THEORIE DE L’INT EGRATION Gijs M....

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THEORIE DE L’INTEGRATION

Gijs M. Tuynman

1

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2 GIJS M. TUYNMAN

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Table des matieres

I. L’integrale 5

1. Denombrabilite 5

2. Tribus 14

3. La droite achevee 28

4. Mesures 34

5. Subdivisions et fonctions etagees 42

6. L’integrale de fonctions positives 48

7. Applications mesurables 54

8. Espaces produits 61

9. Le theoreme de convergence monotone 70

10. L’integrale de fonctions reelles ou complexes 80

II. Les theoremes fondamentaux 89

11. Le theoreme de convergence dominee de Lebesgue 89

12. Unicite de mesures 100

13. La mesure produit 106

14. Le theoreme de Fubini 115

15. Integrales multiples 121

16. Evaluation, mesures de comptage et series 127

III. Theorie de la mesure 141

17. Existence de mesures 141

18. Mesures sur R et la mesure de Lebesgue sur Rd 151

19. La taille d’un ensemble et l’ensemble de Cantor 165

20. Mesures a densite 173

21. Combinaisons lineaires de mesures 177

22. Le theoreme de transfert 183

23. Invariance et la mesure de Lebesgue 188

24. Le theoreme de changement de variables 197

IV. Dans la pratique 207

25. L’integrale de Riemann versus celle de Lebesgue 207

26. L’integrale de Riemann generalisee 214

27. Applications du theoreme de convergence dominee 220

28. Une application du theoreme de changement de variables 231

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4 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

V. Un peu d’analyse fonctionnelle 237

29. Les espaces Lp 23730. Proprietes des espaces Lp 25131. Le dual topologique des espaces Lp 26432. Espaces de Hilbert 28933. Bases hilbertiennes 30034. Le theoreme de Radon–Nikodym 315

VI. Ensembles Lebesgue mesurables 329

35. Espaces mesures complets 32936. Combien de Boreliens sur R ? 33737. Les impossibilites de prolonger la mesure de Lebesgue 34838. Le paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski 351

Remerciements et references bibliographiques 355

Index 357

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Partie I : L’integrale

1. Denombrabilite

1.1 Definition. On dit qu’un ensemble A est infini s’il existe une applicationinjective g : N → A. Et on dit qu’un ensemble A est denombrable s’il existe uneapplication injective f : A → N. L’idee de cette deuxieme definition est qu’onpeut attacher des nombres entiers aux elements de A, mais pas forcement tous lesnombres. Si on veut preciser qu’un ensemble denombrable n’est pas fini, on diraque c’est un ensemble denombrable infini . L’ensemble N lui meme est un exempled’un ensemble denombrable infini (voir aussi [19.2]).

1.2 Remarque pour les comparateurs. Pour certains auteurs la notion d’en-semble denombrable implique automatiquement que c’est un ensemble infini ; ilsle definissent comme un ensemble A pour lequel il existe une application bijectiveh : A→ N. Il suffit d’invoquer [19.2] pour voir que cette definition correspond bienavec notre definition d’un ensemble denombrable infini. Nous adoptons ici le pointde vue moins restrictif en disant qu’un ensemble fini est aussi denombrable.

1.3 Proposition (admis). Soit A un ensemble denombrable. Alors de deux chosesl’une. Ou bien il existe un entier n ∈ N et une bijection f : 1, . . . , n → A, oubien il existe une bijection f : N → A. Dans le premier cas on dit que A est unensemble fini a n elements ; dans le deuxieme cas on dit que A est un ensembledenombrable infini.

1.4 Remarque pour les curieux. La preuve de ce resultat necessite l’axiomedu choix denombrable. Cet axiome est nettement plus faible que l’axiome du choixclassique (qui conduit a des paradoxes comme le paradoxe de Banach-Tarski [38.2]).Pour plus de detail on pourrait consulter [Tu].

→ 1.5 Lemme. Soit A un ensemble denombrable et soit B ⊂ A un sous-ensemble.Alors B est aussi denombrable.

Preuve de [1.5]. Si on definit l’application j : B → A par j(b) = b (c’est-a-dire quej est l’identite sur B ⊂ A ; on dit que c’est l’injection canonique de B dans A),alors j est injective. Par hypothese il existe une application injective f : A → N.

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6 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

La composee f j : B → N est donc un application injective de B dans N.CQFD

1.6 Lemme. Soit A et B deux ensembles non-vides et f : A → B une injection.Alors il existe une surjection g : B → A verifiant g f = idA.†

Preuve. Soit f : A → B une injection et soit ao ∈ A un element arbitraire (quiexiste car A n’est pas vide). L’injectivite de f veut dire que pour un b ∈ B onn’a que deux possibilites : ou bien b n’appartient pas a l’image f(A), ou bien, si bappartient a f(A), il existe un seul a ∈ A tel que f(a) = b. On peut donc definirl’application g : B → A par

g(b) = a si b ∈ f(A) avec f(a) = b et g(b) = ao si b /∈ f(A).

A Bf A Bg

b /∈ f(A)

b ∈ f(A)

ao

Vu que chaque a ∈ A a une image dans B, il est immediat que g est surjective.Cette application g est un inverse a gauche de f : g f = idA ; ce n’est un inversea droite que si f est une bijection. CQFD

1.7 Remarque. Soit A un ensemble denombrable non-vide. Alors il existe uneapplication injective f : A → N, donc par [1.6] il existe une application surjectiveg : N → A. L’interpretation d’une telle surjection est qu’on peut “compter” leselements de A comme a0, a1, a2, . . . ou il est possible qu’on ne s’arrete pas et/ouqu’on compte certains elements en double (comme on fait souvent dans la pratiquequand il y a trop d’elements et qu’on a du mal a retenir quels elements on a dejaeu). Pour un ensemble fini A = a0, . . . , an−1, qui contient n elements, on obtientpar exemple la surjection f : N→ A definie par

f(k) = ak si k < n et f(k) = a0 si k ≥ n.

Plus generalement, la surjection g : N → A permet d’ecrire l’ensemble A sous laforme

A = g(n) | n ∈ N .

L’ecriture ensembliste ne s’oppose pas a des doublures (ni a un changement d’ordre),car par exemple on a l’egalite

a, b, c, a, a, c = c, c, b, c, b, a, c .

†L’enonce reciproque qui dit que “s’il existe une surjection g : B → A, alors il existe une

injection f : A → B verifiant g f = idA” est equivalent a l’axiome du choix.

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DENOMBRABILITE 7

1.8 Proposition. Il existe une bijection f : N×N→ N.

Preuve. L’enonce dit qu’il existe une bijection entre N2 et N ; on va en donnerdeux. La premiere est facile a comprendre et repose sur la theorie (tres elementaire)des nombres. Chaque entier non-nul s’ecrit d’une facon unique comme un produitd’une puissance de 2 et un nombre impair (il suffit de diviser par 2 jusqu’a ce qu’onobtienne un nombre impair). On a donc

∀n ∈ N∗ ∃p, q ∈ N : n = 2p · (2q + 1) .

L’existence et unicite de cette ecriture montre que l’application n 7→ (p, q) est unebijection entre N∗ et N×N. En decalant d’un cran en posant

f : N×N→ N , f(p, q) = 2p · (2q + 1)− 1

on obtient une bijection entre N×N et N comme voulu.

0 1 2 3 4 p →

0

1

2

3

q

0 1 3 7

2 5 11

4 9

6

la fonction f(p, q) = 2p · (2q + 1)− 1

La deuxieme bijection est plus compliquee a etablir, bien que visuellement plusclaire : on compte les points dans le produit N ×N vu comme sous-ensemble dupremier quadrant du plan R2 en passant par les anti-diagonales successives (quicontiennent successivement 1, 2, 3, . . . elements).

0 1 2 3 4 p →

0

1

2

3

q

0 1

2

3

4

5

6

7

8

9

La formule explicite qui donne cette bijection f : N×N→ N est donnee par

f(p, q) = 12 (p+ q)(p+ q + 1) + q .

En inspectant le dessin on verifie aisement que cette formule correspond au comp-tage donne. Mais la preuve que c’est bien une bijection est un peu plus longue. Oncommence avec l’observation que la suite (an)n∈N definie par an = 1

2n(n + 1) est

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8 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

une suite strictement croissante d’entiers verifiant a0 = 0 et an+1 = an + (n + 1)(c’est la suite donnee par an =

∑ni=0 i). Cette suite a donc la propriete suivante :

(1.9) pour tout m ∈ N il existe un unique n ∈ N tel que an ≤ m < an+1.

Pour ce n on a donc 0 ≤ m − an < an+1 − an = n + 1. Si on pose q = m − anet p = n − q on aura donc f(p, q) = m, ce qui montre la surjectivite de f . Pourl’injectivite on note d’abord qu’on a les inegalites

cp+q ≤ f(p, q) = cp+q + q < cp+q + (p+ q + 1) = cp+q+1 .

Donc si on a l’egalite f(p, q) = f(a, b), on a les inegalites cp+q ≤ f(a, b) < cp+q+1 etcp+q ≤ f(a, b) < cp+q+1. L’unicite de n dans (1.9) implique alors qu’on a l’egalitep+ q = a+ b. Mais alors on a l’egalite

q = f(p, q)− cp+q = f(a, b)− ca+b = b

et donc aussi p = a. Ainsi on a montre que f est injective. CQFD

1.10 Remarque. La deuxieme bijection dans la preuve de [1.8] est souvent utiliseedans le calcul d’un produit de deux series entieres. Sans entrer dans les details desjustifications de ce calcul, on ecrit( ∞∑

p=0

ap zp

)·( ∞∑

q=0

bq zq

)=

∞∑p,q=0

ap bq zp+q =

∞∑n=0

n∑q=0

an−q bq zn

= a0 b0 z0 + (a1 b0 + a0 b1) z1 + (a2 b0 + a1 b1 + a0 b2) z2 + · · ·

ou on reconnaıt, dans les indices des produits ai bj , les premiers termes de ladeuxieme application f : f(m) = (0, 0), (1, 0), (0, 1), (2, 0), (1, 1), (0, 2), . . . .

1.11 Corollaire. Pour tout n ∈ N∗ il existe une bijection entre Nn et N.

1.12 Corollaire. Une reunion (pas forcement disjointe) denombrable d’ensemblesdenombrables est denombrable. Plus precisement, soit I un ensemble denombrableet soit Ai, pour tout i ∈ I, un ensemble denombrable. Alors la reunion R = ∪

i∈IAi

est denombrable.

Preuve. Par hypothese il existe une application injective f : I → N et pour chaquei ∈ I il existe une application injective gi : Ai → N. Par definition de la reunion,on a la propriete

a ∈ R ⇐⇒ ∃i ∈ I : a ∈ Ai .

L’idee de la preuve est de definir une application injective ψ : R→ N×N par

ψ(a) =(f(i), gi(a)

)quand a ∈ Ai .

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DENOMBRABILITE 9

Si on compose ce ψ avec une bijection F : N × N → N [1.8], on obtient uneapplication injective de R dans N comme voulue. Le probleme avec cette definitionde ψ est que l’indice i ∈ I n’est pas (forcement) unique, car les ensembles Ai nesont pas (forcement) disjoints ; un element a ∈ R peut appartenir a plusieurs deces ensembles. Pour en faire une definition correcte, on utilise la denombrabilite deI pour choisir “le premier” i ∈ I tel que a ∈ Ai. Voici les details.

On definit, pour chaque a ∈ R, l’ensemble Ia ⊂ I par

Ia = i ∈ I | a ∈ Ai .

Par definition de la reunion aucun des Ia n’est vide, donc l’image f(Ia) ⊂ N n’estpas vide non plus. Il existe donc un (unique) element minimal na dans chaquef(Ia) :

∀i ∈ Ia : f(i) ≥ na .

Par definition de l’image f(Ia), il existe ia ∈ Ia tel que f(ia) = na et par l’injectivitede f cet ia est unique. Maintenant qu’on a trouve notre (unique) ia ∈ Ia, on peutdefinir correctement l’application ψ : R→ N×N par

ψ(a) =(na, gia(a)

).

Pour montrer que ce ψ est injective, on suppose qu’on a ψ(a) = ψ(b) = (n,m).Par definition, ceci implique en particulier qu’il existe i, j ∈ I tels que

a ∈ Ai , b ∈ Aj , f(i) = f(j) = n et gi(a) = gj(b) = m .

Par l’injectivite de f on a i = j, ce qui nous donne l’egalite gi(a) = gi(b). Maischaque gi est injective, donc ceci implique a = b.

Pour terminer, soit F : N ×N → N une bijection [1.8]. La composee F ψ :R→ N de l’application injective ψ et de l’application bijective F est une applicationinjective. CQFD

1.13 Corollaire. Les ensembles Z et Q sont denombrables (infinis).

1.14 Le developpement decimal reduit. Si x ∈ R+ est un nombre reel, alorsson “developpement decimal” est l’ecriture de x sous la forme

x = an an−1 . . . a2 a1 a0 , d1 d2 d3 . . .

ou les ai et dj sont des chiffres appartenant a l’ensemble 0, 1, . . . , 8, 9. Par exemplele chiffre a3 represente les milliers et d2 les centiemes. Une telle ecriture n’est pasunique car, par exemple,

0, 99999 . . . et 1, 00000 . . .

representent tous les deux le nombre 1. Pour retablir une ecriture unique on intro-duit le developpement decimal reduit qui consiste a exclure de tels developpementsqui se terminent par la suite constante 9.

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10 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Pour ne pas etre gene par la partie entiere d’un nombre, on se restreint a desreels x entre 0 et 1 et plus precisement on prend x ∈ [0, 1[ . Pour les suites desdecimales (dn)n∈N∗ on se restreint comme dit ci-dessus aux suites DR qui ne seterminent pas par une suite constante 9 :

DR = (dn)n∈N∗ | ∀n ∈ N∗ :(dn ∈ 0, 1, . . . , 9 et ∃m ≥ n : dm 6= 9

) .

Le but est de montrer que l’application f : DR → [0, 1[ definie par

f((dn)n∈N∗

)=∞∑n=1

dn10n

= limN→∞

N∑n=1

dn10n

est une bijection entre DR et [0, 1[ . Etant donne que toutes les “decimales” dnsont positives, il est immediat que f

((dn)n∈N∗

)est positif.

Si (dn)n∈N∗ , (d′n)n∈N∗ ∈ DR sont deux suites de decimales reduites differentes,

il existe forcement un n ∈ N∗ tel que dn 6= d′n. Il en existe donc aussi un plus petitk :

dk 6= d′k et ∀n < k : dn = d′n .

Sans perte de generalite on peut supposer qu’on a dk < d′k. Par definition de DRil existe `,m > k + 1 tel que d` 6= 9 et d′m 6= 9. Avec ces hypotheses on peut fairele calcul

f((dn)n∈N∗

)=

k−1∑n=1

dn10n

+dk10k

+

`−1∑n=k+1

dn10n

+d`10`

+

∞∑n=`+1

dn10n

<k−1∑n=1

dn10n

+dk10k

+`−1∑

n=k+1

dn10n

+9

10`+

∞∑n=`+1

dn10n

≤k−1∑n=1

dn10n

+dk10k

+∞∑

n=k+1

9

10n

serie geometrique=

k−1∑n=1

dn10n

+dk10k

+9

10k+1· 1

1− 110

=

k−1∑n=1

dn10n

+dk + 1

10k

≤k−1∑n=1

d′n10n

+d′k10k

+

( m−1∑n=k+1

d′n10n

+d′m10m

+∞∑

n=m+1

d′n10n

)= f

((d′n)n∈N∗

)<m−1∑n=1

d′n10n

+ +9

10m+

∞∑n=m+1

d′n10n

≤∞∑n=1

9

10n=

9

10· 1

1− 110

= 1 .

On a donc les inegalites

0 ≤ f((dn)n∈N∗

)< f

((d′n)n∈N∗

)< 1 ,

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DENOMBRABILITE 11

ce qui montre que f est injective et que l’image est contenue dans [0, 1[ .

Pour montrer que f est surjective, on prend x ∈ [0, 1[ et on va construire parrecurrence une suite (dn)n∈N∗ dans DR telle qu’on a f

((dn)n∈N∗

)= x. Plus

precisement on va construire une suite qui verifie

(1.15) ∀N ∈ N∗ : 0 ≤ x−N∑n=1

dn10n

<1

10N.

Sachant qu’on a 0 ≤ x < 1, on a 0 ≤ 10 · x < 10. On peut donc poser

d1 = E(10 · x) ,

ou E : R → Z designe la partie entiere d’un nombre : E(y) ≤ y < E(y) + 1. Pardefinition de la partie entiere on a donc

d1 ≤ 10 · x < d1 + 1 ⇐⇒ 0 ≤ x− d1

10<

1

10.

La condition (1.15) est donc verifiee au rang N = 1. Si on a construit d1, . . . , dNverifiant (1.15) on aura

0 ≤ 10N+1 ·(x−

N∑n=1

dn10n

)< 10

et on construit dN+1 en posant

dN+1 = E(

10N+1 ·(x−

N∑n=1

dn10n

) ).

On a donc

dN+1 ≤ 10N+1 ·(x−

N∑n=1

dn10n

)< dN+1 + 1 ⇐⇒ 0 ≤ x−

N+1∑n=1

dn10n

<1

10N+1,

ce qui montre qu’on a bien (1.15) au rang N + 1. Ainsi on a construit une suite(dn)n∈N a valeurs dans 0, 1, . . . , 9. En prenant la limite N → ∞ dans (1.15) onobtient aussi l’egalite

f((dn)n∈N

)=∞∑n=1

dn10n

= x .

Mais on n’est pas (encore) sur que cette suite appartient a DR.

Notons d’abord qu’il est impossible que tous les dn soient 9, car dans ce cas onaurait x =

∑∞n=1 9 · 10−n = 1. Ensuite on suppose qu’on a une queue constante 9

a partir d’un certain rang. Plus precisement on suppose qu’on a

dm 6= 9 et ∀n > m : dn = 9 .

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12 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Alors on a

(1.16) x =

∞∑n=1

dn10n

=

m∑n=1

dn10n

+

∞∑n=m+1

9

10n=

m∑n=1

dn10n

+1

10m.

Mais par construction on a

0 ≤ x−m∑n=1

dn10n

<1

10m,

ce qui est en contradiction avec (1.16). L’hypothese qu’il y a une queue constante9 est donc intenable et on peut conclure qu’on a bien (dn)n∈N ∈ DR. Et donc ona montre que l’application f : DR → [0, 1[ est une bijection. Autrement dit, toutnombre x verifiant 0 ≤ x < 1 admet une unique representation decimale reduite dela forme

x = 0 , d1 d2 d3 . . .

avec dn ∈ 0, 1, . . . , 9 et sans queue constante 9.

1.17 Le developpement reduit en base b. La construction de la bijection entreles suites decimales reduites DR et l’intervalle [0, 1[ ne repose nullement sur le faitqu’on utilise la base dix pour compter. Exactement le meme raisonnement montrequ’on a une bijection entre les suites reduites en base b et l’intervalle [0, 1[ . Plusprecisement, si on compte en base b pour un entier b > 1, on utilise les “chiffres”0, 1, . . . , b− 1. L’ensemble DRb des suites reduites en base b sera alors donne par

DRb = (dn)n∈N∗ | ∀n ∈ N∗ :(dn ∈ 0, 1, . . . , b− 1 et ∃m ≥ n : dm 6= b− 1

) ,

l’ensemble des suites qui n’ont pas une queue constante b−1. Et on montre, commeen base dix, que l’application fb : DRb → [0, 1[ donnee par

fb((dn)n∈N∗

)=∞∑n=1

dnbn

est une bijection.

1.18 L’argument diagonal de Cantor. L’ensemble [0, 1[ ⊂ R n’est pas denom-brable.

Preuve. Supposons le contraire, c’est-a-dire, supposons qu’il existe une injectionh : [0, 1[ . Alors par [1.6] il existe une surjection g : N → [0, 1[ . En composantavec la reciproque de la bijection f : DR → [0, 1[ donnee dans [1.14] et en decalantd’un cran on obtient une surjection F : N∗ → DR donnee par

∀n ∈ N∗ : F (n) = f−1(g(n− 1)

).

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DENOMBRABILITE 13

Pour tout k ∈ N∗ l’image F (k) est donc une suite a valeurs dans 0, 1, . . . , 9. Enparticulier on a F (k)n ∈ 0, 1, . . . , 9 pour tout n ∈ N∗. Si on ecrit ces suites dansune liste, on obtient un tableau de chiffres decimaux comme suit.

F (1) = 0 ,©a1 a2 a3 a4 a5 . . .

F (2) = 0 , b1©b2 b3 b4 b5 . . .

F (3) = 0 , c1 c2©c3 c4 c5 . . .

...

F (n) = 0 , x1 x2 . . . xn−1©xn xn+1 . . .

F (n+ 1) = 0 , y1 y2 . . . yn−1 yn©yn+1 . . .

...

Si on ne regarde que les elements (decimaux) sur la diagonale, on obtient unenouvelle suite z = 0, a1b2c3 . . . xnyn+1 . . . a valeurs dans 0, 1, . . . , 9. Si cette suiten’a pas une queue constante 9, la surjectivite de F implique qu’elle doit etre dansnotre liste, c’est-a-dire qu’il existe k ∈ N tel que F (k) = z. Par exemple il estpossible qu’on ait k = 3, a condition qu’on ait c1 = a1, c2 = b2, . . . , cn = xn etcætera.

Mais il est plus interessant de changer ces elements sur la diagonale, car la suitequ’on obtient ainsi ne peut plus etre dans la liste : le n-ieme element de la liste aurasa n-ieme decimale differente. On aura donc une contradiction avec la surjectivitede F . Formellement on definit par exemple la suite (dn)n∈N∗ ∈ DR par

∀n ∈ N∗ : dn = 0 si F (n)n > 5 , dn = 8 si F (n)n ≤ 5 .

Etant donne qu’aucun des dn n’est egal a 9, il s’ensuit qu’on a bien (dn)n∈N∗ ∈ DR.La construction est telle que pour tout n ∈ N∗ on a dn 6= F (n)n. La surjectivite deF implique qu’il existe k ∈ N tel que F (k) = (dn)n∈N∗ . En particulier on doit avoirF (k)k = dk. Mais cela est impossible selon la construction de la suite (dn)n∈N∗ .Cette contradiction montre qu’une telle surjection ne peut pas exister. CQFD

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14

2. Tribus

2.1 Definition. Soit Ω un ensemble et F ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensemblesde Ω. On dit que F est une tribu sur Ω si elle verifie les conditions suivantes :

(i) ∅ ∈ F ;(ii) si, pour tout n ∈ N on a An ∈ F , alors ∪

n∈NAn ∈ F ;

(iii) si A ∈ F , alors Ω \A ∈ F .

En toutes lettres : une tribu contient l’ensemble vide et est stable par reuniondenombrable ainsi que par complementaire dans Ω.

Un couple (Ω,F) ou Ω est un ensemble et F une tribu sur Ω (on dit aussi queΩ est muni de la tribu F) est appele un espace mesurable. Les elements de F sontappeles ensembles (F-)mesurables.

2.2 Notation. Dans la suite on aura souvent l’occasion de parler du complemen-taire d’un ensemble. Pour alleger la notation on convient de noter le complementaireΩ\A d’un ensemble A par Ac, a condition que Ω soit l’espace total ou se deroule ladiscussion. Pour toute autre difference d’ensembles A et B on continuera d’utiliserla notation A \B.

2.3 Exemples. • Soit Ω un ensemble, alors il y a deux tribus “triviales” sur Ω.D’abord la plus petite possible F = ∅,Ω qui ne contient que le strict minimum :le vide et le total. Et on a aussi la plus grande possible F = P(Ω) qui contient tousles sous-ensembles de Ω.

• Un autre exemple qu’on peut facilement construire dans le cas general consistea prendre un sous-ensemble A ⊂ Ω arbitrairement. Et alors la collection

F = ∅, A,Ac,Ω

est une tribu contenant 4 elements (sauf dans les cas triviaux A = ∅ ou A = Ω,quand elle n’en contient que 2).

• Un troisieme exemple de tribu qu’on peut construire avec un ensemble quel-conque Ω consiste de la collection

F = A ⊂ Ω | A ou Ac est denombrable .

→ 2.4 Exercice. Montrer que la collection F dans le troisieme exemple de [2.3] estbien une tribu.

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TRIBUS 15

→ 2.5 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit (Ai)i∈N une suite d’elementsde F et soit n ∈ N. Alors ∩

i∈NAi, ∩

i=0

nAi, ∪i=0

nAi et A0 \A1 sont dans F .

Preuve de [2.5]. Si Ai est dans F , alors Aci est dans F par [2.1.iii]. Par [2.1.ii] la re-

union ∪i∈N(Aci ) appartient a F . Et de nouveau par [2.1.iii] ∩i∈NAi =(∪i∈N(Aci )

)cappartient a F . Si on definit la suite (Bi)i∈N d’elements de F par

Bi = Ai si i ≤ n , Bi = ∅ si i > n,

alors ∪ni=0Ai = ∪i∈NBi appartient a F par [2.1.ii]. ∩ni=0Ai = ∩i∈NBi appartient aF par la premiere partie de la preuve et donc A0 \A1 = A0 ∩Ac1 aussi. CQFD

→ 2.6 Lemme. Soit Ω un ensemble et F ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensemblesde Ω. Alors les proprietes suivantes sont equivalentes.

(a) F est une tribu sur Ω.(b) F verifie les conditions suivantes :

(i) ∅ ∈ F ,(ii) si, pour tout n ∈ N on a An ∈ F , alors ∩

n∈NAn ∈ F ;

(iii) si A ∈ F , alors Ac ∈ F ;(c) F verifie les conditions suivantes :

(i) Ω ∈ F ,(ii) si, pour tout n ∈ N on a An ∈ F , alors ∪

n∈NAn ∈ F ;

(iii) si A,B ∈ F , alors A \B ∈ F ;

Preuve de [2.6]. • (a) ⇔ (b) : L’implication (i) ⇒ (ii) est une consequence imme-diate de [2.5]. Pour l’implication dans l’autre sens, il suffit de remarquer qu’on a

l’egalite ∪n∈NAn =(∩n∈NAcn

)cet d’utiliser les proprietes (ii) et (iii) de (b).

• (a)⇔ (c) : Pour l’implication (a)⇒ (c) il suffit de remarquer qu’on a Ω = ∅c etqu’on a l’egalite A \B = A∩Bc et d’appliquer [2.5] avec n = 1. Pour l’implicationdans l’autre sens c’est presque la meme chose : ∅ = Ω \ Ω et Ac = Ω \A. CQFD

→ 2.7 Lemme. Soit Ω et I deux ensembles quelconques, soit I non vide et soit Fiune tribu sur Ω pour tout i ∈ I. Alors l’intersection G = ∩

i∈IFi est une tribu sur Ω.

Preuve de [2.7]. Pour montrer que G est une tribu, on verifie les trois proprietes.• Par definition, pour tout i ∈ I on a ∅ ∈ Fi, donc ∅ ∈ G.• Si (An)n∈N est une suite d’elements de G, alors par definition de l’intersection ona ∀n ∈ N ∀i ∈ I : An ∈ Fi. Ce qui est la meme chose que ∀i ∈ I ∀n ∈ N : An ∈ Fi.Donc, parce que Fi est une tribu, ∀i ∈ I : ∪n∈NAn ∈ Fi et donc par definition del’intersection ∪n∈NAn ∈ G.• Si A ∈ G, alors ∀i ∈ I : A ∈ Fi, donc par definition d’une tribu ∀i ∈ I : Ac ∈ Fiet donc Ac ∈ G. CQFD

2.8 Utilisation du symbole ≡. Dans un calcul le symbole ≡ est utilise dansle sens est identiquement egal a ; le plus souvent cela veut dire que l’egalite estune simple reecriture en utilisant la definition.

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16 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

2.9 Definition. Soit Ω un ensemble et C ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensemblesde Ω. On definit F comme la collection de toutes les tribus sur Ω qui contiennentC :

F = F ⊂ P(Ω) | C ⊂ F et F est une tribu sur Ω .

Vu que P(Ω) appartient a F, on sait par [2.7] que l’intersection de toutes les tribusdans F est de nouveau une tribu, appelee la tribu engendree par C et notee σ(C) :

σ(C) =⋂F∈FF .

Avec [2.10] on peut dire que c’est la plus petite tribu contenant C.

→ 2.10 Lemme. Soit Ω un ensemble et C ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensemblesde Ω. Si G est une tribu telle que C ⊂ G, alors on a C ⊂ σ(C) ⊂ G.

Preuve de [2.10]. Par definition de F on a C ⊂ F pour tout F ∈ F, et doncC ⊂ ∩F∈FF . D’autre part, si G est une tribu contenant C, alors G ∈ F. Et doncpar definition d’une intersection : σ(C) ≡ ∩

F∈FF ⊂ G. CQFD

→ 2.11 Lemme. Soit Ω un ensemble et C,D ⊂ P(Ω) deux collections de sous-ensem-bles de Ω. Si C ⊂ D, alors σ(C) ⊂ σ(D).

Preuve de [2.11]. Par [2.10] on a C ⊂ D ⊂ σ(D), donc de nouveau par [2.10] on aaussi σ(C) ⊂ σ(D). CQFD

→ 2.12 Exercice. Soit Ω un ensemble et soit C = ω | ω ∈ Ω ⊂ P(Ω) la collectionde tous les singletons. Decrire explicitement la tribu σ(C) selon la cardinalite de Ω(finie, infinie denombrable, infinie non-denombrable).

2.13 Definition. Soit Ω un ensemble. Une partition de Ω est une partie C ⊂P(Ω) (une collection de sous-ensembles de Ω) dont la reunion est Ω et qui sontmutuellement disjoints :⋃

A∈CA = Ω et ∀A,B ∈ C : A 6= B ⇒ A ∩B = ∅ .

On impose aussi la condition que C ne contient pas l’ensemble vide :

∀A ∈ C : A 6= ∅ .

Cette condition entraıne que l’ensemble Ω ne peut pas etre l’ensemble vide.

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TRIBUS 17

2.14 Remarque pour les curieux. Formellement il n’y a rien qui s’oppose a lapossibilite que l’ensemble vide apppartient a une partition et parfois c’est memeutile. Mais cette possibilite amene aussi a des situations qui vont a l’encontre del’intuition. Comme on ne rencontre pas les situations ou c’est vraiment utile, on aexclu cette possibilite.

→ 2.15 Exercice (tribu engendree par une partition). Soit Ω un ensemble etsoit C ⊂ P(Ω) une partition de Ω. Decrire explicitement la tribu σ(C) selon lacardinalite de C.

2.16 Definitions. Soit Ω un ensemble et T ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensembles de Ω. On dit que T est une topologie sur Ω si elle verifie les troisconditions

(i) ∅,Ω ∈ T ,(ii) O1, O2 ∈ T ⇒ O1 ∩O2 ∈ T ,

(iii) si I est un ensemble (d’indices) et si pour tout i ∈ I on a Oi ∈ T , alors∪i∈IOi ∈ T .

Le couple (Ω, T ) est appele un espace topologique et les elements de T sont appelesles ouverts (de la topologie). Si (Ω, T ) est un espace topologique, alors une partieB ⊂ T est appelee une base pour la topologie si tout element de T s’ecrit commeune reunion (quelconque) d’elements de B. Plus precisement, B est une base pourla topologie T si elle verifie la condition

∀O ∈ T ∀ω ∈ O ∃B ∈ B : ω ∈ B ⊂ O.

On dit qu’un espace topologique (Ω, T ) est a base denombrable s’il existe unebase B pour la topologie T qui contient un nombre denombrable d’elements. SiA ⊂ Ω est un sous-ensemble, alors la collection TA ⊂ P(A) definie par

TA = O ∩A | O ∈ T

est une topologie sur A, appele la topologie induite sur A.

→ 2.17 Lemme. Soit Ω un ensemble et soit B ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensembles de Ω. Alors B est la base d’une topologie si et seulement si elle verifieles conditions

(i) ∪B∈B

B = Ω et

(ii) ∀B,C ∈ B ∀ω ∈ B ∩ C ∃D ∈ B : ω ∈ D ⊂ B ∩ C.

Si c’est le cas, B est une base pour la topologie T donnee par

(2.18) O ∈ T ⇐⇒ ∀ω ∈ O ∃B ∈ B : ω ∈ B ⊂ O .

Preuve de [2.17]. • (⇒) : Si B est une base pour une topologie T , alors l’elementΩ ∈ T doit etre la reunion d’elements de B : pour tout ω ∈ Ω il existe B ∈ B

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18 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

tel que ω ∈ B. On a donc forcement la propriete (i). Et si B,C ∈ B sont deuxelements, alors on a fortiori B,C ∈ T , donc B ∩ C ∈ T . Par definition d’une baseon a donc la propriete (ii).• (⇐) : Si B ⊂ P(Ω) verifie les condition (i) et (ii), on definit la collection

T ⊂ P(Ω) par (2.18). Pour montrer que c’est une topologie, on verifie les conditionsd’une topologie. Par la condition (i) on a la propriete que pour tout ω ∈ Ω il existeB ∈ B tel que ω ∈ B. Il s’ensuitg qu’on a Ω ∈ T . Et l’ensemble vide ∅ verifietrivialement la condition pour etre dans T , car la condition ∀ω ∈ ∅ est toujoursvraie : il n’a rien a verifier, car il n’y a pas d’elements dans ∅. Ainsi la premierecondition d’une topologie est verifiee.

Pour la deuxieme condition, prenons O1, O2 ∈ T et montrons qu’on a O1 ∩O2 ∈T . Pour cela on prend ω ∈ O1 ∩O2 et on cherche D ∈ B tel que ω ∈ D ⊂ O1 ∩O2.Par hypothese il existe B,C ∈ B tels que

ω ∈ B ⊂ O1 et ω ∈ C ⊂ O2 .

Par la condition (ii) il existe donc D ∈ B tel que ω ∈ D ⊂ B ∩ C. On a donc

ω ∈ D ⊂ B ∩ C ⊂ O1 ∩O2

comme voulu.Pour la troisieme condition d’une topologie, considerons une famille Oi ∈ T .

Pour montrer qu’on a ∪i∈IOi ∈ T on prend ω ∈ ∪i∈IOi et on cherche B ∈ B telque ω ∈ B ⊂ ∪i∈IOi. Par definition de la reunion, il existe i ∈ I tel que ω ∈ Oi.Par definition de T il existe donc B ∈ B tel que ω ∈ B ⊂ Oi. Mais alors on a aussiω ∈ B ⊂ ∪i∈IOi comme voulu. CQFD

2.19 Definition. Soit (Ω, T ) un espace topologique. La tribu de Borel sur Ω (aussiappelee tribu borelienne), notee B (ou B(Ω) si on doit etre plus precis, ou encoreB(Ω, T ) si on doit etre hyper precis), est la tribu engendree par les ouverts (de latopologie) : B = σ(T ). Souvent les elements de la tribu de Borel sont appeles desboreliens, au lieu d’ensembles mesurables.

→ 2.20 Lemme. Soit (Ω, T ) un espace topologique. Alors tout ensemble ouvert ettout ensemble ferme sont des boreliens.

Preuve de [2.20]. Par [2.10] on a l’inclusion T ⊂ σ(T ) ≡ B(T ), ce qui veut direque tous les ouverts sont des boreliens. Si F ⊂ Ω est un ferme, alors O = F c estun ouvert, donc un borelien. Mais les boreliens forment une tribu, donc F = Oc

est aussi un borelien. CQFD

→ 2.21 Lemme. Soit (Ω, T ) un espace topologique a base denombrable et soit B ⊂ Tune base denombrable pour la topologie. Alors la tribu de Borel B ≡ σ(T ) est aussiengendree par B : B ≡ σ(T ) = σ(B).

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TRIBUS 19

Preuve de [2.21]. L’inclusion B ⊂ T nous donne l’inclusion σ(B) ⊂ σ(T ) [2.11].On obtient l’inclusion dans l’autre sens par [2.10] des qu’on a montre l’inclusionT ⊂ σ(B). Pour le faire, soit O ∈ T un ouvert. Par definition d’une base il existeune famille (Bi)i∈I d’elements de B telle que O = ∪i∈IBi. Mais B est denombrable,donc I est au plus denombrable, et donc par definition d’une tribu [2.1.i/ii] on a∪i∈IBi ∈ σ(B). CQFD

→ 2.22 Exercice. Soit (Ω, T ) un espace topologique a base denombrable et soit Bune base (arbitraire!) de T . Montrer qu’on a σ(B) = σ(T ).

→ 2.23 Lemme/Definition. Soit (Ω,F) un espace mesurable et A ⊂ Ω un sous-ensemble quelconque. Alors la collection FA ⊂ P(A) des traces des elements de Fsur A definie par

FA = F ∩A | F ∈ F

est une tribu sur A, appelee la tribu induite sur A par F ou la tribu trace de F surA.

Preuve de [2.23]. Pour montrer que c’est une tribu, on verifie les proprietes.

• ∅ = ∅ ∩A, donc ∅ ∈ FA.

• Si (Bn)n∈N est une suite d’elements de FA, alors par definition il existe une suite(Cn)n∈N d’elements de F telle que pour tout n ∈ N on a Bn = Cn ∩ A. Et alorson a ⋃

n∈NBn =

⋃n∈N

(Cn ∩A) =( ⋃n∈N

Cn

)∩A .

Mais par definition d’une tribu on a ∪n∈NCn ∈ F , donc ∪n∈NBn ∈ FA.

• Si B ∈ FA, alors il existe C ∈ F tel que B = C ∩A. Et alors on a

A \B = A \ (C ∩A) = (Ω \ C) ∩A

et donc A \B ∈ FA. CQFD

2.24 Remarque. Si A ⊂ Ω est mesurable (A ∈ F), alors la collection FA estincluse dans F parce qu’une tribu est stable par intersection (denombrable, enparticulier finie). Par contre, FA n’est pas une tribu sur Ω, simplement parce queΩ /∈ FA (sauf dans le cas trivial A = Ω).

2.25 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et A ⊂ Ω un sous-ensemble. Si Fest engendre par C ⊂ P(Ω), alors FA est engendre par CA = C ∩A | C ∈ C :

F = σ(C) =⇒ FA = σ(CA) .

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20 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. Par [2.10] on a l’implication CA ⊂ σ(C)A ⇒ σ(CA) ⊂ σ(C)A, ce qui estl’inclusion σ(CA) ⊂ FA. Pour avoir l’inclusion dans l’autre sens, on considere lacollection

G = G ⊂ Ω | G ∩A ∈ σ(CA) .

Il est evident qu’on a l’inclusion C ⊂ G. Si on sait montrer que G est une tribu, alorson doit avoir F = σ(C) ⊂ G. La definition de G nous dit alors qu’on a l’inclusionFA ⊂ σ(CA).

Pour montrer que G est une tribu, on note qu’on a les egalites

∅ ∩A = ∅ ,( ⋃n∈N

Gn)∩A =

⋃n∈N

(Gn ∩A) , (Ω \G) ∩A = A \ (G ∩A) .

Sachant que σ(CA) est une tribu sur A, les trois proprietes d’une tribu (pour G) endecoulent immediatement. CQFD

2.26 Corollaire. Soit (Ω, T ) un espace topologique et A ⊂ Ω un sous-ensemble.Alors la tribu de Borel sur A associee a la topologie induite TA est egale a la tribuinduite sur A par la tribu de Borel sur Ω associee a la topologie T :

B(A, TA) = B(Ω, T )A .

2.27 Definitions. • Soit X un ensemble. Alors une metrique sur X est uneapplication d : X ×X → R+ verifiant les deux conditions

(i) ∀x, y ∈ X : d(x, y) = 0⇒ x = y et(ii) ∀x, y, z ∈ X : d(x, z) ≤ d(x, y) + d(y, z) (l’inegalite triangulaire).

x

y

z

d(x, y)d(y, z)

d(x, z)

Un ensemble X muni d’une metrique d est appele un espace metrique.• Soit E un espace vectoriel sur K = R ou C. Alors une norme sur E est une

application ‖ · ‖ : E → R+ verifiant les trois conditions

(i) ∀e ∈ E : ‖e‖ = 0⇒ e = 0,(ii) ∀e ∈ E ∀λ ∈ K : ‖λ · e‖ = |λ| · ‖e‖ et

(iii) ∀e, f ∈ E : ‖e+ f‖ ≤ ‖e‖+ ‖f‖ (l’inegalite triangulaire).

e

f

e + f

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TRIBUS 21

Un espace vectoriel muni d’une norme est appele un espace vectoriel norme.• La norme euclidienne ‖ · ‖ sur Rd, d ∈ N∗ est definie par la formule

‖(x1, . . . , xd)‖ =

√√√√ d∑i=1

x2i .

→ 2.28 Lemme. La norme euclidienne sur Rd est bien une norme. Et si ‖ · ‖ estune norme sur un espace vectoriel E, alors l’application d : E × E → R+ definiepar

d(e, f) = ‖e− f‖est une metrique sur E. Cette metrique sur E est appele la metrique induite par lanorme.

Preuve de [2.28]. • Pour montrer que la norme euclidienne est bien une norme surRd, on verifie les proprietes. Les deux premieres sont presque immediat : pour lepremier point on a

‖(x1, . . . , xd)‖ = 0 ⇐⇒d∑i=1

x2i ≡ ‖(x1, . . . , xd)‖2 = 0

et une somme de carres de nombres reels n’est nulle que si ces nombres sont nuls.Et pour le deuxieme point on a

‖λ · (x1, . . . , xd)‖ = ‖(λx1, . . . , λxd)‖ =

√√√√ d∑i=1

(λxi)2 =

√√√√λ2 ·d∑i=1

x2i

= |λ| ·

√√√√ d∑i=1

x2i = |λ| · ‖(x1, . . . , xd)‖ .

Pour le troisieme point il faut montrer l’inegalite√√√√ d∑i=1

(xi + yi)2 ≤

√√√√ d∑i=1

x2i +

√√√√ d∑i=1

y2i .

On commence a se debarrasser des racines carres par les equivalences (on manipuledes reels positifs) √√√√ d∑

i=1

(xi + yi)2 ≤

√√√√ d∑i=1

x2i +

√√√√ d∑i=1

y2i

⇐⇒d∑i=1

(xi + yi)2 ≤

d∑i=1

x2i +

d∑i=1

y2i + 2 ·

√√√√ d∑i=1

x2i ·

√√√√ d∑i=1

y2i

⇐⇒d∑i=1

xiyi ≤

√√√√( d∑i=1

x2i

)·( d∑i=1

y2i

)

⇐⇒( d∑i=1

xiyi

)2

≤( d∑i=1

x2i

)·( d∑i=1

y2i

).

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22 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Pour montrer la derniere inegalite, on considere la fonction f : R→ R definie par

f(λ) =d∑i=1

(xi + λyi)2 =

( d∑i=1

y2i

)· λ2 + 2 ·

( d∑i=1

xiyi

)· λ+

( d∑i=1

x2i

).

La fonction f represente une parabole qui est toujours positive ; elle ne peut doncavoir au plus une racine (dans R). Il s’ensuit que son discriminat doit etre negativeou nulle. Mais le discriminant ∆ d’une parabole donnee par l’equation aλ2 +2bλ+cest donne par ∆ = b2 − ac. Donc notre cas on obtient donc l’inegalite

( d∑i=1

xiyi

)2

−( d∑i=1

x2i

)·( d∑i=1

y2i

)≡ ∆ ≤ 0 ,

ce qui est l’inegalite recherchee. Remarquons que cette inegalite est (un cas parti-culier de) l’inegalite de Cauchy-Schwarz, voir [32.4].

• Pour montrer que d(x, y) = ‖x− y‖ est une metrique, on verifie les proprietesrequises a l’aide des proprietes d’une norme :

d(x, y) = 0 ⇐⇒ ‖x− y‖ = 0 =⇒ x− y = 0 ⇐⇒ x = y

d(x, z) = ‖x− z‖ = ‖(x− y) + (y − z)‖ ≤ ‖x− y‖+ ‖y − z‖ = d(x, y) + d(y, z)

CQFD

2.29 Definition. Soit d une metrique sur un ensemble X. Alors la boule (ouverte)de centre x ∈ X et de rayon r, notee Br(x), est definie comme

Br(x) = y ∈ X | d(y, x) < r ⊂ X .

On montrera dans [2.30] que la collection Bb ⊂ P(X) des boules ouvertes dans X,

Bb = Br(x) | r > 0 , x ∈ X

verifie les conditions de [2.17] et donc que c’est une base pour une topologie, appeleela topologie metrique sur X. Si on applique cette definition a la metrique euclidienne(induite par la norme euclidienne) sur Rd on obtient la topologie euclidienne surRd.

→ 2.30 Lemme. La collection Bb de boules ouvertes dans un espace metrique verifieles conditions de [2.17]. Elle definit donc bien une topologie.

Preuve de [2.30]. La premiere condition dans [2.17] est facile a verifier, car pourchaque x ∈ X on a x ∈ B1(x), simplement parce que d(x, x) = 0 < 1. Pour ladeuxieme condition on prend Br(x), Bs(y) ∈ Bb et z ∈ Br(x) ∩ Bs(y). Si on posemaintenant

t = min(r − d(z, x) , s− d(z, y)

),

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TRIBUS 23

alors on pretend avoir l’inclusion Bt(z) ⊂ Br(x) ∩Bs(y).

Pour le montrer on fait le calcul pour ω ∈ Bt(z) :

d(ω, x) ≤ d(ω, z) + d(z, x)ω∈Bt(z)< t+ d(z, x)

def de t≤ r

d(ω, y) ≤ d(ω, z) + d(z, y)ω∈Bt(z)< t+ d(z, y)

def de t≤ s

et donc on a ω ∈ Br(x) ∩Bs(y) comme souhaite. CQFD

→ 2.31 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique et soit O ⊂ X un sous-ensemble.Alors O est un ouvert pour la topologie metrique si et seulement si

∀x ∈ O ∃ε > 0 : Bε(x) ⊂ O .

Preuve de [2.31]. Si la condition est verifiee, alors pour tout x ∈ O il existe ε(x) > 0tel que Bε(x)(x) ⊂ O. On a donc les egalites/inclusions

O =⋃x∈Ox ⊂

⋃x∈O

Bε(x)(x) ⊂ O

et donc on a egalite partout. En particulier O est une reunion de boules ouvertes,donc par [2.17] O est un ouvert pour la topologie metrique.

Dans l’autre sens, si O est un ouvert pour la topologie metrique, il existe (par[2.17]) une famille de boules ouvertes Bεi(xi), i ∈ I telle qu’on a

O =⋃i∈IBεi(xi) .

Pour x ∈ O il existe donc i ∈ I tel que x ∈ Bεi(xi). Si on prend ε = εi − d(x, xi),alors pour y ∈ Bε(x) on a

d(y, xi) ≤ d(y, x) + d(x, xi) < ε+ d(x, xi) = εi .

xi x

ε

εi

On a donc Bε(x) ⊂ Bεi(xi) ⊂ O. CQFD

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24 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

2.32 Nota Bene. On pourrait croire que [2.31] est une simple transcription de ladescription d’un ouvert donnee dans [2.17]. Mais la description donnee dans [2.17]dit simplement que O est une reunion d’elements de B, en l’occurence de boulesouvertes. Et donc chaque element de O doit se trouver dans une boule ouvertecontenue dans O. Par contre, la condition donnee dans [2.31] dit que pour chaqueelement x de O il existe une boule ouverte centree en x contenue dans O.

2.33 Lemme. La collection Bp des paves ouverts dans Rd,

Bp = d∏i=1

]ai, bi [ | ai, bi ∈ R , ai < bi

,

est (aussi) une base pour la topologie euclidienne.

Preuve. La strategie de la preuve est de montrer d’abord que les paves ouverts∏di=1 ]ai, bi [ sont des ouverts pour la topologie euclidienne et ensuite que chaque

boule est la reunion de paves ouverts. Alors un ouvert etant une reunion de bouleset chaque boule etant une reunion de paves ouverts, on aura montre qu’un ouvertest une reunion de paves ouverts.

On commence donc avec la preuve que chaque pave P =∏di=1 ]ai, bi [ est un

ouvert. Soit x ∈ P arbitraire. Alors il existe ε(x) > 0 tel que Bε(x)(x) ⊂ P .

x′

ε(x′)xε(x)

a1 x1 b1

a2

x2

b2

Il suffit de prendre ε(x) = min(b1 − x1, x1 − a1, . . . , bd − xd, xd − ad) quand x =(x1, . . . , xd) ∈ Rd. On a alors les inclusions

P =⋃x∈Px ⊂

⋃x∈P

Bε(x)(x) ⊂ P .

On a donc egalite partout, ce qui dit que P est la reunion de boules ouvertes,c’est-a-dire que P est un ouvert pour la topologie euclidienne.

Soit maintenant Bε(x) une boule et soit y ∈ Bε(x) arbitraire. On pose δ =

(ε− ‖y − x‖)/√d et Py =

∏di=1 ]yi − δ, yi + δ [ .

x

ε

y

ε− ‖y − x‖ = δ ·√d

δ ·√d

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TRIBUS 25

Le facteur√d est rajoute car le “diagonale” d’une “cube” en dimension d est

√d

fois plus long qu’un de ces cotes. A cause de ce facteur 1/√d dans δ, la plus grande

distance entre un point de Py et y est δ ·√d = ε−‖y− x‖. L’inegalite triangulaire

implique alors que Py est contenu dans Bε(x). On a donc les inclusions

Bε(x) =⋃

y∈Bε(x)

y ⊂⋃

y∈Bε(x)

Py ⊂ Bε(x) .

On a donc egalite partout, ce qui dit que Bε(x) est la reunion de paves ouverts∏di=1 ]ai, bi [ . CQFD

2.34 Remarque pour les curieux. Le fait que les paves ouverts forment unebase pour la topologie euclidienne peut etre considere comme une variante du fait

que la norme euclidienne ‖x‖ =(∑d

i=1 x2i

)1/2 sur Rd est equivalente a la norme

‖x‖∞ = max( |x1|, . . . , |xd| ).

2.35 Proposition. La topologie euclidienne sur Rd est a base denombrable, unebase denombrable Br etant donnee par

Br = d∏i=1

]ai, bi [ | ai, bi ∈ Q , ai < bi

.

Preuve. On sait deja que les elements de Br sont des ouverts ; il suffit donc, comme

dans la preuve de [2.33], de montrer que chaque pave ouvert∏di=1 ]ai, bi [ avec

ai, bi ∈ R est la reunion d’elements de Br. Alors chaque ouvert etant la reunionde paves avec bornes dans R et chaque pave avec bornes dans R etant la reunionde paves avec bornes dans Q, on aura montre que chaque ouvert est la reunion depaves avec bornes dans Q.

Soit donc P =∏di=1 ]ai, bi [ un pave ouvert avec ai, bi ∈ R et soit x ∈ P

arbitraire. Alors on a les inegalites strictes ai < xi < bi. Mais entre deux reels ily a toujours un rationnel, ce qui veut dire qu’il existe qi, ri ∈ Q tels que ai < qi <

xi < ri < bi. Alors on pose Qx =∏di=1 ]qi, ri [ , et donc, par le choix des qi, ri ∈ Q

on a Qx ⊂ P . On a alors les inclusions

P =⋃x∈Px ⊂

⋃x∈P

Qx ⊂ P .

On a donc egalite partout, ce qui dit que le pave avec bornes dans R est une reunionde paves avec bornes dans Q. CQFD

2.36 Proposition. La tribu de Borel B(Rd) sur Rd muni de la topologie euclidi-enne est engendree par l’une des collections suivantes au choix :

(i) Bp = ∏d

i=1 ]ai, bi [ | ai, bi ∈ R , ai < bi

(les paves ouverts) ;

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26 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

(ii) B2 = ∏d

i=1 ]ai, bi ] | ai, bi ∈ Q , ai < bi

(les paves semi-ouverts agauche aux extremites rationnels) ;

(iii) B3 = ∏d

i=1 ]ai, bi ] | ai, bi ∈ R , ai < bi

(les paves semi-ouverts agauche) ;

(iv) B4 = ∏d

i=1 [ai, bi ] | ai, bi ∈ R , ai < bi

(les paves fermes) ;

(v) B5 = ∏d

i=1 ] −∞, bi [ | bi ∈ R

(les hyperquadrants ouverts) ;

(vi) B6 = ∏d

i=1 ] −∞, bi ] | bi ∈ R

(les hyperquadrants fermes) ;

(vii) B7 = (x1, . . . , xd) ∈ Rd | xj < b | b ∈ R , 1 ≤ j ≤ d

(les demi-

espaces ouverts) ;(viii) B8 =

(x1, . . . , xd) ∈ Rd | xj ≤ b | b ∈ R , 1 ≤ j ≤ d

(les demi-

espaces fermes).

Preuve. Selon [2.35] la topologie euclidienne est a base denombrable, une base de-nombrable etant donnee par Br. Selon [2.21] on a donc B(Rd) = σ(T ) = σ(Br), ouT designe la topologie euclidienne sur Rd. Mais on a les inclusions Br ⊂ Bp ⊂ Tet donc on a les inclusions

B(Rd)[2.21]= σ(Br) ⊂ σ(Bp) ⊂ σ(T ) ≡ B(Rd) .

On a donc egalite partout, ce qui montre que la tribu de Borel sur Rd est engendreepar Bp.

Pour montrer que les autres collections Bi, i = 2, . . . , 8 engendrent aussi la tribude Borel, il suffit donc de montrer qu’elles engendrent la meme tribu que Bp ou Br.Pour i > 2 il suffit donc de montrer les deux inclusions Bi ⊂ σ(Bp) et Bp ⊂ σ(Bi) ;pour i = 2 il suffit de montrer les inclusions B2 ⊂ σ(Br) et Br ⊂ σ(B2). On lefera pour le cas i = 6 et on laisse les six autres cas aux bons soins du lecteur.

Pour l’inclusion B6 ⊂ σ(Bp), prenons∏di=1 ] −∞, bi ] ∈ B6, qu’on peut ecrire

comme

d∏i=1

] −∞, bi ] =⋃n∈N

d∏i=1

]bi − n, bi ] =⋃

n∈N∗

⋂k∈N∗

d∏i=1

]bi − n, bi + 1k [ .

Vu que les∏di=1 ]bi−n, bi+ 1

k [ appartiennent a Bp et qu’une tribu est stable pour

reunions et intersections denombrables,∏di=1 ] −∞, bi ] appartient a σ(Bp).

Pour l’autre inclusion, prenons∏di=1 ]ai, bi [ ∈ Bp, qu’on peut ecrire comme

d∏i=1

]ai, bi [ =d∏i=1

(] −∞, bi [ \ ] −∞, ai ]

)=( d∏i=1

] −∞, bi [)\( d⋃j=1

j−1∏i=1

] −∞, bi [ × ] −∞, aj ] ×d∏

i=j+1

] −∞, bi [).

a2

b2

a1 b1

: ]−∞, a1]× ]−∞, b2[

: ]−∞, b1[× ]−∞, a2]

: ]a1, b1[ × ]a2, b2[

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TRIBUS 27

Mais on a aussi les egalites

d∏i=1

] −∞, bi [ =⋃

n∈N∗

d∏i=1

] −∞, bi − 1n ]

et

j−1∏i=1

] −∞, bi [ × ] −∞, aj ] ×d∏

i=j+1

] −∞, bi [

=⋃

n∈N∗] −∞, bi − 1

n ] × ] −∞, aj ] ×d∏

i=j+1

] −∞, bi − 1n ] .

La tribu engendree par B6 etant stable par reunion denombrable, on en deduitque les membres de gauche dans ces deux formules appartiennent a cette tribu. Etdonc, parce qu’une tribu est stable par difference et par reunion finie, l’ensemble∏di=1 ]ai, bi [ appartient a la tribu engendree par B6. CQFD

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28

3. La droite achevee

3.1 Definition. La droite achevee R est la droite reelle R a laquelle on ajoutedeux elements ∞ et $ : R = R ∪ $,∞. On prolonge l’ordre sur R en un ordresur R en posant

∀x ∈ R : $ < x <∞ .

Si A ⊂ R n’est pas vide, on dit que b ∈ R est une borne superieure pour A si bverifie les conditions

∀a ∈ A : a ≤ b et ∀x ∈ R :(x < b⇒ ∃a ∈ A : x < a

).

En toutes lettres : b est un majorant de A et tout element plus petit que b n’est pasun majorant ; ou encore : b est le plus petit majorant de A. De la meme maniereon definit une borne inferieure b par les conditions

∀a ∈ A : b ≤ a et ∀x ∈ R :(b < x⇒ ∃a ∈ A : a < x

),

c’est-a-dire : un minorant tel que tout element plus grand n’est pas un minorant ;ou encore : le plus grand minorant. L’existence et unicite d’une borne superieure/inferieure sont assures par [3.2].

→ 3.2 Lemme/Definition. Tout ensemble non vide A ⊂ R possede une uniqueborne inferieure et une unique borne superieure dans R ; on les note comme inf Aet supA.

Preuve de [3.2]. L’unicite du sup est assuree par la definition : si x < supA, alorspar la deuxieme partie de la definition de supA ce x ne peut pas satisfaire lapremiere partie de la definition du sup, et si x > supA, alors ce x ne peut passatisfaire la deuxieme partie de la definition du sup a cause de la premiere partiede la definition de supA.

S’il existe M ∈ R tel que ∀a ∈ A : a ≤ M , alors l’existence de supA estassuree par l’existence du sup dans R (sauf le cas exceptionnel A = $ ou on aevidemment supA = $). Si au contraire pour tout M ∈ R il existe a ∈ A tel quea > M , alors supA =∞, car si on a x <∞, alors x ∈ R (sauf le cas exceptionnelx = $ qu’il faut traiter a part) et on prend M = x pour trouver a ∈ A.

Pour la borne inferieure l’argument est similaire. CQFD

→ 3.3 Lemme/Definition. La collection B ⊂ P(R) definie comme

B = [$, b [ , ]a, b [ , ]a,∞ ] | a, b ∈ R

verifie les conditions de [2.17]. La topologie pour laquelle B est une base sera latopologie qu’on considere sur R.

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LA DROITE ACHEVEE 29

Preuve de [3.3]. Pour la premiere condition on note l’egalite

R = [$, 1[ ∪ ]−1,∞ ] .

Pour la deuxieme condition on commence avec la remarque qu’il suffit de montrerque l’intersection de deux elements de B appartient a B (ou est vide), car dansce cas on peut prendre D = B ∩ C pour tout ω ∈ B ∩ C. Ensuite on remarquequ’il existe trois type d’elements dans B, donc qu’il y a neuf cas a considerer pourl’intersection de deux elements de B. On en considere deux, en laissant les septautres aux bons soins du lecteur.

]a, b [ ∩ ]c, d [ =

∅ b ≤ c ou d ≤ a] max(a, c),min(b, d) [ max(a, c) < min(b, d)

et

[$, c [ ∩ ]a, b [ =

∅ c ≤ a]a,min(b, c) [ a < min(b, c) .

CQFD

→ 3.4 Lemme. La topologie induite sur R par celle de R est la topologie (euclidienne)de R et tout ouvert de R est un ouvert de R.

Preuve de [3.4]. CQFD

3.5 Nota Bene. Une autre facon de definir la topologie sur R est de considererla bijection ψ : R→ [−π/2, π/2 ] definie par

ψ(x) =

arctan(x) x ∈ R

π/2 x =∞−π/2 x = $ ,

et de dire qu’un ensemble O ⊂ R est ouvert si (et seulement si) ψ(O) est un ouvertde [−π/2, π/2 ]. Une fois qu’on a defini la topologie sur R ainsi, l’application ψdevient (par definition) un homeomorphisme. Cette facon de definir la topologiede R permet de voir directement que R est un espace metrique ou une metriqued : R×R→ R+ est donnee par

d(x, y) = |ψ(x)− ψ(y)| ,

c’est-a-dire qu’on transporte la metrique standard sur [−π/2, π/2 ] vers R via labijection (l’homeomorphisme) ψ.

Cette metrique permet d’unifier les differentes definitions de limites dans le cadrede fonctions f : R→ R. Citons trois cas, ou a et ` sont des reels :

limx→a

f(x) = `def⇐⇒ ∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀0 < |x− a| < δ : |f(x)− `| < ε

limx→a

f(x) =∞ def⇐⇒ ∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀0 < |x− a| < δ : f(x) > ε

limx→∞

f(x) = `def⇐⇒ ∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀x > δ : |f(x)− `| < ε .

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30 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Dans ces definitions on a volontairement garde les memes symboles, bien qu’il soitd’usage de remplacer dans la deuxieme definition le symbole ε par M et dans latroisieme definition le symbole δ par M .

Si on sait que la condition d(x,∞) < ε se traduit comme x > cotan(ε), il n’estpas difficile de voir que ces trois definitions citees ci-dessus sont equivalentes auxdefinitions

limx→a

f(x) = ` ⇐⇒ ∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀0 < d(x, a) < δ : d(f(x), `

)< ε

limx→a

f(x) =∞ ⇐⇒ ∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀0 < d(x, a) < δ : d(f(x),∞

)< ε

limx→∞

f(x) = ` ⇐⇒ ∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀0 < d(x,∞) < δ : d(f(x), `

)< ε .

Et on voit que l’utilisation de la metrique d sur R permet d’ecrire ces trois defini-tions de la meme facon.

3.6 Remarque pour les curieux. Ce n’est pas une surprise que l’utilisation dela metrique d sur R permette d’unifier les differentes notions de limite. La notionde limite etant une notion topologique, elle ne depend meme pas du fait que R estun espace metrique.

→ 3.7 Lemme. Toute suite monotone (croissante ou decroissante) (an)n∈N d’ele-ments dans R admet une limite dans R.

Preuve de [3.7]. Si la suite (an)n∈N est croissante on pose L = supan | n ∈ N(dont l’existence est assuree par [3.2]) et on montre qu’on a limn→∞ an = L dansR. Si L = $, alors ∀n ∈ N on doit avoir an = $ et le resultat est montre. SiL ∈ R, on prend ε > 0 et on considere x = L − ε < L. Donc par definition dusup il existe aN tel que L − ε < aN ≤ L. Par la croissance de la suite on a donc∀n ≥ N : L− ε < aN ≤ an ≤ L. Ce qui veut dire qu’on vient de montrer

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n ≥ N : |an − L| < ε .

Ce qui veut dire qu’on a effectivement limn→∞

an = L.

Si L =∞, alors pour tout M ∈ R on a M < L et donc par definition du sup ilexiste aN tel que aN > M . Par la croissance de la suite on a donc ∀n ≥ N : an > M .Ce qui veut dire qu’on a

∀M ∈ R ∃N ∈ N ∀n ≥ N : an > M ,

C’est-a-dire limn→∞

an =∞. Le cas d’une suite decroissante est similaire. CQFD

→ 3.8 Lemme. La topologie sur R est a base denombrable, une base denombrableetant donnee par

Br = [$, b [ , ]a, b [ , ]a,∞ ] | a, b ∈ Q .

Preuve de [3.8]. CQFD

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LA DROITE ACHEVEE 31

3.9 Lemme. B ⊂ R est un borelien de R si et seulement si B ∩R est un boreliende R.

Preuve. Si on note T (R) et T (R) les topologies de R et R respectivement, on ales egalites

B(R) ≡ σ(T (R))[3.4]= σ(T (R)R)

[2.25]= σ(T (R))R ≡ B(R)R .

Ceci montre que si B est un borelien de R, alors B ∩R est un borelien de R. Maisaussi que si B′ est un borelien de R, alors il existe un borelien B′′ de R tel queB′ = B′′ ∩R. Mais on a les egalites

∞ =⋂n∈N

]n,∞ ] et $ =⋂n∈N

[$,−n [ ,

ce qui montre que ∞ et $ sont des boreliens de R. Si on part maintenant d’unensemble arbitraire B ⊂ R tel que B′ = B ∩R est un borelien de R, on obtient unborelien B′′ de R tel que B ∩R = B′′ ∩R. Mais la difference entre B et B′′ nepeut contenir que les elements $ et ∞. Vu que les singletons $ et ∞ sont desboreliens de R, les proprietes d’une tribu montrent que B est aussi un borelien deR. CQFD

3.10 Corollaire. Tout borelien de R est un borelien de R et la tribu sur R induitepar la tribu de Borel de R est la tribu de Borel de R.

3.11 Proposition. La tribu de Borel B(R) sur R muni de sa topologie naturelleest engendree par l’une des collections suivantes au choix :

(i) B1 =

[$, b [ | b ∈ R

(les demi-droites ouvertes) ;

(ii) B2 =

[$, b ] | b ∈ R

(les demi-droites fermees).

Preuve. • Notons B = [$, b [ , ]a, b [ , ]a,∞ ] | a, b ∈ R la base canonique de latopologie sur R et Br = [$, b [ , ]a, b [ , ]a,∞ ] | a, b ∈ Q une base denombrable.Par [2.21] B est engendre par Br et donc les inclusions Br ⊂ B ⊂ T nous donnentles inclusions

B = σ(Br) ⊂ σ(B) ⊂ σ(T ) ≡ B ,

et donc B = σ(B). De l’inclusion B1 ⊂ B on deduit l’inclusion σ(B1) ⊂ σ(B) ≡ B.Pour obtenir l’inclusion dans l’autre sens, on note les egalites

]a, b [ =⋃

n∈N∗[$, b [ \ [$, a+ 1

n [ et ]a,∞ ] =⋃

n∈N∗R \ [$, a+ 1

n [ ,

ce qui montre l’inclusion B ⊂ σ(B1). Par [2.10] on a donc aussi σ(B) ⊂ σ(B1).• Vu qu’on a les egalites

[$, b ] =⋂

n∈N∗[$, b+ 1

n [ et [$, b [ =⋃

n∈N∗[$, b− 1

n ] ,

on a les inclusions B1 ⊂ σ(B2) et B2 ⊂ σ(B1). Par une double application de[2.10] on a donc l’egalite σ(B1) = σ(B2). CQFD

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32 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

3.12 Definition. On definit les ensembles R2Add, R2

Soust et R2Mult comme

R2Add = R×R \ (∞, $), ($,∞)

R2Soust = R×R \ (∞,∞), ($,$)

R2Mult = R×R \ (0,∞), (∞, 0), (0, $), ($, 0) .

Il n’est pas difficile de voir que les operations d’addition, de soustraction et de mul-tiplication se prolongent par continuite sur respectivement R2

Add, R2Soust et R2

Mult.Une autre facon de dire cela est de dire que les trois operations sont compati-bles avec des limites quand on se restreint aux ensembles correspondants. Avecl’interpretation usuelle que $ = −∞ (qu’on fait des maintenant), on voit que ladefinition des ensembles R2

Add, R2Soust et R2

Mult est faite d’une telle facon qu’onevite l’addition de ∞ et −∞, qu’on evite la soustraction de ∞ et ∞ (et de −∞et −∞) et qu’on evite la multiplication de 0 avec ±∞. Mais ces cas sont exacte-ment les cas ou on ne peut pas donner une definition coherente avec des limites.Par exemple, si limn→∞ xn = 0 et si limn→∞ yn = ∞, on ne peut rien dire delimn→∞(xn · yn). Par contre, si limn→∞ xn = −2 et si limn→∞ yn =∞, on est surqu’on a limn→∞(xn · yn) = −∞.

3.13 Nota Bene. Dans ce texte une serie∑n∈N an sera toujours interpretee

comme la limite des sommes partielles :∑n∈N

andef= lim

n→∞

n∑i=0

ai .

Aucun resultat concernant les series (changement d’ordre de sommation, echangedans des series doubles, . . . ) n’est suppose connu. Un certain nombre de cesresultats sera obtenu comme consequence de la theorie de l’integration dans §16.

3.14 Corollaire. Toute serie∑∞n=0 an d’elements positifs dans R (an ∈ R+)

converge dans R dans le sens que la suite des sommes partielles sN =∑Nn=0 an

admet une limite (dans R).

3.15 Definition. Sur R on definit une “nouvelle” operation, notee : R×R→ Ret qu’on appelle le produit prolonge, par

∀x, y ∈ R : x y =

xy ≡ x · y x 6= 0 et y 6= 0

0 x = 0 ou y = 0 .

Sur R2Mult l’operation coıncide avec le produit usuel ; c’est donc un prolongement

de la multiplication usuelle. On le note par un symbole different et on le donne unautre nom parce que cette operation n’a pas toutes les proprietes du produit usuel ;par exemple, n’est pas continue. On l’utilisera surtout pour resumer plusieursformules en une, ce qui simplifiera la lecture et la comprehension.

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LA DROITE ACHEVEE 33

3.16 Remarque pour les comparateurs. Certains auteurs presentent la defini-tion du produit prolonge comme une convention et le notent comme le produitusuel. Ce langage est trompeur car cela suggere qu’on a un choix et il n’en estrien. L’introduction du produit prolonge (sa definition) se fait pour des raisons decommodite. Au lieu d’avoir a ecrire deux lignes pour un resultat en separant lecas zero/infini des autres cas, on peut l’ecrire en une ligne en utilisant le produitprolonge, ce qui rend du coup le resultat plus lisible. Ce sont donc les resultats qu’ondemontre qui motivent la definition du produit prolonge. Ce qui est surprenant estque (quasiment) tous les resultats se resument avec le produit prolonge tel qu’il estdonne.

→ 3.17 Lemme. Les regles usuelles du calcul (commutativite, associativite, distribu-tivite) :

(i) a+ (b+ c) = (a+ b) + c (ii) a (b c) = (a b) c(iii) a+ b = b+ a (iv) a b = b a(v) a (b+ c) = (a b) + (a c) (vi) a− b = a+ (−1 · b)

sont verifiees par les operations d’addition, soustraction et multiplication (pro-longee) sur R, a condition que les deux membres d’une egalite soient definies.En particulier, si a, b, c appartiennent a R+ (sont positifs), alors les regles (i) a (v)s’appliquent.

Preuve de [3.17]. Si a, b, c appartiennent a R, ce sont les regles usuelles connues.Les cas ou un ou plusieurs parmi a, b, c appartiennent a ±∞ doivent etre verifiesun a un. Par exemple si dans (i) on a a = ∞ et b, c ∈ R, alors b + c ∈ R et donca+ (b+ c) =∞ est defini et a+ b =∞, donc (a+ b) + c =∞ est aussi defini et ona bien egalite. Tous les autres cas sont laisses aux bons soins du lecteur. CQFD

3.18 Nota Bene. Il y a une difference importante entre l’associativite et la com-mutativite d’une part et la distributivite d’autre part. Pour l’associativite et lacommutativite, si l’un des deux membres d’une egalite est defini, alors l’autre l’estaussi. Par contre, pour la distributivite il est bien possible qu’un des deux membresest defini tandis que l’autre ne l’est pas. Par exemple : ∞ (3 + (−3)) est defini,mais ∞ · 3 +∞ · (−3) = ∞−∞ ne l’est pas ; et 0 (∞ + (−∞)) n’est pas definitandis que 0 ∞ + 0 (−∞) = 0 est defini. Il faut donc toujours faire attentionquand on applique la distributivite dans un calcul ayant lieu dans R. Par contre,dans R+ “toutes” les regles s’appliquent.

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34

4. Mesures

4.1 Definition. Soit (Ω,F) un espace mesurable. Une fonction µ : F → R+ estappelee une mesure (sur l’espace mesurable (Ω,F) ou sur la tribu F) si elle verifieles conditions :

(i) µ(∅) = 0 ;(ii) µ est σ-additive : si, pour tout n ∈ N on a An ∈ F et si les An sont deux a

deux disjoints (n 6= m⇒ An ∩Am = ∅), alors on a

µ(⋃n∈N

An) =∞∑n=0

µ(An)def= lim

N→∞

N∑n=0

µ(An) .

Un triplet (Ω,F , µ) ou Ω est un ensemble, F une tribu sur Ω et µ une mesure surF est appele un espace mesure.

4.2 Remarque pour les curieux. Dans la definition de la σ-additivite d’unemesure on utilise une serie, ce qu’on interprete comme la limite des sommes par-tielles [3.13]. Mais la reunion ∪n∈NAn ne depend pas de l’ordre dans lequel on amis les ensembles An. Pour que µ soit une mesure, il faut donc que cette limitene depende pas de l’ordre choisi pour enumerer les ensembles An. Ceci constituedonc une condition cachee pour qu’une application µ : F → R+ soit une mesure.L’existence d’une mesure sur une tribu n’est donc pas evidente a priori. La plupartdes lecteurs sait probablement que pour des series a termes positives la valeur dela serie ne depend pas de l’ordre. Et donc que cette condition cachee n’en est pasune. Mais comme on a dit dans [3.13] on ne presuppose pas ce resultat. Malgrece handicap, on montrera, dans [4.4], qu’il existe toute une famille de mesures surune tribu quelconque : les mesures de comptage. Ces mesures nous permettrontde montrer dans §16 des resultats “classiques” sur les series. Ces resultats serontutilises a leur tour dans §17 et §18 pour montrer l’existence d’autres mesures, enparticulier l’existence de la mesure de Lebesgue sur Rd.

4.3 Exemple (mesure de comptage, mesure de Dirac). Soit Ω un ensembleet T ⊂ Ω un sous-ensemble. La mesure de comptage sur T , notee CT est la mesuredefinie sur la tribu totale P(Ω) de toutes les parties par la formule

CT (A) = #(A ∩ T ) = le nombre d’elements de A ∩ T , ∞ si ce n’est pas fini

Dans le cas particulier ou T contient un seul element : T = ωo, la mesure decomptage Cωo porte un nom special : la mesure de Dirac au point ωo ∈ Ω etest notee δωo . Malgre les apparences d’evidence, il faut bien montrer que cetteapplication CT : P(Ω)→ R+ verifie les conditions d’une mesure.

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MESURES 35

4.4 Proposition. Soit Ω un ensemble, T ⊂ Ω un sous-ensemble et soit CT :P(Ω)→ R+ l’application definie par A 7→ #(A∩ T ). Alors CT est une mesure surP(Ω).

Preuve. L’ensemble vide contenant zero elements, il est evident que CT (∅) = 0.Soit donc (An)n∈N une suite d’ensembles mesurables deux a deux disjoints. Alorsil faut montrer l’egalite

CT

( ⋃n∈N

An

)=∞∑n=0

CT (An) .

Pour simplifier l’ecriture, on introduit les ensembles (deux a deux disjoints) Bn =T ∩An, ce qui signifie qu’il faut montrer l’egalite

#( ⋃n∈N

Bn

)=∞∑n=0

#Bn .

Supposons d’abord qu’il y a un n ∈ N tel que #Bn = ∞, alors ∪n∈NBn contientaussi une infinite d’elements : #(∪n∈NBn) =∞. D’autre part, la serie

∑∞n=0 #Bn

contient un terme ∞ et donc vaut elle aussi ∞. D’ou l’egalite voulue.Supposons maintenant qu’il y a une infinite de n tels que #Bn > 0. Plus precise-

ment, supposons

(4.5) ∀N ∈ N ∃n > N : #Bn > 0 .

On peut alors construire par recurrence une suite croissante (nk)k∈N telle que#Bnk > 0 pour tout k ∈ N. On commence par prendre N = 0 dans (4.5), cequi nous donne un n0 > 0 tel que #Bn0 > 0. Apres on suppose qu’on a dejaconstruit n0 < n1 < · · · < nK et on prend N = nK dans (4.5), ce qui nous donneun nK+1 > nK tel que #BnK+1

> 0. Ainsi on a construit la suite (nk)k∈N.Le fait que #Bnk > 0 implique l’existence d’un ωk ∈ Bnk . Les Bn etant deux a

deux disjoints, les ωk sont tous distincts. Vu les inclusions

ωk | k ∈ N ⊂⋃k∈N

Bnk ⊂⋃n∈N

Bn

on en deduit que

∞ = #ωk | k ∈ N ≤ #(⋃n∈N

Bn) .

On conclut qu’on doit avoir l’egalite ∞ = #( ∪n∈N

Bn). D’un autre cote on a

nK∑n=0

#Bn ≥K∑k=0

#Bnk ≥K∑k=0

1 = K + 1 .

La suite des sommes partielles∑Nn=0 #Bn n’est donc pas bornee ; vu que c’est une

suite croissante, on en deduit que∑∞n=0 #Bn =∞. On a donc bien montre l’egalite

voulue.

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36 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Il nous reste le cas ou il n’y a qu’un nombre fini de n tel que #Bn > 0, ce quisignifie qu’il existe K ∈ N tel que #Bn = 0 pour tout n > K. On en deduit

que Bn = ∅ pour tout n > K et donc que∑∞n=0 #Bn =

∑Kn=0 #Bn et que

∪n∈NBn = ∪Kn=0Bn. Vu qu’on a deja traite le cas ou un des #Bn = ∞, onpeut supposer que chaque Bn est un ensemble fini et que la reunion ∪Kn=0Bn estdisjointe. Il s’ensuit qu’on a l’egalite

#(⋃n∈N

Bn) = #(K⋃n=0

Bn) =K∑n=0

#Bn =K∑n=0

#Bn =∞∑n=0

#Bn . CQFD

4.6 Remarque pour les curieux concernant la preuve de [4.4]. Les puristespeuvent dire que cette preuve n’est pas complete, car la derniere affirmation que lenombre d’elements dans une reunion (finie) disjointe d’ensembles finis est egale a lasomme des nombres d’elements dans les differents ensembles necessite une preuve.Mais pour une telle preuve il faut descendre dans les fondements des mathema-tiques. Et la, on voit qu’il y a deux facons de proceder. On peut definir l’ensembleN des entiers comme l’ensemble des nombres cardinaux associes aux ensemblesfinis (et alors il faut definir ce que c’est un ensemble fini) et on peut ensuite definirl’addition de deux entiers comme le cardinal de la reunion (disjointe). Mais alorsil faut demontrer que l’addition ainsi definie verifie toutes les proprietes usuelles(commutativite, associativite etc.). Et cela n’est pas une mince affaire. Ou bien,on definit N par d’autres moyens, mais alors il faut montrer que l’addition definiedans cet ensemble abstrait N correspond bien avec le cardinal d’une reuniondisjointe. Et ceci apres avoir etabli une bijection entre N et l’ensemble des nombrescardinaux d’ensembles finis. Et de nouveau c’est du travail.

→ 4.7 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et E ∈ F un ensemble mesurable.

(i) L’application µE : F → R+ definie par

∀A ∈ F : µE(A) = µ(A ∩ E)

est une mesure sur F .(ii) La restriction de µ a la tribu induite FE est une mesure sur (E,FE).

(iii) Si G est une tribu sur Ω contenue dans F : G ⊂ F , alors la restriction deµ a G est une mesure sur (Ω,G).

Preuve de [4.7]. Le fait que µE verifie les conditions d’une mesure se deduit desegalites

∅ = ∅ ∩ E et( ⋃n∈N

Fn)∩ E =

⋃n∈N

(Fn ∩ E) .

Par [2.24] on a l’inclusion FE ⊂ F et donc on peut effectivement restreindre µa FE . Mais le fait que FE et G sont incluses dans F montre qu’elles verifient lesconditions d’une mesure, car leurs elements appartiennent a F et sur F la fonctionµ verifie ces conditions. CQFD

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MESURES 37

4.8 Nota Bene. Dans [4.7] on a considere une tribu F et deux sous-ensemblesFE ⊂ F et G ⊂ F . Dans les deux cas il s’agit d’une tribu, mais dans des sensdifferents. FE n’est pas une tribu sur Ω (sauf dans le cas trivial E = Ω), simplementparce que Ω /∈ FE . Par contre, G est, par hypothese, une tribu sur Ω.

4.9 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit T ⊂ Ω un sous-ensemblearbitraire. Alors la mesure de comptage CT est, par restriction, une mesure sur(Ω,F).

4.10 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Alors µ a les proprietes de

(i) additivite : si A1, . . . , An ∈ F sont deux a deux disjoints, alors

µ(n⋃i=1

Ai ) =n∑i=1

µ(Ai) ,

(ii) croissance : si A,B ∈ F avec A ⊂ B, alors µ(A) ≤ µ(B),(iii) continuite pour des suites croissantes : si (An)n∈N est une suite croissante

d’ensembles mesurables ( ∀n ∈ N : An ⊂ An+1 ), alors

µ(⋃n∈N

An ) = limn→∞

µ(An) .

(iv) sous-additivite : si A1, . . . , An sont mesurables (pas forcement deux a deuxdisjoints), alors

µ(n⋃i=1

Ai ) ≤n∑i=1

µ(Ai) ,

(v) sous-σ-additivite : si, pour tout n ∈ N on a An ∈ F (pas forcement deux adeux disjoints), alors on a

µ(⋃n∈N

An) ≤∞∑n=0

µ(An) .

4.11 Remarque. Si on interprete ∪n∈NAn comme la limite limn→∞An (ce quiest une interpretation dangereuse, car la notion de limite d’une suite d’ensemblesn’existe pas en general), alors la propriete (ii) prend la forme suggestive

µ( limn→∞

An) = limn→∞

µ(An) ,

ce qui explique le nom de continuite.

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38 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. • Pour la propriete (i) on pose Ak = ∅ pour tout k > n. Alors les elementsde la suite (An)n∈N∗ sont deux a deux disjoints et donc la σ-additivite d’une mesurenous donne

µ(n⋃i=1

Ai ) = µ(⋃

i∈N∗Ai ) =

∞∑i=1

µ(Ai) =n∑i=1

µ(Ai) ,

ou la derniere egalite est une consequence du fait que µ(∅) = 0.

• Pour la propriete (ii) on pose C = B \ A, alors B = A ∪ C est une reuniondisjointe, donc par (i) on a µ(B) = µ(A) + µ(C) ≥ µ(A), car µ(C) ≥ 0.

• Pour la propriete (iii) on pose B0 = A0 et pour n > 0 : Bn = An \ An−1.Le fait que la suite (An)n∈N est croissante implique que les elements de la suite(Bn)n∈N sont deux a deux disjoints. Mais on a aussi l’egalite An = ∪ni=0Bi (qu’ondemontre facilement par recurrence) et donc ∪n∈NAn = ∪i∈NBi. La σ-additivitede la mesure µ nous donne l’egalite

µ(⋃n∈N

An ) = µ(⋃i∈N

Bi )σ-additivite

=∞∑i=0

µ(Bi)

= limn→∞

n∑i=0

µ(Bi)additivite

= limn→∞

µ(n⋃i=0

Bi ) = limn→∞

µ(An) .

• Pour la propriete (v) on pose B0 = A0 et Bn = An \ (∪n−1i=0 Ai) pour n > 0.

Alors les Bn sont deux a deux disjoints, on a l’inclusion Bn ⊂ An pour tout n ∈ Net on a ∪n∈NAn = ∪n∈NBn. On peut donc calculer :

µ(⋃n∈N

An ) = µ(⋃n∈N

Bn )σ-additivite

=∞∑n=0

µ(Bn)croissance≤

∞∑n=0

µ(An) .

• La propriete (iv) se deduit de (v) comme l’additivite se deduit de la σ-additivite. CQFD

→ 4.12 Proposition. Soit Ω = ω1, . . . , ωn un ensemble fini et soit p : Ω → R+

une application quelconque. Alors l’application µp : P(Ω)→ R+ definie par

µp(A) =∑ω∈A

p(ω)

(avec la convention que µp(∅) = 0) est une mesure sur la tribu totale P(Ω).

Reciproquement, si µ : P(Ω)→ R+ est une mesure sur la tribu totale, alors ona l’egalite µ = µp avec la fonction p(ω) = µ( ω ).

Preuve de [4.12]. • On a par definition µp(∅) = 0. Soit donc (An)n∈N une suitede sous-ensembles deux a deux disjoints. Vu que l’ensemble Ω est fini, on montre,comme dans la preuve de [4.3], qu’il existe K ∈ N tel que An = ∅ pour tout n > K.

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MESURES 39

Sans perte de generalite on peut supposer que An 6= ∅ pour tout n ≤ K. Vu queles An sont deux a deux disjoints, l’egalite

(4.13)∑

ω∈K∪n=0

An

p(ω) =K∑n=0

( ∑ω∈An

p(ω))

est une consequence immediate de l’associativite de l’addition dans R+ : on met leselements de ∪Kn=0An les uns apres les autres, d’abord ceux de A0, ensuite ceux de A1

et cætera. Le membre de gauche dans (4.13) represente la somme sans parenthese,tandis que le membre de droite represente la somme en mettant des parenthesesautour des elements de chaque An.• Si µ est une mesure sur P(Ω), alors pour tout sous-ensemble A ⊂ Ω l’additivite

d’une mesure [4.10.i] et le fait que A = ∪ω∈Aω est une reunion disjointe permettent

d’ecrireµ(A) =

∑ω∈A

µ(ω) =∑ω∈A

p(ω) = µp(A) . CQFD

→ 4.14 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit (An)n∈N une suite decrois-sante d’ensembles mesurables ( ∀n ∈ N : An ⊃ An+1). S’il existe no ∈ N tel queµ(Ano) <∞, alors on a l’egalite

µ(⋂n∈N

An ) = limn→∞

µ(An) .

Preuve de [4.14]. CQFD

→ 4.15 Exercice. Donner un exemple d’un espace mesure (Ω,F , µ) et d’une suitedecroissante (An)n∈N ou on n’a pas l’egalite µ( ∩

n∈NAn ) = lim

n→∞µ(An).

4.16 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. On dit que la mesure µ est finiesi µ(Ω) < ∞ et on dit que µ est σ-finie s’il existe une suite (Bn)n∈N d’ensemblesmesurables telle que ∪

n∈NBn = Ω et ∀n ∈ N : µ(Bn) <∞.

→ 4.17 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Alors les trois proprietes suivantessont equivalentes.

(i) µ est σ-finie ;(ii) il existe une suite croissante (An)n∈N d’ensembles mesurables telle que∪n∈NAn = Ω et que µ(An) <∞ pour tout n ∈ N ;

(iii) il existe une suite (Cn)n∈N d’ensembles mesurables 2 a 2 disjoints telle que∪

n∈NCn = Ω et que µ(Cn) <∞ pour tout n ∈ N.

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40 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve de [4.17]. Il est evident que les proprietes (ii) et (iii) impliquent (i). Pourmontrer que (i) implique (ii) et (iii) on raisonne comme suit. Si µ est σ-finie, ilexiste des Bn ∈ F tels que ∪n∈NBn = Ω et µ(Bn) <∞ pour tout n ∈ N, mais onne sait pas si la suite est croissante ni si les Bn sont 2 a 2 disjoints. Pour cela onintroduit les ensembles mesurables An et Cn par

An =n⋃i=1

Bi et Cn = An \An−1 avec A−1 = ∅. .

Il est evident que la suite An est croissante, que les Cn sont 2 a 2 disjoints et qu’ona les egalites ∪

n∈NAn = ∪

n∈NCn = Ω. Mais par la sous-additivite d’une mesure on a

aussi

µ(An) = µ(n⋃i=1

Bi) ≤n∑i=1

µ(Bi) <∞ et donc µ(Cn) ≤ µ(An) <∞ ,

ce qui montre que les suites (An)n∈N et (Cn)n∈N satisfont les conditions requises.CQFD

4.18 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et A ⊂ Ω un sous-ensemblequelconque. On dit que A est µ-negligeable (ou simplement negligeable si la mesureµ est evidente) s’il existe un ensemble mesurable B ∈ F tel que A ⊂ B et µ(B) = 0.

Soit P est une propriete d’elements de Ω. On dit que P est vraie µ-presquepartout , note µ-p.p. (ou simplement presque partout , notee p.p. si la mesure µ estevidente) si l’ensemble ou la propriete n’est pas vraie est µ-negligeable. Avec ladefinition de µ-negligeable ceci peut etre formule comme

(4.19) ∃B ∈ F : µ(Bc) = 0 et(ω ∈ B ⇒ P (ω) est vraie.

)

4.20 Remarque pour les comparateurs. Certains auteurs definissent un en-semble µ-negligeable comme etant un ensemble mesurable de µ-mesure nulle. Ladefinition donnee ci-dessus dit qu’un ensemble negligeable est inclus dans un en-semble mesurable de µ-mesure nulle. Et il n’est nullement automatique qu’untel ensemble soit lui-meme mesurable. Pour ces auteurs la notion de µ-presquepartout est modifiee en consequence : une propriete P est µ-presque partout vraiesi l’ensemble ou P est vraie est mesurable avec un complementaire qui a une µ-mesure nulle. On a choisi de prendre la definition moins stricte parce qu’il y a desapplications (importantes) ou on ne peut pas garantir que l’ensemble ou P est vraieest mesurable (voir [27.6]).

4.21 Nota Bene. La definition de presque partout depend fortement de la mesureµ et peut meme etre contre-intuitif. Considerons par exemple un ensemble Ω, unsous-ensemble T ⊂ Ω et l’espace mesure (Ω,P(Ω), CT ). La definition de la mesure

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MESURES 41

de comptage CT implique qu’on a l’equivalence CT (A) = 0⇔ A∩T = ∅. Il s’ensuitimmediatement qu’une propriete P est CT -presque partout vraie si et seulement siP est vraie pour tout ω ∈ T . Si T = ωo ne contient qu’un seul point (i.e., CT estla mesure de Dirac δωo), il suffit (et il faut) que P soit vraie au seul point ωo pourque P soit vraie CT -presque partout. Dans l’autre extreme, si T = Ω, alors il faut(et il suffit) que P soit vraie pour tout ω ∈ Ω pour que P soit vraie CT -presquepartout (voir aussi [16.3.iii]).

→ 4.22 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit P une propriete d’elementsde Ω. Si l’ensemble ω ∈ Ω | P (ω) vrai est mesurable, alors P est presque partoutvraie si et seulement si µ

(ω ∈ Ω | P (ω) faux

)= 0.

Preuve de [4.22]. CQFD

4.23 Notation. Dans la suite on aura souvent besoin de parler de l’egalite presquepartout et (un peu moins souvent) d’une inegalite presque partout. Si f et g sontdeux fonctions sur un espace mesure (Ω,F , µ), on note ces proprietes en mettantµ-pp au-dessus le symbole de l’(in)egalite. Par exemple :

fµ-pp= g

def⇐⇒ ω ∈ Ω | f(ω) = g(ω) est de complementaire µ-negligeable

fµ-pp

≤ gdef⇐⇒ ω ∈ Ω | f(ω) ≤ g(ω) est de complementaire µ-negligeable.

→ 4.24 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit (An)n∈N une suite de sous-ensembles de Ω.

(i) Si les An sont negligeables, alors ∪n∈N

An etn∪i=0Ai, n ∈ N sont negligeables.

(ii) Si les An sont de complementaire negligeable, alors ∩n∈N

An etn∩i=0Ai, n ∈ N

sont de complementaire negligeable.

Preuve de [4.24]. Il est evident que (ii) s’obtient de (i) en prenant des comple-mentaires. Pour montrer (i), notons qu’il existe des ensembles Bn ∈ F tels queAn ⊂ Bn et µ(Bn) = 0. Il est immediat qu’on a les inclusions ∪n∈NAN ⊂ ∪n∈NBnet ∪ni=0Ai ⊂ ∪ni=0Bi. Par sous-σ-additivite on a : µ( ∪n∈NAn ) ≤

∑n∈N µ(An) = 0

et par sous-additivite : µ( ∪ni=0Ai ) ≤∑ni=0 µ(Ai) = 0. CQFD

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42

5. Subdivisions et fonctions etagees

5.1 Definition. Soit (Ω,F) un espace mesurable.† Une subdivision de Ω est unepartition [2.13] de Ω en un nombre fini d’ensembles mesurables, c’est-a-dire unensemble fini D d’ensembles mesurables (D = A1, . . . , An ⊂ F) qui sont non-vides, mutuellement disjoints et dont la reunion est Ω :

#D <∞ ,⋃A∈D

A = Ω , ∀A ∈ D : A 6= ∅ et

∀A,B ∈ D : A 6= B ⇒ A ∩B = ∅ .

Une fonction etagee sur Ω est une fonction f : Ω → R pour laquelle il existe unesubdivision D de Ω telle que f est constante sur chaque element de D :

∀A ∈ D ∃cA ∈ R ∀x ∈ A : f(x) = cA .

Une telle subdivision s’appelle une subdivision adaptee a f . On notera la valeurcA prise par f sur l’element A ∈ D par f〈A〉, ce qui veut donc dire que pour toutx ∈ A on a f(x) = f〈A〉.

→ 5.2 Exercice. Soit f : Ω → R une fonction etagee et soit D une subdivisionadaptee a f . Montrer qu’on a l’egalite (entre fonctions)

f =∑A∈D

f〈A〉 · 1A .

→ 5.3 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et f, g : Ω → R deux fonctionsetagees. Alors il existe une subdivision D de Ω adaptee aux deux fonctions f et g.

Preuve de [5.3]. CQFD

→ 5.4 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable. Si f et g sont deux fonctionsetagees sur Ω, alors f + g, fg, |f |, max(f, g), min(f, g) et αf (α ∈ R) sont aussides fonctions etagees sur Ω. Si E ∈ F est un ensemble mesurable, alors 1E est unefonction etagee.

Preuve de [5.4]. CQFD

†La definition qui suit presuppose que l’ensemble Ω ne soit pas vide. On n’a pas mis cette

condition d’une facon explicite, car il semble completement ridicule de considerer l’ensemble videcomme un espace mesurable. Formellement rien ne s’oppose de le regarder comme tel, mais c’est

sans aucun interet.

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SUBDIVISIONS ET FONCTIONS ETAGEES 43

5.5 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Associe a une fonction etageepositive f : Ω→ R+ on introduit le nombre A(µ, f) defini par

A(µ, f) =∑A∈D

f〈A〉 µ(A) ,

ou D est une subdivision de Ω adaptee a f . On dit que A(µ, f) est le volume/aireen-dessous du graphe de f .

5.6 Remarque pour les curieux. Dans [3.16] on a dit que la definition duproduit prolonge etait justifiee par les resultats. Ici, la premiere fois qu’on l’utilise,c’est dans une definition, la definition de base de toute la theorie qui va suivre.La justification est la meme : une simplification de l’ecriture. Certains auteurspreferent ne pas l’utiliser dans cette definition ; ils definissent alors la valeur deA(µ, f) comme etant la somme sur tous les elements A de la subdivision D telsque f〈A〉 est non-nul. Et s’ils n’autorisent pas une somme sur un ensemble vide,ils sont en plus obliges de donner une definition a part pour la fonction nulle.

L’idee de base pour la definition de A(µ, f) comme l’aire en dessous du graphede f est assez simple : l’aire d’un rectangle est donne par le produit de la hauteurfois la longueur de la base.

1 2 3 4 5 6 7 8

A1 A2 A3 A4 A5

0

1

2A1 = 2 · 0,5

A2 = 1 · 1,5 A3 = 1,6 · 1A4 = 0,6 · 2,5

A5 = 1,2 · 1,5

A = A1 +A2 +A3 +A4 +A5 = 7,4

Dans un espace mesure quelconque la longueur de la base est remplacee par lamesure µ(A) de la base A tandis que la hauteur est donnee par la valeur f〈A〉 dela fonction sur ce morceau de l’espace total. Si µ(A) et f〈A〉 sont tous les deuxfinis, il n’y a aucun probleme. Si µ(A) est infini et f〈A〉 non-nulle, le fait que leproduit f〈A〉 · µ((A) donne infini reste tres intuitif. Par contre, on peut se poserdes questions sur le fait qu’on dit que l’aire en-dessous du graphe d’une fonctionnulle sur un ensemble de mesure infinie est quand meme nulle. En fonction de lamethode qu’on utilise pour approcher cette situation par des cas finis, on obtientdes resultats differents. Si on commence par une fonction nulle sur un ensemble demesure finie et on elargit cet ensemble pour obtenir l’ensemble de mesure infinie, ontrouve effectivement 0. Mais si on commence avec une fonction constante non-nullesur l’ensemble de mesure infinie et on fait tendre la valeur constante vers 0, onobtient infini comme limite d’une suite qui est constante infinie. Et si on melange

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44 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

les deux methodes precedentes en commencant par une fonction non-nulle sur unensemble de mesure finie et on fait tendre la valeur de la fonction vers 0 et la mesurede l’ensemble vers l’infini, on peut obtenir tout element de R+ qu’on veut.

Le choix de dire que l’aire en dessous d’une fonction nulle sur un ensemble demesure infinie est nul semble donc contestable. Heureusement on a des argumentssupplementaires pour justifier notre choix. Considerons d’abord le choix d’unevaleur finie non-nulle. Peu importe la valeur qu’on choisit, on ne peut pas montrerque l’aire est independante du choix de la subdivision adaptee a la fonction etagee(voir [5.7]) ; il est meme tres facile de construire des exemples ou la valeur de A(µ, f)varie avec le choix d’une subdivision adaptee a f . Reste donc le choix entre la valeurnulle ou la valeur infinie pour un tel aire. Etant donne qu’un tel choix n’intervientque s’il existe des A ∈ F avec µ(A) = ∞, ce qui est le cas si et seulement siµ(Ω) =∞, considerons ce qui se passe dans un tel cas. Autrement dit, consideronsle cas ou µ(Ω) = ∞ et ou on a choisi de definir l’aire en dessous de la fonctionnulle au-dessus d’un ensemble de mesure infinie comme etant infini. Alors dans unesubdivision arbitraire D = A1, . . . , An il y a toujours un i tel que µ(Ai) = ∞(sinon on aura par additivite d’une mesure µ(Ω) =

∑nj=1 µ(Aj) < ∞). Et alors

la somme∑nj=1 f〈Aj〉 µ(Aj) contient un terme ou on multiplie un nombre dans

R+ (la valeur f〈Ai〉) par l’infini (µ(Ai)), ce qui donne l’infini. L’aire en dessousdu graphe de n’importe quelle fonction etagee sera donc infinie. Une telle situationn’est pas tres interessante comme theorie. On est donc reduit au choix qu’on a fait.

5.7 Lemme. Le nombre A(µ, f) ne depend pas de la subdivision adaptee a f choisiepour son calcul.

Preuve. Soient D = A1, . . . , An et D′ = B1, . . . , Bm deux subdivisions adap-tees a f . Si pour Ai ∈ D et Bj ∈ D′ on a Ai ∩Bj = ∅, alors µ(Ai ∩Bj) = 0. On adonc l’implication

Ai ∩Bj = ∅ =⇒ f〈Ai〉 µ(Ai ∩Bj) = 0 = f〈Bj〉 µ(Ai ∩Bj) .

Si au contraire on a ω ∈ Ai∩Bj , alors par definition d’une subdivision on a l’egalitef〈Ai〉 = f(ω) = f〈Bj〉. La conclusion est qu’on a dans tous les cas l’egalite

(5.8) ∀Ai ∈ D ∀Bj ∈ D′ : f〈Ai〉 µ(Ai ∩Bj) = f〈Bj〉 µ(Ai ∩Bj) .

