magie, c’est un processus qui participe de ce que l’on appelle la « reconsolidation mnésique », c’est-à-dire le reformatage de nos mémoires par la dissolution des mémoires négatives.

“LES PARTS QUI NOUS CONSTITUENT SONT AUTANT D E S O U S- P ER S O N N A L IT É S

QUI SE DÉVELOPPENT EN FONC TION DE NOS BESOINS”

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>> Comment savoir si son self a retrouvé sa position de leadership, s’il est à nouveau maître à bord ?F.L.D. : L’abandon progressif des comportements extrêmes, des croyances limitantes, la bonne régula-tion des émotions sont la marque d’un self libéré. La personne éprouve un sentiment d’unité intérieure, elle est capable de puiser en elle-même les ressources dont elle a besoin, et d’entrer en relation avec autrui de la même façon qu’avec ses parts : en faisant preuve de compassion, de curiosité et de bienveillance.

Quel est, selon vous, le vrai « plus » de cette approche par rapport aux autres méthodes, et notamment aux thérapies comportementales et cognitives ?F.L.D. : Avec l’IFS, il ne s’agit pas d’acquérir de nouveaux comportements, mais de dégager tout ce qui emprisonne l’être, tout ce qui l’empêche

L’Internal Family Systems (IFS) appelle « parts protégées » les parties de nous-mêmes qui ont fait l’expérience de la souffrance. Ces parts blessées sont « gérées » par deux types de « protecteurs » : les managers et les pompiers. Leur intention de départ est positive – il s’agit de nous éviter de revivre une expérience douloureuse –, mais leurs moyens sont contre-productifs et source d’inconfort et de souffrance.Quelques exemples de managers : la critique, l’anticipation, la procrastination, la recherche permanente de solutions, le besoin de tout comprendre.Quelques exemples de pompiers : les pulsions visant un réconfort physique et psychique immédiat (par les drogues, la nourriture, les dépenses et diverses addictions),

le besoin d’évasion (lecture compulsive, fuite, passages à l’acte plus ou moins graves…).

Abritez-vous un pompier ou un manager ?Nos protecteurs, pompiers ou managers, se manifestent par des sensations corporelles. Cette méditation active, proposée par François Le Doze dans son ouvrage La Force de la confiance, vous permettra d’identifier le vôtre.• Installez-vous confortablement dans un endroit calme.• Portez votre attention sur votre respiration.• Une fois que vous vous sentirez détendu, souvenez-vous d’une situation récente de stress, au travail, chez vous, dans les transports en commun ou dans la rue.

• Repensez à la façon dont vous avez réagi.• En repensant à la scène, il est probable que cette activation se réactualise. Avez-vous l’impression d’être corseté, serré, pressuré ? Si c’est le cas, il y a des chances que votre protecteur soit un manager. Celui-ci se manifeste généralement par des tensions corporelles.• Si vous avez éprouvé une sensation de dilatation dans la poitrine, ou si vous avez ressenti une intense fatigue, une sensation de perte d’énergie, ou, à l’inverse, un accroissement d’énergie après l’émergence d’une forte poussée émotionnelle contenue, si des images lointaines ou des pensées sans rapport avec la situation vous sont venues, comme pour vous couper de vos sensations, votre protecteur est certainement un pompier.

d’avoir accès à sa liberté, à sa singularité. À partir de là, les compétences innées ou précédemment acquises sont de nouveau disponibles. Cela s’opère par le déverrouillage du cerveau émotionnel. Le thérapeute a un rôle de facilitateur pour permettre au self du patient d’être le thérapeute de son propre système. C’est probablement l’une des différences les plus notables avec les autres approches. Je constate tous les jours combien les gens sont sou-lagés de se rendre compte que leur souffrance ou leur dysfonctionnement ne concerne pas tout leur être, mais seulement une partie d’eux-mêmes qui s’est figée dans un rôle, et qu’il suffit de déchar-ger cette part de ce rôle inapproprié pour qu’ils se sentent libérés et accèdent à leurs ressources intérieures. À l’issue de ce travail, qui peut durer de quelques séances à deux ans, il y a toujours, au bout, la confiance en soi. Là est le fruit de la guérison : le self, qui retrouve sa puissance d’être.

Pompier ou manager : identifiez vos protecteurs