On peut donc faire le calcul suivant.∑A∈D

f〈A〉 µ(A) =n∑i=1

f〈Ai〉 µ(Ai) =n∑i=1

f〈Ai〉 µ(m∪j=1

Ai ∩Bj)

[4.10.i]=

n∑i=1

f〈Ai〉m∑j=1

µ(Ai ∩Bj)[3.17]=

n∑i=1

m∑j=1

f〈Ai〉 µ(Ai ∩Bj)

(5.8)=

m∑j=1

n∑i=1

f〈Bj〉 µ(Ai ∩Bj)[3.17]=

m∑j=1

f〈Bj〉n∑i=1

µ(Ai ∩Bj)

[4.10.i]=

m∑j=1

f〈Bj〉 µ(Bj) =∑B∈D′

f〈B〉 µ(B) . CQFD

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SUBDIVISIONS ET FONCTIONS ETAGEES 45

5.9 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f, g : Ω → R+ deux fonctionsetagees positives, soit E ∈ F un ensemble mesurable et soit α ∈ R+ un reel positif.Alors on a les proprietes suivantes.

(i) A(µ,1E) = µ(E) ;(ii) f ≤ g ⇒ A(µ, f) ≤ A(µ, g) ;

(iii) A(µ, α · f) = α A(µ, f) ;(iv) A(µ, f + g) = A(µ, f) +A(µ, g).

Preuve. • (i) : la subdivision D = E,Ec est une subdivision adaptee a la fonctionetagee 1E , ce qui donne

A(µ,1E) = 0 µ(Ec) + 1 µ(E) = µ(E) .

• (ii) : Soit D une subdivision adaptee aux fonctions f et g [5.3]. Alors on apour tout A ∈ D : f〈A〉 ≤ g〈A〉, et donc

A(µ, f) =∑A∈D

f〈A〉 µ(A) ≤∑A∈D

g〈A〉 µ(A) = A(µ, g) .

• (iii) : Soit D une subdivision adaptee a f . Alors on a

A(µ, α · f) =∑A∈D

(α · f)〈A〉 µ(A) =∑A∈D

(α · f〈A〉) µ(A)

= α∑A∈D

f〈A〉 µ(A) = α A(µ, f) ,

ou, pour la troisieme egalite on a utilise le fait que le produit prolonge est distributifsur R+ [3.17] et l’associativite dans le sens que

(α · f〈A〉

)µ(A) = α

(f〈A〉 µ(A)

).

Dans α · f〈A〉 on peut utiliser le produit ordinaire car ni α ni f〈A〉 ne sont ∞. Parcontre, α peut etre nul et f〈A〉 µ(A) peut etre ∞. D’ou la necessite de changer leproduit ordinaire en produit prolonge pour appliquer l’associativite.

• (iv) : Si D est une subdivision de Ω adaptee aux fonctions f et g, alors D estaussi adaptee a f + g. Alors on calcule :

A(µ, f + g) =∑A∈D

(f + g)〈A〉 µ(A) =∑A∈D

(f〈A〉+ g〈A〉) µ(A)

=∑A∈D

f〈A〉 µ(A) +∑A∈D

g〈A〉 µ(A)

= A(µ, f) +A(µ, g) ,

ou pour l’avant derniere egalite on a (de nouveau) utilise le fait que le produitprolonge est distributif sur R+ [3.17]. CQFD

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46 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

5.10 Remarque pour les curieux. Dans [5.6] on a argumente que le choix dedire que l’aire en dessous de la fonction nulle sur un ensemble de mesure infinieetait le seul choix raisonnable. Si on regarde maintenant les proprietes [5.9.i,iii],des proprietes qui semblent tres raisonnables, on pourrait meme montrer que si onveut avoir ces proprietes, on est oblige de faire ce choix. L’argument est simple. SiA est un ensemble mesurable quelconque, alors on a l’egalite

1∅ = 0 · 1A .

Avec cela et les proprietes [5.9.i,iii] on peut faire le calcul

0 = µ(∅) = A(µ,1∅) = A(µ, 0 · 1A) = 0 A(µ,1A) = 0 µ(A) .

Il s’ensuit qu’on doit avoir 0 µ(A) = 0, meme si µ(A) = ∞. Mais attention, lapropriete [5.9.i] en particulier repose sur le choix que l’aire en dessous de la fonctionnulle sur un ensemble de mesure infinie est nul. On ne peut donc pas utiliser lecalcul ci-dessus pour dire qu’on est oblige de faire ce choix.

→ 5.11 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, f : Ω → R+ une fonction etageepositive, D une subdivision de Ω adaptee a f et E ∈ F un ensemble mesurable.Alors f · 1E est aussi etagee, la collection D′ definie comme

D′ =(A ∩ E | A ∈ D ∪ Ec

)\ ∅

est une subdivision adaptee a f · 1E (on enleve l’ensemble vide dans la definitionde D′, car il est possible que A ∩ E = ∅ ou qu’on a Ec = ∅ et les elements d’unesubdivision doivent etre non-vide) et A(µ, f · 1E) est donnee par

A(µ, f · 1E) =∑A∈D

f〈A〉 µ(A ∩ E) .

Preuve de [5.11]. Avec [5.4] il est immediat que f · 1E est etagee. La collection

D′ = A ∩ E | A ∈ D ∪ Ec

est une subdivision de Ω adaptee a f ·1E avec (f ·1E)〈A∩E〉 = f〈A〉 et (f ·1E)〈Ec〉 =0. On a donc

A(µ, f · 1E) =∑A′∈D′

(f · 1E)〈A′〉 µ(A′)

= (f · 1E)〈Ec〉 µ(Ec) +∑A∈D

(f · 1E)〈A ∩ E〉 µ(A ∩ E)

= 0 µ(Ec) +∑A∈D

f〈A〉 µ(A ∩ E) . CQFD

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SUBDIVISIONS ET FONCTIONS ETAGEES 47

5.12 Remarque pour les comparateurs. Dans la litterature on trouve uneautre definition d’une fonction etagee qui dit qu’une fonction etagee est une fonctionf : Ω → R pour laquelle il existe n ∈ N∗, c1, . . . , cn ∈ R et A1, . . . , An ∈ F telsqu’on a

f =n∑i=1

ci · 1Ai .

Dans [8.17] on montrera que cette definition est bien equivalente a la definition[5.1]. Pour trouver une subdivision adaptee a une telle fonction, on definit, pourtout I ⊂ 1, . . . , n, l’ensemble BI ∈ F par

BI =(∩i∈IAi

)\(∪j /∈IAj

).

Ainsi on obtient 2n ensembles BI (le lecteur qui a des problemes avec la definitionde B∅ peut le definir directement par B∅ = Ω \ (∪ni=1Ai) ) et il n’est pas difficile demontrer que la collection D = BI | I ⊂ 1, . . . , n est une subdivision adaptee af et que f prend la valeur cI =

∑i∈I ai sur l’ensemble BI .

Cette deuxieme definition d’une fonction etagee est plus simple que la definition[5.1], car il y a moins de contraintes comme l’existence d’une subdivision adaptee.La raison d’adopter quand meme la definition [5.1] est liee au fait qu’il devient(un petit peu) plus difficile de montrer que l’aire en-dessous du graphe d’une tellefonction ne depend pas de la facon dont on l’ecrit.

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48

6. L’integrale de fonctions positives

6.1 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f : Ω→ R+ une fonctionpositive (eventuellement ∞). On lui associe un nombre dans R+, note

∫Ωf dµ et

appele l’integrale de f sur Ω par rapport a la mesure µ, ou la µ-integrale de f surΩ ou simplement l’integrale de f sur Ω si la mesure µ est evidente, definie comme∫

Ω

f dµ = supA(µ, h) | h : Ω→ R+ etagee, h ≤ f .

Si E ∈ F est un ensemble mesurable, on definit l’integrale de f sur E par rapporta la mesure µ, notee

∫Ef dµ, comme∫

E

f dµ =

∫Ω

1E f dµ .

Autrement dit, pour integrer f sur une partie mesurable E on modifie f en lachangeant en zero en dehors de E.

6.2 Nota Bene. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f : Ω→ R+ une fonction etsoit E ⊂ Ω un ensemble mesurable. Selon [4.7.ii] le triplet (E,FE , µ|FE ) est aussiun espace mesure. En considerant la restriction de f a E on obtient donc l’integralede f |E sur E par rapport a la mesure µ|FE notee comme∫

E

f |E dµ|FE .

Mais si on sait qu’il est habituel de ne pas noter les restrictions, alors on voit quecette integrale s’ecrit comme

∫Ef dµ. Et la, on a un conflit potentiel de notation

avec la definition donnee ci-dessus qui dit que cela est une autre notation pour∫Ω

1E f dµ. Heureusement ce conflit n’est pas reel, car on montre que ces deuxnombres sont egaux, ce qui nous autorise a continuer a ne pas ecrire les restrictions.

6.3 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f : Ω → R+ une fonctionpositive et soit E ⊂ Ω un ensemble mesurable. Alors on a l’egalite∫

Ω

1E f dµdef=

∫E

f dµ =

∫E

f |E dµ|FE .

Preuve. Par [4.7.i] (E,FE , µ|FE ) est bien un espace mesure, donc le membre dedroite est bien defini. On a donc d’un cote l’ensemble

Ig = A(µ, h) | h : Ω→ R+ etagee, h ≤ 1E f

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS POSITIVES 49

et d’autre cote l’ensemble

Id = A(µ|FE , g) | g : E → R+ etagee, g ≤ f |E .

L’egalite a montrer est sup Ig = sup Id, qu’on va montrer en montrant l’egaliteIg = Id.

Si h : Ω → R+ est etagee et verifie h ≤ 1E f , alors h|E : E → R+ est etageeet verifie h|E ≤ (1E f)|E = f |E . Si D est une subdivision de Ω adaptee a h, alorsDE = A∩E | A ∈ D est une subdivision de E adaptee a h|E . Et evidemment ona (h|E)〈A ∩ E〉 = h〈A〉. Mais on a 0 ≤ h ≤ 1E f et donc h = h · 1E . Avec [5.11]il s’ensuit que D′ = DE ∪ Ec est aussi une subdivision de Ω adaptee a h avec enparticulier h〈Ec〉 = 0. On a donc :

A(µ, h) =∑A∈D′

h〈A〉 µ(A) = 0 µ(Ec) +∑B∈DE

(h|E)〈B〉 µ(B) = A(µ|FE , h|E) .

Ceci montre l’inclusion Ig ⊂ Id.Pour l’autre inclusion on prend une fonction etagee g : E → R+ verifiant g ≤ f |E

et on suppose que D est une subdivision de E adaptee a g. On definit la fonctionh : Ω→ R+ par

h(ω) = g(ω) si ω ∈ E , h(ω) = 0 si ω /∈ E.

Alors h est etagee verifiant h ≤ 1E f et DE = D ∪ Ec est une subdivision de Ωadaptee a h. On peut donc faire le calcul :

A(µ, h) =∑A∈DE

h〈A〉 µ(A) = 0 µ(Ec) +∑A∈D

g〈A〉 µ(A) = A(µ|FE , h|E) .

Ce calcul montre l’inclusion Id ⊂ Ig, ce qui termine la preuve. CQFD

6.4 Remarque. A part le fait que [6.3] resout un conflit potentiel de notation,on peut aussi l’utiliser pour montrer que beaucoup de resultats qui sont formulesen termes d’une integrale sur l’espace total, restent valables quand on considerel’integrale sur une partie mesurable quelconque : il suffit de dire que l’integrale surune partie mesurable E ⊂ Ω est egale a l’integrale sur E, vu comme espace total.

6.5 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f, g : Ω → R+ deux fonc-tions positives, soit E,F ∈ F deux ensembles mesurables, et soit α ∈ R∗+ un reelstrictement positif. Alors on a les proprietes suivantes.

(i) si f est etagee,∫

Ωf dµ = A(µ, f), en particulier

∫Ω

1E dµ = µ(E) ;

(ii) si f ≤ g sur E, alors∫Ef dµ ≤

∫Eg dµ ;

(iii)∫Eα · f dµ = α ·

∫Ef dµ ;

(iv)∫E

0 dµ = 0 ;

(v) si E ⊂ F , alors∫Ef dµ ≤

∫Ff dµ ;

(vi) si µ(E) = 0, alors∫Ef dµ = 0 ;

(vii) si E ∩ F = ∅, alors∫E∪F f dµ =

∫Ef dµ+

∫Ff dµ.

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50 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. Pour une fonction positive f on introduit les ensembles H(f) et I(f)comme

H(f) = h : Ω→ R+ | h etagee, h ≤ f I(f) = A(µ, h) | h ∈ H(f) .

Avec ces ensembles on a l’egalite (par definition)∫

Ωf dµ = sup I(f).

• (i) : Si f est etagee on a f ∈ H(f) et donc A(µ, f) ∈ I(f), ce qui impliqueA(µ, f) ≤ sup I(f). D’autre cote, si h ∈ H(f), alors on a, par [5.9.iii], A(µ, h) ≤A(µ, f), ce qui dit que A(µ, f) est un majorant de I(f) et donc sup I(f) ≤ A(µ, f).On en deduit le cas particulier avec [5.9.i].• (ii) : Si f ≤ g sur E, alors 1E f ≤ 1E g sur tout Ω. Si h ∈ H(1E f),

alors automatiquement h ∈ H(1E g) et donc I(1E f) ⊂ I(1E g), ce qui impliquel’inegalite annoncee.• (iii) : L’associativite du produit prolonge nous donne l’egalite 1E (α f) =

α (1E f). On peut donc sans perte de generalite supposer que E = Ω, car on peutfaire le calcul∫E

α f dµ =

∫Ω

1E (α f) dµ =

∫Ω

α (1E f) dµ = α

∫Ω

1E f dµ = α

∫E

f dµ ,

ce qui montre que, si on le sait pour E = Ω, on le sait pour tout E.Si h ∈ H(αf), alors α−1h ∈ H(f) et donc A(µ, α−1h) ≤ sup I(f). Par [5.9.iv]

on peut reecrire cette relation comme

A(µ, h) ≤ α · sup I(f) ,

ce qui nous donne l’inegalite sup I(αf) ≤ α · sup I(f). En retournant l’argument,si h ∈ H(f), alors αh ∈ H(αf) et donc α · A(µ, h) = A(µ, αh) ≤ sup I(αf), ce quidonne l’inegalite dans l’autre sens α · sup I(f) ≤ sup I(αf).• (iv) : La seule fonction etagee positive inferieure ou egale a la fonction nulle

est la fonction nulle. Le resultat se deduit de [5.9.iii].• (v) : Si E ⊂ F , alors 1E f ≤ 1F f sur Ω et donc par (ii) on a∫

E

f dµ =

∫Ω

1Ef dµ ≤∫

Ω

1F f dµ =

∫F

f dµ .

• (vi) : Soit h ∈ H(1E f) et soit D une subdivision de Ω adaptee a h. Lesinegalites 0 ≤ h ≤ 1E f impliquent qu’on a h = h · 1E et donc selon [5.11] lacollection D′ = A ∩E | A ∈ D ∪ Ec est aussi une subdivision adaptee a h. SiB ∈ D′ est donc different de Ec, alors B ⊂ E par definition d’une subdivision (leselements sont disjoints). Et donc par croissance d’une mesure [4.10.ii], on a montrel’implication

B ∈ D′ , B 6= Ec ⇒ 0 ≤ µ(B) ≤ µ(E) = 0 .

Avec ces preparations on calcule :

A(µ, h) =∑B∈D′

h〈B〉 µ(B) = 0 µ(Ec) +∑

B∈D′,B 6=Ech〈B〉 µ(B)

=∑

B∈D′,B 6=Ech〈B〉 0 = 0 .

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS POSITIVES 51

On a donc montre que pour tout h ∈ H(1E f) on a A(µ, h) = 0, ce qui montrequ’on a I(1E f) = 0. Et donc

∫Ef dµ = sup I(1E f) = 0.

• (vii) : Selon la definition il faut montrer l’egalite

sup I(1E∪F f) = sup I(1E f) + sup I(1F f) .

Si E ∩ F = ∅, alors 1E∪F = 1E + 1F et donc pour h ∈ H(1E∪F f) on a

h = h · 1E∪F = h · (1E + 1F ) = h · 1E + h · 1F .

De plus on a les inegalites h · 1E ≤ f 1E et h · 1F ≤ f 1F . Par [5.4] il s’ensuitqu’on a h · 1E ∈ H(f 1E) et h · 1F ∈ H(f 1F ) et donc on peut faire le calcul

A(µ, h) = A(µ, h · 1E∪F )[5.9.iv]

= A(µ, h · 1E) +A(µ, h · 1F )

≤ sup I(1E f) + sup I(1F f) .

En prenant le sup sur tout h ∈ H(1E∪F f) on obtient l’inegalite

sup I(1E∪F f) ≤ sup I(1E f) + sup I(1F f) .

Soit maintenant hE ∈ H(f 1E) et hF ∈ H(f 1F ). Parce qu’on a E ∩ F = ∅, on ahE + hF ≤ f 1E∪F , c’est-a-dire hE + hF ∈ H(f 1E∪F ). On a donc l’inegalite

A(µ, hE) +A(µ, hF ) = A(µ, hE + hF ) ≤ sup I(f 1E∪F ) .

En prenant le sup sur tous les hE et tous les hF on obtient l’inegalite inverse

sup I(1E f) + sup I(1F f) ≤ sup I(f 1E∪F ) . CQFD

→ 6.6 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f, g : Ω→ R+ deux fonctions

positives. Si fµ-pp= g, alors

∫Ωf dµ =

∫Ωg dµ.

Preuve de [6.6]. Par definition il existe A ∈ F tel que µ(Ac) = 0 et ω ∈ A ⇒f(ω) = g(ω). Il est evident qu’on a A ∩Ac = ∅ et f 1A = g 1A et donc∫

Ω

f dµ =

∫A∪Ac

f dµ[6.5.vii]

=

∫A

f dµ+

∫Acf dµ

[6.5.vi]=

∫A

f dµ

=

∫Ω

1A f dµ =

∫Ω

1A g dµ =

∫A

g dµ =

∫A

g dµ+

∫Acg dµ

=

∫Ω

g dµ . CQFD

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52 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

6.7 Nota Bene. Dans la liste des proprietes de l’integrale on n’a pas mentionnel’additivite, et pour cause. Il est facile de construire des exemples d’espaces mesureset de fonctions f et g ou on n’a pas

∫Ω

(f +g) dµ =∫

Ωf dµ+

∫Ωg dµ. Considerons

par exemple l’espace Ω = 0, 1 avec la tribu minimale F = ∅,Ω et la mesureµ : F → R+ definie par µ(Ω) = 1. Sur cet espace mesure on considere les deuxfonctions f, g : Ω→ R+ definies par

f(0) = 1 , f(1) = 0 et g(0) = 0 , g(1) = 1 .

Vu qu’une fonction etagee est forcement constante (dans h =∑ni=1 ci ·1Ai , les Ai ne

peuvent etre que ∅ ou Ω), il s’ensuit immediatement qu’on a∫

Ωf dµ =

∫Ωg dµ = 0.

Par contre, f + g est la fonction constante 1 et on trouve∫

Ω(f + g) dµ = 1. Et

donc sur cet espace mesure l’integrale n’est pas additive.

6.8 Remarques. • Bien qu’on n’ait pas l’additivite de l’integrale, on peut in-terpreter le resultat [6.5.vii] comme une sorte d’additivite, car on peut l’ecrire sousla forme ∫

Ω

(f 1E + f 1F ) dµ =

∫Ω

f 1E dµ+

∫Ω

f 1F dµ .

• Les resultats [6.5.iii] et [6.5.iv] peuvent se resumer comme

∀α ∈ R+ :

∫Ω

α f dµ = α

∫Ω

f dµ .

L’utilisation du produit prolonge est imperatif car f et∫

Ωf dµ peuvent prendre la

valeur ∞ (voir aussi [9.16]).Pour montrer qu’on ne peut pas inclure le cas α = ∞, on modifie legerement

l’exemple donne dans [6.7]. On considere l’ensemble Ω = N muni de la tribuF = ∅, 0,N∗,N et la mesure µ : F → R+ definie par µ(0) = µ(N∗) = 1.Sur N on considere la fonction f : N→ R+ definie par

f(0) = 0 et ∀n ∈ N∗ : f(n) =1

n.

Il est facile de voir que la seule fonction etagee positive en dessous de f est lafonction nulle, donc qu’on a

∫Nf dµ = 0 et donc ∞

∫Nf dµ = 0.

La fonction ∞ f est donnee par la formule

(∞ f)(0) = 0 et ∀n ∈ N∗ : (∞ f)(n) =∞ .

Il s’ensuit que les fonctions hk = k ·1N∗ , k ∈ R+ sont des fonctions etagees positivesen dessous de ∞ f . Vu que µ(N∗) = 1 on en deduit qu’on a A(µ, hk) = k et doncqu’on a ∫

N

∞ f dµ = supA(µ, h) | h etagee , 0 ≤ h ≤ f =∞ .

Ainsi on a construit un exemple ou on n’a pas l’egalite∫

Ω∞ f dµ =∞

∫Ωf dµ.

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS POSITIVES 53

→ 6.9 Exercice. Montrer que∫Ef dµ est donnee par la formule∫

E

f dµ = supA(µ,1E · h) | h etagee, h ≤ f .

→ 6.10 Exercice. Montrer que si∫

Ωf dµ > 0 pour une fonction positive f : Ω →

R+, alors on a les egalites∫Ω

∞ f dµ =∞∫

Ω

f dµ =∞ .

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54

7. Applications mesurables

7.1 Discussion. Quand on commence a reflechir sur la cause de l’echec concernantl’additivite de l’integrale et la linearite avec∞ qu’on a trouve dans [6.7] et [6.8], onest vite amene a la conclusion qu’il n’y a pas assez de fonctions etagees pour “ap-procher” nos fonctions pour lesquelles l’egalite recherchee fait defaut. Autrementdit, l’approximation qu’on peut faire de nos fonctions avec les fonctions etageesa notre disposition est mauvaise. On rencontrera un meme phenomene dans [9.5]quand on veut intervertir integrale et limite.

On va voir que tous les resultats interessants seront vrais pour des fonctionsqu’on peut “bien” approcher (dans le sens de limite simple, c’est-a-dire point parpoint) par des fonctions etagees. Quand on le dit de cette facon, il ne sera pas facilede determiner si une fonction donnee est oui ou non “bien approchable” par desfonctions etagees. Mais il existe une definition alternative qui permet de faciliterla tache un peu : celle de fonction mesurable. C’est l’analogue de la definitiond’une fonction continue en topologie. A premiere vue cette definition ne donne pasl’impression de faciliter la determination de fonctions mesurables (bien approchablepar des fonctions etagees). Mais cette definition permet de montrer facilement uncertain nombre de resultats interessants concernant les fonctions mesurables (entreautre que toute fonction continue est mesurable quand la tribu est la tribu de Borel)et culminera en [9.7] et [9.10] avec la preuve que la definition de fonction mesurableest equivalente a la definition comme fonction qui est limite simple de fonctionsetagees.

7.2 Definition. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables. Une applicationf : Ω → X est dite mesurable (ou, si on doit etre plus precis, mesurable pour lestribus F sur Ω et G sur X ou F-G-mesurable), si elle verifie la condition

∀B ∈ G : f−1(B) ∈ F .

7.3 Terminologie. Sauf contre-indications, on munit toujours les espaces N, Z,R, R, C et Rd de la tribu de Borel associee a leur topologie naturelle : la topologieeuclidienne pour R, C et Rd, la topologie discrete sur N et Z (qui est d’ailleursinduite par la topologie euclidienne sur R). En consequence, si (Ω,F) est un espacemesurable et si f : Ω→ K est une application avec K = N, Z, R, R, C ou Rd, ondira que f est mesurable si elle est mesurable pour la tribu F sur Ω et la tribu deBorel sur K.

→ 7.4 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et A ⊂ Ω un sous-ensemble. Alorsla fonction indicatrice 1A : Ω→ R est mesurable si et seulement si A est mesurable(appartient a F).

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APPLICATIONS MESURABLES 55

Preuve de [7.4]. La fonction 1A ne prend que les deux valeurs 0 et 1 et donc pourl’image reciproque (1A)−1(B) il n’y a que quatre possibilites :

(1A)−1(B) =

∅ si ni 0 ni 1 n’appartient a B,

A si 1 appartient a B mais pas 0,

Ac si 0 appartient a B mais pas 1,

Ω si 0 et 1 appartiennent a B.

SiA est mesurable, les quatre possibilites appartiennent a F , donc 1A est mesurable.Et si 1A est mesurable, il suffit de remarquer que A = (1A)−1( ] 1

2 ,32 [ ) est mesurable.

CQFD

7.5 Lemme. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables et soit f : Ω → Xune application. Si G est engendree par C : G = σ(C), alors f est mesurable si etseulement si elle verifie la condition

∀C ∈ C : f−1(C) ∈ F .

Preuve. Si f est mesurable, alors le fait que C est inclus dans G implique que lacondition est verifiee. Supposons donc que la condition est verifiee et posons

H = B ∈ G | f−1(B) ∈ F .

Alors par hypothese C ⊂ H. Si on montre que H est une tribu, alors par [2.11] onpeut conclure que G = σ(C) ⊂ H ⊂ G, et donc que f est mesurable.

Pour montrer que H est une tribu, on verifie les proprietes. f−1(∅) = ∅ ∈ Fdonc ∅ ∈ H. Si Bn ∈ H, alors

f−1(⋃n∈N

Bn) =⋃n∈N

f−1(Bn)

appartient a F car ce dernier est une tribu. Donc ∪n∈N

Bn appartient a H. Et pourterminer, si B ∈ H, alors

f−1(Bc) = f−1(B)c

appartient a F et donc Bc appartient a H. CQFD

→ 7.6 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f : Ω→ R une fonction.Alors les enonces suivants sont equivalents.

(i) f est une fonction mesurable.(ii) Pour tout a, b ∈ R l’ensemble f−1( ]a, b ]) est mesurable.

(iii) Pour tout a, b ∈ R l’ensemble f−1( ]a, b [ ) est mesurable.(iv) Pour tout a ∈ R l’ensemble f−1( ]−∞, a [ ) est mesurable.(v) Pour tout a ∈ R l’ensemble f−1( ]−∞, a ]) est mesurable.

Preuve de [7.6]. C’est une combinaison directe de [2.36] et [7.5]. CQFD

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56 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

→ 7.7 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f : Ω→ R une fonction.Alors les enonces suivants sont equivalents.

(i) f est une fonction mesurable.(ii) Pour tout a ∈ R l’ensemble f−1( [−∞, a [ ) est mesurable.

(iii) Pour tout a ∈ R l’ensemble f−1( [−∞, a ]) est mesurable.

Preuve de [7.7]. C’est une combinaison directe de [3.11] et [7.5]. CQFD

→ 7.8 Lemme. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables, soit f : Ω → X uneapplication mesurable et soit A ⊂ Ω un sous-ensemble (pas necessairement dansF). Alors la restriction de f a A, f |A : A→ X est FA-G-mesurable.

Preuve de [7.8]. CQFD

7.9 Proposition. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables, A ∈ F un en-semble mesurable et f : Ω → X une application. Si les restrictions de f a A eta son complementaire Ac sont FA-G respectivement FAc-G-mesurables, alors f estF-G mesurable.

Preuve. Il faut montrer que pour tout G ∈ G l’ensemble f−1(G) appartient a F .Pour cela on note qu’on a pour tout B ⊂ X les egalites(

f |A)−1

(B) = ω ∈ A |(f |A)(ω) ∈ B = ω ∈ A | f(ω) ∈ B

et (f |Ac

)−1(B) = ω ∈ Ac |

(f |Ac

)(ω) ∈ B = ω ∈ Ac | f(ω) ∈ B .

On a donc l’egalite

f−1(G) =(f |A)−1

(G) ∪(f |Ac

)−1(G) .

Par hypothese(f |A)−1

(G) ∈ FA et(f |Ac

)−1(G) ∈ FAc . Vu que A appartient a F

on en deduit ([2.24]) que(f |A)−1

(G) et(f |Ac

)−1(G) appartiennent a F . Et donc

f−1(G) appartient a F . CQFD

→ 7.10 Lemme. Soit (Ω,F), (X,G) et (Y,H) trois espaces mesurables et soit f :Ω → X et g : X → Y deux applications mesurables. Alors la fonction composeeg f : Ω→ Y est mesurable.

Preuve de [7.10]. CQFD

7.11 Definitions. Soit (Ω, T ) et (X,O) deux espaces topologiques et soit f : Ω→X une application. On dit que f est continue si elle verifie la condition

∀O ∈ O : f−1(O) ∈ T .

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APPLICATIONS MESURABLES 57

→ 7.12 Lemme. Soit (Ω, T ) et (X,O) deux espaces topologiques et soit f : Ω → Xune application continue. Alors f est mesurable pour les tribus de Borel associees.

Preuve de [7.12]. CQFD

→ 7.13 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et f : Ω → K une fonctionmesurable avec K = R ou C. Alors la fonction |f | : Ω→ R+ est aussi mesurable.

Preuve de [7.13]. CQFD

7.14 Remarque. La combinaison de [7.10] et [7.12] permet (par exemple) demontrer facilement que, si f : Ω→ R est mesurable, alors g(ω) = sin(f(ω)) est uneapplication mesurable sur Ω.

7.15 Definition. Soit Ω un ensemble et soit fn : Ω → R, n ∈ N une suitede fonctions. On definit les fonctions sup

n∈Nfn, inf

n∈Nfn, lim sup

n→∞fn, lim inf

n→∞fn : Ω→ R

par les formules(supn∈N

fn)(ω) = sup

n∈Nfn(ω) ,

(lim supn→∞

fn)(ω) = inf

n∈N

(supk≥n

fk(ω))

(infn∈N

fn)(ω) = inf

n∈Nfn(ω) ,

(lim infn→∞

fn)(ω) = sup

n∈N

(infk≥n

fk(ω))

7.16 Remarque. Le fait qu’on considere des fonctions fn a valeurs dans R nousgarantit que les fonctions sup

n∈Nfn, inf

n∈Nfn, lim sup

n→∞fn, lim inf

n→∞fn : Ω→ R sont bien

definies a valeurs dans R.

7.17 Lemme. Soit (an)n∈N une suite avec an ∈ R. Alors on a toujours l’inegalitelim infn→∞ an ≤ lim supn→∞ an. La limite limn→∞ an existe (dans R) si et seule-ment si lim infn→∞ an = lim supn→∞ an (auquel cas c’est egal a limn→∞ an).

Preuve. • La suite Sn = supk≥n ak est decroissante (on prend le sup sur de moinsen moins d’elements) et la suite sn = infk≥n ak est croissante. On a donc les egalites

lim infn→∞

an = limn→∞

sn et lim supn→∞

an = limn→∞

Sn .

De plus, on a l’inegalite sn ≤ Sn pour tout n ∈ N. En prenant la limite on obtientdonc l’inegalite lim inf

n→∞an ≤ lim sup

n→∞an.

• Supposons maintenant que limn→∞ an = ` ∈ R existe et appartient a R. Alorspour tout ε > 0 il existe N ∈ N tel que n ≥ N implique |an − `| < ε. Il s’ensuitque pour n ≥ N on a les inegalites

|sn − `| ≤ ε et |Sn − `| ≤ ε .

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58 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

En prenant la limite n→∞ on obtient donc les inegalites

| lim infn→∞

an − `| ≤ ε et | lim supn→∞

an − `| ≤ ε .

Ceci etant vrai pour tout ε > 0, on en deduit qu’on doit avoir

lim infn→∞

an = lim supn→∞

an = ` = limn→∞

an .

Si limn→∞ an = ∞, alors pour tout M > 0 il existe N ∈ N tel que n ≥ Nimplique an ≥ M . On a donc l’implication k ≥ n ≥ N ⇒ ak ≥ M . Le reel M estdonc un minorant de ak | k ≥ n. Il s’ensuit qu’on a pour tout n ≥ N l’inegalite

sn ≥M .

En prenant la limite n→∞ on obtient donc lim infn→∞ an ≥M . Etant donne queM est arbitraire on en deduit qu’on doit avoir lim infn→∞ an =∞. En combinantceci avec l’inegalite lim infn→∞ an ≤ lim supn→∞ an on obtient donc

limn→∞

an =∞ = lim infn→∞

an = lim supn→∞

an .

Le cas limn→∞ an = −∞ etant similaire, on a donc montre que si limn→∞

an existedans R, alors on a l’egalite

limn→∞

an = lim infn→∞

an = lim supn→∞

an .

• Supposons maintenant qu’on a l’egalite lim infn→∞ an = lim supn→∞ an = `.Si ce ` appartient a R, alors pour tout ε > 0 il existe N1, N2 ∈ N tels qu’on a lesimplications

n ≥ N1 =⇒ |sn − `| < ε et n ≥ N2 =⇒ |Sn − `| < ε .

Pour tout n ≥ max(N1, N2) on a donc en particulier les inegalites

`− ε < infk≥n

ak ≤ an ≤ supk≥n

ak < `+ ε ,

et donc l’inegalite |an − `| < ε. Il s’ensuit qu’on a limn→∞ an = ` comme voulu.

Si ` = ∞, alors il existe pour tout M > 0 un N ∈ N tel que n ≥ N impliquesn ≥M . Pour tout n ≥ N on a donc l’inegalite

an ≥ infk≥n

ak ≥M ,

et donc limn→∞ an = ∞. Avec la remarque que le cas ` = −∞ est similaire on atermine la preuve. CQFD

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APPLICATIONS MESURABLES 59

7.18 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit fn : Ω → R, n ∈ N unesuite de fonctions mesurables. Alors sup

n∈Nfn, inf

n∈Nfn, lim sup

n→∞fn, lim inf

n→∞fn : Ω→ R

sont aussi mesurables.

Preuve. Pour b ∈ R et ω ∈ Ω il est facile de voir qu’on a l’equivalence

supn∈N

fn(ω) ≤ b ⇐⇒ ∀n ∈ N : fn(ω) ≤ b .

Si on traduit cela en termes d’images reciproques, on obtient l’egalite(supn∈N

fn)−1

( [ −∞, b ]) =⋂n∈N

f−1n ( [ −∞, b ]) .

L’ensemble [ − ∞, b ] est un borelien dans R et les fn sont mesurables, donc lemembre de droite est un ensemble mesurable dans F . Sachant que les ensemblesde la forme [ −∞, b ] engendrent la tribu de Borel sur R [3.11], on peut appliquer[7.5] pour conclure que supn∈N fn est mesurable.

Pour infn∈N fn on procede d’une facon analogue. On a l’equivalence

infn∈N

fn(ω) < b ⇐⇒ ∃n ∈ N : fn(ω) < b .

Traduit en termes d’images reciproques on obtient l’egalite(infn∈N

fn)−1

( [ −∞, b [ ) =⋃n∈N

f−1n ( [ −∞, b [ ) .

Et maintenant, [ −∞, b [ est un borelien et les fn sont mesurables, donc le membrede droite est dans F . Vu que les [ −∞, b [ engendrent la tribu de Borel [3.11], onpeut conclure avec [7.5] que infn∈N fn est mesurable.

Pour la fonction lim supn→∞ fn on introduit les fonctions Fn = supk≥n fk,ce qui donne l’egalite lim supn→∞ fn = infn∈N Fn. Par l’argument precedentchaque Fn est mesurable comme sup d’une suite de fonctions mesurables. Et alorslim supn→∞ fn est mesurable comme inf d’une suite mesurables. L’argument pourlim infn→∞ fn est semblable et laisse au lecteur. CQFD

7.19 Definition. Soit E un ensemble et soit fn : E → R, n ∈ N une suitede fonctions (reelles). On dit que la suite (fn)n∈N converge simplement vers unefonction f : E → R si

∀x ∈ E : limn→∞

fn(x) = f(x) ,

ce qui veut dire

∀x ∈ E ∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n ≥ N : |fn(x)− f(x)| < ε .

Si la suite (fn)n∈N converge simplement vers la fonction f , on le note commelimn→∞ fn = f (voir aussi [7.15]).

On dit que la suite (fn)n∈N converge uniformement vers f si elle verifie la con-dition

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀x ∈ E ∀n ≥ N : |fn(x)− f(x)| < ε .

On montre que cette condition est equivalente a la condition

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n ≥ N : supx∈E|fn(x)− f(x)| < ε ,

ce qui se resume comme limn→∞

supx∈E|fn(x)− f(x)| = 0.

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60 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

7.20 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit fn : Ω→ R, n ∈ N unesuite de fonctions mesurables convergeant simplement vers une fonction f : Ω→ R.Alors f est mesurable. Si g, h : Ω→ R sont mesurables, alors min(g, h) et max(g, h)sont mesurables.

Preuve. Si f = limn→∞ fn, alors par [7.17] on a l’egalite lim infn→∞ fn = f . Maislim infn→∞ fn est mesurable, donc f l’est. Si on definit la suite de fonctions fn parf0 = g et fn = h pour n > 0, alors min(g, h) = infn∈N fn et max(g, h) = supn∈N fn.

CQFD

→ 7.21 Exercice. Donner une fonction non-continue f : R → R pour laquelle ilexiste un sous-ensemble A ⊂ R tel que les restrictions f |A et f |Ac soient continuessur A respectivement Ac.

→ 7.22 Exercice. Soit I ⊂ R un intervalle ouvert et f : I → R une fonction derivable(en chaque point x ∈ I). Montrer que f et f ′ sont mesurables. (Remarque : le casI = R est plus simple a ecrire qu’un intervalle borne ]a, b [ .)

→ 7.23 Exercice. Soit f : R → R une fonction monotone. Montrer qu’elle estmesurable.

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61

8. Espaces produits

8.1 Notation. Soit Ω et X deux ensembles et soit C ⊂ P(Ω) une collection desous-ensembles de Ω et D ⊂ P(X) une collection de sous-ensembles de X. Ondefinit la collection C××D ⊂ P(Ω×X) par

C××D = C ×D | C ∈ C, D ∈ D .

Autrement dit, C××D est l’ensemble de tous les produits d’un element de C avec unelement de D.

8.2 Nota Bene. Il ne faut pas confondre l’ensemble C××D avec le produit C ×D,car ce dernier est l’ensemble de tous les couples (C,D) avec C ∈ C et D ∈ D.

8.3 Definition. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables. Sur le produitΩ × X on definit la tribu produit , notee F ⊗ G, comme la tribu engendree parF××G :

F ⊗ G = σ(F××G) .

→ 8.4 Lemme. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables. La tribu produit F⊗Gest la plus petite tribu sur Ω×X telle que les projections canoniques πΩ : Ω×X → Ωet πX : Ω×X → X (definies par πΩ(ω, x) = ω et πX(ω, x) = x) sont mesurables.

Preuve de [8.4]. Montrons d’abord que πΩ et πX sont mesurables. Pour cela,prenons F ∈ F . Alors (πΩ)−1(F ) = F × X, ce qui appartient a F××G et donc aF ⊗ G. Ceci montre que πΩ est mesurable. La preuve que πX est mesurable estsimilaire.

Supposons maintenant que H est une tribu sur Ω ×X telle que πΩ et πX sontmesurables. Le calcul precedent montre qu’alors on doit forcement avoir les condi-tions

∀F ∈ F : F ×X ∈ H et ∀G ∈ G : Ω×G ∈ H .

Vu qu’une tribu est stable par intersection (denombrable donc finie) on en deduitque H doit contenir F××G. Et donc par [2.10] on a F ⊗ G ⊂ H, ce qui montre quetoute tribu pour laquelle les projections πΩ et πX sont mesurables doit contenirF ⊗ G. CQFD

8.5 Proposition. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables et supposons queF est engendree par C et que G est engendree par D. On suppose en plus que C et

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62 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

D contiennent une suite (i.e., une famille denombrable) d’elements dont la reunionest l’espace total Ω et X respectivement. Alors la tribu produit F ⊗G est engendreepar C××D :

F = σ(C) et G = σ(D)avec conditions

=⇒ F ⊗ G = σ(C××D) .

Preuve†. Par definition on a F ⊗ G = σ(F××G). Vu qu’on a l’inclusion C××D ⊂F××G, on a aussi l’inclusion σ(C××D) ⊂ σ(F××G) [2.11]. Pour montrer l’inclusiondans l’autre sens, on va montrer qu’on a l’inclusion F××G ⊂ σ(C××D). Vu que ledernier est une tribu et que σ(F××G) est la plus petite tribu contenant F××G, onaura l’autre inclusion σ(F××G) ⊂ σ(C××D) [2.10].

Soit Dn ∈ D, n ∈ N une suite telle que ∪n∈NDn = X. Alors par hypothese on aC ×Dn ∈ σ(C××D) pour tout C ∈ C. Et parce que une tribu est stable par reuniondenombrable on a aussi

C ×X = C ×( ⋃n∈N

Dn

)=⋃n∈N

(C ×Dn) ∈ σ(C××D)

pour tout C ∈ C. On regarde maintenant l’ensemble HΩ defini comme

HΩ = F ∈ F | F ×X ∈ σ(C××D) .

On vient de montrer qu’on a l’inclusion C ⊂ HΩ. Si HΩ est une tribu, alors onaurait F = σ(C) ⊂ HΩ ⊂ F . On en deduit qu’on a F × X ∈ σ(C××D) pour toutF ∈ F .

Pour montrer que HΩ est une tribu, on verifie les conditions. Comme σ(C××D)est une tribu, on a ∅ × X = ∅ ∈ σ(C××D) et donc ∅ ∈ HΩ. Et si on regarde lesegalites( ⋃

n∈NAn

)×X =

⋃n∈N

(An ×X) et (Ω×X) \ (A×X) = (Ω \A)×X ,

on en deduit directement que si An ∈ HΩ alors ∪n∈NAn ∈ HΩ et si A ∈ HΩ, alorsΩ \ A ∈ HΩ, simplement parce que σ(C××D) est une tribu. La conclusion est doncque HΩ est une tribu et que F ×X ∈ σ(C××D) pour tout F ∈ F .

En echangeant les roles de Ω et X et en utilisant qu’il existe une suite Cn ∈ Ctelle que ∪n∈NCn = Ω, on montre de la meme facon qu’on a Ω×G ∈ σ(C××D) pourtout G ∈ G. Et parce qu’une tribu est stable par intersections, il s’ensuit que

F ×G = (F ×X) ∩ (Ω×G)

appartient a σ(C××D) pour tout F ∈ F et tout G ∈ G. Autrement dit, on a montrel’inclusion F××G ⊂ σ(C××D). CQFD

8.6 Remarque pour les curieux. On pourrait esperer que la condition surl’existence de suites d’elements dont la reunion est l’espace total dans [8.5] est super-flue. L’exemple suivant montre qu’un tel espoir est vain. On prend Ω = X = 0, 1

†Cette preuve, plus simple que celle originalement presentee, m’a ete suggere par X. Pollez.

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ESPACES PRODUITS 63

un ensemble a deux elements et on pose C = G =0

, c’est-a-dire que C et Dne contiennent qu’un seul element : le sous-ensemble 0 ⊂ 0, 1. Alors C××Dcontient un seul element : le sous-ensemble (0, 0) = 0 × 0 ⊂ Ω × X. Onverifie que les differentes tribus qu’on peut engendrer sont donnees par

σ(C) = P(0, 1) = σ(D)

σ(C××D) =∅, (0, 0), (0, 1), (1, 0), (1, 1),Ω×X

σ(C××σ(D)) =

∅, (0, 0), (0, 1), (0, 0), (0, 1), (1, 0), (1, 1),(0, 1), (1, 1), (1, 0), (0, 0), (1, 0), (1, 1),Ω×X

σ(σ(C)××σ(D)

)= P(Ω×X) .

On a donc les inclusions strictes

σ(C××D) ⊂ σ(C××σ(D)) ⊂ σ(σ(C)××σ(D)

)ou le premier contient 4 elements, le deuxieme 8 et le troisieme 16. Notons enpassant que σ(C××D) est un cas particulier de l’exemple donne dans [2.3] avec lesous-ensemble A = (0, 0).

8.7 Definition. Soit (Ω, T ) et (X,O) deux espaces topologiques. On munit l’es-pace produit Ω×X d’une topologie S en disant que la collection T ××O est une basepour S. Autrement dit, un sous-ensemble de Ω ×X est ouvert (pour la topologieproduit) s’il s’ecrit comme une reunion (arbitraire) de paves de la forme T ×O avecT ∈ T et O ∈ O.

→ 8.8 Lemme. Soit (Ω, T ) et (X,O) deux espaces topologiques. Si B est une basepour la topologie T et si C est une base pour O, alors B××C est une base pourla topologie produit. En particulier, si Ω et X sont a base denombrable, alors leproduit l’est aussi.

Preuve de [8.8]. CQFD

→ 8.9 Corollaire. La topologie euclidienne sur Rp+q = Rp × Rq est la topologieproduit des topologies euclidiennes sur Rp et Rq respectivement.

Preuve de [8.9]. CQFD

8.10 Lemme. Soit (Ω, T ) et (X,O) deux espaces topologiques et soit (Ω ×X,S)l’espace topologique produit. Alors on a toujours l’inclusion

B(Ω)⊗ B(X) ⊂ B(Ω×X) .

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64 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Si l’un des deux espaces topologiques est a base denombrable, on a egalite entre cesdeux tribus sur l’espace produit.

Preuve. La topologie produit a l’ensemble T ××O comme base ; on a donc l’inclusionT ××O ⊂ S. Mais T et O contiennent trivialement une suite d’elements dont lareunion est l’espace total : une topologie contient deja l’espace total et il suffit deprendre la suite constante. Selon [8.5] on a donc l’egalite

B(Ω)⊗ B(X) ≡ σ(T )⊗ σ(O) ≡ σ(σ(T )××σ(O)

) [8.5]= σ(T ××O) .

Avec l’inclusion T ××O ⊂ S on en deduit l’inclusion annoncee.Supposons maintenant que l’une des deux topologies est a base denombrable,

disons O. Soit B = Bn | n ∈ N une base denombrable pour O. Si P est unensemble ouvert dans le produit Ω×X, alors, par definition de la topologie produit,il existe un ensemble d’indices I et pour chaque i ∈ I des ouverts Ti ∈ T et Oi ∈ Otels que

P =⋃i∈ITi ×Oi .

Mais B est une base pour O et donc chaque Oi est une reunion d’elements de B :il existe Ki ⊂ N tel que

Oi =⋃

n∈KiBn .

On a donc l’egaliteP =

⋃i∈I

⋃n∈Ki

Ti ×Bn .

Si on introduit les ensembles In = i ∈ I | n ∈ Ki, alors il est “evident” qu’on al’egalite

P =⋃n∈N

⋃i∈In

Ti ×Bn =⋃n∈N

( ⋃i∈In

Ti)×Bn .

Mais T est une topologie et donc Un = ∪i∈In

Ti est un ouvert. On a donc l’egalite

P =⋃n∈N

Un ×Bn ,

c’est-a-dire que P est une reunion denombrable d’elements de T ××B. Autrementdit, on a montre l’inclusion

S ⊂ σ(T ××B) .

On a donc les inclusions

B(Ω×X) ≡ σ(S)[2.10]⊂ σ(T ××B) ⊂ σ(T ××O) = B(Ω)⊗ B(X) ,

ou la derniere egalite est montree ci-dessus. CQFD

→ 8.11 Corollaire. Pour tout d, d′ ∈ N∗ la tribu produit des boreliens sur Rd et lesboreliens sur Rd′ est la tribu borelienne sur Rd+d′ :

B(Rd)⊗ B(Rd′) = B(Rd+d′) .

Preuve de [8.11]. CQFD

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ESPACES PRODUITS 65

→ 8.12 Proposition. Soit (Ω,F), (X,G) et (Y,H) trois espaces mesurables et soitϕ : Ω→ X × Y une application. On pose f = πX ϕ : Ω→ X et g = πY ϕ : Ω→Y , de telle sorte qu’on peut ecrire ϕ = (f, g). Alors ϕ est mesurable (pour les tribusF et G⊗H) si et seulement si f et g sont mesurables (F-G et F-H respectivement).

Preuve de [8.12]. Si ϕ est mesurable, alors f et g sont mesurables par [8.4] et[7.10]. Supposons maintenant que f et g sont mesurables. Pour montrer que ϕ estmesurable, il suffit, a cause de [7.5], de montrer que ϕ−1(G × H) ∈ F pour toutG×H ∈ G××H. Mais on a l’egalite

ϕ−1(G×H) = ω | ϕ(ω) ∈ G×H = ω | f(ω) ∈ G et g(ω) ∈ H= f−1(G) ∩ g−1(H) .

Etant donne que f et g sont mesurables, cette intersection appartient a F . CQFD

→ 8.13 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f : Ω→ C une fonction.Alors f est mesurable si et seulement si les fonctions Re(f), Im(f) : Ω → R sontmesurables.

Preuve de [8.13]. CQFD

8.14 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f, g : Ω → R deuxapplications mesurables.

(i) Si l’application f+g : Ω→ R est bien definie (on n’a jamais ∞−∞), alorselle est mesurable.

(ii) L’application f g est mesurable.(iii) Les ensembles ω ∈ Ω | f(ω) = g(ω) et ω ∈ Ω | f(ω) ≤ g(ω) sont

mesurables.

Preuve. Par [8.12] l’application F : Ω → R2 definie par F (ω) = (f(ω), g(ω)) estmesurable.

• (i) Dire que f + g est bien definie est equivalente a dire que l’image de F estcontenue dans l’ensemble de definition R2

Add de l’operation addition dans R [3.12].Sur cet ensemble, l’addition Add : R2

Add → R est continue, donc mesurable [7.12].De plus, on a l’egalite f + g = Add F . Par [7.10] on peut conclure que f + g estmesurable.

• (ii) On definit l’ensemble A ⊂ Ω par

A = f−1(0) ∪ g−1(0) ,

ce qui est mesurable parce que f et g le sont. Par definition du produit prolonge,l’application f g est identiquement nulle sur A, donc mesurable sur A. Pourω ∈ Ac l’image F (ω) appartient au domaine R2

Mult de l’operation multiplicationdans R [3.12]. Comme pour l’addition, on en deduit que f g est mesurable, maiscette fois-ci sur Ac. Par [7.9] f g est donc mesurable sur Ω entier.

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66 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

• (iii) Les ensembles D = (x, y) ∈ R2 | x = y et T = (x, y) ∈ R2 | x ≤ ysont fermes dans R2 donc des boreliens. Vu les egalites

ω ∈ Ω | f(ω) = g(ω) = F−1(D) et ω ∈ Ω | f(ω) ≤ g(ω) = F−1(T ) ,

la conclusion est une consequence immediate du fait que F est mesurable. CQFD

8.15 Remarque sur la preuve de [8.14]. Si f et g sont a valeurs dans R, onpeut deduire [8.14.iii] de [8.14.i/ii] en disant par exemple qu’on a l’egalite

ω ∈ Ω | f(ω) = g(ω) = ω ∈ Ω | f(ω)− g(ω) = 0 ,

ce qui est l’image reciproque de l’ensemble ferme (donc borelien) 0 par l’applica-tion mesurable f − g. Pour des fonctions a valeurs dans R on peut utiliser le memeargument, mais avec precaution. Il faut traiter l’ensemble ou on tombe sur ∞−∞separement avec un autre argument.

8.16 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit K = R ou C. L’ensemblede toutes les fonctions mesurables sur Ω a valeurs dans K est stable pour lesoperations addition, multiplication et multiplication par elements de K. Muni deces operations cet ensemble est un espace vectoriel sur K et un anneau commutatifunitaire.

Preuve. Si f et g sont a valeurs dans R, la condition que f + g est bien definieest automatiquement remplie. Et sur R le produit prolonge se reduit au produitordinaire. La stabilite dans le cas K = R se deduit donc immediatement de [8.14](en interpretant la multiplication par un element de R comme la multiplication parla fonction constante).

Le cas K = C peut etre montre de deux facons. On peut passer par le casR en decomposant une fonction complexe en partie reelle et imaginaire. Si f etg sont mesurables a valeurs dans C = R2, alors par [8.12] Re(f), Im(f), Re(g)et Im(g) sont mesurables a valeurs dans R. Par [8.14] les fonctions Re(f + g) =Re(f)+Re(g), Im(f +g) = Im(f)+Im(g), Re(f ·g) = Re(f) ·Re(g)− Im(f) · Im(g)et Im(f · g) = Re(f) · Im(g) + Im(f) · Re(g) sont mesurables. Et donc par [8.12]f + g et f · g sont mesurables.

On peut aussi imiter directement la preuve de [8.14]. Si f et g sont mesurablesa valeurs dans C, alors l’application F : Ω → C2 definie par F (ω) = (f(ω), g(ω))est mesurable. Les operations d’addition et multiplication sont continues doncmesurables dans C. Et donc f + g = Add F et f · g = Mult F sont mesurables.

La verification des axiomes d’un espace vectoriel et d’un anneau commutatifunitaire est de routine et laissee au lecteur. CQFD

8.17 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f : Ω → R une fonction.Alors les proprietes suivantes sont equivalentes :

(i) f est une fonction etagee ;

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ESPACES PRODUITS 67

(ii) f est mesurable et l’image f(Ω) est un ensemble fini, c’est-a-dire qu’il existec1, . . . , cn ∈ R avec n ∈ N∗ tels que f(Ω) = c1, . . . , cn ;

(iii) il existe n ∈ N∗ et A1, . . . , An ∈ F , c1, . . . , cn ∈ R tels que f =

n∑i=1

ci · 1Ai .

Preuve. • (iii) ⇒ (ii) : Pour ω ∈ Ω la valeur f(ω) =∑ni=1 ci · 1Ai(ω) ne peut

prendre qu’une des 2n valeurs ci1 +· · ·+cik , ou i1, . . . , ik sont definis par la conditioni ∈ i1, . . . , ik ⇔ ω ∈ Ai. Si ω n’appartient a aucun des Ai, k = 0 et f(ω) = 0,une valeur qui est comptee parmi les 2n possibilites. L’image f(Ω) contient doncun nombre fini d’elements. La mesurabilite de f est une consequence immediate de[7.4] et [8.14] ou [8.16].

• (ii) ⇒ (i) : On pose Ai = f−1(ci) qui appartient a F car f est mesurableet que les singletons ci sont des fermes donc des boreliens (de R) [2.20]. Il estevident que les Ai sont disjoints et de reunion Ω, c’est-a-dire qu’ils forment unesubdivision de Ω. Finalement, f est constante ci sur chaque Ai par definition deAi. f est donc une fonction etagee.

• (i) ⇒ (iii) : Soit D = A1, . . . , An une subdivision de Ω adaptee a la fonctionetagee f . Si on pose ci = f〈Ai〉, alors on a l’egalite f =

∑ni=1 ci · 1Ai . CQFD

8.18 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit fn : Ω→ K une suite defonctions mesurables (avec K = R, R ou C). Alors l’ensemble

ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans K

est mesurable.

Preuve. Si K = R, on a par [7.17] l’egalite

ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans R = ω ∈ Ω | lim infn→∞

fn(ω) = lim supn→∞

fn(ω)

et par [7.18] les fonctions lim infn→∞ fn et lim supn→∞ fn sont mesurables. Doncpar [8.14.iii] on a le resultat. Pour K = R on peut ecrire

ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans R =

ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans R \ ω ∈ Ω | lim supn→∞

fn(ω) = ±∞ ,

ce qui est la difference de deux ensembles mesurables. Et finalement pour K = Con peut ecrire

ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans C =

ω ∈ Ω | limn→∞

Refn(ω) existe dans R ∩ ω ∈ Ω | limn→∞

Imfn(ω) existe dans R ,

ce qui est l’intersection de deux ensembles mesurables. CQFD

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68 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

8.19 Remarque. Avec [8.12] on peut donner une autre preuve du fait que lemaximum max(f, g) et le minimum min(f, g) de deux fonctions mesurables f et gsont mesurables dans le cas ou elles sont a valeurs dans R (voir [7.20]). On resoutles equations

max(f, g) + min(f, g) = f + g et max(f, g)−min(f, g) = |f − g|

et on obtient

max(f, g) = 12 (f + g + |f − g| ) et min(f, g) = 1

2 (f + g − |f − g| ) .

Si on definit les fonctions continues m,M : R2 → R et F : Ω→ R2 par

F (ω) = (f(ω), g(ω)) ,m(x, y) = 1

2 (x+ y − |x− y| )M(x, y) = 1

2 (x+ y + |x− y| ) ,

alors on a max(f, g) = M F et min(f, g) = m F . La mesurabilite de ces deuxfonctions se deduit maintenant avec [8.12], [7.10] et [7.12]. Cette demarche nefonctionne pas dans le cas R parce que la soustraction f − g n’est pas (forcement)definie.

8.20 Remarque. On aurait pu montrer les resultats [8.14.i,iii], [8.17], [8.18] et

[8.16] (sauf la partie anneau) deja dans §7, mais avec plus de difficulte qu’ici. Atitre d’exemple on donne ici la preuve que la somme de deux fonctions mesurablesa valeurs dans R est de nouveau mesurable (si elle est bien definie), sans passer parun espace produit comme dans la preuve de [8.14].

Selon [7.7] il suffit de montrer que (f + g)−1( [ − ∞, a [ ) est mesurable pourtout a ∈ R. Pour le faire on va reecrire cet ensemble sous une forme qui estmanifestement mesurable. Cette reecriture est basee sur l’equivalence

∀x, y, a ∈ R tels que x+ y soit defini :

x+ y < a ⇐⇒ ∃q, r ∈ Q : x < q , y < r , q + r < a .

L’implication reciproque etant evidente, il suffit de montrer l’implication directe.Si x+ y et a appartiennent a R, auquel cas x, y ∈ R, on pose ε = a− (x+ y) et oninvoque le fait que Q est dense dans R pour obtenir q, r ∈ Q tels que

x < q < x+ 12 ε et y < r < y + 1

2 ε .

On aura donc l’inegaliteq + r < x+ y + ε = a

comme voulu.Si a = ∞, on ne peut pas avoir x = ∞, ni y = ∞. Il existe donc q, r ∈ Q tels

que x < q et y < r. Et on a certainement q + r <∞ = a.Si x+ y = −∞ et a ∈ R, on a x = −∞ ou (inclusif!) y = −∞. Si on a x = −∞,

on choisit r ∈ Q tel que y < r et ensuite on choisit q ∈ Q tel que q < a − r.

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ESPACES PRODUITS 69

Et on aura x < q, y < r et q + r < a comme voulu. Si x ∈ R, on a forcementy = −∞, auquel cas on choisit q ∈ Q tel que x < q et ensuite on choisit r ∈ Q telque r < a− q. Et on aura de nouveau x < q, y < r et q + r < a comme voulu.

Ceci finit la preuve de l’equivalence, car on ne peut pas avoir x + y = ∞, nia = −∞.

Si on applique cette equivalence a x = f(ω) et y = g(ω) pour ω ∈ Ω (pourlesquels x+ y est defini par hypothese), on obtient l’equivalence

∀ω ∈ Ω :[

(f + g)(ω) < a ⇐⇒ ∃q, r ∈ Q, q + r < a : f(ω) < q et g(ω) < r].

Ceci se reecrit comme l’egalite

(f + g)−1( [ −∞, a [ ) =⋃

q,r∈Q,q+r<a

(f−1( [ −∞, q [ ) ∩ g−1( [ −∞, r [ )

).

L’ensemble S = (q, r) ∈ Q2 | q+r < a est denombrable comme sous-ensemble deQ2 qui est denombrable. La reunion ∪q,r∈Q,q+r<a est donc une reunion denombra-ble. En plus, les ensembles f−1( [ −∞, q [ ) et g−1( [ −∞, r [ ) sont mesurables carf et g le sont, donc leur reunion l’est aussi. Il s’ensuit, par definition d’une tribu,que (f + g)−1( [ −∞, a [ ) est mesurable comme reunion denombrable d’ensemblesmesurables. CQFD

→ 8.21 Exercice. Montrer [8.14.iii] sans utiliser un espace produit.

→ 8.22 Exercice. Soit (Ω,F) un espace mesurable. Montrer que la collection Hdefinie comme

H = ⋃n∈Nn × Fn | ∀n ∈ N : Fn ∈ F

est une tribu sur N× Ω. Montrer que c’est la tribu produit P(N)⊗F .Soit (X,G) un espace mesurable et f : N × Ω → X une application. Montrer

que f est mesurable (pour la tribu P(N) ⊗ F sur N × Ω) si et seulement si pourtout n ∈ N l’application fn : Ω→ X definie comme fn(ω) = f(n, ω) est mesurable(voir aussi [13.3] et [13.4]).

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70

9. Le theoreme de convergence monotone

9.1 Theoreme (de convergence monotone de Beppo Levi). Soit (Ω,F , µ)un espace mesure et soit fn : Ω → R+, n ∈ N une suite croissante de fonctionsmesurables positives. Alors la limite (simple) f = lim

n→∞fn : Ω→ R+ est mesurable

et on a l’egalite

limn→∞

∫Ω

fn dµ =

∫Ω

f dµ .

Preuve. Par [7.18] ou [7.20] on sait deja que f = limn→∞ fn = supn∈N fn estmesurable. De la croissance de la suite fn et [6.5.ii] on deduit la croissance de lasuite

∫Ωfn dµ. Par [3.7] il existe donc L ∈ R tel que

(9.2) L = limn→∞

∫Ω

fn dµ = supn∈N

∫Ω

fn dµ .

On a aussi l’inegalite fn ≤ f pour tout n, donc∫

Ωfn dµ ≤

∫Ωf dµ, ce qui implique

l’inegalite

L ≤∫

Ω

f dµ .

Il nous reste donc a montrer∫

Ωf dµ ≤ L pour terminer la preuve. Pour cela on

utilise la definition de l’integrale et l’equivalence supA ≤ L ⇔ ∀a ∈ A : a ≤ L, cequi nous permet de dire que cette inegalite est equivalente a l’enonce

h : Ω→ R+ etagee et h ≤ f =⇒∫

Ω

h dµ ≤ L .

La premiere idee pour montrer cette implication est de supposer qu’il existe n ∈ Ntel que h ≤ fn, au quel cas l’egalite L = supn∈N

∫Ωfn dµ nous donne directement

le resultat voulu. Malheureusement un tel n n’existe pas en general.La deuxieme idee pour montrer cette implication, et c’est cette idee qu’on va

employer, est qu’on va fixer une fonction etagee h verifiant h ≤ f et qu’on vamontrer l’inegalite p ·

∫Ωf dµ ≤ L pour tout p ∈ ]0, 1[ . Le passage a la limite a

gauche p ↑ 1 nous donne alors l’inegalite voulue, ce qui terminera la preuve.De nouveau, s’il existait n ∈ N tel que p · h ≤ fn, alors on aurait directement

l’inegalite voulue. Mais comme avant, un tel n n’existe pas en general. Par contre,comme on va voir, pour tout ω ∈ Ω il existe n ∈ N tel que p · h(ω) ≤ fn(ω). Ladependance de ce n de ω complique l’argument un peu, mais on peut quand memeconclure.

Prenons donc p ∈ ]0, 1[ et posons

En = ω ∈ Ω | p · h(ω) ≤ fn(ω) ,

ce qui est un ensemble mesurable par [8.14.ii/iii]. Vu l’inegalite fn ≤ fn+1 il estevident qu’on a l’inclusion En ⊂ En+1. Mais on a aussi l’egalite ∪n∈NEn = Ω.

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LE THEOREME DE CONVERGENCE MONOTONE 71

Pour le voir, on prend ω ∈ Ω et on distingue les deux cas : h(ω) = 0 et h(ω) > 0 (hest positive). Dans le premier cas on a ω ∈ En pour tout n ∈ N parce que fn estpositive, et donc ω ∈ ∪n∈NEn. Dans le deuxieme cas on a les inegalites

p · h(ω) < h(ω) ≤ f(ω) ,

parce que 0 < p < 1 et h(ω) > 0. Mais fn(ω) est une suite croissante aveclimite f(ω) et donc il existe no ∈ N tel que fno(ω) > p · h(ω). Et alors on aω ∈ Eno ⊂ ∪n∈NEn. La conclusion est donc que tout ω ∈ Ω appartient a ∪n∈NEn,ce qui montre l’egalite Ω = ∪n∈NEn.

La definition de En dit qu’on a l’inegalite p · h ≤ fn sur En, ce qui nous permetd’ecrire les (in)egalites

p ·∫En

h dµ[6.5.iii]

=

∫En

p · h dµ[6.5.ii]

≤∫En

fn dµ[6.5.v]

≤∫

Ω

fn dµ(9.2)

≤ L .

On ne garde que les extremites, ce qui nous donne :

∀n ∈ N : p ·∫En

h dµ ≤ L .

Par [6.5.v] la suite∫Enh dµ est croissante, elle admet donc une limite qui verifie

elle aussi l’inegalite

p · limn→∞

∫En

h dµ ≤ L .

(Attention : meme dans R on a l’implication a ≤ b ∈ R et p ∈ ]0,∞ [ ⇒ pa ≤ pb.)Pour en deduire p ·

∫Ωh dµ ≤ L on choisit une subdivision D de Ω adaptee a la

fonction etagee h, ce qui nous permet d’ecrire∫Ω

h dµ[6.5.i]

= A(µ, h) =∑A∈D

h〈A〉 µ(A)[4.10.iii]

=∑A∈D

h〈A〉 limn→∞

µ(A ∩ En)

= limn→∞

∑A∈D

h〈A〉 µ(A ∩ En)[5.11]= lim

n→∞A(µ,1En · h)

[6.5.i],[6.1]= lim

n→∞

∫En

h dµ ,

ou la quatrieme egalite demande un peu d’attention : c’est une somme finie, doncon a le droit d’echanger limite et somme, mais il ne faut pas oublier de verifierqu’on a le droit d’echanger limite et produit prolonge (ce qui est le cas).

Avec ce calcul on a termine la preuve : pour une fonction etagee positive hverifiant h ≤ f et un p ∈ ]0, 1[ on a montre l’inegalite p ·

∫Ωh dµ ≤ L, donc en

prenant la limite p ↑ 1 on a l’inegalite∫

Ωh dµ ≤ L, et donc, en prenant le sup

sur tous les h, on obtient l’inegalite∫

Ωf dµ ≤ L. Vu qu’on avait deja l’inegalite

L ≤∫

Ωf dµ, on a egalite. CQFD

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72 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

9.3 Remarque pour les curieux. Si on regarde de plus pres la preuve dutheoreme de convergence monotone, on s’apercoit que la derniere partie est (presque)la preuve que l’application

F → R+ , E 7→∫E

h dµ

est une mesure sur F . On n’a pas mis en evidence ce fait, car on verra plus loin [20.1]que ce resultat reste valable pour une fonction h mesurable positive quelconque,non-seulement pour une fonction etagee positive. Mais, comme on peut le deviner,pour montrer ce resultat plus general on a besoin du theoreme de convergencemonotone.

9.4 Exemple. Il est facile de construire des exemples de suites de fonctions positi-ves non-croissantes pour lesquelles on ne peut pas intervertir limite et integrale, cequi montre que l’hypothese de croissance dans le theoreme de convergence monotonen’est pas superflue. Regardons par exemple l’espace Ω = N muni de la tribu totaleF = P(N) et la mesure de comptage µ = CN. Sur N on considere la suite defonctions etagees hn : N→ R+ definie par

hn =1

n+ 1· 10,...,n .

Il est evident qu’on a∫Nhn dCN = 1

n+1 · CN(0, . . . , n) = 1 et que limn→∞

hn = 0.On a donc

limn→∞

∫N

hn dCN = 1 et

∫N

limn→∞

hn dCN = 0 .

Dans cet exemple on n’a donc pas le droit d’intervertir limite et integrale. Notonsen passant que la convergence limn→∞ hn = 0 est uniforme, ce qui montre quela convergence uniforme n’est pas non plus une condition suffisante pour pouvoirintervertir limite et integrale (mais voir [11.14] et [18.30]).

9.5 Exemple. Pour montrer que la condition de mesurabilite n’est pas non plus su-perflue, on reprend [6.8] avec l’ensemble Ω = N muni de la tribu F = ∅, 0,N∗,Net la mesure µ definie par µ(0) = µ(N∗) = 1. Sur N on considere la suite defonctions fn : N→ R+ definies par

fn(k) =( n

n+ 1

)k.

Il est immediat que c’est une suite croissante de fonctions positives et on montrefacilement qu’on a les limites

∀n ∈ N : limk→∞

fn(k) = 0 et ∀k ∈ N : limn→∞

fn(k) = 1 .

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LE THEOREME DE CONVERGENCE MONOTONE 73

A cause de la premiere limite (comme dans [6.8]), il n’y a qu’une seule fonctionetagee positive en-dessous chaque fn : la fonction nulle. On a donc

∀n ∈ N :

∫N

fn dµ = 0 et donc limn→∞

∫N

fn dµ = 0 .

Mais la deuxieme limite nous dit que limn→∞

fn est la fonction constante 1, qui estetagee. Il s’ensuit qu’on a l’egalite∫

N

limn→∞

fn dµ =

∫N

1 dµ = µ(N) = 2 .

Pour montrer que ceci ne consitue pas un contre-exemple pour [9.1], il suffit demontrer que les fonctions fn ne sont pas mesurables (les autres conditions sontvraies). Cela decoule de l’egalite

∀n ∈ N∗ : f−1n

(]−∞, 1

2 [)

=k ∈ N | k > ln 2

ln(n+1n )

.

Etant donne qu’on a 0 < ln(n + 1)/ ln(n) ≤ ln 2 pour tout n ∈ N∗, il s’ensuit quef−1n

(]−∞, 1

2 [)

n’appartient pas a la tribu F pour aucun n ∈ N∗.

9.6 Remarque. Le theoreme de convergence monotone [9.1] nous dit que, souscertaines conditions, on peut intervertir limite et integrale, la condition etant quela suite doit etre positive et croissante. Notons tout de suite que ce theoreme n’estpas le theoreme qu’on utilise dans la pratique de tous les jours pour intervertirlimite et integrale, car dans la pratique on a beaucoup plus souvent des suites defonctions non-positives et/ou non-croissantes. Pour ces cas le theoreme de conver-gence monotone ne s’applique pas. Le theoreme pour intervertir limite et integraleavec la condition de convergence uniforme, connu de l’integrale de Riemann, n’estpas tres pratique non plus car, soit la convergence uniforme est difficile a etablir,soit on n’a pas de convergence uniforme, soit la convergence uniforme n’est pas suff-isante (voir [9.4]). Le theoreme qu’on utilise principalement pour intervertir limiteet integrale est le theoreme de convergence dominee qu’on montrera plus tard ; cetheoreme est a la fois plus general que le theoreme avec la convergence uniforme etplus facile a appliquer car les conditions sont plus faciles a verifier. Si l’interet dutheoreme de convergence monotone n’est pas tres grand dans la pratique de tous lesjours, c’est quand meme un outil essentiel dans le developpement de la theorie del’integration comme on verra dans la suite, surtout en combinaison avec le theoremed’approximation [9.7].

9.7 Theoreme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et f : Ω → R+ une fonctionmesurable positive. Alors il existe une suite croissante de fonctions etagees positiveshn : Ω→ R+, n ∈ N qui converge simplement vers f : ∀ω ∈ Ω : lim

n→∞hn(ω) = f(ω).

Si f est majoree, alors la convergence est uniforme.

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74 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. Pour tout k, n ∈ N on pose

An,k = f−1( [ k

2n,k + 1

2n

[ )et Bn = f−1( [n,∞ ]) .

Ces ensembles appartiennent a F parce que [n,∞ ] et [ k2n ,

k+12n [ appartiennent a

B(R+) et parce que f est mesurable. Il est facile de voir qu’on a pour tout n ∈ Nl’egalite

Ω = Bn ∪n2n−1⋃k=0

An,k

et qu’a droite on a une reunion disjointe. Pour tout n ∈ N on definit maintenantla fonction hn par

hn = n · 1Bn +

n2n−1∑k=0

k

2n· 1An,k ,

qui est une fonction etagee par [8.17.iii].

: f(x) , : h3(x): f(x) , : h2(x): f(x) , : h1(x)0,0

1,0

2,0

3,0

Vu que [ k2n ,

k+12n [ = [ 2k

2n+1 ,2k+12n+1 [ ∪ [ 2k+1

2n+1 ,2k+22n+1 [ , il est immediat que An,k =

An+1,2k ∪An+1,2k+1 en tant que reunion disjointe et donc que

k

2n· 1An,k =

2k

2n+1· 1An+1,2k

+2k

2n+1· 1An+1,2k+1

≤ 2k

2n+1· 1An+1,2k

+2k + 1

2n+1· 1An+1,2k+1

.

Il s’ensuit que

n2n−1∑k=0

k

2n· 1An,k ≤

n2n−1∑k=0

(2k

2n+1· 1An+1,2k

+2k + 1

2n+1· 1An+1,2k+1

)

=n2n+1−1∑`=0

`

2n+1· 1An+1,`

.(9.8)

D’autre part, on verifie aisement qu’on a l’egalite

Bn = Bn+1 ∪(n+1)2n+1−1⋃`=n2n+1

An+1,`

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LE THEOREME DE CONVERGENCE MONOTONE 75

et qu’a droite on a une reunion disjointe. On peut donc faire le calcul

n · 1Bn = n · 1Bn+1 +

(n+1)2n+1−1∑`=n2n+1

n · 1An+1,`

≤ (n+ 1) · 1Bn+1 +

(n+1)2n+1−1∑`=n2n+1

`

2n+1· 1An+1,`

.(9.9)

Si on combine (9.8) et (9.9) on obtient l’inegalite hn ≤ hn+1, ce qui montre que lasuite est croissante.

Pour montrer que la limite est f , prenons ω ∈ Ω. Si f(ω) =∞, alors pour toutn ∈ N on a ω ∈ Bn et donc hn(ω) = n. Il s’ensuit qu’on a limn→∞ hn(ω) = f(ω).Si f(ω) 6= ∞, alors il existe N ∈ N tel que f(ω) < N . Fixons maintenant n ≥ N .Parce que la reunion Bn ∪ ∪kAn,k est disjointe, il existe un unique k ∈ N tel que

ω ∈ An,k, c’est-a-dire k2n ≤ f(ω) < k+1

2n . Vu que f(ω) < N ≤ n (ce qui montre aussi

ω /∈ Bn), il s’ensuit que k < n2n. Donc hn(ω) = k2n et hn(ω) ≤ f(ω) < hn(ω)+2−n.

Ceci etant vrai pour tout n ≥ N , on en deduit que limn→∞ hn(ω) = f(ω).

Si f est majoree, il existe N ∈ N tel que ∀ω ∈ Ω : f(ω) < N . Il s’ensuit quepour tout n ≥ N et tout ω ∈ Ω on a 0 ≤ f(ω) − hn(ω) < 2−n, ce qui montre quela convergence est uniforme. CQFD

→ 9.10 Exercice. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f : Ω→ R+ une fonctionpositive. Montrer que f est mesurable si et seulement s’il existe une suite defonctions etagees positives hn : Ω → R+ (pas forcement croissante) telle qu’on aitlimn→∞

hn = f .

9.11 Remarque. Quand on compare l’integrale de Riemann avec l’integrale deLebesgue, on dit souvent que l’integrale de Riemannn coupe l’axe des x en morceauxtandis que celle de Lebesgue le fait pour l’axe des y. Ceci n’est qu’a moitie vrai.Ce n’est pas dans la definition de l’integrale qu’on coupe l’axe des y en morceaux,mais dans la facon dont on calcule l’integrale comme une limite d’integrales defonctions etagees. Si f : [a, b ] → [0,∞ ] est une fonction mesurable, on calculeson integrale dans la theorie de Lebesgue en utilisant le theoreme de convergencemonotone et le theoreme d’approximation ou on coupe l’axe des y aux points k/N(pour un certain N ∈ N) ce qui nous donne les ensembles Ak ⊂ [a, b ] definiscomme Ak = f−1( [ kN ,

k+1N [ ). Et on associe a ces ensembles la fonction etagee hL en

prenant la valeur k/N sur Ak (en s’arretant a un certain moment pour n’avoir qu’unnombre fini d’etages). Dans la theorie de Riemann on coupe l’axe des x directementen morceaux en prenant les ensembles Bk = [a+ k(b− a)/n, a+ (k + 1)(b− a)/n ](0 ≤ k < n) et on associe a ces ensembles la fonction etagee hR en prenant lavaleur infx∈Bk f(x) sur Bk. Dans le dessin ci-dessous on voit ce que ces deuxapproches — Riemann et Lebesgue — donnent comme fonction etagee qui sertdans l’approximation de l’integrale (de f sur [a, b ]).

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76 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

: Lebesgue 1N = 0,25: Riemann b−a

n = 0,25

: f(x)

0,0

1,0

2,0

3,0

Henri Lebesgue, dans un expose en 1926 [Leb], decrivit la difference entre sonapproche et l’approche de Riemann comme suit :

On peut dire encore que, avec le procede de Riemann, on essayait de som-mer les indivisibles en les prenant dans l’ordre ou ils etaient fournis par lavariation de x, on operait donc comme le ferait un commercant sans methodequi compterait pieces et billets au hasard de l’ordre ou ils lui tomberaient sousla main ; tandis que nous operons comme le commercant methodique qui dit :J’ai m1 pieces de 1 couronne, valant 1 ·m1. J’ai m2 pieces de 2 couronnes,valant 2 ·m2. J’ai m3 pieces de 5 couronnes, valant 5 ·m3. Et cætera. J’aidonc en tout S = 1 ·m1 + 2 ·m2 + 5 ·m3 + · · · . Les deux procedes conduiront,certes, le commercant au meme resultat parce que, si riche qu’il soit, il n’aqu’un nombre fini de billets a compter ; mais pour nous, qui avons a addition-ner une infinite d’indivisibles, la difference entre les deux facons de faire estcapitale.

9.12 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f, g : Ω → R+ deuxfonctions positives mesurables. Alors on a l’egalite∫

Ω

(f + g) dµ =

∫Ω

f dµ+

∫Ω

g dµ .

Preuve. On applique [9.7] pour obtenir deux suites croissantes de fonctions etageesfn et gn telles que limn→∞ fn = f et limn→∞ gn = g. Alors la suite hn = fn + gnest aussi une suite croissante de fonctions etagees et elle verifie lim

n→∞hn = f + g.

Et on fait le calcul∫Ω

(f + g) dµ[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

(fn + gn) dµ

[5.9.iv], [6.5.i]= lim

n→∞

(∫Ω

fn dµ+

∫Ω

gn dµ)

= limn→∞

∫Ω

fn dµ+ limn→∞

∫Ω

gn dµ

[9.1]=

∫Ω

f dµ+

∫Ω

g dµ ,

ou il faut remarquer que le resultat limn→∞

(an + bn) = limn→∞

an + limn→∞

bn reste va-lable dans R+. CQFD

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LE THEOREME DE CONVERGENCE MONOTONE 77

→ 9.13 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit fn : Ω → R+, n ∈ Nune suite de fonctions mesurables positives. Alors on a l’egalite∫

Ω

∑n∈N

fn dµ =∑n∈N

∫Ω

fn dµ .

Preuve de [9.13]. Pour tout n ∈ N on pose gn =∑ni=0 fi. Alors (gn)n∈N est une

suite croissante de fonctions mesurables positives avec limn→∞

gn =∑i∈N fi. Avec

[9.1] et [9.12] on peut donc faire le calcul∫Ω

∑i∈N

fi dµ[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

gn dµ = limn→∞

∫Ω

n∑i=0

fi dµ

[9.12]= lim

n→∞

n∑i=0

∫Ω

fi dµ =∑i∈N

∫Ω

fi dµ . CQFD

9.14 L’inegalite de Markov-Chebyshev. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, f :Ω→ R+ une fonction mesurable positive et t ∈ ]0,∞ [ un reel strictement positif.Si on pose Et = ω ∈ Ω | f(ω) ≥ t, alors Et est mesurable et on a l’inegalite

µ(Et) ≤1

t·∫

Ω

f dµ .

Preuve. Par definition de Et on a l’inegalite t ·1Et ≤ f , car si ω ∈ Et on a t ≤ f(ω)et si ω /∈ Et, alors (t · 1Et)(ω) = 0. On a donc

t · µ(Et) = t ·∫

Ω

1Et dµ[6.5.iii]

=

∫Ω

t · 1Et dµ[6.5.ii]

≤∫

Ω

f dµ . CQFD

9.15 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et f : Ω → R+ une fonctionmesurable positive.

(i) Si∫

Ωf dµ <∞, alors f est µ-presque partout finie.

(ii)∫

Ωf dµ = 0 si et seulement si f

µ-pp= 0.

Preuve. • Si on pose An = ω ∈ Ω | f(ω) ≥ n, alors la suite (An)n∈N∗ estdecroissante et par [9.14] on a

µ(An) ≤ 1

n·∫

Ω

f dµ .

Par hypothese µ(A1) ≤∫

Ωf dµ <∞, donc on peut appliquer [4.14] pour conclure

µ(⋂

n∈N∗An) = lim

n→∞µ(An) ≤ lim

n→∞

1

n·∫

Ω

f dµ = 0 .

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78 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Mais ω ∈ ∩n∈N∗An si et seulement si ∀n ∈ N∗ : f(ω) ≥ n, c’est-a-dire f(ω) = ∞.La conclusion en decoule immediatement.

On arrive a la meme conclusion si on pose A = ω ∈ Ω | f(ω) =∞. Avec ce Aon constate qu’on a l’inclusion A ⊂ An pour tout n ∈ N∗, donc, par la croissanced’une mesure, les inegalites

0 ≤ µ(A) ≤ µ(An) ≤ 1

n·∫

Ω

f dµ .

Par le theoreme des gendarmes on en deduit µ(A) = 0 comme voulu.

• Si on a fµ-pp= 0, alors par [6.6] on a

∫Ωf dµ =

∫Ω

0 dµ = 0. Si on poseAn = ω ∈ Ω | f(ω) ≥ 1/n, alors la suite (An)n∈N∗ est croissante et on aura (par[4.10.iii] et [9.14])

µ(⋃

n∈N∗An) = lim

n→∞µ(An) ≤ lim

n→∞n ·∫

Ω

f dµ = 0 .

Mais ω ∈ ∪n∈N∗An si et seulement si ∃n ∈ N∗ : f(ω) ≥ 1/n, c’est-a-dire f(ω) > 0.La conclusion en decoule immediatement. CQFD

9.16 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, α ∈ R+ un nombre positif (ouinfini) et f : Ω→ R+ une fonction mesurable positive. Alors on a l’egalite∫

Ω

α f dµ = α

∫Ω

f dµ .

Preuve. Pour 0 < α < ∞ ceci est [6.5.iii], car dans ce cas le produit prolongecoıncide avec le produit ordinaire. Pour α = 0, c’est [6.5.iv], mais ici le produitprolonge s’impose car

∫Ωf dµ et f peuvent prendre la valeur ∞. Reste donc le cas

α =∞. On note d’abord que la fonction ∞ f est donnee par

(∞ f)(ω) =∞ si f(ω) > 0, (∞ f)(ω) = 0 si f(ω) = 0.

Si on note E = ω ∈ Ω | f(ω) > 0, alors on obtient le resultat ∞ f = ∞ 1E .La mesurabilite de f implique que E est mesurable et la combinaison de [4.22] et[9.15.ii] nous donne l’equivalence∫

Ω

f dµ = 0 ⇐⇒ µ(E) = 0 .

Mais on a aussi ∫Ω

∞ f dµ =

∫Ω

1E ∞ dµ =

∫E

∞ dµ .

En combinant ces resultats avec [6.5.vi] on en deduit que si∫

Ωf dµ = 0, alors∫

Ω∞ f dµ = 0. Il s’ensuit qu’on a ∞

∫Ωf dµ =

∫Ω∞ f dµ = 0.

Si∫

Ωf dµ > 0, on en deduit que µ(E) > 0, ce qui veut dire que ∞ 1E n’est

pas presque partout finie. Avec [9.15.i] on en deduit que∫

Ω∞ 1E dµ =∞ et donc

∞∫

Ωf dµ =

∫Ω∞ 1E dµ =∞. CQFD

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LE THEOREME DE CONVERGENCE MONOTONE 79

→ 9.17 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit fn : Ω → R+, n ∈ N unesuite decroissante de fonctions mesurables positives. Montrer l’implication

∃N ∈ N :

∫Ω

fN dµ <∞ =⇒ limn→∞

∫Ω

fn dµ =

∫Ω

limn→∞

fn dµ .

Donner une suite decroissante de fonctions mesurables positives pour laquelle onne peut pas intervertir limite et integrale.

→ 9.18 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f : Ω → R+ une fonctionpositive µ-integrable. Pour tout t ∈ ]0,∞ [ on definit Et = ω ∈ Ω | f(ω) ≥ t.Montrer qu’on a l’egalite

limt→∞

t · µ(Et) = 0 .

Indication : utiliser l’inegalite (a justifier) t · 1Et ≤ f · 1Et .

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80

10. L’integrale de fonctions reelles ou complexes

10.1 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f : Ω→ R une fonction.On lui associe deux fonctions positives f+ et f− definies comme

f+ = max(f, 0) et f− = max(−f, 0) = −min(f, 0) .

Alors on a f = f+ − f−, une soustraction qui est bien definie car on n’a jamais∞ −∞. On dit que f est integrable sur E ∈ F (ou µ-integrable si on doit etreplus precis, ou integrable par rapport a la mesure µ) si f est mesurable et si lesdeux integrales

∫Ef+ dµ et

∫Ef− dµ sont finies. Dans le cas E = Ω on omet le

qualificatif “sur Ω” et on dit simplement que f est integrable.Avec la notion de µ-integrabilite, on etend la notion d’integrale a des fonctions

µ-integrables en definissant l’integrale de f sur E ∈ F par rapport a la mesure µ,note

∫Ef dµ, comme∫

E

f dµ =

∫E

(f+ − f−

)dµ

def=

∫E

f+ dµ−∫E

f− dµ .

La condition d’etre integrable assure que cette difference est bien definie et appar-tient a R. De plus c’est bien un extension de l’integrale car si f est deja positive, ona f+ = f et f− = 0 et la nouvelle definition de

∫Ef dµ coıncide avec la definition

anterieure de l’integrale pour des fonctions positives.Si f : Ω→ C est une fonction a valeurs complexes, on dit qu’elle est µ-integrable

sur E ∈ F si ses parties reelle et imaginaire sont µ-integrables sur E. Comme pourles fonctions reelles on dit simplement que f est integrable au cas ou E = Ω.

Si f : Ω → C est une fonction complexe µ-integrable sur E ∈ F , on definit sonintegrale par rapport a la mesure µ, toujours notee

∫Ef dµ, en separant les parties

reelle et imaginaire :∫E

f dµ =

∫E

(Re(f) + i · Im(f)

)dµ

def=(∫

E

Re(f) dµ)

+ i ·(∫

E

Im(f) dµ).

10.2 Nota Bene. La definition de µ-integrabilite incorpore la condition d’etremesurable. Il n’est donc pas necessaire de parler de fonctions mesurables et µ-in-tegrables, il suffit de parler de fonctions µ-integrables, ce qui veut dire la memechose.

10.3 Une reformulation des criteres. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soitE ∈ F un ensemble mesurable et soit f : Ω → K avec K = R ou C une fonctionmesurable.

(i) f est integrable sur Ω si et seulement si∫

Ω|f | dµ <∞.

(ii) f est integrable sur E si et seulement si 1E f est integrable sur Ω. Si c’estle cas on a l’egalite

∫Ef dµ =

∫Ω

1E f dµ.

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS REELLES OU COMPLEXES 81

Preuve. • Dans le cas K = R on a les (in)egalites f± ≤ |f | = f+ + f−, donc∫Ω

f± dµ[6.5.ii]

≤∫

Ω

|f | dµ[9.12]=

∫Ω

f+ dµ+

∫Ω

f− dµ .

Il s’ensuit que si f est integrable, alors∫

Ω|f | dµ < ∞ et si

∫Ω|f | dµ < ∞ alors∫

Ωf± dµ <∞, ce qui veut dire que f est integrable.Dans le cas K = C on a les inegalites |Ref |, |Imf | ≤ |f | ≤ |Ref |+ |Imf |, donc∫

Ω

|Ref |, |Imf | dµ ≤∫

Ω

|f | dµ ≤∫

Ω

|Ref | dµ+

∫Ω

|Imf | dµ .

Avec le cas K = R on en deduit que si Ref et Imf sont integrables, alors∫

Ω|f | dµ <

∞ et si∫

Ω|f | dµ < ∞, alors

∫Ω|Ref | dµ,

∫Ω|Imf | dµ < ∞ ce qui veut dire que

Ref et Imf sont integrables.• On considere d’abord le cas K = R. Une fonction f est integrable sur E si et

seulement si∫Ef+ dµ et

∫E

dµ sont finies, ce qui est le cas selon [6.1] si et seulement

si∫

Ω1E f+ dµ et

∫Ω

1E f− dµ sont finies. Mais |1E f | = 1E f+ + 1E f−, doncpar la partie (i) f est integrable sur E si et seulement si 1E f est integrable sur Ω.

Pour le cas K = C il suffit de remarquer qu’on a l’egalite Re(1E f) = 1E Re(f)et Im(1E f) = 1E Im(f) et d’appliquer le resultat valable pour des fonctions avaleurs dans R ⊂ R. CQFD

10.4 Remarque. On peut reformuler [10.3.i] en disant que f est integrable si etseulement si |f | est integrable, mais cette facon de dire les choses est presque sansinteret.

10.5 Remarque pour les curieux. La definition d’une fonction integrable (avaleurs dans R) exige que les deux integrales

∫Ωf± dµ soient finies. Mais pour que

la difference ∫Ω

f+ dµ−∫

Ω

f− dµ

ait un sens, il suffit que l’une des deux integrales soit finie. Il est donc possibled’elargir la classe des fonction integrables. On ne le fait pas car on y gagne beaucoupmoins qu’on n’y perd : avec notre definition plus restrictive la somme de deuxfonctions integrables est encore integrable tandis que pour la definition elargie onne peut plus l’affirmer (et on peut facilement construire des contre-exemples).

10.6 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit E ⊂ Ω un ensemble mesurableet soit f : Ω → K avec K = R ou C une fonction mesurable. Alors f est µ-inte-grable sur E si et seulement si f |E est µ|FE -integrable sur E ; si c’est le cas, on al’egalite ∫

E

f dµ =

∫E

f |E dµ|FE .

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82 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

10.7 Remarque. Ce resultat est l’equivalent pour les fonctions integrables de [6.3],valable pour les fonctions positives. Les remarques [6.2] et [6.4] restent valables.

Preuve. Si on epluche la condition pour que f soit µ-integrable sur E, on trouveque c’est le cas si et seulement si les quatre (deux dans le cas K = R) conditions∫

E

Re(f)+ dµ <∞ ,

∫E

Re(f)− dµ <∞ ,∫E

Im(f)+ dµ <∞ ,

∫E

Im(f)− dµ <∞

sont verifiees. Selon [6.3] ces conditions sont equivalentes aux conditions∫E

Re(f)+|E dµ|FE <∞ ,

∫E

Re(f)−|E dµ|FE <∞ ,∫E

Im(f)+|E dµ|FE <∞ ,

∫E

Im(f)−|E dµ|FE <∞ .

Par definition ces conditions disent que f |E est µ|FE -integrable. CQFD

10.8 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit E ⊂ Ω un ensemble mesurableet soit f, g : Ω→ K deux fonctions mesurables avec K = R ou C.

(i) Si f est integrable, si fµ-pp= g, alors g est integrable et

∫Ωf dµ =

∫Ωg dµ.

(ii) Si f est integrable, alors f est µ-presque partout finie.

(iii) Si g est integrable et si |f |µ-pp

≤ |g|, alors f est integrable.(iv) Si f est integrable, on a l’inegalite |

∫Ωf dµ| ≤

∫Ω|f | dµ.

(v) Si K = R, si f et g sont integrables et si fµ-pp

≤ g, alors∫

Ωf dµ ≤

∫Ωg dµ.

Preuve. • (i) : Traitons d’abord le cas K = R. Si fµ-pp= g, alors f±

µ-pp= g± donc

par [6.6]∫

Ωg± dµ =

∫Ωf± dµ < ∞. Donc g est integrable et

∫Ωg dµ =

∫Ωf dµ.

Dans le cas K = C on a l’implication fµ-pp= g ⇒ Ref

µ-pp= Reg et Imf

µ-pp= Img et

donc par l’argument precedent g est integrable avec la meme integrale que f .• (ii) : Si f est integrable, alors

∫Ω|f | dµ < ∞ et donc par [9.15.i] |f | est µ-

presque partout finie. Mais f est finie si et seulement si |f | est finie.• (iii) : Soit A = ω ∈ Ω | |f(ω)| ≤ |g(ω)| , alors µ(Ac) = 0 et donc

|f | µ-pp= |f | 1A ≤ |g| 1A

µ-pp= |g| .

Avec [6.6] et [6.5.ii] on en deduit l’inegalite∫Ω

|f | dµ ≤∫

Ω

|g| dµ .

• (iv) : Si f est integrable on a∣∣∣ ∫Ω

f dµ∣∣∣ def

=∣∣∣ ∫

Ω

f+ dµ−∫

Ω

f− dµ∣∣∣ ≤ ∣∣∣ ∫

Ω

f+ dµ∣∣∣+∣∣∣ ∫

Ω

f− dµ∣∣∣

=

∫Ω

f+ dµ+

∫Ω

f− dµ[9.12]=

∫Ω

(f+ + f−) dµ =

∫Ω

|f | dµ .

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS REELLES OU COMPLEXES 83

• (v) : L’inegalite fµ-pp

≤ g veut dire f+ − f−µ-pp

≤ g+ − g−, ce qui s’ecrit comme

f+ + g−µ-pp

≤ g+ + f− .

Le meme argument que pour la preuve de la partie (iii) montre qu’on a l’inegalite∫Ω

(f+ + g−) dµ ≤∫

Ω

(g+ + f−) dµ .

L’additivite [9.12] et le fait que∫

Ωf± dµ et

∫Ωg± dµ sont finis montrent qu’on a∫

Ω

f+ dµ−∫

Ω

f− dµ ≤∫

Ω

g+ dµ−∫

Ω

g− dµ . CQFD

10.9 Nota Bene. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f : Ω→ R une fonctionintegrable. La mesurabilite de f implique que l’ensemble

E = ω ∈ Ω | f(ω) = ±∞

est mesurable. Par [10.8.ii] f est presque partout finie et donc par [4.22] on aµ(E) = 0. Si on regarde maintenant la fonction g : Ω→ R definie par

g(ω) = f(ω) si f(ω) ∈ R et g(ω) = 0 si ω ∈ E,

alors g est mesurable par [7.9] et gµ-pp= f parce que µ(E) = 0. Donc par [10.8.i]∫

Ωf dµ =

∫Ωg dµ.

La conclusion est que si on veut calculer la valeur de l’integrale d’une fonctionintegrable f a valeurs dans R, il suffit de calculer la valeur de l’integrale de lafonction g a valeurs dans R obtenue a partir de f en changeant les valeurs non-finies en zero. C’est cette conclusion qui nous amene a dire qu’il n’est pas necessairede considerer des fonctions integrables a valeurs dans R, il suffit de considerer desfonctions integrables a valeurs dans R. Desormais on ne distingue donc plus quedeux types de fonctions : a valeurs dans R+ et a valeurs dans C. La valeur del’integrale d’une fonction mesurable a valeurs dans R+ existe toujours et est unelement de R+. La valeur de l’integrale d’une fonction a valeurs dans C (et donc afortiori a valeurs dans R ⊂ C) n’existe que si elle est integrable et dans ce cas elleest un element de C (ou R si elle est a valeurs dans R).

→ 10.10 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et f : Ω → R une fonction

mesurable. Montrer que ∞ f est integrable si et seulement si fµ-pp= 0.

10.11 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, f, g : Ω→ K avec K = R ou Cdeux fonctions integrables et α ∈ C un nombre complexe. Dans le cas K = R on

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84 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

suppose en plus que la somme f + g est bien definie (jamais ∞−∞). Alors f + get α f sont integrables et on a les egalites∫

Ω

(f + g) dµ =

∫Ω

f dµ+

∫Ω

g dµ et

∫Ω

α f dµ = α ·∫

Ω

f dµ .

Preuve. • On a |f + g| ≤ |f |+ |g| ainsi que |α f | = |α| |f |. On a donc∫Ω

|f + g| dµ[6.5.ii], [9.12]

≤∫

Ω

|f | dµ+

∫Ω

|g| dµ <∞

et ∫Ω

|α f | dµ[9.16]= |α| ·

∫Ω

|f | dµ <∞ ,

ce qui montre que f + g et α f sont integrables.• En separant f et g en parties reelle et imaginaire, il suffit de montrer l’additivite

pour des fonctions f et g a valeurs dans R. Si on ecrit h = f + g et en separant enparties positives et negatives on obtient l’egalite

h+ − h− = (f+ − f−) + (g+ − g−) .

Le fait que cette addition est bien definie nous permet d’en deduire l’egalite

h+ + f− + g− = h− + f+ + g+ .

En appliquant [9.12] on obtient∫Ω

h+ dµ+

∫Ω

f− dµ+

∫Ω

g− dµ =

∫Ω

h− dµ+

∫Ω

f+ dµ+

∫Ω

g+ dµ .

La finitude de chaque terme nous permet de rearranger ces termes comme∫Ω

h+ dµ−∫

Ω

h− dµ =

∫Ω

f+ dµ−∫

Ω

f− dµ+

∫Ω

g+ dµ−∫

Ω

g− dµ ,

ce qui montre qu’on a bien∫

Ωh dµ =

∫Ωf dµ+

∫Ωg dµ.

• Pour montrer l’egalite∫

Ωα f dµ = α ·

∫Ωf dµ, on commence avec la situation

ou f est a valeurs dans R et α reel. Si α ≥ 0, on a (α f)+ = α f+ et (α f)− = α f−.En appliquant [9.16] on obtient∫

Ω

α f dµ =

∫Ω

α f+ dµ−∫

Ω

α f− dµ[9.16]= α ·

∫Ω

f+ dµ− α ·∫

Ω

f− dµ

= α ·∫

Ω

f dµ .

Si α < 0, on a (α f)+ = (−α) f− et (α f)− = (−α) f+ et donc∫Ω

α f dµ =

∫Ω

(−α) f− dµ−∫

Ω

(−α) f+ dµ

[9.16]= (−α) ·

∫Ω

f− dµ− (−α) ·∫

Ω

f+ dµ = α ·∫

Ω

f dµ .

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS REELLES OU COMPLEXES 85

Ainsi on a montre l’egalite∫

Ωα f dµ = α ·

∫Ωf dµ quand α ∈ R et f a valeurs

dans R.Si f et α sont complexes, on les decompose en parties reelles et imaginaires :∫

Ω

α · f dµ =

∫Ω

(Re(α) · Re(f)− Im(α) · Im(f)

)dµ

+ i ·∫

Ω

(Re(α) · Im(f) + Im(α) · Re(f)

)dµ .

Selon les resultats precedents pour le cas reel on peut developper ceci comme suit

= Re(α) ·∫

Ω

Re(f) dµ− Im(α) ·∫

Ω

Im(f) dµ

+ i ·(

Re(α) ·∫

Ω

Im(f) dµ+ Im(α) ·∫

Ω

Re(f) dµ)

=(

Re(α) + i · Im(α))·(∫

Ω

Re(f) dµ+ i ·∫

Ω

Im(f) dµ). CQFD

10.12 Discussion. Jusqu’a maintenant il y a un aspect de l’integrale qu’on aneglige : la dependance du choix de la tribu. En principe le choix de la tribu estimplicite dans le choix de la mesure en tant qu’application sur la tribu. Et il estevident que l’integrale depend du choix de la mesure. Mais on sera confronte aucas ou on a deux tribus differentes et la “meme” mesure. Plus precisement on adeux tribus F et G sur un ensemble Ω dont l’une est incluse dans l’autre : F ⊂ G,et on a une mesure µ : G → R+ definie sur la tribu la plus grande. Par [4.7.iii]la restriction de µ a F est donc une mesure sur F . Et dans l’autre sens, toutefonction f sur Ω qui est mesurable pour la tribu F l’est aussi pour la tribu G acause de l’inclusion F ⊂ G. On dispose donc de deux espaces mesures (Ω,F , µ|F )et (Ω,G, µ). Si maintenant f : Ω → R+ est une fonction positive mesurable parraport a la tribu F , elle est aussi mesurable par rapport a la tribu G et on peutconsiderer les deux integrales∫ G

Ω

f dµ et

∫ FΩ

f dµ|F ,

ou, pour encore mieux distinguer les deux integrales, on a mis la tribu concerneeen exposant. Vu que la tribu G est plus grande que F , il y a aussi plus de fonctionsetagees pour la tribu G. L’ensemble des fonctions etagees en dessous de f est doncaussi plus grand pour la tribu G. Et donc on ne peut pas exclure que le sup sur cetensemble, ce qui donne la valeur de l’integrale, soit aussi plus grand pour la tribuG. Le resultat suivant montre que ce n’est pas le cas : les deux integrales donnent lameme valeur. C’est donc justifie d’ecrire ces deux integrales par le meme symbole∫

Ωf dµ.

10.13 Proposition. Soit (Ω,G, µ) un espace mesure, soit F ⊂ G une autre tribuet soit f : Ω→ K avec K = R ou C une application F-B(K)-mesurable.

(i) f est aussi G-B(K)-mesurable.

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86 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

(ii) On a toujours l’egalite

(10.14)

∫ GΩ

|f | dµ =

∫ FΩ

|f | dµ|F .

(iii) Si f est integrable (pour l’une des deux mesures µ ou µ|F , donc pour lesdeux), alors on a l’egalite

(10.15)

∫ GΩ

f dµ =

∫ FΩ

f dµ|F .

Preuve. L’inclusion F ⊂ G implique immediatement que f est aussi G-B(K)-mesurable. Le reste de la preuve se deroule en plusieurs etapes. On supposed’abord que f = 1E est une fonction indicatrice d’un ensemble mesurable E (dansF , donc dans G). Par [5.9.i] et [6.5.i] on peut affirmer que (10.14) est vrai pources fonctions, car les deux membres sont egaux a µ(E). Par [5.9.iii/iv] et [6.5.i] (oupar [9.12] et [9.16]) on peut alors affirmer que (10.14) est vrai pour des fonctionsetagees. Par [9.7] et le theoreme de convergence monotone [9.1] on en deduit que(10.14) est vrai pour toute fonction mesurable positive. Vu que dans (10.14) on amis les valeurs absolues, c’est donc vrai pour toutes les fonctions.

Pour montrer (10.15), il suffit d’appliquer la definition [10.1] d’une integrale quiutilise la decomposition de la fonction en ses “composantes” positives. CQFD

10.16 Terminologie. L’approche utilise dans la preuve de [10.13] (c’est-a-direl’idee de commencer avec une fonction indicatrice, ensuite une fonction etagee etfinalement une fonction mesurable positive quelconque) reviendra plusieurs foisdans la suite ; c’est un classique parmi les techniques de preuve dans la theorie del’integration qu’on appellera l’approche standard .

→ 10.17 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit ω ∈ Ω tel que le singletonω est mesurable, et soit f une fonction mesurable sur Ω a valeurs dans R ou C.

(i) Montrer qu’on a toujours∫ω |f | dµ = |f(ω)| µ(ω).

(ii) Montrer que si f est integrable sur ω, alors∫ω f dµ = f(ω) µ(ω).

→ 10.18 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure.

(i) Soit h : Ω → R+ une fonction etagee positive. Montrer que les proprietessuivantes sont equivalentes.— h est integrable.— ∀r ∈ R+ : µ

(h−1(r)

)=∞ =⇒ r = 0.

— ∃A ∈ F : µ(A) <∞ et h = 1A · h.— ∃n ∈ N∗ ∃A1, . . . , An ∈ F ∃c1, . . . , cn ∈ R+ : h =

∑ni=1 ci1Ai et

∀1 ≤ i ≤ n : µ(Ai) <∞.

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L’INTEGRALE DE FONCTIONS REELLES OU COMPLEXES 87

(ii) Montrer que si f : Ω→ R+ est integrable, alors il existe une suite (hn)n∈Nde fonction etagees positives integrables telle que f = lim

n→∞hn.

(iii) Montrer qu’on a l’egalite ∫Ω

h dµ | h : Ω→ R+ etagee integrable, h ≤ f

= ∫A

h dµ | h : Ω→ R+ etagee integrable, h ≤ f , A ∈ F , µ(A) <∞.

(iv) Soit f : Ω→ R+ une fonction arbitraire. Montrer qu’on a l’egalite∫Ω

f dµ = sup ∫

Ω

h dµ | h : Ω→ R+ etagee integrable, h ≤ f.

si l’une des trois conditions suivantes est satisfaite :— f est integrable,— µ est une mesure σ-finie ou— µ = CΩ est la mesure de comptage et F = P(Ω) est la tribu totale (voir

aussi [16.11]).(v) Trouver un espace mesure (Ω,F , µ) et une fonction mesurable f : Ω→ R+

tels qu’on n’a pas l’egalite decrite en (iv).

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88 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

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89

Partie II : Les theoremes fondamentaux

11. Le theoreme de convergence dominee de Lebesgue

11.1 Lemme (de Fatou). Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et fn : Ω → R+,n ∈ N une suite de fonctions mesurables. Alors on a l’inegalite∫

Ω

lim infn→∞

fn dµ ≤ lim infn→∞

∫Ω

fn dµ .

Preuve. Posons gn = infk≥n fk : Ω → R+, alors par [7.18] gn et lim infn→∞ fn =limn→∞ gn = supn∈N gn sont mesurables. De plus, la suite (gn)n∈N est croissante.On peut donc appliquer le theoreme de convergence monotone [9.1] pour conclure

(11.2)

∫Ω

lim infn→∞

fn dµ =

∫Ω

limn→∞

gn dµ[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

gn dµ .

Par definition de gn on a en particulier l’inegalite gn ≤ fn, donc par [6.5.ii] on a∫Ω

gn dµ ≤∫

Ω

fn dµ .

Le membre de gauche admet une limite (voir (11.2)), mais on ne sait pas si lemembre de droite admet une limite. Par contre, une lim inf existe toujours etrespecte (aussi) les inegalites larges. Il s’ensuit qu’on a l’inegalite (large)∫

Ω

lim infn→∞

fn dµ(11.2)

= limn→∞

∫Ω

gn dµ = lim infn→∞

∫Ω

gn dµ ≤ lim infn→∞

∫Ω

fn dµ .

CQFD

11.3 Remarque. On ne peut pas ameliorer l’inegalite dans le lemme de Fatou[11.1] sans hypotheses supplementaires, ni enoncer un resultat analogue pour lalimite superieure. Les exemples suivants montrent pourquoi.

On considere l’espace Ω = 0, 1 avec la tribu totale F = P(Ω) et la mesure µdefinie par µ(0) = µ(1) = 1. On prend la suite de fonctions fn : Ω → R+

definie par

fn = 10 si n est pair , fn = 11 si n est impair.

Il est facile de voir que lim infn→∞ fn = 0 et lim supn→∞ fn = 1 (en tant quefonctions constantes) et que

∫Ωfn dµ = 1 pour tout n ∈ N. Alors on a∫

Ω

lim infn→∞

fn dµ = 0 < 1 = lim infn→∞

∫Ω

fn dµ

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90 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

et

lim supn→∞

∫Ω

fn dµ = 1 < 2 =

∫Ω

lim supn→∞

fn dµ .

Dans les deux cas on a une inegalite stricte.Considerons maintenant l’espace Ω = N avec la tribu totale F = P(N) et la

mesure de comptage µ = CN. On prend la suite de fonctions etagees fn : N→ R+

definie par

fn = 1n+1 · 10,...,n .

Il est facile de voir que lim supn→∞ fn = lim infn→∞ fn = 0 en tant que fonctionconstante et que

∫Nfn dCN = 1 pour tout n ∈ N. Ici on a∫

N

lim infn→∞

fn dCN = 0 < 1 = lim infn→∞

∫N

fn dCN

et

lim supn→∞

∫Ω

fn dCN = 1 > 0 =

∫N

lim supn→∞

fn dCN .

De nouveau on a des inegalites strictes, mais dans la variante de la lim sup, l’inega-lite est dans l’autre sens. D’ou le fait qu’il faut abandonner l’idee d’une variantedu lemme de Fatou pour la lim sup. Mais attention : tout ceci est sous l’hypotheseque les fonctions sont positives. Si on considere des fonctions negatives, il est faciled’obtenir un enonce avec une lim sup.

→ 11.4 Lemme. Soit (an)n∈N une suite a valeurs dans R et soit b ∈ R. Alors on ales egalites

lim infn→∞

(b+ an) = b+ lim infn→∞

an et lim infn→∞

(b− an) = b− lim supn→∞

an .

Preuve de [11.4]. CQFD

11.5 Theoreme (de convergence dominee de Lebesgue). Soit (Ω,F , µ) unespace mesure et soit (fn)n∈N une suite de fonctions mesurables sur Ω a valeursdans C verifiant les hypotheses suivantes.

(a) La suite (fn)n∈N converge µ-presque partout vers une fonction mesurablef : Ω→ C.

(b) Il existe une fonction integrable g : Ω → R+ telle que |fn|µ-pp

≤ g pour toutn ∈ N.

Sous ces conditions on a les proprietes suivantes.

(i) Les fonctions fn et f sont integrables.(ii) lim

n→∞

∫Ωfn dµ =

∫Ωf dµ.

(iii) limn→∞

∫Ω|fn − f | dµ = 0.

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LE THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE DE LEBESGUE 91

11.6 Remarque. On donnera deux preuves du theoreme de convergence dominee[11.5] : une classique, basee sur le lemme de Fatou [11.1] et une deuxieme quin’utilise pas ce lemme. Une autre difference entre ces deux preuves est que dansla premiere on demontre d’abord la propriete (ii) pour en deduire la propriete (iii),tandis que dans la deuxieme on demontre d’abord la propriete (iii) pour en deduirela propriete (ii) (ce qui est l’ordre classique, aussi pour la premiere preuve).

Premiere preuve de [11.5]. On commence a trouver (et eliminer) les points quigenent. L’hypothese (a) implique (par [4.18]) l’existence d’un ensemble mesurableA de complementaire negligeable tel que

ω ∈ A =⇒ limn→∞

fn(ω) = f(ω) .

Pour tout n ∈ N on definit l’ensemble Bn ⊂ Ω par

Bn = ω ∈ Ω | |fn(ω)| ≤ g(ω) .

Par hypothese Bn est de complementaire negligeable, donc par [4.24] l’ensembleB = ∩n∈NBn est aussi de complementaire negligeable. Par [8.14.iii] les Bn sontmesurables, donc B est mesurable. Finalement on definit C ∈ F comme l’intersec-tion C = A ∩B, qui est donc aussi de complementaire negligeable [4.24].

• (i) : Pour tout n ∈ N on a |fn|µ-pp

≤ g donc fn est integrable par [10.8.iii]. Si ωappartient a C, alors pour tout n ∈ N on a |fn(ω)| ≤ g(ω) et limn→∞ fn(ω) = f(ω).Par passage a la limite on a donc aussi |f(ω)| ≤ g(ω). Vu que C est de complemen-

taire negligeable, on a |f |µ-pp

≤ g et donc, de nouveau par [10.8.iii], f est integrable.

• (ii) : Dans un premier temps on suppose que les fonctions fn sont a valeursdans R ⊂ C. Sur l’ensemble C on a (donc) les equivalences

|fn| ≤ g ⇐⇒ −g ≤ fn ≤ g ⇐⇒ g + fn ≥ 0 et g − fn ≥ 0 .

Les deux suites de fonctions 1C (g + fn) et 1C (g − fn) sont donc des suitesde fonctions mesurables positives, auxquelles on peut appliquer le lemme de Fa-tou [11.1]. En utilisant [6.1], [10.11] et [11.4], ainsi que le fait que sur C on alim infn→∞

fn = lim supn→∞

fn = limn→∞

fn = f , il s’ensuit qu’on a les inegalites

∫C

(g + f) dµ ≤ lim infn→∞

∫C

(g + fn) dµ =⇒∫C

f dµ ≤ lim infn→∞

∫C

fn dµ

et ∫C

(g − f) dµ ≤ lim infn→∞

∫C

(g − fn) dµ =⇒∫C

f dµ ≥ lim supn→∞

∫C

fn dµ .

Ceci donne les inegalites

lim supn→∞

∫C

fn dµ ≤∫C

f dµ ≤ lim infn→∞

∫C

fn dµ .

Par [7.17] et [10.8.i] (C est de complementaire negligeable) on a donc l’egalite∫Ωf dµ = limn→∞

∫Ωfn dµ comme voulu.

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92 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Si les fonctions fn sont a valeurs dans C, on peut appliquer l’argument ci-dessusseparement aux parties reelle et complexe car on a les inegalites

|Refn| , |Imfn| ≤ |fn|sur C≤ g .

• (iii) : Il suffit de constater qu’on a les inegalites (sur C)

|fn − f | ≤ |fn|+ |f | ≤ 2g

et qu’on a (toujours sur C) limn→∞ |fn−f | = 0. On peut donc appliquer l’argumentci-dessus en remplacant les fonctions fn par |fn−f |, la fonction f par 0 et la fonctiong par 2g. Et on obtiendra le resultat annonce. CQFD

11.7 Remarque pour les comparateurs. La plupart des preuves du theoremede convergence dominee qu’on trouve dans la litterature commence avec la pro-priete (iii) et on en deduit la propriete (ii) avec le raisonnement que la linearite del’integrale [10.11] permet d’ecrire∫

Ω

f dµ−∫

Ω

fn dµ =

∫Ω

(f − fn) dµ .

La propriete (iii) avec [10.8.iv] donne alors la propriete (ii). Mais dans ces cas, lapropriete (iii) est demontre avec l’argument qu’on a donne ici pour la propriete (ii)pour des fonctions reelles (parfois un peu cache en considerant la suite des fonctionsreelles positives 2g − |fn − f |).

Deuxieme preuve de [11.5]†. Le debut, y compris la preuve de la propriete (i),est identique a la premiere preuve. On commence donc a trouver (et eliminer) lespoints qui genent. L’hypothese (a) implique (par [4.18]) l’existence d’un ensemblemesurable A de complementaire negligeable tel que

ω ∈ A =⇒ limn→∞

fn(ω) = f(ω) .

Pour tout n ∈ N on definit l’ensemble Bn ⊂ Ω par

Bn = ω ∈ Ω | |fn(ω)| ≤ g(ω) .

Par hypothese Bn est de complementaire negligeable, donc par [4.24] l’ensembleB = ∩n∈NBn est aussi de complementaire negligeable. Par [8.14.iii] les Bn sontmesurables, donc B est mesurable. Finalement on definit C ∈ F comme l’intersec-tion C = A ∩B, qui est donc aussi de complementaire negligeable [4.24].

• (i) : Pour tout n ∈ N on a |fn|µ-pp

≤ g donc fn est integrable par [10.8.iii]. Si ωappartient a C, alors pour tout n ∈ N on a |fn(ω)| ≤ g(ω) et limn→∞ fn(ω) = f(ω).Par passage a la limite on a donc aussi |f(ω)| ≤ g(ω). Vu que C est de complemen-

taire negligeable, on a |f |µ-pp

≤ g et donc, de nouveau par [10.8.iii], f est integrable.

†C’est J.F. Burnol qui m’a appris cette preuve.

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LE THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE DE LEBESGUE 93

• (iii) : On definit les fonctions hn : Ω → R+ par hn = |fn − f |. Alors pardefinition de C on a

(11.8) ∀ω ∈ C : limn→∞

hn(ω) = 0 et 0 ≤ hn(ω) ≤ |fn(ω)|+ |f(ω)| ≤ 2g(ω) .

On fixe maintenant ε > 0 et on definit les ensembles XN ⊂ C par

XN = ω ∈ C | ∀n ≥ N : hn(ω) ≤ ε · g(ω)

=⋂n≥Nω ∈ C | hn(ω) ≤ ε · g(ω) .

Il est evident que la suite XN est une suite croissante d’ensembles mesurables (oninvoque entre autres [8.14.iii]), mais en plus on a ∪N∈NXN = C. Pour le voir onprend ω ∈ C. Si g(ω) = 0, alors par, (11.8), pour tout n ∈ N on a fn(ω) = 0et donc ω ∈ XN pour tout N ∈ N. Et si g(ω) > 0, alors par definition de limitelimn→∞

hn(ω) = 0 on a

∃N ∈ N ∀n ≥ N : |hn(ω)| < ε · g(ω) .

En particulier ω ∈ XN . Et donc on a montre l’inclusion C ⊂ ∪N∈N

XN comme voulu.

La croissance de la suite XN nous dit que la suite de fonctions mesurables 1XNest croissante et la condition ∪N∈NXN = C nous dit qu’on a lim

N→∞1XN = 1C . Par

le theoreme de convergence monotone [9.1] on en deduit :

limN→∞

∫XN

g dµ = limN→∞

∫Ω

g 1XN dµ =

∫Ω

g 1C dµ =

∫C

g dµ ≤∫

Ω

g dµ <∞ .

Par definition de limite il existe donc No ∈ N tel que pour tout N ≥ No on a∣∣∣∣ ∫XN

g dµ−∫C

g dµ

∣∣∣∣ < ε .

En particulier (avec l’inclusion XN ⊂ C ) on a

0 ≤∫C\XN

g dµ =

∫C

g dµ−∫XN

g dµ < ε .

Etant donne que la reunion Ω = (Ω \C)∪ (C \XN )∪XN est une reunion disjointe,on peut donc faire le calcul

0 ≤∫

Ω

hN dµ =

∫Ω\C

hN dµ+

∫C\XN

hN dµ+

∫XN

hN dµ

[6.5.vi], (11.8), def. de XN≤ 0 +

∫C\XN

2 · g dµ+

∫XN

ε · g dµ

< 2 · ε+ ε ·∫

Ω

g dµ =(

2 +

∫Ω

g dµ)· ε .

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94 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

On a donc montre la propriete suivante :

∀ε > 0 ∃No ∈ N ∀N ≥ No : 0 ≤∫

Ω

hN dµ <(

2 +

∫Ω

g dµ)· ε .

Il s’ensuit immediatement qu’on a limn→∞

∫Ωhn dµ = 0 comme voulu.

(ii) : Pour toute suite (an)n∈N dans C on a l’equivalence limn→∞ an = ` ⇔limn→∞ |an − `| = 0. Maintenant on invoque la linearite de l’integrale [10.11] pourfaire le calcul∣∣∣∣ ∫

Ω

fn dµ−∫

Ω

f dµ

∣∣∣∣ =

∣∣∣∣ ∫Ω

fn − f dµ

∣∣∣∣ [10.8.iv]

≤∫

Ω

|fn − f | dµ .

Par la propriete (iii) et notre equivalence, la propriete (ii) s’ensuit. CQFD

→ 11.9 Exercice. Verifier que le fait que la fonction g dans [11.5] peut prendre lavaleur ∞ ne pose pas de problemes dans les deux preuves qu’on a donne.

11.10 Nota Bene. Pour verifier les hypotheses (a) et (b) du theoreme de con-vergence dominee, il faut trouver deux fonctions f et g sur Ω. La recherche de cesdeux fonctions n’est pas aussi difficile qu’on pourrait croire. Commencons avec g.Selon [7.13] et [7.18] la fonction h = supn∈N |fn| : Ω → R+ est mesurable et il est

evident que pour tout n ∈ N on a |fn|µ-pp

≤ h. Si h est integrable, alors la fonctionh peut etre prise pour g. Et si h n’est pas integrable, il est inutile de chercher une

fonction g integrable verifiant (b), car si pour tout n ∈ N on a |fn|µ-pp

≤ g, alors on

a forcement hµ-pp

≤ g (si |fn| ≤ g sur Bn, alors h ≤ g sur B = ∩n∈N

Bn) et donc g nepeut pas etre integrable.

Pour la recherche de f , on note d’abord que selon [8.18] l’ensemble A ou la suitefn converge :

A = ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans C

est mesurable. S’il existe une fonction f verifiant l’hypothese (a) et si on definitl’ensemble B comme

B = ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) = f(ω) ,

alors forcement B ⊂ A. Mais par hypothese B est de complementaire negligeable,donc A l’est aussi. Pour montrer que cette condition est aussi suffisante, supposonsque A est de complementaire negligeable et definissons la fonction f : Ω→ C par

f(ω) = limn→∞

fn(ω) si ω ∈ A et f(ω) = 0 si ω ∈ Ac .

Selon [7.20] et [7.9] f est mesurable et, parce que A est de complementaire negli-geable, la suite (fn)n∈N converge presque partout vers f

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LE THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE DE LEBESGUE 95

→ 11.11 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit (fn)n∈N une suite defonctions mesurables qui converge presque partout vers une fonction mesurable f .Montrer que l’ensemble A defini comme

A = ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) = f(ω)

est mesurable (meme si la limite limn→∞

fn(ω) n’existe pas partout).

→ 11.12 Exercice. Montrer que les resultats [11.5.i] et [11.5.ii] restent valables quandles fonctions fn et f sont a valeurs dans R. Pourquoi ne peut-on pas affirmer sansreserve que [11.5.iii] reste vrai dans ce cas ?

11.13 Theoreme (de convergence dominee - version simplifiee pour usagecourant). Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit (fn)n∈N une suite de fonctionsmesurables sur Ω a valeurs dans C verifiant les hypotheses (a) et (b) ou (a) et (b’)suivantes :

(a) la suite (fn)n∈N converge sur Ω ;(b) la fonction supn∈N |fn| (a valeurs dans R+) est integrable ;(b’) il existe une fonction integrable g : Ω→ R+ telle que ∀n ∈ N : |fn|

µ-pp

≤ g.

Alors les fonctions fn et limn→∞

fn sont integrables et on a l’egalite

limn→∞

∫Ω

fn dµ =

∫Ω

limn→∞

fn dµ .

→ 11.14 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit K = R ou C. Soit(fn)n∈N une suite de fonctions mesurables sur Ω a valeurs dans K et soit f : Ω→ Kune fonction integrable telle que la suite fn converge uniformement vers f sur Ω.Supposons finalement que µ(Ω) < ∞. En deduire que la suite (fn)n∈N verifie lesconditions du theoreme de convergence dominee (voir aussi [9.4]). Ceci s’appliqueen particulier quand Ω est un intervalle borne dans R.

11.15 Remarque. Jusqu’a maintenant, les seules mesures concretes dont on dis-pose sont les mesures de comptage. Avec ces mesures il est difficile de construiredes exemples qui montrent que les conditions donnees dans le theoreme de conver-gence dominee ne sont pas necessaires pour pouvoir intervertir limite et integrale.Dans [18.30] on construira de tels exemples a l’aide de la mesure de Lebesgue surR (dont on aura montre l’existence).

11.16 Definition. Soit (Ω, T ) un espace topologique, soit A ⊂ Ω un sous-ensembleet soit ω ∈ Ω un element arbitraire. On dit que ω est un point adherent a A si tout

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96 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ouvert contenant ω contient (au moins) un point de A. En formule :

∀O ∈ T : ω ∈ O ⇒ O ∩A 6= ∅ .

L’ensemble de tous les points adherents a A s’appelle l’adherence de A et est noteA :

A = ω ∈ Ω | ω un point adherent a A .

→ 11.17 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique, A ⊂ X un sous-ensemble et x ∈ Xun point arbitraire. Alors les trois proprietes suivantes sont equivalentes :

(i) x est un point adherent a A,(ii) ∀ε > 0 ∃a ∈ A : d(x, a) < ε et

(iii) il existe une suite (an)n∈N dans A telle que limn→∞

d(an, x) = 0.

Preuve de [11.17]. CQFD

→ 11.18 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique, x ∈ X un point et r > 0 un reelpositif. Alors on a l’inclusion

Br(x) ⊂ y ∈ X | d(x, y) ≤ r .

Preuve de [11.18]. CQFD

→ 11.19 Exercice. Montrer que si X = Rd est muni de la metrique euclidienne,alors l’inclusion de [11.18] est toujours une egalite. Donner un exemple d’un espacemetrique ou l’inclusion de [11.18] n’est pas automatiquement une egalite.

11.20 Definition. Soit (X, dX) et (Y, dY ) deux espaces metriques, soit U ⊂ X unsous-ensemble, soit a ∈ U un point adherent a U , soit f : U → Y une applicationet soit ` ∈ Y un point. On dit que la limite de f(x) est ` quand x tend vers a dansU , ce qu’on note comme

limx→a

f(x) = `

si la condition suivante est satisfaite :

∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀x ∈ U \ a : dX(x, a) < δ ⇒ dY (f(x), `) < ε .

A noter qu’on exclut explicitement le point a dans les possibilites pour x dans cettedefinition.

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LE THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE DE LEBESGUE 97

→ 11.21 Lemme. Soit (X, dX) et (Y, dY ) deux espaces metriques et soit f : X → Yune application. Alors f est continue (pour les topologies metriques associees) si etseulement si elle verifie la condition

∀a ∈ X : limx→a

f(x) = f(a) .

Preuve de [11.21]. CQFD

11.22 Proposition. Soit (X, dX) et (Y, dY ) deux espaces metriques, soit U ⊂ Xun sous-ensemble, soit a ∈ U un point adherent a U , soit F : U → Y une applicationet soit ` ∈ Y un point. Alors limx→a F (x) = ` si et seulement si pour toute suite(xn)n∈N dans U \ a verifiant lim

n→∞xn = a on a lim

n→∞F (xn) = `.

Preuve. La condition limx→a

F (x) = ` veut dire

∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀x ∈ U \ a : dX(x, a) < δ ⇒ dY (f(x), `) < ε .

Si xn est une suite dans U \ a verifiant limn→∞

xn = a, cela veut dire

∀δ > 0 ∃N ∈ N ∀n ≥ N : dX(xn, a) < δ .

Si on combine les deux conditions, on obtient le resultat limn→∞ F (xn) = `.Si au contraire on n’a pas lim

x→aF (x) = `, cela veut dire :

∃ε > 0 ∀δ > 0 ∃x ∈ U \ a : dX(x, a) < δ et dY (F (x), `) ≥ ε .

En prenant δ = 1/n, n ∈ N∗ on trouve xn ∈ U \ a tel que dX(xn, a) < 1/n etdY (F (xn), `) ≥ ε. Il s’ensuit que limn→∞ xn = a, mais qu’on ne peut pas avoirlimn→∞ F (xn) = `. Ceci contredit la condition necessaire et suffisante. CQFD

11.23 Theoreme (de convergence dominee de Lebesgue bis). Soit (Ω,F , µ)un espace mesure, soit (X, d) un espace metrique, soit U ⊂ X un sous-ensemble,soit a ∈ U et soit f : U × Ω → C une application. Supposons que f verifie leshypotheses suivantes.

(a) Pour tout x ∈ U la fonction fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est mesurable.(b) Il existe une fonction mesurable fo : Ω → C telle que pour µ-presque tout

ω ∈ Ω on a limx→a f(x, ω) = fo(ω).(c) Il existe une fonction integrable g : Ω→ R+ telle que ∀x ∈ U : |fx|

µ-pp

≤ g.

Alors on a les proprietes suivantes.

(i) Les fonctions fx, x ∈ U , et fo sont integrables.(ii) lim

x→a

∫Ω|f(x, ω)− fo(ω)| dµ(ω) = 0.

(iii) limx→a

∫Ωf(x, ω) dµ(ω) =

∫Ωfo dµ.

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98 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

11.24 Remarque. Si on muni N∪ ∞ ≡ N ⊂ R avec la topologie induite, alorsN est un espace metrique (avec la metrique induit par celle de R [3.5]) et ∞ estun point adherent a N dans N. Si on prend X = N, U = N et a = ∞ dansle theoreme de convergence dominee bis [11.23], alors on retrouve le theoreme deconvergence dominee original [11.5]. Le theoreme de convergence dominee original[11.5] est donc un cas particulier du theoreme de convergence dominee bis [11.23].

Preuve. L’hypothese (c) donne l’inegalite |fx|µ-pp

≤ g, donc par [10.8.iii] cette fonc-tion est integrable.

Soit maintenant xn ∈ U \ a une suite arbitraire verifiant limn→∞ xn = a. Ondefinit la suite de fonctions gn : Ω → C par gn(ω) = f(xn, ω). Fixons maintenantun ω ∈ Ω tel que limx→a f(x, ω) = fo(ω) et considerons la fonction F : U → Cdefinie par F (x) = f(x, ω). On a donc limx→a F (x) = fo(ω). Si on applique [11.22]on en deduit qu’on a

limn→∞

gn(ω) = limn→∞

f(xn, ω) = limn→∞

F (xn) = fo(ω) .

La conclusion est que la suite (gn)n∈N converge presque partout vers la fonction

fo. De plus, par (c) on a pour tout n ∈ N l’inegalite |gn|µ-pp

≤ g. La suite (gn)n∈Nverifie donc les hypotheses du theoreme de convergence dominee [11.5]. On a doncles conclusions de ce theoreme : la fonction fo est integrable et on a les limites

(11.25) limn→∞

∫Ω

|gn − fo| dµ = 0 et limn→∞

∫Ω

gn dµ =

∫Ω

fo dµ .

Notons maintenant que l’application ω 7→ |f(x, ω) − fo(ω)| est integrable par[10.11] car, comme on vient de voir, les applications ω 7→ f(x, ω) et fo sont inte-grables. Si on regarde la fonction F : U → C definie par

F (x) =

∫Ω

|f(x, ω)− fo(ω)| dµ(ω) ,

alors on vient de montrer dans (11.25) qu’on a limn→∞ F (xn) = 0. Vu que la suitexn etait arbitraire, on peut appliquer [11.22] pour conclure qu’on a lim

x→aF (x) = 0,

ce qui veut dire qu’on a montre (ii).Pour terminer on regarde la fonction F : U → C definie par

F (x) =

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω) .

Dans (11.25) on a aussi montre qu’on a limn→∞ F (xn) =∫

Ωfo dµ. De nouveau

parce que la suite xn est arbitraire on peut appliquer [11.22] pour conclure qu’on alimx→a

F (x) =∫

Ωfo dµ, ce qui veut dire qu’on a montre (iii). CQFD

11.26 Nota Bene. Comme pour le theoreme original de convergence dominee[11.5], il faut trouver deux fonctions fo et g sur Ω pour verifier les hypotheses

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LE THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE DE LEBESGUE 99

(b) et (c) dans [11.23]. Par contre, la recherche de ces deux fonctions est un peuplus delicate que decrit dans [11.10]. Meme si la fonction f : U × Ω → C verifiel’hypothese (a), il n’est nullement garanti que la fonction h : Ω → R+ definiecomme

h(ω) = supx∈U|f(x, ω)|

est mesurable, ni que l’ensemble B defini comme

B = ω ∈ Ω | limx→a

f(x, ω) existe dans C

est mesurable (voir [27.6]).Il s’avere que la situation n’est pas evidente pour la recherche de la fonction

g. Si la fonction h est integrable, alors elle fait l’affaire. Mais il est bien possibleque h soit mesurable, que h ne soit pas integrable et qu’il existe quand meme unefonction g verifiant l’hypothese (c) (voir [27.6]). Heureusement des telles situationsn’arrivent presque jamais dans les applications de tous les jours ; la la fonction hest mesurable et il suffit, comme dans [11.10], de verifier si h est integrable.

Pour la recherche de la fonction fo la situation est plus simple. Si fo verifiantl’hypothese (b) existe, alors forcement B est de complementaire negligeable. Quecette condition est aussi suffisante est montre dans [11.27].

11.27 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit (X, d) un espace metrique,soit U ⊂ X un sous-ensemble, soit a ∈ U et soit f : U × Ω → C une applicationtelle que les applications fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) sont mesurables. Si l’ensemble

B = ω ∈ Ω | limx→a

f(x, ω) existe dans C

est de complementaire negligeable, alors il existe une fonction mesurable fo : Ω→ Ctelle que pour µ-presque tout ω ∈ Ω on a lim

x→af(x, ω) = fo(ω).

Preuve. On choisit au hasard une suite xn ∈ U \ a verifiant limn→∞ xn = a.La suite de fonctions fn(ω) = f(xn, ω) est une suite de fonctions mesurables etl’ensemble A defini comme

A = ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) existe dans C

est mesurable [8.18] et contient B. La fonction fo : Ω→ C definie comme

fo(ω) = limn→∞

fn(ω) si ω ∈ A et fo(ω) = 0 si ω ∈ Ac

est donc mesurable et pour µ-presque tout ω on a limx→a

f(x, ω) = fo(ω). CQFD

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100

12. Unicite de mesures

12.1 Definitions. Soit Ω un ensemble et C ⊂ P(Ω) une collection de sous-ensem-bles de Ω.• On dit que C est un π-systeme si elle est stable par intersections finies :

A,B ∈ C ⇒ A ∩B ∈ C .

• On dit que C est un semi-anneau si elle est stable par intersections finies (unπ-systeme), contient l’ensemble vide et si, pour tout A,B ∈ C, la difference A \ Best une reunion finie d’elements de C deux a deux disjoints :

∃n ∈ N∗ ∃C1, . . . , Cn ∈ C :(A \B =

n⋃i=1

Ci et i 6= j ⇒ Ci ∩ Cj = ∅).

• On dit que C est un anneau si elle est stable par reunion finie et par difference :

A,B ∈ C ⇒ A \B ∈ C et A ∪B ∈ C .

• Une algebre est un anneau qui contient l’espace total Ω.• On dit que C est un σ-anneau si elle est stable par difference et par reunion

denombrable :

A,B ∈ C et ∀n ∈ N : An ∈ C ⇒ A \B ∈ C et⋃n∈N

An ∈ C .

• Une σ-algebre ou tribu [2.6], est un σ-anneau qui contient l’espace total Ω.• On dit que C est un λ-systeme si elle a les trois proprietes

(i) Ω ∈ C,(ii) stable par difference propre : si A,B ∈ C avec A ⊂ B, alors B \A ∈ C,

(iii) stable par reunion denombrable croissante :(∀n ∈ N : An ∈ C et ∀n ∈ N : An ⊂ An+1

)⇒

⋃n∈N

An ∈ C .

12.2 Remarques. • Certains auteurs rajoutent le qualificatif de Boole aunoms semi-anneau, anneau et algebre. Ceci pour mieux distinguer ces objets desobjets de memes noms qu’on rencontre dans d’autres disciplines, mais aussi poursouligner la grande ressemblance qui existe avec la logique : l’intersection corres-pond au “et,” l’union correspond au “ou” et le complementaire correspond a lanegation.• Dans la definition d’un semi-anneau il est superflu d’exiger que l’ensemble

vide appartient. Ceci est une consequence de la condition sur la difference, car

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UNICITE DE MESURES 101

on a ∅ = A \ A qui doit etre une reunion (finie) d’elements de C. On l’a men-tionne explicitement parce que parfois la definition/construction d’un semi-anneaune contient pas automatiquement l’ensemble vide et il faut le rajouter “a la main.”• Un π-systeme ne contient pas forcement l’ensemble vide : il est possible qu’au-

cune intersection n’est vide. Par contre, comme pour un semi-anneau, parfois ilfaut le rajouter a la main, car la definition/construction ne l’inclut pas. On peutpenser au π-systeme des intervalles ouverts de R. Quand on le decrit comme ]a, b [ | a, b ∈ R, a < b , alors il faut le rajouter a la main. Mais si on le decritcomme ]a, b [ | a, b ∈ R, a ≤ b , alors l’ensemble vide est inclu automatiquement,car pour a = b on a ]a, b [ = ∅.

→ 12.3 Exercice. Soit Ω un ensemble. Sur l’ensemble P(Ω) de toutes les parties deΩ on definit les operations d’addition et de multiplication par

A+Bdef= (A \B) ∪ (B \A) et A ·B def

= A ∩B .

Montrer que (P(Ω),+, ·) est un anneau commutatif unitaire dans le sens algebrique.

→ 12.4 Lemme. On a les implications et equivalences suivantes parmi les differentstypes de collections definies en [12.1] :

σ-algebre ⇒

algebreσ-anneau

⇒ anneau ⇒ semi-anneau ⇒ π-systeme

σ-algebre ⇔ (π-systeme et λ-systeme) .

Aucune des implications n’est une equivalence.

Preuve de [12.4]. CQFD

12.5 Theoreme (π-λ, Dynkin). Soit Ω un ensemble, C ⊂ P(Ω) un π-systeme etL ⊂ P(Ω) un λ-systeme. Si C ⊂ L, alors σ(C) ⊂ L.

Preuve. On definit Λ comme l’ensemble de toutes les collections L ⊂ P(Ω) qui sontdes λ-systemes et qui contiennent C :

Λ = L ⊂ P(Ω) | L un λ-systeme, C ⊂ L .

Λ n’est pas vide car L ∈ Λ et on peut parler de l’intersection

λ(C) = ∩Λ =⋂L∈Λ

L ⊂ P(Ω) .

Comme pour une tribu on montre facilement que λ(C) est un λ-systeme qui contientC ; c’est le plus petit λ-systeme contenant C.

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102 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Le but est maintenant de montrer l’egalite λ(C) = σ(C), ce qui terminera lapreuve car λ(C) ⊂ L par minimalite de λ(C). Vu que σ(C) est une tribu contenantC, donc un λ-systeme contenant C [12.4], on a l’inclusion λ(C) ⊂ σ(C), de nouveaupar minimalite de λ(C). Pour montrer l’inclusion dans l’autre sens, il suffit demontrer que λ(C) est un π-systeme, car par [12.4] λ(C) sera une tribu (contenantC) et donc par minimalite de σ(C) on aura σ(C) ⊂ λ(C).

Pour montrer que λ(C) est un π-systeme, il faut montrer que λ(C) est stable parintersection finie. Pour cela on introduit, pour A ∈ λ(C), la collection

GA = B ∈ P(Ω) | A ∩B ∈ λ(C) .

On commence par montrer que GA est un λ-systeme en verifiant les trois proprietes.

— Il est evident que Ω ∈ GA, car Ω ∩A = A ∈ λ(C).— Si B,C ∈ GA avec B ⊂ C, on a (C \ B) ∩ A = (C ∩ A) \ (B ∩ A) ∈ λ(C) car

λ(C) est un λ-systeme donc stable par difference propre. Donc C \B ∈ GA.— Si Bn ∈ GA pour tout n ∈ N, avec Bn ⊂ Bn+1, alors (∪n∈NBn) ∩ A =∪n∈N(Bn∩A). Mais λ(C) est un λ-systeme, donc stable par reunion croissante.On a donc ∪n∈N(Bn ∩A) ∈ λ(C), ce qui montre que ∪n∈NBn ∈ GA.

Ayant montre que GA est un λ-systeme quand A appartient a λ(C), on regardemaintenant le cas particulier d’un A appartenant a C meme. Vu que C est un π-systeme, il s’ensuit que C ⊂ GA. Mais λ(C) est le plus petit λ-systeme contenant C,donc λ(C) ⊂ GA. On peut resumer ceci dans les implications(

A ∈ C et B ∈ λ(C))

⇒ B ∈ GA ⇒ A ∩B ∈ λ(C) .

Au lieu de fixer l’element A ∈ C, on peut aussi fixer l’element B ∈ λ(C) et deduireque tout A ∈ C appartient a GB . Autrement dit, pour tout B ∈ λ(C) on a C ⊂ GB .GB est un λ-systeme contenant C et λ(C) est le plus petit λ-systeme contenant C.On a donc l’inclusion λ(C) ⊂ GB . Mais ceci dit qu’on a les implications(

B ∈ λ(C) et C ∈ λ(C))

⇒ C ∈ GB ⇒ B ∩ C ∈ λ(C) .

Mais ceci est la stabilite par intersection finie de la collection λ(C). CQFD

12.6 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit C ⊂ F une collectiond’ensembles mesurables. On dit que µ est σ-finie sur C s’il existe une familledenombrable d’elements de C : An | n ∈ N ⊂ C telle que ∀n ∈ N : µ(An) <∞ et∪n∈NAn = Ω.

Remarquons tout de suite qu’une mesure µ est σ-finie [4.16] si et seulement sielle est σ-finie sur la collection F de tous les ensembles mesurables et que si elleest σ-finie sur une collection C, alors elle est σ-finie (sans qualificatif ou avec lequalificatif “sur F ”).

12.7 Nota Bene. La condition d’etre σ-finie sur une collection C ⊂ F n’est passeulement une condition sur la mesure µ, mais aussi sur la collection C, car a prioriil n’est pas donne que C contienne une suite d’elements An de reunion l’espace total.

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UNICITE DE MESURES 103

12.8 Lemme (de Poincare). Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit n ≥ 2 et soitA1, . . . , An ∈ F des ensembles mesurables tels que µ(Ai) <∞ pour tout 1 ≤ i ≤ n.Alors on a la formule

µ(A1 ∪ · · · ∪An) =

n∑i=1

µ(Ai) −n∑k=2

(−1)k∑

1≤i1<···<ik≤n

µ(Ai1 ∩ · · · ∩Aik) .

Preuve. Commencons par la remarque qu’on a les egalites entre fonctions

1A1∩···∩An =n∏i=1

1Ai = 1A1· 1A2

· · ·1An et 1Ac = 1− 1A

pour tous les sous-ensembles A,A1, . . . , An ⊂ Ω. Il s’ensuit qu’on a l’egalite

1A1∪···∪An = 1− 1Ac1∩···∩Acn = 1− 1Ac1 · 1Ac2 · · ·1Acn

= 1− (1− 1A1) · (1− 1A2) · · · (1− 1An)

=

n∑i=1

1Ai −n∑k=2

(−1)k∑

1≤i1<···<ik≤n

1Ai1 · 1Ai2 · · ·1Aik

=

n∑i=1

1Ai −n∑k=2

(−1)k∑

1≤i1<···<ik≤n

1Ai1∩···∩Aik .

Vu que µ(Ai) < ∞, on a∫

Ω1Ai1∩···Aik dµ = µ(Ai1 ∩ · · · ∩ Aik) < ∞. Toutes les

fonctions apparaissant dans le membre de droite sont donc integrables et on a ledroit d’utiliser la linearite de l’integrale. En prenant l’integrale de cette egalite onobtient le resultat annonce. CQFD

12.9 Exemples. Les cas n = 2 et n = 3 dans le lemme de Poincare nous donnentles formules µ(A ∪B) = µ(A) + µ(B)− µ(A ∩B) et

µ(A ∪B ∪ C) =(µ(A) + µ(B) + µ(C)

)−(µ(A ∩B) + µ(A ∩ C) + µ(B ∩ C)

)+ µ(A ∩B ∩ C) .

12.10 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit A1, . . . , An ∈ F , n ≥ 2des ensembles mesurables tels que µ(Ai) < ∞ pour tout 1 ≤ i ≤ n. Alors on al’egalite entre mesures

µA1∪···∪An =n∑i=1

µAi −n∑k=2

(−1)k∑

1≤i1<···<ik≤n

µAi1∩···∩Aik ,

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104 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ou µB est la mesure definie par µB(A) = µ(A ∩B) [4.7.ii].

Preuve. Prenons A ∈ F et posons Bi = A ∩ Ai pour 1 ≤ i ≤ n. Alors on a lesegalites

n⋃i=1

Bi = A ∩ (n⋃i=1

Ai ) et Bi1 ∩ · · · ∩Bik = A ∩Ai1 ∩ · · · ∩Aik .

Si on applique le lemme de Poincare [12.8] aux ensembles B1, . . . , Bn (autorise carµ(Bi) ≤ µ(Ai) <∞) on obtient :

µA1∪···∪An(A) = µ(B1 ∪ · · · ∪Bn)

=n∑i=1

µ(Bi) −n∑k=2

(−1)k∑

1≤i1<···<ik≤n

µ(Bi1 ∩ · · · ∩Bik)

=n∑i=1

µAi(A) −n∑k=2

(−1)k∑

1≤i1<···<ik≤n

µAi1∩···∩Aik (A) .

Mais ceci est l’egalite des mesures de l’enonce. CQFD

12.11 Theoreme (d’unicite de mesures). Soit (Ω,F) un espace mesurable, soitC ⊂ F un π-systeme qui engendre F : σ(C) = F et soit µ et ν deux mesures surF qui coıncident sur C. Supposons en plus que l’une des deux conditions suivantesest satisfaite.

(i) µ(Ω) = ν(Ω) <∞.(ii) µ ou ν est σ-finie sur C.

Alors µ = ν.

12.12 Nota Bene. Il est crucial dans la condition (ii) que la mesure est σ-finiesur le π-systeme C et pas seulement σ-finie (sur la tribu totale F). L’exemple [21.8]montre clairement ce qui peut se passer.

Preuve. • (i) : On pose L = A ∈ F | µ(A) = ν(A) et la strategie est de montrerque c’est un λ-systeme. Vu qu’il contient le π-systeme C, on peut appliquer [12.5]pour conclure que F = σ(C) ⊂ L ⊂ F , ce qui montre que µ et ν coıncident partout.

Par hypothese on a Ω ∈ L. Si A,B ∈ L sont tels que A ⊂ B, alors B = A∪(B\A)est une reunion disjointe et donc

µ(B \A) = µ(B)− µ(A)A,B∈L

= ν(B)− ν(A) = ν(B \A) .

Ce calcul est legitime car µ(A) ≤ µ(B) ≤ µ(Ω) < ∞ et donc la soustraction estautorisee. On conclut que L est stable par difference propre.

Si (An)n∈N est une suite croissante dans L, alors on peut faire le calcul

µ(∪n∈NAn)[4.10.iii]

= limn→∞

µ(An)An∈L= lim

n→∞ν(An)

[4.10.iii]= ν(∪n∈NAn) .

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UNICITE DE MESURES 105

L est donc aussi stable par reunion denombrable croissante. C’est donc un λ-systeme.• (ii) : Soit An ∈ C, n ∈ N tels que µ(An) <∞ et ∪n∈NAn = Ω. On va utiliser

les An et le cas (i) pour montrer que µ = ν. Pour cela on prend d’abord B ∈ C telque µ(B) <∞. Alors les applications µB , νB : F → R+ definies par

∀A ∈ F : µB(A) = µ(A ∩B) , νB(A) = ν(A ∩B)

sont des mesures [4.7.ii]. Vu que C est un π-systeme (stable par intersection finie),µB et νB coıncident sur C. Mais on a aussi µB(Ω) = µ(B) = ν(B) = µB(Ω), etdonc par (i) on a µB = νB .

Prenons maintenant Ai1 , . . . , Aik des elements de la suite (An)n∈N et posonsB = Ai1 ∩ · · · ∩ Aik . Alors B ⊂ Ai1 et donc µ(B) ≤ µ(Ai1) < ∞. Mais C est unπ-systeme, donc B est un element de C verifiant µ(B) <∞. On a donc l’egalite

µAi1∩···∩Aik = νAi1∩···∩Aik

pour toute suite Ai1 , . . . , Aik d’elements de la suite (An)n∈N. Si on applique main-tenant [12.10] on obtient l’egalite

(12.13) µA1∪···∪An = νA1∪···∪An

pour tout n ∈ N∗. Si on pose Bn = ∪ni=1Ai, n ∈ N∗, alors c’est une suite croissantede reunion l’espace total : ∪n∈N∗Bn = Ω. On peut donc faire le calcul :

µ(A) = µ(⋃

n∈N∗(A ∩Bn))

[4.10.iii]= lim

n→∞µ(A ∩Bn) = lim

n→∞µBn(A)

(12.13)= lim

n→∞νBn(A) = lim

n→∞ν(A ∩Bn)

[4.10.iii]= ν(

⋃n∈N∗

(A ∩Bn)) = ν(A) ,

valable pour tout A ∈ F . CQFD

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106

13. La mesure produit

13.1 Definition. Soit Ω et X deux ensembles et soit E ⊂ Ω×X un sous-ensembledu produit. Pour un element ω ∈ Ω l’ensemble Eω defini par

Eω = x ∈ X | (ω, x) ∈ E ⊂ Xest appele la section de E en ω. De meme pour tout x ∈ X on definit la sectionEx de E en x comme

Ex = ω ∈ Ω | (ω, x) ∈ E ⊂ Ω .

E

ΩEx

x

X

ω

13.2 Lemme. Prendre une section commute avec les operations ensemblistes. Plusprecisement et en particulier, si (Ei)i∈I est une famille quelconque (pas forcementdenombrable) de sous-ensembles du produit Ω×X, alors on a pour tout ω ∈ Ω lesegalites

(i)(∪i∈IEi)ω

= ∪i∈I

(Ei)ω ;

(ii)(∩i∈IEi)ω

= ∩i∈I

(Ei)ω ;

(iii) (Ei \ Ej)ω =((Ei)ω

)\((Ej)ω

).

Les memes formules restent valables si on prend des sections par rapport a unelement x ∈ X.

Preuve. C’est un exercice elementaire en manipulations ensemblistes :( ⋃i∈IEi)ω

= x ∈ X | (ω, x) ∈⋃i∈IEi = x ∈ X | ∃i ∈ I : (ω, x) ∈ Ei

= x ∈ X | ∃i ∈ I : x ∈ (Ei)ω =⋃i∈I

(Ei)ω .( ⋂i∈IEi)ω

= x ∈ X | (ω, x) ∈⋂i∈IEi = x ∈ X | ∀i ∈ I : (ω, x) ∈ Ei

= x ∈ X | ∀i ∈ I : x ∈ (Ei)ω =⋂i∈I

(Ei)ω .

(Ei \ Ej)ω = x ∈ X | (ω, x) ∈ Ei \ Ej= x ∈ X | (ω, x) ∈ Ei & (ω, x) /∈ Ej= x ∈ X | x ∈ (Ei)ω & x /∈ (Ej)ω =

((Ei)ω

)\((Ej)ω

). CQFD

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LA MESURE PRODUIT 107

13.3 Lemme. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables. Alors les sectionsd’ensembles mesurables E ∈ F ⊗ G sont mesurables au sens

∀E ∈ F ⊗ G :(∀ω ∈ Ω : Eω ∈ G et ∀x ∈ X : Ex ∈ F

).

Preuve. Pour les sections en ω on fixe ω ∈ Ω et on pose

H = E ∈ F ⊗ G | Eω ∈ G .

L’idee de la preuve est de montrer que H est une tribu qui contient les paves dansF××G. Vu que F ⊗ G est la plus petite tribu qui contient F××G, on aura montre leresultat voulu.

Pour F ∈ F et G ∈ G on calcule

(F ×G)ω = x ∈ X | (ω, x) ∈ F ×G

= x ∈ X | ω ∈ F & x ∈ G =

∅ ω /∈ F ,

G ω ∈ F .

Dans les deux cas (F ×G)ω appartient a G, ce qui montre que F ×G appartient aH. Ceci montre donc que H contient F××G.

Pour montrer que H est une tribu, on verifie les proprietes. Il est evident que∅ω = ∅ et donc ∅ ∈ H. Si En appartient a H pour tout n ∈ N, alors par definitionchaque (En)ω appartient a G qui est une tribu. Leur reunion appartient donc aussia G. Mais on peut appliquer [13.2.i] pour obtenir⋃

n∈N(En)ω =

( ⋃n∈N

En

)ω.

Il s’ensuit que ∪n∈NEn appartient a H. On termine avec le complementaire. SiE appartient a H, alors par hypothese Eω appartient a la tribu G, donc (Eω)c luiappartient aussi. Mais par [13.2.iii] on obtient

(Ec)ω ≡((Ω×X) \ E

= (Ω×X)ω \ Eω = X \ Eω = (Eω)c .

Il s’ensuit que Ec appartient a H, ce qui termine la verification des trois proprietesd’une tribu (pour H). La preuve pour les sections en x ∈ X est (evidemment)similaire. CQFD

→ 13.4 Lemme. Soit (Ω,F), (X,G) et (Y,H) trois espaces mesurables et supposonsque f : Ω×X → Y est une application mesurable.

(i) Pour tout ω ∈ Ω l’application fω : X → Y , x 7→ f(ω, x) est mesurable.(ii) Pour tout x ∈ X l’application fx : Ω→ Y , ω 7→ f(ω, x) est mesurable.

Preuve de [13.4]. Soit H ∈ H mesurable, alors

(fω)−1(H) = x ∈ X | f(ω, x) ∈ H= x ∈ X | (ω, x) ∈ f−1(H) =

(f−1(H)

)ω.

Par [13.3] on en deduit que (fω)−1(H) appartient a G, ce qui montre que fω estune application mesurable. Un argument similaire montre que fx est mesurable.

CQFD

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108 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

13.5 Notation. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f une fonction mesurablesur Ω. Par analogie avec l’integrale de Riemann on introduit, dans la notation dela valeur de l’integrale de f sur Ω, une variable muette, dite variable d’integration,et on ecrit ∫

Ω

f dµ =

∫Ω

f(ω) dµ(ω) =

∫Ω

f(x) dµ(x) .

Comme dans l’integrale de Riemann, le symbole utilise pour la variable d’integration(ci-dessus ω ou x) n’a presque pas d’importance.

L’utilite de la variable d’integration devient evidente en presence de plusieursespaces mesures. Soit par exemple (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables etsoit f une fonction sur le produit Ω×X. Avec une variable d’integration on peutfacilement definir deux nouvelles fonctions F et G sur Ω et X respectivement par

F (ω) =

∫X

f(ω, x) dν(x) et G(x) =

∫Ω

f(ω, x) dµ(ω) .

Dans la fonction F on prend l’integrale sur l’espace X et on considere la variabledans Ω comme un parametre, tandis que la situation pour G est le contraire. Sansl’utilisation d’une variable d’integration on serait oblige d’introduire, pour ω ∈ Ωet x ∈ X, les fonctions fω sur X et fx sur Ω definies par

fω(x) = f(ω, x) et fx(ω) = f(ω, x) ,

et d’ecrire

F (ω) =

∫X

fω dν et G(x) =

∫Ω

fx dµ .

L’utilisation d’une variable d’integration evite donc l’introduction de ces nouvellesfonctions “partielles” et rend en meme temps les formules plus lisibles (car lamemoire est moins chargee avec des notations superflues comme les fonctions fωou fx).

→ 13.6 Lemme. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables et soit E ∈ F ⊗ G.Alors on a les egalites∫

X

1E(ω, x) dν(x) = ν(Eω) et

∫Ω

1E(ω, x) dµ(ω) = µ(Ex) .

Preuve de [13.6]. Pour ω ∈ Ω fixe, on a les equivalences

1E(ω, x) = 1 ⇔ (ω, x) ∈ E ⇔ x ∈ Eω ⇔ 1Eω (x) = 1 .

On peut donc faire le calcul

hE(ω) =

∫X

1E(ω, x) dν(x) =

∫X

1Eω (x) dν(x)[6.5.i], [5.9.i]

= ν(Eω) .

La preuve de l’autre egalite est similaire et laisse au lecteur. CQFD

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LA MESURE PRODUIT 109

13.7 Proposition. Soit (Ω,F) et (X,G) deux espaces mesurables.

(i) Si ν est une mesure σ-finie sur X, alors pour tout E ∈ F ⊗ G l’applicationhE : Ω→ R+ definie par

(13.8) hE(ω) =

∫X

1E(ω, x) dν(x) ≡ ν(Eω)

est mesurable.(ii) Si µ est une mesure σ-finie sur Ω, alors pour tout E ∈ F ⊗ G l’application

h′E : X → R+ definie par

(13.9) h′E(x) =

∫Ω

1E(ω, x) dµ(ω) ≡ µ(Ex)

est mesurable.

Preuve. Il est evident que les preuves de (i) et (ii) sont similaires vu la symetriedes enonces. On se contente donc de traiter seulement le cas (i). On commenceavec un calcul simple : pour F ∈ F et G ∈ G on a

hF×G(ω) =

∫X

1F×G(ω, x) dν(x) =

∫X

1F (ω) · 1G(x) dν(x)

[9.16]= 1F (ω)

∫X

1G(x) dν(x) = 1F (ω) ν(G) ,

c’est-a-dire hF×G = 1F ν(G), ce qui est une application mesurable. (Nota Bene :ceci n’est une fonction etagee que si ν(G) < ∞.) On a donc montre que hE estmesurable dans le cas ou E = F ×G est un pave. Pour montrer que toutes les hEsont mesurables on introduit l’ensemble

H = E ∈ F ⊗ G | hE est mesurable ⊂ F ⊗ G ,

et le but sera de montrer l’egalite H = F ⊗G. On vient de montrer que H contientle π-systeme F××G, donc, selon le theoreme de Dynkin [12.5], il suffit de montrerque H est un λ-systeme pour conclure qu’on a l’inclusion

F ⊗ G ≡ σ(F××G)[12.5]⊂ H ⊂ F ⊗ G ,

ce qui montre l’egalite voulue. Pour cela on utilise [13.6] dans la verification destrois proprietes d’un λ-systeme.

• L’espace total Ω×X appartient a H car il appartient a F××G.

• Si (An)n∈N est une suite croissante d’elements de H, on peut utiliser la conti-nuite pour des suites croissantes d’une mesure [4.10.iii] pour faire le calcul

h∪n∈N

An(ω)(13.9)

= ν(( ⋃n∈N

An)ω

)[13.2.i]

= ν(⋃n∈N

(An)ω)[4.10.iii]

= limn→∞

ν((An)ω)

(13.9)= lim

n→∞hAn(ω) ,

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110 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ou pour la troisieme egalite on a utilise le fait que la suite (An)ω est croissante (carA ⊂ B ⇒ Aω ⊂ Bω). Ce calcul se resume comme

h∪n∈N

An = limn→∞

hAn .

Par hypothese les hAn sont mesurables, donc leur limite est aussi mesurable [7.20].Ainsi on a montre que H est stable par reunion denombrable croissante.• Soit finalement A,B ∈ H tels que A ⊂ B. Alors on a la reunion disjointe

B = A ∪ (B \A) et on peut faire le calcul

hB(ω) = ν(Bω) = ν(Aω ∪ (B \A)ω) = ν(Aω) + ν((B \A)ω)

= hA(ω) + hB\A(ω) ,

ce qu’on peut resumer comme hB = hA + hB\A. De la on voudrait conclure qu’ona hB\A = hB − hA et donc que hB\A est mesurable comme difference de deuxapplications mesurables. Malheureusement une telle conclusion n’est pas justifieeen general car hA et hB peuvent prendre la valeur ∞ et ∞−∞ n’est pas defini.C’est ici qu’on va utiliser le fait que ν est σ-finie.

Dans un premier temps on suppose que ν est une mesure finie. Et alors laconclusion est justifiee, parce que dans ce cas on a les inegalites ν(A) ≤ ν(B) ≤ν(X) <∞ [4.10.ii], ce qui montre que la difference est bien definie. Autrement dit,si ν est une mesure finie, alors H est un λ-systeme et on peut conclure avec [12.5]que hE est mesurable pour tout E ∈ F ⊗ G.

Si ν est seulement σ-finie, alors il existe ([4.17]) une suite croissante Cn ∈ G,n ∈ N telle que ∪n∈NCn = X et ν(Cn) < ∞ pour tout n ∈ N. On introduitmaintenant les applications νn ≡ νCn : G → R+ comme

νn(G) = ν(G ∩ Cn) .

Selon [4.7.ii] ce sont des mesures qui sont en plus finies : νn(X) = ν(Cn) <∞. Leraisonnement precedent montre donc que les applications

hnE : ω 7→ νn(Eω) =

∫X

1E(ω, x) dνn(x)

sont mesurables pour tous les E ∈ F ⊗ G. Et maintenant (parce que la suite(Cn)n∈N est croissante) :

hE(ω) = ν(Eω) = ν(⋃n∈N

(Eω ∩ Cn))[4.10.iii]

= limn→∞

ν(Eω ∩ Cn) = limn→∞

hnE(ω) ,

ce qui dit que hE est la limite de la suite hnE . Mais ces derniers sont mesurables,donc hE est elle aussi mesurable. CQFD

13.10 Remarque pour les curieux concernant la preuve de [13.7]. Aulieu de reecrire la definition de hE , on aurait pu proceder, dans la verification desproprietes d’un λ-systeme, directement avec la formule (13.7) comme suit. Si An

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LA MESURE PRODUIT 111

est une suite croissante d’ensembles mesurables, alors 1An est une suite croissantede fonctions positives mesurables [7.4]. De nouveau par la croissance de la suite Anon a en plus limn→∞ 1An = 1∪n∈NAn . Selon [13.4] les applications x 7→ 1An(ω, x)sont mesurables. On peut donc appliquer le theoreme de convergence monotone[9.1] et faire le calcul

h∪n∈N

An(ω) =

∫X

1∪n∈NAn(ω, x) dν(x) =

∫X

limn→∞

1An(ω, x) dν(x)

= limn→∞

∫X

1An(ω, x) dν(x) = limn→∞

hAn(ω) .

Pour hB\A on peut faire un calcul analogue, mais le probleme ne disparaıt pas pourautant. On a bien 1B\A = 1B − 1A, mais si ces fonctions ne sont pas integrables(n’ont pas une integrale finie), on ne peut pas appliquer la linearite de l’integraleet dire que l’integrale d’une difference est la difference des integrales.

→ 13.11 Exercice. Montrer que dans la preuve de [13.7] on peut aussi ecrire

νn(Eω) =

∫X

1E(ω, x) · 1Cn(x) dν(x) =

∫Cn

1E(ω, x) dν(x) .

13.12 Proposition. Soit (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures.

(i) Si ν est σ-finie, alors l’application ξ : F ⊗ G → R+ definie par

ξ(E) =

∫Ω

( ∫X

1E(ω, x) dν(x))

dµ(ω)

est une mesure verifiant ξ(F ×G) = µ(F ) ν(G) pour tout F ∈ F , G ∈ G.(ii) Si µ est σ-finie, alors l’application ρ : F ⊗ G → R+ definie par

ρ(E) =

∫X

( ∫Ω

1E(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

est une mesure verifiant ρ(F ×G) = µ(F ) ν(G) pour tout F ∈ F , G ∈ G.

Preuve. Comme dans la preuve de [13.7] les preuves de (i) et (ii) sont similaires ;traitons ici le cas (ii). Pour F ∈ F et G ∈ G on a (voir la preuve de [13.7]) :

ρ(F ×G)def=

∫X

( ∫Ω

1F×G(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

=

∫X

( ∫Ω

1F (ω) · 1G(x) dµ(ω))

dν(x)

=

∫X

1G(x)( ∫

Ω

1F (ω) dµ(ω))

dν(x) =

∫X

1G(x) µ(F ) dν(x)

[9.16]= µ(F )

∫X

1G(x) dν(x) = µ(F ) ν(G) ,

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112 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ce qui montre la derniere assertion.Pour montrer que ρ definit une mesure, il faut verifier deux choses : ρ(∅) = 0 et

la σ-additivite. On commence avec la premiere :

ρ(∅) = ρ(∅ × ∅) = µ(∅) ν(∅) = 0 .

Pour la σ-additivite on suppose que les En ∈ F ⊗ G, n ∈ N sont deux a deuxdisjoints et on calcule :

ρ(⋃n∈N

En)def=

∫X

( ∫Ω

1 ∪n∈N

En(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

les En sont deux a deux disjoints, donc 1∪n∈N

En =∑n∈N

1En et donc

=

∫X

( ∫Ω

∑n∈N

1En(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

selon [13.4] les applications ω 7→ 1En(ω, x) sont mesurables, donc par [9.13]

=

∫X

( ∑n∈N

∫Ω

1En(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

selon [13.7] l’application x 7→∫

Ω1En(ω, x) dµ(ω) est mesurable, donc de nou-

veau par [9.13]

=∑n∈N

∫X

( ∫Ω

1En(ω, x) dµ(ω))

dν(x) =∑n∈N

ρ(En) .

Ainsi ρ verifie les conditions d’une mesure. CQFD

13.13 Lemme. Soit (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures et soit ρ : F⊗G →R+ une mesure verifiant

∀F ∈ F , G ∈ G : ρ(F ×G) = µ(F ) ν(G) .

(i) Si µ et ν sont σ-finies, alors ρ est σ-finie sur F××G.(ii) Si ρ est σ-finie sur F××G et si µ(Ω) ν(X) 6= 0, alors µ et ν sont σ-finies.

Preuve. • (i) : Selon [4.17] il existe deux suites croissantes An ∈ F et Bn ∈ Gtelles que ∪n∈NAn = Ω, ∪n∈NBn = X et pour tout n ∈ N : µ(An) < ∞ etν(Bn) <∞. On considere maintenant la suite (croissante) (Cn)n∈N d’elements deF××G definie par Cn = An × Bn ∈ F××G. Cette suite verifie ∪n∈NCn = Ω × X,car pour tout (ω, x) ∈ Ω ×X il existe M ∈ N tel que ω ∈ AM et N ∈ N tel quex ∈ BN . La croissance des suites montre alors que (ω, x) appartient a Ck pour toutk ≥ max(M,N). Mais on a aussi

ρ(Cn) = µ(An) ν(Bn) <∞ ,

ce qui termine la preuve que ρ est σ-finie sur F××G.

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LA MESURE PRODUIT 113

• (ii) : Si ρ est σ-finie sur F××G, alors il existe deux suites Fn ∈ F et Gn ∈ Gtelles que

(13.14) Ω×X =⋃n∈N

Fn ×Gn et µ(Fn) ν(Gn) = ρ(Fn ×Gn) <∞ .

A l’aide de ces ensembles Fn et Gn on definit les ensembles IF , IG ⊂ N par

IF = n ∈ N | µ(Fn) <∞ et IG = n ∈ N | ν(Gn) <∞

et on definit les ensembles A ∈ F et B ∈ G comme

A =⋃

n∈IFFn et B =

⋃n∈IG

Gn .

Si on n’a pas A = Ω, alors il existe ωo ∈ Ω \ A. Pour tout x ∈ X il existe (par(13.14)) n ∈ N tel que (ωo, x) ∈ Fn × Gn. Si on avait µ(Fn) < ∞, alors onaurait n ∈ IF et ωo ∈ A, ce qui est contradictoire avec le choix de ωo. On a doncµ(Fn) =∞ mais aussi (par (13.14)) µ(Fn) ν(Gn) <∞. Ceci n’est possible que sion a ν(Gn) = 0. On a donc montre :

∀x ∈ X ∃n ∈ N : x ∈ Gn et ν(Gn) = 0 .

Si on definit maintenant JG ⊂ N comme

JG = n ∈ N | ν(Gn) = 0 ,

alors on a montre l’inclusion X ⊂ ∪n∈JGGn. Mais JG est denombrable commesous-ensemble d’un ensemble denombrable [1.5], donc on peut utiliser la sous-σ-additivite d’une mesure pour conclure

0 ≤ ν(X) ≤∑n∈JG

ν(Gn) =∑n∈JG

0 = 0 .

On a donc ν(X) = 0, ce qui est incompatible avec l’hypothese µ(Ω) ν(X) 6= 0.Il s’ensuit que l’hypothese A 6= Ω n’est pas tenable, donc on a A = Ω. Par defi-nition de IF et de A on vient de montrer que µ est σ-finie, car Ω = A est lareunion denombrable (IF est denombrable) d’ensembles mesurables de µ-mesurefinie (µ(Fn) <∞ pour n ∈ IF ).

Le meme argument applique a B (on echange les roles de (Ω,F , µ) et (X,G, ν))nous dit qu’on a B = X et donc que ν est σ-finie. CQFD

13.15 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures tels que µ et νsont σ-finies. Alors il existe une unique mesure, notee µ ⊗ ν et appelee la mesureproduit sur F ⊗ G telle que

(µ⊗ ν)(F ×G) = µ(F ) ν(G) .

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114 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Cette mesure est, elle aussi, σ-finie et peut etre definie au choix par

(µ⊗ ν)(E) =

∫Ω

( ∫X

1E(ω, x) dν(x))

dµ(ω) ≡∫

Ω

ν(Eω) dµ(ω)

ou (µ⊗ ν)(E) =

∫X

( ∫Ω

1E(ω, x) dµ(ω))

dν(x) ≡∫X

µ(Ex) dν(x)

pour E ∈ F ⊗ G.

Preuve. Dans [13.12] on a montre que les deux formules definissent une mesure surF ⊗ G qui verifie la condition donnee. Par consequent de telles mesures existent.Pour montrer l’unicite on suppose qu’on en a deux ρ et ξ. Par hypothese ces deuxmesures coıncident sur le π-systeme F××G qui engendre la tribu produit F⊗G. Par[13.13] ces deux mesures sont aussi σ-finies sur F××G (donc σ-finie tout court). Parle theoreme d’unicite [12.11] on a l’egalite ρ = ξ. CQFD

13.16 Remarque sur la preuve de [13.13]. L’utilisation de [4.17] n’est pasindispensable, car si An | n ∈ N ⊂ F et Bn | n ∈ N ⊂ G sont deux famillesdenombrables telles que ∪n∈NAn = Ω, ∪n∈NBn = X et pour tout n ∈ N : µ(An) <∞ et ν(Bn) <∞, alors An×Bm | n,m ∈ N est une famille denombrable verifiant(µ⊗ν)(An×Bm) = µ(An) ·ν(Bm) <∞ et ∪(n,m)∈N2An×Bm = Ω×X. Le passagepar [4.17] nous permet seulement de rester plus facilement dans le cadre d’une suited’elements de la tribu F ⊗ G.

13.17 Remarque pour les curieux. Dans [13.15], la mesure produit µ ⊗ ν estdefinie quand les deux mesures µ et ν sont σ-finies. Et c’est vrai que, dans lapratique, on manipule quasi exclusivement des mesures σ-finies. Mais, comme onpeut voir dans [16.16] et [17.19], la σ-finitude de µ et ν n’est pas une conditionnecessaire, ni pour l’existence, ni pour l’unicite de la mesure produit.

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115

14. Le theoreme de Fubini

14.1 Theoreme (Fubini-Tonelli). Soit (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesu-res tels que µ et ν soient σ-finies. Soit f : Ω × X → R+ une fonction mesurablepour la tribu produit F ⊗G sur Ω×X (et la tribu de Borel sur R+ bien sur). Alorsles deux applications F : Ω→ R+ et G : X → R+ definies par

F (ω) =

∫X

f(ω, x) dν(x) et G(x) =

∫Ω

f(ω, x) dµ(ω)

sont mesurables et on a les egalites∫Ω×X

f d(µ⊗ ν) =

∫Ω

( ∫X

f(ω, x) dν(x))

dµ(ω) ≡∫

Ω

F dµ

=

∫X

( ∫Ω

f(ω, x) dµ(ω))

dν(x) ≡∫X

G dν .

Preuve. Comme pour [13.7] et [13.12] la symetrie de l’enonce fait que les preuvespour F et pour G (aussi bien pour la mesurabilite que pour l’integrale) sont sim-ilaires. On ne traite ici que le cas de F . On applique l’approche standard [10.16]en procedant par etapes : (i) f une fonction indicatrice, (ii) f une fonction etageepositive, (iii) f une fonction mesurable positive.• (i) : Si f est une fonction indicatrice f = 1E , E ∈ F ⊗ G, alors on a montre

dans [13.7] que l’application F ≡ hE est mesurable et dans [13.12] ou [13.15] on amontre qu’on a dans ce cas l’egalite∫

Ω×X1E d(µ⊗ ν)

[6.5]= (µ⊗ ν)(E)

[13.8], [13.15]=

∫Ω

F dµ .

On a donc montre le theoreme dans le cas (i).• (ii) : Si f est une fonction etagee positive, alors il existe ci ∈ [0,∞ [ et Ai ∈

F ⊗ G, 1 ≤ i ≤ n tels que f =∑ni=1 ci · 1Ai [8.17]. Selon [13.4] les applications

x 7→∑ni=1 ci · 1Ai(ω, x) sont mesurables, donc on peut appliquer [9.16] et [9.12]

pour obtenir

F (ω) =

∫X

n∑i=1

ci · 1Ai(ω, x) dν(x) =n∑i=1

ci

∫X

1Ai(ω, x) dν(x) .

Par le cas (i) ceci est une combinaison lineaire de fonctions mesurables positives,donc par [8.14] c’est une fonction mesurable. Pour l’integrale on peut donc (denouveau) appliquer [9.16] et [9.12] et calculer :∫

Ω

F dµ =

∫Ω

( n∑i=1

ci

∫X

1Ai(ω, x) dν(x))

dµ(ω)

=

n∑i=1

ci

∫Ω

( ∫X

1Ai(ω, x) dν(x))

dµ(ω)

par le cas (i)=

n∑i=1

ci

∫Ω×X

1Ai d(µ⊗ ν)[9.16], [9.12]

=

∫Ω×X

f d(µ⊗ ν) .

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116 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Le theoreme est donc aussi montre dans le cas (ii).• (iii) : Si f est une fonction mesurable positive quelconque, alors par [9.7] il exi-

ste une suite croissante de fonctions etagees positives hn telle que f = limn→∞ hn.Selon [13.4] les applications x 7→ hn(ω, x) sont mesurables (et forment evidemmentune suite croissante de fonctions etagees positives). On peut donc appliquer letheoreme de convergence monotone [9.1] :

F (ω) =

∫X

limn→∞

hn(ω, x) dν(x) = limn→∞

∫X

hn(ω, x) dν(x) .

Par le cas (ii) ceci est la limite d’une suite de fonctions mesurables et donc par[7.20] F est mesurable. Pour l’integrale on peut donc (de nouveau et en utilisantla croissance de l’integrale [6.5.ii]) appliquer [9.1] :∫

Ω

F dµ =

∫Ω

(limn→∞

∫X

hn(ω, x) dν(x))

dµ(ω)

[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

( ∫X

hn(ω, x) dν(x))

dµ(ω)

par le cas (ii)= lim

n→∞

∫Ω×X

hn d(µ⊗ ν)[9.1]=

∫Ω×X

f d(µ⊗ ν) .

Ainsi on a montre le theoreme dans le cas general. CQFD

14.2 Theoreme (Fubini). Soit (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures telsque µ et ν soient σ-finies. Soit f : Ω×X → K avec K = R, R ou C une fonctionmesurable pour la tribu produit F ⊗ G sur Ω×X.

(i) La fonction f est µ⊗ν-integrable si et seulement si l’une des deux integralesrepetees∫

Ω

(∫X

|f(ω, x)| dν(x))

dµ(ω) ou

∫X

(∫Ω

|f(ω, x)| dµ(ω))

dν(x)

(et donc par [14.1] les deux) est finie.(ii) Si f est µ⊗ ν-integrable, alors la fonction fω : X → K definie par fω(x) =

f(ω, x) est ν-integrable pour µ-presque tout ω. C’est-a-dire qu’il existe unensemble mesurable A ⊂ Ω tel que µ(Ac) = 0 et tel que

A = ω ∈ Ω | fω est ν-integrable sur X .

De plus, la fonction F : Ω→ K definie par

F (ω) =

∫X

f(ω, x) dν(x) si ω ∈ A, F (ω) = 0 si ω ∈ Ac

est µ-integrable.(ii)bis Si f est µ⊗ ν-integrable, alors la fonction fx : Ω→ K definie par fx(ω) =

f(ω, x) est µ-integrable pour ν-presque tout x. C’est-a-dire qu’il existe unensemble mesurable B ⊂ X tel que µ(Bc) = 0 et tel que

B = x ∈ X | fx est µ-integrable sur Ω .

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LE THEOREME DE FUBINI 117

De plus, la fonction G : X → K definie par

G(x) =

∫Ω

f(ω, x) dµ(ω) si x ∈ B, G(x) = 0 si x ∈ Bc

est ν-integrable.(iii) Si f est µ⊗ ν-integrable, alors on a les egalites∫

Ω×Xf d(µ⊗ ν) =

∫Ω

F dµ =

∫X

G dν .

14.3 L’idee de la preuve de [14.2]. L’argument heuristique sur lequel reposel’enonce et la preuve des parties (ii) et (iii) de ce theoreme est le calcul suivant : onintroduit les fonctions Φ± : Ω→ R+ par

Φ±(ω) =

∫X

f±(ω, x) dν(x)

et on calcule∫Ω×X

f d(µ⊗ ν)def=

∫Ω×X

f+ d(µ⊗ ν)−∫

Ω×Xf− d(µ⊗ ν)

[14.1]=

∫Ω

Φ+ dµ−∫

Ω

Φ− dµ =

∫Ω

(Φ+ − Φ−) dµ

=

∫Ω

( ∫X

(f+(ω, x)− f−(ω, x)

)dν(x)

)dµ(ω)

=

∫Ω

( ∫X

f(ω, x) dν(x))

dµ(ω) .

Le probleme avec ce calcul est que la fonction Φ+ − Φ− n’est pas forcement biendefinie sur tout Ω : on peut tomber sur ∞−∞. Et donc a partir de la troisiemeegalite ce calcul n’est plus justifiable en general. L’existence de l’ensemble de com-plementaire negligeable A remedie a la situation.

Preuve. • (i) : Si f : Ω ×X → K est mesurable, alors |f | : Ω ×X → R+ est unefonction mesurable positive [7.13]. Par [14.1] on a donc les egalites∫

Ω×X|f | d(µ⊗ ν) =

∫Ω

( ∫X

|f(ω, x)| dν(x))

dµ(ω)

=

∫X

( ∫Ω

|f(ω, x)| dµ(ω))

dν(x) .

La fonction f est µ⊗ν-integrable si le premier de ces trois termes est fini, ce qui estdonc, a cause des egalites, le cas si le deuxieme ou troisieme est fini, ce qui montre(i).• (ii) + 1

2 (iii) : Si f est µ⊗ ν-integrable, alors, comme on vient de voir,∫Ω

( ∫X

|f(ω, x)| dν(x))

dµ(ω) <∞ .

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118 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Avec [9.15.i] et le fait que l’application ω 7→∫X|f(ω, x)| dν(x) est mesurable [14.1],

on en deduit que l’ensemble A defini comme

(14.4) A = ω ∈ Ω |∫X

|f(ω, x)| dν(x) <∞

est mesurable et verifie µ(Ac) = 0. Mais avec la definition des fonctions fω et [13.4]on peut reecrire cela comme

A = ω ∈ Ω | fω est ν-integrable sur X .

On a donc montre que fω est ν-integrable pour µ-presque tout ω.Maintenant on distingue les cas K = R (ce qui inclut le cas K = R) et K = C

et dans un premier temps on ne considere que le cas K = R. On separe f en sesparties positive et negative f = f+ − f− et on definit les fonctions Φ± : Ω → R+

par

Φ±(ω)def=

∫X

f±(ω, x) dν(x)f±≤|f |≤

∫X

|f(ω, x)| dν(x) .

Il s’ensuit que Φ±(ω) est finie pour ω ∈ A. Par definition de l’integrale d’unefonction integrable et le fait qu’on a l’egalite (fω)± = (f±)ω, on peut ecrire ladefinition de F comme :

F (ω) = Φ+(ω)− Φ−(ω) si ω ∈ A, F (ω) = 0 si ω ∈ Ac.

Les fonctions f± sont mesurables positives, donc par [14.1] les fonctions Φ± sontmesurables positives. Il s’ensuit que F est la difference de deux fonctions mesurables(positives) finies sur A, c’est-a-dire que F est mesurable sur A. Avec [7.9] il s’ensuitque F est mesurable sur Ω. On peut raccourcir la formule pour F en utilisant leproduit prolonge :

F (ω) = Φ+(ω) 1A(ω)− Φ−(ω) 1A(ω) .

Par definition de A, chaque terme Φ± 1A est une fonction mesurable positive finiesur Ω et on en deduit de nouveau que F est mesurable sur Ω. Mais attention : leproduit prolonge n’est pas (en general) distributif, donc on ne peut pas (en general)mettre la fonction indicatrice 1A en facteur.

Pour l’integrabilite de F on remarque qu’on a les egalites

|F | = F+ + F− et F± = Φ± 1A .

On peut donc faire le calcul∫Ω

|F | dµ =

∫Ω

F+ dµ+

∫Ω

F− dµ[10.8.i]

=

∫Ω

Φ+ dµ+

∫Ω

Φ− dµ

(14.1)=

∫Ω×X

f+ dµ+

∫Ω×X

f− dµ =

∫Ω×X

|f | d(µ⊗ ν) <∞ ,

ce qui montre que F est bien µ-integrable.

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LE THEOREME DE FUBINI 119

Une fois qu’on sait que F est µ-integrable, on peut faire un calcul semblablepour

∫ΩF dµ :∫

Ω

F dµ =

∫Ω

F+ dµ−∫

Ω

F− dµ[10.8.i]

=

∫Ω

Φ+ dµ−∫

Ω

Φ− dµ

(14.1)=

∫Ω×X

f+ dµ−∫

Ω×Xf− dµ =

∫Ω×X

f d(µ⊗ ν) ,

ce qui montre l’egalite entre l’integrale double et l’une des deux integrales repetees.Pour traiter le cas K = C on peut proceder de deux facons. On peut remarquer

que l’argument donne ci-dessus pour le cas K = R s’applique sans modificationsmajeures aux parties reelle et imaginaire de f , ce qui montrera le cas des fonctionscomplexes. Ou bien on peut remarquer qu’on a les inegalites

|Ref | ≤ |f | et |Imf | ≤ |f | .

Il s’ensuit que si f est µ⊗ν-integrable, alors Ref et Imf le sont aussi. On peut doncappliquer le resultat du cas K = R aux fonctions Ref et Imf et dire que l’integraled’une fonction complexe se calcule en separant les parties reelle et imaginaire.• (ii)bis + 1

2 (iii) : La preuve de (ii)bis et la preuve de l’egalite entre l’integraledouble et l’autre integrale repetee est similaire a la preuve precedente par symetriedes enonces. CQFD

14.5 Abus de notation tres utile. L’integrale∫Xf(ω, x) dν(x) n’est pas tou-

jours definie, ce qui nous oblige a introduire la fonction F . Mais l’usage veut qu’onpretende (si f est µ ⊗ ν-integrable) que cette integrale existe partout, que celadefinisse une fonction µ-integrable et qu’on ait l’egalite∫

Ω×Xf d(µ⊗ ν) =

∫Ω

(∫X

f(ω, x) dν(x))

dµ(ω) .

Pour l’integrale repetee dans l’autre sens la situation est similaire. La situation estdonc (legerement) differente du cas des fonctions positives, ou l’integrale sur l’unedes deux facteurs est toujours definie et mesurable. La, l’egalite entre l’integraledouble et les integrales repetees est “parfaite.” Pour une fonction mesurable quel-conque on suivra l’usage et on se passe de la fonction F , malgre le fait que ce qu’onecrit n’a pas forcement de sens. Avec cet abus de notation on enonce le theoremede Fubini souvent sous une forme un peu abrege comme suit.

14.6 Theoreme (Fubini - version simplifiee pour usage courant). Soit(Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures tels que µ et ν sont σ-finies. Soitf : Ω×X → K avec K = R, R ou C une fonction mesurable.

Alors f est µ⊗ ν-integrable si et seulement si l’une des deux integrales repetees∫Ω

(∫X

|f(ω, x)| dν(x))

dµ(ω) ou

∫X

(∫Ω

|f(ω, x)| dµ(ω))

dν(x)

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120 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

est finie. Si c’est le cas on a les egalites∫Ω×X

f d(µ⊗ ν) =

∫Ω

(∫X

f(ω, x) dν(x))

dµ(ω)

=

∫X

(∫Ω

f(ω, x) dµ(ω))

dν(x) .

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121

15. Integrales multiples

15.1 Discussion. Le theoreme de Fubini est un theoreme qui dit comment on peutcalculer l’integrale sur un espace produit par l’intermediaire d’integrales repetees.Mais on peut l’interpreter d’une toute autre facon sans faire allusion a l’integralesur le produit. Si on fait abstraction des precautions donnees dans [14.2.ii], on peutformuler le theoreme de Fubini comme suit sans parler de la mesure produit.

Soient (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures et soit f : Ω ×X → Cune application mesurable par rapport a la tribu produit. Si l’une des deuxintegrales repetees∫

Ω

(∫X

|f(ω, x)| dν(x))

dµ(ω) ou

∫X

(∫Ω

|f(ω, x)| dµ(ω))

dν(x)

est finie, alors on a l’egalite sans les valeurs absolues∫Ω

(∫X

f(ω, x) dν(x))

dµ(ω) =

∫X

(∫Ω

f(ω, x) dµ(ω))

dν(x) .

Formule ainsi, le theoreme de Fubini donne une condition suffisante pour qu’onpuisse intervertir deux integrales repetees. Et si on avait un triple produit ? Ima-ginons qu’on a trois espaces mesures (Ω,F , µ), (X,G, ν) et (Y,H, π) et qu’on a unefonction mesurable f : Ω×X × Y → C. A-t-on, par exemple, l’egalite

(15.2)

∫Ω

(∫X

(∫Y

f(ω, x, y) dπ(y))

dν(x))

dµ(ω)

=

∫Y

(∫X

(∫Ω

f(ω, x, y) dµ(ω))

dν(x))

dπ(y) ?

On peut tenter de le deduire du theoreme de Fubini (en oubliant les details demesurabilite et definition presque partout), qui necessite quand meme le passagepar l’integrale sur un produit. Voici un calcul suggestif.∫

Ω

(∫X

(∫Y

f(ω, x, y) dπ(y))

dν(x))

dµ(ω)

Fubini avec ν et π : =

∫Ω

(∫X×Y

f(ω, x, y) d(ν ⊗ π)(x, y))

dµ(ω)

Fubini avec µ et ν ⊗ π : =

∫Ω×(X×Y )

f(ω, x, y) d(µ⊗ (ν ⊗ π))(ω, (x, y))

? =

∫(Ω×X)×Y

f(ω, x, y) d((µ⊗ ν)⊗ π)((ω, x), y)

Fubini avec µ⊗ ν et π : =

∫Y

(∫Ω×X

f(ω, x, y) d(µ⊗ ν)(ω, x))

dπ(y)

Fubini avec µ et ν : =

∫Y

(∫X

(∫Ω

f(ω, x, y) dµ(ω))

dν(x))

dπ(y) .

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122 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Pour obtenir la quatrieme ligne on n’a pas applique le theoreme de Fubini, maison a simplement deplace des parentheses. La grande question est : a-t-on le droit ?Regardons d’abord l’espace sur lequel on calcule l’integrale. Avant on a Ω×(X×Y )et apres on a (Ω×X)×Y . Et officiellement ces deux espaces ne sont pas les memes!Pour tous les deux les elements sont des couples : pour le premier c’est un coupledont la premiere composante est un element de Ω et dont la deuxieme composanteest un couple appartenant au produit X × Y et pour le deuxieme c’est un coupledont la premiere composante est un couple appartenant au produit Ω × X et ladeuxieme composante un element de Y . Neanmoins, tout le monde s’accorde surle fait que ces deux espaces sont les memes et que ses elements sont des triplets(ω, x, y). Signalons quand meme que les egalites

Ω× (X × Y ) = (Ω×X)× Y = Ω×X × Yreposent sur le fait qu’on identifie (ω, (x, y)) avec ((ω, x), y) et (ω, x, y).

Acceptons cela et passons a l’autre endroit ou on a deplace les parentheses : deµ⊗(ν⊗π) vers (µ⊗ν)⊗π. Et la, les choses deviennent plus serieuses. Pour obtenirla mesure µ ⊗ (ν ⊗ π) sur l’espace Ω × X × Y on commence avec la constructionde la mesure ν ⊗ π, definie sur la tribu produit G ⊗ H. Et apres on construit lamesure µ ⊗ (ν ⊗ π) qui est definie sur la tribu produit F ⊗ (G ⊗ H). De la mememaniere on obtient la mesure (µ ⊗ ν) ⊗ π comme une mesure definie sur la tribu(F ⊗ G) ⊗ H. Il y a donc deux questions qui s’imposent : les tribus F ⊗ (G ⊗ H)et (F ⊗ G) ⊗ H sont elles les memes, et si oui, les deux mesures µ ⊗ (ν ⊗ π) et(µ⊗ ν)⊗ π coıncident-elles sur cette tribu ?

15.3 Proposition. Soit (Ωi,Fi, µi), i = 1, . . . , n des espaces mesures.

(i) La tribu σ(F1×× · · ·××Fn) sur le produit Ω1×· · ·×Ωn qui est engendree par

F1×× · · ·××Fn = A1 × · · · ×An, | ∀i = 1, . . . , n : Ai ∈ Fiet qu’on note F1 ⊗ · · · ⊗ Fn sans parentheses, est egale a la tribu obtenueen prenant des produits partiels successifs en placant des parentheses. Parexemple, on a les egalites

F1 ⊗ · · · ⊗ Fn = F1 ⊗ (F2 ⊗ · · · ⊗ Fn)

=((F1 ⊗F2)⊗F3 ⊗ · · · ⊗ Fn−1

)⊗Fn

=((F1 ⊗F2)⊗ (F3 ⊗ · · · ⊗ Fn−1)

)⊗Fn .

(ii) Si, pour tout i = 1, . . . , n, la mesure µi est σ-finie sur Ωi, alors il existeune unique mesure σ-finie sur le produit Ω1 × · · · × Ωn muni de la tribuF1 ⊗ · · · ⊗ Fn, qu’on note µ1 ⊗ · · · ⊗ µn sans parentheses, qui verifie, pourtout A1 ∈ F1, . . . , An ∈ Fn, la condition

(15.4) (µ1 ⊗ · · · ⊗ µn)(A1 × · · · ×An) = µ1(A1) · · · µn(An) .

De plus, cette mesure est egale a la mesure obtenue en prenant des produitspartiels successifs en placant des parentheses. Par exemple, on a les egalites

µ1 ⊗ · · · ⊗ µn = µ1 ⊗ (µ2 ⊗ · · · ⊗ µn)

=((µ1 ⊗ µ2)⊗ µ3 ⊗ · · · ⊗ µn−1

)⊗ µn

=((µ1 ⊗ µ2)⊗ (µ3 ⊗ · · · ⊗ µn−1)

)⊗ µn .

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INTEGRALES MULTIPLES 123

Preuve. • (i) : L’idee de la preuve est de montrer que toutes les tribus obtenues enprenant des produits partiels successifs en placant des parentheses sont engendreespar F1×× · · ·××Fn. On fait cela par recurrence sur le nombre de facteurs n enutilisant [8.5] et l’identification de l’espace obtenu en prenant des produits partielssuccessifs en placant des parentheses avec l’espace produit sans parentheses.

Pour n = 2 il n’y a rien a faire car c’est la definition et il n’y a qu’une seule faconde placer des parentheses. Supposons donc qu’on a montre le resultat pour toutproduit d’au plus n tribus et essayons de le montrer pour un produit de n+1 tribus.Si on ne regarde que les parentheses exterieures, un tel produit s’ecrit comme X⊗You X et Y sont des tribus obtenues en prenant des produits partiels successifs enplacant des parentheses, X avec les j ≤ n premieres tribus F1, . . . ,Fj et Y avec lesn+ 1− j ≤ n dernieres tribus Fj+1, . . . ,Fn+1. Par exemple, dans

(F1 ⊗F2)⊗ (F3 ⊗ (F4 ⊗F5))

X = F1⊗F2 et Y = F3⊗ (F4⊗F5). Par hypothese de recurrence on a les egalites

X = σ(F1×× · · ·××Fj) et Y = σ(Fj+1×× · · ·××Fn+1) .

Il nous reste donc a montrer l’egalite

(15.5) σ(F1×× · · ·××Fj)⊗ σ(Fj+1×× · · ·××Fn+1) = σ(F1×× · · ·××Fn+1) .

Avec la convention d’identifier les produits

(Ω1 × · · · × Ωj)× (Ωj+1 × · · · × Ωn+1) et Ω1 × · · · × Ωn+1

on a l’egalite

(F1×× · · ·××Fj)××(Fj+1×× · · ·××Fn+1) = F1×× · · ·××Fn+1 .

Mais F1×× · · ·××Fj et Fj+1×× · · ·××Fn+1 contiennent l’espace total (Ω1 × · · · × Ωjet Ωj+1× · · · ×Ωn+1 respectivement), donc certainement une suite dont la reunionest l’espace total. On peut donc appliquer [8.5] et conclure qu’on a l’egalite (15.5).• (ii) : Commencons par l’unicite qui se demontre comme dans le cas n = 2. Soit

donc ν et ρ deux mesures sur F1 ⊗ · · · ⊗ Fn verifiant (15.4). L’egalite

(A1 × · · · ×An) ∩ (B1 × · · · ×Bn) = (A1 ∩B1)× · · · × (An ∩Bn)

montre que la collection F1×× · · ·××Fn est un π-systeme. De plus, (15.4) montreque ν et ρ coıncident sur ce π-systeme. Si µi est σ-finie, alors il existe une suitecroissante Ai,k ∈ Fi telle que ∪k∈NAi,k = Ωi et µi(Ai,k) <∞. Alors la suite

Bk = A1,k × · · · ×An,k ∈ F1×× · · ·××Fn

est croissante et verifie ∪k∈NBk = Ω1 × · · · ×Ωn. De plus (de nouveau par (15.4))on a ρ(Bk) <∞. La mesure ρ est donc σ-finie sur le π-systeme. Les hypotheses de[12.11] sont donc verifiees et on peut conclure que ν = ρ.

Pour l’existence on montre, par recurrence sur n, que les mesures obtenues enprenant des produits partiels successifs en placant des parentheses verifient toutes

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124 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

(15.4). Pour n = 2 c’est le resultat [13.15]. Supposons donc qu’on a montre leresultat pour tout produit d’au plus n mesures et essayons de le montrer pour unproduit de n+ 1 mesures. Si on ne regarde que les parentheses exterieures, un telproduit s’ecrit comme ν ⊗ ρ ou ν et ρ sont des mesures obtenues en prenant desproduits partiels successifs en placant des parentheses, ν avec les j ≤ n premieresmesures µ1, . . . , µj et ρ avec les n + 1 − j ≤ n dernieres mesures µj+1, . . . , µn+1.Par hypothese de recurrence ν et ρ sont σ-finies et on a les egalites

ν = µ1 ⊗ · · · ⊗ µj et ρ = µj+1 ⊗ · · · ⊗ µn+1 ,

ainsi que les egalites

ν(A1 × · · · ×Aj) = µ1(A1) · · · µj(Aj) et

ρ(Aj+1 × · · · ×An+1) = µj+1(Aj+1) · · · µn+1(An+1) .

De nouveau par [13.15] la mesure ν ⊗ ρ est σ-finie et verifie (grace a l’associativitedu produit prolonge )

(µ⊗ ρ)(A1 × · · · ×An+1) = µ1(A1) · · · µn+1(An+1) .

Ainsi s’acheve la recurrence et la preuve est terminee. CQFD

15.6 Discussion. Avec [15.3] on a montre que le calcul qu’on a fait dans [15.1]est entierement justifie si µ, ν et π sont σ-finies et on obtient l’egalite (15.2) : sion itere l’integration d’une fonction de trois variables de deux facons differentes onobtient le meme resultat. Mais . . . on a neglige les “details” de mesurabilite etdefinie presque partout.

La generalisation correcte du theoreme de Fubini-Tonelli [14.1] dit que, si onitere des integrations (d’une fonction positive) sur un produit d’espaces mesuresdans n’importe quel ordre (d’abord sur Ωτ(1), ensuite sur Ωτ(2) etc. avec τ unepermutation de l’ensemble 1, . . . , n), alors les resultats intermediaires sont desfonctions mesurables sur le produit des espaces restants. Ce qui veut dire qu’onpeut poursuivre l’iteration. Et le resultat final de l’iteration donne l’integrale surl’espace produit.

Pour le theoreme de Fubini avec une fonction quelconque la situation est plusdelicate car il faut tenir compte du fait que les resultats intermediaires ne sont pasforcement definis partout. La premiere partie dit, comme dans [14.2], que pourtester si une fonction mesurable a valeurs dans K est integrable, il suffit d’itererl’integration de la valeur absolue de la fonction dans un ordre quelconque et devoir si le resultat est fini. La generalisation du theoreme de Fubini-Tonelli garantitqu’une telle iteration est autorisee et ne depend pas de l’ordre choisi. Ensuite, pourcalculer l’integrale de la fonction sur le produit, on itere l’integration dans un ordrequelconque. A chaque etape on obtient une fonction sur le produit des espacesrestants qui n’est definie que presque partout. On doit la completer (par exempleen la definissant zero la ou elle n’est pas definie) en une fonction mesurable sur leproduit restant complet. Et on peut poursuivre l’iteration pour obtenir a la fin lavaleur de l’integrale de la fonction sur l’espace produit total.

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INTEGRALES MULTIPLES 125

Les preuves de ces deux generalisations s’obtiennent par un simple argumentde recurrence sur le nombre de facteurs dans le produit a partir des theoremesfondamentaux [14.1] et [14.2], mais elles sont assez longues a ecrire. On les laisseaux bons soins du lecteur courageux.

15.7 Theoreme (Fubini-Tonelli bis). Soit (Ωi,Fi, µi), i = 1, . . . , n des espacesmesures tels que la mesure µi est σ-finie sur Ωi, soit f : Ω1 × · · · × Ωn → R+ unefonction positive et mesurable pour la tribu F1 ⊗ · · · ⊗ Fn, soit τ une permutationde l’ensemble 1, . . . , n et soit 1 ≤ k < n.

(i) L’application F : Ωτ(k+1) × · · · × Ωτ(n) → R+ definie par

F (ωτ(k+1), . . . , ωτ(n))

=

∫Ωτ(k)

(· · ·(∫

Ωτ(1)

f(ω1, . . . , ωn) dµτ(1)(ωτ(1)))· · ·)

dµτ(k)(ωτ(k))

est mesurable pour la tribu Fτ(k+1) ⊗ · · · ⊗ Fτ(n).(ii) On a l’egalite∫

Ω1×···×Ωn

f d(µ1 ⊗ · · · ⊗ µn)

=

∫Ωτ(n)

(· · ·(∫

Ωτ(1)

f(ω1, . . . , ωn) dµτ(1)(ωτ(1)))· · ·)

dµτ(n)(ωτ(n)) .

15.8 Theoreme (Fubini bis). Soit (Ωi,Fi, µi), i = 1, . . . , n des espaces mesurestels que la mesure µi est σ-finie sur Ωi, soit f : Ω1 × · · · × Ωn → K avec K = R,R ou C une fonction mesurable pour la tribu F1 ⊗ · · · ⊗ Fn.

(i) f est µ1 ⊗ · · · ⊗ µn-integrable si et seulement s’il existe une permutation τde l’ensemble 1, . . . , n tel que l’integrale iteree∫

Ωτ(n)

(· · ·(∫

Ωτ(1)

|f(ω1, . . . , ωn)| dµτ(1)(ωτ(1)))· · ·)

dµτ(n)(ωτ(n))

est finie.(ii) Supposons que f est µ1 ⊗ · · · ⊗ µn-integrable et soit τ une permutation de

l’ensemble 1, . . . , n. Nota Bene : la suite de ce point doit etre lu parrecurrence en k en commencant par k = 0.

Pour µτ(k+1) ⊗ · · · ⊗ µτ(n)-presque tout point (ωτ(k+1), . . . , ωτ(n)) dansΩτ(k+1) × · · · × Ωτ(n) la fonction F : Ωτ(k) → K definie par

F (ωτ(k)) =∫Ωτ(k−1)

(· · ·(∫

Ωτ(1)

f(ω1, . . . , ωn) dµτ(1)(ωτ(1)))· · ·)

dµτ(k−1)(ωτ(k−1))

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126 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

est µτ(k)-integrable. La fonction qui associe a (ωτ(k+1), . . . , ωτ(n)) l’integralede F par rapport a la mesure µτ(k) si F est µτ(k)-integrable et zero dans lecas contraire sera note, mais c’est un abus de notation, par∫

Ωτ(k)

(· · ·(∫

Ωτ(1)

f(ω1, . . . , ωn) dµ(ωτ(1)))· · ·)

dµ(ωτ(k)) .

Cette fonction sur l’espace Ωτ(k+1) × · · · × Ωτ(n) a valeurs dans K estµτ(k+1) ⊗ · · · ⊗ µτ(n)-integrable.

(iii) Si f est µ1 ⊗ · · · ⊗ µn-integrable et si τ est une permutation de l’ensemble1, . . . , n, alors on a (avec le meme abus de notation que signale dans (ii) )l’egalite∫

Ω1×···×Ωn

f d(µ1 ⊗ · · · ⊗ µn) =∫Ωτ(n)

(· · ·(∫

Ωτ(1)

f(ω1, . . . , ωn) dµτ(1)(ωτ(1)))· · ·)

dµτ(n)(ωτ(n)) .

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127

16. Evaluation, mesures de comptage et series

→ 16.1 Lemme. Soit Ω un ensemble et T ⊂ Ω un sous-ensemble. La mesure decomptage CT est σ-finie sur la tribu totale P(Ω) si et seulement si T est denombrable(fini ou infini).

Preuve de [16.1]. CQFD

16.2 Remarque. La meme chose n’est plus vraie si on remplace la tribu totaleP(Ω) par une tribu arbitraire F ⊂ P(Ω) sur Ω. Il reste vrai que si CT est σ-finie surF , alors T est denombrable. Mais il est possible que T soit denombrable sans queCT soit σ-finie sur F ; cela depend du fait que F contienne ou non suffisammentd’elements. Le cas extreme est illustre par Ω = T = N muni de la tribu minimaleF = Ω, ∅. Ici CT ne peut pas etre σ-finie sur F , car, a part l’ensemble vide, Fne contient aucun element avec une CT -mesure finie.

→ 16.3 Lemme. Soit Ω un ensemble, T ⊂ Ω un sous-ensemble et considerons l’espacemesure (Ω,P(Ω), CT ).

(i) Toute fonction a valeurs dans n’importe quel espace mesurable est mesurable.(ii) Un sous-ensemble A ⊂ Ω est CT -negligeable si et seulement si A∩T = ∅. En

particulier dans le cas T = Ω, le seul ensemble CΩ-negligeable est l’ensemblevide ∅.

(iii) Si f : Ω → R est une fonction CT -integrable, alors la restriction de f a Test a valeurs dans R :

∀ω ∈ T : |f(ω)| <∞ .

Preuve de [16.3]. CQFD

16.4 Proposition. Soit I un ensemble denombrable (fini ou infini) et consideronsl’espace mesure (I,P(I), CI). Alors on a les proprietes suivantes.

(i) Pour toute fonction positive f : I → R+ on a∫I

f dCI =∑i∈I

f(i) ,

independamment de l’ordre qu’on met sur I pour l’enumerer.(ii) Une fonction f : I → C est CI-integrable si et seulement si

∑i∈I |f(i)| est

finie. Si c’est le cas on a∫I

f dCI =∑i∈I

f(i) ,

independamment de l’ordre qu’on met sur I pour l’enumerer.

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128 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. • (i) : Soit i1, . . . , in ∈ I des elements distincts et soit gn : I → R+ lafonction definie par

gn =

n∑k=1

f 1ik =

n∑k=1

f(ik) 1ik .

Alors on peut faire le calcul

∫I

gn dCI =n∑k=1

f(ik)

∫I

1ik dCI =n∑k=1

f(ik) ,

ou la premiere egalite est une consequence de [9.12] et [9.16] et la deuxieme egaliteest une consequence de [5.9.i] et le fait que CI(ik) = 1.

Si I est l’ensemble fini I = i1, . . . , in, alors gn = f et on a etabli le resultat.Supposons donc que I est infini et choisissons un ordre pour enumerer I commeI = ik | k ∈ N. Alors la suite des fonctions gn, n ∈ N est une suite croissante defonctions mesurables positives et limn→∞ gn = f . Par le theoreme de convergencemonotone [9.1] et le resultat precedent on peut donc faire le calcul

∫i

f dCI = limn→∞

∫Ω

gn dCI = limn→∞

n∑k=0

f(ik) =∞∑k=0

f(ik) .

Vu que le membre de gauche ne depend pas de l’ordre choisi, on a etabli le resultatannonce.

• (ii) : Si f est CI -integrable, alors on a par definition et par (i) :

∫I

f dCI =

∫I

f+ dCI −∫I

f− dCI =∑i∈I

f+(i)−∑i∈I

f−(i) .

Si I est un ensemble fini, la commutativite et l’associativite de C permettent di-rectement de rassembler ceci comme

∑i∈I(f+(i) − f−(i)

)=∑i∈I f(i). Si I est

infini, on choisit un ordre pour l’enumerer comme I = ik | k ∈ N et on ecrit

∑i∈I

f+(i)−∑i∈I

f−(i) = limn→∞

n∑k=0

f+(ik)− limn→∞

n∑k=0

f−(ik)

= limn→∞

n∑k=0

(f+(ik)− f−(ik)

)=∑i∈I

f(i) ,

ou pour la deuxieme egalite on a utilise le fait que les deux limites sont finies etdonc qu’on peut appliquer le resultat limn→∞ an− limn→∞ bn = limn→∞(an− bn),valable pour des suites dans C (ce qu’on peut voir comme une consequence dela continuite de la soustraction sur C). On a donc etabli le resultat annonce, denouveau parce que le membre de gauche ne depend pas de l’ordre choisi. CQFD

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EVALUATION, MESURES DE COMPTAGE ET SERIES 129

16.5 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit T ⊂ Ω un ensemble denom-brable (fini ou infini) et soit CT la mesure de comptage sur F . Alors on a lesproprietes suivantes.

(i) Pour toute fonction mesurable positive f : Ω→ R+ on a∫Ω

f dCT =∑ω∈T

f(ω) ,

independamment de l’ordre qu’on met sur T pour l’enumerer.(ii) Une fonction mesurable f : Ω → C est CT -integrable si et seulement si∑

ω∈T |f(ω)| est finie. Si c’est le cas on a∫Ω

f dCT =∑ω∈T

f(ω) ,

independamment de l’ordre qu’on met sur T pour l’enumerer.

Preuve. Soit f une fonction positive ou integrable selon le cas. En utilisant desresultats precedents on peut etablir les egalites suivantes (en mettant les tribusconcernees comme dans [10.13]) :∫ F

Ω

f dCT[10.13]

=

∫ P(Ω)

Ω

f dCT[6.6] ou [10.8.i]

=

∫ P(Ω)

Ω

f 1T dCT

def. ou [10.3.ii]=

∫ P(Ω)

T

f dCT[6.3] ou [10.6]

=

∫ P(T )

T

f |T dCT |P(T )

[16.4]=

∑ω∈T

f(ω) ,

ou pour la deuxieme egalite on a utilise le fait que T ∈ P(Ω), que CT (T c) = 0

par definition de mesure de comptage, et donc que fCT -pp

= f 1T .Pour la derniereegalite on a utilise l’egalite presque tautologique qui dit que la restriction de lamesure de comptage sur T vu comme sous-ensemble de Ω est egale a la mesure decomptage sur T vu comme l’ensemble total T lui-meme. CQFD

16.6 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable, ω ∈ Ω un element arbitraire etsoit δω la mesure de Dirac au point ω. Alors une fonction mesurable f sur Ω estδω-integrable si et seulement si |f(ω)| <∞ et dans ce cas on a l’egalite∫

Ω

f dδω = f(ω) .

16.7 Nota Bene. Si T est un ensemble denombrable infini et si f : T → K (avecK = R ou C) est une fonction, on a toujours traite la “serie”

∑t∈T f(t) comme la

limite des sommes partielles :∑t∈T

f(t) = limN→∞

N∑n=0

f(tn)

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130 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

quand T = tn | n ∈ N est une enumeration de T . A priori le resultat dependde cette enumeration et il est bien connu qu’il existe des exemples ou le resultatchange avec un changement d’enumeration. Ce qu’on a fait dans [16.4] et [16.5]est donner des conditions suffisantes sous lesquelles le resultat ne depend pas del’enumeration choisie, a savoir

(i) quand les termes f(t) de la suite sont des reels positifs [16.4.i] ou(ii) si les termes ne sont pas des reels positifs, on considere d’abord la fonction

t 7→ |f(t)| et on calcule la valeur de la serie

∑t∈T|f(t)| = lim

N→∞

N∑n=0

|f(tn)| .

Par le premier cas, cette limite ne depend pas de l’enumeration choisie. Si

elle est finie, la valeur de la limite limN→∞

∑Nn=0 f(tn) ne depend pas non

plus de l’enumeration choisie [16.4.ii].

16.8 Une incoherence de notation perpetuee. Quand on dit qu’une serie(reelle ou complexe)

∑∞n=0 an est divergente ou (absolument) convergente, il y a

plusieurs sous-entendus et des incoherences de notation. Considerons d’abord le casd’une serie convergente. Le premier sous-entendu est qu’on a une suite (an)n∈N(reelle ou complexe). Le deuxieme sous-entendu est qu’on considere la suite dessommes partielles (sn)n∈N definie par

sn =n∑i=0

ai .

Le fait qu’on dit que la serie est convergente veut dire que la suite (sn)n∈N admetune limite (dans R ou C). Et finalement, le troisieme sous-entendu est que cettelimite (de la suite (sn)n∈N) est notee par

∑∞n=0 an.

Considerons maintenant le cas ou on dit que la serie est divergente. Comme pourune serie convergente on a les sous-entendus sur les suites (an)n∈N et (sn)n∈N. Maisici la divergence veut dire que la suite (sn)n∈N n’admet pas de limite dans R (ouC). Si, comme pour le cas d’une serie convergente, on interprete

∑∞n=0 an comme

la valeur de la limite de la suite (sn)n∈N, alors on note un objet (une limite) pourdire qu’elle n’existe pas. Visiblement il ne faut donc pas faire cette interpretation.L’interpretation de la notation

∑∞n=0 an change donc avec le qualificatif conver-

gente/divergente. La meme incoherence de notation se trouve dans l’expression

limx→a

f(x) n’existe pas

car la aussi on decrit (par limx→a

f(x)) un objet dont on dit tout de suite apres qu’iln’existe pas.

Quand on dit que la serie est absolument convergente, la situation est encoreplus compliquee. Dans un premier temps cela veut simplement dire que la serie∑∞n=0 |an| est convergente dans le sens decrit ci-dessus. Mais dans un deuxieme

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EVALUATION, MESURES DE COMPTAGE ET SERIES 131

temps il y a le sous-entendu de l’invocation de la proposition [16.4.ii] que, si la serie∑∞n=0 |an| est convergente, alors la serie

∑∞n=0 an est convergente. Et on interprete,

comme pour une serie convergente, l’ecriture∑∞n=0 an comme la limite de la suite

(sn)n∈N.Malgre ces incoherences, cette facon de parler s’est bien installee dans les mœurs

mathematiques et, il faut l’avouer, c’est bien commode car on raccourcit conside-rablement l’explication, ce qui facilite la comprehension. On continue ici donc aperpetuer cet abus. Pire, on rajoute parfois une (petite) couche de confusion enparlant de series convergentes dans R (voir [3.14]). Mais dans ces cas on evite deparler de “serie convergente,” on dit plutot que “la serie converge dans R.”

→ 16.9 Changement d’ordre de sommation. Soit φ : N → N une bijection etsoit

∑∞n=0 an une serie (reelle ou complexe) absolument convergente. Alors

∞∑n=0

an =

∞∑n=0

aφ(n) .

Preuve de [16.9]. CQFD

16.10 Discussion. Si on regarde les resultats [16.4], on voit que l’integrale surN avec la mesure de comptage reproduit une serie et qu’une fonction CN-inte-grable correspond avec une serie absolument convergente. Cette approche d’uneserie absolument convergente a comme bonus que l’ordre de sommation est sansimportance [16.9]. Dans le contexte de series vues comme limite des sommes par-tielles, ce resultat est beaucoup moins evident. Remarquons en passant qu’unefonction/serie a valeurs dans R qui n’est pas deja a valeurs dans R ne peut jamaisetre CN-integrable : si

∑∞n=0 |an| est finie, alors forcement chaque an doit etre fini

[16.3.iii].

16.11 Lemme. Soit (Ω,P(Ω), CΩ) l’espace mesure associe a un ensemble Ω munide la mesure de comptage sur la tribu totale et soit f une fonction sur Ω a valeursdans R ou C. Si f est CΩ-integrable, alors l’ensemble

B = ω ∈ Ω | f(ω) 6= 0

contient un nombre denombrable d’elements et on a l’egalite∫Ω

f dCΩ =∑ω∈B

f(ω) ,

independamment de l’ordre qu’on utilise pour enumerer l’ensemble denombrable B.

Preuve. Remarquons d’abord que toute fonction sur (Ω,P(Ω)) est mesurable, doncla condition d’integrabilite se reduit a la condition

∫Ω|f | dCΩ <∞.

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132 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Si h : Ω → R+ est une fonction etagee positive et si D = A1, . . . , An est unesubdivision de Ω adaptee a h, alors∫

Ω

h dCΩ =n∑i=1

h〈Ai〉 CΩ(Ai) =n∑i=1

h〈Ai〉 #Ai .

Si un des Ai avec h〈Ai〉 > 0 contient une infinite d’elements, alors∫

Ωh dCΩ =∞.

La somme∑ni=1 etant finie, il est immediat que la condition

∫Ωh dCΩ <∞ implique

que l’ensembleBh = ω ∈ Ω | h(ω) 6= 0

ne contient qu’un nombre fini d’elements.Selon [9.7] il existe une suite (croissante) (hn)n∈N de fonctions etagees positives

telle que |f | = limn→∞ hn. Si |f | est CΩ-integrable, alors toutes les hn sont CΩ-in-tegrables. Mais on a

ω ∈ Ω | f(ω) 6= 0 = ω ∈ Ω | |f |(ω) 6= 0 = ω ∈ Ω | limn→∞

hn(ω) 6= 0

⊂ ω ∈ Ω | ∃n ∈ N : hn(ω) 6= 0=⋃n∈Nω ∈ Ω | hn(ω) 6= 0 .(16.12)

Par l’argument precedent ceci est une reunion denombrable d’ensembles finis, doncdenombrable par [1.12]. L’invocation de [1.5] termine la preuve que B est denom-brable.

Pour l’egalite on remarque que la definition de B permet de faire le calcul∫Ω

f dCΩdef. de B

=

∫Ω

f · 1B dCΩ[6.3]=

∫B

f |B dCΩ|P(B)

=

∫B

f |B dCB[16.4]=

∑ω∈B

(f |B)(ω) =∑ω∈B

f(ω) ,

ou pour la troisieme egalite on a utilise l’egalite CΩ|P(B) = CB (qu’on laisse commeexercice “trivial” au lecteur). CQFD

16.13 Remarque sur la preuve de [16.11]. L’inclusion dans (16.12) est memeune egalite a cause de la croissance de la suite hn. C’est un petit exercice concernantla limite dont on n’a pas besoin dans cette preuve. C’est pourquoi on s’est contentede l’inclusion.

→ 16.14 Exercice. Soit (Ω,P(Ω), CΩ) l’espace mesure associe a un ensemble Ω munide la mesure de comptage sur la tribu totale et soit f : Ω → R+ une fonctionpositive. Montrer l’egalite (voir aussi [10.18])∫

Ω

f dCΩ = sup ∑ω∈I

f(ω) | I ⊂ Ω , #I <∞.

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EVALUATION, MESURES DE COMPTAGE ET SERIES 133

16.15 Remarque/Definition. Dans la litterature une fonction CΩ-integrable fsur l’espace mesure (Ω,P(Ω), CΩ) est souvent appelee une famille sommable, enparticulier si l’ensemble Ω contient un nombre non-denombrable d’elements. Etdans ce contexte on ecrit plutot (fω)ω∈Ω que f : Ω→ K, une notation bien connuedans le contexte de suites.

16.16 Lemme. Soit I et T deux ensembles et considerons les espaces mesures(I,P(I), CI) et (T,P(T ), CT ), ainsi que l’espace produit I × T .

(i) La mesure de comptage CI×T sur l’espace produit est l’unique mesure surla tribu produit P(I)⊗P(T ) (par restriction au cas ou la tribu produit n’estpas la tribu totale) qui verifie la propriete

∀A ⊂ I ∀B ⊂ T : CI×T (A×B) = CI(A) CT (B) .

(ii) Si I ou T est denombrable, la tribu produit est egale a la tribu totale :

P(I)⊗ P(T ) = P(I × T ) .

Preuve. • (i) : Commencons avec la preuve que CI×T a la propriete annoncee.D’bord, si A et B sont finis, alors l’ensemble A×B contient #A fois #B elements,†

ce qui montre la propriete dans ce cas. Si A ou B est vide, alors A×B est vide etla definition du produit prolonge nous fournit la propriete dans ce cas. Reste le casou A ou B est infini et ni A ni B vide. Dans ce cas A × B est aussi un ensembleinfini et la propriete est vraie.

Pour montrer que c’est la seule mesure avec cette propriete, considerons unemesure quelconque µ sur P(I)⊗P(T ) ayant cette propriete. Par definition on auradonc pour (i, t) ∈ I × T :

µ( (i, t) ) = µ( i × t ) = CI( i ) CT ( t ) = 1 1 = CI×T ( (i, t) ) .

Les mesures µ et CI×T coıncident donc sur les singletons.Si E ⊂ I × T est un ensemble fini, alors E est une reunion disjointe finie de

singletons. L’additivite d’une mesure implique alors que µ et CI×T coıncidentaussi sur les ensembles finis.

Finalement, si E ⊂ I × T est un ensemble infini, alors il existe un ensembledenombrable infini D ⊂ E, disons D = dn ∈ I × T | n ∈ N [1.1]. L’ensemble Dest donc une reunion denombrable disjointe de singletons et la σ-additivite d’unemesure implique qu’on doit avoir

µ(D) =∑n∈N

µ( dn ) =∞ =∑n∈N

CI×T ( dn ) = CI×T (D) .

Par la croissance d’une mesure (et l’inclusion D ⊂ E) on a donc aussi

µ(E) =∞ = CI×T (E) ,

†Mais voir la remarque [4.6].

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134 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ce qui termine la preuve de l’egalite µ = CI×T .

• (ii) : Etant donne qu’on a forcement l’inclusion P(I) ⊗ P(T ) ⊂ P(I × T ), ilsuffit de montrer l’inclusion dans l’autre sens. Pour cela on suppose que c’est I quiest denombrable : I = in | n ∈ N (voir [1.7]) et on prend E ⊂ I × T . Associe aE on introduit les sections En ⊂ T definies comme

En = t ∈ T | (in, t) ∈ E .

Il est immediat qu’on a l’egalite

E =⋃n∈Nin × En .

Mais in ∈ P(I) et En ∈ P(T ), donc in ×En ∈ P(I)⊗P(T ) (par definition dela tribu produit). La stabilite pour reunion denombrable d’une tribu implique alorsque E appartient aussi a la tribu produit. Quand c’est T qui est denombrable, ilsuffit d’echanger les roles de I et T pour obtenir la preuve. CQFD

16.17 Remarques sur la preuve de [16.16.ii]. • Il n’est nullement necessaireque les elements in ∈ I soient tous distincts ; ce ne sera certainement pas le cas siI est denombrable fini, mais cela peut arriver meme si I est denombrable infini.

• Une autre facon de montrer [16.16.ii] est de considerer P(I) comme une topolo-gie. Il est alors facile de montrer qu’une base pour cette topologie doit contenirtous les singletons et que la collection de tous les singletons est une base. Il s’ensuitque la topologie P(I) est a base denombrable si et seulement si I est denombrable.Vu que la topologie produit aura les reunions arbitraires de singletons comme base,la topologie produit sera P(I × T ). Avec ces remarques il suffit d’invoquer [8.10]pour obtenir le resultat.

→ 16.18 Corollaire. Soit∑∞m,n=0 anm une serie double a valeurs dans R ou C. On

a toujours les egalites

∞∑m=0

( ∞∑n=0

|anm|)

=∑

(n,m)∈N2

|anm| =∞∑n=0

( ∞∑m=0

|anm|).

Si un de ces trois termes est fini (donc les trois), alors on a les egalites

∞∑m=0

( ∞∑n=0

anm

)=∞∑n=0

( ∞∑m=0

anm

)=

∑(n,m)∈N2

anm .

Dans les deux cas, la somme simple (n,m) ∈ N2 utilise une enumeration arbitrairede N2 (bijection N→ N2).

Preuve de [16.18]. CQFD

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EVALUATION, MESURES DE COMPTAGE ET SERIES 135

16.19 Proposition (sommation par paquets variables). Soit (In)n∈N unepartition de N :⋃

n∈NIn = N et ∀n,m ∈ N : n 6= m =⇒ In ∩ Im = ∅ ,

et soit∑k∈N ak une serie a valeurs dans R ou C. Alors on a toujours l’egalite∑

k∈N

|ak| =∑n∈N

( ∑k∈In

|ak|).

Si un de ces deux termes est fini (donc les deux), alors on a l’egalite∑k∈N

ak =∑n∈N

( ∑k∈In

ak

).

16.20 Nota Bene. Dans [16.19] on n’exige pas que les ensembles In soient tousnon-vides. Par exemple, on pourrait prendre I0 = 2k | k ∈ N, I1 = 2k + 1 | k ∈N et In = ∅ pour tout n ≥ 2. Dans ce cas l’enonce donne l’egalite∑

k∈N

|ak| =∑k∈N

|a2k|+∑k∈N

|a2k+1| .

Preuve. Pour n, k ∈ N on pose bnk = ak · 1In(k), c’est-a-dire bnk = ak si k ∈ In, 0sinon. Avec les indicatrices 1In on peut faire le calcul∑

n∈N

1In = 1 ∪n∈N

In = 1N = 1 la fonction constante 1 ,

ou la premiere egalite est justifiee par le fait que les In sont 2 a 2 disjoints. Pourtout reel c et tout entier k on a donc l’egalite c =

∑n∈N c · 1In(k) et en particulier∑

n∈N

bnk = ak et∑n∈N

|bnk| = |ak| .

Selon [16.18] on a donc toujours les egalites∑k∈N

|ak| =∑k∈N

( ∑n∈N

|bnk|)

[16.18]=

∑n∈N

( ∑k∈N

|bnk|)

=∑n∈N

( ∑k∈N

|ak| · 1In(k))

=∑n∈N

( ∑k∈In

|ak|)

et si un de ces termes est fini les memes egalites sont vraies sans valeurs absolues :∑k∈N

ak =∑k∈N

( ∑n∈N

bnk

)=∑n∈N

( ∑k∈N

bnk

)=∑n∈N

( ∑k∈In

ak

). CQFD

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136 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

16.21 Proposition. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit f : Ω → R+ unefonction positive mesurable. Alors il existe des ensembles mesurables (An)n∈N etdes reels (cn)n∈N positifs tels que

f =∑n∈N

cn · 1An .

Preuve. Selon [9.7] il existe une suite (croissante) de fonctions etagees positiveshn : Ω→ R+, n ∈ N telle que f = limn→∞ hn. Si on introduit les fonctions tn part0 = h0 et tn = hn − hn−1 pour n ≥ 1, alors on a les proprietes

∀n ∈ N : hn =n∑i=0

ti et f = limn→∞

hn = limn→∞

n∑i=0

ti =∑n∈N

tn .

Par [5.4] les tn sont aussi etagees et par la croissance des hn elles sont positives.Donc par [8.17] il existe pour tout n ∈ N un nombre fini kn ∈ N∗ d’ensemblesmesurables Bn,1, . . . , Bn,kn et des reels positifs dn,1, . . . , dn,kn tels que

tn =

kn∑i=1

dn,i · 1Bn,i .

On aura donc

(16.22) f =∑n∈N

tn =∑n∈N

( kn∑i=1

dn,i · 1Bn,i).

Il suffit maintenant de renumeroter les Bn,i et les dn,i pour obtenir le resultat voulu.Pour cela on introduit la suite strictement croissante (Kn)n∈N par Kn =

∑nj=0 kn

(et on pose K−1 = 0) et ensuite les ensembles mesurables (Aj)j∈N et les reels(cj)j∈N par

Aj = Bn,j−Kn−1et cj = dn,j−Kn−1

si Kn−1 ≤ j < Kn .

Ainsi on a

A0 = B0,1 , A1 = B0,2 , . . . , AK0−1 = B0,k0 ,

AK0= B1,1 , AK0+1 = B1,2 , . . . , AK1−1 = B1,k1 ,

AK1 = B2,1 , AK1+1 = B2,2 , . . . ,

etcætera. Avec (16.22) et [16.19] on a donc l’egalite

f =∑n∈N

( Kn−1∑j=Kn−1

cj · 1Aj)

[16.19]=

∑j∈N

cj · 1Aj . CQFD

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EVALUATION, MESURES DE COMPTAGE ET SERIES 137

→ 16.23 Exercice. On se place dans le cadre donne dans [16.21].

(i) Montrer qu’on peut supposer que tous les cn sont non-nuls.(ii) Montrer, en utilisant [16.19], qu’on peut supposer que tous les An sont

differents si on suppose que f prend ses valeurs dans R+ ou si on autoriseles cn de prendre la valeur ∞.

(iii) Ecrire les fonctions f, g : [0, 1 ] → R+ definies comme f(x) =∞ et g(x) = xsous la forme d’une serie

∑n∈N cn1An comme dans [16.21].

(iv) Avec les memes hypotheses sur f qu’en (ii), montrer qu’on peut prendre lesAn 2 a 2 disjoints si et seulement si f(Ω) est un ensemble denombrable (finiou infini).

→ 16.24 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit (X,G, ν) = (N,P(N), CN)l’espace mesure des entiers naturels avec la mesure de comptage.

(i) Enoncer les theoremes de Fubini-Tonelli [14.1] et de Fubini [14.2] dans cecas. Comparer le resultat avec [9.13].

(ii) Soit fn : Ω → C, n ∈ N, une suite de fonctions mesurables. Enoncer letheoreme de convergence dominee [11.5] pour la suite des sommes partiellessn =

∑ni=0 fi. Comparer le resultat avec la reponse a (i).

(iii) Demontrer directement les theoremes de Fubini-Tonelli et de Fubini dansce cas (sauf les egalites avec l’integrale double) a partir de [16.4] et lestheoremes de convergence monotone [9.1] et de convergence dominee [11.5].En deduire [16.18] (sauf les egalites avec

∑(n,m)∈N2).

16.25 Proposition (Fubini pour familles sommables). Soit I et T deux en-sembles et considerons les espaces mesures (I,P(I), CI) et (T,P(T ), CT ). Soitf : I × T → K, K = R ou C une fonction (forcement mesurable pour la tribuP(I × T )).

(i) On a toujours les egalites∫I×T|f | dCI×T =

∫I

( ∫T

|f(i, t)| dCT (t))

dCI(i)

=

∫T

( ∫I

|f(i, t)| dCI(i))

dCT (t) .

(ii) Si un des trois termes dans (i) est fini (donc tous les trois), alors on a lesegalites ∫

I×Tf dCI×T =

∫I

( ∫T

f(i, t) dCT (t))

dCI(i)

=

∫T

( ∫I

f(i, t) dCI(i))

dCT (t) .

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138 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. • (i) : Comme dans les preuves de [14.1] et [14.2] on ne traite que l’unedes deux integrales repetees, a savoir

∫I

∫T

. Et comme dans la preuve de [14.1] onutilise l’approche standard, sauf qu’ici il nous faut un prologue. On commence avecle cas ou f est la fonction indicatrice d’un singleton (j, s) ∈ I × T : f = 1(j,s) eton fait les calculs ∫

I×T1(j,s) dCI×T = CI×T ( (j, s) ) = 1

et ∫I

( ∫T

1(j,s)(i, t) dCT (t))

dCI(i)

=

∫I

( ∫T

1j(i) · 1s(t) dCT (t))

dCI(i)

=

∫I

1j(i)( ∫

T

1s(t) dCT (t))

dCI(i)

=

∫I

1j(i) CT ( s ) dCI(i) =

∫I

1j(i) dCI(i) = CI( j ) = 1 .

Ainsi on a montre que l’egalite est vraie pour l’indicatrice d’un singleton. Si E ⊂I × T est un ensemble fini, alors c’est une reunion finie disjointe de singletons etl’additivite de l’integrale [9.12] permet de conclure que l’egalite a montrer est aussivraie pour les indicatrices d’ensembles finis.

Si E ⊂ I × T est un ensemble infini, alors E contient un ensemble infinidenombrable D = dn | n ∈ N ⊂ E [1.1]. La fonction indicatrice 1D s’ecritcomme la serie

∑n∈N 1dn. En invoquant [9.13] on deduit que l’egalite a montrer

est vraie pour l’indicatrice 1D, mais qu’en plus sa valeur est ∞ :∫I×T

1D dCI×T =

∫I

( ∫T

1D(i, t) dCT (t))

dCI(i) =∞ .

La croissance de l’integrale [6.5.ii] montre alors qu’on a aussi l’egalite pour l’indi-catrice 1E (avec la valeur ∞).

Une fois qu’on sait que l’egalite est vraie pour toute fonction indicatrice, onpeut (de nouveau) invoquer l’additivite de l’integrale [9.12] pour conclure qu’elleest vrai pour toute fonction etagee positive. Par le theoreme d’approximation [9.7]et le theoreme de la convergence monotone [9.1] l’egalite est donc vraie pour toutefonction (mesurable) positive.• (ii) : La conclusion sur l’integrabilite de f n’est rien d’autre que la definition.

Et contrairement a la preuve du theoreme de Fubini, le probleme souleve dans [14.3]ne se produit pas ici. Pour montrer l’egalite on considere d’abord le cas K = R eton introduit les fonctions Φ± : I → R+ par

Φ±(i) =

∫T

f±(i, t) dCT (t) .

Par hypothese on a∫I

Φ± dCI =

∫I

( ∫T

f±(i, t) dCT (t))

dCI(i)

≤∫I

( ∫T

|f(i, t)| dCT (t))

dCI(i) <∞ .

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EVALUATION, MESURES DE COMPTAGE ET SERIES 139

Les fonctions Φ± sont donc CI -integrables, donc par [16.3.iii] elles sont partoutfinies. Il s’ensuit que pour tout i ∈ I les fonctions t 7→ f±(i, t) sur T sont CT -inte-grables. Le calcul suivant se justifie donc entierement :∫

I×Tf dCI×T

def=

∫I×T

f+ dCI×T −∫I×T

f− dCI×T

le cas (i)=

∫I

Φ+ dCI −∫I

Φ− dCI[10.11]

=

∫I

(Φ+ − Φ−) dCI

[10.11]=

∫I

( ∫T

(f+(i, t)− f−(i, t)

)dCT (t)

)dCI(i)

=

∫I

( ∫T

f(i, t) dCT (t))

dCI(i) .

Ainsi on a montre la premiere egalite de (ii). L’autre s’obtient en echangeant lesroles de I et T . CQFD

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140 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

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141

Partie III : Theorie de la mesure

17. Existence de mesures

17.1 Proposition. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit µ : F → R+ uneapplication. Si µ verifie les trois conditions

(i) µ(∅) = 0,(ii) µ est additive : A1, . . . , An ∈ F sont deux a deux disjoints, alors

µ(n⋃i=1

Ai ) =

n∑i=1

µ(Ai) ,

(iii) µ est continue pour des suites croissantes : si (An)n∈N est une suite crois-sante d’ensembles mesurables ( ∀n ∈ N : An ⊂ An+1 ), alors

µ(⋃n∈N

An ) = limn→∞

µ(An) ,

alors µ est une mesure sur F .

Preuve. Ce qu’il faut montrer est la σ-additivite de µ. Soit donc (Bn)n∈N une suited’elements de F deux a deux disjoints. On pose An = ∪ni=0Bi, alors An est unesuite croissante verifiant ∪n∈NAn = ∪i∈NBi. On a donc

µ(⋃i∈N

Bi ) = µ(⋃n∈N

An )continuite

= limn→∞

µ(An)

= limn→∞

µ(n⋃i=0

Bi )additivite

= limn→∞

n∑i=0

µ(Bi) =

∞∑i=0

µ(Bi) . CQFD

17.2 Definition. Soit Ω un ensemble. Une application µ∗ : P(Ω) → R+ estappelee une mesure exterieure sur Ω si elle verifie les conditions :

(i) µ∗(∅) = 0,(ii) µ∗ est croissante : A ⊂ B ⇒ µ∗(A) ≤ µ∗(B),

(iii) µ∗ est sous-σ-additive : si pour tout n ∈ N on a An ⊂ Ω, alors on a

µ∗(⋃n∈N

An) ≤∑n∈N

µ(An) .

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142 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

17.3 Construction d’une mesure exterieure. Soit Ω un ensemble, soit C ⊂P(Ω) une collection de sous-ensembles et soit θ : C → R+ une application. Lesseules conditions qu’on impose sont que ∅ appartient a C et que θ(∅) = 0. Associeea ces donnees on construit une mesure exterieure µ∗ sur Ω. L’idee de la constructionest de recouvrir un sous-ensemble A ⊂ Ω par des elements Cn de C et de calculerla somme

∑θ(Cn). La valeur de µ∗(A) sera la plus petite valeur de cette somme.

Plus precisement :

µ∗(A) = inf ∑n∈N

θ(Cn) | ∀n : Cn ∈ C et A ⊂⋃n∈N

Cn

,

ou on convient que l’inf prend la valeur ∞ s’il n’existe pas de suite (Cn)n∈Nd’elements de C qui recouvre A.

Pour montrer que µ∗ est bien une mesure exterieure sur Ω, on verifie les troisconditions.— L’inclusion evidente ∅ ⊂ ∪n∈N∅ est un recouvrement particulier du sous-ensem-ble ∅ ⊂ Ω par des elements Cn = ∅ ∈ C. D’ou µ∗(∅) ≤

∑n∈N θ(∅) = 0. Vu que

µ∗(A) est toujours positive, il s’ensuit qu’on a bien µ∗(∅) = 0.— Si A ⊂ B et B ⊂ ∪n∈NCn, alors on a aussi A ⊂ ∪n∈NCn. Il s’ensuit qu’on al’inclusion ∑

n∈N

θ(Cn) | ∀n : Cn ∈ C et A ⊂⋃n∈N

Cn

∑n∈N

θ(Cn) | ∀n : Cn ∈ C et B ⊂⋃n∈N

Cn

,

d’ou l’inegalite µ∗(A) ≤ µ∗(B).— Soit maintenant An une suite de sous-ensembles de Ω. Si l’une des µ∗(An) =∞,alors l’inegalite voulue est automatiquement verifiee. Supposons donc que µ∗(An) <∞ pour tout n ∈ N et soit ε > 0 arbitraire. Par definition de l’inf il existe des Cn,idans C tels que

An ⊂⋃i∈N

Cn,i et∑i∈N

θ(Cn,i) < µ∗(An) +ε

2n+1.

On a donc l’inclusion ∪n∈NAn ⊂ ∪n,i∈NCn,i. La famille (n, i) ∈ N2 etant denom-brable on a donc l’inegalite µ∗( ∪

n∈NAn) ≤

∑n,i∈N θ(Cn,i). Par [16.18] on a donc

µ∗(⋃n∈N

An) ≤∑n,i∈N

θ(Cn,i) =∑n∈N

∑i∈N

θ(Cn,i)

≤∑n∈N

(µ∗(An) +

ε

2n+1

)= ε+

∑n∈N

µ∗(An) .

Etant donne que ε etait arbitraire, on en deduit l’inegalite voulue.

17.4 Remarque. Le nom “mesure exterieure” vient de cette construction. Ondispose d’une collection C de sous-ensembles pour lesquelles on pretend savoir la

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EXISTENCE DE MESURES 143

mesure. Pour approcher la “mesure” d’un sous-ensemble B quelconque, on ap-proche B par une reunion denombrable d’elements Cn, n ∈ N, de C dans le sensque leur reunion soit plus grande que B et on dit que

∑n∈N µ(Cn) est une approxi-

mation de la mesure de B. Le fait que l’approximation de B se fait par un ensembleplus grand, c’est-a-dire par l’exterieur, explique le nom de “mesure exterieure”.

17.5 Definition. Soit Ω un ensemble et µ∗ : P(Ω) → R+ une mesure exterieure.On dit qu’un sous-ensemble A ⊂ Ω est µ∗-mesurable si

∀B ⊂ Ω : µ∗(B) = µ∗(A ∩B) + µ∗(Ac ∩B) .

En toutes lettres : si on utilise A pour couper un sous-ensemble quelconque B endeux comme B = (B ∩ A) ∪ (B ∩ Ac), alors la valeur de µ∗ de B est la sommedes valeurs des deux parties. On note la collection de tous les sous-ensembles µ∗-mesurables par M(µ∗).

→ 17.6 Lemme. Soit Ω un ensemble et µ∗ : P(Ω)→ R+ une mesure exterieure.

(i) µ∗ est sous-additive :

A1, . . . , An ⊂ Ω =⇒ µ∗(n⋃i=1

Ai) ≤n∑i=1

µ∗(Ai) .

(ii) A ⊂ Ω appartient a M(µ∗) si et seulement si A verifie la condition

∀B ⊂ Ω : µ∗(B) ≥ µ∗(A ∩B) + µ∗(Ac ∩B) .

Preuve de [17.6]. CQFD

17.7 Theoreme (Caratheodory). Soit Ω un ensemble et µ∗ : P(Ω) → R+

une mesure exterieure sur Ω. Alors la collection M(µ∗) de tous les ensemblesµ∗-mesurables est une tribu et la restriction de µ∗ a M(µ∗) est une mesure.

Preuve. La preuve du fait que M(µ∗) est une tribu se fait en plusieurs etapes.• (i) L’ensemble vide appartient a M(µ∗). Pour tout B ⊂ Ω on a :

µ∗(B) = µ∗(∅) + µ∗(B) = µ∗(∅ ∩B) + µ∗(Ω \ ∅ ∩B) ,

ce qui montre ∅ ∈ M(µ∗).• (ii) Stabilite par complementaire. Soit A ∈ M(µ∗) arbitraire, alors on a pour

tout B ⊂ Ω :

µ∗(B) = µ∗(A ∩B) + µ∗(Ac ∩B) = µ∗((Ac) ∩B) + µ∗((Ac)c ∩B) ,

ce qui montre que Ac appartient a M(µ∗).

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144 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

• Stabilite par intersection finie. Soit A et B dans M(µ∗) et soit C ⊂ Ω arbi-traire. Alors on a :

C ⊂ Ω , A ∈M(µ∗) : µ∗(C) = µ∗(A ∩ C) + µ∗(Ac ∩ C)

A ∩ C ⊂ Ω , B ∈M(µ∗) : µ∗(A ∩ C) = µ∗(B ∩A ∩ C) + µ∗(Bc ∩A ∩ C)

Ac ∩ C ⊂ Ω , B ∈M(µ∗) : µ∗(Ac ∩ C) = µ∗(B ∩Ac ∩ C) + µ∗(Bc ∩Ac ∩ C)

et donc

(17.8) µ∗(C) = µ∗(B ∩A ∩ C) + µ∗(Bc ∩A ∩ C) + µ∗(B ∩Ac ∩ C) + µ∗(Bc .

Mais on a toujours l’egalite (voir le dessin)

(A ∩B)c = Ac ∪Bc = (A ∩Bc) ∪ (Ac ∩B) ∪ (Ac ∩Bc) .

A ∩BAc ∩B A ∩Bc

Ac ∩BcA

B

En prenant l’intersection avec C et en appliquant [17.6.i] on obtient l’inegalite

µ∗((A ∩B)c ∩ C) ≤ µ∗(A ∩Bc ∩ C) + µ∗(Ac ∩B ∩ C) + µ∗(Ac ∩Bc ∩ C) .

Si on combine cette inegalite avec (17.8), on obtient l’inegalite

µ∗(C) ≥ µ∗((A ∩B) ∩ C) + µ∗((A ∩B)c ∩ C) .

Par [17.6.ii] on a A∩B ∈M(µ∗). Par recurrence (et l’associativite de l’intersection)on montre que M(µ∗) est stable par intersection finie.• Stabilite par reunion finie. Si A1, . . . , An sont des sous-ensembles de Ω, alors

on a l’egaliten⋃i=1

Ai =( n⋂i=1

Aci

)c.

La stabilite de M(µ∗) par complementaire et intersection finie montre alors queM(µ∗) est aussi stable par reunion finie.• Stabilite par difference. Soit A,B ∈ M(µ∗), alors A \ B = A ∩ Bc, ce qui

appartient a M(µ∗) par stabilite par intersection finie et complementaire.• Stabilite par reunion denombrable. Soit An ∈ M(µ∗), n ∈ N une suite

d’ensembles µ∗-mesurables et soit A = ∪i∈NAi. On definit la suite Bn comme

B0 = A0 et Bn = An \( n−1⋃i=1

Ai

)pour n ≥ 1.

On montre facilement par recurrence qu’on a

N⋃n=0

Bn =N⋃i=0

Ai et (donc)⋃n∈N

Bn =⋃i∈N

Ai ≡ A .

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EXISTENCE DE MESURES 145

De plus, les Bn sont deux a deux disjoints : si ω ∈ Bn = An \ (∪n−1i=0 Bi), alors ω

n’appartient a aucun Bi avec i < n. Et finalement, les Bn sont µ∗-mesurables carM(µ∗) est stable par reunion finie et difference.

Soit maintenant C ⊂ Ω arbitraire. Pour N ∈ N on constate que C ∩ (∪N+1n=0 Bn)

est un sous-ensemble de Ω et que BN+1 est dans M(µ∗). On a donc

µ∗(C ∩(N+1⋃n=0

Bn

)) = µ∗(C ∩

(N+1⋃n=0

Bn

)∩BN+1) + µ∗(C ∩

(N+1⋃n=0

Bn

)∩BcN+1)

= µ∗(C ∩BN+1) + µ∗(C ∩( N⋃n=0

Bn

)) ,

ou la deuxieme egalite est une consequence du fait que les Bn sont deux a deuxdisjoints. On en deduit par recurrence qu’on a pour tout N ∈ N l’egalite

µ∗(C ∩( N⋃n=0

Bn

)) =

N∑n=0

µ∗(C ∩Bn) .

On a maintenant les outils pour montrer que A est µ∗-mesurable. Pour N ∈ Non a l’inclusion ∪Nn=0Bn ⊂ A et donc par croissance d’une mesure exterieure on al’inegalite

µ∗(C ∩( N⋃n=0

Bn

)c) ≥ µ∗(C ∩Ac) .

Etant donne queN∪n=0

Bn est µ∗-mesurable on peut donc faire le calcul :

µ∗(C) = µ∗(C ∩( N⋃n=0

Bn

)c) + µ∗(C ∩

( N⋃n=0

Bn

))

≥ µ∗(C ∩Ac) +N∑n=0

µ∗(C ∩Bn) .

Ceci etant vrai pour tout N ∈ N, on en deduit qu’on doit avoir

(17.9) µ∗(C) ≥ µ∗(C ∩Ac) +∑n∈N

µ∗(C ∩Bn) .

Mais C ∩A = C ∩ (∪n∈NBn) = ∪n∈N(C ∩Bn) et donc par sous-σ-additivite d’unemesure exterieure on a

µ∗(C) ≥ µ∗(C ∩Ac) + µ∗(C ∩A) .

Par [17.6.ii] on a A ∈ M(µ∗). Ainsi on a verifie que M(µ∗) possede les troisproprietes d’une tribu.• µ∗ une mesure surM(µ∗). On sait deja que µ∗(∅) = 0, donc il suffit de verifier

la σ-additivite. Soit donc (An)n∈N une suite d’elements dans M(µ∗) deux a deuxdisjoints et notons A = ∪n∈NAn. Alors l’inegalite (17.9) appliquee avec C = Anous donne l’inegalite

µ∗(A) ≥∑n∈N

µ∗(An) ,

car les An etant disjoints, on a Bn = An pour tout n ∈ N. La sous-σ-additivited’une mesure exterieure donnant l’inegalite dans l’autre sens, on a montre que µ∗

est bien σ-additive sur M(µ∗). CQFD

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146 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

17.10 Definition. Soit Ω un ensemble et C ⊂ P(Ω) une collection arbitraire. Uneapplication µ : C → R+ est appelee une pre-mesure sur C si elle verifie les troisconditions suivantes.

(i) Si ∅ ∈ C, alors µ(∅) = 0.(ii) Additivite sur C : si C1, . . . , Cn ∈ C sont deux a deux disjoints et si

n∪i=1Ci

appartient aussi a C, alors on a l’egalite

µ(n⋃i=1

Ci) =n∑i=1

µ(Ci) .

(iii) Sous-σ-additivite sur C : si C et Cn, n ∈ N sont des elements de C tels queC ⊂ ∪

n∈NCn, alors on a l’inegalite

µ(C) ≤∑n∈N

µ(Cn) .

17.11 Remarques. • La definition de sous-σ-additivite est legerement differentedes definitions donnees dans [4.10.v] et [17.2.iii]. Ici on ne dispose pas de la sta-bilite par reunion denombrable. Par contre, dans les deux cas cites on disposede la croissance ; on aurait donc pu definir la sous-σ-additivite comme ici. Unememe “simplification” n’est pas possible pour l’additivite, car on veut vraimentune egalite. On est donc oblige de rajouter la condition que la reunion appartientelle aussi a C.• On a donne la definition d’une pre-mesure sur n’importe quelle collection C de

sous-ensembles de Ω. Mais on utilise cette notion seulement si C est un semi-anneau(dans [17.12] ci-dessous et ses applications [18.8] et [35.17]).

17.12 Theoreme de prolongement (de Caratheodory). Soit Ω un ensemble,soit C ⊂ P(Ω) un semi-anneau et soit µ : C → R+ une pre-mesure. Alors µ seprolonge en une mesure µ : σ(C)→ R+ sur la tribu engendree par C.

17.13 Terminologie. Le fait que la pre-mesure µ se prolonge sur σ(C) veut direqu’il existe une mesure sur σ(C) qui coıncide avec la pre-mesure µ sur C. Par abusde notation habituel on note cette mesure par le meme symbole µ. Officiellementon devrait dire qu’il existe une mesure µ sur σ(C) telle que la restriction de µ a lacollection C ⊂ σ(C) est la pre-mesure µ : µ|C = µ.

Preuve. L’idee de la preuve est comme suit. On applique la construction [17.3] ala collection C et l’application µ : C → R+. On obtient ainsi une mesure exterieureµ∗ : P(Ω) → R+. Ensuite on montre que la tribu M(µ∗) [17.7] contient C, ce quiimpliquerait (par [2.10]) qu’on a l’inclusion σ(C) ⊂ M(µ∗). Et on termine avecla preuve que µ∗(C) = µ(C) pour tout C ∈ C. Par [4.7.iii] la restriction de µ∗ aσ(C) ⊂M(µ∗) est une mesure. Par l’argument precedent elle prolonge µ. Par abus

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EXISTENCE DE MESURES 147

de notation (explique ci-dessus) on note cette restriction par le meme symbole :µ = µ∗|σ(C), qui est donc le prolongement souhaite.• Pour montrer que M(µ∗) contient C, il suffit (par [17.6.ii]) de montrer pour

tout C ∈ C et tout B ⊂ Ω l’inegalite

µ∗(B) ≥ µ∗(C ∩B) + µ∗(Cc ∩B) .

Si par hasard µ∗(B) = ∞, l’inegalite est automatiquement vraie. Si au contraireµ∗(B) <∞, alors par definition de la borne inferieure, il existe pour tout ε > 0 unesuite (Cn)n∈N d’elements de C telle que B ⊂ ∪

n∈NCn et

(17.14)∑n∈N

µ(Cn) < µ∗(B) + ε .

Etant evident qu’on a l’inclusion C ∩ B ⊂ ∪n∈N(C ∩ Cn), la stabilite de C parintersection (finie) et la definition de µ∗ nous donne l’inegalite

(17.15) µ∗(C ∩B) ≤∑n∈N

µ(C ∩ Cn) .

Un argument similaire ne s’applique pas a µ∗(Cc ∩ B) car C n’est pas repute etrestable par complementaire. Par contre, Cc ∩ Cn = Cn \ C est la reunion d’unnombre fini d’elements de C par definition d’un semi-anneau :

∃kn ∈ N ∃Cn,1, . . . , Cn,kn ∈ C : Cn \ C =kn⋃i=1

Cn,i .

On a donc l’inclusion

Cc ∩B ⊂⋃n∈N

(Cc ∩ Cn) =⋃n∈N

kn⋃i=1

Cn,i .

La collection Cn,i | n ∈ N, 1 ≤ i ≤ kn est donc un recouvrement denombrable deCc ∩B par des elements de C. La definition de µ∗ nous fournit alors l’inegalite

(17.16) µ∗(Cc ∩B) ≤∑n∈N

kn∑i=1

µ(Cn,i) ,

ou on a utilise la bijection (n, i) 7→ (i− 1) +∑n−1j=0 kj entre l’ensemble denombrable

(n, i) | n ∈ N, 1 ≤ i ≤ kn et N pour enumerer le recouvrement denombrable (oncommence avec les C0,i, i = 1, . . . , k0, on poursuit avec les C1,i etc.). Si on prendla somme de (17.15) et (17.16) on obtient l’inegalite

µ∗(C ∩B) + µ∗(Cc ∩B) ≤∑n∈N

µ(C ∩ Cn) +∑n∈N

kn∑i=1

µ(Cn,i)

=∑n∈N

(µ(C ∩ Cn) +

kn∑i=1

µ(Cn,i)),(17.17)

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148 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ou on peut voir la (derniere) egalite comme une consequence de [9.12] et [16.4.ii].Maintenant on note que la reunion finie

Cn = (C ∩ Cn) ∪ (Cc ∩ Cn) = (C ∩ Cn) ∪( kn⋃i=1

Cn,i

)est une reunion disjointe d’elements de C (de nouveau par les proprietes d’un semi-anneau). L’additivite de µ nous donne alors l’egalite

µ(Cn) = µ(C ∩ Cn) +

kn∑i=1

µ(Cn,i) .

Si on combine ceci avec (17.17) et (17.14), on obtient l’inegalite

µ∗(C ∩B) + µ∗(Cc ∩B) < µ∗(B) + ε .

Mais ε > 0 etant arbitraire, il s’ensuit qu’on a l’inegalite voulue

µ∗(B) ≥ µ∗(C ∩B) + µ∗(Cc ∩B) .

Ainsi on a montre que C ⊂ M(µ∗), ce qui termine la premiere etape.

• Pour montrer qu’on a l’egalite µ∗(C) = µ(C) pour tout C ∈ C, on fixe C ∈ C.Si on pose C0 = C et Cn = ∅ pour n > 0, on a evidemment C ⊂ ∪

n∈NCn et donc

par la definition de µ∗ on a l’inegalite

µ∗(C) ≤∑n∈N

µ(Cn) = µ(C) .

Pour montrer l’inegalite dans l’autre sens, soit (Cn)n∈N une famille d’elements deC telle que C ⊂ ∪

n∈NCn. Alors par sous-σ-additivite de µ on a l’inegalite

µ(C) ≤∑n∈N

µ(Cn) .

µ(C) est donc un minorant de toutes les possibilites pour la valeur de∑n∈N µ(Cn)

figurant dans la definition de µ∗(C). D’ou µ(C) ≤ µ∗(C). CQFD

17.18 Remarque pour les curieux. Quand on regarde bien la preuve de [17.12],on voit qu’on peut prolonger la pre-mesure µ non seulement sur la tribu σ(C)engendre par C, mais aussi sur la tribu plus grande M(µ∗). La question se posedonc de savoir s’il y a un lien entre ces deux tribus σ(C) et M(µ∗). Dans [35.17]on montrera que, sous l’hypothese que µ est σ-finie sur C, la reponse est positive :M(µ∗) est la µ-completion de σ(C), ce qui veut dire a peu pres qu’on rajoute tousles sous-ensembles de Ω qui sont inclus dans un element de σ(C) de µ-mesure nulle.

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EXISTENCE DE MESURES 149

17.19 Application. Soit (Ω,F , µ) et (X,G, ν) deux espaces mesures arbitraires.Alors il existe une mesure ρ : F ⊗G → R+ telle que pour tout F ∈ F et tout G ∈ Gon a l’egalite

ρ(F ×G) = µ(F ) ν(G) .

Preuve. L’idee de la preuve est de montrer que F××G est une semi-anneau et quel’application Φ : F × G 7→ µ(F ) ν(G) est une pre-mesure sur ce semi-anneau.L’existence de ρ serait alors une consequence immediate de [17.12].

• Soit F1 ×G1 et F2 ×G2 deux elements de F××G. Alors on a les egalites

(F1 ×G1) ∩ (F2 ×G2) = (F1 ∩ F2)× (G1 ∩G2) et

(F1 ×G1) \ (F2 ×G2) = (F1 \ F2)×G1 ∪ (F1 ∩ F2)× (G1 \G2) .

F1F2

G1

G2

(F1 \ F2)×G1 (F1 ∩ F2)× (G1 \G2)

La reunion dans la deuxieme egalite etant disjointe, ces egalites montrent que F××Gest un semi-anneau (car on a evidemment ∅ = ∅ × ∅ ∈ F××G).

• Pour montrer l’additivite de Φ, soit F ×G,Fi ×Gi ∈ F××G tels que F ×G =∪ni=1Fi ×Gi est une reunion disjointe. Alors on a

µ(F ) ν(G) = µ(F )

∫X

1G dν =

∫X

µ(F ) 1G(x) dν(x)

=

∫X

(1G(x)

∫Ω

1F (ω) dµ(ω))

dν(x)

=

∫X

(∫Ω

1G(x) · 1F (ω) dµ(ω))

dν(x)

=

∫X

(∫Ω

1F×G(ω, x) dµ(ω))

dν(x) .(17.20)

Vu que la reunion F ×G =n∪i=1Fi ×Gi est disjointe, on a l’egalite

1F×G =

n∑i=1

1Fi×Gi .

La formule [17.20] etant vraie aussi quand on remplace F ×G par Fi×Gi, on peut

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150 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

donc faire le calcul

µ(F ) ν(G)(17.20)

=

∫X

(∫Ω

1F×G(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

=

∫X

(∫Ω

n∑i=1

1Fi×Gi(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

[9.12]=

n∑i=1

∫X

(∫Ω

1Fi×Gi(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

(17.20)=

n∑i=1

µ(Fi) ν(Gi) .

• Pour la sous-σ-additivite de Φ on procede de la meme facon. Si on a l’inclusionF ×G ⊂ ∪

n∈NFn ×Gn, alors on a l’inegalite

1F×G ≤∑n∈N

1Fn×Gn ,

ce qui permet de faire le calcul

µ(F ) ν(G)(17.20)

=

∫X

(∫Ω

1F×G(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

[6.5.ii]

≤∫X

(∫Ω

∑n∈N

1Fn×Gn(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

[9.13]=

∑n∈N

∫X

(∫Ω

1Fn×Gn(ω, x) dµ(ω))

dν(x)

(17.20)=

∑n∈N

µ(Fn) ν(Gn) . CQFD

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151

18. Mesures sur R et la mesure de Lebesgue sur Rd

18.1 Proposition/Definition. Soit Pa(Rd) ⊂ P(Rd) (voir [2.36]) la collectiondes paves semi-ouverts a gauche :

Pa(Rd) = d∏i=1

]ai, bi ] | ∀1 ≤ i ≤ d : ai, bi ∈ R, ai ≤ bi.

Alors Pa(Rd) est un semi-anneau et en particulier un π-systeme.

Preuve. Pour montrer que Pa(Rd) est un semi-anneau on verifie les conditions.

L’ensemble vide appartient a Pa(Rd) car ∅ =∏di=1 ]a, a ]. Si on a deux intervalles

semi-ouverts a gauche ]a, b ] et ]a′, b′ ], alors leur intersection est donnee par

]a, b ] ∩ ]a′, b′ ] = ] max(a, a′),min(b, b′) ] ,

qui est de nouveau un intervalle semi-ouvert a gauche. Il s’ensuit que Pa(R) eststable par intersection. Le cas d > 1 s’en deduit immediatement avec la formule( d∏

i=1

Ai

)∩( d∏i=1

Bi

)=

d∏i=1

(Ai ∩Bi) ,

valable pour des sous-ensembles Ai, Bi ⊂ R quelconques.Pour la difference on procede par recurrence sur d. Pour d = 1, prenons deux

intervalles ]a, b ] et ]a′, b′ ] pour lesquelles on a les egalites

]a, b ] \ ]a′, b′ ] =

] max(a, b′), b ] si a′ ≤ a,

]a,min(a′, b) ] si b ≤ b′,]a, a′ ] ∪ ]b′, b ] si a < a′ ≤ b′ < b.

On en deduit que la difference de deux elements de Pa(R) est dans tous les casune reunion finie disjointe d’elements de Pa(R). Supposons donc que c’est vraien dimension d (c’est-a-dire que la difference de deux elements de Pa(Rd) est unereunion finie disjointe d’elements de Pa(Rd)) et regardons deux elements A,A′ ∈Pa(Rd+1). Alors il existe B,B′ ∈ Pa(Rd) et ]a, b ], ]a′, b′ ] ∈ Pa(R) tels que

A = B × ]a, b ] et A′ = B′ × ]a′, b′ ] .

En toute generalite on a l’egalite

(X × Y ) \ (X ′ × Y ′) = (X \X ′)× Y ∪ (X ∩X ′)× (Y \ Y ′) reunion disjointe,

XX ′

YY ′

(X \X ′)× Y (X ∩X ′)× (Y \ Y ′)

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152 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ce qui donne

A \A′ = (B \B′)× ]a, b ] ∪ (B ∩B′)× ( ]a, b ] \ ]a′, b′ ]) reunion disjointe.

Par l’hypothese de recurrence B \ B′ est une reunion finie disjointe d’elements dePa(Rd) et ]a, b ] \ ]a′, b′ ] est une reunion finie disjointe d’elements de Pa(R). Ils’ensuit que A \ A′ est une reunion finie disjointe d’elements de Pa(Rd+1). Ainsis’acheve la preuve par recurrence, ce qui termine la preuve que Pa(Rd) est unsemi-anneau. CQFD

18.2 Proposition. Soit [a, b ] ⊂ R un intervalle ferme et borne et soit R unrecouvrement de [a, b ] par des ouverts, c’est-a-dire qu’on a R = Oi | i ∈ I ⊂P(R) une collection d’ouverts de R (∀i ∈ I : Oi un ouvert) verifiant

(18.3) [a, b ] ⊂⋃i∈IOi ,

alors il existe un sous-recouvrement fini, c’est-a-dire qu’il existe Oi1 , . . . , Oin ∈ Rtels qu’on a

[a, b ] ⊂n⋃k=1

Oik .

Preuve. L’idee de la preuve est de regarder le plus grand b′ ∈ [a, b ] tel quel’intervalle [a, b′ ] peut etre recouvert par un nombre fini d’elements de R et demontrer par l’absurde qu’on doit avoir b′ = b. Pour cela on regarde l’ensembleB ⊂ [a, b ] defini comme

B = t ∈ [a, b ] | ∃n ∈ N∗ ∃Oi1 , . . . , Oin ∈ R : [a, t ] ⊂n⋃k=1

Oik .

Il est evident qu’on a a ∈ B, car par (18.3) il existe i1 ∈ I tel que a ∈ Oi1 . Il estaussi evident que l’ensemble B est majore par b, car par definition on a l’inclusionB ⊂ [a, b ]. Il s’ensuit que B possede une borne superieure comme ensemble non-vide majore. On peut donc poser

b′ = sup B .

On procede maintenant par petits pas. Parce que R est un recouvrement, ilexiste Oio ∈ R tel que b′ ∈ Oio . Mais Oio est un ouvert, donc il existe ε > 0 telqu’on a l’inclusion

]b′ − ε, b′ + ε [ ⊂ Oio .

Par definition du sup il existe t ∈ B tel que

b′ − ε < t ≤ b′

et ensuite, par definition de B il existe Oi1 , . . . , Oin ∈ R tels que

[a, t ] ⊂n⋃k=1

Oik .

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MESURES SUR R ET LA MESURE DE LEBESGUE SUR RD 153

Il s’ensuit qu’on a les inclusions

[a, b′ + 12ε ] ⊂ [a, t ] ∪ ]b′ − ε, b′ + ε [ ⊂

( n⋃k=1

Oik

)∪Oio .

On vient donc de montrer que l’intervalle [a, b′ + 12ε ] peut etre recouvert par un

nombre fini (a savoir n+ 1) d’elements de R. Si on a l’inegalite b′ + 12ε < b, alors

on a montre qu’on ab′ + 1

2ε ∈ B ,

ce qui contredit b′ = sup B. On a donc l’inegalite b ≤ b′ + 12ε. Il s’ensuit que

l’intervalle [a, b ] peut aussi etre recouvert par un nombre fini d’elements de R (lesmemes que pour [a, b′ + 1

2ε ]). CQFD

18.4 Remarque pour les curieux. La proposition [18.2] est une facon de direqu’un intervalle ferme et borne est compact. C’est un cas particulier d’une definitionplus generale qui dit qu’un espace topologique est compact s’il est separe et possedela propriete que pour tout recouvrement par des ouverts il existe un sous-recouvre-ment fini.

18.5 Notation. Si f : A ⊂ R→ R est une fonction definie sur un sous-ensembleA de R et si a ∈ R est un reel, alors on dit que la limite a droite de f en a est ` sion a

∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀x ∈ ]a, a+ δ [ ∩A : |f(x)− `| < ε .

Il y a plusieurs facons de noter cette limite a droite `, dont voici quelques unes :

` = limx→a+

f(x) = limx→a,x>a

f(x) = limx↓a

f(x) .

Dans ce texte on a opte pour la derniere facon. C’est plus court que la deuxieme etc’est plus logique que la premiere, car ce n’est pas le reel a qui change (en a+) maisles valeurs de x qu’on autorise. La fleche descendante dans “x ↓ a” indique queles valeurs de x “descendent” vers a, c’est-a-dire qu’elles sont en particulier plusgrandes que a, ce qui est equivalent avec etre a droite de a. De la meme facon onnote la limite a gauche de f en a comme

limite a gauche de f en a = limx↑a

f(x) .

Et ici la fleche montante indique que les valeurs de x “montent” vers a.

→ 18.6 Lemme. Soit I ⊂ R un intervalle d’interieur non vide, soit a ∈ I arbitraireet soit F : I → R une fonction croissante.

(i) Si a est un point interieur ( ∃ε > 0 : ]a − ε, a + ε [ ⊂ I ), alors la limite agauche limx↑a F (x) et la limite a droite limx↓a F (x) existent et verifient lesinegalites limx↑a F (x) ≤ F (a) ≤ limx↓a F (x).

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154 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

(ii) Si a est le bord gauche ( I∩ ]−∞, a [ = ∅), alors la limite a droite limx↓a F (x)existe et verifie l’inegalite F (a) ≤ limx↓a F (x).

(iii) Si a est le bord droit ( I ∩ ]a,∞ [ = ∅), alors la limite a gauche limx↑a F (x)existe et verifie l’inegalite limx↑a F (x) ≤ F (a).

Si F est une fonction decroissante, les memes resultats sont valables, a conditionde changer les inegalites de sens.

Preuve de [18.6]. CQFD

18.7 Definition. Soit I ⊂ R un intervalle d’interieur non vide et soit F : I → Rune fonction. On dit que F est continue a droite si pour tout a ∈ I different dubord droit de I on a l’egalite

F (a) = limx↓a

F (x) ,

ce qui sous-entend bien evidemment que la limite a droite en a existe.

18.8 Theoreme. Soit F : R → R une fonction croissante continue a droite etsoit Pa(R) le semi-anneau des intervalles semi-ouverts a gauche [18.1]. Alors lafonction λF : Pa(R)→ R+ definie par

λF ( ]a, b ]) = F (b)− F (a)

est une pre-mesure sur Pa(R).

Preuve. • Pour montrer l’additivite de λF , on suppose que ]a, b ] = ∪ni=1 ]ai, bi ]est une reunion disjointe et on montre l’egalite F (b)−F (a) =

∑ni=1

(F (bi)−F (ai)

),

ce qu’on fait par recurrence sur n. Pour n = 1 la formule est evidente. Supposonsdonc qu’elle est vraie au rang n et soit ]a, b ] = ∪n+1

i=1 ]ai, bi ] une reunion disjointe.

Par hypothese b ∈ ]a, b ] = ∪n+1i=1 ]ai, bi ], donc il existe 1 ≤ j ≤ n + 1 tel que

b ∈ ]aj , bj ]. Mais ]aj , bj ] ⊂ ]a, b ] donc forcement b = bj . On a donc la reuniondisjointe

]a, b ] =( ⋃

1≤i≤n+1,i6=j]ai, bi ]

)∪ ]aj , b ] .

On en deduit l’egalite]a, aj ] =

⋃1≤i≤n+1,i6=j

]ai, bi ] .

Mais ceci est une reunion disjointe de n elements, donc par hypothese de recurrenceon a

F (aj)− F (a) =∑

1≤i≤n+1,i6=j

(F (bi)− F (ai)

).

On a donc

F (b)− F (a) = F (bj)− F (aj) + F (aj − F (a)

=(F (bj)− F (aj)

)+

∑1≤i≤n+1,i6=j

(F (bi)− F (ai)

)=

∑1≤i≤n+1

(F (bi)− F (ai)

).

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MESURES SUR R ET LA MESURE DE LEBESGUE SUR RD 155

• Avant de montrer la sous-σ-additivite de λF on montre d’abord la sous-additivite sous la forme :

]a, b ] ⊂n⋃i=1

]ai, bi ] =⇒ F (b)− F (a) ≤n∑i=1

(F (bi)− F (ai)

).

Pour cela on definit l’ensemble K comme l’ensemble des extremites des intervallesconcernes :

K = a, b, ai, bi | i = 1, . . . , n .

L’ensemble K contient k ≤ 2n + 2 elements : K = cj | 1 ≤ j ≤ k. On supposeque les cj sont mis dans l’ordre : c1 < c2 < · · · < ck. Par construction il existedo, fo, di, fi ∈ 1, . . . , k avec i = 1, . . . , n (d pour debut et f pour fin) tels que

a = cdo , b = cfo , ai = cdi et bi = cfi .

Il est evident qu’on a do < fo et di < fi pour tout 1 ≤ i ≤ n. On a donc les egalites

(18.9) ]a, b ] =⋃

do≤j<fo]cj , cj+1 ] et ]ai, bi ] =

⋃di≤j<fi

]cj , cj+1 ] .

Pour simplifier les notations, on note pour p, q ∈ N l’ensemble i ∈ N | p ≤ i < qpar [[p, q [[ . On veut maintenant montrer que pour tout j verifiant jo ≤ j < `o ilexiste i ∈ 1, . . . , n tel que ji ≤ j < `i. Ceci veut dire en particulier que toutintervalle ]cj , cj+1 ] figurant dans la reunion de ]a, b ] est inclus dans un intervalle]ai, bi ]. Si on pense a l’inclusion ]a, b ] ⊂ ∪ni=1 ]ai, bi ], ceci paraıt evident, maisdonnons une preuve rigoureuse. Des inclusions

]cj , cj+1 ] ⊂ ]a, b ] ⊂n⋃i=1

]ai, bi ]

on deduit qu’il existe 1 ≤ i ≤ n tel que cj+1 ∈ ]ai, bi ]. De (18.9) on deduitl’existence d’un k ∈ [[di, fi [[ tel que cj+1 ∈ ]ck, ck+1 ]. Vu que les cj forment unesuite strictement croissante, il s’ensuit que cj+1 = ck+1 et donc j = k. Ainsi on amontre l’inclusion

(18.10) [[do, fo [[ ⊂n⋃i=1

[[di, fi [[ .

Par la croissance de F (qui implique qu’on a toujours F (cj+1)−F (cj) ≥ 0) on peutdonc faire le calcul :

F (b)− F (a) =∑

j∈ [[do,fo [[

(F (cj+1)− F (cj)

)≤

∑j∈

n∪i=1

[[di,fi [[

(F (cj+1)− F (cj)

)

≤n∑i=1

∑j∈ [[di,fi [[

(F (cj+1)− F (cj)

)=

n∑i=1

(F (bi)− F (ai)

),

ou la premiere inegalite est une consequence du fait que l’inclusion (18.10) peut nepas etre une egalite et ou la deuxieme inegalite est une consequence du fait qu’on

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156 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ne peut pas affirmer que la reunion dans (18.10) est disjointe : un j ∈ [[do, fo [[ peutappartenir a plusieurs [[di, fi [[ .• Pour la sous-σ-additivite on suppose qu’on a l’inclusion ]a, b ] ⊂ ∪n∈N ]an, bn ].

Soit maintenant ε > 0 arbitraire. L’idee de la preuve est de trouver un nombreN ∈ N (qui dependra de ε) tel qu’on aura

F (b)− F (a) ≤ 2ε+N∑n=0

(F (bn)− F (an)

).

On aura donc aussi l’inegalite

F (b)− F (a) ≤ 2ε+

∞∑n=0

(F (bn)− F (an)

).

Vu que ε > 0 est arbitraire, on doit aussi avoir l’inegalite

F (b)− F (a) ≤∞∑n=0

(F (bn)− F (an)

),

ce qui est la sous-σ-additivite.Pour trouver ce N , on commence a invoquer, avec le ε choisi, la continuite a

droite de F en a :

(18.11) ∃δa > 0 ∀a ≤ x < a+ δa : 0 ≤ F (x)− F (a) < ε ,

ou on a aussi utilise la croissance de F pour remplacer l’inegalite |F (x)−F (a)| < εpar 0 ≤ F (x) − F (a) < ε. De la meme maniere on invoque la continuite a droitede F en bn :

(18.12) ∃δbn > 0 ∀bn ≤ x < bn + δbn : 0 ≤ F (x)− F (bn) < 2−n−1 · ε .

On choisit maintenant a′ ∈ ]a, b ] ∩ [a, a+ δa [ et on constate qu’on a les inclusions

[a′, b ] ⊂ ]a, b ] ⊂⋃n∈N

]an, bn ] ⊂⋃n∈N

]an, bn + 12δbn [ .

L’intervalle ferme [a′, b ] est donc inclus dans une reunion d’intervalles ouverts (les]an, bn + 1

2δbn [ ). On peut donc extraire de ce recouvrement un recouvrement fini[18.2]. Il s’ensuit qu’il existe N ∈ N tel qu’on a l’inclusion

[a′, b ] ⊂N⋃n=0

]an, bn + 12δbn [ .

On a donc de surcroıt l’inclusion

]a′, b ] ⊂N⋃n=0

]an, bn + 12δbn ] ,

ce qui permet, avec la sous-additivite montre ci-dessus, de faire le calcul :

F (b)− F (a) < ε+ F (b)− F (a′)

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MESURES SUR R ET LA MESURE DE LEBESGUE SUR RD 157

sous-add.≤ ε+

N∑n=0

(F (bn + 1

2δbn)− F (an))

(18.12)< ε+

N∑n=0

(F (bn) + 2−n−1 · ε− F (an)

)< ε+ ε ·

∞∑n=0

2−n−1 +N∑n=0

(F (bn)− F (an)

)= 2ε+

N∑n=0

(F (bn)− F (an)

),

ou la premiere inegalite est une consequence du fait qu’on a choisi a′ ∈ [a, a+ δa [et de (18.11). On a donc trouve le N voulu, ce qui termine la preuve. CQFD

18.13 Remarques sur la preuve de [18.8]. • Si on regarde bien, on s’apercoitque pour montrer l’additivite de λF on n’utilise aucune des hypotheses sur F , quepour montrer la sous-additivite on utilise la croissance de F et que pour montrerla sous-σ-additivite on a besoin de la croissance (car on utilise la sous-additivite)et de la continuite a droite de F .• La definition qu’on a utilise pour la sous-additivite est legerement differente des

definitions donnees dans [4.10.iv] et [17.6.i]. L’explication est la meme que pour lasous-σ-additivite donnee dans [17.11] : ici la collection n’est pas stable par reunionfinie ; par contre, dans les deux cas cites on pourrait changer la definition commeici a cause de la croissance.

→ 18.14 Exercice. Donner un exemple d’une fonction F : R → R pour laquellela sous-additivite de λF en tant qu’application Pa(R) → R+ n’est pas vraie engeneral et donner un exemple d’une fonction croissante F : R → R telle que lasous-σ-additivite de λF n’est pas vraie en general (toujours en tant qu’applicationPa(R)→ R+).

18.15 Corollaire/Definition. Soit F : R→ R une fonction croissante continuea droite. Alors il existe une unique mesure λF : B(R)→ R+ telle qu’on a

∀a, b ∈ R, a < b : λF ( ]a, b ] ) = F (b)− F (a) .

Cette mesure est appelee la mesure de Stieltjes associee a la fonction F .

Preuve. Selon [18.8] l’application λF : Pa(R) → R+ definie par λF ( ]a, b ] ) =F (b)− F (a) est une pre-mesure. Selon [17.12] on peut prolonger cette pre-mesureen une mesure λF : σ(Pa(R)) = B(R) [2.36.iii], ce qui montre l’existence.

Pour l’unicite on definit les boreliens Cn ∈ Pa(R) par Cn = ] − n, n ] et onconstate qu’on a

R =⋃n∈N

] − n, n ] et λF ( ] − n, n ]) = F (n)− F (−n) <∞ ,

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158 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

parce que F prend ses valeurs dans R, pas dans R. Etant donne que Pa(R) esten particulier un π-systeme, on peut appliquer [12.11] pour conclure que la mesureλF est unique. CQFD

18.16 Proposition. Soit F,G : R → R deux fonctions croissantes continues adroite et soit λF et λG les mesures de Stieltjes sur R associees. Alors λF = λG siet seulement si il existe c ∈ R tel que G = F + c.

De plus, pour tout a, b ∈ R on a λF ( ]a, b ] ) <∞. En particulier λF est σ-finiesur le π-systeme Pa(R) des intervalles semi-ouverts a gauche.

Reciproquement, si µ est une mesure sur (R,B) telle que µ(I) < ∞ pour toutintervalle borne I ⊂ R, alors la fonction F : R→ R definie par

F (x) =

µ( ]0, x ] ) x ≥ 0

−µ( ]x, 0 ] ) x ≤ 0

est croissante continue a droite et on a l’egalite µ = λF .

Preuve. • Si G = F + c, alors pour tout ]a, b ] ∈ Pa(R) on a

λF ( ]a, b ]) = F (b)− F (a) = G(b)−G(a) = λG( ]a, b ]) .

Par [12.11] il s’ensuit qu’on a λF = λG. Reciproquement, si λF = λG, alors poura > 0 on a

F (a)− F (0) = λF ( ]0, a ]) = λG( ]0, a ]) = G(a)−G(0)

et donc pour a > 0 on a G(a) = F (a) +(G(0)−F (0)

). Pour a < 0 on fait le calcul

analogueF (0)− F (a) = λF ( ]a, 0 ]) = λG( ]a, 0 ]) = G(0)−G(a)

et on trouve la meme relation. La constante c = G(0)− F (0) fait donc l’affaire.• Il est evident qu’on a λF ( ]a, b ]) = F (b) − F (a) < ∞ pour tout a < b ∈ R et

qu’on a R = ∪n∈N∗ ] − n, n ], ce qui montre que λF est bien σ-finie sur Pa(R).• Il est evident que F (0) = 0 et que F est positive pour x positif et negative pour

x negatif. Pour la croissance il suffit donc de le montrer separement sur ]−∞, 0[ et]0,∞ [ . Si on a 0 < x < y, alors ]0, x ] ⊂ ]0, y ] et donc F (x) ≤ F (y) par croissanced’une mesure. Si on a x < y < 0, alors on a ]y, 0 ] ⊂ ]x, 0 ], donc de nouveau parcroissance d’une mesure F (x) ≤ F (y).

Une fois qu’on sait que F est croissante, on sait que la limite a droite limx↓a F (x)existe pour tout a ∈ R [18.6.i]. Pour montrer la continuite a droite, il suffit donc detrouver une seule suite (xn)n∈N dans ]a,∞ [ de limite a qui verifie limn→∞ F (xn) =F (a). On prend la suite decroissante xn = a+ 1/(n+ 1). Pour a ≥ 0 on a l’egalite

]0, a ] =⋂n∈N

]0, xn ]

et donc par continuite decroissante d’une mesure [4.14] et le fait que µ( ]0, x0 ]) =F (a+ 1)− F (0) <∞ on a

F (a) = µ( ]0, a ]) = µ(⋂n∈N

]0, xn ]) = limn→∞

µ( ]0, xn ]) = limn→∞

F (xn) .

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MESURES SUR R ET LA MESURE DE LEBESGUE SUR RD 159

Pour a < 0 on a l’egalite

]a, 0 ] =⋃n∈N

]xn, 0 ]

et donc par continuite croissante d’une mesure [4.10.iii] on a

F (a) = µ( ]a, 0 ]) = µ(⋃n∈N

]xn, 0 ]) = limn→∞

µ( ]xn, 0 ]) = limn→∞

F (xn) .

Ainsi on a montre que F est croissante et continue a droite et donc la mesure λFexiste. Selon [12.11] il suffit de montrer l’egalite µ( ]a, b ]) = λF ( ]a, b ]) pour tout]a, b ] ∈ Pa(R) pour pouvoir conclure l’egalite µ = λF . Pour 0 ≤ a < b on a

F (b) = µ( ]0, b ]) = µ( ]0, a] ∪ ]a, b ]) = µ( ]0, a ]) + µ( ]a, b ]) = F (a) + µ( ]a, b ]) .

Pour a < b ≤ 0 on a

−F (a) = µ( ]a, 0 ]) = µ( ]a, b ] ∪ ]b, 0 ]) = µ( ]a, b ]) + µ( ]b, 0 ]) = µ( ]a, b ])− F (b) .

Et finalement pour a < 0 < b on a

µ( ]a, b ]) = µ( ]a, 0 ] ∪ ]0, b ]) + µ( ]a, 0 ]) + µ( ]0, b ]) = −F (a) + F (b) .

Vu que F (b) et F (a) sont finis, on a dans tous les cas l’egalite voulue. CQFD

18.17 Exemple. Soit E : R → R la fonction “partie entiere” : E(x) est le plusgrand entier inferieur ou egal a x ; elle est croissante continue a droite. Si on reflechitun peu, on s’apercoit vite qu’on a la formule

λE( ]a, b ]) ≡ E(b)− E(a) = #( ]a, b ] ∩ Z) ≡ CZ( ]a, b ] )

le nombre d’entiers (relatifs) contenu dans l’intervalle ]a, b ]. En invoquant letheoreme sur l’unicite de mesures [12.11] avec le π-systeme Pa(R) d’intervallessemi-ouverts a gauche on demontre que la mesure de Stieltjes associee a la fonctionE est la mesure de comptage sur les entiers relatifs :

λE = CZ .

→ 18.18 Exercice. Soit F,G : R→ R deux fonctions croissantes continues a droiteet soit a, b ∈ R+ deux nombres positifs. Montrer que la fonction H = a · F + b ·Gest aussi croissante continue a droite et qu’on a l’egalite (entre mesures)

λH = a λF + b λG .

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160 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

18.19 Remarque pour les curieux. Il peut paraıtre surprenant qu’il y ait uneasymetrie dans la definition d’une mesure de Stieltjes dans le sens qu’on parle defonctions continues a droite, bien qu’une mesure qui est finie sur tout intervalleborne n’a pas de preference droite ou gauche. Cette asymetrie vient du fait qu’ona choisi le semi-anneau d’intervalles semi-ouverts a gauche dans [18.8] pour etablirl’existence d’une mesure de Stieltjes et qu’on a utilise cette meme collection dans laconstruction [18.16] d’une fonction F associee a une mesure finie sur tout intervalleborne. Si on avait utilise les intervalles semi-ouverts a droite, on aurait trouve desfonctions croissantes continues a gauche. Le choix d’intervalles symetriques (ouvertsou fermes) ne convient pas car ces intervalles ne forment pas un semi-anneau et onne peut plus appliquer le theoreme de prolongement [17.12].

18.20 Proposition/Definition. Il existe une unique mesure sur B(Rd), noteeλd et appelee la mesure de Lebesgue sur Rd, qui reproduit le volume d’un pavesemi-ouvert a gauche :

λd( d∏i=1

]ai, bi ])

=

d∏i=1

(bi − ai) pour tout ai, bi ∈ R avec ai < bi.

La mesure de Lebesgue est σ-finie sur le π-systeme Pa(Rd) des paves semi-ouvertsa gauche.

Preuve. On montre l’existence de λd par recurrence sur d. Pour d = 1 on prendla mesure de Stieltjes λ1 = λF associee a la fonction F (x) = x qui est σ-finie surPa(R) [18.16]. Si on a defini/construit λd qui est σ-finie sur Pa(Rd), on definitλd+1 comme la mesure produit λd+1 = λd ⊗ λ1 [13.15].

Par definition de λF on a

λ1( ]a, b ]) = λF ( ]a, b ]) = b− a

et par definition de la mesure produit on a

λd+1( d+1∏i=1

]ai, bi ])

= (λd ⊗ λ1)(( d∏

i=1

]ai, bi ])× ]ad+1, bd+1 ]

)= λd

( d∏i=1

]ai, bi ])· λ1( ]ad+1, bd+1 ])

=( d∏i=1

(bi − ai))· (bd+1 − ad+1) =

d+1∏i=1

(bi − ai) .

Il est evident qu’on a

Rd =⋃n∈N

d∏i=1

] − n, n ] et λd( d∏i=1

] − n, n ])

=d∏i=1

2n = (2n)d <∞ .

La mesure de Lebesgue sur Rd est donc σ-finie sur le π-systeme Pa(Rd). Par letheoreme sur l’unicite des mesures [12.11] la mesure de Lebesgue est donc unique.

CQFD

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MESURES SUR R ET LA MESURE DE LEBESGUE SUR RD 161

→ 18.21 Corollaire. λp ⊗ λq = λp+q.

Preuve de [18.21]. CQFD

→ 18.22 Lemme. Soit A ⊂ Rd tel que∏di=1 ]ai, bi [ ⊂ A ⊂

∏di=1 [ai, bi ]. Alors on

a l’egalite

λd(A) =

d∏i=1

(bi − ai) .

Preuve de [18.22]. Il suffit de faire les calculs

λd( d∏i=1

]ai, bi [)

= λd( ⋃n∈N∗

d∏i=1

]ai, bi − 1n ])

[4.10.iii]= lim

n→∞λd( d∏i=1

]ai, bi − 1n ])

= limn→∞

d∏i=1

(bi − ai − 1n ) =

d∏i=1

(bi − ai)

et

λd( d∏i=1

[ai, bi ])

= λd( ⋂n∈N∗

d∏i=1

]ai − 1n , bi ]

)[4.14]= lim

n→∞λd( d∏i=1

]ai − 1n , bi ]

)= limn→∞

d∏i=1

(bi − ai + 1n ) =

d∏i=1

(bi − ai) .

et d’appliquer la croissance d’une mesure. CQFD

→ 18.23 Corollaire. Si A ⊂ Rd est denombrable, alors λd(A) = 0.

Preuve de [18.23]. Si x = (x1, . . . , xd) ∈ Rd est un point, alors par [18.22] on a

λd(x) = λd( d∏i=1

[xi, xi ])

= λd( d∏i=1

]xi, xi ])

= λd(∅) = 0 .

Etant donne qu’un ensemble denombrable est une reunion denombrable de points,le resultat est une consequence de la σ-additivite d’une mesure. CQFD

18.24 Notation supplementaire. La mesure de Lebesgue sur Rd est notee parle symbole λd avec la dimension d en exposant. La mesure de Lebesgue sur R = R1

est donc notee par λ1. Mais comme pour l’espace lui-meme, il est d’usage de nepas ecrire la dimension 1 en exposant sur λ et donc de noter la mesure de Lebesguesur R simplement par λ. Comme pour l’espace, on a donc l’egalite λ = λ1.

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162 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

18.25 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure avec µ une mesure σ-finie,soit f : Ω→ R+ une fonction mesurable positive et soit

Hf = (ω, t) ∈ Ω×R | 0 ≤ t ≤ f(ω)

son hypographe, c’est-a-dire l’ensemble en dessous du graphe de f . Alors Hf estmesurable (appartient a la tribu F ⊗ B(R) ) et la µ-integrale de f est egale a laµ⊗ λ-mesure de Hf : ∫

Ω

f dµ = (µ⊗ λ)(Hf ) .

Preuve. Pour montrer que Hf est mesurable on considere l’application F : Ω×R→R2 definie par

F (ω, t) = (f(ω), t) ,

ainsi que l’ensemble ferme T = (x, y) ∈ R2 | 0 ≤ y ≤ x. Il est immediat queHf = F−1(T ) et que T , etant ferme, est un borelien de R2. Il suffit donc demontrer que F est mesurable pour pouvoir conclure que Hf l’est. Mais ceci est uneconsequence immediate de [8.12], car on a F = (f, id) et f et l’identite sont desapplications mesurables.

Si on substitue maintenant l’egalite

f(ω) = λ( [0, f(ω) ]) =

∫R

1 [0,f(ω) ] dλ

dans∫

Ωf dµ on peut faire le calcul suivant avec le theoreme de Fubini-Tonelli :∫

Ω

f(ω) dµ(ω) =

∫Ω

(∫R

1 [0,f(ω) ] (t) dλ(t))

dµ(ω)

[14.1]=

∫Ω×R

1 [0,f(ω) ] (t) d(µ⊗ λ)(ω, t)

=

∫Ω×R

1Hf d(µ⊗ λ) = (µ⊗ λ)(Hf ) ,

ou on a utilise l’egalite 1 [0,f(ω) ] (t) = 1Hf (ω, t). CQFD

18.26 Remarque. On peut montrer la mesurabilite de F aussi directement, sanspasser par [8.12] avec l’argument suivant. Pour un pave ]a1, b1 ] × ]a2, b2 ] ⊂ R2

on a

F−1( ]a1, b1 ] × ]a2, b2 ]) = f−1( ]a1, b1 ])× ]a2, b2 ] ∈ F××B(R) ⊂ F ⊗ B(R) ,

ou on a utilise la mesurabilite de f . Par [2.36] et [7.5] on en deduit que F estmesurable.

→ 18.27 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f : Ω→ R une fonctionmesurable et soit

Gf = (ω, f(ω)) ∈ Ω×R | ω ∈ Ω son graphe. Alors (µ⊗ λ)(Gf ) = 0.

Preuve de [18.27]. CQFD

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MESURES SUR R ET LA MESURE DE LEBESGUE SUR RD 163

→ 18.28 Proposition. Soit I ⊂ R un intervalle, soit f : I → R une fonction λ-integrable (sur I) et soit a ∈ I arbitraire. Alors la fonction F : I → R definiepar

F (x) =

∫]a,x ]

f dλ x ≥ a

−∫

]x,a ]f dλ x ≤ a

est continue. Si f est continue au point b ∈ I, alors F est derivable en b et on aF ′(b) = f(b).

Preuve de [18.28]. CQFD

→ 18.29 Theoreme fondamental du calcul integral. Soit I ⊂ R un intervalle,soit f : I → R une fonction continue et soit F : I → R une primitive de f , c’est-a-dire que F est derivable et qu’on a F ′ = f . Alors pour tout a, b ∈ I, a < b on ales egalites∫

]a,b [

f dλ =

∫[a,b [

f dλ =

∫]a,b ]

f dλ =

∫[a,b ]

f dλ = F (b)− F (a) .

Preuve de [18.29]. CQFD

18.30 Exemple. Considerons l’intervalle I = [0, 1 ] ⊂ R et pour n ∈ N∗ lafonction fn : [0, 1 ] definie par

fn(x) =

0 x ≤ 1

n+1 ou x ≥ 1n

2n(n+ 1)an (x− 1n+1 ) 1

n+1 ≤ x ≤2n+1

2n(n+1)

2n(n+ 1)an ( 1n − x) 2n+1

2n(n+1) ≤ x ≤1n ,

ou an ∈ R+ est un reel positif. Son graphe est un triangle isocele de base l’intervalle[ 1n+1 ,

1n ] et hauteur an.

0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 10

a1

a2

a3

a5

a6

f1f2f3f5f6

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164 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

La fonction Fn : [0, 1 ] → R definie par

Fn(x) =

0 x ≤ 1n+1

n(n+ 1)an (x− 1n+1 )2 1

n+1 ≤ x ≤2n+1

2n(n+1)

an2n(n+1) − n(n+ 1)an ( 1

n − x)2 2n+12n(n+1) ≤ x ≤

1n

an2n(n+1)

1n ≤ x

est une primitive de fn. On a donc en particulier l’egalite∫[0,1 ]

fn dλ = Fn(1)− Fn(0) = an2n(n+1) = 1

2 · (1n −

1n+1 ) · an ,

ce qui donne bien l’aire d’un triangle comme la moitie du produit de la base et dela hauteur.

Si on fait varier n, on obtient une suite de fonctions (fn)n∈N∗ qui depend de lasuite de reels (an)n∈N∗ . Bien que, pour tout x ∈ [0, 1 ] on a

limn→∞

fn(x) = 0 ,

independamment des valeurs choisies pour les an. La limite simple de la suite defonctions (fn)n∈N∗ est donc la fonction nulle dans tous les cas. Par contre, d’autresresultats dependent de la suite (an)n∈N∗ :

(i) limn→∞

∫[0,1 ]

fn dλ = 0 si et seulement si limn→∞

ann(n+1) = 0 ;

(ii) le theoreme de convergence dominee s’applique a la suite (fn)n∈N si et

seulement si∑∞n=1

ann(n+1) ≡ lim

N→∞

∑Nn=1

ann(n+1) <∞ ;

(iii) la suite (fn)n∈N∗ converge uniformement (vers la fonction nulle) si et seule-ment si lim

n→∞an = 0.

Les conditions imposees a la suite (an)n∈N∗ etant de plus en plus fortes, on voitqu’il existe des suites de fonctions pour lesquelles on peut intervertir limite etintegrale sans que la condition du theoreme de convergence dominee soit satisfaite.Et des suites qui ne convergent pas uniformement mais qui satsifont la conditiondu theoreme de convergence dominee. Et, bien sur, des suites qui convergent uni-formement sur un espace de mesure finie (λ( [0, 1 ]) = 1 < ∞), et qui (donc)satisfont la condition du theoreme de convergence dominee [11.14].

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165

19. La taille d’un ensemble et l’ensemble de Cantor

19.1 Discussion. Quand on veut comparer la taille de deux ensembles A et B,une idee qui vient a l’esprit (surtout apres les travaux de Dedekind et Cantor) estde dire qu’ils ont la meme taille s’il existe une bijection f : A→ B. Dans le memeesprit on pourrait dire que l’ensemble A est plus petit que (ou egal a) B en tailles’il existe une injection g : A → B. On peut aussi retourner la situation et direque la taille de A est plus grande que (ou egale a) que celle de B s’il existe unesurjection h : A→ B. Ces idees forment le debut de la theorie sur le cardinal d’unensemble. Mais une definition officielle du cardinal depend du choix d’un systemed’axiomes pour la theorie des ensembles, ce qui est hors de portee de ce texte. Onreste donc dans le domaine d’applications entre ensembles et on ne developpe quele strict minimum dont on a besoin. Par contre, le lecteur est fortement encouraged’interpreter l’existence d’une bijection/injection/surjection entre deux ensemblesA et B comme une comparaison de leurs tailles comme ci-dessus.

19.2 Proposition (Cantor-Bernstein-Schroder)†. Soit A et B deux ensem-bles. S’il existe une injection f : A→ B et une injection g : B → A, alors il existeune bijection h : A→ B.

Preuve. Avec les deux injections f et g on va construire par recurrence une suitedecroissante (Cn)n∈N de sous-ensembles de A et une suite croissante (Dn)n∈N desous-ensembles de B. On commence avec C0 = A et D0 = B \ f(C0). Si on aconstruit Cn et Dn, on pose

Cn+1 = A \ g(Dn) et Dn+1 = B \ f(Cn+1) .

Pour montrer que ces deux suites sont bien (de)croissantes, on note d’abord qu’ona C1 ⊂ A = C0, donc f(C1) ⊂ f(C0) et donc D1 = B \ f(C1) ⊃ B \ f(C0) = D0.Mais on a les implications

Dn ⊃ Dn−1 =⇒ g(Dn) ⊃ g(Dn−1) =⇒ Cn+1 ⊂ CnCn−1 ⊂ Cn =⇒ f(Cn−1) ⊂ f(Cn) =⇒ Dn ⊃ Dn+1 ,

ce qui montre par recurrence que ces suites sont (de)croissantes.On pose maintenant E = ∩

n∈NCn et F = ∪

n∈NDn et on veut montrer les egalites

f(E) = B \ F et g(F ) = A \ E .

†Dans la litterature on retrouve ce resultat sous le nom de “theoreme de Cantor-Bernstein” ou

de “theoreme de Bernstein-Schroder.” Ce resultat etait mentionne comme question dans un textede Cantor et des preuves furent publies independamment par Felix Bernstein et E. Schroder (en

1898). En 1911 A. Korselt signalait une erreur dans la preuve de Schroder [Ko] ; il citait aussi

une correspondance avec Schroder qui etait au courant de l’erreur et qui attribuait ce resultat aBernstein. La premiere preuve correcte publiee est donc due a Bernstein. Dedekind l’avait deja

demontre en 1887, mais il n’avait jamais publie son resultat (voir [Bo]).

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166 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

La deuxieme egalite est assez simple a montrer car on a

g(F ) = g(⋃n∈N

Dn) =⋃n∈N

g(Dn) =⋃n∈N

A \ Cn+1 = A \⋂n∈N

Cn+1 = E ,

ou pour la derniere egalite on a utilise le fait que la suite (Cn)n∈N est decroissante.Pour la premiere egalite on peut faire un calcul semblable qui nous donne

f(E) = f(⋂n∈N

Cn) =⋂n∈N

f(Cn) =⋂n∈N

B \Dn = B \⋃n∈N

Dn = B \ F ,

ou pour la deuxieme egalite on a utilise le fait qu’une intersection est preservee parl’image directe d’une injection.

Vu que f et g sont injectives, il s’ensuit que les applications f |E : E → B \ F etg|F : F → A \ E sont bijectives. Si on definit l’application h : A→ B par

h(a) = f(a) si a ∈ E et h(a) = (g|F )−1(a) si a ∈ A \ E,

alors h est une bijection comme voulu. CQFD

19.3 Definition. Soit A et B deux ensembles. Alors on note l’ensemble de toutesles applications f : A→ B par BA :

BA = f | f : A→ B une application .

Si A = a1, . . . , an est un ensemble fini a n elements, toute application f : A →B est determinee par les images b1 = f(a1), . . . , bn = f(an), c’est-a-dire par unelement de Bn = B × · · · × B (n termes dans ce produit). Cet exemple est unemotivation de la notation sous forme exponentielle de l’ensemble des applications.

→ 19.4 Lemme. Soit A, B, C et D quatre ensembles. S’il existe une bijection f :A→ C et une bijection g : B → D, alors il existe une bijection h : BA → DC .

Preuve de [19.4]. CQFD

19.5 Lemme. Soit A, B et C trois ensembles. S’il existe une surjection f : A→C, alors il existe une surjection h : BA → BC .

Preuve. On definit d’abord l’application g : BC → BA par

∀ϕ ∈ BC : g(ϕ) = ϕ f .

Pour montrer que cette application est injective, supposons qu’on a g(ϕ) = g(ψ).Par definition de g on a donc l’egalite ϕ f = ψ f entre deux applications A→ B.Si on n’a pas l’egalite ϕ = ψ entre ces deux applications C → B, il existe c ∈ C telque ϕ(c) 6= ψ(c). Mais f est surjective, donc il existe a ∈ A tel que c = f(a). Ona donc l’inegalite ϕ(f(a)) 6= ψ(f(a)), en contradiction avec l’hypothese. On doitdonc avoir l’egalite ϕ = ψ, ce qui montre l’injectivite de g. Maintenant il suffitd’invoquer [1.6] pour en deduire l’existence d’une surjection h : BA → BC .

CQFD

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LA TAILLE D’UN ENSEMBLE ET L’ENSEMBLE DE CANTOR 167

→ 19.6 Exercice. Soit A, B et C trois ensembles. Montrer que s’il existe une injec-tion f : A→ C, alors il existe une injection h : BA → BC .

19.7 Lemme. Soit A, B et C trois ensembles. Alors il existe une bijection

Φ : (AB)C → AB×C .

Preuve. Remarquons d’abord que si f appartient a (AB)C , alors c’est une fonctionf : C → AB . Pour tout c ∈ C l’image f(c) appartient donc a AB , c’est-a-dire, estune application f(c) : B → A. Pour tout b ∈ B l’image f(c)(b) appartient (donc)a A. D’autre part, un element de AB×C est une application g : B × C → A. Ondefinit maintenant l’application Φ par

∀f ∈ (AB)C : Φ(f) : B × C → A est definie par Φ(f)(b, c) = f(c)(b) .

On laisse au lecteur la verification simple que ce Φ est bien une bijection. CQFD

19.8 Proposition. Soit A un ensemble et soit P(A) l’ensemble de toutes les partiesde A.

(i) Il n’existe pas de surjection f : A→ P(A).(ii) Il existe une bijection Ψ : P(A)→ 0, 1A.

Preuve. • (i) : Pour une application f : A → P(A) definissons le sous-ensembleB ⊂ A par

B = a ∈ A | a /∈ f(a) ,ce qui a un sens, car f(a) est un sous-ensemble de A. S’il existe b ∈ A tel quef(b) = B, alors on a deux possibilites :

b ∈ B = f(b) ou b /∈ B = f(b) .

Dans le premier cas, selon la definition de B, on ne pourrait pas avoir b ∈ B, ce quidonne une contradiction. Mais dans le deuxieme cas on a aussi une contradiction,car, de nouveau selon la definition de B, on devrait avoir b ∈ B. La conclusionest donc que B n’appartient pas a l’image f(A), ce qui implique que f n’est passurjective. Il n’existe donc pas de surjection f : A→ P(A).• (ii) On definit les applications Ψ : P(A)→ 0, 1A et Φ : 0, 1A → P(A) par

Ψ(B) = 1B et Φ(f) = a ∈ A | f(a) = 1 ,

ou 1B est la fonction indicatrice du sous-ensemble B. Il est facile de verifier que Ψet Φ sont reciproques, donc etablissent des bijections. CQFD

19.9 Remarque. L’application qui envoie un element a ∈ A vers le singletona ∈ P(A) est clairement une injection, qu’on interprete comme disant que A estplus petit que ou egale a P(A) en taille. Le fait qu’il n’existe pas de surjectionA → P(A) exclut la possibilite que A et P(A) ont la meme taille. Le resultat[19.8.i] s’interprete donc comme l’affirmation que pour tout ensemble A, l’ensembleP(A) de ses sous-ensembles est strictement plus grand que A lui-meme.

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168 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

19.10 Proposition. Soit a, b ∈ R deux reels verifiant a < b. Alors il existe desbijections entre les cinq ensembles ]a, b [ , [a, b [ , [a, b ], R et 0, 1N∗ .

Preuve. On regarde d’abord la suite d’injections

]a, b [id−→ [a, b [

id−→ [a, b ]id−→ R

f−→ ]a, b [ ,

ou les trois premieres applications sont l’identite (qui envoie un element vers lui-meme) et ou la derniere f est donnee par la formule

f(x) = a+ (b− a) · ex

1 + ex.

En prenant des composees on obtient facilement des injections dans les deux sensentre chaque paire d’ensembles parmi ces quatre. Par [19.2] il existe donc aussi desbijections entre chaque paire.

Pour montrer que ces quatre ensembles sont aussi en bijection avec 0, 1N∗ onconsidere la suite d’injections

[0, 1[(f2)−1

−−−−→ DR2id−→ 0, 1N

∗ g−→ DR3f3−→ [0, 1[ .

Dans cette suite, les applications f2/3 : DR2/3 → [0, 1[ sont les bijections definiesdans [1.17] pour le developpement en base 2 (respectivement 3) d’un reel dans [0, 1[et l’application g est l’application qui envoie un element f ∈ 0, 1N∗ (c’est-a-direune application f : N∗ → 0, 1) vers elle-meme, mais vue comme application surN∗ a valeurs dans 0, 1, 2 ⊃ 0, 1. Vu que g(f) ne prend jamais la valeur 2, c’estune suite reduite en base 3, donc appartient bien a DR3. En prenant comme avantdes composees et en invoquant [19.2], on obtient des bijections entre chaque paired’ensembles parmi ces quatre. CQFD

19.11 Remarque. Si on combine [19.10] et [19.8], on obtient une autre preuvede [1.18] : s’il existait une surjection N∗ → [0, 1[ , alors en composant avec unebijection [0, 1[ → 0, 1N∗ et la bijection 0, 1N∗ → P(N∗) on obtiendrait unesurjection N∗ → P(N∗), ce qui est impossible.

→ 19.12 Exercice. Soit F un ensemble non-vide fini, disons a b elements. Adapterla preuve de [19.10] pour montrer qu’il existe une bijection entre R et FN∗ .

19.13 L’ensemble de Cantor. L’ensemble de Cantor C, un sous ensemble del’intervalle [0, 1 ] ⊂ R, est le plus fameux exemple d’un ensemble (ferme) de mesurede Lebesgue nulle qui n’est pas denombrable. Il sert souvent comme contre-exemplepour des generalisations hatives. La definition/construction de C est recursive.On construit par recurrence une suite decroissante d’ensembles (Bn)n∈N en com-mencant par B0 = [0, 1 ] telle que Bn est une reunion disjointe de 2n intervalles

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LA TAILLE D’UN ENSEMBLE ET L’ENSEMBLE DE CANTOR 169

fermes. Si on connaıt Bn, on construit Bn+1 comme suit. Chaque intervalle ferme[a, b ] dans Bn est coupe en trois parts egales, et on enleve la partie (ouverte) aumilieu. Bn+1 est la reunion des morceaux restants. Une autre facon de dire lameme chose est de definir Bn+1 par la formule

(19.14) Bn+1 = 13Bn ∪ ( 2

3 + 13Bn) = 1

3x | x ∈ Bn ∪ 23 + 1

3x | x ∈ Bn .

On obtient ainsi :

B0 = [0, 1 ]

B1 = [ 03 ,

13 ] ∪ [ 2

3 ,33 ]

B2 = [ 032 ,

132 ] ∪ [ 2

32 ,332 ] ∪ [ 6

32 ,732 ] ∪ [ 8

32 ,932 ]

B3 = [ 033 ,

133 ] ∪ [ 2

33 ,333 ] ∪ [ 6

33 ,733 ] ∪ [ 8

33 ,933 ] ∪ [ 18

33 ,1933 ]

∪ [ 2033 ,

2133 ] ∪ [ 24

33 ,2533 ] ∪ [ 26

33 ,2733 ]

...

B0B1

B2B3

B4B5

L’ensemble de Cantor C est l’intersection (limite) des Bn : C = ∩n∈NBn. Unedescription non-recursive mais moins parlante est donnee par l’intermediaire desensembles An comme suit :

An =(3n−1)/2⋃k=0

[2k

3n,

2k + 1

3n

]et Bn =

n⋂i=0

Ai .

On laisse au lecteur interesse le soin de verifier que les Bn definis ainsi coıncidentavec les Bn definis par la procedure recursive.

19.15 Proposition. L’ensemble de Cantor C a une mesure de Lebesgue nulle(λ(C) = 0 ) et est en bijection avec [0, 1 ] et R. En particulier C n’est pasdenombrable.

Preuve. Par construction on a λ(Bn+1) = 23 · λ(Bn) et λ(B0) = 1. Par [4.14] on en

deduit que λ(C) = limn→∞ λ(Bn) = limn→∞( 23 )n = 0.

Pour les autres affirmations, on considere l’ensemble T = 0, 1, 2N∗ des suitesa valeurs dans l’ensemble a trois elements 0, 1, 2 :

T =

(ak)k∈N∗ | ∀k ∈ N∗ : ak ∈ 0, 1, 2.

Sur T on definit l’application S : T → [0, 1 ] par

S((ak)k∈N∗) =∞∑k=1

ak3k

.

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170 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

L’ensemble DR3 des suites reduites a base 3 est un sous-ensemble de T et la restric-tion de S a DR3 est l’application f3 : DR3 → [0, 1[ . Le fait que f3 est surjectivesur [0, 1[ et que S((ak)k∈N∗) est majore par 1 (l’image par S de la suite constante2) montre que S est surjective sur [0, 1 ].

L’idee de la preuve est de montrer que S : T → [0, 1 ] etablit une bijection entreC et R = 0, 2N∗ ⊂ T , le sous-ensemble des suites a valeurs dans 0, 1, 2 qui neprennent pas la valeur 1 :

R ≡ 0, 2N∗

= (ak)k∈N∗ ∈ T | ∀k ∈ N∗ : ak 6= 1 .

Pour faire le lien avec les ensembles Bn on introduit les ensembles Rn ⊂ T definiscomme

Rn = (ak)k∈N∗ ∈ T | ∀1 ≤ k ≤ n : ak 6= 1 ,

ce qui nous donne l’egalite R = ∩n∈NRn et on va montrer l’egalite Bn = S(Rn).Pour cela on introduit les applications D,D′ : T → T definies par

D((ak)k∈N∗

)= (bk)k∈N∗ avec b0 = 0 et ∀k > 1 : bk = ak−1

D′((ak)k∈N∗

)= (ck)k∈N∗ avec c0 = 2 et ∀k > 1 : ck = ak−1 .

Ces applications decalent une suite (ak)k∈N∗ un cran vers la droite et inserent unnouveau element (0 pour D et 2 pour D′) a la premiere place. La definition de Det D′ nous donne immediatement les egalites

∀a = (ak)k∈N∗ ∈ T : S(D(a)) = 13 · S(a) et S(D′(a)) = 2

3 + 13 · S(a) .

Avec ces ingredients on montre par recurrence les egalites

(19.16) Bn = S(Rn) et Rn+1 = D(Rn) ∪D′(Rn) .

Pour n = 0 on a R0 = T et donc S(R0) = S(T ) = [0, 1 ] = B0. Supposons doncqu’on a Bn = S(Rn). Alors on a les egalites

D(Rn) = (ak)k∈N∗ ∈ T | a0 = 0 et ∀ 2 ≤ k ≤ n+ 1 : ak 6= 1 D′(Rn) = (ak)k∈N∗ ∈ T | a0 = 2 et ∀ 2 ≤ k ≤ n+ 1 : ak 6= 1

et donc on a bien Rn+1 = D(Rn) ∪D′(Rn). Ensuite on calcule :

S(Rn+1) = S(D(Tn) ∪D′(Tn)) = S(D(Tn)) ∪ S(D′(Tn))

= 13 · S(Tn) ∪ ( 2

3 + 13 · S(Tn)) = 1

3 ·Bn ∪ ( 23 + 1

3 ·Bn) = Bn+1 ,

ce qui termine la preuve (par recurrence) de (19.16). Etant donne que la suited’ensembles (Rn)n∈N est decroissante, on peut donc faire le calcul

S(R) = S(⋂n∈N

Rn) =⋂n∈N

S(Rn) =⋂n∈N

Bn = C .

Pour montrer que S : R → C est une bijection il suffit de montrer que S estinjective sur R. Cela se fait comme dans [1.14]. Si (ak)k∈N∗ 6= (a′k)k∈N, il existeun plus petit indice ` ou ces deux suites different :

a` 6= a′` et ∀k < ` : ak = a′k .

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LA TAILLE D’UN ENSEMBLE ET L’ENSEMBLE DE CANTOR 171

Sans perte de generalite on peut supposer qu’on a a` = 0 et a′` = 2 et faire lescalculs

S((ak)k∈N∗) =

`−1∑k=1

ak3k

+

∞∑k=`+1

ak3k≤

`−1∑k=1

ak3k

+

∞∑k=`+1

2

3k=

`−1∑k=1

ak3k

+1

3`

<`−1∑k=1

ak3k

+2

3`≤

`−1∑k=1

ak3k

+2

3`+

∞∑n=`+1

a′k3k

= S((a′k)k∈N∗) .

Ainsi on a etablit que S : R → C est une bijection. Par [19.4] il existe donc aussiune bijection entre C et 0, 1N∗ et donc par [19.10] il existe des bijections entreC, [0, 1 ] et R. Avec [1.18] il s’ensuit que C n’est pas denombrable.

CQFD

→ 19.17 Exercice. Soit C ⊂ [0, 1 ] l’ensemble de Cantor. Montrer les affirmationssuivantes.

(i) C est ferme et borne, c’est-a-dire un compact.(ii) C est d’interieur vide, c’est a dire que C ne contient aucun intervalle ouvert.

(iii) C n’a pas de points isoles, c’est-a-dire : si x ∈ C et si V est un voisinage(ouvert) de x, alors il existe y ∈ C tel que y 6= x et y ∈ V .

→ 19.18 Exercice. Soit S : T → [0, 1 ] l’application definie dans la preuve de [19.15]et soient Bn ⊂ [0, 1 ], n ∈ N les ensembles definis dans [19.13].

(i) Montrer que S est croissante si on munit T de l’ordre lexicographique :(an)n∈N < (bn)n∈N ⇐⇒ ∃k ∈ N : ak < bk & ∀n < k : an = bn.

(ii) Soit DR3 ⊂ T l’ensemble des suites reduites a base 3 :

T ′ = (an)n∈N∗ ∈ T | ∀N ∈ N∗ ∃n ≥ N : an 6= 2 .

Montrer que le complementaire T \T ′ est denombrable en l’ecrivant commeune reunion denombrable d’ensembles finis.

(iii) Montrer que l’ensemble T \ T ′ consiste des suites qui ont un successeurimmediat par rapport a l’ordre lexicographique.

19.19 L’ensemble de Cantor modifie. Si on regarde la construction de l’en-semble de Cantor, on voit qu’on commence avec un intervalle, on enleve une partieau milieu, c’est-a-dire qu’on fait un trou dans l’intervalle, et on continue a faire destrous dans les intervalles qui en resultent. Le resultat final C est donc “plein detrous” et a une mesure de Lebesgue nulle. On peut modifier la construction d’unetelle facon qu’on fait toujours des trous, mais que le resultat a une mesure positive.

Pour bien comprendre la modification, revenons sur la construction de l’ensemblede Cantor. Au stade n on a un ensemble Bn qui est la reunion disjointe de 2n

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172 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

intervalles fermes de longueur 3−n. A chacun de ces intervalles on enleve au milieuune partie de longuer 3−(n+1). Au stade n+ 1 on a donc 2n+1 intervalles fermes delongueur 1

2 (3−n − 3−(n+1)) = 3−(n+1). Et on continue. La modification consiste achanger la longueur de la partie qu’on enleve au milieu des intervalles.

On commence donc avec l’ensemble B0 = [0, 1 ] qui est un intervalle ferme. Siau stade n on a l’ensemble Bn qui est la reunion disjointe de 2n intervalles fermes dememe longueur, on enleve a chaque intervalle un morceau ouvert de longeur 1

3 ·4−n

du milieu, coupant l’intervalle en deux intervalles fermes de meme longueur. Ainsion obtient au stade n + 1 un ensemble Bn+1 qui est la reunion disjointe de 2n+1

intervalles fermes de meme longueur. Il est immediat qu’au stade n on enleve deBn un ensemble qui a une mesure de Lebesgue 2n · 13 ·4

−n. Il est aussi immediat quela suite (Bn)n∈N est decroissante. De plus, on montre facilement par recurrencequ’au stade n la longueur des intervalles ` verifie les inegalites

3−n ≤ ` ≤ 2−n ,

ce qui montre que la longueur des intervalles tend vers 0 et qu’on peut bien enleverun morceau de longueur 1

3 · 4−n. On definit l’ensemble de Cantor modifie C ′ ⊂ R

comme l’intersection (la limite) des Bn : C ′ = ∩n∈N

Bn. Par construction on a lesegalites

λ(B0) = 1 et λ(Bn+1) = λ(Bn)− 2n · 13 · 4

−n ,

d’ou par recurrence λ(Bn) = 1−∑n−1k=0

13 · 2

−k. Il s’ensuit qu’on a

λ(C ′) = limn→∞

λ(Bn) = 1−∞∑k=0

13 · 2

−k = 13 .

L’ensemble C ′ est donc (comme l’ensemble de Cantor C) “plein de trous,” ne con-tient aucun intervalle avec une mesure positive et a une mesure positive de 1

3 .

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173

20. Mesures a densite

20.1 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f : Ω → R+ unefonction mesurable positive. Alors l’application ν : F → R+ definie par

ν(E) =

∫Ω

1E f dµ ≡∫E

f dµ

est une mesure.

Preuve. Il est evident qu’on a ν(∅) = 0, donc il ne reste qu’a montrer la σ-additivitede ν. Pour cela, soit An une suite disjointe d’ensembles mesurables.

ν(⋃n∈N

An) =

∫Ω

1 ∪n∈N

An f dµ =

∫Ω

(∑n∈N

1An

)f dµ

[3.17]=

∫Ω

∑n∈N

(1An f) dµ[9.13]=

∑n∈N

∫Ω

1An f dµ =∑n∈N

ν(An) ,

ou la deuxieme egalite est une consequence du fait que les An sont disjoints. Pour latroisieme egalite il faut appliquer, en outre de [3.17], un argument simple de limitesur les sommes partielles dans R+. CQFD

20.2 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et f : Ω → R+ une fonctionmesurable positive. La mesure ν construite dans [20.1] est appelee la mesure adensite f par rapport a la mesure µ.

20.3 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f : Ω → R+ une appli-cation mesurable positive et soit ν : F → R+ la mesure definie par ν(A) =

∫Af dµ

pour tout A ∈ F . Si g : Ω → K avec K = R ou C est une application mesurable,alors le produit prolonge g f est aussi mesurable. On a toujours l’egalite

(20.4)

∫Ω

|g| dν =

∫Ω

|g| f dµ .

Si l’une de ces deux integrales est finie (et donc les deux) on a l’egalite

(20.5)

∫Ω

g dν =

∫Ω

g f dµ .

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174 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

20.6 Remarque. Implicite dans (20.5) est le prolongement du produit prolongeen une application definie sur R+ ×C (et a valeurs dans R + iR), simplement enseparant les parties reelle et imaginaire.

Preuve. La mesurabilite de g f est montre dans [8.14]. Pour montrer les egalitesdes integrales, on suit l’approche standard deja utilise dans [10.13] et [14.1]. Sig = 1E est une fonction indicatrice, on a∫

Ω

1E dν[6.5.i]

= ν(E)def=

∫Ω

1E f dµ .

Si g =∑ni=1 ci · 1Ai est une fonction etagee positive, alors on calcule avec [9.12] et

[9.16] : ∫Ω

g dνdef=

∫Ω

n∑i=1

ci · 1Ai dν =n∑i=1

ci

∫Ω

1Ai dν

ci-dessus=

n∑i=1

ci

∫Ω

1Ai f dµ =

∫Ω

n∑i=1

ci (1Ai f) dµ

[3.17]=

∫Ω

( n∑i=1

ci · 1Ai)f dµ ≡

∫Ω

g f dµ .

Si g est une fonction mesurable positive quelconque, alors il existe une suite crois-sante de fonctions etagees positives hn telle que limn→∞ hn = g [9.7]. En invoquant[9.1] et le resultat de l’etape precedente on peut donc faire le calcul :∫

Ω

g dν =

∫Ω

limn→∞

hn dν[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

hn dνprec.= lim

n→∞

∫Ω

hn f dµ

=

∫Ω

limn→∞

(hn f) dµ =

∫Ω

( limn→∞

hn) f dµ =

∫Ω

g f dµ ,

ou pour la troisieme egalite on utilise le fait que si la suite hn est croissante, alors lasuite hn f l’est aussi. L’egalite limn→∞(hn f) = (limn→∞ hn) f est laissee commeexercice elementaire au lecteur. On a donc montre que l’egalite

∫Ωg dν =

∫Ωg f dµ

est vraie pour toute fonction mesurable positive, ce qui montre (20.4).Si (20.4) donne une valeur finie, alors on en deduit que g est ν-integrable si et

seulement si g f est µ-integrable. Si g est a valeurs dans R, on deduit de l’egalite

(g f)± = g± f

et de la definition de l’integrale d’une fonction integrable qu’on a l’egalite (20.5).Le cas K = C s’en deduit en separant les parties reelle et imaginaire. CQFD

20.7 Remarques. • Dans la pratique la fonction f (dans la definition de la mesurea densite f) prendra ses valeurs dans R+ et on ne s’interesse qu’a des fonctionsmesurables a valeurs dans R ou C. Et dans ces circonstances la fonction g f est la

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MESURES A DENSITE 175

fonction g · f . Les precautions qu’on a du prendre dans le cas general seront doncdans la pratique le plus souvent superflues.• On ecrit souvent la relation entre la mesure µ et la nouvelle mesure ν a densite

f par rapport a µ commedν = f dµ ,

une ecriture qui est utile pour se rappeler le resultat [20.3]. On dit aussi que f estla derivee de Radon-Nikodym de ν par rapport a µ, ce qu’on note comme

f =dν

dµ.

La condition sous laquelle cette “derivee” existe est enoncee dans [34.21].

→ 20.8 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f : Ω→ R+ une applicationmesurable positive et soit ν : F → R+ la mesure definie par ν(A) =

∫Af dµ.

Montrer que si g est une fonction ν-integrable, alors gµ-pp= 0 sur l’ensemble ou f

est infini :µ( ω ∈ Ω | f(ω) =∞ et g(ω) 6= 0 ) = 0 .

20.9 Exemple. Soit F : R→ R une fonction croissante de classe C1, c’est-a-direderivable telle que f = F ′ soit continue (sur R). Autrement dit, soit f : R→ R+

une fonction continue positive (pour la croissance de F ) et soit F une primitive def . Alors par le theoreme fondamental du calcul integral [18.29] on a les egalites

λF ( ]a, b ]) = F (b)− F (a)[18.29]

=

∫[a,b ]

f dλ =

∫]a,b ]

f dλ

pour tout a < b (car les fonctions 1 ]a,b ] ·f et 1 [a,b ] ·f sont λ-presque partout egales).On voit que la mesure de Stieltjes λF et la mesure ν a densite f par rapport a lamesure de Lebesgue coıncident sur le π-systeme Pa(R) des intervalles semi-ouvertsa gauche. λF etant σ-finie sur Pa(R), on a donc egalite des deux mesures :

dλF = f dλ ≡ F ′ dλ .

20.10 Exemple. Considerons l’espace mesure (R,B, CN) et soit f : R→ R+ unefonction mesurable positive. On definit la mesure ν par

dν = f dCN .

Alors une fonction mesurable g : R → C est ν-integrable si et seulement si∑∞n=0 f(n) · |g(n)| <∞. Si c’est le cas on a l’egalite∫

R

g dν =∞∑n=0

f(n) g(n) .

On dit que l’integrale par rapport a ν represente une serie avec poids f .

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176 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

20.11 Exemple. Si on compare la definition [4.12] de la mesure µp definie surun ensemble fini avec [20.1], il est immediat que µp est la mesure a densite p parrapport a la mesure de comptage CΩ.

→ 20.12 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f1, f2 : Ω → R+ deuxfonctions mesurables positives et soit ν1, ν2 : F → R+ les mesures a densite parrapport a la mesure µ definies comme dνi = fi dµ.

(i) Si f1µ-pp= f2, alors ν1 = ν2.

(ii) Si ν1 = ν2 et si ν1 (et donc ν2) est σ-finie, alors f1µ-pp= f2.

Preuve de [20.12]. • (i) : Si f1µ-pp= f2, alors par [6.6] et la definition des mesures

νi on a l’egalite ν1 = ν2.• (ii) : Soit An une suite d’ensembles mesurables telle que ∪

n∈NAn = Ω et

ν1(An) <∞. On definit les ensembles mesurables A±n par

A+n = ω ∈ An | f1(ω) > f2(ω) et A−n = ω ∈ An | f1(ω) < f2(ω) .

Associe a ces deux ensembles on definit les fonctions g±n : Ω→ R+ par

g+n = 1A+

nf1 − 1A+

nf2 et g−n = 1A−n f2 − 1A−n f1 .

La definition de A±n nous garantit qu’on ne tombe jamais sur ∞ −∞ et qu’ellessont positives. Elles sont mesurables par [8.14.i/ii]. Par hypothese on a ν1(A±n ) =ν2(A±n ) <∞. On peut donc appliquer [10.11] et prendre la difference pour obtenir∫

Ω

g+n dµ = 0 et

∫Ω

g−n dµ = 0 .

Avec [9.15] on en deduit que g±n est µ-presque partout egale a zero. Mais g±n estnon-nulle exactement sur A±n . Il s’ensuit qu’on a µ(A±n ) = 0. Par [4.24] on endeduit que

ω ∈ Ω | f1(ω) 6= f2(ω) =⋃n∈N

(A+n ∪A−n

)est µ-negligeable. CQFD

→ 20.13 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit f, g : Ω→ R+ deux applica-tions mesurables positives. Si ν est la mesure definie par dν = f dµ et si ρ est lamesure definie par dρ = g dν, alors on a l’egalite

dρ = (f g) dµ .

Preuve de [20.13]. CQFD

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177

21. Combinaisons lineaires de mesures

21.1 Proposition. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit a ∈ R+, soit f : Ω→ Kavec K = R ou C une application mesurable et soit, pour tout n ∈ N, µn unemesure sur F . On definit deux applications ν1, ν∞ : F → R+ par

ν1(E) = a µ1(E) , ν∞(E) =

∞∑n=0

µn(E) .

(i) Les deux applications ν1 et ν∞ sont des mesures sur F .(ii) Supposons que 0 < a <∞. Alors on a toujours l’egalite∫

Ω

|f | dν1 = a ·∫

Ω

|f | dµ1 .

La fonction f est donc µ1-integrable si et seulement si f est ν1-integrable.Si c’est le cas, on a l’egalite∫

Ω

f dν1 = a ·∫

Ω

f dµ1 .

(iii) On a toujours l’egalite

∫Ω

|f | dν∞ =

∞∑n=0

∫Ω

|f | dµn .

La fonction f est donc ν∞-integrable si et seulement si∑∞n=0

∫Ω|f | dµn <

∞ (et donc en particulier f est µn-integrable pour tout n ∈ N). Si c’est lecas, on a l’egalite

∫Ω

f dν∞ =∞∑n=0

∫Ω

f dµn .

Preuve. • (i) : Il est immediat que ν∞(∅) = 0 ; par definition du produit pro-longe, ν1(∅) = 0. La distributivite du produit prolonge sur R+ implique (presque)immediatement que ν1 est σ-additive. Pour la σ-additivite de ν∞ il suffit d’invoquer[16.18] (mais voir aussi [16.24]).

• (ii) : On suit (de nouveau) l’approche standard. Si f = 1A est une fonctionindicatrice, alors on a∫

Ω

1A dν1 = ν1(A) = a µ1(A) = a

∫Ω

1A dµ1 .

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178 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Si f =∑ni=1 ci · 1Ai est une fonction etagee positive, alors par [9.12] et [9.16] et

[3.17] on a

∫Ω

n∑i=1

ci · 1Ai dν1 =n∑i=1

ci

∫Ω

1Ai dν1 =n∑i=1

ci

(a

∫Ω

1Ai dµ1

)= a

n∑i=1

ci

∫Ω

1Ai dµ1 = a

∫Ω

n∑i=1

ci · 1Ai dµ1 .

Si f = limn→∞ hn est la limite d’une suite croissante de fonctions etagees positives,alors par [9.1] et l’etape precedente on a∫

Ω

limn→∞

hn dν1 = limn→∞

∫Ω

hn dν1 = limn→∞

(a

∫Ω

hn dµ1

)= a lim

n→∞

∫Ω

hn dµ1 = a

∫Ω

limn→∞

hn dµ1 .

Par [9.7] on a donc montre la premiere egalite, car pour 0 < a < ∞ on peutremplacer le produit prolonge par le produit ordinaire.

Sous l’hypothese 0 < a <∞ on a l’equivalence

a

∫Ω

|f | dµ1 <∞ ⇐⇒∫

Ω

|f | dµ1 <∞ ,

ce qui veut dire que f est µ1-integrable si et seulement si f est ν1-integrable. Sic’est le cas, on obtient la deuxieme egalite annoncee en separant les parties positiveet negative (et le cas echeant les parties reelle et imaginaire).• (iii) : On suit (encore une fois) l’approche standard. On commence avec une

fonction indicatrice :∫Ω

1A dν∞ = ν∞(A) =

∞∑n=0

µn(A) =∑n∈N

∫Ω

1A dµn .

On poursuit avec une fonction etagee positive :∫Ω

n∑i=1

ci · 1Ai dν∞ =n∑i=1

ci

∫Ω

1Ai dν∞ =n∑i=1

ci∑n∈N

∫Ω

1Ai dµn

=∑n∈N

n∑i=1

ci

∫Ω

1Ai dµn =∑n∈N

∫Ω

n∑i=1

ci · 1Ai dµn .

Et on “termine” avec une suite croissante de fonctions etagees positives :∫Ω

limk→∞

hk dν∞ = limk→∞

∫Ω

hk dν∞ = limk→∞

∑n∈N

∫Ω

hk dµn

=∑n∈N

limk→∞

∫Ω

hk dµn =∑n∈N

∫Ω

limk→∞

hk dµn ,

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COMBINAISONS LINEAIRES DE MESURES 179

ou la troisieme egalite (l’echange de la limite avec la somme) est aussi une applica-tion du theoreme de convergence monotone [9.1] : on considere la suite de fonctionspositives ak : N→ R+, k ∈ N definie par

ak(n) =

∫Ω

hk dµn .

Par [6.5.ii] cette suite est une suite croissante de fonctions mesurables positives surl’espace mesure (N,P(N), CN). Par [9.1] on a donc l’egalite∫

N

limk→∞

ak dCN = limk→∞

∫N

ak dCN .

Mais par [16.4.i] cette egalite devient∑n∈N

limk→∞

ak(n) = limk→∞

∑n∈N

ak(n) ,

ce qui est exactement l’echange annoncee de la limite avec la somme. Ainsi on amontre (en invoquant [9.7]) la premiere egalite (avec les valeurs absolues).

Pour la deuxieme egalite on separe les parties positive et negative (et les partiesreelle et complexe le cas echeant) en ecrivant f = f+ − f−. L’integrabilite de fimplique qu’on a

(21.2)

∫Ω

f± dν∞ =∑n∈N

∫Ω

f± dµn <∞ .

Ceci veut dire que les fonctions a± : N→ R+ definies comme

(21.3) a±(n) =

∫Ω

f± dµn

sont CN-integrables sur l’espace mesure (N,P(N), CN) [16.4.i]. On a donc (pardefinition) l’egalite ∫

N

a dCN =

∫N

a+ dCN −∫N

a− dCN

pour la fonction a : N → R definie comme a = a+ − a−. Mais cette egalite setraduit avec [16.4] comme∑

n∈N

a(n) =∑n∈N

a+(n)−∑n∈N

a−(n) ,

ce qui s’ecrit avec (21.3) comme∑n∈N

∫Ω

f dµn =∑n∈N

∫Ω

f+ dµn −∑n∈N

∫Ω

f− dµn ,

ce qui donne avec (21.2) le resultat voulu :∑n∈N

∫Ω

f dµn =

∫Ω

f+ dν∞ −∫

Ω

f− dν∞ =

∫Ω

f dν∞ .

Dans le cas K = C il faut aussi separer les parties reelle et complexe, mais leraisonnement est le meme. CQFD

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180 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

21.4 Remarque pour les curieux concernant la preuve de [21.1]. Dans lapreuve de la partie (iii) on a invoque plusieurs fois des resultats de l’integrale pourl’espace mesure (N,P(N), CN) pour lequel l’integrale s’interprete comme serie. Onaurait pu montrer ces resultats directements sans passer par l’interpretation d’uneintegrale. Et (sauf pour le theoreme de convergence monotone) cela se fait engeneral : on montre (facilement) que la difference (somme/combinaison lineaire) dedeux series convergentes est la serie des differences. Mais dans notre contexte, ondispose deja de ces resultats et il est utile de voir que c’est effectivement le cas.

21.5 Remarque. On peut ameliorer la partie (ii) dans [21.1] comme suit : si a > 0et si f est ν1-integrable, alors f est µ1-integrable ; et si a < ∞ et si f est µ1-inte-grable, alors f est ν1-integrable. Ceci en regardant la preuve! Par contre, si a = 0,toute fonction est ν1-integrable avec une ν1-integrale zero. Mais il n’y a aucuneraison de supposer que toute fonction est µ1-integrable.

→ 21.6 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit ν la mesure ν = ∞ µ.Decrire les fonctions ν-integrables en termes de µ.

→ 21.7 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit a ∈ ]0,∞ [ un reel stricte-ment positif et soit µ, ν : F → R+ deux mesures. Alors l’application ρ = µ+ a · ν :F → R+ est une mesure ; une fonction mesurable f : Ω → K avec K = R ou Cest ρ-integrable si et seulement si f est integrable par rapport a µ et ν. Si c’est lecas on a l’egalite ∫

Ω

f dρ =

∫Ω

f dµ+ a ·∫

Ω

f dν .

Preuve de [21.7]. Dans [21.1] on prend µ0 = µ, µ1 = a·ν et µn = 0 pour tout n > 1.Le resultat en decoule avec la remarque que pour tout n > 1 on a

∫Ωf dµn = 0.

CQFD

21.8 Exemple. Soit f : R → [0;∞ ] la fonction definie par f(x) = |x|−1 pourx 6= 0 et f(0) = 0 et soit µ la mesure a densite f par rapport a la mesure deLebesgue λ sur R. Pour tout r ∈ ]0,∞ [ on definit la mesure µr sur R par

µr = µ+ r · δ0 .

On verifie aisement que pour tout ]a, b ] ⊂ R et tout r ∈ ]0,∞ [ on a l’egalite

µr( ]a, b ]) = µ( ]a, b ]) .

De plus, les mesures µr sont toutes σ-finies ; il suffit de prendre les ensemblesA0 = 0 et An = ]−n,−n−1 ] ∪ ]n−1, n ] pour n > 0 :

µr(A0) = r et µr(An) = 4 · ln(n) .

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COMBINAISONS LINEAIRES DE MESURES 181

On a donc une famille de mesures differentes qui prennent les memes valeurs sur le π-systeme Pa(R) des intervalles semi-ouverts a gauche et qui sont σ-finies. Pourtant,ceci ne constitue pas un contre-exemple pour le theoreme [12.11] sur l’unicite desmesures, car ces mesures ne sont pas σ-finies sur le π-systeme Pa(R) : l’ensembleA0 = 0 n’y appartient pas (les An non plus, mais on peut les modifier pour qu’ilsy appartiennent en posant An = ]n−1, n ] si n est pair et An = ]−n,−n−1 ] si n estimpair). Remarquons aussi que les mesures µr ne sont pas des mesures de Stieltjes,car elles ne sont pas finies sur les intervalles ]a, b ] ⊂ R qui contiennent 0.

21.9 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit (an)n∈N une suite de reelsstrictement positifs ( 0 < an <∞ ) et soit, pour tout n ∈ N, µn une mesure sur F .

(i) L’application µ : F → R+ definie par

µ(E) =∞∑n=0

an · µn(E)

est une mesure sur F .(ii) Une fonction mesurable f : Ω → K avec K = R ou C est µ-integrable si

et seulement si∑∞n=0 an ·

∫Ω|f | dµn < ∞ (et donc en particulier elle est

µn-integrable pour tout n ∈ N). Si c’est le cas on a l’egalite∫Ω

f dµ =∞∑n=0

an ·∫

Ω

f dµn .

21.10 Exemple. Considerons l’espace mesurable (R,B), les mesures de Dirac δn,n ∈ N sur B et soit (an)n∈N une suite de reels strictement positifs. On definitla mesure µ par µ =

∑∞n=0 anδn. Alors une fonction mesurable g : R → C est

µ-integrable si et seulement si∑∞n=0 an · |g(n)| <∞. Si c’est le cas on a l’egalite

∫R

g dµ =∞∑n=0

an · g(n) .

Si on definit la fonction f : R→ R+ par

∀n ∈ N : f(n) = an et ∀x ∈ R \N : f(x) = 0 ,

alors f est mesurable. Si on compare l’expression de l’integrale par rapport a lamesure µ definie ici avec l’expression de l’integrale par rapport a la mesure ν definiedans [20.10] comme dν = f · dCN, on voit que c’est la meme chose :∫

R

g dµ =

∞∑n=0

an · g(n) =

∞∑n=0

f(n) · g(n) =

∫R

g dν .

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182 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

L’egalite∫Rg dµ =

∫Rg dν est vraie pour toute fonction mesurable positive g :

R → R+, ainsi que pour toute fonction integrable. On a l’egalite donc en parti-culier pour des fonctions indicatrices, d’ou la conclusion que ces deux mesures sontidentiques : µ = ν. Symboliquement on l’ecrit comme

f dCN =∞∑n=0

f(n) dδn .

21.11 Exemple. Soit Ω = ω1, . . . , ωn un ensemble fini. Dans [4.12] on a associeune mesure µp a une fonction p : Ω→ R+. Une argumentation comme dans [21.10]permet de dire que la mesure µp est la mesure a densite p par rapport a la mesurede comptage sur Ω :

dµp = p dCΩ .

Ainsi on a montre que toute mesure sur un ensemble fini peut etre interpreteecomme une mesure a densite par rapport a la mesure de comptage.

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183

22. Le theoreme de transfert

→ 22.1 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit (X,G) un espace mesurable etsoit Φ : Ω→ X une application mesurable. Alors l’application ν : G → R+ definiepar

ν(B) = µ(Φ−1(B))

est une mesure.

Preuve de [22.1]. CQFD

22.2 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit (X,G) un espace mesurableet soit Φ : Ω → X une application mesurable. La mesure ν : G → R+ definie parν(B) = µ(Φ−1(B)) est appelee la mesure image (de la mesure µ par l’applicationmesurable Φ). On la note comme ν = µ Φ−1.

→ 22.3 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit (X,G) et (Y,H) deux espacesmesurables et soit Φ : Ω → X et Ψ : X → Y deux applications mesurables. Alorson a l’egalite de mesures

µ (Ψ Φ)−1 = (µ Φ−1) Ψ−1 .

Preuve de [22.3]. Pour A ∈ H on fait le calcul

(µ (Ψ Φ)−1)(A) = µ((Ψ Φ)−1(A)) = µ(Φ−1(Ψ−1(A)))

= (µ Φ−1)(Ψ−1(A)) = ((µ Φ−1) Ψ−1)(A) ,

ce qui montre l’egalite annoncee. CQFD

→ 22.4 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit a ∈ R+ et soit, pour toutn ∈ N, µn une mesure sur F . Si Φ : Ω → X est une application mesurable de Ωdans un espace mesurable (X,G), alors on a les egalites de mesures

(a µ1) Φ−1 = a (µ1 Φ−1) et( ∞∑n=0

µn

)Φ−1 =

∞∑n=0

µn Φ−1 .

Preuve de [22.4]. • Pour B ∈ G on a((a µ1) Φ−1

)(B) = (a µ1)

(Φ−1(B)

)= a

(µ1(Φ−1(B))

)= a

((µ1 Φ−1)(B)

)=(a (µ1 Φ−1)

)(B) .

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184 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

et (( ∞∑n=0

µn

)Φ−1

)(B) =

( ∞∑n=0

µn

)(Φ−1(B)

)=

∞∑n=0

(µn(Φ−1(B))

)=∞∑n=0

(µn Φ−1)(B) =( ∞∑n=0

µn Φ−1)

(B) . CQFD

22.5 Theoreme (de transfert). Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit (X,G) unespace mesurable, soit Φ : Ω → X une application mesurable et soit µ Φ−1 lamesure image sur (X,G). Si f : X → R+ est une fonction mesurable positive,alors on a l’egalite ∫

Ω

(f Φ) dµ =

∫X

f d(µ Φ−1) .

Une fonction f : X → K avec K = R ou C est µ Φ−1-integrable si et seulementsi f Φ est µ-integrable. Si c’est le cas on a l’egalite∫

Ω

(f Φ) dµ =

∫X

f d(µ Φ−1) .

Preuve. • On suit (encore une fois) l’approche standard et on commence avec unefonction indicatrice f = 1A avec A ∈ G. Alors on a 1A Φ = 1Φ−1(A) et donc∫

Ω

1A Φ dµ = µ(Φ−1(A)) = (µ Φ−1)(A) =

∫X

1A d(µ Φ−1) .

Si f est une fonction etagee, f =∑ni=1 ci · 1Ai on a par le resultat precedent :∫

Ω

( n∑i=1

ci · 1Ai)Φ dµ =

∫Ω

n∑i=1

ci · (1Ai Φ) dµ

[9.12], [9.16]=

n∑i=1

ci ·∫

Ω

(1Ai Φ) dµ

=n∑i=1

ci ·∫X

1Ai d(µ Φ−1)

[9.12], [9.16]=

∫X

n∑i=1

ci · 1Ai d(µ Φ−1) .

Finalement si f est une fonction mesurable positive arbitraire, alors f est la limited’une suite croissante de fonctions etagees f = limn→∞ hn [9.7]. Alors la suitehn Φ est aussi une suite croissante et en plus on a l’egalite f Φ = lim

n→∞(hn Φ)

et donc : ∫Ω

f Φ dµ =

∫Ω

limn→∞

(hn Φ) dµ[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

hn Φ dµ

= limn→∞

∫X

hn d(µ Φ−1)[9.1]=

∫X

limn→∞

hn d(µ Φ−1) .

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LE THEOREME DE TRANSFERT 185

• Une fois qu’on a montre cette egalite pour une fonction mesurable positive arbi-traire, il s’ensuit immediatement qu’une fonction f a valeurs dans K est µ Φ−1-in-tegrable si et seulement si f Φ est µ-integrable, simplement en appliquant l’egalitea la fonction |f |.• Si f est une fonction integrable a valeurs dans R, on separe en parties positive

et negative f = f+ − f− et on applique le resultat precedent pour les fonctionspositives :∫

Ω

(f+ − f−) Φ dµ =

∫Ω

(f+ Φ− f− Φ) dµ =

∫Ω

f+ Φ dµ−∫

Ω

f− Φ dµ

=

∫X

f+ d(µ Φ−1)−∫X

f− d(µ Φ−1)

=

∫X

(f+ − f−) d(µ Φ−1) .

Finalement, si f est a valeurs dans C, il suffit de separer en parties reelle et imagi-naire pour obtenir le resultat annonce. CQFD

22.6 Exemple. Soit E : R → R la fonction partie entiere. Alors la mesureimage λ E−1 de la mesure de Lebesgue sous cette application est la mesure decomptage sur Z :

λ E−1 = CZ .

Pour le voir on considere un intervalle semi-ouvert ]a, b ] ⊂ R et on constate quel’image reciproque est donnee par

E−1( ]a, b ]) = [E(a) + 1, E(b) + 1[ .

Par definition de la mesure de Lebesgue on a donc

(λ E−1)( ]a, b ]) = λ( [E(a) + 1, E(b+ 1)[) = E(b)− E(a)

= #( ]a, b ] ∩ Z) = CZ( ]a, b ]) .

Par le theoreme sur l’unicite de mesures [12.11] applique avec le π-systeme Pa(R)des intervalles semi-ouverts a gauche on en deduit l’egalite annoncee.

22.7 Exemple. Soit Φ : R → R l’application Φ(x) = x2 et considerons l’espacemesure de depart (R,B, λ) et l’espace mesurable d’arrivee (R,B). Le but de l’exem-ple est de montrer que la mesure image λ Φ−1 est la mesure a densite f par rapporta la mesure de Lebesgue avec f donnee par

f(x) = 1 ]0,∞ [ (x) · 1√x.

On procede comme dans l’exemple precedent en considerant un intervalle semi-ouvert ]a, b ] ⊂ R en calculant l’image reciproque

Φ−1( ]a, b ]) =

[−√b,−√a [ ∪ ]

√a,√b ] 0 ≤ a < b

[−√b,√b ] a < 0 ≤ b

∅ a < b < 0 .

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186 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Par definition de la mesure de Lebesgue on a donc

(λ Φ−1)( ]a, b ]) =

2(√b−√a) 0 ≤ a < b

2√b a < 0 ≤ b

0 a < b < 0 .

Mais si on calcule l’integrale

∫]a,b ]

f dλ =

∫ b

a

1 ]0,∞ [ (x)√x

dx ,

on trouve la meme chose. Comme dans l’exemple precedent on en deduit l’egaliteannoncee.

22.8 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit Φ : Ω → Ω une appli-cation mesurable. On dit que µ est invariant sous l’application Φ si on a l’egalite(entre mesures) µ = µ Φ−1.

22.9 Exemple. La notion d’une mesure invariante sous une application mesurableest generalement appliquee a des applications mesurables bijectives dont la reci-proque est aussi mesurable. Mais la notion d’invariance a aussi un sens pour desapplications non-bijectives. Il suffit de penser a l’espace mesurable (R,B(R)) munide la mesure µ a densite f(x) = 1 ]0,∞ [ (x) par rapport a la mesure de Lebesgueet l’application Φ(x) = |x|. Comme dans les exemples precedents on considere unintervalle semi-ouvert ]a, b ] dont on calcule l’image reciproque

Φ−1( ]a, b ]) =

[−b,−a [ ∪ ]a, b ] 0 ≤ a < b

[−b, b ] a < 0 ≤ b∅ a < b < 0 .

Par definition de la mesure µ on a

µ( ]a, b ]) =

∫]a,b ]

1 ]0,∞ [ dλ =

b− a 0 ≤ a < b

b a < 0 ≤ b0 a < b < 0

et

(µ Φ−1)( ]a, b ]) =

∫Φ−1( ]a,b ])

1 ]0,∞ [ dλ =

b− a 0 ≤ a < b

b a < 0 ≤ b0 a < b < 0 .

Les deux mesures coıncident donc sur les intervalles semi-ouverts et donc, commedans les exemples precedents il s’ensuit que les mesures µ et µ Φ−1 sont egales.

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LE THEOREME DE TRANSFERT 187

22.10 Nota Bene. Meme si une application mesurable f : Ω → X entre deuxespaces mesurables (Ω,F) et (X,G) est bijective, il n’est pas automatique que sareciproque f−1 : X → Ω soit mesurable. Considerons par exemple l’ensemble Qmuni de la tribu F = σ(C) engendree par la partition C = ]n, n + 1 ] | n ∈ Z [2.15] et l’application f : Q → Q, f(x) = x/2. Alors f est bien mesurable carf−1( ]n, n+ 1 ]) = ]2n, 2n+ 2 ] appartient a F . Mais f−1 n’est pas mesurable carf( ]0, 1 ]) = ]0, 1

2 ] n’appartient pas a F .

→ 22.11 Lemme. Soit (Ω,F) et (X,G) des espaces mesurables, soit (Y,H, µ) unespace mesure et soit Φ : Ω→ X et Ψ : X → Y des applications bijective telle queΦ, Ψ, Φ−1 et Ψ−1 sont mesurables. Alors on a les proprietes suivantes :

(i) µ Ψ est une mesure sur F ,(ii) (µ Ψ) Φ = µ (Ψ Φ) et

(iii) si (X,G) = (Y,H), alors µ est invariante sous l’application Ψ si et seulementsi on a l’egalite µ = µ Ψ.

Preuve de [22.11]. CQFD

→ 22.12 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit (X,G, µ) un espace mesu-re, soit Φ : Ω→ X une application bijective telle que Φ et Φ−1 sont mesurables etsoit µ Φ la mesure sur (Ω,F) definie en [22.11]. Si f : X → R+ est une fonctionmesurable positive, alors on a l’egalite∫

Ω

(f Φ) d(µ Φ) =

∫X

f dµ .

Une fonction f : X → K avec K = R ou C est µ-integrable si et seulement si f Φest µ Φ-integrable. Si c’est le cas on a l’egalite∫

Ω

(f Φ) d(µ Φ) =

∫X

f dµ .

Preuve de [22.12]. CQFD

→ 22.13 Corollaire. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit (X,G, µ) un espace mesu-re, soit Φ : Ω→ X une application bijective telle que Φ et Φ−1 sont mesurables etsoit µ Φ la mesure sur (Ω,F) definie en [22.11]. Si ν est la mesure a densite fpar rapport a µ sur G, alors ν Φ est la mesure a densite f Φ par rapport a µ Φ :

dν = f · dµ =⇒ d(ν Φ) = (f Φ) · d(µ Φ) .

Preuve de [22.13]. CQFD

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188

23. Invariance et la mesure de Lebesgue

23.1 Proposition. A une constante multiplicative pres, la mesure de Lebesgue λd

est l’unique mesure sur l’espace mesurable (Rd,B) qui est invariante par transla-tions. Plus precisement :

(i) λd est invariante sous les translations Tx : Rd → Rd, x ∈ Rd definiescomme Tx(y) = x+ y.

(ii) Si µ est une mesure sur B(Rd) qui est invariante sous les translations Tx,x ∈ Rd, alors

µ = ∆ · λd ,

avec ∆ = µ(C) ∈ R+, ou C ∈ B(Rd) est le cube unite C =∏di=1 ]0, 1 ].

Preuve. Remarquons d’abord que chaque translation Tx est une application bi-jective tel que Tx et T−1

x ≡ T−x sont continues donc mesurables. On peut doncappliquer [22.11.iii].• (i) L’idee de la preuve est assez simple : on montre que les deux mesures λd

et λd T−1x coıncident sur le π-systeme des paves ouverts a gauche Pa(Rd) qui

engendre la tribu borelienne B(Rd). Parce que la mesure λd est σ-finie sur Pa(Rd),on peut appliquer le theoreme d’unicite [12.11] et conclure que ces deux mesures

sont egales. On prend donc∏di=1 ]ai, bi ] ∈ Pa(Rd) et on calcule

λd(Tx

( d∏i=1

]ai, bi ])

) = λd( d∏i=1

]ai + xi, bi + xi ])

=d∏i=1

(bi − ai) = λd( d∏i=1

]ai, bi ]).

• (ii) Soit n1, . . . , nd ∈ N∗ des entiers strictement positifs, soit a1, . . . , ad ∈ Zdes entiers relatifs et soit v = ( a1n1

, . . . , adnd ) ∈ Rd. L’invariance par translations deµ implique qu’on a l’egalite

µ( d∏i=1

]aini,ai + 1

ni

] )= µ(Tv

( d∏i=1

]0,

1

ni

] )) = µ

( d∏i=1

]0,

1

ni

] ).

Si on varie les ai ∈ Z en fixant les ni ∈ N∗, alors les paves∏di=1

]aini, ai+1ni

]sont

2 a 2 disjoints. On peut donc appliquer l’additivite d’une mesure [4.10.i] et faire,pour tout ki ∈ N∗, le calcul

µ( d∏i=1

]aini,ai + kini

] )= µ

( k1−1⋃b1=0

k2−1⋃b2=0

· · ·kd−1⋃bd=0

d∏i=1

]ai + bini

,ai + bi + 1

ni

] )=

k1−1∑b1=0

· · ·kd−1∑bd=0

µ( d∏i=1

]ai + bini

,ai + bi + 1

ni

] )

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INVARIANCE ET LA MESURE DE LEBESGUE 189

=

k1−1∑b1=0

· · ·kd−1∑bd=0

µ( d∏i=1

]0,

1

ni

] )

=( d∏i=1

ki

)· µ( d∏i=1

]0,

1

ni

] )=( d∏i=1

ni

)·( d∏i=1

kini

)· µ( d∏i=1

]0,

1

ni

] )=( d∏i=1

ni

)· λd( d∏i=1

]aini,ai + kini

] )· µ( d∏i=1

]0,

1

ni

] ).(23.2)

Si on prend ai = 0 et ki = ni on obtient la formule

(23.3) µ(C) =( d∏i=1

ni

)· µ( d∏i=1

]0,

1

ni

] ).

Si on remarque maintenant que tout pave∏di=1 ]ri, si ] avec ri, si ∈ Q s’ecrit sous

la forme ri = ai/ni et si = (ai + ki)/ni pour certains ai ∈ Z, ki, ni ∈ N∗, alors laformule (23.2) se transforme, a l’aide du cas particulier (23.3), en

µ( d∏i=1

]ri, si ])

= µ(C) · λd( d∏i=1

]ri, si ]).

La conclusion est que les mesures µ et ∆ · λd avec ∆ = µ(C) coıncident sur lacollection PaQ(Rd) des paves ouverts a gauche et aux extremites rationnels. Selon[2.36.ii] PaQ(Rd) engendre la tribu de Borel et il est immediat que PaQ(Rd) est

un π-systeme. En prenant les paves∏di=1 ] − n, n ] ∈ PaQ(Rd) on voit que la

mesure de Lebesgue λd est σ-finie sur PaQ(Rd). Il s’ensuit qu’on peut appliquer letheoreme d’unicite [12.11] et conclure que les mesures µ et ∆ · λd sont egales.

CQFD

23.4 Lemme algebrique. Toute application lineaire inversible A : Rd → Rd estun produit fini de trois types d’applications particulieres :

(I) les permutations Pτ (ou τ est une permutation de l’ensemble 1, . . . , d)definies par

Pτ (x1, . . . , xn) = (xτ−1(1), . . . , xτ−1(d)) ,

(II) les homotheties partielles Hj,c avec 1 ≤ j ≤ d et c 6= 0 definies comme

hj,c(x1, . . . , xd) = (x1, . . . , xj−1, cxj , xj+1, . . . , xd)

(III) les applications Dij avec 1 ≤ i, j ≤ d et i 6= j definies par

Dij(x1, . . . , xd) = (x1, . . . , xi−1, xi + xj , xi+1, . . . , xd) .

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190 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

23.5 Remarque. En termes de matrices, le premier type consiste de matrices ouchaque colonne et chaque ligne ne contient qu’un seul 1, les autres elements etant0 ; le deuxieme type consiste de matrices diagonales avec des 1 et un seul c sur ladiagonale et le troisieme type consiste de matrices qui ont des 1 sur la diagonale etun seul element non-nul (a savoir un 1) hors diagonale.

Preuve. La preuve se fait par recurrence sur la dimension d. Pour d = 1, uneapplication lineaire inversible n’est rien d’autre que la multiplication par un nombrenon-nul c, donc une homothetie (partielle) H1,c. C’est donc vrai en dimension 1.

Supposons donc que c’est vrai en dimension d − 1 et essayons d’en deduire quec’est vrai en dimension d. Soit e1, . . . , ed la base canonique de Rd, c’est-a-direei = (x1, . . . , xd) avec xi = 1 et xj = 0 pour j 6= i et soit (aij)

di,j=1 la matrice de

l’application lineaire A dans cette base. Si on definit les vecteurs vi ∈ Rd commevi = Aei, alors en ecrivant les vecteurs en colonnes, on a les egalites

vi = Aei =

a11 · · · a1d...

...ad1 · · · add

ei =

a1i...adi

.

En utilisant les vecteurs vi on peut donc ecrire

matrice(A) =

a11 · · · a1d...

...ad1 · · · add

= (v1 . . . vn) .

Etant donne que A est inversible, il y a forcement un i tel que adi 6= 0. Si onnote P(di) l’application lineaire qui echange les vecteurs ei et ed, c’est-a-dire queP(di) est determine par les conditions

(23.6) P(di)(ei) = ed , P(di)(ed) = ei , P(di)(ej) = ej pour j 6= i, d ,

alors P 2(di) = id, mais, ce qui est plus important, on a aussi

(A P(di))(ei) = vd , (A P(di))(ed) = vi , (A P(di))(ej) = vj pour j 6= i, d ,

autrement dit, on peut ecrire

matrice(A P(di)) =

b11 · · · b1d...

...bd1 · · · bdd

= (v1, . . . , vi−1, vd, vi+1, . . . , vd−1, vi) .

La conclusion est que l’element bdd = (vi)d = adi 6= 0. On simplifie maintenantl’ecriture d’une matrice en introduisant le nombre c = bdd 6= 0, deux vecteurs v, w0

dans Rd−1 et une matrice B0 de taille (d− 1)× (d− 1) et on ecrit

matrice(A P(di)) =

b11 · · · b1d...

...bd1 · · · bdd

=

(B0 w0

vtr c

),

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INVARIANCE ET LA MESURE DE LEBESGUE 191

ou vtr est le vecteur transpose, donc en ligne. Maintenant on fait trois decomposi-tions successives de cette matrice :(

B0 w0

vtr c

)=

(B0 w1

vtr 1

)·(

1 00 c

)avec w1 = c−1w0

ou 1 designe ici la matrice identite de taille (d− 1)× (d− 1)(B0 w1

vtr 1

)=

(1 w1

0 1

)·(B1 0vtr 1

)avec B1 = B0 − w1v

tr

ou w1vtr est une matrice dont les elements sont donnes par (w1v

tr)ij = (w1)i · vj(B1 0vtr 1

)=

(B1 00 1

)·(

1 0vtr 1

)En confondant l’application aveec sa matrice et en utilisant l’egalite P 2

(di) = id, on

peut resumer ces reductions comme l’egalite

(23.7) A =

(1 w1

0 1

)·(B1 00 1

)·(

1 0vtr 1

)·(

1 00 c

)· P(di) .

Dans cette decomposition, la premiere matrice est l’identite sauf dans la dernierecolonne, la deuxieme matrice est essentiellement la matrice B1, la troisieme matriceest l’identite sauf dans la derniere ligne, la quatrieme matrice est l’homothetiepartielle Hd,c (de type II) et la cinquieme est une permutation (de type I).

A part la deuxieme mmatrice, le determinant de chaque matrice dans cettedecomposition est 1. Il s’ensuit que detB1 6= 0, c’est-a-dire que B1 est inversible.Par hypothese de recurrence, le resultat est donc vrai pour la matrice B1. Notredecomposition (23.7) montre donc que A est le produit de matrices de types I, II etIII, sauf pour le premier et troisieme facteur. Pour montrer que ces deux matricessont eux aussi des produits de matrices de types I, II et III, on introduit d’abordune generalisation du type III en definissant l’application Dij,a : Rd → Rd (a ∈ R)par

Dij,a(x1, . . . , xd) = (x1, . . . , xi−1, xi + axj , xi+1, . . . , xd)

ou parDij,a(ej) = ej + aei et Dij,a(ek) = ek pour k 6= j.

Sa matrice est la matrice identite sauf que dans la j-eme colonne il se trouve una au i-eme rang (ou, ce qui revient au meme, dans lo i-eme ligne un a a la j-emeplace).

Il n’est pas difficile de voir qu’on a l’egalite1 0 ··· 0 0

0 1 0...

. . ....

0 0 1 0

v1 v2 ··· vd−1 1

=

1 0 ··· 0 0

0 1 0...

. . ....

0 0 1 0

v1 0 ··· 0 1

·

1 0 ··· 0 0

0 1 0...

. . ....

0 0 1 0

0 v2 0 ··· 1

· · ·

1 0 ··· 0 0

0 1 0...

. . ....

0 0 1 0

0 ··· 0 vd−1 1

ce qu’on peut resumer comme(

1 0vtr 1

)= Dd1,v1 Dd2,v2 · · · Ddd−1,vd−1

=d−1∏k=1

Ddk,vk ,

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192 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ou l’ordre dans ce produit n’a pas d’importance car ces applications commutent.De la meme facon on a l’egalite(

1 w0 1

)=

d−1∏k=1

Dkd,wk ,

ou de nouveau l’ordre n’a pas d’importance car ces applications commutent. Laconclusion est que la premiere et la troisieme matrice dans (23.7) s’ecrivent commeun produit des applications du type Dij,a. La derniere etape consiste a remarquerqu’on a, pour a 6= 0, l’egalite

1 0 0 ··· 0

a 1 0 0

0 0 1...

. . .0 ··· 0 1

=

1 0 0 ··· 0

0 a 0 0

0 0 1...

. . .0 ··· 0 1

·

1 0 0 ··· 0

1 1 0 0

0 0 1...

. . .0 ··· 0 1

·

1 0 0 ··· 0

0 a−1 0 0

0 0 1...

. . .0 ··· 0 1

,

et plus generalement (toujours avec a 6= 0) :

Dij,a = Hi,a Dij Hi,a−1 .

Ce resultat montre que la premiere et la troisieme matrice dans (23.7) s’ecriventcomme produit de matrices du type Dij,a qui a leur tour s’ecrivent comme produitde matrices de type II et III. Au final on a donc montre que la matrice A s’ecritcomme produit de matrices de types I, II et III comme annonce. CQFD

23.8 Remarque pour les curieux. On peut se poser la question pourquoi on adefini les permutations Pτ avec la reciproque de τ comme

Pτ (x1, . . . , xn) = (xτ−1(1), . . . , xτ−1(d))

et pourquoi on n’a pas utilise la formule plus simple

Pτ (x1, . . . , xn) = (xτ(1), . . . , xτ(d)) .

La raison est que avec la definition telle qu’on l’a donne, on a la propriete d’homo-morphisme de groupe dans le sens Pσ Pτ = Pσ τ et que l’autre definition donneun anti-homomorphisme Pσ Pτ = Pτ σ.

La preuve est assez simple : on ecrit

Pτ (x1, . . . , xn) = (xτ−1(1), . . . , xτ−1(d)) = (y1, . . . , yd) ,

avec yi = xτ−1(i) et

Pσ(Pτ (x1, . . . , xn)) = Pσ(y1, . . . , yn) = (yσ−1(1), . . . , yσ−1(d)) .

Sachant qu’on a yi = xτ−1(i) on obtient

yσ−1(i) = xτ−1(σ−1(i)) = x(σ τ)−1(i) ,

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INVARIANCE ET LA MESURE DE LEBESGUE 193

ce qui est le resultat desire.Ce raisonnement est un cas particulier d’une situation plus generale ou on a un

groupe G qui opere sur un ensemble A et ou on considere un certain espace defonctions definies sur A a valeurs dans un ensemble B. Pour faire operer le groupesur ces fonctions via l’action sur A, on procede comme suit : pour g ∈ G et unefonction f : A→ B on definit une nouvelle fonction Pgf : A→ B par

(Pgf)(a) = f(g−1a) .

Et avec la reciproque dans cette definition on obtient la propriete d’un homo-morphisme de groupe : Pg Ph = Pgh. Le cas decrit ci-dessus est le cas ouA = 1, . . . , d et ou on interprete une fonction x : A → R comme un d-uplet(x(1), . . . , x(d)

).

23.9 Proposition. Soit A : Rd → Rd une application lineaire inversible et soitλd la mesure de Lebesgue sur Rd. Alors on a l’egalite λd A = |detA| · λd.

Preuve. Remarquons d’abord que toute application lineaire est continue (en di-mension finie!), donc mesurable. Il s’ensuit que l’enonce a un sens. La preuve sederoule maintenant en plusieurs etapes. On commence avec la preuve que la mesureλd A est invariante sous translations. Avec [23.1.ii] il existe donc ∆ ∈ R+ tel queλd A = ∆ · λd.

Le reste de la preuve consiste a montrer qu’on a ∆ = |detA|. Pour cela onmontre d’abord que si c’est vrai pour deux applications A et B, alors c’est vraipour la composee A B. Ensuite on montre que c’est vrai pour les applications detype I, II et III decrites en [23.4]. Avec [23.4] il s’ensuit que c’est vrai pour tout A.

• Pour montrer que λd A est invariante sous translations, il faut montrer l’egalite

(λd A) Tx = λd A

pour tout x ∈ Rd. Pour cela on constate d’abord qu’on a l’egalite

A Tx = TAx A

et donc qu’on peut faire le calcul

(λd A) Tx[22.3]= λd (A Tx) = λd (TAx A)

[22.3]= (λd TAx) A

[23.1.i]= λd A .

Ainsi on a montre que λd A est invariante par translations et donc (par [23.1.ii])qu’il existe ∆ ∈ R+ tel que λd A = ∆ · λd.

• Si A,B : Rd → Rd sont deux applications lineaires inversibles pour lesquellesl’enonce est vraie, alors on peut faire le calcul

λd (A B) = (λd A) B = (|detA| · λd) B[22.4]= |detA| · (λd A) = |detA| · | detA| · λd

= |det(A B)| · λd .

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194 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

La conclusion est que, si l’enonce est vrai pour A et B, alors c’est aussi vrai pourle produit (la composee) A B. Sachant que toute application inversible A est leproduit de (seulement) trois types d’application particulieres [23.4], il suffit doncde montrer que l’enonce est vrai pour ces trois types.

Pour montrer que ∆ = |detA| pour ces trois types, il suffit, selon [23.1.ii], demontrer qu’on a l’egalite

(λd A)(C) = |detA| ,

ou C =∏di=1 ]0, 1 ] est le “cube” unite.

• (I) Pour une permutation Pτ il est evident qu’on a Pτ (C) = C. Mais il estaussi immediat qu’on a |detPτ | = 1 et donc on a bien

∆ = λd(Pτ (C)

)= 1 = |detPτ | .

• (II) Pour une homothetie partielle Hj,c on calcule, en distinguant les deux casc > 0 et c < 0,

λd(Hj,c

( d∏i=1

]0, 1 ])

)c>0= λd

( j−1∏i=1

]0, 1 ] × ]0, c ] ×d∏

i=j+1

]0, 1 ])

= c

et

λd(Hj,c

( d∏i=1

]0, 1 ])

)c<0= λd

( j−1∏i=1

]0, 1 ] × [c, 0[ ×d∏

i=j+1

]0, 1 ])

= −c ,

qu’on peut resumer comme λd(Hj,c(C)

)= |c|. En regardant la matrice de Hj,c il

est immediat qu’on a det(Hj,c) = c et donc on a bien

∆ = λd(Hj,c(C) ) = |c| = |detHj,c| .

• (III) Pour le calcul de λd(Dij(C)) on commence avec un calcul preliminaire :

Dij(C) = x ∈ Rd | xi ∈ ]xj , xj + 1 ] et ∀k 6= i : xk ∈ ]0, 1 ] ,

qu’on peut couper en deux morceaux disjoints Dij(C) = M1 ∪M2 definies par

M1 = x ∈ Rd | xj < xi ≤ 1 et ∀k 6= i : xk ∈ ]0, 1 ] M2 = x ∈ Rd | 1 < xi ≤ xj + 1 et ∀k 6= i : xk ∈ ]0, 1 ] .

0 1 2xi →

0

1xj

↑Dij(C)

=

0 1 2xi →

0

1xj

↑M1 M2

0 1xi →

0

1xj

↑M1

T v(M2)

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INVARIANCE ET LA MESURE DE LEBESGUE 195

Maintenant on remarque que, si on translate M2 sur le vecteur v = (v1, . . . , vn)avec vi = −1 et vk = 0 pour k 6= i, alors on obtient

Tv(M2) = x ∈ Rd | 0 < xi ≤ xj et ∀k 6= i : xk ∈ ]0, 1 ] .

On en deduit facilement que M1 et Tv(M2) sont (aussi) disjoints et qu’on a l’egaliteM1 ∪ Tv(M2) = C.

En utilisant l’additivite d’une mesure [4.10.i] et l’invariance par translations dela mesure de Lebesgue [23.1] on peut donc faire le calcul suivant :

λd(Dij(C)) = λd(M1 ∪M2)[4.10.i]

= λd(M1) + λd(M2)[23.1.i]

= λd(M1) + λd(Tv(M2))[4.10.i]

= λd(M1 ∪ Tv(M2)) = λd(C) = 1 .

En regardant la matrice d’une application Dij il est immediat qu’on a det(Dij) = 1.On a donc bien dans ce troisieme cas aussi

∆ = λd(Dij(C)) = 1 = |detDij | . CQFD

23.10 Nota Bene. Si A : Rd → Rd est une homothetie “totale,” c’est-a-dire dela forme A(x) = c · x pour un c ∈ R, alors on a l’egalite λd A = |c|d · λd, ou il nefaut pas oublier de mettre la puissance d au facteur |c|.

23.11 Proposition. Soit H ⊂ Rd un hyperplan affine, c’est-a-dire qu’il existe uneapplication lineaire A : Rd → R non-nulle et un reel c tels que H = x ∈ Rd |Ax = c. Alors λd(H) = 0.

Preuve. On presente deux preuves completement differentes. La premiere est plusintuitive et la deuxieme est plus elementaire dont l’idee revient dans [37.1].• Une application lineaire A : Rd → R s’ecrit comme

A(x1, . . . , xd) =

d∑i=1

aixi

avec ai ∈ R. Le fait que A n’est pas nulle implique qu’il existe un i tel que ai 6= 0.On peut donc resoudre l’equation Ax = c pour xi par

xi =1

ai·(c−

i−1∑j=1

ajxj −d∑

j=i+1

ajxj).

Si on definit l’application f : Rd−1 → R par

f(y1, . . . , yd−1) =1

ai·(c−

i−1∑j=1

ajyj −d∑

j=i+1

ajyj−1

),

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196 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

alors il est (presque) immediat qu’on a l’egalite

Gf ≡

(y, f(y)) ∈ Rd−1 ×R ≡ Rd | y ∈ Rd−1

= Pτ (H) ,

ou τ est la permutation i→ i+1→ · · · → d→ i, c’est-a-dire la permutation cycliquedes elements i, . . . , d. Par [18.27] et [18.21] on a λd(Gf ) = (λd−1 ⊗ λ)(Gf ) = 0.Mais une permutation est une application lineaire inversible de determinant ±1.Donc par [23.9] on a λd(Pτ (H)) = λd(H). Il s’ensuit que λd(H) = 0 comme voulu.

• Pour la deuxieme preuve on considere les translations Tn, n ∈ N∗ definiescomme

Tn(x1, . . . , xd) = (x1, . . . , xi−1, xi + 1n , xi+1, . . . , xd)

avec le meme indice i que dans la premiere preuve. Grace au choix de cet indice,on a la propriete

(23.12) ∀n,m ∈ N∗ : n 6= m =⇒ Tn(H) ∩ Tm(H) = ∅ .

On considere maintenant les ensembles Hk = H ∩∏dj=1 [ − k, k ], k ∈ N∗. Il est

facile de montrer les inclusions

⋃n∈N∗

Tn(Hk) ⊂⋃

n∈N∗Tn

( d∏j=1

[ − k, k ])⊂

d∏j=1

[ − k, k + 1 ] .

x1 →

x2

↑H

T1(Hk)

Le cas d = 2, i = 1, k = 2 ; H = 2x1 − x2 = 1 ; echelle verticale reduite.

Avec ces inclusions on fait le calcul∑n∈N∗

λ(Hk) =∑n∈N∗

λ(Tn(Hk)) = λ( ⋃n∈N∗

Tn(Hk))< λ

( d∏j=1

[ − k, k + 1 ])<∞ ,

ou la premiere egalite est une consequence de l’invariance de la mesure de Lebesguesous translations [23.1.i] et la deuxieme du fait que les Tn(Hk) sont 2 a 2 disjoints(23.12). Si λ(Hk) etait non-nulle, alors

∑n∈N∗ λ(Hk) serait infinie, ce qui est

impossible. On en deduit que λ(Hk) = 0 pour tout k ∈ N∗. Mais on a l’egaliteH = ∪

k∈N∗Hk comme reunion croissante. Donc λ(H) = lim

k→∞λ(Hk) = 0. CQFD

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197

24. Le theoreme de changement de variables

24.1 Notations. Soit A ⊂ Rd un ouvert et Φ : A→ Rd une application.• On designe par End(Rd) l’ensemble de tous les endomorphismes de Rd, c’est-

a-dire de toutes les applications lineaires de Rd dans Rd.• Si Φ est derivable en x ∈ A, on note par Φ′(x) ∈ End(Rd) sa derivee.• On dit que Φ est de classe C1 si Φ est derivable en tout point de A et si

l’application Φ′ : A→ End(Rd) est continue.• Le Jacobien de Φ en x, note Jac(Φ)(x) est le determinant de la derivee (la

matrice Jacobienne) Φ′(x) :

Jac(Φ(x)

)= det

(Φ′(x)

).

• Si B ⊂ Rd est un ouvert tel que Φ(A) ⊂ B, alors on dit que Φ est un C1-diffeomorphisme ou diffeomorphisme de classe C1 entre A et B si Φ : A → B estbijective et si Φ : A→ B et Φ−1 : B → A sont de classe C1.

24.2 Theoreme d’inversion locale (rappel). Soit A ⊂ Rd un ouvert, a ∈ A unpoint dans A et soit Φ : A → Rd une fonction de classe C1. Si Jac(Φ)(a) 6= 0, cequi est equivalent a la condition que Φ′(a) est inversible, alors il existe deux ouvertsUa ⊂ A et Va ⊂ Rd tels que

(i) Φ : Ua → Va est bijective,(ii) pour tout x ∈ Ua l’application Φ′(x) est inversible,

(iii) Φ−1 : Va → Ua est de classe C1 et sa derivee est donnee par (Φ−1)′(y) =(Φ′(x)

)−1avec x = Φ−1(y).

→ 24.3 Corollaire. Soit A ⊂ Rd un ouvert et soit Φ : A → Rd une applicationinjective de classe C1 telle que Jac(Φ) ne s’annule pas sur A. Alors B = Φ(A) estun ouvert et Φ : A→ B est un C1-diffeomorphisme.

Preuve de [24.3]. CQFD

24.4 Theoreme de changement de variables. Soit A et B deux ouverts de Rd

et soit Φ : A → B un C1-diffeomorphisme. En considerant les espaces mesures(A,B(A), λd) et (B,B(B), λd), on a l’egalite

d(λd Φ) = |Jac(Φ)| · dλd .

Autrement dit : la mesure λd Φ sur A est une mesure a densite h(x) = |Jac(Φ)(x)|par rapport a la mesure de Lebesgue (sur A).

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198 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

→ 24.5 Corollaire. Soit A et B deux ouverts de Rd et soit Φ : A → B = Φ(A) unC1-diffeomorphisme. Alors on a les egalites∫

A

f(Φ(x)

)· |Jac(Φ)(x)| dλd(x) =

∫Φ(A)

f(y) dλd(y)

et ∫A

g(Φ(x)

)dλd(x) =

∫Φ(A)

g(y) · |Jac(Φ−1)(y)| dλd(y)

=

∫Φ(A)

g(y)

|Jac(Φ)(Φ−1(y)

)|

dλd(y) ,

valables pour les classes de fonctions f et g definies sur B suivantes : (i) f et gmesurables positives, (ii) f λd-integrable sur B et (iii) g Φ λd-integrable sur A.

Preuve de [24.5]. La premiere egalite est une simple transcription de [22.12] encombinaison avec [24.4]. Si, pour une fonction f sur B, on definit la fonction g surB par

g(y) = f(y) · |Jac(Φ)(Φ−1(y)

)| ,

ce qui donneg(Φ(x)

)= f

(Φ(x)

)· |Jac(Φ)(x)| ,

alors on recupere f comme

f(y) =g(y)

|Jac(Φ)(Φ−1(y)

)|≡ g(y) · |Jac(Φ−1)(y)| .

Substituant ce f dans la premiere egalite, on obtient les autres. CQFD

24.6 Remarque. La formule classique de changement de variables en 1 dimensionpour l’integrale de Riemann s’ecrit comme

(24.7)

∫ b

a

f(Φ(x)) · Φ′(x) dx =

∫ Φ(b)

Φ(a)

f(y) dy ,

valable pour une fonction continue Φ : [a, b ] → R qui est derivable sur ]a, b [ et fune fonction continue. Aucune condition d’injectivite ou derivee non-nulle de Φ estnecessaire pour le montrer, seulement le theoreme fondamental du calcul integral[18.29]. Par contre, si on l’utilise dans le sens de la droite vers la gauche, il fautfaire attention qu’on n’obtient pas des expressions qui n’ont pas de sens. Commepar exemple avec l’application Φ(x) = cos(x) et le “calcul”∫ 1

1/2

√y dy =

∫ cos(0)

cos(5π/3)

√y dy =

∫ 0

5π/3

− sin(x)√

cos(x) dx ,

ou la fonction√

cos(x) n’est pas definie sur tout l’intervalle [0, 5π/3 ].

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LE THEOREME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 199

A part ce caveat, essayons de comparer cette formule “classique” avec la formuledonnee en [24.5]. Pour cela on constate qu’en 1 dimension on a Jac(Φ) = Φ′ (ledeterminant d’une matrice de taille 1×1 est l’unique element de la matrice). Selon[24.5] on a

(24.8)

∫]a,b [

f(Φ(x)) · |Φ′(x)| dλ(x) =

∫Φ( ]a,b [ )

f(y) dλ(y) .

Une difference qui surprend directement est qu’on prend la valeur absolue de Φ′

dans (24.8), tandis que dans (24.7) on ne le fait pas. Pour reconcilier les deuxformules, il suffit de regarder les conditions sur Φ donnees dans [24.5] en plus dedetails : l’application Φ′ est supposee continue et sans zeros. Il s’ensuit que, surl’intervalle ]a, b [ , cette derivee est soit partout positive, soit partout negative. Sielle est partout positive, Φ est strictement croissante et on a l’egalite Φ( ]a, b [ ) =]Φ(a),Φ(b) [ . Dans ce cas on peut supprimer la valeur absolue et reecrire (24.8)comme

(24.9)

∫]a,b [

f(Φ(x)) · Φ′(x) dλ(x) =

∫]Φ(a),Φ(b) [

f(y) dλ(y) .

Selon la theorie generale, le (plutot un, car on joue avec les bords de l’intervalle)lien entre l’integrale de Lebesgue et l’integrale de Riemann pour une fonction g estdonne par ∫

]a,b [

g dλ =

∫ b

a

g(x) dx .

Si on applique cela a (24.9), on voit que (24.7) et (24.8) sont en parfait accord.Par contre, si Φ′ est partout negative, Φ est strictement decroissante et on a

Φ( ]a, b [ ) = ]Φ(b),Φ(a) [ . En plus, si on enleve la valeur absolue dans (24.8), il fautintroduire un signe, ce qui nous donne la formule

−∫

]a,b [

f(Φ(x)) · Φ′(x) dλ(x) =

∫]Φ(b),Φ(a) [

f(y) dλ(y) .

Avec le lien entre l’integrale de Lebesgue et de Riemann donne ci-dessus on peutreecrire cela comme

−∫ b

a

f(Φ(x)) · Φ′(x) dx =

∫ Φ(a)

Φ(b)

f(y) dy = −∫ Φ(b)

Φ(a)

f(y) dy ,

ce qui est de nouveau en parfait accord avec (24.7).La difference apparente entre les deux formules vient du fait que l’integrale de

Lebesgue∫

[a,b ]g dλ ne tient pas compte de l’orientation de l’intervalle [a, b ], tandis

que l’integrale de Riemann∫ bag(x) dx le fait.

Preuve de [24.4]. La preuve de [24.4] qu’on presentera ici† se decompose naturelle-ment en cinq parties ; on enoncera les details techniques comme des lemmes separes.

†C’est essentiellement la preuve qu’on trouve dans [Spi].

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200 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Comme il s’agit d’egalite entre deux mesures, il ne devrait pas etre une surprisequ’on utilise le theoreme sur l’unicite de mesures [12.11] dans trois de ces cas.

Commencons avec la remarque que si Φ est un C1-diffeomorphisme, alors enparticulier Φ : A → B et Φ−1 : B → A sont continues, donc mesurables. L’enoncea donc un sens et on peut appliquer les resultats [22.11], [22.12] et [22.13]. Ensuiteon note que, pour pouvoir appliquer le theoreme d’unicite [12.11], on a besoind’un π-systeme qui engendre la tribu B(A) et sur lequel une des deux mesuresest σ-finie. Les π-systemes qu’on a utilises jusqu’a maintenant ne marchent pas,car ils engendrent la tribu de Borel sur Rd entier. On a donc besoin d’un lemmesupplementaire qui nous fournira un π-systeme adaptee. Grosso modo ce π-systemeconsiste en des paves fermes aux bords rationnels et contenus dans A. Mais pourla derniere etape on doit reduire encore un petit peu plus.

La preuve proprement dit commence avec la demonstration que c’est vrai si Φest une application lineaire inversible [24.12]. C’est quasiment superflu, car on l’amontre dans le cas ou A = B = Rd dans [23.9]. La generalisation vers un ouvert Aarbitraire est une simple formalite.

La suite est essentiellement une preuve par recurrence sur la dimension d. Ladeuxieme etape consiste donc a montrer que c’est vrai si la dimension d est 1 [24.13].Dans ce cas la preuve repose sur le theoreme fondamental du calcul integral [18.29]et le theoreme d’unicite [12.11].

Dans la troisieme etape on montre par recurrence que si c’est vrai en dimensiond − 1, alors c’est vrai en dimension d pour des fonctions Φ d’une forme speciale[24.14]. Plus precisement, quand on ecrit

Φ(x) =(Φ1(x), . . . ,Φd(x)

)avec Φi : A→ R (1 ≤ i ≤ d) des fonctions de classe C1, on exige qu’on a Φd(x) =xd. La preuve de cette troisieme etape repose sur le theoreme de Fubini [14.2]et le theoreme d’unicite [12.11]. La plus grande partie de cette preuve consiste al’introduction des notations pour la reduction de l’application Φ en dimension d enune famille d’application en dimension d− 1.

Dans la quatrieme etape on montre que si c’est vrai (en dimension d) pour desfonctions Φ et Ψ et si on peut composer ces deux fonctions, alors c’est vrai pour lacomposee Φ Ψ [24.18].

La derniere etape [24.20] qui finira la preuve de [24.4] consiste a montrer que touteapplication Φ s’ecrit comme une composee d’applications lineaires et de fonctions dutype decrite dans la troisieme etape. Mais une telle decomposition n’est que locale,c’est-a-dire valable sur des petits ouverts dans A, et pas sur tout A. Pour pouvoirappliquer le resultat de l’etape quatre sur un pave dans le π-systeme adaptee, il fautdonc qu’un tel pave soit contenu dans un (petit) ouvert sur lequel la decompositionest valable. Heureusement on peut adapter le π-systeme pour que cette conditionsoit verifiee.

Ainsi on acheve la recurrence : vrai en dimension 1, si vrai en dimension d − 1,alors vrai en dimension d pour des fonctions speciales et si vrai en dimension d− 1et pour des fonctions speciales, alors vrai pour toute fonction. CQFD

→ 24.10 Lemme. Soit (Ω, T ) un espace topologique, soit O ⊂ Ω un ouvert et soitU = Ui | i ∈ I un recouvrement de O par des ouverts : chaque Ui ⊂ O un

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LE THEOREME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 201

ouvert dans Ω et ∪i∈IUi = O, et soit B une base de la topologie T . Alors les deuxcollections BO et BU definies comme

BO = V ∈ B | V ⊂ O , BU = V ∈ B | ∃i ∈ I : V ⊂ Ui ∈ U

sont des bases pour la topologie induite sur O.

Preuve de [24.10]. CQFD

→ 24.11 Corollaire. Soit Brf ⊂ P(Rd) la collection des paves fermes aux bordrationnels :

Brf = d∏i=1

[ai, bi ] | ai, bi ∈ Q,

soit A ⊂ Rd un ouvert et soit U un recouvrement de A par ouverts. Considerons enplus une fonction continue f : A→ R+ et la mesure µ a densite f par rapport a lamesure de Lebesgue λd sur A. Alors les collections BrfA et BrfU definies comme

BrfA = V ∈ Br | V ⊂ A , BrfU = V ∈ Br | ∃i ∈ I : V ⊂ Ui ∈ U

sont des π-systemes qui engendrent la tribu de Borel B(A) et sur lesquels la mesureµ est σ-finie.

Preuve de [24.11]. CQFD

24.12 Lemme. [24.4] est vrai quand Φ est une application lineaire inversible, auquel cas on a Jac(Φ)(x) = det(Φ) independamment de x ∈ A.

Preuve. Par [23.9] on sait qu’on a l’egalite λd Φ = det(Φ) ·λd en tant que mesuressur B(Rd). Pour montrer que c’est vrai en tant que mesures sur B(A), on invoque[2.26] qui nous donne l’egalite

B(A)[2.26]= B(Rd)A ≡ F ∩A | F ∈ B(Rd) .

Mais A ⊂ Rd est un ouvert, donc un borelien. Il s’ensuit que les ensembles F ∩ Aavec F ∈ B(Rd) sont des elements de B(Rd). On a donc l’inclusion

B(A) = B(Rd)A ⊂ B(Rd) .

L’egalite λd Φ = det(Φ) · λd est donc vrai aussi sur B(A). CQFD

24.13 Lemme. [24.4] est vrai en dimension d = 1.

Preuve. Notons d’abord qu’en dimension d = 1 le Jacobien Jac(Φ) est simplementla derivee :

Jac(Φ) = Φ′ .

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202 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Ensuite on constate que pour montrer l’egalite d(λ Φ) = |Jac(Φ)|·dλ, il suffit, selon[24.11] et le theoreme d’unicite [12.11], de montrer que ces deux mesures coıncidentsur les intervalles [a, b ] ⊂ B avec a, b ∈ Q. Pour le faire on considere la fonctionΦ : [a, b ] → B. Parce que Φ est un C1-diffeomorphisme sur A, sa derivee continuene s’annule jamais. Il s’ensuit que sur l’intervalle [a, b ] cette derivee est toujourspositive ou toujours negative.

Si Φ′ est toujours positive, Φ est strictement croissante sur [a, b ], ce qui impliquequ’on a Φ([a, b ]) = [Φ(a),Φ(b) ]. On peut donc faire le calcul :∫

[a,b ]

|Φ′(y)| dλ(y) =

∫[a,b ]

Φ′(y) dλ(y)[18.29]

= Φ(b)− Φ(a)

= λ( [Φ(a),Φ(b) ] ) = (λ Φ)([a, b ]) .

Si Φ′ est toujours negative sur [a, b ], Φ est strictement decroissante, ce qui impliquequ’on a Φ([a, b ]) = [Φ(b),Φ(a) ]. Et dans ce cas on peut faire le calcul :∫

[a,b ]

|Φ′(y)| dλ(y) = −∫

[a,b ]

Φ′(y) dλ(y)[18.29]

= Φ(a)− Φ(b)

= λ( [Φ(b),Φ(a) ] ) = (λ Φ)([a, b ]) .

Dans les deux cas on obtient donc le resultat que la mesure a densite |Jac(Φ)|par rapport a la mesure de Lebesgue appliquee a l’intervalle [a, b ] donne la memevaleur que la mesure image λ Φ. On peut donc conclure a l’egalite de ces deuxmesures. CQFD

24.14 Lemme. Si [24.4] est vrai en dimension d− 1 et si l’application Φ : A→ Bverifie la condition que Φd(x) = xd, alors [24.4] est vrai pour ce Φ.

Preuve. Pour pouvoir utiliser le fait que c’est vrai en dimension d−1, on va reduirela fonction Φ en une famille de C1-diffeomorphismes entre ouverts de Rd−1. Pourcela on introduit d’abord la notation que pour un element (vecteur) x ∈ Rd ondesigne par un chapeau le vecteur dans Rd−1 des d− 1 coordonnees de x :

x = (x1, . . . , xd) =⇒ x = (x1, . . . , xd−1) ,

ce qui nous permet d’ecrire x = (x, xd). Ensuite on definit, pour chaque z ∈ R, lesouverts Az, Bz ⊂ Rd−1 et les applications Ψz : Az → Bz comme

Az = x ∈ A | xd = z = A ∩ ( Rd−1 × z )

Bz = y ∈ B | yd = z = B ∩ ( Rd−1 × z )

Ψz(x) =(Φ1(x, z), . . . ,Φd−1(x, z)

).

Avec l’hypothese qu’on a Φd(x) = xd on peut donc ecrire

(24.15) Φ(x, xd) = (Ψxd(x), xd) .

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LE THEOREME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 203

Le fait que Φ : A→ B est bijective implique directement que chaque Ψz : Az → Bzest bijective. De (24.15) on deduit facilement l’egalite (avec y ∈ Rd−1)

(24.16) Φ−1(y, xd) = (Ψ−1xd

(y), xd) ,

ce qui montre que chaque Ψz et un C1-diffeomorphisme (car Ψz et Ψ−1z sont exprime

en termes de Φ et Φ−1 qui sont de classe C1).Si on calcule le Jacobien de Φ on trouve

det

∂Φ1

∂x1(x) · · · ∂Φ1

∂xd−1(x) 0

......

...

Φd−1

x1(x) · · · ∂Φd−1

∂xd(x) 0

∂Φd∂x1

(x) · · · ∂Φd∂xd−1

(x) 1

= det

∂Φ1

∂x1(x) · · · ∂Φ1

∂xd−1(x)

......

∂Φd−1

∂x1(x) · · · ∂Φd−1

∂xd(x)

ce qui veut dire qu’on a

(24.17) Jac(Φ)(x) ≡ Jac(Φ)(x, xd) = Jac(Ψxd)(x) .

Apres ces preparations, on attaque l’egalite d(λd Φ) = |Jac(Φ)| ·dλd. Selon [24.11]et le theoreme d’unicite [12.11] il suffit de montrer que ces deux mesures coıncidentsur le π-systeme des paves fermes aux bords rationnels et contenus dans A. Soit

donc P =∏di=1 [ai, bi ] un tel pave. Associe a ce pave on definit le pave P comme

P =d−1∏i=1

[ai, bi ] et donc P ≡d∏i=1

[ai, bi ] = P × [ad, bd ] .

Et on calcule :∫P

|Jac(Φ)(x, xd)| dλd(x, xd)

[14.2]=

∫[ad,bd ]

(∫P

|Jac(Ψxd)(x)| dλd−1(x)

)dλ(xd)

hyp.rec.=

∫R

1 [ad,bd ] (xd) · λd−1(Ψxd(P )

)dλ(xd)

=

∫R

1 [ad,bd ] (xd) ·(∫

Rd−1

1Ψxd (P )(y) dλd−1(y)

)dλ(xd)

[14.2]=

∫Rd

1 [ad,bd ] (xd) · 1P(Ψ−1xd

(y))

dλd(y, xd)

(24.16)=

∫Rd

1Φ(P )(y, xd) dλd(y, xd) = λd(Φ(P )

). CQFD

24.18 Lemme. Si [24.4] est vrai pour Φ : A→ B et pour Ψ : B → C, alors [24.4]est vrai pour la composee Ψ Φ : A→ C.

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204 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. Par hypothese la mesure λ Ψ est la mesure a densite |Jac(Ψ)| par rapporta la mesure de Lebesgue λd sur B :

d(λd Ψ) = |Jac(Ψ)| · dλd .

Selon [22.13] on a donc l’egalite

d((λd Ψ) Φ

)=(|Jac(Ψ)| Φ

)· d(λ Φ) .

Mais par hypothese λ Φ est la mesure a densite |Jac(Φ)| par rapport a la mesurede Lebesgue λd sur A :

d(λd Φ) = |Jac(Φ)| · dλd .

Il s’ensuit avec [20.13] et [22.11.ii] qu’on a l’egalite

(24.19) d(λd (Ψ Φ)

)=(|Jac(Ψ)| Φ

)· |Jac(Φ)| · dλd .

La formule pour la derivee de fonctions composees nous donne les egalites

(Ψ Φ)′ = (Ψ′ Φ) · Φ′ et donc Jac(Ψ Φ) =(Jac(Ψ) Φ

)· Jac(Φ) .

Si on substitue ce resultat dans (24.19) on obtient

d(λd (Ψ Φ)

)= |Jac(Ψ Φ)| · dλd ,

ce qui est le resultat voulu. CQFD

24.20 Lemme. Si [24.4] est vrai en dimension d− 1, alors c’est vrai pour tout Φen dimension d.

Preuve. Soit a ∈ A un point arbitraire et regardons la matrice Jacobienne M =(∂Φi/∂xj)(a) de Φ en a. Etant donne que cette matrice est inversible par hypothese,on peut definir l’application Ψ : A→M−1(B) par

Ψ(x) = M−1(Φ(x)) .

Alors on a Φ = M Ψ et la matrice Jacobienne de Ψ en a est l’identite. Enplus, Ψ est un C1-diffeomorphisme comme composee de deux C1-diffeomorphismes :Φ et l’application lineaire inversible M−1. Si on definit maintenant l’applicationh : A→ Rd par

h(x) = (Ψ1(x), . . . ,Ψd−1(x), xd) ,

alors la matrice jacobienne de h en a est aussi l’identite. En plus, h est une appli-cation de classe C1 (etant construite a partir de Ψ). Par le theoreme de l’inversionlocale [24.2] il existe donc deux ouverts Ua ⊂ A et Va ⊂ Rd avec a ∈ Ua telsque h : Ua → Va est un C1-diffeomorphisme. L’application Ψ etant un C1-diffeomorphisme, l’image Ψ(Ua) = Wa ⊂ M(B) est un ouvert et l’application

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LE THEOREME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 205

k = Ψ h−1 : Va → Wa est un C1-diffeomorphisme. On verifie aisement que k estdonne par la formule

k(x) =(x1, . . . , xd−1,Ψd(h

−1(x))).

Si on considere maintenant la permutation P(d1) qui echange les coordonneesx1 et xd (23.6), alors on peut definir l’application g = P(d1) k P(d1) et on verifiefacilement qu’on a l’egalite

g(x) =(P(d1) k P(d1)

)(x) =

(Ψd(h

−1(P(d1)(x))), x2, . . . , xd−1, xd).

Avec l’egalite P 2(d1) = id, on obtient donc l’egalite

(24.21) Φ = M Ψ = M k h = M P(d1) g P(d1) h .

L’interet de cette decomposition est que [24.4] est vrai pour chaqu’une des com-posantes : M et P(d1) sont des applications lineaires et g et h sont des applicationsverifiant la condition de [24.14]. Le seul bemol est que ce n’est pas valable sur toutA mais seulement sur l’ouvert Ua. Mais, comme on va voir, cela suffit pour terminerla preuve de [24.4] par recurrence.

La collection U = Ua | a ∈ A est un recouvrement par ouverts de A (parceque a ∈ Ua ⊂ A). Pour montrer l’egalite d(λd Φ) = |Jac(Φ)|λd, il suffit donc, selon[24.11] et le theoreme d’unicite [12.11], de montrer que ces deux mesures coıncidentsur le π-systeme BrfU des paves fermes aux bords rationnels et contenus dans unUa. Prenons donc P ∈ BrfU . Alors il existe a ∈ A tel que P ⊂ Ua. Mais sur Ua ona la decomposition (24.21). Et pour chaqu’une des composantes le resultat est vrai.Par [24.18] on peut donc conclure que le resultat est vrai aussi pour la composee Φsur Ua. En particulier si on applique les deux mesures sur P ⊂ Ua, on obtient lememe resultat. CQFD

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206 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

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207

Partie IV : Dans la pratique

25. L’integrale de Riemann versus celle de Lebesgue

25.1 Definitions. • Soit I = [a, b ] ⊂ R un intervalle ferme et soit a = x0 <x1 · · ·xn−1 < xn = b n+ 1 points distincts. L’ensemble D defini comme

D = x0, ]x0, x1 ] , ]x1, x2 ] , . . . , ]xn−1, xn ] = I0, I1, . . . , In

consiste d’un singleton I0 et n intervalles semi-ouverts a gauche I1, . . . , In avec lesproprietes que leur reunion fasse I et qu’ils sont 2 a 2 disjoints : i 6= j ⇒ Ii ∩Ij = ∅.On l’appelle une subdivision elementaire de I.

• Soit maintenant P =∏di=1 [ai, bi ] ⊂ Rd un pave ferme et supposons que pour

chaque i = 1, . . . , d on a une subdivision elementaire D(i) de l’intervalle [ai, bi ].L’ensemble D defini comme

D = D(1)×× · · ·××D(d)

= A1 ×A2 × · · · ×Ad | Ai ∈ D(i)

est appele une subdivision elementaire du pave P . La plupart de ses elements sontdes paves semi-ouverts ; ils sont 2 a 2 disjoints et de reunion P . En particulier seselements sont des boreliens de Rd ; une subdivision elementaire D est donc un casparticulier d’une subdivision [5.1] pour l’espace mesurable (P,B).

a1 b1

a2

b2

=

a1 x(1)1 x(2)

2 b1

a2

x(2)1

b2

• Une fonction h : P → R est appelee une fonction en escalier s’il existe unesubdivision elementaire D de P telle que h soit constante sur chaque element deD :

(25.2) ∀A ∈ D ∃cA ∈ R ∀x ∈ A : h(x) = cA .

Comme pour les fonctions etagees on notera la valeur cA comme h〈A〉. On peutdonc ecrire h =

∑A∈D h〈A〉 · 1A. Une fonction en escalier h est donc un cas

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208 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

particulier d’une fonction etagee (sur l’espace mesurable (P,B)). Une fois qu’onsait que h est une fonction en escalier, on appelle toute subdivision elementaire Dqui verifie la condition (25.2) une subdivision elementaire adaptee a h.• Si f : P → R est une fonction, on definit les ensembles E±f comme

E+f = h : P → R | h une fonction en escalier et h ≥ f ,E−f = h : P → R | h une fonction en escalier et h ≤ f .

Notons qu’il est bien possible que l’un ou l’autre de ces ensembles soit vide, c’est-a-dire qu’il n’y ait pas de fonctions en escalier h qui verifient l’une des inegalitesh ≤ f ou h ≥ f .• Une fonction f : P → R est dite integrable dans le sens de Riemann ou

Riemann integrable si pour tout ε > 0 on peut encadrer f par deux fonctions enescalier h± sur P (h− ≤ f ≤ h+) telles que la difference de leurs integrales (dansle sens de Lebesgue!) soit plus petite que ε. En formule :

∀ε > 0 ∃h± ∈ E±f :

∫P

(h+ − h−) dλ < ε .

La condition d’etre Riemann integrable implique donc en particulier que les ensem-bles E±f ne sont pas vides.

25.3 Remarque. Etant donne qu’un pave P est borne, il est facile de voir qu’unefonction en escalier h est λ-integrable. Plus precisement, si une subdivision ele-mentaire D adaptee a h est determinee par les subdivisions elementaires D(i) del’intervalle [ai, bi ] donnees par

D(i) = x(i)

0 , ]x(i)0 , x

(i)1 ] , ]x

(i)1 , x

(i)2 ] , . . . , ]x

(i)ni−1, x

(i)ni ] ,

alors il est facile de voir que l’integrale∫Ph dλ est donnee par la formule

∫P

h dλ =

n1∑j1=1

· · ·nd∑jd=1

h⟨ d∏i=1

]x(i)ji−1, x

(i)ji ]

⟩·d∏i=1

(x(i)ji − x

(i)ji−1) .

On aurait donc pu eviter l’utilisation de l’integrale dans le sens de Lebesgue∫Ph dλ

dans la definition d’une fonction Riemann integrable. On l’a fait simplement parcommodite de l’ecriture et d’exposition.

→ 25.4 Proposition. Soit f : P → R une fonction sur un pave P ⊂ Rd.

(i) Si E−f et E+f ne sont pas vides, alors l’ensemble

∫Ph dλ | h ∈ E−f est

majore, l’ensemble ∫Ph dλ | h ∈ E+

f est minore et on a l’inegalite

sup ∫

P

h dλ | h ∈ E−f≤ inf

∫P

h dλ | h ∈ E+f

.

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L’INTEGRALE DE RIEMANN VERSUS CELLE DE LEBESGUE 209

(ii) f est integrable sur P si et seulement si les ensembles E+f et E−f ne sont pas

vides et si on a l’egalite

sup ∫

P

h dλ | h ∈ E−f

= inf ∫

P

h dλ | h ∈ E+f

.

Preuve de [25.4]. • (i) : Si E−f et E+f ne sont pas vides, alors il existe h± ∈ E±f .

Pour un choix arbitraire de h± ∈ E±f on a, par definition de E±f , les inegalites

h− ≤ f ≤ h+. Par [10.8.v] on a donc l’inegalite∫P

h− dλ ≤∫P

h+ dλ .

Si on fixe h− et fait varier h+, cette inegalite montre que∫Ph− dλ est un minorant

de ∫Ph dλ | h ∈ E+

f et donc par definition de l’inf (qui est le plus grand des

minorants) on a ∫P

h− dλ ≤ inf ∫

P

h dλ | h ∈ E+f

.

Mais h− etait arbitraire ; cette inegalite montre donc que inf ∫Ph dλ | h ∈ E+

f est un majorant de

∫Ph dλ | h ∈ E−f . Et donc par definition du sup (qui est le

plus petit des majorants) on obtient l’inegalite voulue

sup ∫

P

h dλ | h ∈ E−f≤ inf

∫P

h dλ | h ∈ E+f

.

• (ii) : Par definition de l’integrabilite il existe, pour tout n ∈ N∗, des fonctionsen escalier h± ∈ E±f telles que

∫P

(h+ − h−) dλ < 1/n. Les ensembles E+f et E−f ne

sont donc pas vides. Par (i) et la definition de sup et inf on a donc les inegalites∫P

h− dλ ≤ sup ∫

P

h dλ | h ∈ E−f≤ inf

∫P

h dλ | h ∈ E+f

≤∫P

h+ dλ .

L’inegalite∫P

(h+ − h−) dλ < 1/n montre qu’on doit aussi avoir l’inegalite

inf ∫

P

h dλ | h ∈ E+f

− sup

∫P

h dλ | h ∈ E−f≤ 1

n.

Vu que n ∈ N∗ etait arbitraire, on en deduit l’egalite voulue.Si dans l’autre sens E+

f et E−f ne sont pas vides et qu’on a l’egalite entre supet inf, on deduit, des definitions de sup et inf, qu’il existe pour tout ε > 0 deselements h± ∈ E±f tels que∫

P

h− dλ > sup ∫

P

h dλ | h ∈ E−f− 1

2ε et∫P

h+ dλ < inf ∫

P

h dλ | h ∈ E+f

+ 1

2ε .

Il s’ensuit immediatement qu’on a∫P

(h+ − h−) dλ < ε. CQFD

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210 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

25.5 Definition. Si f : P ⊂ Rd → R est Riemann integrable, alors on lui associeun nombre, appele l’integrale de Riemann de f sur P et note comme

∫Pf(x) ddx,

par la formule suivante :∫P

f(x) ddx = sup ∫

P

h dλ | h ∈ E−f.

Cette definition ressemble a la definition de l’integrale de Lebesgue, mais il y a desdifferences importantes. D’abord il faut remarquer qu’ici on ne se restreint pas ades fonctions positives : les fonctions h pour lesquelles on calcule

∫Ph dλ prennent

leurs valeurs dans R. Par contre, meme si f etait positive et si on ne prenait quedes fonctions h positives, on se restreint a des fonctions en escalier, qui ne formentqu’un sous-espace des fonctions etagees. Le sup risque donc d’etre plus petit quequand on prend toutes les fonctions etagees (en-dessous de f). Que ce n’est pas lecas est montre dans [25.8].

→ 25.6 Lemme. Soit h1, h2 : P → R deux fonctions en escalier sur le pave P ⊂ Rd.Alors il existe une subdivision elementaire D adaptee aux deux fonctions h1 et h2.

Preuve de [25.6]. CQFD

→ 25.7 Lemme. Soit h1, . . . , hn : P → R des fonctions en escalier. Alors la fonctionmax(h1, . . . , hn) est aussi en escalier.

Preuve de [25.7]. CQFD

25.8 Lemme. Soit f : P → R+ une fonction positive. Si f est Riemann integra-ble, alors on a l’egalite ∫

P

f(x) ddx =

∫P

f dλ .

25.9 Nota Bene. La fonction f dans [25.8] n’est pas forcement mesurable ; onutilise la definition [6.1] de l’integrale d’une fonction positive quelconque.

Preuve. Si h appartient a E−f , alors la fonction positive max(h, 0) appartient aussi

a E−f [25.7]. En plus on a l’inegalite∫Ph dλ ≤

∫P

max(h, 0) dλ. Il s’ensuit qu’on al’egalite

sup ∫

P

h dλ | h : P → R en escalier, h ≤ f

= sup ∫

P

h dλ | h : P → R en escalier, 0 ≤ h ≤ f.

Mais une fonction en escalier positive est un cas particulier d’une fonction etageepositive. On a donc l’inclusion

h : P → R en escalier, 0 ≤ h ≤ f ⊂ h : P → R etagee, 0 ≤ h ≤ f

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L’INTEGRALE DE RIEMANN VERSUS CELLE DE LEBESGUE 211

et donc l’inegalite

sup ∫

P

h dλ | h : P → R en escalier, 0 ≤ h ≤ f

≤ sup ∫

P

h dλ | h : P → R etagee, 0 ≤ h ≤ f,

ce qui nous donne l’inegalite∫Pf(x) ddx ≤

∫Pf dλ. D’autre part, pour toute

fonction etagee h− verifiant 0 ≤ h− ≤ f et toute fonction en escalier h+ verifiantf ≤ h+ on a l’inegalite

∫Ph− dλ ≤

∫Ph+ dλ. On en deduit l’inegalite

sup ∫

P

h dλ | h : P → R etagee, 0 ≤ h ≤ f

≤ inf ∫

P

h dλ | h : P → R en escalier, f ≤ h.

Mais par definition d’integrabilite dans le sens de Riemann, le membre de droiteest (aussi) egal a

∫Pf(x) ddx, ce qui nous donne

∫Pf dλ ≤

∫Pf(x) ddx. CQFD

25.10 Discussion. Vu que pour toute fonction en escalier h l’integrale∫Ph dλ

est finie, il est immediat que si f est Riemann integrable, alors∫Pf(x) ddx ∈ R,

c’est-a-dire, l’integrale de Riemann ne prend jamais la valeur ∞ (ni −∞). Ilest assez facile de montrer que l’integrale de Riemann est croissante (f ≤ g im-

plique∫Pf(x) ddx ≤

∫Pg(x) ddx) et que si f est Riemann integrable, alors ses

parties positive et negative f± sont aussi Riemann integrables et donc que 0 ≤∫Pf±(x) ddx < ∞. Pour autant on ne peut pas en deduire que f est λ-integra-

ble, car on ne sait pas si f est mesurable. Dans [25.12] et [35.14] on clarifie cettesituation.

25.11 Remarque pour les curieux. On peut montrer, mais c’est assez com-plique, qu’une fonction f est Riemann integrable si et seulement si l’ensemble deses points de discontinuite est λ-negligeable (autrement dit, f est λ-presque partoutcontinue). La preuve qu’une fonction continue f est Riemann integrable (sur un

pave∏di=1 [ai, bi ] ) est nettement plus simple et repose sur le fait qu’une fonction

continue sur un ensemble compact est uniformement continue.

25.12 Theoreme. Soit P =∏di=1 [ai, bi ] ⊂ Rd un pave et soit f : P → R

une fonction Riemann integrable sur P . Alors f est λ-presque partout egale a unefonction λ-integrable et Riemann integrable F : P → R verifiant∫

P

f(x) ddx =

∫P

F (x) dλ(x) .

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212 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Preuve. En prenant ε = 1/n dans la definition de l’integrabilite de f dans le sens

de Riemann on trouve deux suites de fonctions en escalier h(n)± : P → R, n ∈ N∗

verifiant

(25.13) h(n)− ≤ f ≤ h

(n)+ et

∫P

(h(n)+ − h(n)

− ) dλ < 1n .

On definit deux nouvelles suites de fonctions g(n)± : P → R par

g(n)− (x) = max(h

(1)− (x), . . . , h

(n)− (x)) et

g(n)+ (x) = min(h

(1)+ (x), . . . , h

(n)+ (x)) .

Par [25.7] g(n)± est en escalier et par construction la suite g

(n)− est croissante et la

suite g(n)+ est decroissante. De plus, on a les inegalites

(25.14) h(n)− ≤ g

(n)− ≤ f ≤ g(n)

+ ≤ h(n)+ .

Par [10.8.v] et [25.4] on en deduit qu’on a les inegalites∫P

h(n)− dλ ≤

∫P

g(n)− dλ ≤

∫P

f(x) ddx ≤∫P

g(n)+ dλ ≤

∫P

h(n)+ dλ .

Par la deuxieme partie de (25.13) on en deduit les egalites

limn→∞

∫P

g(n)− dλ =

∫P

f(x) ddx = limn→∞

∫P

g(n)+ dλ .

Mais la suite g(n)+ −g

(n)− est une suite decroissante de fonctions positives mesurables.

Elle converge donc partout vers une fonction mesurable positive G sur P . De plus,

elle est majoree par le premier terme g(1)+ − g

(1)− qui est λ-integrable. On peut donc

appliquer le theoreme de convergence dominee [11.5] et conclure qu’on a

0 = limn→∞

∫P

(g(n)+ − g(n)

− ) dλ =

∫P

G dλ .

En invoquant [9.15.ii] on en deduit que Gλ-pp= 0.

On note maintenant que la suite g(n)− est croissante et majoree (par f), donc la

fonction limite F = limn→∞ g(n)− : P → R est une fonction mesurable [7.20]. Vu

que Gλ-pp= 0, on deduit des inegalites (25.14) qu’on a

g(n)− ≤ F ≡ lim

n→∞g

(n)−

λ-pp= f

λ-pp= lim

n→∞g

(n)+ ≤ g(n)

+ sur P .

Il s’ensuit que F est encadre par deux fonctions en escalier g(n)− ≤ F ≤ g

(n)+ telles

que∫P

(g(n)+ − g(n)

− ) dλ < 1n , ce qui montre que F est Riemann integrable et qu’on

a ∫P

F (x) ddx = limn→∞

∫P

g(n)− dλ =

∫P

f(x) ddx .

Par l’implication a ≤ b ≤ c ⇒ |b| ≤ max( |a|, |c| ) et de nouveau par les inegalites(25.14) on obtient la majoration

|g(n)− | ≤ max( |g(1)

− |, |g(1)+ | ) .

Vu que cette derniere fonction est λ-integrable, on peut appliquer [11.5] a la suite

g(n)− pour obtenir ∫

P

F dλ = limn→∞

∫P

g(n)− dλ =

∫P

f(x) ddx . CQFD

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L’INTEGRALE DE RIEMANN VERSUS CELLE DE LEBESGUE 213

25.15 Corollaire. Soit P ⊂ Rd un pave et soit f : P → R une fonction mesurableet Riemann integrable sur P . Alors f est λ-integrable sur P et∫

P

f(x) ddx =

∫P

f dλ .

Preuve. Soit F : P → R la fonction donnee par [25.12]. Alors fλ-pp= F . F etant

λ-integrable, f l’est aussi et on a l’egalite∫PF dλ =

∫Pf dλ. CQFD

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214

26. L’integrale de Riemann generalisee

26.1 Notation. Soit I = [a, b ] un pave dans R (un intervalle ferme et borne)et soit f : I → R une fonction Riemann integrable. Alors il est d’usage de noterl’integrale de Riemann de f sur I comme∫

[a,b ]

f(x) dx =

∫ b

a

f(x) dx .

Il est aussi d’usage d’autoriser qu’on inverse les bornes a condition de changer lesigne :

a < b =⇒∫ a

b

f(x) dx = −∫ b

a

f(x) dx = −∫

[a,b ]

f(x) dx .

26.2 Definition. Soit f : [a, b [ → R une fonction (b = ∞ est autorise). On ditque l’integrale de Riemann generalisee de f sur [a, b [ converge si

(i) pour tout c ∈ ]a, b [ la fonction f est Riemann integrable sur l’intervalle(ferme) [a, c ] et

(ii) la limite limc↑b

∫ caf(x) dx existe dans R.

Si c’est le cas on note la valeur de la limite comme∫ baf(x) dx :∫ b

a

f(x) dx = limc↑b

∫ c

a

f(x) dx

et on dit que c’est la valeur de l’integrale generalisee sur l’intervalle [a, b [ .Pour un intervalle ouvert a gauche, il faut prendre la limite a droite et pour un

intervalle ouvert il faut le couper en deux et regarder les deux limites separement(une pour la borne inferieure de l’intervalle et une pour la borne superieure).

26.3 Remarque. On pourrait avoir l’impression que la notion d’un integrale deRiemann generalisee existe et qu’on vient de dire sous quelles conditions elle con-verge. Malheureusement il n’en est rien. La situation pour l’integrale de Riemanngeneralise est analogue a la situation pour les series [16.8] : il y a des sous-entendus(les conditions) et une notation qui n’a un sens que si ces conditions sont remplies.

Comme pour les series, on dit que l’integrale de Riemann generalisee∫ baf(x) dx

diverge (pour une fonction f : [a, b [ ) si la limite limc↑b∫ caf(x) dx n’existe pas (une

contradictio in terminis). Et quand on dit cela, on suppose quand-meme que la fonc-tion f est Riemann integrable sur l’intervalle (ferme) [a, c ] pour tout c ∈ [a, b ].

Dire que∫ baf(x) dx diverge est donc dire que l’objet qu’on ecrit n’a pas de sens.

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L’INTEGRALE DE RIEMANN GENERALISEE 215

→ 26.4 Lemme. Soit f : [a, c ] → R une fonction Riemann integrable sur [a, c ].Alors |f | est Riemann integrable sur [a, c ].

Preuve de [26.4]. Par definition il faut trouver, pour tout ε > 0 deux fonctionsen escalier h± : [a, c ] → R telles que h− ≤ |f | ≤ h+ et

∫[a,c ]

(h+ − h−) dλ < ε.

Par hypothese on sait qu’il existe (pour un ε > 0 choisi) deux fonctions en escalierg± : [a, c ] → R telles que

g− ≤ f ≤ g+ et

∫[a,c ]

(g+ − g−) dλ < ε .

Soit D une subdivision elementaire de [a, c ] adaptee aux deux fonctions g± [25.6]et soit A ∈ D arbitraire. Alors pour x ∈ A on a les inegalites

g−〈A〉 ≤ f(x) ≤ g+〈A〉 .

On definit les fonctions en escalier h± : P → R comme etant constantes sur leselements de D par le tableau

h−〈A〉 h+〈A〉g−〈A〉 g+〈A〉 si g−〈A〉 > 0

0 max(−g−〈A〉, g+〈A〉) si g−〈A〉 ≤ 0 ≤ g+〈A〉−g+〈A〉 −g−〈A〉 si g+〈A〉 < 0 .

h+ = −g−h− = −g+

h+ = g+

h− = 0h+ = g+

h− = g−

h+ = −g−h− = 0

h+ = −g−h− = −g+

Ainsi D est aussi adaptee aux fonctions en escalier h±. Mais la definition de cesfonctions est telle qu’on a les inegalites pour x ∈ A :

h−〈A〉 ≤ |f(x)| ≤ h+〈A〉 .

Vu qu’on a aussi les inegalites h+〈A〉 − h−〈A〉 ≤ g+〈A〉 − g−〈A〉, on a l’inegaliteh+ − h− ≤ g+ − g− et donc on a∫

P

h+ − h− dλ ≤∫P

g+ − g− dλ < ε .

Ceci montre que |f | est Riemann integrable sur [a, c ]. CQFD

26.5 Definition. Soit f : [a, b [ → R une fonction (b = ∞ est autorise). On ditque l’integrale de Riemann generalisee de f sur [a, b [ converge absolument si

(i) pour tout c ∈ ]a, b [ la fonction f est Riemann integrable sur l’intervalle(ferme) [a, c ] et

(ii) l’integrale de Riemann generalisee de |f | sur [a, b [ converge.

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216 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Comme avant, pour un intervalle ouvert a gauche il faut prendre la limite a droiteet pour un intervalle ouvert il faut le couper en deux et regarder les deux limi-tes separement (une pour la borne inferieure de l’intervalle et une pour la bornesuperieure).

26.6 Lemme. Soit f : [a, b [ → R une fonction ( b = ∞ est autorise). Alorslimx↑b

f(x) existe si et seulement si :

(26.7) ∀ε > 0 ∃M ∈ ]a, b [ ∀d, e ∈ [M, b [ : |f(e)− f(d)| < ε .

Preuve. Si limx↑b

f(x) = `, alors par definition on a

∀ε > 0 ∃M ∈ ]a, b [ ∀x ∈ [M, b [ : |f(x)− `| < 12ε .

Pour d, e ∈ [M, b [ on a donc

|f(e)− f(d)| ≤ |f(e)− `|+ |`− f(d)| < 12ε+ 1

2ε = ε .

Pour l’implication reciproque, on va construire par recurrence une suite croissante(Mn)n∈N∗ telle qu’on a pour tout n ∈ N∗ :

(26.8) ∀x ∈ [Mn, b [ : |f(Mn)− f(x)| < 1n .

Pour cela on prend d’abord ε = 1 dans (26.7) et on trouve M = M1 ∈ ]a, b [verifiant (26.8). Ensuite on suppose qu’on a construit Mn verifiant (26.8) et onprend ε = (n+ 1)−1. Alors on trouve M ∈ ]a, b [ tel que

∀x, y ∈ [M, b [ : |f(x)− f(y)| < 1n+1 .

On pose Mn+1 = max(M,Mn) et on a la propriete

∀x ∈ [Mn+1, b [ : |f(Mn+1)− f(x)| < 1n+1 ,

ce qui acheve la construction par recurrence. La construction de la suite (Mn)n∈N∗

est telle que la suite (f(Mn))n∈N∗ est une suite de Cauchy (dans R) :

∀m,n ∈ N∗ : |f(Mn)− f(Mm)| < 1

min(n,m).

Il existe donc ` ∈ R tel que limn→∞ f(Mn) = `. Pour montrer qu’on a limx↑b

f(x) = `on procede comme suit. Pour ε > 0 il existe N ∈ N∗ tel que

∀n ≥ N : |f(Mn)− `| < 12ε .

En particulier pour n ≥ max(N, 2/ε) et x ≥Mn on a

|f(x)− `| ≤ |f(Mn)− f(x)|+ |f(Mn)− `|(26.8)< 1

n + 12ε ≤ ε . CQFD

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L’INTEGRALE DE RIEMANN GENERALISEE 217

26.9 Remarque pour les curieux. Le fait que R est complet se traduit commela propriete que toute suite de Cauchy dans R est convergente, c’est-a-dire, admetune limite. La condition (26.7) est l’equivalent pour l’existence de la limite d’unefonction. On l’a enonce ici pour une fonction sur un intervalle [a, b [ et la limitex→ b (juste ce qu’il nous faut pour la suite), mais on peut le generaliser facilementpour des fonctions definies sur des espaces metriques.

26.10 Lemme. Soit f : [a, b [ → R une fonction mesurable ( b =∞ est autorise).Si l’integrale de Riemann generalisee de f sur [a, b [ converge absolument, alorselle converge.

Preuve. Commencons avec une remarque generale : si une fonction mesurable g estRiemann integrable sur [a, d ] et [a, e ] pour a < d < e, alors g est λ-integrable surces intervalles [25.15] et on a∫

[a,e ]

g dλ =

∫[a,d ]∪ ]d,e ]

g dλ =

∫[a,d ]

g dλ+

∫]d,e ]

g dλ

et donc, parce que les valeurs sont finies, on peut l’ecrire comme

(26.11)

∫[a,e ]

g dλ−∫

[a,d ]

g dλ =

∫]d,e ]

g dλ .

Si l’integrale de Riemann generalisee converge absolument, alors f (et donc |f |) estRiemann integrable sur tout intervalle [a, c ] ⊂ [a, b [ et la limite limc↑b

∫ ca|f(x)| dx

existe. Alors par [26.6] il existe, pour tout ε > 0, un M ∈ ]a, b [ tel que pour toutd, e ∈ ]M, b [ , d < e on a∫

]d,e ]

|f | dλ(26.11)

=∣∣∣ ∫

[a,d ]

|f | dλ−∫

[a,e ]

|f | dλ∣∣∣

[25.15]=

∣∣∣ ∫ d

a

|f(x)| dx−∫ e

a

|f(x)| dx∣∣∣ [26.6]< ε .(26.12)

Mais alors on peut faire le calcul

∣∣∣ ∫ d

a

f(x) dx−∫ e

a

f(x) dx∣∣∣ [25.15]

=∣∣∣ ∫

[a,d ]

f dλ−∫

[a,e ]

f dλ∣∣∣

(26.11)=

∣∣∣ ∫]d,e ]

f dλ∣∣∣ [10.8.iv]

≤∫

]d,e ]

|f | dλ(26.12)< ε .

On en deduit avec [26.6] que la limite limc↑b∫ caf(x) dx existe, c’est-a-dire que

l’integrale de Riemann generalisee de f sur [a, b [ converge. CQFD

26.13 Remarque pour les curieux. Dans [26.10] on a suppose que la fonctionf est mesurable. On peut montrer le meme resultat sans cette condition, mais on

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218 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

l’a impose pour ne pas avoir a developper d’avantage la theorie de l’integrale deRiemann. Les resultats (26.11) et [10.8.iv] sont aussi valables pour des fonctionsRiemann integrables et la preuve sans la condition de mesurabilite reste donc val-able. Une autre facon d’eviter la condition de mesurabilite est de passer a la tribude Borel completee §35, auquel cas toute fonction Riemann integrable est automa-tiquement mesurable pour la tribu elargie sans que l’integrale change [35.14].

26.14 Proposition. Soit f : [a, b [ → R une fonction mesurable qui est Riemannintegrable sur tout intervalle [a, c ] ⊂ [a, b [ . Alors l’integrale de Riemann generali-see de f converge absolument sur [a, b [ si et seulement si f est λ-integrable sur[a, b [ . Si c’est le cas, on a l’egalite∫ b

a

f(x) dx ≡ limc↑b

∫ c

a

f(x) dx =

∫[a,b [

f dλ .

Preuve. Soit (bn)n∈N une suite croissante dans [a, b [ de limite b (si b < ∞ onpeut prendre bn = b − b−a

n+1 et si b = ∞ on peut prendre bn = a + n). Alors

(1 [a,bn ] )n∈N est une suite croissante de fonctions de limite 1 [a,b [ . On definit lafonction F : [a, b [ → R par

(26.15) F (c)[26.4]=

∫ c

a

|f(x)| dx[25.15]

=

∫[a,c ]

|f | dλ ≤∫

[a,b [

|f | dλ .

Cette fonction est croissante car |f | est une fonction positive ; la limite limc↑b

F (c)existe donc toujours dans R+.• Supposons que l’integrale generalisee de f converge absolument sur [a, b [ ,

c’est-a-dire que limc↑b

F (c) est finie. Alors on peut faire le calcul suivant :∫[a,b [

|f | dλ[9.1]= lim

n→∞F (bn) = lim

c↑bF (c) <∞ .

Il s’ensuit que f est λ-integrable sur [a, b [ .Si au contraire f est λ-integrable, alors on a la majoration (26.15) :

F (c) ≤∫

[a,b [

|f | dλ <∞ .

Il s’ensuit que la limite limc↑b F (c) est finie car majoree par∫

[a,b [|f | dλ. On conclut

que l’integrale generalisee de f sur [a, b [ converge absolument.• Si f est λ-integrable sur [a, b [ , alors on peut transformer l’egalite∫

[a,b [

|f | dλ =

∫[a,c ]

|f | dλ+

∫]c,b [

|f | dλ

en

(26.16)

∫]c,b [

|f | dλ =

∫[a,b [

|f | dλ−∫

[a,c ]

|f | dλ ≡∫

[a,b [

|f | dλ− F (c) ,

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L’INTEGRALE DE RIEMANN GENERALISEE 219

car les trois termes sont finis (majores par∫

[a,b [|f | dλ <∞). Mais par la croissance

de F et le theoreme de convergence monotone [9.1] on a aussi l’egalite

(26.17) limc↑b

F (c) = limn→∞

F (bn) =

∫[a,b [

|f | dλ <∞ .

Si on fait maintenant le calcul∣∣∣ ∫ c

a

f(x) dx−∫

[a,b [

f dλ∣∣∣ [25.15]

=∣∣∣ ∫

[a,c ]

f dλ−∫

[a,b [

f dλ∣∣∣

=∣∣∣ ∫

]c,b [

f dλ∣∣∣ ≤ ∫

]c,b [

|f | dλ ,

on deduit de (26.16) et (26.17) qu’on a l’egalite

limc↑b

∣∣∣ ∫ c

a

f(x) dx−∫

[a,b [

f dλ∣∣∣ = 0 . CQFD

26.18 Remarque. L’exemple le mieux connu d’une fonction dont l’integrale deRiemann generalisee converge mais pas absolument est la fonction f : R → Rdefinie par

f(x) =sin(x)

x.

On peut montrer qu’on a∫R|f | dλ =∞ et

∫ ∞−∞

f(x) dx = limA→−∞

limB→∞

∫ B

A

f(x) dx =√π .

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220

27. Applications du theoreme de convergence dominee

→ 27.1 Convergence normale. Soit U ⊂ Rd, soit a ∈ U , soit fn : U → K, n ∈ Navec K = R ou C une suite de fonctions et soit (bn)n∈N une suite de nombrespositifs. Supposons que les trois conditions suivantes sont satisfaites :

(a) limx→a fn(x) existe pour tout n ∈ N,(b) pour tout x ∈ U et tout n ∈ N on a |fn(x)| ≤ bn,(c)

∑n∈N bn <∞.

Alors les series∑n∈N fn(x), x ∈ U et

∑n∈N limx→a fn(x) sont absolument con-

vergentes et on a l’egalite

limx→a

∑n∈N

fn(x) =∑n∈N

limx→a

fn(x) .

Preuve de [27.1]. CQFD

27.2 Continuite sous le signe∫

. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit U ⊂ Rd

et soit f : U × Ω→ C une fonction verifiant les hypotheses suivantes.

(a) Pour tout x ∈ U la fonction fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est mesurable.(b) Pour tout a ∈ U et pour µ-presque tout ω ∈ Ω la fonction fω : U → C,

x 7→ f(x, ω) est continue en a.

(c) Il existe une fonction integrable g : Ω→ R+ telle que ∀x ∈ U : |fx|µ-pp

≤ g.

Avec ces hypotheses les fonctions ω 7→ f(x, ω), x ∈ U sont integrables et la fonctionF : U → C definie par

F (x) =

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω)

est continue sur U .

Preuve. Si on fixe a ∈ U et si on definit la fonction fo : Ω→ C par fo(ω) = f(a, ω),alors on verifie les hypotheses de [11.23]. Les fonctions fx sont donc integrables, cequi implique en particulier que la fonction F est bien definie. En plus on a l’egalite

limx→a

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω) =

∫Ω

f(a, ω) dµ(ω) ,

ce qui se traduit en limx→a F (x) = F (a). La fonction F est donc continue au pointa ∈ U . Ce point etant arbitraire, F est donc continue sur U . CQFD

27.3 Nota Bene. A premiere vue on pourrait avoir l’impression que l’hypothese(b) dans [27.2] a deux quantificateurs universels et donc qu’on pourrait les echangeren disant que pour µ-presque tout ω pour tout a ∈ U la fonction fω est continue en

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APPLICATIONS DU THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE 221

a. Malheureusement (ou plutot heureusement) ce n’est pas le cas : la condition deµ-presque tout ω contient un quantificateur existentiel (voir [4.19]). L’hypothese(b) s’ecrit donc comme

∀a ∈ U ∃A ∈ F : µ(Ac) = 0 et ∀ω ∈ A : fω continue en a .

L’hypothese (b) n’est donc pas la meme chose que la condition que pour µ-presquetout ω pour tout a ∈ U la fonction fω est continue en a, car ce dernier s’ecritcomme

∃A ∈ F : µ(Ac) = 0 et ∀ω ∈ A ∀a ∈ U : fω continue en a ,

ce qu’on peut resumer comme

∃A ∈ F : µ(Ac) = 0 et ∀ω ∈ A : fω continue sur U ,

La difference est que dans le premier cas l’ensemble A peut varier avec a ∈ U ,tandis que dans le deuxieme cas c’est le meme A pour tout a ∈ U . L’hypothese (b)telle qu’elle est formulee est donc la moins forte des deux.

Si on regarde bien, une remarque similaire est valable pour les hypotheses (c)dans [11.23] et [27.2], car elles disent que pour tout x ∈ U et pour µ-presque toutω ∈ Ω on a |f(x, ω)| ≤ g(ω). Une telle condition est donc moins forte que lacondition que pour µ-presque tout ω ∈ Ω et pour tout x ∈ U on a |f(x, ω)| ≤g(ω). Notons que ceci veut dire que pour µ-presque tout ω ∈ Ω on a la conditionsupx∈U |f(x, ω)| ≤ g(ω). Dans [27.6] on verra la difference entre ces deux conditions.

Par contre, si l’ensemble U est denombrable (comme c’est le cas pour l’hypothese(b) dans [11.5]), alors les deux conditions sont equivalentes. La raison est que lareunion denombrable d’ensembles negligeables est negligeable [4.24] (voir l’ensembleB dans la preuve de [11.5]).

27.4 Remarque. Si on oublie l’aspect “presque partout,” alors la condition (b) de[11.23] dit que les fonctions fω : x 7→ f(x, ω) doivent etre continues sur U . L’aspect“presque partout” autorise des points de discontinuite dans les fonctions fω et cespoints de discontinuite peuvent dependre de ω.

27.5 Continuite sous le signe∫

- version simplifiee pour usage courant.

Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit U ⊂ Rd et soit f : U × Ω → C une fonctionverifiant les hypotheses suivantes.

(a) Pour tout x ∈ U la fonction fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est mesurable.(b) Pour tout ω ∈ Ω la fonction fω : U → C, x 7→ f(x, ω) est continue.(c) Il existe une fonction integrable g : Ω→ R+ telle que ∀x ∈ U : |fx| ≤ g.

Avec ces hypotheses la fonction F : U → C definie par F (x) =∫

Ωf(x, ω) dµ(ω) est

bien definie et continue sur U .

27.6 Exemple. Dans cet exemple on va illustrer les phenomenes qu’on a evoquesdans [11.26] et [27.3]. On considere l’espace mesure (Ω,F , µ) = ( ]0, 1 ],B, λ) de

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222 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

l’intervalle Ω = ]0, 1 ] muni de la tribu de Borel et la (restriction de la) mesurede Lebesgue, et on considere l’espace metrique X = R avec le sous-ensemble U =]0, 1 ] ⊂ R. On se fixe un sous-ensemble H ⊂ ]0, 1 ] qu’on ne precise pas pour lemoment. Dans U × Ω = ]0, 1 ] × ]0, 1 ] on definit l’ensemble G comme

G = (x, ω) ∈ U × Ω | ∃n ∈ N : ω = nx

et on definit la fonction f : U × Ω→ [0, 1 ] ⊂ C par

f(x, ω) =

1 ω ∈ H et (x, ω) ∈ G0 dans les autres cas.

12

13

14

0 U → 1

0

Ω

1

GH

G ∩ (U ×H)

Une autre facon de definir f est de dire que c’est la fonction indicatrice del’ensemble G ∩ (U ×H). Pour un x fixe il n’existe qu’un nombre fini de ω tel que(x, ω) ∈ G, donc l’application fx : Ω→ R, ω 7→ f(x, ω) est nulle sauf en un nombrefini de points. Il s’ensuit que cette application est mesurable. En plus elle estλ-presque partout egale a la fonction nulle. La fonction F : U → R definie commel’integrale de f sur Ω est donc la fonction nulle :

∀x ∈ U = ]0, 1 ] : F (x) =

∫]0,1 ]

f(x, ω) dλ(ω) = 0 .

Commencons par verifier les conditions de [11.23] pour le point a = 0 ∈ U . Onconstate que pour tout ω il existe un x tel que (x, ω) ∈ G. On en deduit que lafonction h : Ω→ R+ definie comme

h(ω) = supx∈U|f(x, ω)|

est donnee par la formule

supx∈U|f(x, ω)| =

1 ω ∈ H0 ω /∈ H ,

c’est-a-dire : h = 1H .Presque le meme raisonnement montre qu’on a le resultat suivant concernant la

limite :

limx↓0

f(x, ω) =

0 ω /∈ Hn’existe pas x ∈ H .

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APPLICATIONS DU THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE 223

Si l’ensemble H n’est pas mesurable ni negligeable (et de tels ensembles existent par[37.2]), alors la fonction h n’est pas mesurable et l’ensemble ou la limite existe n’estpas mesurable ni negligeable. Cette exemple montre donc la difference entre unesuite de fonctions mesurables et une famille quelconque de fonctions mesurables.Pour l’une la fonction sup et l’ensemble ou la limite existe sont toujours mesurables(dans des sens differents), tandis que pour l’autre on ne peut pas l’affirmer en toutegeneralite. Malgre les problemes rencontres pour la fonction h, chaque fonctionfx, etant λ-presque partout nulle, est dominee λ-presque partout par la fonctionnulle, qui est une fonction integrable. La condition (c) de [11.23] est donc verifiee.Par contre, si H n’est pas negligeable, alors il n’existe pas de fonction mesurablefo verifiant la condition (b) de [11.23]. Dans ces conditions on n’a donc pas lesconclusions de [11.23], malgre le fait que la limite limx↓0 F (x) = 0 existe bien.

Regardons ensuite les conditions de [27.2]. Si on fixe a ∈ U , alors la fonctionω 7→ f(a, ω) est nulle sauf en un nombre fini de points. Soit ω ∈ ]0, 1 ] tel que

f(a, ω) = 0. Etant donne que l’ensemble G est ferme dans ]0, 1 ]2

= U×Ω, le point(a, ω) appartient a l’ouvert U×Ω\G sur lequel la fonction f est identiquement nulle.Il s’ensuit que limx→a f(x, ω) = f(a, ω). Ainsi on a montre que pour tout a ∈ Uet λ-presque tout ω ∈ Ω (a savoir partout sauf en un nombre fini de points) on alimx→a f(x, ω) = f(a, ω). La condition (b) de [27.2] est donc verifiee. La condition(c) etant la meme que pour [11.23] est aussi verifiee avec la fonction constante 0.On peut donc affirmer que la fonction F : U → R est bien continue.

Pour illustrer la non-commutativite des quantificateurs dont on a parle dans[11.26] et [27.3], commencons par la condition (b) de [27.2]. On a vu que pourtout a et pour λ-presque tout ω ∈ Ω la fonction fω est continue en a. Regardonsdonc si on a la condition que pour λ-presque tout ω ∈ Ω et pour tout a ∈ U on alimx→a f(x, ω) = f(a, ω). Pour ω ∈ H on a en particulier f(ω, ω) = 1 et “donc” onn’a pas limx→ω f(x, ω) = f(ω, ω) car pour tout x ∈ ] 1

2ω, 1[ \ ω on a f(x, ω) = 0.Par contre, pour ω /∈ H la fonction fω est identiquement nulle, donc continue. Ils’ensuit que l’ensemble des ω ∈ Ω tels que fω est continue sur U est l’ensembleΩ \H. Si on avait choisi un H non-negligeable, on n’aurait donc pas la conditionque pour presque tout ω et pour tout a ∈ U on a lim

x→af(x, ω) = f(a, ω).

Regardons maintenant la condition (c) dans [11.23] et [27.2]. On a deja vu quepour tout x ∈ U la fonction fx est majoree λ-presque partout par la fonction integra-ble nulle. L’echange des quantificateurs demande que la fonction supx∈U |f(x, ω)|soit majoree λ-presque partout par une fonction integrable [27.3]. Visiblement, siH n’est pas λ-negligeable, la fonction h = supx∈U fx = 1H n’est pas λ-presquepartout majoree par la fonction nulle. Par contre, h est majoree par la fonction in-tegrable 1. La condition (c) reste donc verifiee apres l’echange des quantificateurs,mais pas avec la meme fonction dominatrice g.

Pour compliquer les choses un peu plus, on change la fonction f legerement enposant

f(x, ω) =

n ω ∈ H et ω = nx

0 dans les autres cas.

On verifie facilement que la fonction h : Ω→ R+ definie comme

h(ω) = supx∈U|f(x, ω)|

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224 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

est donnee par la formule

h(ω) =∞ si ω ∈ H , h(ω) = 0 si ω /∈ H .

On a toujours que pour tout x ∈ U la fonction fx(ω) = f(x, ω) est nulle sauf en unnombre fini de points et donc qu’elle est majoree λ-presque partout par la fonctionintegrable nulle. Par contre, si H n’est pas negligeable, il n’existe aucune fonctionintegrable qui majore h. On est donc dans la situation decrite dans [11.26] ou lafonction h est mesurable (si H est choisi mesurable), ou h n’est pas integrable,mais ou il existe quand meme une fonction integrable qui pour tout x ∈ U majorepresque partout la fonction fx. Dans ce cas la condition (c) de [11.23] ou [27.2] estvraie avant mais pas apres l’echange des quantificateurs.

27.7 Derivabilite sous le signe∫

. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit I ⊂ Run intervalle qui contient au moins deux points et soit f : I ×Ω→ C une fonctionverifiant les proprietes suivantes :

(a) pour tout x ∈ I l’application fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est integrable ;(b) il existe un ensemble mesurable A ⊂ Ω de complementaire negligeable tel

que pour tout ω ∈ A l’application fω : I → C, x 7→ f(x, ω) est derivable(sur I) ;

(c) il existe une fonction integrable g : Ω → R+ telle que pour tout x ∈ I etpour µ-presque tout ω ∈ A on a la majoration |(fω)′(x)| ≤ g(ω).

Avec ces hypotheses on definit la fonction f : I × Ω→ C par

f(x, ω) = (fω)′(x) si ω ∈ A et f(x, ω) = 0 si ω ∈ Ac .

Sous ces conditions les fonctions ω 7→ f(x, ω), x ∈ I sont integrables, la fonctionF : I → C definie par F (x) =

∫Ωf(x, ω) dµ(ω) est derivable sur I et

∀x ∈ I : F ′(x) =

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω) .

Si pour tout ω ∈ A la fonction (fω)′ : I → C est continue, alors F ′ est continuesur I.

27.8 Abus de notation utile. Dans l’enonce de [27.7] on se retrouve avec unphenomene qu’on a deja rencontre dans le theoreme de Fubini [14.2] : la derivee dela fonction f par rapport a x n’existe pas partout et on est oblige d’introduire la

fonction f en completant cette derivee par 0 sur un ensemble negligeable. Commepour le theoreme de Fubini, l’usage veut qu’on pretende que cette derivee existepartout et qu’on ecrive la formule

F ′(x) =

∫Ω

∂f

∂x(x, ω) dµ(ω) .

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APPLICATIONS DU THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE 225

Preuve. Le fait que les fonctions fx sont integrables implique que la fonction F estbien definie. Pour un a ∈ I fixe il faut montrer l’egalite

limx→a

F (x)− F (a)

x− a[10.11]

= limx→a

∫Ω

f(x, ω)− f(a, ω)

x− adµ(ω) =

∫Ω

f(a, ω) dµ(ω) .

Pour cela on introduit la fonction φ : I \ a × Ω→ C definie par

φ(x, ω) =f(x, ω)− f(a, ω)

x− aet on va montrer qu’elle verifie les hypotheses de [11.23] (avec U remplace par I\aet f remplace par φ).• [11.23.a] Il est evident que les applications φx sont mesurables comme differenceet multiplication par une constante de fonctions mesurables.

• [11.23.b] Pour ω ∈ A on a limx→a φ(x, ω) = f(a, ω) par l’hypothese (b) et la

definition de f . Par [11.27] (ou plutot sa preuve) on en deduit que ω 7→ f(a, ω) estmesurable.• [11.23.c] Pour x ∈ I\a et ω ∈ A on peut invoquer l’hypothese (b) et le theoremedes accroissements finis pour dire qu’il existe ξ entre a et x tel que

φ(x, ω) = (fω)′(ξ)

et donc par hypothese (c) il existe un ensemble mesurable B ⊂ A tel que µ(A\B) =0 et tel que pour tout ω ∈ B on a la majoration

|φ(x, ω)| = |(fω)′(ξ)| ≤ g(ω) .

Mais Bc = Ac ∪ (A \B) et donc B est aussi de complementaire negligeable. Doncpour x ∈ I \ a la fonction φx et µ-presque partout majoree par g.

Ainsi φ verifie les hypotheses de [11.23] et donc on peut conclure que la fonction

ω 7→ f(a, ω) est integrable et qu’on a

limx→a

∫Ω

φ(x, ω) dµ(ω) =

∫Ω

f(a, ω) dµ(ω) .

Si pour ω ∈ A les fonctions (fω)′ : I → C sont continues, alors il suffit de montrer

que f : I × Ω → C verifie les hypotheses de [27.2] pour pouvoir conclure que F ′

est continue. On a montre que les fonctions ω 7→ f(a, ω), a ∈ I sont mesurables ;l’hypothese que pour tout ω ∈ A les fonctions (fω)′ sont continues dit que pour

tout ω ∈ A la fonction fω est continue (ce qui est plus fort que demande [27.3]) ;

et pour ω ∈ A et x ∈ I on a |fx(ω)| = |(fω)′(x)|, donc par l’hypothese (c) on a

|fx|µ-pp

≤ g. CQFD

27.9 Remarque. Dans [27.7], l’intervalle I ⊂ R peut avoir un point de bord(comme dans I = [c, d [ , c ∈ R, d ∈ R, I = ]c, d ], c ∈ R, d ∈ R ou I = [c, d ],c, d ∈ R). Dans ce cas il faut interpreter la derivee au point de bord comme unederivee a droite/gauche. La validite de la preuve n’est pas en question car pourtout a ∈ I le point a est bien un point d’adherence de I \ a (c’est la qu’on utilisele fait que I contient au moins deux points).

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226 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

27.10 Derivabilite sous le signe∫

- version simplifiee pour usage courant.Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit I ⊂ R un intervalle qui contient au moinsdeux points et soit f : I × Ω→ C une fonction verifiant les proprietes suivantes :

(a) pour tout x ∈ I l’application fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est integrable ;(b) pour tout ω ∈ Ω l’application fω : I → C, x 7→ f(x, ω) est derivable (sur

I), c’est-a-dire que la derivee (partielle) ∂f∂x (x, ω) existe pour tout (x, ω) ;

(c) il existe une fonction integrable g : Ω → R+ telle que |∂f∂x (x, ω)| ≤ g(ω)pour tout x ∈ I.

Avec ces hypotheses la fonction F : I → C definie par F (x) =∫

Ωf(x, ω) dµ(ω) est

derivable sur I et

∀x ∈ I : F ′(x) =

∫Ω

∂f

∂x(x, ω) dµ(ω) .

Si pour tout ω ∈ Ω la fonction x 7→ ∂f∂x (x, ω) est continue sur I, alors F ′ est

continue sur I.

27.11 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit I ⊂ R un intervalle etsoit f : I × Ω→ C une fonction verifiant les proprietes suivantes :

(a) pour tout x ∈ I l’application fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est mesurable ;(b) pour tout ω ∈ Ω l’application fω : I → C, x 7→ f(x, ω) est de classe Ck ;(c) il existe des fonctions integrables g0, . . . , gk : Ω → R+ telles qu’on a les

majorations

∀0 ≤ i ≤ k ∀ω ∈ Ω ∀x ∈ I :∣∣∣ ∂if∂xi

(x, ω)∣∣∣ ≡ |(fω)(i)(x)| ≤ gi(ω) .

Sous ces conditions les fonctions ω 7→ ∂if∂xi (x, ω), x ∈ I, 0 ≤ i ≤ k sont integrables,

la fonction F : I → C definie par F (x) =∫

Ωf(x, ω) dµ(ω) est de classe Ck sur I

et la i-eme derivee de F est donnee par

∀x ∈ I : F (i)(x) =

∫Ω

∂if

∂xi(x, ω) dµ(ω) .

Preuve de [27.11]. CQFD

→ 27.12 Derivees partielles sous le signe∫

. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure,

soit U ⊂ Rd un ouvert, soit 1 ≤ i ≤ d un indice et soit f : U ×Ω→ C une fonctionverifiant les proprietes suivantes :

(a) pour tout x ∈ U l’application fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est integrable ;(b) il existe un ensemble mesurable A ⊂ Ω de complementaire negligeable tel

que pour tout ω ∈ A l’application fω : U → C, x 7→ f(x, ω) admet une

derivee partielle ∂fω

∂xi(sur U ) ;

(c) il existe une fonction integrable g : Ω → R+ telle que pour tout x ∈ U et

pour µ-presque tout ω ∈ A on a la majoration |∂fω

∂xi(x)| ≤ g(ω).

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APPLICATIONS DU THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE 227

Avec ces hypotheses on definit la fonction f : I × Ω→ C par

f(x, ω) =∂fω

∂xi(x) si ω ∈ A et f(x, ω) = 0 si ω ∈ Ac .

Sous ces conditions les fonctions ω 7→ f(x, ω), x ∈ U sont integrables, la fonctionF : U → C definie par F (x) =

∫Ωf(x, ω) dµ(ω) admet une derivee partielle ∂F

∂xisur U et

∀x ∈ U :∂F

∂xi(x) =

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω) .

Si pour tout ω ∈ A la fonction ∂fω

∂xi: U → C est continue, alors ∂F

∂xiest continue

sur U .

Preuve de [27.12]. CQFD

27.13 Abus de notation utile. Dans [27.12] on rencontre encore une fois leprobleme deja souleve a l’occasion du theoreme de Fubini [14.2] et le theoreme dederivabilite sous le signe

∫[27.7] : une fonction qui n’est pas definie partout et

qu’on complete par zero sur un ensemble negligeable. Comme dans ces cas cites,ici aussi l’usage veut qu’on pretende que la fonction existe partout et qu’on ecrivele resultat de [27.12] comme

∂F

∂xi(x) ≡ ∂

∂xi

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω) =

∫Ω

∂f

∂xi(x, ω) dµ(ω) .

27.14 Remarque. Si on compare [27.7] avec [27.12], il n’y a pas que la dimensionqui change : dans [27.7] on regarde, en dimension 1, un intervalle I ⊂ R, c’est-a-dire un ensemble connexe mais pas forcement ouvert, tandis que dans [27.12] onregarde, en dimension d ≥ 1, un ouvert qui n’est pas forcement connexe. Il n’estpas difficile de se convaincre qu’en dimension 1 on peut prendre pour I une reunion(disjointe) d’intervalles. Et si ces intervalles sont ouverts on retombe dans le cas de[27.12] avec d = 1. La raison d’exclure les ensembles non-ouverts dans [27.12] pourd > 1 est la meme que le rajout de la condition d’au moins deux points dans I dansl’enonce de [27.7] : il faut eviter qu’on parle d’une derivee si la fonction n’est definiequ’en un seul point. Par exemple si on regarde une fonction f definie sur le disqueferme D = (x, y) ∈ R2 | x2 + y2 ≤ 1 on aura un probleme avec la definition de la

derivee partielle ∂f∂x au point (x, y) = (0, 1), car pour tout h 6= 0 la fonction f n’est

pas definie au point (x+ h, y) = (h, 1). Si on se restreint a des ouverts, on n’a pasce probleme.

→ 27.15 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit U ⊂ Rd un ouvert, soiti1, . . . , ik ∈ 1, . . . , d des indices et soit f : U × Ω → C une fonction verifiant lesproprietes suivantes :

(a) pour tout x ∈ U l’application fx : Ω→ C, ω 7→ f(x, ω) est integrable ;

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228 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

(b) pour tout ω ∈ Ω la fonction

∂kfω

∂xik · · · ∂xi1≡ ∂

∂xik

(· · ·( ∂

∂xi2

( ∂fω∂xi1

))· · ·)

: U → C

existe et est continue, ou fω : U → C est l’application x 7→ f(x, ω) ;(c) il existe des fonctions integrables g0, . . . , gk : Ω → R+ telles qu’on a les

majorations

∀0 ≤ j ≤ k ∀ω ∈ Ω ∀x ∈ U :∣∣∣ ∂jf

∂xij · · · ∂xi1(x, ω)

∣∣∣ ≡ | ∂jfω

∂xij · · · ∂xi1(x)| ≤ gj(ω) .

Sous ces conditions les fonctions fx et ω 7→ ∂kf∂xik ···∂xi1

(x, ω), x ∈ U sont integrables,

la fonction∂jF

∂xik · · · ∂xi1: U → C

existe et est continue, avec F : U → C definie par F (x) =∫

Ωf(x, ω) dµ(ω). En

plus on a l’egalite (pour tout x ∈ U)

∂kF

∂xik · · · ∂xi1(x) ≡ ∂k

∂xik · · · ∂xi1

∫Ω

f(x, ω) dµ(ω) =

∫Ω

∂kf

∂xik · · · ∂xi1(x, ω) dµ(ω) .

Preuve de [27.15]. CQFD

27.16 Nota Bene. Dans les enonces [27.2], [27.5], [27.7], [27.11], [27.12] et [27.15]on a parle de continuite/derivabilite globale (sur tout le domaine de definition) eton a utilise une fonction dominatrice globale, bien que les notions de continuiteet de derivabilite soient locales. Plus precisement, une fonction f est continue surson domaine si (et seulement si) elle est continue en tout point du domaine. Maisune fonction f est continue en un point a si (et seulement si) la limite limx→a f(x)existe et est egale a f(a). Et pour l’existence de la limite limx→a f(x), il suffitde connaıtre la fonction f dans un voisinage (ouvert) de a. Pour la derivabilite la

situation est analogue (et meme legerement plus simple) : une derivee partielle ∂f∂xi

existe sur un domaine si et seulement si ∂f∂xi

(a) existe pour tout a dans le domaine.

Et pour savoir si ∂f∂xi

(a) = limh→0(f(a+ hei)− f(a))/h existe, il suffit de connaıtre

f dans un voisinage (ouvert) du point a.La difference entre un enonce “global” et des proprietes “locales” se manifeste

parfois par le probleme qu’on a du mal a trouver des fonctions dominatrices globales.Dans ces situations un recours possible consiste a recouvrir le domaine par desouverts sur lesquels on peut trouver des fonctions dominatrices. Sur chaque ouverton peut alors appliquer le theoreme, deduire que la fonction est continue/derivablesur l’ouvert en question, et ensuite on utilise le caractere local pour conclure que lafonction est globalement continue/derivable. C’est cette approche qui est utiliseedans [27.17].

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APPLICATIONS DU THEOREME DE CONVERGENCE DOMINEE 229

27.17 Exemple (la transformation de Laplace). Soit h : R+ → C une fonc-tion mesurable et posons

a = infx ∈ R |∫R+

e−xt |h(t)| dλ(t) <∞ .

Le but est de montrer que la fonction F : ]a,∞ [ → C definie par

F (x) =

∫R+

e−xt h(t) dλ(t)

est bien definie et continue (sur ]a,∞ [ ). Cette fonction F est appelee la trans-formee de Laplace de la fonction h.

Il est immediat que si x < y, alors e−yt |h(t)| ≤ e−xt |h(t)| pour tout t ≥ 0. Ils’ensuit qu’on a l’implication

(27.18) x < y =⇒∫R+

e−yt |h(t)| dλ(t) ≤∫R+

e−xt |h(t)| dλ(t) .

Donc, si∫R+

e−at |h(t)| dλ(t) < ∞, alors la fonction g(t) = e−at |h(t)| est une

fonction integrable telle que pour tout x ∈ ]a,∞ [ on a l’inegalite

| e−xt h(t)| ≤ g(t) .

Et alors il est tres elementaire de montrer que la fonction f : ]a,∞ [ ×R+ → Cdefinie par f(x, t) = e−xt h(t) verifie les hypotheses de [27.5] avec X = ]a,∞ [ etΩ = R+. La fonction F est donc continue sur ]a,∞ [ . Le meme argument montre,sans effort supplementaire, que F est bien definie et continue sur l’intervalle ferme[a,∞ [ .

Mais que peut-on faire si∫R+

e−at |h(t)| dλ(t) = ∞ ? Par definition de l’inf,

il existe pour tout x > a un b ∈ [a, x [ tel que∫R+

e−bt |h(t)| dλ(t) < ∞. Avec

(27.18) on en deduit que∫R+

e−bt |h(t)| dλ(t) < ∞ pour tout b > a. Comme ci-

dessus il s’ensuit que la fonction f verifie les hypotheses de [27.5] avec X = ]b,∞ [et Ω = R+ et donc que la fonction F est continue sur l’intervalle ]b,∞ [ pour toutb > a. Mais la famille ]b,∞ [ | b > a est un recouvrement de ]a,∞ [ par desouverts : ∪b>a ]b,∞ [ = ]a,∞ [ . Le caractere local de la continuite permet donc deconclure que F est continue sur ]a,∞ [ car continue sur chacun des ouverts ]b,∞ [de ce recouvrement.

Une analyse un petit peu plus fine conduit au resultat que F est derivable sur]a,∞ [ avec la derivee donnee par

(27.19) F ′(x) = −∫R+

t · e−xt h(t) dλ(t) .

Ici, sans information plus precise sur h, on ne peut plus trouver une fonction do-minatrice globale sur ]a,∞ [ et on est “oblige” d’avoir recours a un recouvrementpar ouverts. Il est facile de montrer que la fonction f verifie les hypotheses (i) et(ii) de [27.7] avec I = ]a,∞ [ et Ω = R+. Par contre, il n’est pas evident qu’on

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230 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

puisse trouver une fonction integrable g telle que |∂f∂x (x, t)| ≡ t e−tx |h(t)| ≤ g(t)pour tout x ∈ ]a,∞ [ . La remarque suivante, dont la preuve est laissee au lecteur,nous permet de contourner le probleme :

(27.20) ∀ε > 0 ∀t ≥ 0 : t ≤ 1ε · e

εt .

On choisit maintenant b > a et on pose ε = 12 (b− a) > 0 (au cas a = −∞ on pose

ε = 1) et on definit la fonction g comme

g(t) = 1ε e−(b−ε)t |h(t)| .

Parce que b−ε > a cette fonction g est integrable et par (27.20) on a la majoration

∀x > b ∀t ≥ 0 : |t e−xt h(t)| ≤ |t e−bt h(t)| ≤ g(t) .

Il s’ensuit que la fonction f verifie les hypotheses de [27.7] avec I = ]b,∞ [ etΩ = R+ et donc que F est derivable sur ]b,∞ [ avec sa derivee donnee par (27.19).La fonction F etant derivable sur tout ]b,∞ [ avec b > a, elle est derivable sur]a,∞ [ = ∪

b>a]b,∞ [ ; sa derivee est toujours donnee par (27.19).

→ 27.21 Exercice. Etudier la continuite et la derivabilite de la transformee deLaplace au point a du bord de son domaine de definition pour les fonctions h(t) =t sin(t) et h(t) = (1 + t)−2. Dans le cas de la premiere fonction, calculer explicite-ment cette transformee de Laplace.

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231

28. Une application du theoreme de changement de variables

28.1 Le probleme a resoudre. Soit D ⊂ Rd un borelien, soit µ une mesure surl’espace mesurable (D,B(D)) et soit Φ : D → Rq une application mesurable. Leprobleme qu’on veut regarder est le suivant :

comment calculer la mesure image ν = µ Φ−1 sur Rq.

Pose comme cela, il n’y a pas une procedure bien precise qui donne la reponse danstous les cas. Dans ce chapitre on va imposer des conditions supplementaires quinous permettent d’appliquer le theoreme de changement de variables.

Deux conditions sautent aux yeux quand on pense au theoreme de changementde variables : la mesure µ devrait etre une mesure a densite par rapport a la mesurede Lebesgue λd sur Rd, sinon on n’aura nulle part la mesure de Lebesgue (d’unefacon naturelle) qui figure dans le theoreme de changement de variables ; et lesdimensions au depart et a l’arrivee devraient etre egales (d = q), sinon il n’y aurapas d’espoir d’avoir un diffeomorphisme (local). Mais ces deux conditions seules nesuffisent pas pour pouvoir appliquer le theoreme de changement de variables, carpour cela il nous faut de vrais diffeomorphismes.

28.2 Theoreme. Soit D ⊂ Rd un borelien, soit µ une mesure sur (D,B(D)) quiest a densite g par rapport a la mesure de Lebesgue λd sur D et soit Φ : D → Rd

une application mesurable. Soit I un ensemble denombrable (fini ou infini) et soit

D = A0 ∪⋃i∈IAi

une partition de D en parties mesurables verifiant les hypotheses suivantes.

(a) L’ensemble A0 est un borelien de µ-mesure nulle : µ(A0) = 0.(b) Pour chaque i ∈ I, l’ensemble Ai et son image Bi = Φ(Ai) sont des ouverts

(de Rd) et Φ : Ai → Bi est un C1-diffeomorphisme.

Alors la mesure image ν = µ Φ−1 est une mesure a densite h par rapport a lamesure de Lebesgue sur Rd ou la fonction h est donnee par

h(y) =∑i∈I

g(Φ−1i (y)) · |Jac(Φ−1

i )(y)| · 1Bi(y)

=∑i∈I

g(Φ−1i (y))

|Jac(Φ)(Φ−1i (y))|

· 1Bi(y) ,

ou Φi : Ai → Bi designe la restriction de Φ a Ai (et donc Φ−1i : Bi → Ai).

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232 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

28.3 Remarques. • Quand on parle de la fonction h (de densite par rapport ala mesure de Lebesgue), c’est un abus de language, car on sait que la fonction dedensite n’est pas determinee d’une facon unique par la mesure [20.12]. On auraitdonc du dire qu’une fonction de densite h est donnee par la formule.• Dans la formule pour la fonction h il est clair que la partie g(Φ−1

i (y)) ·|Jac(Φ−1

i )(y)| n’a de sens que si y appartient a Bi. Officiellement on ne peut doncpas l’appliquer a un y ∈ Rd arbitraire. Mais on multiplie ce facteur par 1Bi(y).L’usage veut que non seulement le produit de l’infini et zero donne zero, mais aussique le produit de quelque chose qui n’est pas defini et zero donne zero. Il faut donclire

g(Φ−1i (y)) · |Jac(Φ−1

i )(y)| · 1Bi(y)def=

g(Φ−1

i (y)) · |Jac(Φ−1i )(y)| y ∈ Bi

0 y /∈ Bi .

• Le choix pour l’utilisation de la formule avec Jac(Φ−1i ) ou avec Jac(Φ) dependra

de la “difficulte” du calcul de ce Jacobien. Pour certaines fonctions il est plus facilede calculer Jac(Φ) tandis que pour d’autres le calcul de Jac(Φ−1

i ) est plus facile.

Preuve. Pour C ∈ B(Rd) on calcule

(µ Φ−1)(C) =

∫D

1Φ−1(C) dµ =

∫A0∪ ∪

i∈IAi

1Φ−1(C) dµ

A0 et Ai disj., I den.=

∫A0

1Φ−1(C) dµ+∑i∈I

∫Ai

1Φ−1(C) dµ

µ(A0)=0=

∑i∈I

∫Ai

(1C Φi) · g dλ

[24.5]=

∑i∈I

∫Bi

1C · (g Φ−1i ) · |Jac(Φ−1

i )| dλ

=∑i∈I

∫C

1Bi · (g Φ−1i ) · |Jac(Φ−1

i )| dλ

[9.13]=

∫C

∑i∈I

1Bi · (g Φ−1i ) · |Jac(Φ−1

i )| dλ =

∫C

h dλ .

La mesure µ Φ−1 et la mesure a densite h par rapport la mesure de Lebesguecoıncident sur tous les boreliens, elles sont donc egales. CQFD

28.4 Exemple (le carre dans R). Soit λ la mesure de Lebesgue sur R et soitΦ : R→ R l’application Φ(x) = x2. Dans [22.7] on a deja calcule la mesure imageλ Φ−1 comme etant la mesure a densite h par rapport a la mesure de Lebesgueavec h donnee par

h(y) = 1 ]0,∞ [ (y) · 1√y,

mais reprenons-le ici en appliquant [28.2] (avec la fonction g constante egale a 1).

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UNE APPLICATION DU THEOREME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 233

On pose A0 = 0, A1 = ]0,∞ [ et A2 = ]−∞, 0[ . Ainsi B1 = B2 = ]0,∞ [ et Φetablit bien un C1-diffeomorphisme entre Ai et Bi (et µ(A0) = 0). Les applicationsreciproques Φ−1

1 : B1 → A1 et Φ−12 : B1 → A2 sont donnees par Φ−1

1 (y) =√y et

Φ−12 (y) = −√y. De plus, le Jacobien de Φ (ici simplement sa derivee) est donnee

par Jac(Φ)(x) = Φ′(x) = 2x. La mesure image est donc a densite h donnee par

h(y) =

2∑i=1

1

|2Φ−1i (y)|

· 1 ]0,∞ [ (y) =

0 si y ∈ ] −∞, 0 ],

1√y

si y ∈ ]0,∞ [ .

On retrouve donc bien le resultat anterieur.

28.5 Exemple (la valeur absolue). Soit µ la mesure a densite g sur R et soitΦ : R → R l’application f(x) = |x|. On pose, comme dans [28.4], A0 = 0,A1 = ]0,∞ [ et A2 = ] − ∞, 0[ . Ainsi B1 = B2 = ]0,∞ [ et Φ etablit bien unC1-diffeomorphisme entre Ai et Bi (et µ(A0) = 0). Les applications reciproquessont donnees par Φ−1

1 (y) = y et Φ−12 (y) = −y et leur Jacobien en valeur absolue

est donne par |Jac(Φ−1i )(y)| = |(Φ−1

i )′(y)| = 1. On obtient donc la densite h de lamesure image comme la fonction

h(y) =

2∑i=1

g(Φ−1i (y)) · 1 · 1 ]0,∞ [ (y) =

(g(y) + g(−y)

)· 1 ]0,∞ [ (y) .

28.6 Exemple (la racine carree). Soit µ la mesure a densite g sur R et soitΦ : R+ → R l’application Φ(x) =

√x. Pour calculer la mesure image de la

restriction de µ a [0,∞ [ , on pose A0 = 0 et A1 = ]0,∞ [ . Ainsi B1 = ]0,∞ [ etΦ etablit bien un diffeomorphisme entre les ouverts A1 et B1 (et µ(A0) = 0).

L’application Φ1 est la racine carree et donc Φ−11 (y) = y2. De plus, le Jacobien

de Φ−11 est donne par Jac(Φ−1

1 )(y) = (Φ−11 )′(y) = 2y. La mesure image ν est donc

a densite h definie par

h(y) = g(y2) · 2y · 1 ]0,∞ [ (y) .

28.7 Exemple (coordonnees polaires → cartesiennes). Soit µ la mesurea densite g sur R2 et soit Φ : [0, 1 ] × [0, 2π ] → R2 l’application Φ(r, θ) =(r cos θ, r sin θ). Pour calculer la mesure image de la restriction de µ a [0, 1 ] ×[0, 2π ] on pose A1 = ]0, 1[ × ]0, 2π [ et A0 = [0, 1 ] × [0, 2π ] \ A1. Vu que A0

a une mesure de Lebesgue nulle, on a automatiquement µ(A0) = 0. On calculel’image B1 = Φ(A1) comme

B1 = (x, y) ∈ R2 | 0 < x2 + y2 < 1 et (y = 0⇒ x < 0) .

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234 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

L’application Φ1 etablit bien un diffeomorphisme entre les ouverts A1 et B1 avec

(28.8) Φ−11 (x, y) = (

√x2 + y2 , π + 2 arctan

( y

x−√x2 + y2

)) ,

ce qui est une application bien definie car x −√x2 + y2 ne s’annule pas sur B1.

On calcule aisement que Jac(Φ)(r, θ) = r. La mesure image ν est donc a densite hdefinie par

h(x, y) =g(Φ−1

1 (x, y))√x2 + y2

· 1B1(x, y) .

28.9 Remarque. L’application Φ−11 dans l’exemple ci-dessus est le passage en

coordonnees polaires. Le calcul du rayon ne pose pas de probleme, mais le calcul del’angle est nettement plus delicat. Evidemment si (x, y) = (r cos θ, r sin θ) on doitavoir tan θ = y/x. Mais de la on ne peut pas conclure qu’on a θ = arctan(y/x). Laraison est simple : le domaine de definition de θ est un intervalle I de longueur 2π(lequel depend des choix qu’on fait) et l’image de l’application arctan est l’intervalle] − π

2 ,π2 [ de longueur π.

L’idee est de se placer au milieu θm de l’intervalle I. Ainsi l’angle 12 (θ − θm)

appartient a l’intervalle ] − π2 ,

π2 [ . A l’aide de la formule de doublement

tan(2z) =2 tan(z)

1− tan(z)2

on exprime tan( 12 (θ− θm)) en fonction de tan(θ− θm), ce qui s’exprime en general

facilement en termes des coordonnees (x, y). Le seul probleme est que la solutionde tan( 1

2 (θ − θm)) en fonction de tan(θ − θm) est une solution d’une equation dedegre deux. Il y a donc deux solutions possibles. Il faut en choisir la bonne! Celase fait par le choix explicite pour θm et un argument de continuite pour le reste.

28.10 Exemple (coordonnees cartesiennes → polaires). Dans cet exempleon regarde le passage en coordonnees polaires, c’est-a-dire l’exemple [28.7] avecl’application dans l’autre sens. On suppose donc que µ est une mesure a densite gsur R2 et on considere l’application Ψ : R2 → R2 definie par

Ψ(x, y) =

(x, 0) si (x, y) ∈ A′0 = (x, 0) ∈ R2 | x ≥ 0Φ−1

1 (x, y) si (x, y) ∈ A′1 = R2 \A′0ou Φ−1

1 est l’application donnee dans (28.8). Par [7.9] ce Ψ est bien mesurable.

Etant donne que l’ensemble A′0 = (x, 0) | x ≥ 0 a une mesure de Lebesgue nulle,on a µ(A′0) = 0. En plus, Ψ etablit un C1-diffeomorphisme entre A′1 et B′1 ⊂ R2

donne parB′1 = (r, θ) ∈ R2 | r > 0 et 0 < θ < 2π

avec Ψ−11 (r, θ) = (r cos θ, r sin θ). On a deja calcule le Jacobien de Ψ−1

1 commeJac(Ψ−1

1 )(r, θ) = r ; on trouve donc pour la mesure image une densite h (parrapport a la mesure de Lebesgue) donnee par

h(r, θ) = g(r cos θ, r sin θ) · r · 1B′1(r, θ) .

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UNE APPLICATION DU THEOREME DE CHANGEMENT DE VARIABLES 235

28.11 Exemple (le carre dans C). Soit µ la mesure a densite g sur R2 et soitΦ : R2 → R2 l’application Φ(x, y) = (x2 − y2, 2xy). (On reconnaıt l’application(x + iy) 7→ (x + iy)2 = (x2 − y2) + i(2xy) .) On pose A0 = (x, y) | x = 0,A1 = (x, y) | x > 0 et A2 = (x, y) | x < 0. Ainsi on a bien µ(A0) = 0.Les images Bi = Φ(Ai) sont donnees par B1 = B2 = R2 \ (u, 0) | u ≤ 0 et lesapplications reciproques sont donnees par

Φ−11 (u, v) =

1√2

( √u+

√u2 + v2 ,

v√u+√u2 + v2

)

Φ−12 (u, v) = − 1√

2

( √u+

√u2 + v2 ,

v√u+√u2 + v2

).

Le Jacobien est donnee par la formule Jac(Φ)(x, y) = 4(x2 +y2), ce qui donne pourla densite h de la mesure image la formule

h(u, v) =2∑i=1

g(Φ−1i (u, v))

4√u2 + v2

· 1Bi(u, v) =g(Φ−1

1 (u, v)) + g(Φ−12 (u, v))

4√u2 + v2

· 1B1(u, v) .

28.12 Exemple (l’exponentielle dans C). Soit µ la mesure a densite g surR2 et soit Φ : R2 → R2 l’application Φ(x, y) = (ex cos y, ex sin y). (On reconnaıtl’application z 7→ ez de C dans C.) Notons tout de suite que l’image Φ(R2) est leplan R2 prive de l’origine. On definit les ouverts Ak pour k ∈ Z par

Ak = (x, y) | 2kπ − π < y < 2kπ + π

et l’ensemble A0 comme le reste :

A0 = (x, y) | ∃k ∈ Z : y = 2kπ + π .

(Nota Bene : il y a un abus de notation car l’indice 0 apparaıt aussi dans la suitedes Ak. Que le lecteur pardonne cet abus.) Pour les images Bk = Φ(Ak) ontrouve Bk = R2 \ (u, 0) | u ≤ 0 independant de k ∈ Z. L’application reciproqueΦ−1k : Bk → Ak est donnee par la formule

Φ−1k (u, v) = (1

2 ln(u2 + v2) , 2kπ + 2 arctan( v

u+√u2 + v2

)) ,

ce qui est bien defini car u +√u2 + v2 ne s’annule pas sur Bk. Le Jacobien est

donne par Jac(Φ)(x, y) = e2x, ce qui donne pour la densite h de la mesure imagela formule

h(u, v) =∑k∈Z

g(Φ−1k (u, v))

u2 + v2· 1B1

(u, v) .

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236 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

28.13 Discussion. Dans les exemples [28.6] et [28.7] on avait une application Φqui n’etait pas definie sur tout l’espace Rd et on a du restreindre la mesure µ sur Rd

au domaine D de definition de Φ. En procedant ainsi on perd donc l’informationde la mesure sur le complementaire du domaine de definition. Une autre approchepourrait etre de prolonger l’application en une application sur tout Rd. Mais enprocedant ainsi la mesure image ν va dependre de la facon dont on a prolongel’application. Il est assez facile de voir que ces deux procedures coıncident si laµ-mesure du complementaire de D est nulle : on ne perd pas d’information surla mesure µ en prenant la restriction a D et la mesure image ne depend pas dela facon dont on prolonge l’application et les deux procedures donnent la mememesure image. [28.14] est la formulation officielle de ce resultat.

→ 28.14 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit D ⊂ Ω un ensemblemesurable, soit (X,G) un espace mesurable, soit Φ : D → X une applicationmesurable et soit Ψ : Ω → X une application mesurable telle que Ψ|D = Φ. Alorson a l’egalite entre mesures sur X

(28.15) (µ|FD ) Φ−1 = µ Ψ−1

si et seulement si on a µ(Ω\D) = 0, ou a gauche dans (28.15) on regarde la mesureimage de l’application Φ sur l’espace mesure (D,FD, µ|FD ).

Preuve de [28.14]. CQFD

→ 28.16 Exercice. Verifier les formules pour les applications reciproques, les Jaco-biens et la densite h donnes dans les exemples [28.7], [28.11] et [28.12].

→ 28.17 Exercice. Dans l’exemple [28.11] on peut aussi poser A0 = (x, y) | y = 0,A1 = (x, y) | y > 0 et A2 = (x, y) | y < 0. Verifier qu’avec ces definitions Φetablit toujours un C1-diffeomorphisme entre Ai et Bi (a determiner) et calculerles applications reciproques Φ−1

1 et Φ−12 dans cette situation.

→ 28.18 Exercice. Dans l’exemple [28.12] on peut aussi poser Ak = (x, y) | 2kπ <y < 2kπ+2π avec l’ensemble A0 comme le reste : A0 = (x, y) | ∃k ∈ Z : y = 2kπ.Verifier que Φ etablit un C1-diffeomorphisme entre Ak et Bk (a determiner) etcalculer Φ−1

k .

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237

Partie V : Un peu d’analyse fonctionnelle

29. Les espaces Lp

29.1 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit K = R+, R, ou C.L’ensemble de toutes les fonctions mesurables a valeurs dans K sur Ω est noteMK(Ω) (ou MK(Ω,F) s’il y a possibilite de confusion sur la tribu concernee) :

MK(Ω) = f : Ω→ K | f mesurable .

Pour tout 1 ≤ p <∞ on definit une application ‖ · ‖p :MK(Ω)→ R+ par

‖f‖p =( ∫

Ω

|f |p dµ)1/p

≡ p

√∫Ω

|f |p dµ ,

et on definit, pour K = R ou C, les sous-ensembles LpK(Ω, µ) ⊂ MK(Ω) commel’ensemble de toutes les fonctions mesurables f : Ω→ K pour lesquelles

∫Ω|f |p dµ

est finie :LpK(Ω, µ) =

f ∈MK(Ω) | ‖f‖p <∞

.

Ainsi l’espace L1K(Ω, µ) est l’espace des fonctions µ-integrables.

29.2 Definition. Soit I ⊂ R un intervalle et soit f : I → R une fonction. On ditque f est convexe si pour tout couple de points a, b ∈ I la corde reliant les points(a, f(a)) et (b, f(b)) est au-dessus du graphe de f . Autrement dit :

∀a, b ∈ I ∀α ∈ [0, 1 ] : f(αa+ (1− α)b) ≤ αf(a) + (1− α)f(b) .

On dit que f est concave si cette corde est en-dessous du graphe de f :

∀a, b ∈ I ∀α ∈ [0, 1 ] : f(αa+ (1− α)b) ≥ αf(a) + (1− α)f(b) .

convexe

x →

y

↑concave

x →

y

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238 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

La fonction ln : ]0,∞ [ → R est concave ; la fonction f : ]0,∞ [ → R definie parf(x) = xp est concave pour 0 < p < 1 et convexe pour 1 < p <∞.

29.3 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p <∞ et soit K = R ouC. Alors LpK(Ω, µ) est un espace vectoriel sur K.

Preuve. La convexite de la fonction x 7→ xp appliquee au couple de points a, b ≥ 0et α = 1

2 nous donne l’inegalite(12 a+ 1

2 b)p ≤ 1

2 ap + 1

2 bp .

On en deduit (en utilisant aussi la croissance de la fonction x 7→ xp) que pour deuxfonctions f, g : Ω→ K et ω ∈ Ω on a les inegalites

(29.4) |f(ω) + g(ω)|p ≤(|f(ω)|+ |g(ω)|

)p ≤ 2p−1 ·(|f(ω)|p + |g(ω)|p

).

Il s’ensuit que si f et g appartiennent a LpK(Ω, µ), alors f + g y appartient aussi.Vu l’egalite

∫Ω|α · f |p dµ = |α|p ·

∫Ω|f | dµ (valabale pour tout α ∈ K), l’espace

LpK(Ω, µ) est aussi stable par multiplication par elements de K. C’est donc unespace vectoriel sur K. CQFD

29.5 Lemme. Si p, q ∈ ]1,∞[ sont tels que 1p + 1

q = 1, alors

(29.6) ∀x, y ∈ R+ : x y ≤ 1p x

p + 1q y

q .

Preuve. Si x = 0 ou y = 0, alors (29.6) est automatiquement vraie car le membrede gauche est 0. Si x = ∞ ou y = ∞ (et l’autre strictement positif), alors (29.6)est aussi automatiquement vraie car le membre de droite est ∞. Reste le casx, y ∈ ]0,∞ [ . La fonction ln etant concave, on a pour tout a, b ∈ ]0,∞ [ l’inegalite

ln(

1pa+ 1

q b)≥ 1

p ln(a) + 1q ln(b) ,

car 1q = 1− 1

p . On peut donc faire le calcul

ln(xy) = ln((xp)1/p(yq)1/q

)= 1

p ln(xp) + 1q ln(yq) ≤ ln

(1px

p + 1q yq).

En utilisant que la fonction x 7→ ex est croissante, on obtient le resultat annonce.CQFD

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LES ESPACES LP 239

29.7 L’inegalite de Holder. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit p, q ∈ ]1,∞[tels que 1

p + 1q = 1 et soit f, g : Ω→ R+ deux fonctions mesurables positives. Alors

on a l’inegalite

(29.8) ‖f g‖1 ≤ ‖f‖p ‖g‖q .

Preuve. Notons d’abord qu’on a pour toute fonction mesurable positive h et tout1 ≤ r < ∞ la relation ( ‖h‖r )r =

∫Ωh dµ, ce qui implique en particulier que

‖h‖r = 0 si et seulement si∫

Ωh dµ = 0.

Si ‖f‖p = 0, alors par ce qui precede et [9.15.ii] fµ-pp= 0, donc f g

µ-pp= 0, donc de

nouveau par [9.15.ii] ‖f g‖1 ≡∫

Ωf g dµ = 0 et l’inegalite (29.8) est vraie. Le meme

argument s’applique si ‖g‖q = 0. Si ‖f‖p > 0 et ‖g‖q = ∞, alors ‖f‖p · ‖g‖q = ∞et (29.8) est automatiquement vraie. Le meme argument s’appliquant evidemmentau cas ‖f‖p = ∞ et ‖g‖q > 0, on a montre le resultat pour les cas ‖f‖p = 0 ou‖g‖q = 0 ou ‖f‖p =∞ ou ‖g‖q =∞. Il nous reste donc a montrer le resultat dansle cas ‖f‖p, ‖g‖q ∈ ]0,∞ [ .

Pour le faire, soit ω ∈ Ω. Si on applique [29.5] aux nombres f(ω)/‖f‖p etg(ω)/‖g‖q, on obtient

f(ω) g(ω)

‖f‖p · ‖g‖q≤ 1

p

(f(ω)

‖f‖p

)p+

1

q

(g(ω)

‖g‖q

)q.

en prenant l’integrale on obtient donc

1

‖f‖p · ‖g‖q

∫Ω

f g dµ ≤ 1

p( ‖f‖p)p

∫Ω

fp dµ+1

q( ‖g‖q)q

∫Ω

gq dµ =1

p+

1

q= 1 .

En multipliant ceci avec ‖f‖p · ‖g‖q on obtient le resultat. CQFD

→ 29.9 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit p, q, r ∈ ]0,∞[ tels que1p + 1

q = 1r et soit f, g : Ω → R+ deux fonctions mesurables positives. Montrer

qu’on a l’inegalite

‖f g‖r ≤ ‖f‖p ‖g‖q .

29.10 L’inegalite de Minkowski. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit p ∈[1,∞[ et soit f, g : Ω → R+ deux fonctions mesurables positives. Alors on al’inegalite

(29.11) ‖f + g‖p ≤ ‖f‖p + ‖g‖p .

Preuve. Pour p = 1 on obtient (29.11) en integrant sur Ω l’inegalite triangulaire|f(ω) + g(ω)| ≤ |f(ω)|+ |g(ω)| et en appliquant [9.12].

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240 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Pour p > 1, soit q ∈ ]1,∞ [ tel que 1p + 1

q = 1. L’inegalite de Holder [29.7] nous

donne les inegalites

∫Ω

f (f + g)p/q dµ ≤ ‖f‖p( ∫

Ω

(f + g)p dµ)1/q

∫Ω

g (f + g)p/q dµ ≤ ‖g‖p( ∫

Ω

(f + g)p dµ)1/q

.

L’addition de ces deux inegalites plus l’egalite 1 + p/q = p nous donne l’inegalite

(29.12)

∫Ω

(f + g)p dµ ≤(‖f‖p + ‖g‖p

) ( ∫Ω

(f + g)p dµ)1/q

.

Si 0 <∫

Ω(f + g)p dµ < ∞ on peut diviser cette inegalite par

( ∫Ω

(f + g)p dµ)1/q

pour obtenir l’inegalite (29.11).

Si∫

Ω(f + g)p dµ = 0, alors (29.11) est automatiquement vraie. Pour le dernier

cas∫

Ω(f + g)p dµ = ∞ notons que l’inegalite (29.4) nous donne apres integration

l’inegalite ∫Ω

(f + g)p dµ ≤ 2p−1 ·∫

Ω

fp dµ+ 2p−1 ·∫

Ω

gp dµ ,

ce qui montre que si∫

Ω(f+g)p dµ =∞, alors forcement

∫Ωfp dµ ou

∫Ωgp dµ vaut

∞. Et donc (29.11) est vraie aussi dans le dernier cas. CQFD

29.13 Definitions. Soit E un espace vectoriel sur K avec K = R ou C. Uneapplication N : E → R+ est appelee une semi-norme si elle verifie les conditions

(i) ∀e ∈ E ∀α ∈ K : N(α · e) = |α| N(e),(ii) ∀e, f ∈ E : N(e+ f) ≤ N(e) +N(f).

La difference avec une norme est qu’on autorise la valeur ∞ et qu’on n’exige pasque N(e) = 0 implique e = 0. Un K-espace vectoriel muni d’une semi-norme estappele un espace semi-norme.

→ 29.14 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p < ∞ et soit K = Rou C. Alors l’application ‖ · ‖p :MK(Ω)→ R+ definie comme

‖f‖p =( ∫

Ω

|f |p dµ)1/p

est une semi-norme.

Preuve de [29.14]. La propriete (i) d’une semi-norme est une consequence immedi-ate de [9.16] ou [10.11]. La propriete (ii) n’est rien d’autre que l’inegalite de Minkow-ski [29.10]. CQFD

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LES ESPACES LP 241

29.15 Discussion. Si (Ω,P(Ω), CΩ) est l’espace mesure fini Ω = 1, . . . , n munide la mesure de comptage, alors il n’est pas difficile de voir que l’application qui af : Ω → K (avec K = R ou C) fait correspondre le point

(f(1), . . . , f(n)

)∈ Kn

est un isomorphisme entre l’espace vectoriel de toutes les fonctions sur Ω et Kn.Etant donne qu’on a pris la tribu totale, toutes les fonctions sont mesurables et par[16.4] on a l’egalite ∫

Ω

f dCΩ =

n∑i=1

f(i) .

Il s’ensuit que toutes les fonctions appartiennent a tous les ensembles LpK(Ω, CΩ),1 ≤ p <∞ et qu’on a l’egalite

‖f‖p =( n∑i=1

|f(i)|p)1/p

≡ p

√√√√ n∑i=1

|f(i)|p .

Si on prend maintenant la limite p→∞, un petit calcul montre qu’on a

limp→∞

‖f‖p = max(|f(1)|, . . . , |f(n)|

).

Il est connu que dans ce cas les semi-normes ‖ · ‖p sont des vraies normes et quela limite p → ∞ est aussi une norme (voir aussi [29.32]). Il est donc naturel dese poser la question si un meme phenomene est vrai dans le cas general et si oui,quelle formule on obtient. On peut faire d’emblee deux remarques. D’abord, pourune fonction la notion de maximum n’existe pas en general, on devrait le remplacerpar le sup. Et ensuite que si on change une fonction sur un ensemble negligeable,la valeur de la semi-norme ‖ · ‖p ne change pas. La formule pour la limite devraitdonc elle aussi etre “invariante” sous changement sur un ensemble negligeable.

29.16 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Pour une fonction f (sur Ω,a valeurs dans R+, R ou C) on definit la norme sup de f , notee ‖f‖sup et aussiappelee la norme de la convergence uniforme de f par :

‖f‖sup = supω∈Ω|f(ω)| ≡ sup

|f(ω)| | ω ∈ Ω

.

Avec l’interpretation qu’une inegalite comme f ≤ c veut dire que c’est valable pourtout ω ∈ Ω et la definition du sup comme le plus petit majorant, on peut reecrirela definition de la norme sup comme

‖f‖sup = minx ∈ R+ | |f | ≤ x .

Pour introduire l’aspect “presque partout” on definit la norme superieure essentiellede f , notee ‖f‖∞ et aussi appele le supremum essentiel de f par

‖f‖∞ = minx ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x .

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242 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

On definit, pour K = R ou C, l’ensemble L∞K (Ω, µ) comme l’ensemble des fonctionsmesurables sur Ω pour lesquelles la norme superieure essentielle est finie :

L∞K (Ω, µ) = f ∈MK(Ω) | ‖f‖∞ <∞ .

L’existence de la norme sup de f est garantie par le fait que R est complet (on pour-rait presque dire que la droite reelle est inventee pour que le sup existe toujours).Par contre, l’existence de la norme superieure essentielle de f n’est pas evidente etnecessite une preuve. Dans [29.17.i] on montre que le plus petit majorant presquepartout existe, donc que le supremum essentiel existe bien. Le fait que c’est unesemi-norme sera montre dans [29.23].

29.17 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f une fonction (sur Ω, avaleurs dans R+, R ou C).

(i) Il existe N ∈ R+ tel qu’on a l’egalite

x ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x = [N,∞ ] .

(ii) Si f est mesurable, alors la fonction Nf : R+ → R+ definie par

Nf (x) = µ(ω ∈ Ω | |f(ω)| > x

)est une fonction decroissante continue a droite avec Nf (∞) = 0. En pluson a l’egalite

x ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x = x ∈ R | Nf (x) = 0 .

Preuve. • (i) : Remarquons d’abord que l’ensemble x ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x n’est pasvide car il contient toujours ∞. Ensuite il est immediat qu’on a l’implication

(29.18)y ∈ x ∈ R+ | |f |

µ-pp

≤ x

y < z

=⇒ z ∈ x ∈ R+ | |f |

µ-pp

≤ x ,

simplement parce qu’on a l’implication

fµ-pp

≤ y et y < z =⇒ fµ-pp

≤ z .

Maintenant on pose

N = infx ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x .

Par definition on a 0 ≤ N ≤ ∞ et par definition de l’inf on a

∀n ∈ N∗ ∃xn ∈ x ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x : N ≤ xn < N + 1n .

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LES ESPACES LP 243

Par (29.18) on en deduit qu’on a ∀n ∈ N∗ : N + 1n ∈ x ∈ R+ | |f |

µ-pp

≤ x . Pardefinition du µ-presque partout, l’ensemble An defini comme

An = ω ∈ Ω | |f(ω)| ≤ N + 1n

est de complementaire negligeable. Par [4.24] l’ensemble A = ∩n∈N∗

An est aussi decomplementaire negligeable. Mais l’equivalence

|f(ω)| ≤ N ⇐⇒ ∀n ∈ N∗ : |f(ω)| ≤ N + 1n

veut dire qu’on a l’egalite

A ≡⋂

n∈N∗An = ω ∈ Ω | |f(ω)| ≤ N .

On vient donc de montrer |f |µ-pp

≤ N , c’est-a-dire N ∈ x ∈ R+ | |f |µ-pp

≤ x . Avec(29.18) et le fait que N est l’inf on a donc montre ce qu’il fallait.

• (ii) : La decroissance de Nf est une consequence immediate de la croissanced’une mesure [4.10.ii], de l’implication

y > x =⇒ ω ∈ Ω | |f(ω)| > y ⊂ ω ∈ Ω | |f(ω)| > x

et du fait que ces ensembles sont mesurables [8.14.iii]. Il s’ensuit que la suite(An)n∈N∗ definie comme

An = ω ∈ Ω | |f(ω)| > x+ 1n

est une suite croissante d’ensembles mesurables. Il est facile de montrer l’egalite⋃n∈N∗

An = ω ∈ Ω | |f(ω)| > x

et donc par continuite croissante d’une mesure [4.10.iii] on a

(29.19) limn→∞

Nf (x+ 1n ) = Nf (x) ,

valable pour tout x ∈ R+. Vu que la fonction Nf est decroissante, on sait que leslimites a droite existent [18.6] et donc (29.19) nous montre que Nf est continue adroite en chaque point x ∈ R+ (la continuite a droite au point x = ∞ n’a pas desens).

L’egalite ω ∈ Ω | |f(ω)| >∞ = ∅ montre directement qu’on a Nf (∞) = 0 etl’equivalence (qui a un sens car ω ∈ Ω | |f(ω)| > x est mesurable)

|f |µ-pp

≤ x ⇐⇒ µ(ω ∈ Ω | |f(ω)| > x ) = 0

montre la derniere egalite. CQFD

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244 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

29.20 Remarque pour les curieux concernant la preuve de [29.17]. Si µ estune mesure sur l’espace mesurable (Ω,F) et si f est une fonction mesurable, alorsν = µ ( |f | )−1 est la mesure image sur R+. Suivant l’idee de [18.16] on associea cette mesure ν sur R+ une fonction croissante continue a droite F : R+ → R+

definie parF (x) = ν( ]0, x ]) .

Dans [18.16] cette construction a ete faite dans le contexte de mesures de Stieltjesavec la condition supplementaire que ν( ]a, b ]) <∞ pour tout a, b ∈ R et la fonctionetait definie sur R. Mais c’est l’idee qui compte et la croissance et la continuite adroite restent valables. A l’aide de notre fonction F on peut reecrire la definition[29.17] de la fonction Nf (qui est decroissante et continue a droite) comme

Nf (x) = ν( ]x,∞ ])

et on a l’egalite

Nf + F = ν( ]0,∞ ]) = µ(ω ∈ Ω | |f(ω)| > 0) .

Mais attention, en general on ne peut pas l’ecrire comme Nf = ν( ]0,∞ ])− F , caron risque de tomber dans la situation de ∞−∞.

→ 29.21 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit K = R ou C, soit f :Ω→ K une fonction et soit M ∈ R+.

(i) On a l’equivalence ‖f‖∞ ≤M ⇐⇒ |f |µ-pp

≤ M .

(ii) Si f est mesurable on a aussi l’equivalence

0 ≤M < ‖f‖∞ ⇐⇒ µ(ω ∈ Ω | |f(ω)| > M) > 0 .

Preuve de [29.21]. CQFD

→ 29.22 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f une fonction mesurable(sur Ω a valeurs dans R+, R ou C). Montrer que ‖f‖∞ est donnee par les formules

‖f‖∞ = sup x ∈ R+ | µ(ω ∈ Ω | |f(ω)| ≥ x

)> 0 si µ(Ω) > 0

= inf supω∈A|f(ω)| | µ(Ac) = 0 .

→ 29.23 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit K = R ou C. Alorsl’application ‖ · ‖∞ :MK(Ω)→ R+ est une semi-norme et (donc) L∞K (Ω, µ) est unK-espace vectoriel.

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LES ESPACES LP 245

Preuve de [29.23]. Soit a ∈ K et soit f, g : Ω → K deux applications mesurables.Pour a 6= 0 on a l’equivalence

|f |µ-pp

≤ c ⇐⇒ |a · f |µ-pp

≤ |a| · c .

Avec un argument a part pour a = 0 on en deduit l’egalite ‖a · f‖∞ = |a| ‖f‖∞.Le calcul

|f + g| ≤ |f |+ |g|µ-pp

≤ ‖f‖∞ + ‖g‖∞

montre qu’on a l’inegalite ‖f + g‖∞ ≤ ‖f‖∞ + ‖g‖∞. Ces proprietes impliquentpresque immediatement que L∞K (Ω, µ) est un sous-espace vectoriel de MK(Ω).

CQFD

29.24 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit K = R+, R ou C etsoit f : Ω → K une fonction mesurable. Si ‖f‖∞ = 0, si ‖f‖∞ = ∞ ou s’il existe1 ≤ r <∞ tel que ‖f‖r <∞, alors on a l’egalite

limp→∞

‖f‖p = ‖f‖∞ .

Preuve. • Si ‖f‖∞ = 0, alors |f |µ-pp

≤ 0 [29.21.i], c’est-a-dire fµ-pp= 0. Donc pour

tout p ≥ 1 on a ‖f‖p = 0.• Soit ‖f‖∞ =∞, soit n ∈ N arbitraire et soit An ∈ F defini comme

An = ω ∈ Ω | |f(ω)| > n .

Alors par [29.21.ii] on a µ(An) > 0. Il existe donc po ≥ 1 tel que 2−po < µ(An). Eton calcule :(

‖f‖p)p

=

∫Ω

|f |p dµ ≥∫An

|f |p dµ ≥∫An

np dµ = np · µ(An) .

Pour tout p ≥ po on a donc ‖f‖p ≥ n · p√µ(An) ≥ n/2. Ainsi on a montre

∀n ∈ N ∃po ≥ 1 ∀p ≥ po : ‖f‖p ≥n

2,

c’est-a-dire limp→∞ ‖f‖p =∞ = ‖f‖∞.• Soit finalement 0 < ‖f‖∞ < ∞, alors par linearite d’une semi-norme on a

l’equivalence

limp→∞

‖f‖p = ‖f‖∞ ⇐⇒ limp→∞

∥∥∥ f

‖f‖∞

∥∥∥p

= 1 .

Sans perte de generalite on peut donc supposer que ‖f‖∞ = 1 et dans ce cas on al’hypothese supplementaire qu’il existe 1 ≤ r <∞ tel que ‖f‖r <∞.

Pour 0 < ε < 1 on definit l’ensemble Aε ∈ F par

Aε = ω ∈ Ω | |f | > 1− ε .

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246 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Par [29.21.ii] on a µ(Aε) > 0. Pour p ≥ r on a donc d’abord l’inegalite

(‖f‖p

)p=

∫Ω

|f |p dµ ≥∫Aε

|f |p dµ ≥ µ(Aε) · (1− ε)p .

En prenant le cas p = r on en deduit en particulier qu’on a µ(Aε) <∞. Et ensuiteon a l’inegalite

(‖f‖p

)p=

∫Acε

|f |r · |f |p−r dµ+

∫Aε

|f |p dµ

≤∫Acε

|f |r dµ+ µ(Aε) ≤(‖f‖r

)r+ µ(Aε) ,

car |f |µ-pp

≤ 1 par hypothese. On a donc l’encadrement

(1− ε) · p√µ(Aε) ≤ ‖f‖p ≤ p

√µ(Aε) +

(‖f‖r

)r.

Du fait que pour tout x ∈ ]0,∞ [ on a limp→∞p√x = 1 on deduit que pour notre

0 < ε < 1 il existe po ≥ 1 tel que pour tout p ≥ po on a les inegalites

p√µ(Aε) ≥ (1− ε) et p

√µ(Aε) +

(‖f‖r

)r ≤ 1 + ε .

On a donc montre

∀0 < ε < 1 ∃po ≥ 1 ∀p ≥ po : (1− ε)2 ≤ ‖f‖p ≤ (1 + ε) ,

ce qui implique limp→∞

‖f‖p = 1. CQFD

29.25 Remarque. Il est evident qu’on ne peut pas laisser tomber la conditionqu’il existe 1 ≤ r < ∞ tel que ‖f‖r < ∞ dans [29.24]. Il suffit de penser a unefonction f constante c non-nulle sur R muni de la mesure de Lebesgue. Pour tout1 ≤ p <∞ on a ‖f‖p =

(∫R|c|p dλ

)1/p =∞, mais ‖f‖∞ = |c|.

→ 29.26 L’inegalite de Holder bis. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit f, g :Ω→ R+ deux fonctions mesurables positives. Alors on a l’inegalite

(29.27) ‖f g‖1 ≤ ‖f‖1 ‖g‖∞ .

Preuve de [29.26]. Par definition on a gµ-pp

≤ ‖g‖∞, donc f gµ-pp

≤ f ‖g‖∞. Enprenant l’integrale sur Ω et en utilisant [9.16] et [10.8] on obtient (29.27). CQFD

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LES ESPACES LP 247

29.28 Discussion. On a vu a plusieurs occasions que changer une fonction surun ensemble de mesure nulle ne change pas un resultat. Cela a commence avec lefait que si deux fonctions sont presque partout egales, alors leurs integrales sont lesmemes. Ensuite, dans le theoreme de convergence dominee [11.5] on ne parle pasde la limite d’une suite de fonctions, mais de une limite presque partout. Dans letheoreme de Fubini [14.2], le resultat apres une integration n’est pas (forcement)defini partout, mais la facon dont on le prolonge n’a pas d’importance. Quand onparle de mesures a densite, on ne peut pas parler de la fonction de densite, maisil faut parler de une fonction de densite [20.12]. Tout ceci suggere qu’on consideredeux fonctions qui different sur un ensemble de mesure nulle comme “identique,”ce qui veut dire qu’on considere des classes d’equivalences.

→ 29.29 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p ≤ ∞, soit K = R ouC et soit NK ⊂MK(Ω) le sous-ensemble defini comme

N µK = f ∈MK(Ω) | f µ-pp

= 0 .Alors N µ

K est un sous-espace vectoriel de LpK et on a l’equivalence

f ∈ N µK ⇐⇒ ‖f‖p = 0 .

Preuve de [29.29]. CQFD

29.30 Definitions. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p ≤ ∞ et soitK = R+, R, ou C. Sur l’ensemble MK(Ω) on definit une relation d’equivalenceRµ par

f Rµ g ⇐⇒ fµ-pp= g ⇐⇒ f − g ∈ N µ

K ⇐⇒ ‖f − g‖p = 0 .

La verification que c’est bien une relation d’equivalence est laissee au lecteur (pourla transitivite il faut utiliser [4.24] ou le fait que N µ

K est un sous-espace vectoriel).Pour une fonction f ∈ MK(Ω) on note sa classe d’equivalence par [f ] (ou par[f ]µ si on doit tenir compte de la dependance de la mesure) :

[f ] = g ∈MK(Ω) | f µ-pp= g .

Cette relation d’equivalence est un cas particulier de la relation d’equivalencedefinie par un sous-espace vectoriel. L’ensemble des classes d’equivalences est noteMK(Ω) /N µ

K et s’appelle l’espace quotient (de MK(Ω) par le sous-espace N µK).

Cet espace quotient a la structure d’un espace vectoriel (sur R dans tous les cas etsur C pour K = C) donnee par les formules

[f ] + [g ] = [f + g ] et λ · [f ] = [λ · f ] .

Pour K = R ou C on a defini les sous-espaces vectoriels LpK(Ω, µ) ⊂ MK(Ω)qui heritent donc cette relation d’equivalence. Dans ces cas on note l’ensemble desclasses d’equivalences par LpK(Ω, µ) :

LpK(Ω, µ) = LpK(Ω, µ) /N µK = LpK(Ω, µ) / f ∈ LpK(Ω, µ) | ‖f‖p = 0

= [f ] | f ∈ LpK(Ω, µ) ⊂ MK(Ω) /N µK .

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248 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

29.31 Remarque pour les curieux. On est maintenant en mesure d’expliquerpourquoi on n’a pas defini les ensembles LpK(Ω, µ) pour K = R, bien que formelle-ment il n’y a rien qui nous interdit de les definir. La raison est purement unequestion d’economie : ces ensembles ont tres peu d’interet! Ce ne sont pas lesensembles LpK(Ω, µ) qui sont interessants, mais leurs quotients LpK(Ω, µ). Et si fappartient a Lp

R(Ω, µ), alors on a∫

Ω

|f |p dµ <∞ .

Par [9.15.i] la fonction |f |p et donc f elle meme est presque partout finie. Si ondefinit la fonction g : Ω→ R par

g(ω) = f(ω) si f(ω) ∈ R et g(ω) = 0 si |f(ω)| =∞ ,

alors on a gµ-pp= f et donc en particulier g ∈ LpR(Ω, µ). On en deduit facilement

qu’on a “l’egalite”LpR

(Ω, µ) ∼= LpR(Ω, µ) .

On a mis le mot egalite entre guillemets, car formellement ce n’est pas une egalitemais on peut etablir une bijection. A part ce detail semantique, on voit qu’on negagne rien en considerant les ensembles Lp

R(Ω, µ), car on retombe dans le quotient

sur LpR(Ω, µ).

29.32 Nota Bene. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Si la mesure µ a la propriete

∀A ∈ F : µ(A) = 0 ⇒ A = ∅ ,

ce qui est notamment le cas pour la mesure de comptage sur l’espace total CΩ,alors la relation d’equivalence definie dans [29.30] est “triviale” et on a l’egaliteLpK(Ω, µ) = LpK(Ω, µ).

→ 29.33 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p ≤ ∞, soit K = R ouC et soit f, g : Ω→ K deux applications mesurables.

(i) ‖f‖p = 0 ⇒ fµ-pp= 0.

(ii) L’application ‖ · ‖p est constante sur les classes d’equivalence de Rµ surMK(Ω) :

fµ-pp= g =⇒ ‖f‖p = ‖g‖p .

(iii) Il existe une (unique) application Np : LpK(Ω, µ)→ R+ verifiant

Np( [f ] ) = ‖f‖p .

(iv) L’application Np est une norme sur LpK(Ω, µ).

Preuve de [29.33]. CQFD

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LES ESPACES LP 249

29.34 Remarque. Avec l’introduction de l’espace quotient MK(Ω)/N µK et ses

sous-espaces LpK(Ω, µ) [29.30] on a donc realise notre “souhait” [29.28] d’identifierdeux fonction qui different sur un ensemble de mesure nulle. Avec [20.12] on peutmaintenant dire qu’une mesure a densite (σ-finie) determine un unique elementdans l’espace quotient MK(Ω)/N µ

K. Et en bonus on obtient une vraie norme surles espaces LpK(Ω, µ) [29.33].

29.35 Abus de notation tres repandu. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soitK = R ou C. Il est d’usage de confondre une fonction mesurable f ∈MK(Ω) avecsa classe d’equivalence [f ]. Dans cet esprit il est aussi d’usage d’utiliser le memesymbole pour une application definie sur (un sous-ensemble de) l’ensemble des fonc-tions mesurables et la fonction induite sur le quotient des classes d’equivalences (acondition bien sur que l’application soit constante sur les classes d’equivalences).Voici deux exemples.• La valeur de l’integrale ne depend pas du choix de la fonction dans sa classe

d’equivalence : fµ-pp= g ⇒

∫Ωf dµ =

∫Ωg dµ (a condition que l’integrale existe).

Au lieu de dire qu’il existe une application lineaire I : L1K(Ω, µ)→ K telle que pour

toute fonction f ∈ L1K(Ω, µ) on a l’egalite

I( [f ]) =

∫Ω

f dµ ,

on dit que l’application

L1K(Ω, µ)→ K , f 7→

∫Ω

f dµ

est lineaire.• La valeur de ‖f‖p, pour 1 ≤ p ≤ ∞, ne depend pas du choix de la fonction

dans sa classe d’equivalence [f ] : fµ-pp= g ⇒ ‖f‖p = ‖g‖p. Au lieu de dire qu’il

existe une norme Np : LpK(Ω, µ)→ R+ telle que pour toute fonction f ∈ LpK(Ω, µ)on a l’egalite

Np( [f ] ) = ‖f‖p ,

on dit que l’application

LpK(Ω, µ)→ R+ , f 7→ ‖f‖p

est une norme. Autrement dit, on utilise le meme nom pour la semi-norme surl’espace semi-normeMK(Ω) et pour la norme sur l’espace norme associe LpK(Ω, µ).

→ 29.36 Resume. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit K = R ou C.

(i) Pour tout 1 ≤ p ≤ ∞ l’ensemble LpK(Ω, µ) est un espace vectoriel sur K.(ii) Pour tout 1 ≤ p ≤ ∞ l’application ‖ · ‖p : LpK(Ω, µ)→ R+ est une norme.

(iii) L’application L1K(Ω, µ)→ K, f 7→

∫Ωf dµ est une application K-lineaire.

Preuve de [29.36]. CQFD

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250 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

29.37 Nota Bene. L’integrale, definie sur l’espace L1K(Ω, µ) et a valeurs dans K,

n’est pas forcement definie sur la totalite d’un espace LpK(Ω, µ) pour p > 1. Parexemple, la fonction f : R→ R definie par

f(x) =sin(x)

x

appartient a L2R(R, λ), mais l’integrale

∫Rf dλ n’existe pas car

∫R|f | dλ = ∞.

(Par contre, son integrale de Riemann generalisee existe [26.18].)

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251

30. Proprietes des espaces Lp

30.1 Nota Bene. Dans ce chapitre K designera un des deux corps R ou C.

30.2 Definitions. • Soit (X, d) un espace metrique. Une suite de Cauchy dans Xest une suite (xn)n∈N dans X verifiant la condition

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ∈ N : n,m ≥ N ⇒ d(xn, xm) < ε .

On dit que l’espace metrique est complet si toute suite de Cauchy dans X convergevers un point de X. Un espace de Banach est un espace vectoriel norme qui estcomplet pour la metrique associee.• Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit 1 ≤ p ≤ ∞. On dit qu’une suite (fn)n∈N

de fonctions mesurables (a valeurs dans K) converge au sens Lp vers une fonctionmesurable f si limn→∞ ‖fn − f‖p = 0.• Dans la meme veine on dit qu’une suite (fn)n∈N de fonctions mesurables est

une suite de Cauchy au sens Lp si elle verifie la condition

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ≥ N : ‖fn − fm‖p < ε .

→ 30.3 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit fn, f, g : Ω → K, n ∈ N desfonctions mesurables et soit 1 ≤ p ≤ ∞.

(i) Si la suite (fn)n∈N converge au sens Lp vers f , alors la suite (g + fn)n∈Nconverge au sens Lp vers g + f .

(ii) Si la suite (fn)n∈N converge au sens Lp vers f et si tous les fn appartiennenta LpK(Ω, µ), alors f ∈ LpK(Ω, µ).

(iii) Si tous les fn appartiennent a LpK(Ω, µ), alors (fn)n∈N est une suite deCauchy au sens Lp si et seulement si la suite ( [fn ])n∈N est une suite deCauchy dans l’espace norme

(LpK(Ω, µ), ‖ · ‖p

).

(iv) Si tous les fn et f appartiennent a LpK(Ω, µ), alors (fn)n∈N converge ausens Lp vers f si et seulement si ( [fn ])n∈N converge vers [f ] dans l’espacenorme

(LpK(Ω, µ), ‖ · ‖p

).

Preuve de [30.3]. • (i) :• (ii) : Si ‖fn − f‖p <∞, alors fn − f appartient a LpK(Ω, µ). Par hypothese fn

aussi, donc f = fn − (fn − f) aussi [29.3], [29.23].CQFD

30.4 Remarque. Avec [30.3.iii,iv] on voit que les definitions de convergence ausens Lp et suite de Cauchy au sens Lp sont une facon de detourner l’abus de language

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252 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

mentionne dans [29.35]. Au lieu de dire que la suite ( [fn ])n∈N des classes d’equiva-lences converge dans l’espace vectoriel norme

(LpK(Ω, µ), ‖ · ‖p

)vers la classe [f ],

on peut simplement dire que la suite (fn)n∈N converge au sens Lp vers f . Cesdefinitions evitent donc l’usage des classes d’equivalences, mais on perd l’unicite :

si fµ-pp= g, alors la suite (fn)n∈N converge aussi vers g au sens Lp.

→ 30.5 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p ≤ ∞ et soit (fn)n∈N unesuite de Cauchy au sens Lp. S’il existe une suite extraite (fφ(k))k∈N qui convergeau sens Lp vers une fonction mesurable f , alors toute la suite (fn)n∈N converge ausens Lp vers f .

Preuve de [30.5]. CQFD

30.6 Theoreme (de convergence dominee de Lebesgue pour les espacesLp). Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p <∞ et soit (fn)n∈N une suite defonctions mesurables sur Ω a valeurs dans K verifiant les hypotheses suivantes.

(a) La suite (fn)n∈N converge µ-presque partout vers une fonction mesurablef : Ω→ K.

(b) Il existe une fonction mesurable g : Ω → R+ verifiant ‖g‖p < ∞ telle que

|fn|µ-pp

≤ g pour tout n ∈ N.

Sous ces conditions on a les proprietes suivantes.

(i) Les fonctions fn et f appartiennent a LpK(Ω, µ).(ii) limn→∞ ‖fn−f‖p = 0. Autrement dit, la suite fn converge vers la fonction

f au sens Lp.

Preuve. Il devrait etre evident que c’est une variante du theoreme de convergencedominee de Lebesgue [11.5] et qu’il suffit de se ramener a ce cas. Pour cela ondefinit l’ensemble de complementaire negligeable C ⊂ Ω comme dans la preuve de[11.5] par

C = ω ∈ Ω | limn→∞

fn(ω) = f(ω) et ∀n ∈ N : |fn(ω)| ≤ g(ω) .

Par passage a la limite on a donc ∀ω ∈ C : |f(ω)| ≤ g(ω), c’est-a-dire |f |µ-pp

≤ g. Sion definit les fonctions hn : Ω→ R+ par hn = |fn − f |, on a donc les inegalites

|fn|pµ-pp

≤ gp , |f |pµ-pp

≤ gp et hn ≤ |fn|+ |f |µ-pp

≤ 2g et donc hpn ≤ 2p · gp .

Les deux premieres inegalites, en combinaison avec l’hypothese ‖g‖p < ∞ im-pliquent directement ‖fn‖p, ‖f‖p < ∞, c’est-a-dire fn, f ∈ LpK(Ω, µ). En plus

on a limn→∞ hnµ-pp= 0 et donc limn→∞ hpn

µ-pp= 0. L’hypothese ‖g‖p < ∞ etant

equivalente a la condition que la fonction gp est integrable, on peut donc appliquer[11.5.ii] a la suite hpn et conclure qu’on a limn→∞

∫Ωhpn dµ = 0. Mais par definition

de hn, ceci est equivalent a limn→∞

‖fn − f‖p = 0. CQFD

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PROPRIETES DES ESPACES LP 253

30.7 Remarque. Le theoreme de convergence dominee pour les espaces Lp [30.6]ne comporte plus un resultat concernant l’echange d’integrale avec limite. La raisonest tres simple : si une fonction appartient a LpK(Ω, µ), il n’est nullement garantitqu’elle est µ-integrable (sauf bien sur dans le cas p = 1).

30.8 Exemple. L’exemple suivant montre qu’il n’y a pas d’espoir qu’il y a uneversion du theoreme de convergence dominee pour les espaces L∞. Consideronsl’espace mesure ( ]0, 1[ ,B( ]0, 1[), λ) et la suite de fonctions fn = 1 ]0,1/n [ . Il estimmediat qu’on a ‖fn‖∞ = 1 et qu’on a limn→∞ fn = 0. En plus, la suite estdominee par la fonction g ≡ 1 avec ‖g‖∞ = 1. Les conditions (a) et (b) de [30.6] sontdonc remplies avec f ≡ 0. Et pourtant : lim

n→∞‖fn − f‖∞ = lim

n→∞‖fn‖∞ = 1 6= 0.

30.9 Theoreme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit 1 ≤ p ≤ ∞. Alors toutesuite de Cauchy au sens Lp (fn)n∈N dans LpK(Ω, µ) converge vers une fonctiong ∈ LpK(Ω, µ) au sens Lp. Dans le cas p = ∞ il existe en plus un ensemble decomplementaire negligeable A ⊂ Ω tel que la suite converge uniformement sur Avers g.

Preuve. Soit (fn)n∈N une suite de Cauchy au sens Lp dans LpK(Ω, µ), ce qui veutdire qu’on a pour tout n ∈ N : fn ∈ LpK(Ω, µ) et

(30.10) ∀ε > 0 ∃N(ε) ∈ N ∀n,m ≥ N(ε) : ‖fn − fm‖p < ε .

• (le cas p < ∞) : L’idee de la preuve est de construire une suite extraite(fφ(k))k∈N telle que la limite limk→∞ fφ(k) existe µ-presque partout. Ensuite onmontre que cette suite extraite (fφ(k))k∈N converge au sens Lp vers cette fonctionlimite (dument completee). On termine avec l’invocation de [30.5.ii].

La construction de la suite extraite se fait par recurrence. On commence parinvoquer (30.10) avec ε = 1 et on pose φ(0) = N(1). Apres on pose (encore avec(30.10))

φ(k + 1) = max(N(2−k−1), φ(k) + 1

).

Ainsi on a φ(k + 1) > φ(k) et ∀n ≥ φ(k) : ‖fn − fφ(k)‖p < 2−k et donc enparticulier

(30.11) ∀k ∈ N : ‖fφ(k+1) − fφ(k)‖p < 2−k .

On introduit maintenant les fonctions hk : Ω→ R+, k ∈ N par

hk =

k−1∑i=0

|fφ(i+1) − fφ(i)| .

La suite (hk)k∈N est une suite croissante de fonctions mesurables positives. Unetelle suite converge toujours (dans R+) vers une fonction mesurable h : Ω → R+.Par la croissance et la continuite de la fonction x 7→ xp sur R+ la suite (hpk)k∈N est

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254 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

aussi une suite croissante de fonctions mesurables positives et on a limk→∞

hpk = hp.Par le theoreme de convergence monotone [9.1] on a en plus

(30.12) limk→∞

∫Ω

hpk dµ =

∫Ω

hp dµ ⇐⇒ limk→∞

‖hk‖p = ‖h‖p .

Si on applique l’inegalite de Minkowski [29.10] a la definition de hk on obtient

‖hk‖p ≤k−1∑i=0

‖fφ(i+1) − fφ(i)‖p(30.11)

≤k−1∑i=0

2−i < 2 .

Avec (30.12) on en deduit l’inegalite

(30.13) ‖h‖p ≤ 2 <∞ ⇐⇒∫

Ω

hp dµ ≤ 2p <∞ .

Il s’ensuit que hp et donc h est µ-presque partout finie [9.15]. Soit A ⊂ Ω l’ensemblemesurable de complementaire negligeable tel que pour tout ω ∈ A on a h(ω) <∞.

Etant donne que hk(ω) ≤ h(ω), on a la majoration

∀ω ∈ A :k−1∑i=0

|fφ(i+1)(ω)− fφ(i)(ω)| ≤ h(ω)ω∈A< ∞ .

Il s’ensuit que pour ω ∈ A la serie∑∞i=0

(fφ(i+1)(ω)− fφ(i)(ω)

)est une serie abso-

lument convergente, donc convergente [16.4.ii]. Autrement dit :

∀ω ∈ A : limk→∞

fφ(k)(ω) = fφ(0)(ω)+ limk→∞

k−1∑i=0

(fφ(i+1)(ω)−fφ(i)(ω)

)existe dans K.

Avec cette observation on definit la fonction g : Ω→ K par

g(ω) =

limk→∞

fφ(k)(ω) si ω ∈ A

0 si ω /∈ A.

Ainsi definie, la fonction g est mesurable [8.18], [7.9] et c’est la limite µ-presquepartout de la suite extraite (fφ(k))k∈N.

Il nous reste a montrer que la suite (fn)n∈N converge au sens Lp vers g. Oncommence par montrer que la suite extraite (fφ(k))k∈N converge au sens Lp vers g.Pour cela on veut appliquer [30.6] a la suite de fonctions ϕk = fφ(k) − fφ(0). Cettesuite converge µ-presque partout vers la fonction mesurable g − fφ(0), pour toutk ∈ N on a la majoration

|ϕk| = |fφ(k) − fφ(0)| =∣∣∣ k−1∑i=0

(fφ(i+1) − fφ(i))∣∣∣ ≤ k−1∑

i=0

|fφ(i+1) − fφ(i)| = hk ≤ h

et h ∈ LpK(Ω, µ) (30.13). On peut donc effectivement appliquer [30.6] et conclureque la suite ϕk = fφ(k) − fφ(0) converge au sens Lp vers la fonction g − fφ(0).

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PROPRIETES DES ESPACES LP 255

Autrement dit, la suite extraite fφ(n) converge au sens Lp vers la fonction g commevoulu. Par [30.3.ii] g appartient a LpK(Ω, µ) et par [30.5] la suite entiere (fn)n∈Nconverge au sens Lp vers g.

• (le cas p =∞) : Ici la strategie de la preuve est completement differente. Pourchaque couple (n,m) ∈ N2 on definit l’ensemble mesurable An,m ⊂ Ω comme

An,m = ω ∈ Ω | |fn(ω)− fm(ω)| ≤ ‖fn − fm‖∞ .

Par [29.21.i] applique a la fonction fn − fm et la constante M = ‖fn − fm‖∞,An,m est de complementaire negligeable. Vu que N2 est denombrable, l’ensembleA = ∩n,m∈NAn,m est aussi de complementaire negligeable. Par definition des An,mon a pour tout ω ∈ A et pour tout (n,m) ∈ N2 :

(30.14) |fn(ω)− fm(ω)| ≤ ‖fn − fm‖∞ .

Si on combine ceci avec (30.10) on obtient

(30.15) ∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ≥ N ∀ω ∈ A : |fn(ω)− fm(ω)| < ε .

Il s’ensuit en particulier que la suite (fn(ω))n∈N est une suite de Cauchy dans Kpour tout ω ∈ A, donc une suite convergente. Par [7.9] et [8.18] on en deduit quela fonction g : Ω→ K definie comme

g(ω) =

limn→∞

fn(ω) si ω ∈ A

0 si ω /∈ A

est mesurable et que la suite (fn)n∈N converge µ-presque partout vers g. Onprend maintenant la limite m → ∞ dans (30.15) (et on utilise la continuite de lasoustraction et de la valeur absolue dans K) pour obtenir

(30.16) ∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n ≥ N ∀ω ∈ A : |fn(ω)− g(ω)| ≤ ε .

Ceci dit que la suite (fn)n∈N converge uniformement vers g sur A. Le fait queµ(Ac) = 0 combine avec [29.21.i] et (30.16) nous donne l’estimation

∀ε > 0 ∀∃N ∈ N ∀n ≥ N : ‖fn − g‖∞ ≤ ε ,

ce qui dit exactement que la suite (fn)n∈N converge au sens L∞ vers g. Par [30.3.ii]il s’ensuit que g appartient a L∞K (Ω, µ). CQFD

→ 30.17 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit 1 ≤ p ≤ ∞. Alorsl’espace vectoriel norme (LpK(Ω, µ), ‖ · ‖p) est complet. C’est donc un espace deBanach.

Preuve de [30.17]. CQFD

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256 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

30.18 Discussion. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit fn : Ω → K, n ∈ Nune suite de fonctions sur Ω. Pour une telle suite on a vu plusieurs notions deconvergence vers une fonction f : Ω → K : la convergence simple, la convergenceuniforme, la convergence presque partout et la convergence au sens Lp. Il est(presque) evident qu’on a les implications de convergence

uniforme =⇒ simple =⇒ presque partout .

Il est aussi (presque) evident qu’on n’a pas les implications inverses. Par contre,en general il n’y a pas de lien entre les differentes notions de convergence Lp pourdifferentes valeurs de p [30.40] (mais voir aussi [30.41]), ni avec les trois autresnotions de convergence. Vu que, pour la notion de convergence au sens Lp, on peutchanger la fonction limite f sur un ensemble de mesure nulle sans que la convergenceest affectee, il est exclu qu’on puisse montrer une implication du style “convergenceau sens Lp implique convergence uniforme ou simple”. Mais on pourrait espererune implication du style “convergence au sens Lp implique convergence presquepartout.” Il est facile de construire des contre exemples (voir [30.32]), mais ona presque ce resultat : si on a convergence au sens Lp, il existe une sous-suite quiconverge presque partout [30.30]. Pour le montrer on a besoin de quelques resultatspreliminaires qui ont aussi un interet en soi.

30.19 Lemme (Borel-Cantelli). Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit (An)n∈Nune suite d’ensembles mesurables. S’il existe no ∈ N tel que

∑k≥no

µ(Ak) <∞, alorsµ( ∩n∈N

∪k≥n

Ak) = 0.

Preuve. Si on pose Bn = ∪k≥nAk, alors (Bn)n∈N est une suite decroissante d’en-sembles mesurables et par sous-σ-additivite [4.10.v] on a

(30.20) 0 ≤ µ(Bn) ≤∑k≥n

µ(Ak) .

L’hypothese nous dit qu’on a µ(Bno) <∞ et donc, par [4.14], on a

µ(⋂n∈N

⋃k≥n

Ak) = µ(⋂n∈N

Bn) = limn→∞

µ(Bn) .

Le fait que∑k≥no

µ(Ak) = limN→∞

N∑k=no

µ(Ak) est fini nous permet d’ecrire

∑k≥no

µ(Ak)−n−1∑k=no

µ(Ak) =∑k≥n

µ(Ak) ,

ce qui montre, en prenant la limite n → ∞, qu’on a limn→∞

∑k≥n

µ(Ak) = 0. Avec(30.20) on en deduit le resultat. CQFD

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PROPRIETES DES ESPACES LP 257

30.21 Discussion. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et (Bn)n∈N une suite d’ensem-bles mesurables. L’ensemble (mesurable) ∩n∈N ∪k≥n Bk qui figure dans le lemmede Borel-Cantelli [30.19] a un interet particulier (surtout en probabilite) et on luidonne un nom : la limite superieure de la suite (Bn)n∈N notee lim sup

n→∞Bn :

lim supn→∞

Bn =⋂n∈N

⋃k≥n

Bk .

C’est l’ensemble des points ω ∈ Ω qui appartiennent a une infinite d’elements dela suite (Bn)n∈N, ce qui veut dire que l’ensemble n ∈ N | ω ∈ Bn contient uneinfinite d’elements. Le lemme de Borel-Cantelli donne donc une condition suffisantepour que la limite superieure d’une suite d’ensembles mesurables soit negligeable.

On definit aussi la limite inferieure de la suite (Bn)n∈N notee lim infn→∞

Bn par

lim infn→∞

Bn =⋃n∈N

⋂k≥n

Bk .

C’est l’ensemble des points ω ∈ Ω qui, a partir d’un certain rang, appartiennent atous les elements de la suite : ∃n ∈ N ∀k ≥ n : ω ∈ Bk.

→ 30.22 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et (Bn)n∈N une suite d’ensem-bles mesurables. Montrer qu’on a les relations

lim infn→∞

Bn ⊂ lim supn→∞

Bn et(lim infn→∞

Bn)c

= lim supn→∞

Bcn .

→ 30.23 Exercice. Soit Ω un ensemble et (An)n∈N une suite de sous-ensembles.Montrer qu’on a les egalites

lim supn→∞

1An = 1lim supn→∞

An et lim infn→∞

1An = 1lim infn→∞

An ,

ou on melange les limites superieure et inferieure d’une suite d’ensembles avec leslimites superieure et inferieure d’une suite de fonctions.

→ 30.24 Exercice. Soit (an)n∈N une suite de reels. Montrer qu’on a les inclusions

]−∞, lim infn→∞

an [ ⊂ lim infn→∞

]−∞, an [ ⊂ lim infn→∞

]−∞, an ] ⊂ ]−∞, lim infn→∞

an ] ,

ou on melange la limite inferieure d’une suite de reels avec la limite inferieure d’unesuite d’ensembles. Montrer que deux des trois inclusions sont des egalites, et que latroisieme est une inclusion stricte. Donner trois exemples pour montrer que c’estchacune des trois inclusions qui peut etre stricte.

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258 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

30.25 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et f : Ω → C une fonctionµ-integrable. Alors on a la propriete

∀ε > 0 ∃δ > 0 ∀A ∈ F : µ(A) < δ ⇒∫A

|f | dµ < ε .

Preuve. La preuve se fait par l’absurde, ce qui veut dire qu’on suppose qu’on a lapropriete

∃ε > 0 ∀δ > 0 ∃A ∈ F : µ(A) < δ et

∫A

|f | dµ ≥ ε .

En prenant δ = 2−n on trouve An ∈ F tel que

(30.26) µ(An) < 2−n et

∫An

|f | dµ ≥ ε .

Parce qu’on a

µ(⋃k∈N

Ak)[4.10.v]

≤∑k∈N

µ(Ak) ≤∑k∈N

2−n = 2 <∞ ,

on peut appliquer le lemme de Borel-Cantelli [30.19]. Si, suivant la preuve de[30.19], on definit la suite decroissante d’ensembles Bn par Bn = ∪

k≥nAk, alors on a

limn→∞

µ(Bn)[4.14]= µ(

⋂n∈N

Bn)[30.19]

= 0 .

Parce que toutes les fonctions f 1Bn sont majorees par la fonction µ-integrable |f |,on peut appliquer le theoreme de convergence dominee [11.5] et faire le calcul

limn→∞

∫Bn

|f | dµ = limn→∞

∫Ω

|f 1Bn | dµ =

∫Ω

limn→∞

|f 1Bn | dµ

=

∫Ω

|f 1 ∩n∈N

Bn | dµ =

∫∩

n∈NBn

|f | dµµ( ∩n∈N

Bn)=0, [6.5.vi]

= 0(30.27)

Mais An ⊂ Bn et donc

ε(30.26)

≤∫An

|f | dµ ≤∫Bn

|f | dµ ,

ce qui contredit (30.27). Cette contradiction montre (par l’absurde) le resultatvoulu. CQFD

30.28 Remarque. On n’aura pas besoin de [30.25], mais je trouve ce resultat†

tellement joli que j’ n’ai pas pu resister l’envie de l’inclure.

†Comme la deuxieme preuve du theoreme de convergence dominee, je l’ai appris de J.F. Burnol.

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PROPRIETES DES ESPACES LP 259

→ 30.29 Exercice. Trouver un espace mesure (Ω,F , µ) et une fonction mesurablepositive (necessairement non-integrable) f : Ω → R+ tels que le resultat [30.25]n’est pas vrai.

30.30 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit fn : Ω → K, n ∈ N unesuite de fonctions mesurables et soit f : Ω → K une fonction mesurable. Si pourtout k ∈ N∗ on a ∑

n∈N

µ( |fn − f | ≥ 1k ) <∞ ,

alors la suite (fn)n∈N converge presque partout vers f , ou on a utilise l’abbreviation“standard”

|fn − f | = ω ∈ Ω | |fn(ω)− f(ω)| ≥ 1k .

Preuve. Par definition de la limite, on a limn→∞

fn(ω) = f(ω) si

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n ≥ N : |fn(ω)− f(ω) < ε .

Parce que pour tout ε > 0 il existe k ∈ N∗ tel que 1k < ε, ceci est equivalent a

∀k ∈ N∗ ∃N ∈ N ∀n ≥ N : |fn(ω)− f(ω) < 1k .

Pour montrer que la suite converge presque partout vers f , il faut montrer quel’ensemble ou cette condition n’est pas verifiee a une µ-mesure zero. Soit doncA ⊂ Ω cet ensemble :

A = ω ∈ Ω | ∃k ∈ N∗ ∀N ∈ N ∃n ≥ N : |fn(ω)− f(ω)| ≥ 1k

=⋃

k∈N∗

⋂N∈N

⋃n≥N

ω ∈ Ω | |fn(ω)− f(ω)| ≥ 1k

≡⋃

k∈N∗

⋂N∈N

⋃n≥N

|fn − f | ≥ 1k ,

alors avec la sous-σ-additivite on peut deja faire le calcul

µ(A)[4.10.v]

≤ µ(⋂

N∈N

⋃n≥N

|fn − f | ≥ 1k ) .

Mais par le lemme de Borel-Cantelli [30.19] et l’hypothese on a

µ(⋂

N∈N

⋃n≥N

|fn − f | ≥ 1k ) = 0 .

On a donc les inegalites

0 ≤ µ(A) ≤∑k∈N∗

0 = 0

et donc µ(A) = 0 comme voulu. CQFD

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260 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

30.31 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p ≤ ∞ et soit f etfn, n ∈ N, des elements de LpK(Ω, µ) tels que la suite (fn)n∈N converge au sens Lp

vers f .

(i) Si p <∞, alors il existe une suite extraite (fϕ(k))k∈N qui converge µ-presquepartout vers f .

(ii) Si p =∞, alors il existe un ensemble negligeable B tel que la suite (fn)n∈Nconverge uniformement sur Bc vers f (et donc elle converge µ-presquepartout vers f).

30.32 Contre exemple. Avant de donner la preuve de [30.31], signalons qu’onne peut pas ameliorer le (i) en disant que c’est toute la suite (fn)n∈N qui convergepresque partout vers f : il existe des suites de fonctions qui ne convergent en aucunpoint, mais qui convergent quand meme au sens Lp (avec p < ∞). L’exempleclassique est le suivant.

On considere la suite d’intervalles (In)n∈N dans R definie comme

I0 = [0, 1[ ,

I1 = [0, 121 [ , I2 = [ 1

21 ,221 [ ,

I3 = [0, 122 [ , I4 = [ 1

22 ,222 [ , I5 = [ 2

22 ,322 [ , I6 = [ 3

22 ,422 [ ,

I7 = [0, 123 [ , I8 = [ 1

23 ,223 [ , . . .

I0 I2 I6 I14 I30 I62

0

0,5

1

Autrement dit, on commence avec l’intervalle [0, 1[ , on le coupe en deux et on metles deux parties dans la suite, ensuite on coupe ces deux morceaux de nouveau endeux et on met les quatre morceaux ainsi obtenus dans la suite, et cætera. Uneformule explicite est donnee par

In = [ `2k, `+1

2k[ avec k = E

(2 log(n+ 1)

)et ` = n+ 1− 2k ,

ou E designe la partie entiere et 2 log le logarithme de base 2. On constate que,pour tout k ∈ N, la reunion

(30.33) [0, 1[ =2k−1⋃`=0

I2k−1+` =2k−1⋃`=0

[ `2k, `+1

2k[

est disjointe.On considere la suite de fonctions fn = 1In : [0, 1[ → R et on calcule aisement

‖fn‖p =( ∫

[0,1[

(fn)p dλ)1/p

= λ(In)1/p =1

2k/ppour k = E(2 log(n+ 1)) .

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PROPRIETES DES ESPACES LP 261

Il s’ensuit que limn→∞ ‖fn‖p = 0, ce qui implique que la suite (fn)n∈N convergeau sens Lp vers la fonction nulle. Mais la limite limn→∞ fn(x) n’existe pour aucunx ∈ [0, 1[ . Pour montrer cela, prenons x ∈ [0, 1[ et k ∈ N. Alors, par la reuniondisjointe (30.33), il existe un unique 0 ≤ `o < 2k tel que

f2k−1+`o(x) = 1 et ∀0 ≤ ` < 2k : ` 6= `o ⇒ f2k−1+`(x) = 0 .

On en deduit qu’il existe toujours des n ∈ N tels que fn(x) soit 0 ou 1 :

(30.34) ∀N ∈ N ∃n0, n1 > N : fn0(x) = 0 et fn1(x) = 1 .

Il suffit de choisir k > N (k > 2 log(N) fait aussi l’affaire) et de prendre/choisir`o et ` entre 0 et 2k. La condition (30.34) empeche que limn→∞ fn(x) existe. Laconclusion est que la suite (fn)n∈N ne converge certainement pas presque partoutvers la fonction nulle.

On peut donner deux raisons pour lesquelles la suite (fn)n∈N ne converge pas ausens L∞ vers la fonction nulle. D’abord parce que ‖fn‖∞ = 1 = limp→∞ ‖fn‖p, cequi ne tend pas vers 0 quand n tend vers ∞ et ensuite parce que si elle convergeaitau sens L∞, elle devrait converger presque partout [30.31].

→ 30.35 Exercice. Trouver une suite extraite (fϕ(k))k∈N de la suite donnee dans[30.32] qui converge partout vers la fonction nulle.

Preuve de [30.31]. • (i) : On peut proceder de deux facons suffisamment differentespour qu’on les donne toutes les deux. La premiere approche (indirecte) commenceavec la remarque que si la suite converge au sens Lp vers f , elle est en particulierune suite de Cauchy au sens Lp. Dans la preuve de [30.9] on a construit unesuite extraite (fφ(k))k∈N et une fonction g telle que cette suite extraite convergeµ-presque partout et au sens Lp vers g. Il suffit maintenant de montrer que f etg sont µ-presque partout egales pour avoir le resultat voulu. Pour cela on notequ’on a

‖f − g‖p ≤ ‖f − fφ(k)‖p + ‖fφ(k) − g‖p ,

valable pour tout k ∈ N par [29.10]. Mais si la suite (fn)n∈N converge au sensLp vers f , alors la suite extraite (fφ(k))k∈N le fait aussi. Les deux termes a droitesont donc (en variant k) aussi petits qu’on veut et on en deduit qu’on doit avoir‖f − g‖p = 0. Par [29.29] (ou indirectement [9.15.ii]) il s’ensuit que f et g sontµ-presque partout egales.

L’approche directe commence avec le fait qu’on a par hypothese

∀ε > 0 ∃N(ε) ∈ N ∀n ≥ N(ε) : ‖fφ(k) − f‖p < ε .

On pose maintenant φ(0) = N(1) et par recurrence

φ(k + 1) = max(N(2−(k+1)/p) , φ(k) + 1

).

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262 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Ainsi on a contruit une suite extraite verifiant ( ‖fφ(k) − f‖p)p ≤ 2−k.Soit maintenant n ∈ N∗ arbitraire et soit Bk l’ensemble definie par

Bk = ω ∈ Ω | |fφ(k)(ω)− f(ω)| ≥ 1n ≡ |fφ(k) − f | ≥ 1

n ,

alors par l’inegalite de Markov-Chebychev [9.14] (ce qui donne aussi la mesurabilitede Bk) appliquee a la fonction |fφ(k)−f |p et par la croissance de la fonction x 7→ xp

sur R+ on a

µ(Bk) = µ(ω ∈ Ω | |fφ(k)(ω)− f(ω)|p ≥ n−p)

≤ np ·∫

Ω

|fφ(k) − f |p dµ = np · ( ‖fφ(k) − f‖p)p ≤ np · 2−k .

On a donc en particulier∑k∈N

µ( |fφ(k) − f | ≥ 1n ) ≤

∑k∈N

np · 2−k = 2 · np <∞ .

Par [30.30] (les roles de n et k sont echanges) on en deduit que la suite (fφ(k))k∈Nconverge presque partout vers f .• (ii) Dans ce cas on pourrait aussi proceder de deux facons, sauf que la facon

directe retombe presque tout de suite dans la preuve de [30.9]. On invoque donc di-rectement [30.9] avec la remarque qu’une suite convergente au sens L∞ est aussi unesuite de Cauchy au sens L∞. Il existe donc une fonction mesurable g et un ensemblenegligeable C tels que la suite (fn)n∈N converge au sens L∞ et uniformement surCc vers g. Avec le meme argument que donne en (i) on en deduit que f et g doiventetre µ-presque partout egales. Si on pose

B = C ∪ ω ∈ Ω | f(ω) 6= g(ω) ,

alors B est negligeable et la suite (fn)n∈N converge uniformement sur Bc vers f .CQFD

30.36 Remarque sur la preuve de [30.31]. Le seul point important dans lechoix de la suite extraite est le fait que la serie∑

k∈N

( ‖fφ(k) − f‖p)p

converge. On a fait le choix de majorer les termes de cette serie par 2−k, mais toutautre choix qui fait converger cette serie convient aussi bien.

→ 30.37 Exercice. Soit (Ω, T ) un espace topologique et soit µ une mesure sur B(T )telle que µ(T ) > 0 pour tout ouvert T ∈ T non-vide. Montrer les resultats suivants.

(i) Si f : Ω→ C est continue, alors on a l’egalite ‖f‖∞ = supω∈Ω |f(ω)| .(ii) Si f, g : Ω→ C sont deux fonctions continues, alors f

µ-pp= g ⇒ f = g.

(iii) Si fn : Ω → C, n ∈ N est une suite de fonctions continues sur Ω et unesuite de Cauchy au sens L∞, alors f = limn→∞ fn existe (partout) et estcontinue. (Ceci est le resutat classique que la limite uniforme d’une suitede fonctions continues est continue.)

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PROPRIETES DES ESPACES LP 263

30.38 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure avec µ(Ω) < ∞ et soit 1 ≤p < r ≤ ∞. Alors on a l’inclusion

LrK(Ω, µ) ⊂ LpK(Ω, µ)

et, pour tout f ∈ LrK(Ω, µ), l’inegalite

(30.39) ‖f‖p ≤ C · ‖f‖r avec C = µ(Ω)1p−

1r .

Preuve. Il suffit de montrer (30.39) pour toute fonction f : Ω → R+ mesurablepositive, car (i) : l’inclusion LrK(Ω, µ) ⊂ LpK(Ω, µ) en decoule immediatement (avecla definition de ces espaces) et (ii) : pour une fonction arbitraire dans LqK(Ω, µ) onutilise l’egalite evidente ‖f‖q = ‖ |f | ‖q valable pour tout 1 ≤ q ≤ ∞.

Soit donc f : Ω → R+ mesurable. Notons qu’on a p < ∞. Si on pose a = rp et

b = 1 + pr−p , alors on a pa = r et 1

pb = 1p −

1r mais aussi 1 ≤ a, b ≤ ∞ et 1

a + 1b = 1.

On peut donc appliquer les inegalites de Holder (29.8) et (29.27) aux fonctions fp

et 1 pour obtenir‖fp‖1 ≡ ‖fp · 1‖1 ≤ ‖fp‖a ‖1‖b .

En prenant la racine p-ieme de cette inegalite on obtient

‖f‖p ≤( ∫

Ω

(fp)a dµ)1/(pa) ( ∫

Ω

1 dµ)1/(pb)

= ‖f‖r µ(Ω)1p−

1r . CQFD

30.40 Nota Bene. Sans la condition que la mesure de l’espace total est finie on n’apas des inclusions en general entre les espaces LpK(Ω, µ) pour differentes valeurs dep. Il suffit de penser a l’espace (R,B(R), λ). La fonction f : R→ R definie commef(x) = x−1 · 1 ]1,∞ [ (x) appartient a L2

K(Ω, µ) car∫∞

1(x−1)2 dx = 1. Mais elle

n’appartient pas a L1K(Ω, µ) car

∫∞1x−1 dx = ∞. Dans l’autre sens, la fonction

g : R → R definie comme g(x) = x−1/2 · 1 ]0,1[ (x) appartient a L1K(Ω, µ) car∫ 1

0x−1/2 dx = 2. Mais g n’appartient pas a L2

K(Ω, µ) car∫ 1

0(x−1/2)2 dx =∞. On

n’a donc ni l’inclusion L1K(Ω, µ) ⊂ L2

K(Ω, µ), ni l’inclusion L2K(Ω, µ) ⊂ L1

K(Ω, µ).

30.41 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure avec µ(Ω) < ∞, soit 1 < r ≤∞ et soit (fn)n∈N une suite de fonctions dans LrK(Ω, µ). Si cette suite convergeau sens Lr vers une fonction f ∈ LrK(Ω, µ), alors elle converge au sens Lp vers fpour tout 1 ≤ p < r.

→ 30.42 Exercice. Soit (Ω,F , µ) un espace mesurable, soit 1 ≤ p < q ≤ ∞ et soitf ∈ LpK(Ω, µ) ∩ LqK(Ω, µ). Montrer, en utilisant [29.7] pour le cas q < ∞ et eninspectant la preuve de [29.24] pour le cas q =∞, qu’on a f ∈ LrK(Ω, µ) pour toutp < r < q.

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264

31. Le dual topologique des espaces Lp

31.1 Definition. Soit (E, ‖ · ‖E) et (F, ‖ · ‖F ) deux espaces vectoriels normes etsoit A : E → F une application lineaire. On dit que A est une isometrie si elleverifie la condition

∀e ∈ E : ‖A(e)‖F = ‖e‖E .

→ 31.2 Lemme. Soit (E, ‖ · ‖E) et (F, ‖ · ‖F ) deux espaces vectoriels normes et soitA : E → F une isometrie. Alors A est continue et injective.

Preuve de [31.2]. CQFD

→ 31.3 Lemme. Soit (E, ‖ · ‖E) et (F, ‖ · ‖F ) deux K-espaces vectoriels normeset soit A : E → F une application lineaire. Alors les proprietes suivantes sontequivalentes.

(i) A est continue.(ii) A est continue en 0 ∈ E.

(iii) sup‖v‖E=1

‖Av‖F <∞.

Preuve de [31.3]. CQFD

31.4 Definition. Soit (E, ‖ · ‖E) et (F, ‖ · ‖F ) deux K-espaces vectoriels semi-normes et soit A : E → F une application lineaire. Le nombre ‖A‖op ∈ R+ definipar

‖A‖op = sup‖v‖E=1

‖Av‖F

est appele la (semi-)norme d’operateur de l’application lineaire A. Et on dit queA est bornee si on a

‖A‖op <∞ .

Selon [31.3] une application lineaire bornee entre deux espaces normes n’est riend’autre qu’une application lineaire continue.

On note par Homb(E,F ) l’ensemble des applications lineaires bornees de E avaleurs dans F sur E. Le cas particulier F = K des applications lineaires borneesa valeurs dans K est note E∗ et appele le dual topologique de E. Dans [31.5] onmontrera que (Homb(E,F ), ‖ · ‖op) (et donc a fortiori (E∗, ‖ · ‖op)) est un K-espacevectoriel norme si E et F sont normes, ce qui justifie (partiellement) le nom de“semi-norme” pour l’application ‖ · ‖op.

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 265

→ 31.5 Proposition. Soit (E, ‖ ·‖E) et (F, ‖ ·‖F ) deux K-espaces vectoriels normes.Alors l’ensemble Homb(E,F ) des applications lineaires continues/bornees de Edans F est un K-espace vectoriel et l’application ‖ · ‖op : Homc(E,F ) → R+ estune norme.

Preuve de [31.5]. Par definition d’une application bornee, ‖ · ‖op prend bien sesvaleurs dans R+ sur Homb(E,F ).

Si A : E → F est une application lineaire continue et λ ∈ K, alors on a

sup‖v‖E=1

‖(λA)(v)‖Fdef. de λA

= sup‖v‖E=1

‖λ · (Av)‖F = |λ| · sup‖v‖E=1

‖(Av)‖F ,

ce qui montre qu’on a l’egalite

‖λA‖op = |λ| · ‖A‖op .

Si A,B : E → F sont deux application lineaires, alors on a, pour tout v ∈ Everifiant ‖v‖E = 1, l’inegalite

‖(A+B)(v)‖F = ‖(Av) + (Bv)‖F ≤ ‖Av‖F + ‖Bv‖F ≤ ‖A‖op + ‖B‖op .

Il s’ensuit qu’on a

‖A+B‖op = sup‖v‖E=1

‖(A+B)(v)‖F ≤ ‖A‖op + ‖B‖op ,

ce qui montre qu’on a l’inegalite triangulaire pour ‖ · ‖op.Finalement, si on a ‖A|op = 0, on veut en deduire qu’on a A = 0, c’est-a-dire

Av = 0 pour tout v ∈ E. Pour v = 0 c’est automatique et pour v 6= 0, ce qui estequivalent a ‖v‖E 6= 0, on peut faire le calcul

0 ≤ ‖Av‖F =∥∥‖v‖E · ( ‖v‖E)−1 ·Av

∥∥F

= ‖v‖E ·∥∥A( ( ‖v‖E)−1 · v

)∥∥F

‖( ‖v‖E)−1·v‖E=1

≤ ‖v‖E · ‖A‖op = 0 .

CQFD

31.6 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique, soit D ⊂ X un sous-ensemble dense,soit ε ∈ ]0,∞ ] et soit B ⊂ P(X) defini comme

B = Bq(y) | y ∈ D , q ∈ ]0, ε [ ∩Q .

Alors pour tout ouvert T ∈ T (la topologie metrique) et pour tout x ∈ T il existeC ∈ B tel que x ∈ C ⊂ C ⊂ T .

Preuve. Soit T ⊂ X un ouvert et x ∈ T un point. Par [2.31] il existe 0 < δ ≤ 2εtel que Bδ(x) ⊂ T . L’ensemble D etant dense, il existe y ∈ D tel que y ∈ Bδ/2(x).Alors il existe q ∈ Q tel que 0 ≤ d(y, x) < q < δ/2 ≤ ε.

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266 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

q q

x y

0 q

d(x, y)

δ2

δ

xy

δ

δ2

q

Par l’inegalite triangulaire on a pour tout z ∈ Bq(y) :

d(z, x) ≤ d(z, y) + d(y, x) < q + q < δ .

En posant C = Bq(y) ∈ B on a donc les inclusions

x ∈ Bq(y) ⊂ Bq(y) ⊂ Bδ(x) ⊂ T . CQFD

31.7 Lemme. Soit O ⊂ Rd un ouvert, alors O est une reunion denombrable deboules fermees.

Preuve. Soit B ⊂ P(Rd) defini comme

B = Br(q) | r ∈ Q∗+ , q ∈ Qd

et soit F ⊂ P(Rd) defini comme

F = C | C ∈ B = Br(q) | r ∈ Q∗+ , q ∈ Qd .

Ces ensembles sont en bijection avec Q∗+ × Qd qui est denombrable. L’ensembleF, qui consiste de boules fermees, est donc denombrable et par consequence toutereunion d’elements de F est forcement une reunion denombrable de boules fermees.

Pour tout x ∈ O il existe, par [31.6], Cx ∈ B tel que x ∈ Cx ⊂ Cx ⊂ O. On adonc les inclusions/egalites

O =⋃x∈Ox ⊂

⋃x∈O

Cx ⊂ O .

Etant donne que les Cx appartiennent a F, il s’ensuit que O est une reuniond’elements de F. CQFD

31.8 Proposition. Soit (Ω,F) un espace mesurable, soit µ une mesure σ-finie surF , soit f : Ω → C une fonction integrable et soit F ⊂ C un ensemble ferme. Si

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 267

la moyenne de f tombe toujours dans F alors f prend ses valeurs presque partoutdans F . Plus precisement : si pour tout A ∈ F tel que 0 < µ(A) <∞ on a

1

µ(A)·∫A

f dµ ∈ F ,

alors l’ensembleB = ω ∈ Ω | f(ω) /∈ F

est µ-negligeable.

Preuve. Notons O = C \ F et donc B = f−1(O). Selon [31.7] O est la reuniondenombrable de boules fermees. L’ensemble B est donc la reunion denombrabled’images reciproques par f de boules fermees. Si la mesure de l’image reciproquepar f d’une telle boule fermee est nulle, alors par sous-σ-additivite d’une mesureon aura µ(B) = 0.

Soit donc Br(z) ⊂ O une telle boule. Parce que µ est σ-finie, il existe une suited’ensembles mesurables (Cn)n∈N telle que Ω = ∪n∈NCn et ∀n ∈ N : µ(Cn) < ∞.On pose An = Cn ∩ f−1(Br(z)) ; on aura donc µ(An) < ∞ et on suppose queµ(An) > 0. Alors on a

(31.9)1

µ(An)·∫An

f dµ ∈ F ,

mais on a aussi∣∣∣ 1

µ(An)·∫An

f dµ− z∣∣∣ =

∣∣∣ 1

µ(An)·∫An

(f(ω)− z) dµ(ω)∣∣∣

≤ 1

µ(An)·∫An

| f(ω)− z | dµ(ω)

≤ 1

µ(An)·∫An

r dµ(ω) = r ,

car sur An ⊂ f−1(Br(z)) on a l’inegalite |f(ω) − z| ≤ r. Cette inegalite montrequ’on a

1

µ(An)·∫An

f dµ ∈ Br(z) ,

ce qui est en contradiction avec (31.9), car Br(z) ⊂ O = C \ F . Il s’ensuit quel’hypothese µ(An) > 0 est intenable et donc qu’on a µ(An) = 0. Et alors on a(encore une fois par sous-σ-additivite)

µ(f−1(Br(z)

)= µ

( ⋃n∈N

(Cn ∩ f−1(Br(z)

) )≤∑n∈N

µ(An) = 0 . CQFD

31.10 Definition. La fonction ph : C→ C definie par

ph(z) = z/|z| si z 6= 0 et ph(0) = 0

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268 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

est une fonction mesurable (car les deux expressions sont continues sur leur domaineet on invoque [7.12] et [7.9]). En plus, on a les proprietes

(31.11) ∀z ∈ C : z = ph(z) · |z| , |z| = ph(z) · z et |ph(z)| ≤ 1 .

Pour z 6= 0, c’est la phase du nombre complexe z. Quand on restreint cette fonctiona la droite reelle, c’est le signe du nombre reel r 6= 0, car on a ph(r) = 1 si r > 0et ph(r) = −1 si r < 0. La definition ph(0) = 0 permet d’avoir l’egalite (31.11) surtout C et donc a fortiori sur tout R.

31.12 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 ≤ p, q ≤ ∞ tels que1p + 1

q = 1 et soit g ∈ LqK(Ω, µ) fixe.

(i) L’application Φg : LpK(Ω, µ)→ K definie par

Φg(f) =

∫Ω

g · f dµ

est une application lineaire bien definie, nulle sur N µK et verifiant ‖Φg‖op ≤

‖g‖q. Elle est donc bornee.(ii) Si p > 1, alors ‖Φg‖op = ‖g‖q.

(iii) Si p = 1 et si µ est σ-finie, alors ‖Φg‖op = ‖g‖∞.

Preuve. • (i) : Pour f ∈ LpK(Ω, µ) on a, par l’inegalite de Holder [29.7] ou [29.26],∫Ω

|g · f | dµ ≡ ‖f · g‖1[29.7] ou [29.26]

≤ ‖f‖p · ‖g‖q <∞ .

Il s’ensuit que f · g est integrable et donc que Φg est bien definie. La linearite estune consequence immediate de [10.11] et le fait qu’elle est nulle sur N µ

K decoule de[9.15]. En plus, l’inegalite de Holder donne en meme temps la majoration

‖Φg‖op = sup‖f‖p=1

∣∣∣∫Ω

f · g dµ∣∣∣ ≤ sup

‖f‖p=1

∫Ω

|f · g| dµ

= sup‖f‖p=1

‖f · g‖1 ≤ sup‖f‖p=1

‖f‖p · ‖g‖q = ‖g‖q .

• (ii) : Si ‖g‖q = 0, ce qui est equivalent a dire que g est µ-presque partoutnulle, alors on a forcement l’egalite annoncee (car on a toujours ‖Φg‖op ≥ 0, qu’onpeut combiner avec l’inegalite dans l’autre sens obtenue dans (i)). Dans la suite onsuppose donc qu’on a ‖g‖q > 0.

La condition p > 1 implique qu’on a q <∞. On definit maintenant la constanteC > 0 et la fonction fo : Ω→ K par

C = ( ‖g‖q)1−q et fo(ω) = C · ph(g(ω)

)· |g(ω)|q−1 ,

ou dans le cas q = 1 il faut interpreter la fonction |g(ω)|q−1 ≡ |g(ω)|0 comme lafonction constante 1 (meme si g(ω) = 0 ). La relation 1

p + 1q = 1 nous dit qu’on a

p = q/(q − 1) si q > 1 et p =∞ si q = 1. Dans le premier cas on a l’egalite∫Ω

|fo|p dµ =

∫Ω

|g|q

( ‖g‖q)qdµ = 1 ,

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 269

ce qui implique que fo appartient a LpK(Ω, µ) et qu’on a ‖fo‖p = 1.Dans le deuxieme cas (p =∞ et q = 1) on a la majoration

|fo| ≤ 1 ,

ce qui implique que fo appartient a L∞K (Ω, µ) et qu’on a ‖fo‖∞ ≤ 1. Pour monterqu’on a l’egalite ‖fo‖∞ = 1, on prend 0 < M < 1 et on utilise [31.10] pour faire lecalcul

ω ∈ Ω | |fo(ω)| > M q=1= ω ∈ Ω | C · | ph

(g(ω)

)| > M

= ω ∈ Ω | g(ω) 6= 0 .

Par l’hypothese ‖g‖q > 0, ce dernier ensemble a une mesure non-nulle (sinon gserait µ-presque partout nulle). Par [29.21] il s’ensuit qu’on a M < ‖fo‖∞ pourtout 0 < M < 1, et donc ‖fo‖∞ ≥ 1.

On a donc fo ∈ LpK(Ω, µ) et ‖fo‖p = 1 pour tout p > 1. En plus, on a l’egalite

Φg(fo) =

∫Ω

g · fo dµ(31.11)

= C ·∫

Ω

|g|q dµ = ( ‖g‖q)1−q · ( ‖g‖q)q = ‖g‖q .

Il s’ensuit qu’on doit avoir

‖Φg‖op = sup‖f‖p=1

|Φg(f)| ≥ Φg(fo) = ‖g‖q .

Avec l’inegalite dans l’autre sens obtenue dans (i) on a donc l’egalite annoncee.

• (iii) : L’inegalite |Φg(f)| ≤ ‖Φg‖op · ‖f‖1 appliquee a f = 1A pour A ∈ Fverifiant 0 < µ(A) <∞ nous donne l’inegalite∣∣∣∫

A

g dµ∣∣∣ =

∣∣∣∫Ω

g · 1A dµ∣∣∣ = |Φf (1A)| ≤ ‖Φg‖op · ‖1A‖1 = ‖Φg‖op · µ(A) ,

ce qui se traduit comme

1

µ(A)·∫A

g dµ ∈ B‖Φg‖op(0) ,

ou B‖Φg‖op(0) designe la boule (ouverte) de centre 0 et de rayon ‖Φg‖op. Par [31.8]il s’ensuit que g prend ses valeurs presque partout dans la boule fermee. Autrementdit :

|g|µ-pp

≤ ‖Φg‖op .

Avec [29.21] ceci veut dire qu’on a ‖g‖∞ ≤ ‖Φg‖op et donc avec (i) on obtientl’egalite voulue. CQFD

31.13 Remarque pour les comparateurs. Dans la litterature on trouve unepreuve de [31.12.iii] plus directe qui ne necessite pas l’invocation de [31.8]. Oncommence avec la remarque que pour M < ‖g‖∞ l’ensemble A defini comme

A = ω ∈ Ω | |g(ω)| > M

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270 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

a une mesure strictement positive par [29.21]. La mesure µ etant σ-finie, il existeune suite croissante (Cn)n∈N d’ensemble mesurables de mesure finie et de reunionΩ [4.17]. Par [4.10.iii] on a donc

µ(A) = µ(A ∩ (

⋃n∈N

Cn))

= limn→∞

µ(A ∩ Cn) .

Si pour tout n ∈ N on a µ(A ∩ Cn) = 0, alors cette limite vaut 0, ce qui estexclu. Il existe donc n ∈ N avec 0 < µ(A ∩ Cn) ≤ µ(Cn) <∞. Et alors l’inegalite|Φg(f)| ≤ ‖Φg‖op · ‖f‖1 appliquee a f = 1A∩Cn nous donne l’inegalite

M · µ(A ∩ Cn)def. de A≤

∫A∩Cn

|g| dµ ≤ ‖Φg‖op · ‖1A∩Cn‖1 = ‖Φg‖op · µ(A ∩ Cn) .

Parce qu’on a 0 < µ(A ∩ Cn) ≤ µ(Cn) < ∞, on peut diviser par µ(A ∩ Cn) pourobtenir

M ≤ ‖Φg‖op .

Pour tout M < ‖g‖∞ on a donc M ≤ ‖Φg‖op, ce qui implique qu’on doit avoir‖Φg‖op ≥ ‖g‖∞ comme voulu.

Cette preuve est manifestement plus courte que la preuve de [31.8] qu’on a utilise.Il y a deux raisons pour l’avoir enonce et utilise. D’abord parce que [31.8] est unresultat interessant en soi. Et deuxiemement parce qu’on va l’utiliser dans la preuvede [34.13].

31.14 Theoreme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit 1 ≤ p, q ≤ ∞ tels que1p + 1

q = 1.

(i) L’application g 7→ Φg definie dans [31.12] induit une application lineaire

Ψp : LqK(Ω, µ)→(LpK(Ω, µ)

)∗ , Ψp( [g ] ) : [f ] 7→∫

Ω

g · f dµ

verifiant ‖Ψp‖op ≤ 1. Elle est donc continue.(ii) Pour p > 1 l’application Ψp est une isometrie.

(iii) Si la mesure µ est σ-finie, alors Ψ1 est une isometrie.

Preuve. • (i) : Le fait que Φg est nulle sur N µK implique qu’elle est constante sur les

classes d’equivalences [f ]. Il s’ensuit qu’il existe une application Φg : LpK(Ω, µ) ≡LpK(Ω, µ)/N µ

K → K verifiant

∀f ∈ LpK(Ω, µ) : Φg( [f ] ) = Φg(f) .

Avec la definition de la norme sur LpK(Ω, µ) il s’ensuit immediatement qu’on a

‖Φg‖op = ‖Φg‖op et donc que Φg est bornee/continue.

On peut maintenant definir l’application ψp : LqK(Ω, µ)→(LpK(Ω, µ)

)∗ par

ψp(g) = Φg .

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 271

Pour montrer que ψp est lineaire, on fait le calcul :

(ψp(g + λ · h)

)( [f ] ) = Φg+λ·h( [f ] ) = Φg+λ·h(f) =

∫Ω

(g + λ · h) · f dµ

=

∫Ω

g · f dµ+ λ ·∫

Ω

h · f dµ

=(ψp(g)

)( [f ] ) + λ ·

(ψp(h)

)( [f ] )

=(ψp(g) + λ · ψp(h)

)( [f ] ) .

Il s’ensuit qu’on a l’egalite ψp(g + λ · h) = ψp(g) + λ · ψp(h), ce qui montre que ψpest bien lineaire.

Si on a gµ-pp= 0, alors pour toute fonction mesurable f ∈ MK(Ω) on a g ·

fµ-pp= 0. Il s’ensuit que l’application ψp(g) est l’application nulle. Autrement dit,

l’application ψp est nulle sur le sous-espace N µK. On en deduit que ψp induit une

application lineaire Ψp : LqK(Ω, µ) ≡ LpK(Ω, µ)/N µK →

(LpK(Ω, µ)

)∗ definie par

Ψp( [g ] ) = ψp(g) .

Pour montrer qu’on a l’inegalite ‖Ψp‖op ≤ 1 on prend [g ] ∈ LpK(Ω, µ) et on faitle calcul

(31.15) ‖Ψp( [g ] )‖op = ‖ψp(g)‖op = ‖Φg‖op = ‖Φg‖op

[31.12.i]

≤ ‖g‖q .

A noter que dans les trois dernieres lignes on utilise la (semi-)norme d’operateur‖·‖op dans trois sens differents : d’abord sur une application lineaire entre LqK(Ω, µ)et(LpK(Ω, µ)

)∗, ensuite sur une application lineaire entre LpK(Ω, µ) et K (deuxfois) et finalement sur une application entre LpK(Ω, µ) et K. De ce calcul on deduitimmediatement

‖Ψp‖opdef= sup‖ [g ] ‖q=1

‖Ψp( [g ] )‖op

(31.15)

≤ sup‖ [g ] ‖q=1

‖g‖q = 1 .

• (ii)/(iii) : Avec les hypotheses de (ii) ou (iii) on peut invoquer [31.12.ii] ou[31.12.iii] respectivement dans le calcul (31.15), ce qui remplace l’inegalite par uneegalite. Et quand on egalite, on retrouve la definition d’une isometrie. CQFD

31.16 Discussion. Une fois qu’on sait que l’application Ψp est une isometrie (sousconditions), on peut se poser la question quand c’est une bijection. La preuve queΨp est surjective quand 1 < p < ∞ ou quand p = 1 et µ σ-finie est assez longue.†

C’est pourquoi on le coupe en plusieurs resultats intermediaires pour mieux pouvoirdegager les grandes lignes de cette preuve.

Un de ces resultats intermediaire, a savoir [31.29], a un interet en soi. Il concernela realisation d’un point dans un sous-espace vectoriel de LpK(Ω, µ) qui est le pluspres d’un point donne. Si un espace est muni d’une metrique, on montre que ce

†Je suis ici la preuve donnee dans [Maz].

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272 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

point est donne par la projection orthogonale (voir §32), mais dans un espace norme“quelconque,” l’existence d’un tel point n’est nullement garantie.

Plus precisement, le probleme est le suivant : on a un espace vectoriel norme(E, ‖ · ‖), un sous-espace vectoriel F ⊂ E et un point x ∈ E. Et on cherche unpoint p ∈ F qui realise la plus petite distance :

∀q ∈ F : ‖x− p‖ ≤ ‖x− q‖ .

Intuitivement on a envie de dire qu’un tel point devrait etre unique, mais les exem-ples esquisses ci-dessous en dimension 2 montrent qu’il faut se mefier. On muni R2

avec la norme ‖ · ‖p et on dessine quelques sous-espaces vectoriels (ici des droites),des points en dehors de ces plans et, autour chaque point, les lignes des points adistance constante de ce point.

On voit que dans les cas 1 < p < ∞, les dessins suggerent qu’il y a toujours unpoint unique a plus courte distance. Mais dans les cas p = 1 ou p = ∞, il y a desdroites pour lesquelles il y a un point unique et il y a des droites pour lesquellesil y en a plusieurs. Un exemple explicite est la droite F = y = 0 dans l’espace(R2, ‖·‖∞). Dans ce cas, tous les points (x, 0) ∈ F avec −1 ≤ x ≤ 1 sont a distance(minimale) 1 du point (1, 0) :

∀ − 1 ≤ x ≤ 1 : ‖(0, 1)− (x, 0)‖∞ = ‖(−x, 1)‖∞ = max( | − x| , 1 ) = 1 .

Ceci explique pourquoi, dans [31.29], on est “oblige” de se restreindre aux cas1 < p <∞.

→ 31.17 Lemme. Soit ]a, b [ ⊂ R un intervalle ouvert (a = −∞ et b = ∞ sontautorises) et soit f : ]a, b [ → C une fonction continue. Si les deux limites lim

x↓af(x)

et limx↑b

f(x) existent dans C, alors g est bornee :

∃C > 0 ∀x ∈ ]a, b [ : |f(x)| ≤ C .

Preuve de [31.17]. CQFD

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 273

31.18 Lemme technique. Pour tout 1 < p <∞ il existe λ1 > 0 tel que

∀t ∈ R : |1 + t|p + |1− t|p − 2 ≥

λ1 · |t|p si p ≥ 2

λ1 ·H1( |t| ) si 1 < p < 2,

ou la fonction continue H1 : R+ → R+ est definie par

(31.19) H1(x) =x2

1 + x2−p .

Preuve. Etant donne que le membre de gauche et les deux membres de droite sontdes fonctions paires, il suffit demontrer l’inegalite pour t ≥ 0. Pour cela on definitla fonction f : R+ → R par

f(t) = |1 + t|p + |1− t|p − 2

avec derivee

f ′(t) = p · |1 + t|p−1 + p · |1− t|p

t− 1.

Pour t > 0 on a l’inegalite stricte |1 + t| > |1− t|, et donc la meme chose est vraiepour la puissance p− 1. Il s’ensuit que f ′(t) > 0 pour t > 0, donc f est strictementcroissante sur R+ et donc f(t) > f(0) = 0 pour t > 0.

Pour p ≥ 2 on definit maintenant la fonction g : ]0,∞ [ → R+ par

g(t) =tp

f(t)

et on constate qu’on a limt→∞

g(t) = 12 et, par un developpement limite a l’ordre 2 en

t = 0,

limt↓0

g(t) = limt↓0

tp

|1 + t|p + |1− t|p − 2=

12 si p = 2

0 si p > 2.

Avec [31.17] il s’ensuit qu’il existe M > 0 tel que

∀t > 0 : g(t) ≤M ⇐⇒ ∀t > 0 : |1 + t|p + |1− t|p − 2 ≥M−1 · tp .

En posant λ1 = M−1, on a donc montre le resultat voulu dans le cas p ≥ 2 (parcontinuite l’inegalite reste valable pour t = 0).

Pour 1 < p < 2 le raisonnement est completement analogue avec la fonctiong : ]0,∞ [ → R+ definie par

g(t) =h(t)

f(t).

De nouveau on a limt→∞

g(t) = 12 et, par un developpement limite a l’ordre 2 en t = 0,

limt↓0

g(t) = limt↓0

t2

(1 + t2−p) · ( |1 + t|p + |1− t|p − 2)=

1

p(p− 1).

Comme dans le cas p ≥ 2 on invoque [31.17] pour obtenir, dans ce cas 1 < p < 2,l’existence d’un λ1 > 0 tel que

∀t > 0 : |1 + t|p + |1− t|p − 2 ≥ λ · h(t) .

Par continuite cette inegalite reste vraie pour t = 0, ce qui termine la preuve.CQFD

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274 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

31.20 Lemme technique. Pour tout 1 < p <∞ il existe C > 0 tel que

∀z ∈ C : |1 + z|p + |1− z|p − 2 ≥ C · (∣∣1 + |z|

∣∣p +∣∣1− |z| ∣∣p − 2 ) .

Preuve. Pour r ≥ 0 et 1 < p <∞ on definit la fonction f : R→ R par

f(ϕ) = |1 + r eiϕ |p + |1− r eiϕ |p − 2

et on constate qu’il faut montrer l’existence d’un C > 0 (qui ne depend pas de r)tel que

∀ϕ ∈ R : f(ϕ) ≥ C · f(0) .

On commence a reecrire la definition de f :

f(ϕ) = ( |1 + r eiϕ |2 )p/2 + ( |1− r eiϕ |2 )p/2 − 2 .

Il s’ensuit immediatement que f est constante quand on a r = 0 (pour tout p) oup = 2 (pour tout r). Pour sa derivee on trouve :

f ′(ϕ) = p r · sin(ϕ) ·( (

1 + r2 − 2r cos(ϕ))(p−2)/2 −

(1 + r2 + 2r cos(ϕ)

)(p−2)/2 )= p r · sin(ϕ) ·

( ∣∣1− r eiϕ∣∣p−2 −

∣∣1 + r eiϕ∣∣p−2 )

.

Pour r > 0 ceci est nulle si sin(ϕ) = 0 ou si(1 + r2 − 2r cos(ϕ)

)(p−2)/2=(1 + r2 + 2r cos(ϕ)

)(p−2)/2.

Pour p = 2 cette derniere condition est toujours vraie ; pour les autres valeurs de pc’est equivalente a

1 + r2 − 2r cos(ϕ) = 1 + r2 + 2r cos(ϕ) ⇐⇒ cos(ϕ) = 0 .

Il s’ensuit que f ′ s’annule pour ϕ = 0 mod π/2.Le lecteur attentif aura remarque que notre analyse n’est pas partout correcte :

pour 1 < p < 2 on a un exposant negatif et l’expression correspondant n’est pasdefinie quand 1 + r2 ± 2r cos(ϕ) est nulle. Et ceci peut arriver si et seulement sir = 1. Pour r = 1 il faut donc ameliorer l’analyse. Pour cela on reecrit la fonctionf (pour r = 1) sous la forme

f(ϕ) =(4 cos(ϕ/2)2

)p/2+(4 sin(ϕ/2)2

)p/2 − 2

=∣∣2 cos(ϕ/2)

∣∣p +∣∣2 sin(ϕ/2)

∣∣p − 2

et sa derivee (en tenant compte des valeurs absolues) est donnee par

f ′(ϕ) = p · cos(ϕ/2) ·∣∣2 sin(ϕ/2)

∣∣p2 sin(ϕ/2)

− p · sin(ϕ/2) ·∣∣2 cos(ϕ/2)

∣∣p2 cos(ϕ/2)

.

Si on a f ′(ϕ) = 0, alors (en multipliant par sin(ϕ/2) · cos(ϕ/2)) on a l’egalite

| cos(ϕ/2)|2 · | sin(ϕ/2)|p − | sin(ϕ/2)|2 · | cos(ϕ/2)|p = 0 .

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 275

Pour p = 2 ceci est toujours vrai (mais on le savait deja) et pour p 6= 2 on peutfactoriser | sin(ϕ/2) · cos(ϕ/2)|p ou | sin(ϕ/2) · cos(ϕ/2)|2 (selon p > 2 ou p < 2) eton trouve que c’est equivalent a

sin(ϕ/2) = 0 ou cos(ϕ/2) = 0 ou | cos(ϕ/2)| = | sin(ϕ/2)| .Les deux premieres conditions sont equivalentes a ϕ/2 = 0 mod π/2 et la troisiemecondition est equivalente a ϕ/2 = π/4 mod π/2. L’ensemble des conditions estdonc equivalent a ϕ = 0 mod π/2. On verifie qu’on n’a pas introduit des solutionsfantomes et on constate que les zeros de f ′ dans le cas r = 1 sont les memes quedans le cas general.

Reste a savoir lesquelles sont des maxima et lesquelles sont des minima. Il estfacile a verifier qu’on a, pour k ∈ Z

f(kπ) = f(0) = |1 + r|p + |1− r|p − 2

= (1 + r2 + 2r)p/2 + (1 + r2 − 2r)p/2 − 2

etf(π2 + kπ) = f(π/2) = 2 (1 + r2)p/2 − 2 .

Pour p = 2 ces deux valeurs sont egales, pour p 6= 2, l’un est le maximum et l’autrele minimum. Au lieu d’analyser f ′ pour savoir qui est quoi, on constate que pourp < 2 la fonction g : R+ → R+ definie par g(x) = xp/2 est concave [29.2]. On adonc en particulier

g(

12 (1 + r2 − 2r) + 1

2 (1 + r2 + 2r))≥ 1

2 · g(1 + r2 − 2r) + 12 · g(1 + r2 + 2r) ,

ce qui equivaut

2 · (1 + r2)p/2 ≥ (1 + r2 + 2r)p/2 + (1 + r2 − 2r)p/2 .

Autrement dit, pour p < 2 la valeur f(0) est la valeur minimale et la constanteC = 1 convient pour montrer le resultat voulu.

Pour p > 2 la fonction g est convexe et le meme raisonnement nous conduit auresultat que f(0) est la valeur maximale et (donc) f(π/2) la valeur minimale. Lavaleur f(π/2) = 2 (1 + r2)p/2 − 2 est strictement positive pour r > 0. Il s’ensuitque f(0) doit etre elle aussi strictement positive. On peut donc definir la fonctioncontinue h : R+ → R+ par

h(r) =f(0)

f(π/2)=|1 + r|p + |1− r|p − 2

2 (1 + r2)p/2 − 2.

Il est immediat qu’on a limr→∞

h(r) = 1 et un developpement limite a l’ordre 2 enr = 0 donne

limr↓0

h(r) = p− 1 .

Ceci confirme (au moins dans un voisinage de r = 0) que pour p > 2 la valeurf(0) est maximale et que pour p < 2 elle est minimale. Si on applique maintenant[31.17] on en deduit qu’il existe M > 0 tel que

∀r > 0 : h(r) ≤M ⇐⇒ ∀r > 0 : f(π/2) ≥M−1 · f(0) .

Et parce que (toujours pour p > 2) f(π/2) est la valeur minimale, on a

∀ϕ ∈ R ∀r > 0 : f(ϕ) ≥ f(π/2) ≥M−1 · f(0) .

Par continuite cette inegalite reste valable pour r = 0 et donc, pour p > 2, le choixC = M−1 convient pour obtenir le resultat voulu. CQFD

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276 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

31.21 Lemme technique. Pour tout 1 < p <∞ il existe λ > 0 tel que

∀(u, v) ∈ C2 : |u+ v|p + |u− v|p − 2 |u|p ≥

λ · |v|p si p ≥ 2

λ ·H2(u, v) si 1 < p < 2,

ou la fonction H2 : C2 → R+ (mesurable sur C2 et continue sur C2 \ (0, 0)) estdefinie par

H2(0, 0) = 0 et ∀(u, v) 6= (0, 0) : H2(u, v) =|v|2

|u|2−p + |v|2−p.

Preuve. La preuve est essentiellement une concatenation de [31.18], [31.20] et unargument de continuite. On commence avec la remarque que si l’inegalite est valablepour tout u 6= 0, alors elle est valable pour tout u par continuite. Il suffit donc dele montrer pour u 6= 0.

Si u 6= 0, alors l’inegalite a montrer est equivalente (en divisant par |u|p) al’inegalite

∣∣1 + vu

∣∣p +∣∣1− v

u

∣∣p − 2 ≥

λ ·∣∣ vu

∣∣p si p ≥ 2

λ ·H1

( ∣∣ vu

∣∣ ) si 1 < p < 2,

ou la fonction H1 : R+ → R+ est definie dans (31.19). Mais par [31.20] et [31.18]il existe C > 0 et λ1 > 0 tels qu’on a, en posant z = v/u :

|1 + z|p + |1− z|p − 2[31.20]

≥ C · (∣∣1 + |z|

∣∣p +∣∣1− |z| ∣∣p − 2 )

[31.18]

C · λ1 · |z|p si p ≥ 2

C · λ1 ·H1

(|z|)

si 1 < p < 2.

Il suffit donc de poser λ = C · λ1 pour avoir montre le resultat voulu. CQFD

31.22 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit p ∈ ]0,∞ [ , soit g ∈ LpK(Ω, µ)arbitraire, soit E ⊂ LpK(Ω, µ) un sous-espace vectoriel et soit B ∈ R defini par

B = inf‖g − f‖p | f ∈ E

.

Si fn ∈ E est une suite telle que limn→∞

‖g − fn‖p = B, alors (fn)n∈N est une suitede Cauchy au sens Lp.

Preuve. Pour simplifier la notation, on introduit les fonctions gn = g − fn. Parcontinuite de la fonction x 7→ xp sur R+ on a donc lim

n→∞( ‖gn‖p)p = Bp. En

particulier, pour tout η > 0, il existe N ∈ N tel que

∀n ≥ N : ( ‖gn‖p)p < Bp + η .

Par definition de l’inf on a aussi, pour tout n,m ∈ N, l’inegalite evidente( ∥∥ 12 (gn + gm)

∥∥p

)p=( ∥∥g − 1

2 (fn + fm)∥∥p

)p ≥ Bp ,

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 277

simplement parce que 12 (fn + fm) ∈ E. Il s’ensuit qu’on a

(31.23) ∀n,m ≥ N : ( ‖gn‖p)p + ( ‖gm‖p)p − 2 · (‖ 12 (gn + gm)‖p)p < 2 η .

Autrement dit, le membre de gauche peut etre aussi petit qu’on veut, a conditionque n et m sont suffisamment grand. Mais attention : on ne sait pas (encore) sile membre de gauche reste positif. Le but est maintenant de combiner ceci avec[31.21] pour montrer que ‖fn − fm‖p devient aussi petit qu’on veut quand n et msont suffisamment grand.

Avant d’appliquer [31.21] on introduit les fonctions h± par

h+ = 12 (gn + gm) et h− = 1

2 (gn − gm) ,

ce qui nous permet d’ecrire

gn = h+ + h− et gm = h+ − h− .

Pour p ≥ 2 et avec u = h+(ω) et v = h−(ω) on a, selon [31.21], l’inegalite

|gn(ω)|p + |gm(ω)|p − 2 | 12(gn(ω) + gm(ω)

)|p = |u+ v|p + |u− v|p − 2 |u|p

≥ λ · |v|p = 2−p · λ · |gn(ω)− gm(ω)|p .

Si on integre cette inegalite sur Ω, on obtient l’inegalite

(31.24) ( ‖gn‖p)p + ( ‖gm‖p)p − 2 · ( ‖ 12 (gn + gm)‖p)p ≥ 2−p · λ · ( ‖gn − gm‖p)p .

Soit maintenant ε > 0 arbitraire et posons η = 2−p−1 · λ · εp. Alors pour ce η > 0il existe N ∈ N tel qu’on a (31.23). Avec (31.24) on a donc

∀n,m ≥ N : 2−p · λ · (‖gn − gm‖p)p < 2 · η = 2−p · λ · εp .

Autrement dit

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ≥ N : ‖gn − gm‖p < ε ,

ce qui est exactement la definition pour que la suite (gn)n∈N soit une suite deCauchy au sens Lp. Avec [30.3.i] on en deduit que fn = g − gn est une suite deCauchy au sens Lp, ce qui termine la preuve dans le cas p ≥ 2.

Avec les memes u = h+(ω) et v = h−(ω), mais cette fois avec 1 < p < 2,l’invocation de [31.21] nous donne l’inegalite

|gn(ω)|p + |gm(ω)|p − 2 | 12(gn(ω) + gm(ω)

)|p = |u+ v|p + |u− v|p − 2 |u|p

≥ λ ·H2(|u|, |v|) =λ · |h−(ω)|2

|h+(ω)|2−p + |h−(ω)|2−p.

Pour mieux analyser la situation, on introduit les fonctions Hc, S : Ω→ R+ definiespar

S(ω) = |h+(ω)|2−p + |h−(ω)|2−p et Hc(ω) =|h−(ω)|2

S(ω).

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278 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Une meilleure definition de Hc (pour eviter qu’on divise par 0) serait

Hc(ω) = H2

(|h+(ω)| , |h−(ω)|

),

qui montre que Hc est manifestement mesurable comme composee de fonctionsmesurables. Avec ces definitions, notre inegalite s’ecrit comme

|gn(ω)|p + |gm(ω)|p − 2 | 12(gn(ω) + gm(ω)

)|p ≥ λ ·Hc(ω) .

Si on integre cette inegalite sur Ω, on obtient l’inegalite

(31.25) ( ‖gn‖p)p + ( ‖gm‖p)p − 2 · ( ‖ 12 (gn + gm)‖p)p ≥ λ · ‖Hc‖1 .

Pour estimer ‖Hc‖1 on va jouer avec les inegalites de Holder [29.7] et Minkowski[29.10]. On commence avec la remarque qu’on a l’egalite 1

p′ + 1q′ = 1 pour p′ = 2

p

et q′ = 22−p et que p′, q′ > 1 parce que 1 < p < 2. Les fonctions |h−|, Hc et S etant

positives verifiant |h−|2 = S ·Hc, on peut donc faire le calcul

( ‖h−‖p)p =

∫Ω

|h−|p dµ =

∫Ω

Sp/2 · (Hc)p/2 dµ =

∥∥Sp/2 · (Hc)p/2∥∥

1

[29.7]

≤∥∥Sp/2∥∥ 2

2−p

∥∥(Hc)p/2∥∥

2/p

=( ∫

Ω

Sp/(2−p) dµ)(2−p)/2 ( ∫

Ω

Hc dµ)p/2

= ( ‖S‖p/(2−p))p/2 ( ‖Hc‖1)p/2 .

En prenant la puissance 2/p on obtient l’inegalite

(31.26) ( ‖h−‖p)2 ≤ ‖S‖p/(2−p) ‖Hc‖1 .

Apres l’inegalite de Holder, on applique l’inegalite de Minkowski [29.10] a la fonctionS pour la “norme” ‖ · ‖p/(2−p), ce qui est autorise car pour 1 < p < 2 on ap/(2− p) > 1. On obtient

‖S‖p/(2−p) =∥∥ |h+|2−p + |h−|2−p

∥∥p/(2−p)

[29.10]

≤∥∥ |h+|2−p ‖p/(2−p) +

∥∥ |h−|2−p ‖p/(2−p)=( ∫

Ω

|h+|p dµ)(2−p)/p

+( ∫

Ω

|h−|p dµ)(2−p)/p

= ( ‖h+‖p)2−p + ( ‖h−‖p)2−p .(31.27)

Le dernier argument dont on a besoin est la remarque que, parce que la suite‖gn‖p est convergente, elle est bornee. Il existe donc M > 0 tel que

∀n ∈ N : ‖gn‖p ≤M .

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 279

De nouveau par l’inegalite de Minkowski on a donc

(31.28) ‖h±‖p = ‖ 12 · (gn ± gm) ‖p ≤ 1

2 · ( ‖gn‖p + ‖gm‖p) ≤M .

Soit maintenant ε > 0 arbitraire et posons η = 2−4 · λ ·Mp−2 · ε2. Alors pour ceη > 0 il existe N ∈ N tel qu’on a (31.23). Avec cela on remonte nos inegalites pourobtenir, pour tout n,m ≥ N ,

( ‖gn − gm‖p)2 = 4 · ( ‖h−‖p)2(31.26)

≤ 4 · ‖S‖p/(2−p) · ‖Hc‖1(31.27)

≤ 4 ·(

( ‖h+‖p)2−p + ( ‖h−‖p)2−p ) · ‖Hc‖1

(31.28), (31.25)

≤ 8 ·M2−p

λ·(

( ‖gn‖p)p + ( ‖gm‖p)p − 2 · ( ‖h+‖p)p)

(31.23)

≤ 16 ·M2−p · ηλ

= ε2 .

Autrement dit, on a montre

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ≥ N : ‖gn − gm‖p < ε .

Et cela veut dire que, aussi dans le cas 1 < p < 2, (gn)n∈N est une suite de Cauchyau sens Lp. Comme dans le cas p ≥ 2, il suffit d’invoquer [30.3.i] pour trouver leresultat annonce. CQFD

31.29 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit p ∈ ]0,∞ [ , soit [g ] ∈LpK(Ω, µ) arbitraire et soit F ⊂ LpK(Ω, µ) un sous-espace vectoriel. Alors il existe

un unique [fo ] ∈ F telle que

∀ [f ] ∈ F : [f ] 6= [fo ] ⇒ ‖g − f‖p > ‖g − fo‖p .

Preuve. Si on definit E ⊂ LpK(Ω, µ) par

E = f ∈ LpK(Ω, µ) | [f ] ∈ F ,

alors E est un sous-espace vectoriel de LpK(Ω, µ). Soit maintenant B ∈ R commedans [31.22] :

B = inf‖g − f‖p | f ∈ E

,

alors par definition de l’inf, il existe, pour tout n ∈ N∗, fn ∈ E tel que

‖g − fn‖p < B + 1n .

Il s’ensuit qu’on a limn→∞ ‖g − fn‖p = B. Et donc par [31.22] la suite (fn)n∈N∗

est une suite de Cauchy au sens Lp. Par [30.9] il existe donc fo ∈ LpK(Ω, µ) telque la suite (fn)n∈N∗ converge vers fo au sens Lp. Et donc par [30.3.iv] la suite

( [fn ])n∈N∗ converge vers [fo ] dans l’espace norme LpK(Ω, µ). Etant donne que les

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280 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

fn appartiennent a E, les [fn ] appartiennent au sous-espace vectoriel ferme F , etdonc [fo ] appartient a F (par definition de l’adherence), et donc fo appartient aE.

Par continuite de la norme (dans LpK(Ω) avec l’abus de notation signale dans[29.35]) on a

B = limn→∞

‖g − fn‖p = ‖g − fo‖p

et par definition de B on a

∀f ∈ E : ‖g − f‖ ≥ B = ‖g − fo‖p ⇐⇒∀ [f ] ∈ F : ‖g − f‖p ≥ B = ‖g − fo‖p .

Supposons maintenant que [f ′o ] ∈ F est tel que ‖g − f ′o‖p = ‖g − fo‖p = B. Alorson definit la suite f ′n ∈ E ⊂ L

pK(Ω, µ) comme

∀n ∈ N : f ′2n = f ′o et f ′2n+1 = fo .

Alors (f ′n)n∈N est une suite dans E verifiant limn→∞ ‖f ′n − g‖p = B. Par [31.22]c’est donc une suite de Cauchy au sens Lp et donc, par [30.3.iii] [f ′n ] est une suitede Cauchy dans l’espace norme LpK(Ω, µ). Mais la suite extraite [f ′2n ] = [f ′o ] estconstante et donc en particulier convergente vers [f ′o ] et la suite extraite [f ′2n+1 ] =[fo ] est convergente vers [fo ]. Par l’unicite d’une limite dans un espace norme etle fait qu’une suite extraite converge vers la meme limite que la suite entiere, on adonc [fo ] = [f ′o ]. CQFD

31.30 Theoreme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit 1 < p, q < ∞ tels que1p + 1

q = 1 et soit χ : LpK(Ω, µ) → K une application lineaire continue. Alors il

existe h ∈ LqK(Ω, µ) telle que

∀ [f ] ∈ LpK(Ω, µ) : χ( [f ]) =

∫Ω

h · f dµ .

Preuve. Si χ est l’application nulle, il est evident que la fonction nulle convient.Dorenavent on suppose donc que χ n’est pas l’application nulle, ce qui veut direqu’il existe [g ] ∈ LpK(Ω, µ) tel que χ( [g ]) 6= 0. Parce que χ est continue, le sous-espace ker(χ) est un sous-espace vectoriel ferme. Par [31.29] il existe [fo ] ∈ ker(χ)tel qu’on a

∀ [f ] ∈ ker(χ) : ‖g − f‖p ≥ ‖g − fo‖p .

Alors on definit [go ] = [g ] − [fo ] = [g − fo ] qui verifie donc

χ( [go ]) = χ( [g ]) 6= 0 et ∀ [f ] ∈ ker(χ) ∀t ∈ R : ‖go + t · f ]‖p ≥ ‖go‖p .

Si on definit, pour un [f ] ∈ ker(χ) fixe (ou si on veut, pour f ∈ LpK(Ω, µ) verifiant[f ] ∈ ker(χ) fixe), l’application ψ : R→ K par

ψ(t) = ( ‖go + t · f‖p)p =

∫Ω

|go(ω) + t · f(ω)|p dµ(ω) ,

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 281

alors cette fonction a un minimum pour t = 0. Le but est maintenant de montrerque ψ est derivable sur (au moins) l’intervalle [−1, 1 ] et de calculer ψ′(0) par [27.7].Pour cela on definit la fonction F : [−1, 1 ] × Ω→ K par

F (t, ω) = |go(ω) + t · f(ω)|p

et on verifie les hypotheses de [27.7].

• [27.7.a] Selon [29.3] LpK(Ω, µ) est un espace vectoriel, donc la combinaison lineairego + t · f appartient a LpK(Ω, µ) pour tout t ∈ R. Il s’ensuit que la fonctionω 7→ F (t, ω) = |go(ω) + t · f(ω)|p est integrable pour tout t ∈ R.

• [27.7.b] Si go(ω) + t · f(ω) = 0, alors F (t+ h, ω) = |h|p · |f(ω)|p et donc

∂F

∂t(t, ω) = lim

h→0

F (t+ h, ω)− F (t, ω)

h= limh→0

|h|p · |f(ω)|p

h

p>1= 0 .

Dans les autres cas on a

∂F

∂t(t, ω) =

∂t

( (go(ω) + t · f(ω)

)·(go(ω) + t · f(ω)

) )p/2=p

2·( (

go(ω) + t · f(ω))·(go(ω) + t · f(ω)

) )p/2−1

·( (

go(ω) + t · f(ω))· f(ω) + f(ω) ·

(go(ω) + t · f(ω)

) )= p · | go(ω) + t · f(ω) |p−2 · Re

(f(ω) ·

(go(ω) + t · f(ω)

) ).

Il s’ensuit que la fonction t 7→ F (t, ω) est derivable sur R pour tout ω ∈ Ω.

• [27.7.c] Pour |t| ≤ 1 on a

|go(ω) + t · f(ω)| ≤ |go(ω)|+ |t| · |f(ω)| ≤ |go(ω)|+ |f(ω)| .

On constate maintenant que go et f appartiennent a LpK(Ω, µ), que donc |go| et|f | y appartiennent et que donc |go| + |f | y appartient. En particulier la fonction( |go|+ |f | )p est une fonction positive integrable.

Avec ces preparation on peut faire la majoration∣∣∣ ∂F∂t

(t, ω)∣∣∣ = p · | go(ω) + t · f(ω) |p−2 ·

∣∣ Re(f(ω) ·

(go(ω) + t · f(ω)

) ) ∣∣dans C : |Rez|≤|z|

≤ p · | go(ω) + t · f(ω) |p−1 · | f(ω) |≤ p · ( |go(ω)|+ |f(ω)| )p .

Cette majoration est evidemment aussi valable dans le cas F (t, ω) = 0 (car dans cecas on a ∂F/∂t = 0), ce qui montre que

∣∣∂F∂t

∣∣ est partout majoree par une fonctionpositive integrable.

Par [27.7] on peut donc conclure que ψ est derivable et que ψ′(0) est donne par

ψ′(0) =

∫Ω

∂F

∂t(0, ω) dµ(ω) =

∫Ω

p · | go(ω) |p−2 · Re(f(ω) · go(ω)

)dµ(ω) .

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282 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Il faut interpreter cette formule avec un peu de fantaisie, car dans le cas go(ω) = 0et p < 2, la fonction a integrer n’a pas de sens : 0p−2 n’existe pas. Mais on saitque dans ce cas on a ∂F

∂t (0, ω) = 0. Il faut donc interpreter le produit | go(ω) |p−2 ·Re(f(ω) · go(ω)

)comme etant zero quand on a go(ω) = 0 (ce qui est tout a fait

raisonnable).D’autre part, on sait que ψ a un minimum pour t = 0, donc qu’on doit avoir

ψ′(0) = 0. On en deduit la propriete

∀ [f ] ∈ ker(χ) :

∫Ω

| go |p−2 · Re(f · go

)dµ = 0 .

Si on remplace dans la definition de la fonction ψ le t par it, un argument similairenous donne la propriete

∀ [f ] ∈ ker(χ) :

∫Ω

| go |p−2 · Im(f · go

)dµ = 0 .

En prenant ces deux proprietes ensemble on trouve donc la propriete

∀ [f ] ∈ ker(χ) :

∫Ω

| go |p−2 · go · f dµ = 0 .

Et comme avant, pour la fonction a integrer il faut prendre la valeur 0 quand onest dans le cas go(ω) = 0, ce qui ne surprendra personne.

On definit maintenant la fonction h : Ω→ K par

h(ω) =χ( [go ])

(‖go‖p)p· | go(ω) |p−2 · go(ω) si go(ω) 6= 0 et h(ω) = 0 si go(ω) = 0.

et on constate qu’on a q = p/(p− 1) et

|h(ω)|q =∣∣∣ χ( [go ])

(‖go‖p)p· | go(ω) |p−2 · go(ω)

∣∣∣p/(p−1)

=∣∣∣ χ( [go ])

(‖go‖p)p∣∣∣p/(p−1)

· |go(ω)|p .

Le fait que go appartient a LpK(Ω, µ) implique que h appartient a LqK(Ω, µ). Enplus, on a les proprietes

(31.31)

∫Ω

h · go dµ =χ( [go ])

(‖go‖p)p·∫

Ω

|go|p dµ = χ( [go ])

et

(31.32) ∀ [f ] ∈ ker(χ) :

∫Ω

h · f dµ = 0 .

Maintenant on remarque que pour [f ] ∈ LpK(Ω, µ) on a l’egalite

[f ] =χ( [f ])

χ( [go ])· [go ] +

[f − χ( [f ])

χ( [go ])· go

],

ou le deuxieme terme appartient a ker(χ). Avec (31.31) et (31.32) il s’ensuit qu’on a∫Ω

h · f dµ =χ( [f ])

χ( [go ])·∫

Ω

h · go dµ =χ( [f ])

χ( [go ])· χ( [go ]) = χ( [f ]) .

CQFD

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 283

31.33 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit 1 ≤ p <∞. Alors il existeune fonction reelle strictement positive f : Ω→ ]0,∞ [ appartenant a LpK(Ω, µ) siet seulement si µ est σ-finie.

Preuve. • ⇒ : Si une telle fonction existe, on definit l’ensemble An ∈ F par

An = ω ∈ Ω | 1n+1 < f(ω)

et on fait le calcul

µ(An)

(n+ 1)p=

∫Ω

1

(n+ 1)p· 1An dµ

def. de An≤

∫Ω

fp · 1An dµ ≤∫

Ω

fp dµhyp.< ∞ .

Il s’ensuit qu’on a µ(An) <∞. Mais on a aussi l’egalite

Ω =⋃n∈N

An ,

simplement parce que f est strictement positive. On conclut que µ est bien σ-finie.

• ⇐ : Supposons maintenant que µ est σ-finie. Alors par [4.17.iii] il existe unesuite (Cn)n∈N d’ensembles mesurables 2 a 2 disjoints telle que ∪n∈NCn = Ω et queµ(Cn) <∞ pour tout n ∈ N. Avec ces Cn on cherche maintenant des reels an > 0tels que la fonction f =

∑n∈N an · 1Cn appartient a LpK(Ω, µ). On calcule donc∫

Ω

|f |p dµ =

∫Ω

∑n∈N

apn · 1Cn dµ[9.13]=

∑n∈N

apn · µ(Cn) ,

ou la premiere egalite est une consequence immediate du fait que les Cn sont 2 a 2disjoints. Il s’ensuit que si les an sont suffisamment petits, alors f appartient biena LpK(Ω, µ). Par exemple, le choix

an = 2−n ·(µ(Cn) + 1

)−1/p

convient. Et le fait qu’on a ∪n∈N

Cn = Ω garantit que f est strictement positive.CQFD

31.34 Theoreme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit χ : L1K(Ω, µ) → K une

application lineaire continue et soit µ σ-finie. Alors il existe h ∈ L∞K (Ω, µ) telleque

(31.35) ∀ [f ] ∈ L1K(Ω, µ) : χ(f) =

∫Ω

h · f dµ .

Preuve. Pour trouver un tel h, on a besoin d’une fonction auxiliaire reelle stricte-ment positive u : Ω→ ]0,∞ [ appartenant a L2

K(Ω, µ). Selon [31.33] et l’hypotheseque µ est σ-finie, une telle fonction u existe. On fixe une telle fonction et on constatequ’on a, selon l’inegalite de Holder [29.7],

∀g ∈ L2K(Ω, µ) : ‖u · g‖1 ≤ ‖u‖2 · ‖g‖2 <∞ .

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284 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Il s’ensuit, avec [31.3], que l’application Mu : L2K(Ω, µ)→ L1

K(Ω, µ) (de “multiplica-tion par u”) definie comme Mu( [g ]) = [u ·g ], est une application lineaire continueavec ‖Mu‖op ≤ ‖u‖2. La composee avec χ nous donne donc une application lineairecontinue ϕ = χ Mu : L2

K(Ω, µ)→ K definie comme

ϕ( [g ]) = χ( [u · g ]) .

Par [31.30] il existe donc une fonction v ∈ L2K(Ω, µ) telle qu’on a

(31.36) ∀g ∈ L2K(Ω, µ) : χ( [u · g ]) ≡ ϕ( [g ]) =

∫Ω

v · g dµ ≡∫

Ω

v

u· (g · u) dµ .

Cette ecriture suggere que la fonction h = v/u devrait etre notre candidat. (Maisattention, l’application Mu n’est pas bijective en general, donc on ne peut pas endeduire sans autre preuve qu’on a (31.35).)

Pour montrer que la fonction h = v/u verifie bien les conditions, il faut montrerque h appartient a L∞K (Ω, µ) et qu’on a (31.35). Pour montrer que h ∈ L∞K (Ω, µ)on commence avec la remarque que, en utilisant (31.11), on a l’implication

g ∈ L2K(Ω, µ) =⇒ ph(v) · g ∈ L2

K(Ω, µ) .

Avec cette remarque on calcule maintenant, avec une fonction g : Ω→ R+ appar-tenant a L2

K(Ω, µ) arbitraire :∫Ω

|v| · g dµ =∣∣∣ ∫

Ω

v ·(

ph(v) · g)

dµ∣∣∣ (31.36)

=∣∣ χ(

[u ·(

ph(v) · g) ]

)∣∣

≤ ‖χ‖op ·∥∥u · ( ph(v) · g

)∥∥1

= ‖χ‖op ·∫

Ω

∣∣u · ( ph(v) · g) ∣∣ dµ

= ‖χ‖op ·∫

Ω

u · g dµ .

Autrement dit, pour toute fonction g positive et appartenant a L2K(Ω, µ) on a

l’inegalite

(31.37)

∫Ω

(‖χ‖op · u− |v|

)· g dµ ≥ 0 .

Mais u, v et donc ‖χ‖op · u et |v| appartiennent a L2K(Ω, µ), donc la fonction reelle

χ‖op · u − |v| appartient a L2K(Ω, µ) ainsi que sa partie negative. Maintenant on

remarque que pour toute fonction w : Ω→ R on a

∀ω ∈ Ω : w(ω) · w−(ω) = −w−(ω)2 .

Si on applique ceci a (31.37) avec g =(‖χ‖op · u− |v|

)− on obtient

0 ≤∫

Ω

(‖χ‖op · u− |v|

)·(‖χ‖op · u− |v|

)− dµ = −

∫Ω

( (‖χ‖op · u− |v|

)−

)2dµ .

Mais( (‖χ‖op · u− |v|

)−

)2est une fonction reelle positive. Son integrale ne peut

donc pas etre negative. Il s’ensuit que son integrale est nulle, ce qui implique que

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 285

cette fonction doit etre nulle µ-presque partout [9.15.ii]. Mais si la partie negatived’une fonction est presque partout nulle, la fonction elle-meme est presque partoutpositive. On a donc montre :

‖χ‖op · u− |v|µ-pp

≥ 0 ⇐⇒ |h| ≡∣∣∣ vu

∣∣∣ µ-pp

≤ ‖χ‖op ,

ce qui montre qu’on a bien h = v/u ∈ L∞K (Ω, µ).

Pour montrer qu’on a (31.35), on commence avec la remarque que toute fonctionsur Ω a valeurs dans K est une combinaison lineaire de fonctions reelles positives :f = Re(f)+−Re(f)−+i ·Im(f)+−i ·Im(f)−. Il suffit donc de montrer (31.35) pourdes fonctions f reelles et positives. Soit donc f : Ω → R+ une fonction integrable(c’est-a-dire, appartenant a L1

K(Ω, µ)). Pour tout n ∈ N on definit maintenant lesfonctions fn, gn : Ω→ R+ par

fn = min(f, n · u2) et gn = fn/u .

Il s’ensuit qu’on a gn ≤ n · u et donc gn ∈ L2K(Ω, µ). Avec (31.36) on peut donc

calculer

χ( [fn ]) = χ( [u · gn ]) =

∫Ω

v · gn dµ =

∫Ω

h · fn dµ .

Parce que u est strictement positive, on a limn→∞ n · u(ω)2 =∞ pour tout ω ∈ Ωet donc limn→∞ fn = f et limn→∞ h · fn = h · f . D’autre part, la suite (fn)n∈Nest majoree par la fonction integrable f et la suite (h · fn)n∈N est majoree par la

fonction integrable h · f (car hµ-pp

≤ ‖χ‖op). On peut donc appliquer le theoreme deconvergence dominee [11.5] a ces deux suites pour obtenir

limn→∞

‖fn − f‖1 = 0 et limn→∞

∫Ω

h · fn dµ =

∫Ω

h · f dµ .

Il suffit maintenant d’invoquer la continuite de χ pour conclure :

χ( [fn ]) = limn→∞

χ( [fn ]) = limn→∞

∫Ω

h · fn dµ =

∫Ω

h · f dµ ,

car limn→∞

‖fn − f‖1 = 0 equivaut limn→∞

[fn ] = [f ] dans l’espace norme L1K(Ω, µ).

CQFD

→ 31.38 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure.

(i) L’application Ψp : LqK(Ω, µ)→(LpK(Ω, µ)

)∗ definie dans [31.14] est surjec-tive pour p ∈ ]1,∞ [ et q = p/(p− 1).

(ii) L’application Ψ1 : L∞K (Ω, µ) →(L1K(Ω, µ)

)∗ [31.14] est surjective si µ estσ-finie.

Preuve de [31.38]. CQFD

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286 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

31.39 Resume. Si on combine [31.38] et [31.14] on obtient le resultat suivantconcernant les applications Ψp definies en [31.14] :

Ψ∞ : L1K(Ω, µ)→

(L∞K (Ω, µ)

)∗isometrie (injective)

Ψp : LqK(Ω, µ)→(LpK(Ω, µ)

)∗isometrie bijective pour 1 < p <∞, q = p

p−1

Ψ1 : L∞K (Ω, µ)→(L1K(Ω, µ)

)∗isometrie bijective si µ est σ-finie.

On ne se prononce pas sur la surjectivite de Ψ∞ et on ne se prononce pas non plussur l’injectivite ni la surjectivite de Ψ1 si µ n’est pas σ-finie.

On formule ce resultat souvent en disant que le dual topologique de LpK(Ω, µ)est LqK(Ω, µ) pour 1 < p, q < ∞ avec 1

p + 1q = 1, que le dual topologique de

L1K(Ω, µ) est L∞K (Ω, µ) quand la mesure est σ-finie et que le dual topologique de

L∞K (Ω, µ) contient L1K(Ω, µ). Dans [31.41] on donnera des exemples pour montrer

que l’application Ψ∞ peut etre bijective, mais que ce n’est pas le cas general. Ondonnera aussi des exemples pour montrer que la condition d’une mesure σ-finien’est pas necessaire pour que l’application Ψ1 soit bijective, mais qu’il existe descas ou elle ne l’est pas.

31.40 Remarque pour les comparateurs. Dans [31.30] et [31.34] on a montrela surjectivite de Ψp simultanement pour K = R et K = C. Dans la litterature ondeduit souvent le cas K = C du cas K = R par l’argument (simple) suivant. Unespace vectoriel complexe E est en particulier un espace vectoriel reel. Pour uneapplication lineaire (complexe) χ : LpC(Ω, µ) → C on peut definir les applicationχr, χi : LpC(Ω, µ)→ R par

∀ [f ] ∈ LpC(Ω, µ) : χ( [f ]) = χr( [f ]) + i · χi( [f ]) .

Ces applications sont lineaire sur R et donc leurs restrictions a LpR(Ω, µ) ⊂ LpC(Ω, µ)donnent, selon la surjectivite dans le cas reel, deux fonctions hr, hi ∈ LqR(Ω, µ)verifiant

∀ [f ] ∈ LpR(Ω, µ) : χr( [f ]) =

∫Ω

hr · f dµ et χi( [f ]) =

∫Ω

hi · f dµ .

Pour [f ] ∈ LqC(Ω, µ) on a donc

χ( [f ]) = χr( [f ]) + i · χi( [f ])

= χr( [Re(f) ] + i · [ Im(f) ]) + i · χi( [Re(f) ] + i · [ Im(f) ])

=

∫Ω

hr · Re(f) dµ+ i ·∫

Ω

hr · Im(f) dµ

+ i ·∫

Ω

hi · Re(f) dµ−∫

Ω

hi · Im(f) dµ

=

∫Ω

(hr + i · hi) ·(Re(f) + i · Im(f)

)dµ =

∫Ω

(hr + i · hi) · f dµ .

Ainsi on voit que la fonction h = hr + i · hi ∈ LqC(Ω, µ) convient, montrant ainsi lasurjectivite dans le cas complexe. On a prefere l’approche directe, mais cela nousa oblige de rajouter [31.20] pour pouvoir traiter le cas complexe directement.

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LE DUAL TOPOLOGIQUE DES ESPACES LP 287

31.41 Exemples. • On a vu dans [29.15] que, si on considere l’espace mesure(Ω,P(Ω), CΩ) pour un espace fini a n elements, alors LpK(Ω, CΩ) est isomorphe a Kn

(et c’est aussi valable pour p =∞) et que l’integrale dans cette representation estdonnee par la somme des “coordonnees.” Etant donne que sur un espace vectorielde dimension finie toutes les normes sont equivalentes et toutes les applicationslineaires sont continues, il est immediat que le dual topologique est aussi isomorphea Kn :

LpK(Ω, CΩ) ∼= Kn =⇒(LpK(Ω, CΩ)

)∗ ∼= Kn .

Mais avec la representation de l’integrale comme somme, l’application Φg est donnepar la formule

Φ(y1,...,yn)

((x1, . . . , xn)

)=

n∑i=1

yixi ,

ce qui montre que toutes les applications Ψp : LqK(Ω, µ) →(LpK(Ω, µ)

)∗sont des

bijections, meme dans le cas p = ∞ (le cas p = 1 est predit par la theorie car lamesure est finie).• On peut regarder le cas “complementaire” de l’espace mesure (Ω,P(Ω), CΩ)

avec un ensemble infini Ω muni de la mesure de comptage CΩ. Dans ce cas on peutmontrer, a part les resultats deja donnes par la theorie generale, que l’application

Ψ1 : L∞K (Ω, µ)→(L1K(Ω, µ)

)∗est une bijection, meme si l’ensemble Ω n’est pas denombrable (et donc la mesureCΩ pas σ-finie). Pour le faire, on rappelle [16.11] qu’une fonction f : Ω → Kest integrable (c’est-a-dire, appartient a L1

K(Ω, CΩ)) si l’ensemble Bf ⊂ Ω definiecomme

Bf = ω ∈ Ω | f(ω) 6= 0

est denombrable et qu’on a∫Ω

|f | dCΩ[16.11]

=∑ω∈Bf

|f(ω)| <∞ .

Pour la mesure de comptage, seul l’ensemble vide a une mesure nulle. Il s’ensuitqu’on a l’egalite

‖f‖∞ = supω∈Ω|f(ω)|

et qu’on a l’egalite L1K(Ω, CΩ) = L1

K(Ω, CΩ). En plus, pour g ∈ LqK(Ω, CΩ) etf ∈ LpK(Ω, CΩ) (avec 1

p + 1q = 1 et 1 ≤ p ≤ ∞) on a

Φg(f) =∑

ω∈Bf∩Bg

g(ω) · f(ω) .

Pour l’injectivite de Ψ1 : L∞K (Ω, µ) →(L1K(Ω, µ)

)∗ il faut montrer que g = 0 si

Φg(f) = 0 pour tout f ∈ L1K(Ω, CΩ). Mais si on prend f = 1ω ∈ L1

K(Ω, CΩ) on a

Φg(f) = g(ω) = 0 ,

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288 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

ce qui montre qu’on a g = 0. L’application Ψ1 est donc bien injective.Pour la surjectivite, soit χ : L1

K(Ω, CΩ) → K une application lineaire continue.Alors pour tout ω ∈ Ω on a

‖1ω‖1 = 1 et donc |χ(1ω)| ≤ sup‖f‖1=1

|χ(f)| def. de ‖·‖op= ‖χ‖op .

Si on definit la fonction g : Ω→ K par

g(ω) = χ(1ω) ,

alors on a supω∈Ω |g(ω)| ≤ ‖χ‖op et donc g ∈ L∞K (Ω, CΩ). Reste a montrer qu’on aχ = Φg. Pour cela on prend f ∈ L1

K(Ω, CΩ) et une enumeration

Bf = ωi | i ∈ N .

Avec ces ingredients on definit les fonctions hn : Ω→ K comme

hn =n∑i=0

f(ωi) · 1ωi .

Etant donne que f est integrable, on peut invoquer le theoreme de convergencedominee [11.5] pour conclure que la suite des fonctions hn converge vers f au sensL1. On peut donc utiliser la continuite de χ pour faire le calcul

χ(f) = χ( limn→∞

hn)cont. de χ

= limn→∞

χ(hn)lin. de χ

= limn→∞

n∑i=0

f(ωi) · χ(1ωi)

def. de g= lim

n→∞

n∑i=0

f(ωi) · g(ωi) =∑ω∈Bf

f(ω) · g(ω) = Φg(f) .

Ainsi s’acheve la preuve que Ψ1 : L∞K (Ω, µ)→(L1K(Ω, µ)

)∗ est une bijection. Par

contre, pour un ensemble infini Ω, l’application Ψ∞ : L1K(Ω, µ) →

(L∞K (Ω, µ)

)∗n’est pas surjective ; “malheureusement” la preuve sort un peu trop du cadre de cetexte pour l’inclure.• Si on considere l’espace mesure (Ω,P(Ω), µ) avec Ω = ωo un ensemble a

un seul point et µ(ωo) = ∞, alors la mesure µ n’est evidemment pas σ-finie.Dans ce cas il est immediat qu’on a L∞K (Ω, µ) = K : une fonction sur un point estdeterminee par sa valeur en ce point et c’est une fonction bornee. Mais on a aussiL1K(Ω, µ) = 0, car a part la fonction nulle, aucune fonction n’est µ-integrable. Il

s’ensuit qu’on a(L∞K (Ω, µ)

)∗ = K et(L1K(Ω, µ)

)∗ = 0. Pour les applicationsΨ∗ on a donc :

Ψ1 : L∞K (Ω, µ) = K→ 0 =(L1K(Ω, µ)

)∗surjective mais pas injective

et

Ψ∞ : L1K(Ω, µ) = 0 → K =

(L∞K (Ω, µ)

)∗injective mais pas surjective.

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289

32. Espaces de Hilbert

32.1 Definitions. Soit E un espace vectoriel sur K avec K = R ou C et soitB : E × E → K une application On dit que B est sesquilineaire si elle verifie lesconditions

(i) ∀e, f, g ∈ E ∀a, b ∈ K : B(ae+ bf, g) = a ·B(e, g) + b ·B(f, g) et(ii) ∀e, f, g ∈ E ∀a, b ∈ K : B(g, ae+ bf) = a ·B(g, e) + b ·B(g, f).

Si on veut exprimer ces conditions en mots, on dit queB est lineaire dans la premierevariable (condition (i)) et anti-lineaire dans la seconde (condition (ii)).

On dit que B est hermitienne si ell verifie la condition

(iii) ∀e, f ∈ E : B(e, f) = B(f, e).

A noter qu’une application B verifiant les conditions (i) et (iii), ou (ii) et (iii) estautomatiquement une application sesquilineaire hermitienne.

Si B est une application hermitienne, alors forcement B(e, e) appartient a Rpour tout e ∈ E, meme dans le cas K = C. On dit qu’une application hermitienneB est positive si elle verifie la condition

(iv) ∀e ∈ E : B(e, e) ≥ 0,

et on dit que B et definie positive si elle verifie en plus la condition

(v) ∀e ∈ E : B(e, e) = 0⇐⇒ e = 0.

Un produit scalaire sur E est une application sesquilineaire hermitienne definiepositive et un espace prehilbertien est une espace vectoriel E muni d’un produitscalaire. Si E est un espace prehilbertien, il est d’usage de noter le produit scalairede deux vecteurs e, f ∈ E par 〈e, f〉.

32.2 Nota Bene. Dans la litterature, surtout en physique, on trouve une autredefinition d’une application sesquilineaire ou les roles de la premiere et deuxiemevariable sont echanges : on exige les conditions

(i’) ∀e, f, g ∈ E ∀a, b ∈ K : B(ae+ bf, g) = a ·B(e, g) + b ·B(f, g) et(ii’) ∀e, f, g ∈ E ∀a, b ∈ K : B(g, ae+ bf) = a ·B(g, e) + b ·B(g, f).

Autrement dit, on demande la linearite dans la seconde variable et l’anti-linearitedans la premiere. Cette difference n’a aucune incidence sur la theorie, mais unlecteur non-averti peut etre surpris. Pour retrouver sa definition preferee, il suffitde remplacer un tel B par B′ defini par B′(e, f) = B(f, e).

32.3 Remarque sur la terminologie. Soit E un espace vectoriel sur K avecK = R ou C et soit B : E × E → K une application. On dit que B est bilineairesi elle verifie les conditions

(i) ∀e, f, g ∈ E ∀a, b ∈ K : B(ae+ bf, g) = a ·B(e, g) + b ·B(f, g) et(ii) ∀e, f, g ∈ E ∀a, b ∈ K : B(g, ae+ bf) = a ·B(g, e) + b ·B(g, f).

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290 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Et on dit que B est symetrique si elle verifie la condition

(iii) ∀e, f ∈ E : B(e, f) = B(f, e).

Dans les cas K = R une application bilineaire est donc la meme chose qu’uneapplication sesquilineaire et une application symetrique est la meme chose qu’uneapplication hermitienne. Par contre, dans les cas K = C ces notions sont biendifferentes.

Pour un espace vectoriel reel on dit (donc) souvent qu’un produit scalaire est uneapplication bilineaire symetrique definie positive et on parle d’un espace euclidien ;pour un espace vectoriel complexe muni d’un produit scalaire on parle plutot d’unespace hermitien. Pour eviter ce double language, on continuera de parler d’unespace prehilbertien.

→ 32.4 L’inegalite de Cauchy-Schwarz. Soit E un espace vectoriel et soit 〈·, ·〉une application sesquilineaire hermitienne positive. Alors pour tout e, f ∈ E on al’inegalite

|〈e, f〉|2 ≤ 〈e, e〉 · 〈f, f〉 .

Preuve de [32.4]. On pose λ = 〈e, f〉 et on regarde la fonction f : R→ R+ definiepar

f(t) = 〈e+ tλf, e+ tλf〉 = 〈e, e〉+ tλ〈f, e〉+ tλ〈e, f〉+ |λ|2t2〈f, f〉= t2 · 〈f, f〉 · |〈e, f〉|2 + 2t · |〈e, f〉|2 + 〈e, e〉 .

La positivite de 〈·, ·〉 implique que cette fonction quadratique est toujours positive,donc son discriminant doit etre negatif :(

2 · |〈e, f〉|2)2 − 4 · 〈e, e〉 · 〈f, f〉 · |〈e, f〉|2 ≤ 0 .

Mais cette inegalite est equivalente a l’inegalite

|〈e, f〉|2 ·(|〈e, f〉|2 − 〈e, e〉 · 〈f, f〉

)≤ 0 ,

ce qui donne l’inegalite a montrer, car |〈e, f〉|2 est toujours positive. CQFD

→ 32.5 Exercice. Soit 〈·, ·〉 un produit scalaire sur E. Montrer que dans cette si-tuation l’inegalite de Cauchy-Schwarz est une egalite si et seulement si e et f sontcolineaires : il existe λ ∈ K tel que e = λ · f ou f = λ · e.

→ 32.6 Lemme. Soit E un espace vectoriel et soit 〈·, ·〉 une application sesquilineairehermitienne positive. Alors l’application ‖ · ‖ : E → R+ definie par

‖ · ‖ : e 7→ ‖e‖ def=√〈e, e〉

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ESPACES DE HILBERT 291

est une semi-norme. C’est une norme si et seulement si 〈·, ·〉 est definie positive.

Preuve de [32.6]. Le seul point problematique dans cette preuve est l’inegalite tri-angulaire. Pour e, f ∈ E on a les egalites

‖e+ f‖2 = 〈e+ f, e+ f〉 = 〈e, e〉+ 〈f, f〉+ 〈e, f〉+ 〈f, e〉= 〈e, e〉+ 〈f, f〉+ 2 · Re〈e, f〉 et

(‖e‖+ ‖f‖

)2=(√〈e, e〉+

√〈f, f〉

)2

= 〈e, e〉+ 〈f, f〉+ 2√〈e, e〉 · 〈f, f〉 .

L’inegalite a montrer se transforme donc en l’inegalite

Re〈e, f〉 ≤√〈e, e〉 · 〈f, f〉 .

Mais ceci est une consequence immediate de l’inegalite de Cauchy-Schwarz [32.4].CQFD

32.7 Convention. Si E est un espace prehilbertien, on le munit (si on ne precisepas autrement) toujours de la topologie induite par la metrique d(e, f) = ‖e−f‖ =√〈e− f, e− f〉 (voir [2.28]).

32.8 Corollaire. Tout espace prehilbertien est automatiquement un espace vecto-riel norme, donc un espace metrique et en particulier un espace topologique.

→ 32.9 Lemme. Soit E un espace prehilbertien. Alors le produit scalaire 〈·, ·〉 :E ×E → K est continu comme application de l’espace topologique E ×E dans K.

Preuve de [32.9]. CQFD

→ 32.10 Lemme. Soit E un espace prehilbertien et soit a, b ∈ E arbitraire. Alorson a :

〈a, b〉 = 0 =⇒ ‖a+ b‖2 = ‖a‖2 + ‖b‖2 Pythagore

‖a+ b‖2 + ‖a− b‖2 = 2‖a‖2 + 2‖b‖2 l’egalite du parallelogramme.

Preuve de [32.10]. CQFD

→ 32.11 Proposition. Soit ‖ ·‖ une norme sur un espace vectoriel E. Alors il existeun produit scalaire 〈·, ·〉 sur E tel que ‖e‖2 = 〈e, e〉 pour tout e ∈ E si et seulement

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292 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

si cette norme verifie l’egalite du parallelogramme [32.10] pour tout a, b ∈ E. Sic’est le cas, le produit scalaire est donne par la formule

Re 〈e, f〉 = 12 ( ‖e+ f‖2 − ‖e‖2 − ‖f‖2 )

et (dans le cas ou E est un espace vectoriel complexe)

Im 〈e, f〉 = 12 ( ‖e+ if‖2 − ‖e‖2 − ‖f‖2 ) .

Preuve de [32.11]. CQFD

→ 32.12 Lemme. Si A : E → F est une isometrie entre deux espaces prehilbertiens(E, 〈·, ·〉E) et (F, 〈·, ·〉F ), alors A preserve les produits scalaires dans le sens qu’ona la propriete

∀x, y ∈ E : 〈A(x), A(y)〉F = 〈x, y〉E .

Preuve de [32.12]. CQFD

32.13 Definition. Un espace de Hilbert est un espace prehilbertien H tel que Hest complet par rapport a la metrique induite par le produit scalaire.

32.14 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Alors l’application

〈·, ·〉 : L2K(Ω, µ)× L2

K(Ω, µ)→ K , (f, g) 7→ 〈f, g〉 =

∫Ω

f · g dµ

est sesquilineaire hermitienne positive. L’application induite sur L2K(Ω, µ) (a veri-

fier qu’elle est bien definie) aussi notee 〈·, ·〉 et (donc) definie par

〈 [f ], [g ]〉 =

∫Ω

f · g dµ

est un produit scalaire sur L2K(Ω, µ).

Preuve. CQFD

32.15 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Alors L2K(Ω, µ) est un espace

de Hilbert.

32.16 Exemples. Si on prend l’espace mesure (N,P(N), CN), alors l’espace de

Hilbert associe L2K(N, CN) est souvent note comme `2K ou `2K(N). Etant donne

qu’une fonction sur N n’est rien d’autre qu’une suite, alors `2K consiste des seriesde carre sommables : (an)n∈N ∈ `2 si et seulement si

∑n∈N|an|2 <∞. Le produit

scalaire est donne par la formule 〈(an)n∈N, (bn)n∈N〉 =∑n∈N an · bn.

Si on considere un ensemble fini Ω = 1, . . . , n et l’espace mesure associe(Ω,P(Ω), CΩ), alors l’identification d’une fonction f : Ω → K avec un elementde Kn via (x1, . . . , xn) = (f(1), . . . , f(n)) montre directement qu’on a l’egaliteL2K(Ω, CΩ) = Kn muni du produit scalaire 〈x, y〉 =

∑ni=1 xi · yi.

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ESPACES DE HILBERT 293

→ 32.17 Lemme. Soit E un espace vectoriel norme et soit X ⊂ E un sous-espacevectoriel.

(i) Si X est de dimension finie, alors X est complet.(ii) Si X est complet, alors X est ferme.

(iii) Si X est ferme et si E est complet, alors X est complet.

32.18 Definitions. Soit E un espace prehilbertien et soit A,B ⊂ E deux sous-ensembles arbitraires. On note le sous-espace vectoriel engendre par A (les combi-naisons lineaires finies d’elements de A) par 〈〈A〉〉 :

〈〈A〉〉 = n∑

i=1

λi · ai | n ∈ N , λi ∈ K , ai ∈ A.

L’orthogonal de A, note A⊥ est defini comme

A⊥ = v ∈ E | ∀a ∈ A : 〈a, v〉 = 0 .

→ 32.19 Lemme. Soit A ⊂ E un sous-ensemble arbitraire. Alors

(i) A⊥ est un sous-espace vectoriel ferme de E,

(ii) A⊥ =(〈〈A〉〉

)⊥, ou 〈〈A〉〉 est l’adherence de 〈〈A〉〉 et

(iii) A ∩A⊥ ⊂ 0.

Preuve de [32.19]. CQFD

32.20 Discussion. Soit E un espace prehilbertien, soit X ⊂ E un sous-espacevectoriel et soit v ∈ E un vecteur quelconque. Le probleme de la projection ortho-gonale de v sur X est la question de l’existence et unicite d’un vecteur x ∈ X telque v − x est orthogonal a X, c’est-a-dire v − x ∈ X⊥.

E Xv

xv − x angle droit ?

Il est facile a donner une reponse affirmative a la question sur l’unicite, car six, y ∈ X sont deux vecteurs tels que v − x et v − y appartiennent a X⊥, alorsx − y = (v − y) − (v − x) appartient a X⊥ par [32.19.i] mais aussi a X, donc par[32.19.iii] on a x− y = 0.

Pour la question sur l’existence, il est facile d’obtenir une reponse partielle : siun tel x existe, alors v = x + (v − x) appartient a X + X⊥ et vice-versa, si vappartient a X + X⊥, alors il existe x ∈ X et y ∈ X⊥ tels que v = x + y et doncv − x = y ∈ X⊥. La question qui reste est donc a savoir si la somme X + X⊥

(directe car X ∩X⊥ = 0) est egale ou non a l’espace total E.

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294 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

32.21 Definition. Soit E un espace prehilbertien et soit X ⊂ E un sous-espacevectoriel. La projection orthogonale sur X, notee PX est l’application lineairedefinie sur le sous-espace X + X⊥ a valeurs dans X ⊂ E et donnee par la for-mule :

∀x ∈ X ∀p ∈ X⊥ : PX(x+ p) = x .

→ 32.22 Exercice. Soit E un espace prehilbertien et soit X ⊂ E un sous-espacevectoriel. Montrer que la projection orthogonale PX : X + X⊥ → E est continueet qu’on a ‖PX‖op = 1.

32.23 Lemme. Soit E un espace prehilbertien, soit X ⊂ E un sous-espace vecto-riel, soit v ∈ E et x ∈ X des vecteurs arbitraires. Alors on a l’equivalence

v − x ∈ X⊥ ⇐⇒ ∀y ∈ X : x 6= y ⇒ ‖v − y‖ > ‖v − x‖ .

Preuve. • ⇒ : Pour y ∈ X on a v − y = (v − x) + (x − y) et par hypothese〈v − x, x− y〉 = 0. Par l’egalite de Pythagore [32.10] on a donc (pour x 6= y)

‖v − y‖2 = ‖v − x‖2 + ‖x− y‖2 > ‖v − x‖2 ,

d’ou le resultat.

E Xv

yx

• ⇐ : Pour montrer qu’on a v − x ∈ X⊥ on suppose qu’il existe z ∈ X tel que〈v − x, z〉 6= 0. Soit λ = 〈v − x, z〉 ∈ K∗ et regardons la fonction f : R → [0,∞ [definie par

f(t) = ‖v − x+ tλz‖2 = ‖v − x‖2 + 2t · |λ|2 + t2 · |λ|2 · ‖z‖2 .

Par hypothese cette fonction doit avoir un minimum pour t = 0. Mais si ‖z‖ 6= 0,la fonction quadratique f a un minimum unique en t = −‖z‖−2 6= 0. On doit doncavoir ‖z‖ = 0 et donc z = 0, ce qui contredit l’hypothese 〈v−x, z〉 6= 0. On conclutqu’on a 〈v − x, z〉 = 0 pour tout z ∈ X. CQFD

32.24 Remarque pour les curieux. Selon [32.23] un point x ∈ X est la projec-tion orthogonale de v sur X si et seulement si ce point realise la distance minimaleentre v et un point de X. Ce resultat est generalise en geometrie differentielle ouon montre que la distance minimale entre un point v et un sous-ensemble ferme X

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ESPACES DE HILBERT 295

est realisee par un point x ∈ X appartenant au bord de X et tel que le segmentreliant v a x est orthogonale au bord (a condition que ce bord soit suffisammentlisse).

32.25 Proposition. Soit E un espace prehilbertien et soit X ⊂ E un sous-espacevectoriel.

(i) Si X n’est pas ferme, alors X +X⊥ 6= E.(ii) Si X est complet, alors X +X⊥ = E et (donc) (X⊥)⊥ = X.

Preuve. • (i) : Soit v ∈ X \ X et supposons que v ∈ X + X⊥. Il existe doncx ∈ X tel que v − x ∈ X⊥. Mais X ⊂ X et X⊥ =

(X)⊥ [32.19.ii] et donc

v − x ∈ X ∩(X)⊥ = 0 [32.19.iii]. Mais l’egalite v − x = 0 est impossible car

v /∈ X. Il s’ensuit que X \X n’est pas dans X +X⊥.

• (ii) : Pour montrer l’egalite E = X + X⊥ il faut trouver pour tout v ∈ E unelement x ∈ X tel que v − x ∈ X⊥. Selon [32.23] ceci revient a trouver x ∈ X telque la distance ‖v− x‖ est minimale. Soit donc v ∈ E arbitraire et soit d ∈ [0,∞ [definie comme

d = inf ‖v − z‖ | z ∈ X .

Si on trouve x ∈ X tel que d = ‖v − x‖, alors c’est l’element recherche, car onaura ‖v − y‖ ≥ ‖v − x‖ pour tout y ∈ X. Par definition de l’inf, il existe unesuite (xn)n∈N d’elements de X telle que d = lim

n→∞‖v − xn‖. Avec l’egalite du

parallelogramme [32.10] on peut faire le calcul

‖xn − xm‖2 = ‖(v − xm)− (v − xn)‖2

= 2 · ‖v − xn‖2 + 2 · ‖v − xm‖2 − 4 · ‖v − 12 (xn + xm)‖2 .

Par definition de d on a d ≤ ‖v − 12 (xn + xm)‖, ce qui nous donne l’inegalite

‖xn − xm‖2 ≤ 2 ·(‖v − xn‖2 − d2

)+ 2 ·

(‖v − xm‖2 − d2

).

Par hypothese limn→∞ ‖v − xn‖ = d (et d ≤ ‖v − xn‖). Il s’ensuit que si n et msont suffisamment grands, alors ‖xn − xm‖ sera plus petit que ε > 0. Ce qui veutdire que la suite (xn)n∈N est une suite de Cauchy. Si X est complet, cette suiteconverge dans X et on peut definir x comme sa limite : x = lim

n→∞xn ∈ X. La

continuite de la norme donne l’egalite ‖v − x‖ = d.

L’affirmation (X⊥)⊥ = X est laissee comme exercice au lecteur. CQFD

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296 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

→ 32.26 Exercice. Soit E un espace prehilbertien et soit A ⊂ E un sous-ensemble.Montrer qu’on a toujours l’inclusion

〈〈A〉〉 ⊂ (A⊥)⊥ .

Dans [32.25.ii] on a vu une condition suffisante pour qu’on aie l’egalite. L’espaceX dans [32.27] est un exemple ou on n’a pas egalite.

32.27 Exemples. Soit E un espace prehilbertien et soit X ⊂ E un sous-espacevectoriel. On a vu que l’egalite X + X⊥ = E est fausse pour un X qui n’est pasferme et qu’elle est vraie si X est complet. Selon [32.17] cela laisse le cas d’un Xferme mais pas complet. Et pour cela X doit etre de dimension infinie et E ne peutpas etre complet.

Pour montrer que “presque tout” peut arriver, on va construire dans ce qui suitquatre exemples d’un espace prehilbertien E de dimension infinie et non-completet d’un sous-espace vectoriel X ⊂ E ferme mais pas complet. Pour le premier onaura X⊥ complet et X + X⊥ ferme mais pas complet et different de E ; pour ledeuxieme on aura X⊥ ferme mais pas complet et X +X⊥ ferme mais pas completet different de E ; pour le troisieme on aura X⊥ ferme mais pas complet et X+X⊥

pas ferme et different de E ; et dans le dernier on aura X⊥ ferme mais pas completet X +X⊥ ferme mais pas complet et egal a E.

Pour le premier exemple on considere l’espace `2K(N) des suites de carre somma-ble [32.16]. Pour chaque k ∈ N on definit l’element ek ∈ `2K(N) par

ek = (an)n∈N avec an =

1 n = k

0 n 6= k

On definit aussi l’element c ∈ `2K(N) par

c = (an)n∈N avec an = 2−n .

On introduit maintenant E = 〈〈c, e2k | k ∈ N〉〉 comme le sous-espace vectorielde `2K(N) engendre par les vecteurs e2k, k ∈ N et c :

E =α · c+

K∑k=0

ak · e2k | K ∈ N , α, ak ∈ C.

Dans E on definit le sous-espace vectoriel X = 〈〈e2k | k ∈ N〉〉 engendre par lesvecteurs e2k, k ∈ N :

X = K∑k=0

ak · e2k | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E .

Pour montrer que X est un sous-espace vectoriel ferme de E, on prend un element

arbitraire v = α·c+∑Kk=0 ak ·e2k dans E, et on montre que si v appartient a X alors

α = 0, ce qui implique a son tour que v appartient deja a X. L’hypothese v ∈ X

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ESPACES DE HILBERT 297

implique qu’il existe une suite (xn)n∈N d’elements de X telle que limn→∞ xn = v.Pour en deduire α = 0 il y a deux facons differentes. La premiere consiste a faireun calcul dans `2K(N) en ecrivant

c = 12 · e1 + (c− 1

2 · e1)

et en remarquant les relations d’orthogonalite (dans `2K(N))

〈e1, c− 12 · e1〉 = 0 et x ∈ X ⇒ 〈x, e1〉 = 0 .

Il s’ensuit qu’on a (selon Pythogore dans `2K(N))

‖v − xn‖2 = ‖α2 · e1 + (α · c− α2 · e1 +

K∑k=0

ak · e2k − xn)‖2

= ‖α2 · e1‖2 + ‖α · c− α2 · e1 +

K∑k=0

ak · e2k − xn‖2 ≥ ‖α2 · e1‖2 =α2

4.

Mais cette inegalite est en contradiction avec limn→∞

xn = v qui veut dire qu’on alimn→∞ ‖v − xn‖ = 0, sauf si α = 0.

La deuxieme facon consiste a remarquer que l’application f : `2K(N)→ K definiepar f(w) = 〈w, e1〉 est continue [32.9]. Sa restriction a E est donc aussi continue.Mais f appliquee a X est l’application nulle. On a donc f(xn) = 0 pour tout n ∈ N.La continuite de f implique qu’on a donc aussi

〈v, e1〉 = f(v) = f( limn→∞

xn) = limn→∞

f(xn) = 0 .

Mais 〈v, e1〉 = α2 , donc α = 0 comme voulu.

Le sous-espace vectoriel X est donc ferme, mais il n’est pas complet : la suite deCauchy

∑nk=0 2−2ke2k ne converge pas dans E.

Pour terminer on montre X⊥ = 0. Pour cela supposons que v = α · c +∑Kk=0 ck ·e2k ∈ X⊥. Le vecteur e2n appartient a X, donc on doit avoir 〈v, e2n〉 = 0,

ce qui nous donne l’equation

0 = 〈v, e2n〉 = α · 〈c, e2n〉+

K∑k=0

ck · 〈e2k, e2n〉 =

α · 2−2n n > K

α · 2−2n + cn n ≤ K .

En variant n on en deduit α = 0 et ck = 0 pour tout 1 ≤ k ≤ K, c’est-a-dire v = 0.Pour resumer : on a un exemple d’un espace prehilbertien E et un sous-espace

vectoriel X avec les proprietes suivantes

(i) X ferme et X⊥ complet,(ii) X +X⊥ est ferme (car egale a X) mais different de E,

(iii) (X⊥)⊥ est different de X (car (X⊥)⊥ = E 6= X),(iv) X ferme, X 6= E mais X⊥ = 0.

On peut varier l’exemple ci-dessus un petit peu en prenant le sous-espace vecto-riel Y = 〈〈e4k | k ∈ N〉〉 engendre par les vecteurs e4k, k ∈ N :

Y = K∑k=0

ak · e4k | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E .

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298 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Avec les memes arguments que ci-dessus on montre facilement que Y est ferme etque Y ⊥ est engendre par les vecteurs e4k+2, k ∈ N :

Y ⊥ = K∑k=0

ak · e4k+2 | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E .

Il est presque immediat qu’on a aussi (Y ⊥)⊥ = Y . On a donc ici un exemple ou lesous-espace vectoriel a les proprietes

(i) Y et Y ⊥ fermes (mais pas complets),(ii) Y + Y ⊥ est ferme (car egale a X) mais different de E,

(iii) (Y ⊥)⊥ = Y .

Une autre variante des exemples precedents consiste a prendre pour E le sous-espace vectoriel de `2K engendre par c et tous les vecteurs ek, k ∈ N :

E =α · c+

K∑k=0

ak · ek | K ∈ N , α, ak ∈ C.

Dans ce E on definit le sous-espace vectoriel X = 〈〈e2k | k ∈ N〉〉 engendre parles vecteurs e2k, k ∈ N :

X = K∑k=0

ak · e2k | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E .

Toujours avec les memes arguments on montre que X est ferme et que X⊥ estengendre par les vecteurs e2k+1, k ∈ N :

X⊥ = K∑k=0

ak · e2k+1 | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E .

Mais contrairement au premier exemple la somme X + X⊥ n’est pas fermee, carelle contient l’element c. On a donc ici un sous-espace vectoriel avec les proprietes

(i) X et X⊥ fermes (mais pas complets),

(ii) X +X⊥ non-ferme (donc different de E) et X +X⊥ = E,(iii) (X⊥)⊥ = X.

Pour montrer qu’on peut aussi avoir des situations qui ressemblent au cas com-plet, on considere le sous-espace vectoriel de `2K E = 〈〈ek | k ∈ N〉〉 engendre(seulement) par les vecteurs ek, k ∈ N :

E = K∑k=0

ak · ek | K ∈ N , ak ∈ C.

Dans ce E on definit le sous-espace vectoriel X = 〈〈e2k | k ∈ N〉〉 engendre parles vecteurs e2k, k ∈ N :

X = K∑k=0

ak · e2k | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E ,

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ESPACES DE HILBERT 299

et on montre, comme avant, que X⊥ est engendre par les vecteurs e2k+1, k ∈ N :

X⊥ = K∑k=0

ak · e2k+1 | K ∈ N , ak ∈ C⊂ E .

Ici la situation ressemble beaucoup a la situation complete, car on a les proprietes

(i) X et X⊥ fermes (mais pas complets),(ii) X +X⊥ = E (donc ferme),

(iiii) (X⊥)⊥ = X.

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300

33. Bases hilbertiennes

33.1 Definition. Soit E un espace prehilbertien et B ⊂ E un sous-ensemble. Ondit que les elements de B sont mutuellement orthogonaux si on a

(i) ∀a, b ∈ B : a 6= b⇒ 〈a, b〉 = 0.

Si les elements de B verifient en plus la condition

(ii) ∀b ∈ B : ‖b‖ = 1,

alors on dit que B est un systeme orthonorme. Et on dit que B est une basehilbertienne pour E si B est un systeme orthonorme verifiant la condition

(iii) E = 〈〈B〉〉.

→ 33.2 Lemme. Soit E un espace prehilbertien et B ⊂ E une base hilbertienne pourE. Alors B est une famille de vecteurs independants : pour tout b1, . . . , bn ∈ B ettout λ1, . . . , λn ∈ K on a l’implication

n∑i=1

λi · bi = 0 ⇒ ∀i = 1, . . . , n : λi = 0 .

Preuve de [33.2]. CQFD

→ 33.3 Exercice. Soit E un espace prehilbertien et A ⊂ E un systeme orthonorme.Montrer que A est une base (ordinaire) pour 〈〈A〉〉.

33.4 Lemme. Soit (Ω,P(Ω), CΩ) l’espace mesure d’un ensemble Ω muni de lamesure de comptage. Alors l’ensemble B ⊂ L2

K(Ω, CΩ) = L2K(Ω, CΩ) defini comme

B = 1ω | ω ∈ Ω

est une base Hilbertienne pour L2K(Ω, CΩ).

Preuve. Pour ω, ω′ ∈ Ω il est immediat qu’on a

1ω · 1ω′ = 0 si ω 6= ω′ et 1ω · 1ω′ = 1ω si ω = ω′.

Il s’ensuit qu’on a

〈1ω,1τ〉 =

∫Ω

1ω · 1ω′ dCΩ =

Ω

0 dCΩ = 0 ω 6= ω′

∫Ω

1ω dCΩ = CΩ(ω) = 1 ω = ω′ .

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BASES HILBERTIENNES 301

Autrement dit, B est un systeme orthonorme.Pour montrer que c’est une base Hilbertienne on prend f ∈ L2

K(Ω, CΩ) et ondefinit l’ensemble D ⊂ Ω comme

D = ω ∈ Ω | f(ω) 6= 0 = ω ∈ Ω | |f(ω)|2 6= 0 ,

alors par [16.11] D est denombrable car |f |2 est CΩ-integrable (f appartient aL2K(Ω, CΩ)). Si D est fini, alors on a

f =∑ω∈D

f(ω) · 1ω ∈ 〈〈B〉〉 ⊂ 〈〈B〉〉 .

Si D est denombrable infini, on choisit une enumeration D = ωi | i ∈ N de Davec tous les ωi distincts. En utilisant cette enumeration on definit les fonctionshn ∈ 〈〈B〉〉 par

hn =n∑i=0

f(ωi) · 1ωi .

Par definition de D il est immediat qu’on a

∀ω ∈ Ω : limn→∞

hn(ω) = f(ω) ⇐⇒ limn→∞

|hn(ω)− f(ω)|2 = 0 .

Mais on a aussi

|hn(ω)| =

|f(ω)| si ω = ωi ∈ D et i ≤ n

0 sinon

≤ |f(ω)| .

Il s’ensuit que la suite des fonctions |hn − f |2 converge partout vers la fonctionnulle et que les elements de cette suite sont tous majorees par 4|f |2 (car |hn−f |2 ≤(|hn|+ |f |)2 ≤ (2|f |)2). Par hypothese |f |2 est integrable, donc on peut appliquerle theoreme de convergence dominee [11.5] pour conclure qu’on a

limn→∞

∫Ω

|hn − f |2 dCΩ = 0 .

Mais par definition ceci est equivalent a limn→∞

‖hn − f‖2 = 0, ce qui montre qu’on

a bien f ∈ 〈〈B〉〉. CQFD

→ 33.5 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique, soit D ⊂ X un ensemble dense etsoit f, g : X → R deux applications continues. Si f(d) = g(d) pour tout d ∈ D,alors f = g.

Preuve de [33.5]. CQFD

→ 33.6 Exercice. Soit E et F deux espaces prehilbertiens, soit B une base hilberti-enne pour E et soit Φ,Ψ : E → F deux applications lineaires continues. Montrerque si Φ et Ψ coıncident sur B : Φ|B = Ψ|B , alors Φ et Ψ sont egales : Φ = Ψ.

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302 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

33.7 Lemme. Soit (E, ‖ · ‖E) un espace vectoriel norme, soit (F, ‖ · ‖F ) un espacede Banach, soit X ⊂ E un sous-espace vectoriel et soit Ψ : X → F une isometrie.Alors il existe une unique isometrie Φ : X → F telle que la restriction de Φ a Xsoit Ψ.

Preuve. Pour definir Φ en tant qu’application, on prend x ∈ X. Par [11.17] il existeune suite (xn)n∈N dans X qui converge vers x :

x = limn→∞

xn et ∀n ∈ N : xn ∈ X .

Il s’ensuit que (xn)n∈N est une suite de Cauchy dans X et, parce que Φ est uneisometrie sur X, la suite (Ψ(xn))n∈N est une suite de Cauchy dans F . Mais F estcomplet, donc il existe f ∈ F tel que

f = limn→∞

Ψ(xn) .

Si (x′n)n∈N est une autre suite dans X convergeant vers x, il existe par le memeargument f ′ ∈ F tel que f ′ = limn→∞Ψ(x′n). Pour montrer l’egalite f = f ′, oninvoque la continuite d’une isometrie [31.2] en faisant le calcul

f − f ′ = limn→∞

Ψ(xn)− limn→∞

Ψ(x′n) = limn→∞

Ψ(xn − x′n)

[31.2]= Ψ

(limn→∞

(xn − x′n))

= Ψ(0) = 0 .

Une fois qu’on sait que l’element f ∈ F est defini d’une facon unique par l’elementx ∈ X, on peut definir l’application Φ : X → F en posant Φ(x) = f . Reste amontrer que cette prolongation est lineaire et une isometrie.

Pour la linearite, prenons x, y ∈ X et λ ∈ K. Alors il existe des suites (xn)n∈Net (yn)n∈N dans X telles que

limn→∞

xn = x , Φ(x) = limn→∞

Ψ(xn) , limn→∞

yn = y , Φ(y) = limn→∞

Ψ(yn) .

On a donc limn→∞

(xn + λyn) = x+ λy et donc par definition de Φ on a :

Φ(x+ λy) = limn→∞

Ψ(xn + λyn)Ψ est lin.

= limn→∞

Ψ(xn) + λ limn→∞

Ψ(yn)

= Φ(x) + λΦ(y) .

Pour montrer que Φ est une isometrie on invoque la continuite d’une norme enfaisant le calcul

‖Φ(x)‖F = ‖ limn→∞

Ψ(xn)‖F[11.21], [11.22]

= limn→∞

‖Ψ(xn)‖FΨ isom.

= limn→∞

‖xn‖F

= ‖x‖E .

Le dernier point a montrer est l’unicite de Φ, mais cela est une consequenceimmediate de [33.5] et [31.2]. CQFD

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BASES HILBERTIENNES 303

33.8 Theoreme. Soit E un espace prehilbertien et B ⊂ E une base hilbertiennepour E. Alors il existe une (unique) isometrie Φ : E → L2

K(B,CB) = L2K(B,CB)

entre E et l’espace de toutes les fonctions de carre integrables sur B muni de lamesure de comptage CB qui envoie b ∈ B sur 1b ∈ L2

K(B,CB). En plus on a lesproprietes :

(i) l’application Φ est injective d’image un sous-ensemble dense de L2K(B,CB) ;

elle est surjective si et seulement si E est complet ;(ii) pour tout v ∈ E l’application Φ(v) : B → K est donnee par b 7→ 〈v, b〉.

Preuve. Pour bien distinguer les choses, on notera le produit scalaire dans E par〈·, ·〉E et le produit scalaire dans L2

K(B,CB) par 〈·, ·〉L2 .

• Etant donne que B est une famille independante [33.2], on peut definir uneapplication lineaire Ψ sur 〈〈B〉〉 d’une facon unique par

n∑i=1

λi · bi ∈ 〈〈B〉〉 ⇒ Ψ( n∑i=1

λi · bi)

=

n∑i=1

λi · 1bi .

Dans [33.4] on a vu que l’ensemble Bi ⊂ L2K(B,CB) definie comme

Bi = 1b | b ∈ B ≡ Ψ(b) | b ∈ B

est une base hilbertienne pour L2K(B,CB). On a donc l’egalite

∀b, c ∈ B : 〈Ψ(b),Ψ(c)〉L2 = 〈b, c〉E .

Avec la sesquilinearite de 〈·, ·〉E et 〈·, ·〉L2 il s’ensuit immediatement que Ψ est uneisometrie sur 〈〈B〉〉. On termine la preuve de la premiere partie en invoquant [33.7]

pour deduire qu’il existe une (unique) isometrie Φ : 〈〈B〉〉 = E → L2K(B,CB) qui

coıncide avec Ψ sur 〈〈B〉〉.• (i) : Une isometrie est toujours injective, donc il suffit de montrer que l’image

est dense. Pour cela on prend f ∈ L2K(B,CB). Par [16.11] applique a la fonction

|f |2, l’ensemble S = b ∈ B | f(b) 6= 0 est denombrable. Si S = b1, . . . , bn estun ensemble fini, on a les egalites

f =

n∑i=1

f(bi) · 1bi = Ψ( n∑i=1

f(bi)bi

)et donc f ∈ Φ(E).

Si S = bi | i ∈ N est un ensemble denombrable infini, alors on peut faire lecalcul

f = limn→∞

n∑i=0

f(bi) · 1bi = limn→∞

Ψ( n∑i=0

f(bi)bi

),

ce qui montre que f appartient a l’adherence de Φ(E) et donc que Φ(E) estdense dans L2

K(B,CB) (car f etait arbitraire). Pour en deduire qu’on a f =Φ(limn→∞

∑ni=0 f(bi)bi), on a besoin de la completude de E, car il faut d’abord

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304 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

montrer que la limite limn→∞∑ni=0 f(bi)bi existe dans E. Pour cela on introduit

les elements xn ∈ E et fn ∈ L2K(B,CB) definis par

xn =

n∑i=0

f(bi)bi et fn =

n∑i=0

f(bi) · 1bi = Ψ(xn) .

La suite (fn)n∈N est convergente dans L2K(B,CB) vers f , donc c’est une suite de

Cauchy. Mais Ψ est une isometrie, donc (xn)n∈N est aussi une suite de Cauchy. Sil’espace E est complet, alors il existe x ∈ E tel que limn→∞ xn = x. Finalementon invoque la continuite d’une isometrie pour faire le calcul

f = limn→∞

Ψ(xn) = limn→∞

Φ(xn) = Φ( limn→∞

xn) = Φ(x) ,

ce qui montre que Φ est bien surjective quand E est complet.Pour la reciproque, si E n’est pas complet, il existe une suite de Cauchy (xn)n∈N

dans E qi ne converge pas. Φ etant une isometrie, la suite(Φ(xn)

)n∈N est une suite

de Cauchy dans L2K(B,CB), donc convergente vers un f ∈ L2

K(B,CB). Si Φ etaitsurjective, alors il existerait x ∈ E tel que f = Φ(x). On aurait donc

limn→∞

‖xn − x‖Φ isom.

= limn→∞

‖Φ(xn − x)‖ = limn→∞

‖Φ(xn)− f‖ = 0

et donc la suite (xn)n∈N convergerait vers x, contraire a l’hypothese. Donc Φ n’estpas surjective.• (ii) : Il est immediat qu’on a l’egalite 1bi(b) = 〈bi, b〉E pour tout b, bi ∈ B,

simplement parce que B est une base hilbertienne de E. Il s’ensuit que pourv =

∑ni=1 λi · bi ∈ 〈〈B〉〉 on peut faire le calcul

Φ(v)(b) = Ψ( n∑i=1

λi · bi)

(b) =( n∑i=1

λi · 1bi)

(b) =n∑i=1

λi · 1bi(b)

=n∑i=1

λi · 〈bi, b〉E[32.1]= 〈v, b〉E .

Et si v ∈ 〈〈B〉〉 = E, alors il existe une suite (xn)n∈N dans 〈〈B〉〉 telle que v =limn→∞ xn. La continuite de Φ nous permet de dire qu’on a Φ(v) = limn→∞Φ(xn),mais il ne faut pas oublier que cette limite/convergence est definie par rapport a lanorme dans L2

K(B,CB) et que cela n’est pas la meme chose qu’une limite simplede fonctions. Par [30.31.i] il existe neanmoins une suite extraite

(Φ(xφ(k))

)k∈N qui

converge CB-presque partout vers Φ(v). Et parce que c’est la mesure de comptage,cela veut dire partout. On peut donc faire le calcul

Φ(v)(b) = Φ( limk→∞

xφ(k))(b)Φ cont.

=(

limk→∞

Φ(xφ(k)))(b)

lim. partout= lim

k→∞

(Φ(xφ(k))(b)

) arg. prec.= lim

k→∞

(〈xφ(k), b〉E

) [32.9]= 〈v, b〉E ,

ou, sans le dire explicitement, on a utilise le fait qu’une suite extraite converge versla meme limite que la suite totale. CQFD

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BASES HILBERTIENNES 305

33.9 Corollaire. Soit E un espace prehilbertien et B ⊂ E une base hilbertiennepour E. Alors pour tout v ∈ E l’ensemble S = b ∈ B | 〈v, b〉 6= 0 est denombrableet on a ∑

b∈S

|〈v, b〉|2 = ‖v‖2 <∞ l’egalite de Parseval .

En plus, le produit scalaire entre v, w ∈ E est donne par la formule

〈v, w〉 =∑b∈B

〈v, b〉 · 〈b, w〉 =∑b∈B

〈v, b〉 · 〈w, b〉 ,

ou cette somme ne contient qu’un nombre denombrable de termes non-nulles (seulles elements b ∈ S sont non-nulles).

Reciproquement, si E est complet, si S ⊂ B est un sous-ensemble denombrableet si x : S → K est une application telle qu’on a∑

b∈S

|x(b)|2 <∞ ,

alors∑b∈S x(b)·b appartient a E, ou il faut interpreter cette somme comme une lim-

ite de sommes partielles au cas ou S est infini et apres avoir choisi une enumerationde S. En particulier cette limite existe dans E.

Preuve. CQFD

33.10 Notation. Soit E un espace prehilbertien et soit B ⊂ E une base hilberti-enne pour E. Alors [33.9] nous permet d’ecrire, pour tout v ∈ E, l’egalite

v =∑b∈B

〈v, b〉 · b .

Cette somme ne contient qu’un nombre denombrable de termes non-nulles et s’inter-prete comme la limite des sommes partielles.

33.11 Proposition (l’orthonormalisation de Gramm-Schmidt). Soit E unespace prehilbertien et soit (dn)n∈N une suite d’elements de E. Alors il existe unesuite (bn)n∈N dans E verifiant les trois conditions

∀n ∈ N : ‖bn‖ = 0 ou 1 , ∀n 6= m : 〈bn, bm〉 = 0 et

∀n ∈ N : 〈〈b0, . . . , bn〉〉 = 〈〈d0, . . . , dn〉〉 .(33.12)

Preuve. La construction de la suite (bn)n∈N se fait par recurrence, qu’on initialiseen posant

b0 =d0

‖d0‖si d0 6= 0 et b0 = 0 si d0 = 0.

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306 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Il est evident que les conditions (33.12) sont verifiees au rang n = 0. Si on aconstruit b0, . . . , bn, on pose

cn+1 = dn+1 −n∑i=0

〈dn+1, bi〉 · bi

et on definit bn+1 par

bn+1 =cn+1

‖cn+1‖si cn+1 6= 0 et bn+1 = 0 si cn+1 = 0.

Il est immediat que la premiere et la troisieme condition de (33.12) sont satisfaitesau rang n + 1. Pour la deuxieme condition on calcule pour j ≤ n, en utilisant lasesquilinearite d’un produit scalaire :

〈cn+1, bj〉 = 〈dn+1, bj〉 −n∑i=0

〈dn+1, bi〉 · 〈bi, bj〉

= 〈dn+1, bj〉 − 〈dn+1, bj〉 · 〈bj , bj〉 = 0 ,

ou pour la deuxieme egalite on utilise le fait que pour i 6= j on a 〈bi, bj〉 = 0 et pourla troisieme on utilise le fait que si 〈bj , bj〉 = ‖bj‖2 n’est pas 1, alors bj = 0. Ainsis’acheve la construction de la suite (bn)n∈N. CQFD

33.13 Remarque. La procedure d’orthonormalisation de Gramm-Schmidt est leplus souvent appliquee a une suite finie de vecteurs independants, mais, comme onle voit dans [33.11], rien n’empeche de l’appliquer a une suite infinie (denombrable!)ou a des vecteurs qui ne sont pas tous independants. Dans le cas d’une suite finie,la recurrence se termine avant la fin a un stade fini. Si les vecteurs ne formentpas un systeme independant, certains elements de la suite (bn)n∈N seront egaux auvecteur nul. Si on cherche un systeme orthonorme, il faut donc enlever ces vecteursnuls de la suite (bn)n∈N (comme on le fait dans la preuve de [33.20]).

33.14 Definition. Un espace topologique (X, T ) est appele separable s’il existeun sous-ensemble denombrable dense D ⊂ X (c’est-a-dire D = X).

33.15 Lemme. Soit (X, T ) un espace topologique.

(i) Si T est a base denombrable, alors X est separable.(ii) Si la topologie provient d’une metrique et si X est separable, alors T est a

base denombrable.

Preuve. • (i) : Soit B = Bn | n ∈ N une base denombrable pour la topologie.Sans perte de generalite on peut supposer que chaque Bn est non-vide ; on peutdonc choisir dans chaque Bn un element xn. L’ensemble D = xn | n ∈ N estdenombrable par construction. Pour montrer que D est dense, prenons x ∈ X

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BASES HILBERTIENNES 307

arbitraire et soit T ∈ T tel que x ∈ T . Alors il faut montrer que D ∩ T 6= ∅. MaisB est une base de T , donc T est la reunion d’elements de B. Il existe donc Bn ∈ Btel que x ∈ Bn ⊂ T et donc xn ∈ D ∩ T .• (ii) Soit D ⊂ X denombrable et dense et soit d une metrique sur X qui donne

la topologie T . On pose

B = Bq(y) | y ∈ D , q ∈ Q∗+ ,

qui est en bijection avec D ×Q∗+, le produit de deux ensembles denombrables ; Best donc aussi denombrable [1.8].

Pour montrer que B est une base pour T , soit T ∈ T arbitraire et soit x ∈ Tarbitraire. Par [31.6] il existe donc Cx ∈ B tel que x ∈ Cx ⊂ T . On a donc lesinclusions/egalites

T =⋃x∈Tx ⊂

⋃x∈T

Cx ⊂ T ,

ce qui montre que T est la reunion d’elements de B. CQFD

33.16 Corollaire. Soit (X, d) un espace metrique. Alors X est separable si etseulement si la topologie est a base denombrable.

33.17 Corollaire. Soit (X, d) un espace metrique separable et A ⊂ X un sous-ensemble. Alors A avec la metrique induite est separable.

33.18 Nota Bene. En general il n’est pas vrai qu’un sous-ensemble d’un espacetopologique separable est separable quand on le munit de la topologie induite. Uncontre-exemple est donne par X = R ×R ou on munit chaque R de la topologiequi a B =

]a, b ] | a, b ∈ R , a < b

comme base. Cet espace est separable mais

le sous-ensemble A = (x,−x) | x ∈ R \Q muni de la topologie induite ne l’estpas (sa topologie est discrete).

→ 33.19 Exercice. Montrer les affirmations faites dans [33.18].

33.20 Theoreme. Soit E un espace prehilbertien.

(i) Si E est separable, il existe une base hilbertienne denombrable B pour E ettoute autre base hilbertienne pour E est aussi denombrable.

(ii) S’il existe une base hilbertienne denombrable pour E, alors E est separable.

Preuve. • (i) : Soit D = dn | n ∈ N ⊂ E un sous-ensemble dense : D = E.On applique la procedure d’orthonormalisation de Gramm-Schmidt [33.11] a lasuite (dn)n∈N pour obtenir une suite (bn)n∈N d’elements de E verifiant les trois

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308 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

conditions (33.12). Associe a cette suite on definit l’ensemble denombrable B ⊂ Epar

B = bn | n ∈ N \ 0 ,

c’est-a-dire que B contient tous les elements de la suite (bn)n∈N sauf le vecteur nul.Les proprietes de la suite (bn)n∈N garantissent que B est un systeme orthonorme etqu’il verifie 〈〈B〉〉 = 〈〈bn | n ∈ N〉〉. Si x ∈ 〈〈D〉〉 est arbitraire, alors il existe n ∈ Ntel que x ∈ 〈〈d0, . . . , dn〉〉. Il s’ensuit qu’on a l’egalite 〈〈bn | n ∈ N〉〉 = 〈〈D〉〉,donc 〈〈B〉〉 = 〈〈D〉〉 et donc 〈〈B〉〉 = E, ce qui prouve que B est une base hilbertiennedenombrable pour E.

Supposons maintenant que A ⊂ E est une autre base hilbertienne pour E. Ilfaut alors montrer que A est denombrable. Pour cela on prend bk ∈ B ⊂ E = 〈〈A〉〉.Il existe donc une suite (xn)n∈N dans 〈〈A〉〉 telle que bk = limn→∞ xn. Chaquexn est donc une combinaison lineaire finie d’elements de A. Il existe donc unsous-ensemble fini An ⊂ A tel que xn ∈ 〈〈An〉〉. L’ensemble A′k = ∪n∈NAn estdonc denombrable comme reunion denombrable d’ensembles finis. En plus, on al’implication

∀n ∈ N : xn ∈ 〈〈An〉〉 ⊂ 〈〈A′k〉〉 =⇒ bk = limn→∞

xn ∈ 〈〈A′k〉〉 .

On definit maintenant l’ensemble A′ = ∪k∈NA′k ⊂ A qui est denombrable commereunion denombrable d’ensembles denombrables. Et on a les implications

∀k ∈ N : bk ∈ 〈〈A′k〉〉 ⊂ 〈〈A′〉〉 =⇒ B ⊂ 〈〈A′〉〉 =⇒ 〈〈B〉〉 ⊂ 〈〈A′〉〉 .

Il s’ensuit, parce que B est une base hilbertienne pour E, qu’on a l’egalite

〈〈A〉〉 = 〈〈A′〉〉 = E .

S’il existe a ∈ A \A′, alors par definition d’un systeme orthonorme on a 〈a, a′〉 = 0pour tout a′ ∈ A′. Par sesquilinearite d’un produit scalaire on aura aussi 〈a, x〉 = 0pour tout x ∈ 〈〈A′〉〉 et par continuite d’un produit scalaire [32.9] on en deduit qu’on

a 〈a, x〉 = 0 pour tout x ∈ 〈〈A′〉〉 = E. En particulier on doit avoir 〈a, a〉 = 0, ce quiest impossible. Cette contradition montre qu’il n’existe pas a ∈ A \A′, donc qu’ona l’egalite A = A′ et donc A est denombrable.

• (ii) : Soit B une base hilbertienne denombrable pour E. Si B est fini, disonsB = b1, . . . , bn, alors on definit l’ensemble D ⊂ E par

D = n∑i=1

qi · bi | ∀1 ≤ i ≤ n : qi ∈ Q.

Q etant denombrable, il en est de meme pour D (car en bijection avec l’ensembleQn). Q etant dense dans R, il s’ensuit que D est dense dans 〈〈B〉〉 et donc :

〈〈B〉〉 ⊂ D =⇒ E ⊂ 〈〈B〉〉 ⊂ D ⊂ E ,

car D est ferme. On a donc E = D ce qui montre que E est separable. Maisattention : le fait que D est dense dans 〈〈B〉〉 veut dire que l’adherence de D dans

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BASES HILBERTIENNES 309

〈〈B〉〉 est egale a 〈〈B〉〉. Par contre, quand on ecrit D, c’est l’adherence de D dansE, ce qui est plus grand que l’adherence de D dans 〈〈B〉〉.

Si B est infini, on choisit une enumeration pour ecrire B = bn | n ∈ N et ondefinit les ensembles Dk ⊂ E par

Dk = k∑n=0

qn · bn | ∀0 ≤ n ≤ k : qn ∈ Q.

De nouveau parce que Q est denombrable, il en est de meme pour Dk (car enbijection avec l’ensemble Qk). L’ensemble D ⊂ E defini comme D = ∪k∈NDk estdonc aussi denombrable comme reunion denombrable d’ensembles denombrables.

Pour montrer que ce D est dense dans E on raisonne comme suit. Q est densedans R, donc Dk est dense dans 〈〈b0, . . . , bk〉〉. Il s’ensuit qu’on peut faire leraisonnement

∀k ∈ N : 〈〈b0, . . . , bk〉〉 ⊂ Dk ⊂ D =⇒ 〈〈B〉〉 ⊂ D .

Comme dans le cas fini, cette derniere inclusion montre que D est un sous-ensembledenombrable dense dans E. CQFD

33.21 Remarque pour les curieux. La preuve du fait que toute base hilber-tienne dans un espace prehilbertien separable est denombrable [33.20] est un casparticulier d’une preuve plus generale qui dit que si A et B sont deux bases hilber-tiennes pour un espace prehilbertien, alors il existe une bijection entre A et B. Lapreuve generale se deroule comme la preuve dans [33.20], sauf que dans le cas generall’ensemble A′ est une reunion d’ensembles denombrables indexee par l’ensemble B.Et on utilise le fait qu’il existe une bijection entre B et B ×N pour tout ensembleinfini B (ce qui se demontre a l’aide de l’axiome du choix), comme on a utilise labijection entre N×N et N, par l’intermediaire de [1.12], dans la preuve de [33.20].

33.22 Theoreme. Si on accepte l’axiome du choix , alors tout espace de Hilbertadmet une base hilbertienne.

Preuve. La preuve repose sur l’axiome du choix sous la forme du lemme de Zornqui dit qu’un ensemble partiellement ordonne (X,≤) possede un element maximal(aucun autre element strictement plus grand) si tout sous-ensemble totalementordonne possede un majorant (dans X). Soit donc H un espace de Hilbert. Ondefinit B comme l’ensemble de tous les systemes orthonormes :

B = B ⊂ H | B un systeme orthonorme

sur lequel on utilise l’inclusion comme relation d’ordre partielle. Si T ⊂ B est unsous-ensemble totalement ordonne, on pose

M =⋃B∈T

B .

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310 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Pour montrer que M est un systeme orthonorme on prend a, b ∈ M , a 6= b. Pardefinition de M il existe B1, B2 ∈ T tels que a ∈ B1 et b ∈ B2. Mais T esttotalement ordonne (par rapport a l’inclusion), donc si on n’a pas B1 ⊂ B2 ondoit avoir B2 ⊂ B1. Il s’ensuit qu’il existe i ∈ 1, 2 tel que a, b ∈ Bi. Bi etantorthonorme, on en deduit que 〈a, b〉 = 0. En plus, il est evident de la definitionde M que tous ses elements ont longueur 1. Ainsi on a montre que M est bien unsysteme orthonorme, c’est-a-dire que M appartient a B. Par definition de M ona pour tout B ∈ T l’inclusion B ⊂ M . La conclusion de ce raisonnement est quetout sous-ensemble totalement ordonne de B possede un majorant.

Par le lemme de Zorn on peut maintenant affirmer qu’il existe un element max-imal A ∈ B. Pour montrer que 〈〈A〉〉 = H, on raisonne comme suit. Le sous-espace

X = 〈〈A〉〉 est ferme dans H qui est complet. Donc X est complet [32.17], donc (par[32.25]) on a l’egalite

H = X +X⊥ .

Si X⊥ 6= 0, il existe v ∈ X⊥ verifiant ‖v‖ = 1. Il est immediat qu’on a v /∈ Aet 〈v,m〉 = 0 pour tout m ∈ A, donc l’ensemble A′ = A ∪ v est un systemeorthonorme strictement plus grand que A. Ceci contredit la maximalite de A. Ils’ensuit qu’on doit avoir X⊥ = 0 et donc X = H, ce qui montre que A est unebase hilbertienne pour H. CQFD

33.23 Corollaire. Soit H un espace de Hilbert et soit A ⊂ H un systeme or-

thonorme. Si 〈〈A〉〉⊥ est separable ou si on accepte l’axiome du choix , alors il existeune base hilbertienne B pour H contenant A.

Preuve. On pose X = 〈〈A〉〉 et Y = X⊥ = 〈〈A〉〉⊥ [32.19.ii]. Les sous-espaces Xet Y sont fermes donc complets [32.17] et on a l’egalite H = X + Y [32.25]. Lesous-espace Y etant complet est un espace de Hilbert. En invoquant [33.20] ou[33.22] selon le cas, il existe une base hilbertienne A′ pour Y . On pose maintenantB = A ∪A′ et on montre que B est une base hilbertienne pour H.

On commence avec la remarque qu’on a 〈a, a′〉 = 0 pour tout a ∈ A ⊂ X et touta′ ∈ A′ ⊂ Y = X⊥. Il s’ensuit que B est un systeme orthonorme. Et ensuite onprend v ∈ H = X+Y . Il existe donc x ∈ X et y ∈ Y tels que v = x+y. On a donc

x ∈ X = 〈〈A〉〉 ⊂ 〈〈B〉〉 et y ∈ Y = 〈〈A′〉〉 ⊂ 〈〈B〉〉 ,

donc aussi v = x+ y ∈ 〈〈B〉〉. CQFD

33.24 Contre-exemple. Que la condition que H est complet n’est pas super-flue dans [33.23] se voit dans le premier exemple de [32.27]. La, on a un espaceprehilbertien E et un systeme orthonorme A = e2k | k ∈ N. Le sous-espace

vectoriel X = 〈〈A〉〉 a les proprietes X 6= E et X⊥ = 0. L’ensemble A n’est doncpas une base hilbertienne, mais on ne peut pas l’elargir en une base hilbertienne.

33.25 Discussion. Si on sait que la quasi totalite des espaces de Hilbert qu’onrencontre dans la pratique sont separables et si on sait aussi que la plupart des

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BASES HILBERTIENNES 311

mathematiciens acceptent la plupart du temps l’axiome du choix, alors on peutdire (en invoquant [33.20] ou [33.22] selon le cas) que “tous” les espaces de Hilbertadmettent une base hilbertienne. L’interet de cette observation est qu’avec [33.8] onen deduit que “tout” espace de Hilbert est isometrique avec un espace L2

K(B,CB),c’est-a-dire que du point de vue des espaces de Hilbert, il n’y a rien d’autre que lesespaces L2 sur un ensemble muni de la mesure de comptage.

33.26 Exemple. Si on fait le bilan pour l’existence d’une base hilbertienne dansun espace prehilbertien, on trouve deux possibilites : soit l’espace est separable,soit il est complet. On peut donc se poser la question s’il existe des espacesprehilbertiens non-separables et non-complets qui n’admettent pas une base hilber-tienne. L’exemple suivant montre que la reponse est affirmative ; c’est un casparticulier d’une serie d’exemples donnes par J. Dixmier dans [Dix1].

On considere l’ensemble Ω = N ∪ ]0, 1[ ⊂ R et on considere l’espace de HilbertH = L2(Ω, CΩ). Dans [33.4] on a montre que l’ensemble B = 1ω | ω ∈ Ω est unebase hilbertienne. Le point crucial de cette definition est que l’ensemble Ω (qui esten bijection avec la base hilbertienne) se decompose d’une facon naturelle en deuxparties : une partie non-denombrable ]0, 1[ ⊂ Ω [1.18] et une partie denombrableN ⊂ Ω. Pour formaliser cette decomposition, on introduit les deux sous-ensemblesBd, Bc ⊂ B par

Bc = 1r | r ∈ ]0, 1[ et Bd = 1n | n ∈ N .

On associe a ces deux sous-ensembles les sous-espaces fermes K,L ⊂ H definiscomme

K = 〈〈Bc〉〉 et L = 〈〈Bd〉〉 .

C’est le sous-espace K qui nous interesse le plus et on remarque que, par con-struction, l’ensemble Bc est une base hilbertienne pour K, une base qui n’est pasdenombrable.

Pour chaque r ∈ ]0, 1[ on constate qu’on a∑n∈N r2n = (1 − r2)−1 < ∞. Le

sous-espace L, en tant que sous-espace ferme d’un espace complet H, est un espacecomplet. Avec [33.9] on en deduit qu’on a wr ≡

∑n∈N rn · 1n ∈ L. La propriete

importante de ces vecteurs est qu’ils forment une famille libre non-denombrabledans L (qu’ils sont lineairement independants sera montre plus loin). Avec cesvecteurs on peut definir, pour tout r ∈ ]0, 1[ , l’element vr ∈ H comme

(33.27) vr = 1r +∑n∈N

rn · 1n .

Ceci nous permet de definir le sous-espace H ⊂ H comme

H = 〈〈 vr | r ∈ ]0, 1[ 〉〉 ,

ce qui est un espace prehilbertien en tant que sous espace de H. On pretend quecet espace prehilbertien n’admet pas une base hilbertienne, ce qu’on demontrerapar l’absurde.

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312 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Supposons donc que hi | i ∈ I est une base hilbertienne pour H. L’adherenceH ⊂ H est un sous-espace ferme d’un espace de Hilbert, donc complet. Par [32.25]et [32.21] la projection orthogonale PH est donc definie sur H. En plus, l’ensemble

hi | i ∈ I est (aussi, presque par definition) une base hilbertienne pour H. Ils’ensuit que, pour tout v ∈ H, l’ensemble

i ∈ I | 〈PH(v), hi〉 6= 0est denombrable [33.9]. Mais on a l’egalite 〈PH(v), hi〉 = 〈v, hi〉, simplement parce

que v−PH(v) ∈ H⊥. En prenant v = 1n comme cas particulier on a donc montreque, pour tout n ∈ N, l’ensemble In ⊂ I defini comme

In = i ∈ I | 〈hi,1n〉 6= 0 est denombrable. L’ensemble I∞ = ∪n∈NIn est donc aussi denombrable commereunion denombrable d’ensembles denombrables [1.12].

Soit maintenant i ∈ I \ I∞, alors par definition de I∞ on a 〈hi,1n〉 = 0 pourtout n ∈ N. Par definition de H il existe m ∈ N∗, r1, . . . , rm ∈ ]0, 1[ tous distinctset c1, . . . , cm ∈ K tels que

hi =

m∑j=1

cj · vrj .

En combinant ceci avec (33.27) on obtient les egalites

∀n ∈ N : 0 = 〈hi,1n〉 =m∑j=1

cj · 〈vrj ,1n〉

=m∑j=1

cj · 〈1rj + limk→∞

k∑i=0

rij · 1i,1n〉

=m∑j=1

cj · limk→∞

k∑i=0

rij · 〈1i,1n〉 =m∑j=1

cj · rnj .

Si on se restreint aux cas n < m on obtient le systeme d’equations lineaires

1 1 . . . 1

r1 r2 . . . rm

r21 r2

2 . . . r2m

......

...

rm−11 rm−1

2 . . . rm−1m

·

c1

c2

c3

...

cm

=

0

0

0

...

0

.

Mais il est bien connu que le determinant de cette matrice (qu’on appelle le deter-minant de Vandermonde) est donne par la formule

(33.28) det

1 1 . . . 1

r1 r2 . . . rm

r21 r2

2 . . . r2m

......

...

rm−11 rm−1

2 . . . rm−1m

=

∏1≤k<j≤m

(rj − rk) ,

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BASES HILBERTIENNES 313

ce qui est non-nul car tous les rj sont distincts. On en deduit qu’on doit avoir cj = 0pour tout 1 ≤ j ≤ m et donc hi = 0. Ceci contredit le fait que hi est un vecteurunitaire. Cette contradiction montre qu’on doit avoir I \ I∞ = ∅ et donc I = I∞est un ensemble denombrable. Par [33.20.ii] on en deduit que H est separable.

Considerons maintenant la projection orthogonale PK : H → K, ce qui est biendefinie car K est ferme donc complet dans l’espace complet H. On a en particulier

PK(H) = PK(〈〈 vr | r ∈ ]0, 1[ 〉〉

)= 〈〈 PK(vr) | r ∈ ]0, 1[ 〉〉

= 〈〈 1r | r ∈ ]0, 1[ 〉〉 = K .

Soit maintenant D ⊂ H un sous-ensemble denombrable dense, alors par continuitede PK on a l’inclusion PK(DH) ⊂ PK(D)K (ou AH designe l’adherence de A ⊂ Hdans H et BK l’adherence de B ⊂ K dans K) et donc

K = PK(H) = PK(DH) ⊂ PK(D)K ⊂ K ,

ce qui implique qu’on a l’egalite PK(D)K = K. Mais D est denombrable, donc Kest separable, donc, par [33.20.i], toute base hilbertienne de K est denombrable.Mais Bc est une base hilbertienne non-denombrable pour K. Cette contradictionmontre qu’il n’existe pas une base hilbertienne pour H.

→ 33.29 Exercice. Montrer les affirmations suivantes qui sont utilisees dans [33.26] :

(i) si f : X → Y est une application continue entre deux espaces topologiques,

alors pour tout A ⊂ X on a l’inclusion f(AX) ⊂ f(A)Y ;(ii) l’egalite (33.28) ;

(iii) tout sous-ensemble ferme d’un espace metrique complet est complet.

33.30 Proposition. Soit H un espace de Hilbert et soit f : H → K une applicationlineaire. Alors f est continue si et seulement s’il existe v ∈ H tel que

∀x ∈ H : f(x) = 〈x, v〉 .

Si c’est le cas, on a l’egalite ‖f‖op = ‖v‖.

Preuve. Si on pose f(x) = 〈x, v〉, alors par sesquilinearite d’un produit scalaire fest lineaire et par [32.9] f est continue. Pour la reciproque supposons donc que fest une application lineaire continue. On pose X = ker(f), ce qui est un sous-espacevectoriel ferme (car f est continue et 0 ⊂ K est ferme) donc complet [32.17.iii].Si f n’est pas l’application nulle (au quel cas on peut prendre v = 0), on a X 6= H,donc X⊥ 6= 0. Il s’ensuit qu’il existe w ∈ X⊥ tel que f(w) 6= 0, donc (en divisantpar f(w)) qu’il existe p ∈ X⊥ tel que f(p) = 1. Si w ∈ X⊥ est arbitraire, on poseq = w − f(w) · p ∈ X⊥ et on calcule

f(q) = f(w)− f(w) · f(p) = 0 =⇒ q ∈ X ∩X⊥ = 0 =⇒ w = f(w) · p .

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314 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Autrement dit, X⊥ est uni-dimensionel et p est une base. Avec l’egalite H =X + X⊥ [32.25.ii] on en deduit que pour tout x ∈ H il existe k ∈ X et λ ∈ K telque x = k + λ · p. Et alors on calcule :

f(x) = f(k) + λ · f(p) = 0 + λ · 1 =〈k, p〉‖p‖2

+ λ · 〈p, p〉‖p‖2

=〈k + λ · p, p〉‖p‖2

= 〈 x, p

‖p‖2〉 .

Il s’ensuit que si on pose v = p/‖p‖2, alors on a l’egalite f(x) = 〈x, v〉 pour toutx ∈ H.

Si f(x) = 〈x, v〉, alors par l’inegalite de Cauchy-Schwarz [32.4] on a

(33.31) |f(x)| = |〈x, v〉| ≤ ‖x‖ · ‖v‖ .

On peut donc faire le calcul

‖v‖ =∣∣∣ 〈v, v〉‖v‖

∣∣∣ =∣∣∣f(

v

‖v‖)∣∣∣ ≤ sup

‖x‖=1

|f(x)| = sup‖x‖=1

|〈x, v〉|(33.31)

≤ ‖v‖ ,

ce qui montre qu’on a l’egalite ‖f‖op = ‖v‖. CQFD

→ 33.32 Exercice. Soit E un espace prehilbertien et soit X et Y deux sous-espacesvectoriels tels que X ⊂ Y ⊥ (ce qui est equivalent a Y ⊂ X⊥). Montrer que si Xest complet, alors X +Y est ferme et que si X et Y sont complets, alors X +Y estcomplet. Donner des exemples avec X et Y fermes et X + Y non ferme et avec Xcomplet et Y ferme mais X + Y non complet.

Preuve de [33.32]. Soit v ∈ (X + Y ) . Alors il existe deux suites (xn)n∈N dansX et (yn)n∈N dans Y telles que v = limn→∞(xn + yn). En particulier la suite(xn + yn)n∈N est une suite de Cauchy. Par Pythagore on a l’egalite

‖xn + yn‖2 = ‖xn‖2 + ‖yn‖2

et donc les suites (xn)n∈N et (yn)n∈N sont separement des suites de Cauchy. SiX est complet, alors la suite (xn)n∈N converge, disons vers p ∈ X. Mais alorspar l’egalite yn = (xn + yn) − xn la suite (yn)n∈N converge vers v − p. Y etantferme, on a v − p ∈ Y et donc v = p + (v − p) appartient a X + Y . Si X et Ysont complets et si (zn)n∈N est une suite de Cauchy dans X + Y , alors il existedeux suites (xn)n∈N dans X et (yn)n∈N dans Y telles que zn = xn + yn. Denouveau par Pythagore, les suites (xn)n∈N et (yn)n∈N sont separement des suitesde Cauchy. Elles convergent donc, disons lim

n→∞xn = p ∈ X et lim

n→∞yn = q ∈ Y . Et

donc limn→∞

zn = p+ q ∈ X + Y . CQFD

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315

34. Le theoreme de Radon–Nikodym

34.1 Proposition. Soit I ⊂ R un intervalle et soit f : I → R une fonctionmonotone. Si N ⊂ I designe l’ensemble des points ou f n’est pas continue, alorsN contient au plus une infinite denombrable d’elements.

Preuve. On fait la preuve dans le cas ou f est croissante. Le cas f decroissante estcompletement similaire.

Dans un premier temps on suppose que I = [a, b] est un intervalle ferme et borneet on pose ∆ = f(b) − f(a). Si ∆ = 0, la croissance de f implique que f doitetre constante, et donc continue partout et le resultat est montre. Dorenavant onsuppose que ∆ > 0. Pour chaque point x ∈ [a, b] on considere les valeurs

Gx = limt↑x

f(t) et Dx = limt↓x

f(t) ,

les limites a gauche et a droite de f au point x [18.6]. Pour x = a on pose Ga = f(a)et pour x = b on pose Db = f(b). La fonction f est continue au point x ∈ [a, b] siet seulement si Gx = Dx, c’est-a-dire qu’on a l’egalite

N = x ∈ [a, b] | Gx < Dx .

Soit maintenant n ∈ N∗ un entier strictement positif et supposons qu’il existent npoints distincts x1 < · · · < xn dans [a, b] tels que

∀i = 1, . . . , n : Dxi −Gxi > ∆/n .

La croissance de f implique les inegalites

f(a) ≤ Gx1≤ Dx1

≤ Gx2≤ Dx2

≤ · · · ≤ Dxn ≤ f(b) .

On a donc l’egalite

f(b)− f(a) =(Gx1− f(a)

)+

n∑i=1

(Dxi −Gxi

)+n−1∑i=1

(Gxi+1

−Dxi

)+(f(b)−Dxn

).

Vu que tous les termes dans cette somme sont positifs, on en deduit l’inegalite

n∑i=1

(Dxi −Gxi

)≤ ∆ ,

ce qui est en contradiction avec l’hypothese sur les points xi qui nous donnel’inegalite contraire

n∑i=1

(Dxi −Gxi

)>

n∑i=1

∆/n = ∆ .

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316 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Il est donc impossible qu’il existe n tels points. Si on definit l’ensemble Nn comme

Nn = x ∈ [a, b] | Dx −Gx > ∆/n ,

alors le raisonnement precedent dit que Nn contient moins que n elements ; enparticulier Nn contient un nombre fini d’elements. Maintenant on constate quel’ensemble N s’ecrit comme

N = x ∈ [a, b] | f n’est pas continue en x = x ∈ [a, b] | Dx −Gx > 0

= x ∈ [a, b] | ∃n ∈ N∗ : Dx −Gx > ∆/n =∞⋃n=1

Nn .

L’ensemble N est donc la reunion denombrable d’ensemble finis, donc N contientau plus un nombre denombrable d’elements [1.12].

Si I n’est pas un intervalle ferme et borne, il s’ecrit quand meme comme unereunion denombrable de tels intervalles. Par exemple ]a, b] = ∪∞n=1[a + 1

n , b] ouR = ∪∞n=1[−n, n]. Si I = ∪∞n=1In est l’ecriture de l’intervalle I comme une reuniondenombrable d’intervalles fermes et bornes In, alors le raisonnement precedent mon-tre que l’intersection N ∩ In contient au plus un nombre denombrable d’elements.Donc

N =⋃

n∈N∗N ∩ In

contient au plus un nombre denombrable d’elements comme reunion denombrabled’ensembles denombrables [1.12]. CQFD

34.2 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable et soit µ, ν : F → R+ deuxmesures. Si µ ≤ ν, c’est-a-dire pour tout A ∈ F : µ(A) ≤ ν(A), et si ν estσ-finie, alors il existe une unique mesure ρ : F → R+ telle que ν = µ+ ρ.

Preuve. Dans un premier temps on suppose que ν est une mesure finie et donc pourtout A ∈ F on a µ(A) ≤ ν(A) < ∞. Dans ce cas l’egalite ν = µ + ρ peut s’ecrirecomme

(34.3) ∀A ∈ F : ρ(A) = ν(A)− µ(A) ,

ce qui montre immediatement l’unicite de ρ. Pour l’existence il suffit de montrerque (34.3) definit bien une mesure. Vu qu’il est immediat que ρ(∅) = 0, prenonsune suite (An)n∈N d’ensembles mesurables 2 a 2 disjoints. Alors par les proprietesd’une mesures on a

ρ(⋃n∈N

An) = ν(⋃n∈N

An)− µ(⋃n∈N

An) =∑n∈N

ν(An)−∑n∈N

µ(An) .

Mais ces deux series sont convergentes car ν est une mesure finie. On peut doncappliquer [16.4] et [10.11] pour conclure qu’on a

ρ(⋃n∈N

An) =∑n∈N

(ν(An)− µ(An)

)=∑n∈N

ρ(An) .

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LE THEOREME DE RADON–NIKODYM 317

Ainsi on a montre l’existence et l’unicite de ρ dans le cas ou ν est finie.Si ν est σ-finie, il existe une suite (Cn)n∈N d’ensembles mesurables 2 a 2 disjoints

[4.17] telle que Ω = ∪n∈NCn et ν(Cn) < ∞ pour tout n ∈ N. Si on introduit lesmesures µn et νn [4.7.i] par

µn(A) = µ(A ∩ Cn) et νn(A) = ν(A ∩ Cn) ,

alors on a µn ≤ νn et νn une mesure finie. Il existe donc des mesures ρn telles queνn = µn + ρn. La σ-additivite d’une mesure permet d’ecrire

ν(A) = ν(⋃n∈N

A ∩ Cn) =∑n∈N

νn(An) ,

ce qui montre qu’on a l’egalite ν =∑n∈N νn. Le meme argument montre l’egalite

µ =∑n∈N µn. Si on definit la mesure ρ par ρ =

∑n∈N ρn on a donc, avec [16.4]

et [9.12]

ν(A) =∑n∈N

νn(A) =∑n∈N

(µn(A) + ρn(A))[16.4],[9.12]

=∑n∈N

µn(A) +∑n∈N

ρn(A)

= µ(A) + ρ(A) .

Ceci montre l’existence de la mesure ρ. Pour l’unicite il suffit de noter les egalites

ρ(A) =∑n∈N

ρ(A ∩ Cn) et ρ(A ∩ Cn) = ν(A ∩ Cn)− µ(A ∩ Cn) ,

ce qui montre que ρ est completement determinee par ν et µ. CQFD

34.4 Definitions. Soit µ une mesure sur l’espace mesurable (R,B(R)). On ditque µ est une mesure discrete s’il existe un ensemble denombrable (fini ou infini)A ⊂ R tel que µ(Ac) = 0. Autrement dit, une mesure est discrete s’il existe unensemble denombrable de complementaire negligeable. On dit que µ est diffuse siµ(a) = 0 pour tout a ∈ R.

→ 34.5 Lemme. Soit µ une mesure discrete sur R et soit A ⊂ R l’ensemble definipar A = a ∈ R | µ(a) > 0. Alors A est denombrable, on a µ(Ac) = 0 et on al’egalite

µ =∑a∈A

µ(a) δa .

Reciproquement, si A ⊂ R est un ensemble denombrable et si p : A→ R∗+ est uneapplication, alors

µ =∑a∈A

p(a) δa

est une mesure discrete sur R.

Preuve de [34.5]. CQFD

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318 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

34.6 Lemme. Soit F : R → R une fonction croissante continue a droite et soitλF la mesure de Stieltjes associee. Alors F est continue au point a ∈ R si etseulement si λF (a) = 0.

Preuve. CQFD

34.7 Corollaire. Une mesure de Stieltjes λF est diffuse si et seulement si F estcontinue.

34.8 Proposition. Toute mesure de Stieltjes λF se decompose d’une facon uniqueen une somme d’une mesure discrete et une mesure diffuse. Plus precisement, soitF : R → R une fonction croissante continue a droite et soit λF la mesure deStieltjes sur R associee. Alors il existe une mesure discrete µ et une fonctioncroissante continue G : R→ R telles qu’on a l’egalite

λF = µ+ λG ,

ou λG est la mesure de Stieltjes associee a la fonction G.

Preuve. Selon [34.1] l’ensemble N des points de discontinuite de F est denombrable.La mesure µ definie comme

(34.9) µ =∑a∈N

λF (a) · δa

est donc une mesure discrete. Si A est un borelien arbitraire, on a

µ(A) =∑a∈N

λF (a) · δa(A) =∑

a∈N∩AλF (a) = λF (N ∩A) ≤ λF (A) ,

ou la deuxieme egalite est une consequence de la definition de la mesure de Dirac(1 ou 0 selon si a appartient ou non a A) et la troisieme egalite une consequencede la σ-additivite d’une mesure.

Selon [34.2] il existe donc une mesure ρ telle que λF = µ + ρ. Visiblementρ ≤ λF , donc ρ est aussi finie sur tous les intervalles bornes. Il existe donc unefonction croissante continue a droite G : R → R telle que ρ = λG [18.16]. Selon[34.6] on a l’equivalence

λF (a) > 0 ⇐⇒ a ∈ N =⇒ µ(a) = λF (a)

et selon la definition de µ on a les implications

a ∈ N =⇒ µ(a) = λF (a) et a /∈ N =⇒ µ(a) = 0 .

Pour tout a ∈ R on a donc l’egalite µ(a) = λF (a). Etant donne que λF (a)est fini, il s’ensuit qu’on a λG(a) = 0 pour tout a ∈ R. Par [34.7] on en deduitque G est continue.

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LE THEOREME DE RADON–NIKODYM 319

Pour l’unicite on suppose que λF = µ + λG pour une mesure discrete µ =∑a∈A p(a) δa [34.5] et une mesure diffuse λG. Le fait que λG est diffuse implique

directement l’egalite

λF (b) = µ(b)

pour tout b ∈ R. Mais µ(b) = 0 pour tout b /∈ A, donc par [34.6] on doit avoirl’inclusion N ⊂ A et pour tout a ∈ N l’egalite p(a) = λF (a). Mais pour toutb /∈ N on a λF (b) = 0 = µ(b) et donc par [34.5] b /∈ A. Il s’ensuit que µ estdonnee par (34.9) et donc par l’unicite dans [34.2] la mesure diffuse λG est aussiunique. CQFD

34.10 Definitions. Soit (Ω,F) un espace mesurable.

• On dit qu’une mesure µ sur F est concentree sur A ∈ F si µ(Ac) = 0.• Soit I un ensemble et soit (µi)i∈I une famille de mesures sur F . On dit que les

mesures µi, i ∈ I sont mutuellement singulieres s’il existe une famille (Ai)i∈Id’ensembles mesurables 2 a 2 disjoints telle que µi est concentree sur Ai pourtout i ∈ I. Si µ et ν sont mutuellement singulieres, on le note comme µ ⊥ ν.

• On dit que µ est absolument continue par rapport a ν, note µ ν, si pour toutA ∈ F on a l’implication ν(A) = 0⇒ µ(A) = 0.

→ 34.11 Lemme. Deux mesures µ et ν sur un espace mesurable (Ω,F) sont mutuelle-ment singulieres si et seulement s’il existe un ensemble mesurable A ⊂ Ω tel queµ(A) = 0 et ν(Ac) = 0.

Preuve de [34.11]. CQFD

→ 34.12 Lemme. Soit (Ω,F) un espace mesurable. Si une mesure µ est a densitepar rapport a une mesure ν, alors µ est absolument continue par rapport a ν.

Preuve de [34.12]. CQFD

34.13 Theoreme (Lebesgue-Radon-Nikodym 1). Soit µ et ν deux mesuresσ-finies sur un espace mesurable (Ω,F). Alors il existe un ensemble mesurableN ∈ F et une fonction mesurable f : Ω→ R+ tel que

ν(N) = 0 et ∀A ∈ F : µ(A) =

∫A

f dν + µ(A ∩N) .

Preuve. On suppose dans un premier temps que µ est une mesure finie et on intro-duit la mesure ρ = µ+ ν. Par [21.7] et l’inegalite de Holder pour la mesure µ [29.7]

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320 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

on a les inegalites suivantes pour g : Ω→ R mesurable :∫Ω

|g| dµ[29.7], f≡1

≤( ∫

Ω

|g|2 dµ

)1/2

·(µ(Ω)

)1/2[21.7]

≤( ∫

Ω

|g|2 dρ

)1/2

·(µ(Ω)

)1/2.(34.14)

Il s’ensuit (avec [10.11]) que l’application T : L2R(Ω, ρ)→ R donnee par

T (g) =

∫Ω

g dµ

est une application lineaire bien definie. Mais elle est aussi nulle sur N ρR, donc il

existe une (unique) application lineaire [T ] : L2R(Ω, ρ)→ R definie par

[T ]( [g ]) =

∫Ω

g dµ .

On deduit directement de (34.14) qu’on a l’inegalite

sup‖ [g ]‖2=1

∣∣ [T ]( [g ])∣∣ ≤√µ(Ω) <∞ .

Il s’ensuit que l’application lineaire [T ] est continue [31.3] et donc (par [32.15],[33.30]) il existe une (unique) [h ] ∈ L2

R(Ω, ρ) telle qu’on a l’egalite

(34.15) ∀g ∈ L2R(Ω, ρ) :

∫Ω

g dµ ≡ [T ]( [g ]) =

∫Ω

g · h dρ ,

ou on a choisi un representant h ∈ L2R(Ω, ρ) dans la classe d’equivalence [h ]. Si

A ∈ F est tel que ρ(A) <∞, alors 1A ∈ L2R(Ω, ρ) et on obtient les inegalites

0 ≤ µ(A) =

∫Ω

1A dµ(34.15)

=

∫Ω

1A · h dρ et∫Ω

1A dµ[21.7]

≤∫

Ω

1A dρ = ρ(A) .

On a donc l’encadrement

0 ≤∫A

h dρ ≤ ρ(A) .

Par [31.8] avec F = [0, 1 ] (qui est ferme dans C) on en deduit qu’on a ρ(B) = 0avec B = ω ∈ Ω | h(ω) /∈ [0, 1 ]. Si on change h sur B en zero, on reste dans lameme classe d’equivalence [h ] et la fonction prend ses valeurs partout dans [0, 1 ].Desormais on suppose donc que h est une fonction a valeurs dans [0, 1 ] et on definitC = ω ∈ Ω | 0 ≤ h(ω) < 1 et donc Cc = ω ∈ Ω | h(ω) = 1.

Si on reprend (34.15), on peut le reecrire, avec [21.7] et [10.11], comme

(34.16) ∀g ∈ L2R(Ω, ρ) :

∫Ω

g · (1− h) dµ =

∫Ω

g · h dν .

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LE THEOREME DE RADON–NIKODYM 321

Pour elargir le domaine de l’applicabilite de cette formule a des fonctions mesurablespositives bornees quelconques, on raisonne comme suit. La mesure ν etant σ-finie,il existe (par [4.17]) une suite croissante (Dn)n∈N d’ensembles mesurables telle queΩ = ∪n∈NDn et ∀n ∈ N : ν(Dn) < ∞. Il s’ensuit immediatement qu’on a aussiρ(Dn) = µ(Dn) + ν(Dn) < ∞. Si ψ : Ω → [0,M ] est une fonction mesurable (etM ∈ R+), alors ψ · 1Dn appartient a L2

R(Ω, ρ) car∫Ω

|ψ · 1Dn |2 dρ ≤M2 · ρ(Dn) <∞ .

Le fait que la suite (Dn)n∈N est croissante et de reunion Ω implique que (ψ·1Dn)n∈Nest une suite croissante de fonctions mesurables positives telle que lim

n→∞ψ ·1Dn = ψ.

On peut donc faire le calcul∫Ω

ψ · (1− h) dµ[9.1]= lim

n→∞

∫Ω

ψ · 1Dn · (1− h) dµ

(34.16)= lim

n→∞

∫Ω

ψ · 1Dn · h dν[9.1]=

∫Ω

ψ · h dν ,(34.17)

ce qui montre que (34.16) est aussi valable pour une fonction positive mesurablebornee. Si on prend ψ = 1Cc dans (34.17), on obtient ψ · (1−h) = 0 et ψ ·h = 1Cc

et donc

(34.18) ν(Cc) =

∫Ω

1Cc dν =

∫Ω

ψ · h dν =

∫Ω

ψ · (1− h) dµ = 0 .

Vu que h prend ses valeurs dans [0, 1 ], il s’ensuit que les fonctions ψ = 1A ·hk sontmesurables positives bornees pour tout k ∈ N et tout A ∈ F . Avec le theoreme deconvergence monotone [9.1] et (34.17) on peut donc faire le calcul∫

Ω

1A ·( n∑k=0

hk)· (1− h) dµ

(34.17)=

∫Ω

1A ·( n∑k=0

hk)· h dν

[6.5.vi], (34.18)=

∫C

1A ·( n∑k=0

hk)· h dν

=⇒∫

Ω

1A · limn→∞

(1− hn+1) dµ =

∫C

1A · limn→∞

n+1∑k=1

hk dν

⇐⇒∫

Ω

1A · 1C dµ =

∫C

1A ·h

1− hdν

⇐⇒ µ(A ∩ C) =

∫A

f dν ,

ou on a defini la fonction mesurable positive f : Ω→ R+ par

f(ω) =h(ω)

1− h(ω)si ω ∈ C et f(ω) = 0 si ω /∈ C.

On obtient le resultat voulu en posant N = Cc car

µ(A) = µ(A ∩ C) + µ(A ∩N) =

∫A

f dν + µ(A ∩N) .

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322 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Ceci termine le cas ou µ est une mesure finie.

• Si µ est σ-finie, alors il existe une suite (En)n∈N d’ensembles mesurables 2 a 2disjoints telle que Ω = ∪n∈NEn et ∀n ∈ N : µ(En) <∞ [4.17]. Pour chaque n ∈ Non introduit la mesure µn par

∀A ∈ F : µn(A) = µ(A ∩ En) .

Par hypothese ces mesures sont finies ; on peut donc appliquer le resultat precedentet conclure qu’il existe des ensembles mesurables Nn et des fonctions mesurablesfn : Ω→ R+ tels que

ν(Nn) = 0 et ∀A ∈ F : µn(A) =

∫A

fn dν + µn(A ∩Nn) .

Avec ces preparations et le fait que les En sont 2 a 2 disjoints on peut faire le calcul

µ(A) = µ(⋃n∈N

(A ∩ En) =∑n∈N

µn(A ∩ En)

=∑n∈N

( ∫A∩En

fn dν + µn(A ∩ En ∩Nn)

)[9.12], [16.4]

=∑n∈N

∫A

1En · fn dν +∑n∈N

µn(A ∩ En ∩Nn)

[9.13]=

∫A

( ∑n∈N

fn · 1En)

dν + µ(A ∩( ⋃n∈N

(En ∩Nn))

) .

Si on pose

f =∑n∈N

fn · 1En et N =⋃n∈N

(En ∩Nn) ,

alors f est une fonction mesurable positive (car la limite d’une suite croissante defonctions mesurables positives) qui ne prend jamais la valeur ∞ (car f |En = fn) etN a une ν-mesure nulle :

ν(N) =∑n∈N

ν(En ∩Nn) ≤∑n∈N

ν(Nn) = 0 .

Avec ces definitions on a montre le resultat voulu. CQFD

34.19 Remarque sur la preuve de [34.13]. Il est presque superflu d’elargirle domaine d’applicabilite de (34.16) a des fonctions mesurables positives bornees,

car on ne l’utilise que pour les fonctions 1A · hk avec k ∈ N. Etant donne que happartient a L2

R(Ω, ρ) et qu’on a les inegalites 1A · hk ≤ h pour tout k ≥ 1, lesfonctions 1A ·hk avec k ≥ 1 appartiennent aussi a L2

R(Ω, ρ). La seule fonction pourlaquelle on a besoin de cet elargissement est la fonction 1A, c’est-a-dire le cas k = 0.Mais c’est un cas crucial dans le calcul, d’ou la necessicite de l’elargissement.

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LE THEOREME DE RADON–NIKODYM 323

34.20 Theoreme (Lebesgue-Radon-Nikodym 2). Soit µ et ν deux mesuresσ-finies sur une espace mesurable (Ω,F).

(i) Il existe deux mesures uniques µ⊥ et µ// sur Ω telles que µ⊥ ⊥ ν, µ// νet µ = µ⊥ + µ//.

(ii) Il existe une fonction mesurable f : Ω → R+ telle que µ// est a densite fpar rapport a ν :

dµ// = f dν .

Preuve. Selon [34.13] il existe N ∈ F et f : Ω→ R+ tels que

ν(N) = 0 et ∀A ∈ F : µ(A) =

∫A

f dν + µ(A ∩N) .

Si on pose µ//(A) =∫Af dν et µ⊥(A) = µ(A ∩ N), alors µ// est a densite par

rapport a ν et donc µ// ν [34.12]. Mais aussi µ⊥(N c) = 0 et donc µ⊥ ⊥ ν[34.11]. Ceci montre la partie existence.

Pour l’unicite on suppose qu’il existe des mesures µ//, µ′//, µ⊥ et µ′⊥ telles que

µ = µ// + µ⊥ = µ′// + µ′⊥, µ⊥ ⊥ ν, µ′⊥ ⊥ ν, µ// ν et µ′// ν. Selon [34.11]

il existe deux ensembles mesurables C,C ′ ∈ F tels que ν(Cc) = ν((C ′)c) = 0 etµ⊥(C) = 0 = µ′⊥(C ′). Si on pose D = C ∩ C ′, on aura donc aussi ν(Dc) = 0et µ⊥(D) = µ′⊥(D) = 0. Les hypotheses µ//, µ

′// ν impliquent qu’on a aussi

µ//(Dc) = µ′//(D

c) = 0. Pour un A ∈ F on peut donc faire les calculs

µ(A ∩D) = µ//(A ∩D) + µ⊥(A ∩D) = µ//(A ∩D)

= µ//(A ∩D) + µ//(A ∩Dc) = µ//(A)

et

µ(A ∩Dc) = µ//(A ∩Dc) + µ⊥(A ∩Dc) = µ⊥(A ∩Dc)

= µ⊥(A ∩D) + µ⊥(A ∩Dc) = µ⊥(A) .

Les memes calculs etant vrais si on remplace µ// et µ⊥ par µ′// et µ′⊥, on vient de

montrer que µ//(A) = µ′//(A) et µ⊥(A) = µ′⊥(A) pour tout A ∈ F , ce qui montre

l’unicite. CQFD

→ 34.21 Corollaire. Soit ν une mesure σ-finie sur un espace mesurable (Ω,F). Unemesure σ-finie µ sur Ω est absolument continue par rapport a ν (µ ν) si etseulement s’il existe une fonction mesurable f : Ω → R+ telle que µ est a densitef par rapport a ν. Si c’est le cas, la classe d’equivalence [f ] de f dans l’espacequotient MK(Ω)/Rν [29.1], [29.30] (avec la mesure ν) est uniquement determineepar µ (et ν).

Preuve de [34.21]. CQFD

34.22 Terminologie. La decomposition µ = µ⊥+µ// dans [34.20.i] est appelee ladecomposition de Lebesgue de µ par rapport a ν ; µ⊥ est appelee la partie singuliere

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324 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

(de µ par rapport a ν) et µ// est appelee la partie absolument continue (de µ parrapport a ν).

Si µ est absolument continue par rapport a ν, alors la fonction f dans [34.21] estappelee la derivee de Radon-Nikodym de µ par rapport a ν, aussi notee comme

f =dµ

dν.

Cette notation suggere que la fonction f est determinee par les mesures µ et ν.Comme on vient de voir, ce n’est pas la fonction f mais sa classe d’equivalence(modulo les fonctions ν-presque partout egales a zero) qui est determinee d’unefacon unique par µ et ν. Cet abus de notation est le meme que signale dans[29.35] : on confond une fonction avec sa classe d’equivalence.

34.23 Corollaire. Soit µ une mesure sur (R,B(R)) qui est finie sur tout intervalleborne. Alors il existe trois mesures uniques µd, µac et µsc, appelees respectivementla partie discrete, la partie absolument continue et la partie singulierement continuede µ, telles que

(i) µ = µd + µsc + µac ;(ii) µd est une mesure discrete ;

(iii) µsc et µac sont diffuses ;(iv) µd, µsc et la mesure de Lebesgue λ sont mutuellement singulieres ;(iv) il existe une fonction mesurable f : R → R+ telle que µac est a densite f

par rapport a λ ;(vi) dans la decomposition [34.8] µd est la partie discrete et µsc + µac est la

partie diffuse ;(vii) dans la decomposition de Lebesgue [34.20.i], µd+µsc est la partie singuliere

et µac est la partie absolument continue.

f

34.24 Exemple (l’escalier du diable). Si on compare [34.8] avec [20.9], il esttentant de croire que la partie singulierement continue dans la decomposition [34.23]n’existe pas, c’est-a-dire qu’il est tentant de croire que si la fonction de Stieltjes Fest continue, alors la mesure est a densite par rapport a la mesure de Lebesgue.Pour y croire il faut surmonter le probleme de la derivabilite de F , mais on pourraity croire. Qu’un tel espoir est vain est montre par l’exemple suivant, appele l’escalierdu diable, ou on construit une fonction croissante continue F telle que la mesure deStieltjes associee λF est (donc) diffuse, concentre sur l’ensemble de Cantor [19.13](donc sur un ensemble de λ-mesure nulle) et verifie λF (R) = 1. Cette mesure nepeut donc pas etre a densite par rapport a λ. Dans la decomposition [34.23] cettemesure est egale a sa partie singulierement continue (par rapport a la mesure deLebesgue).

Une construction de cette fonction F est publiee pour la premiere fois en 1885par Ludwig Scheeffer [Sch] et est attribuee parfois (a tort) a Henri Lebesgue. Laconstruction qu’on en donne ici n’est pas celle de Scheeffer mais repose sur des

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LE THEOREME DE RADON–NIKODYM 325

resultats de convergence uniforme. On definit la suite de fonctions croissantescontinues (fn)n∈N sur [0, 1 ] par recurrence en commencant avec f0(x) = x pourlaquelle on note les proprietes f0(0) = 0 et f0(1) = 1. Ensuite on pose, pour toutn ∈ N,

fn+1(x) =

12 · fn(3x) x ∈ [0, 1

3 ]12 x ∈ [ 1

3 ,23 ]

12 + 1

2 · fn(3x− 2) x ∈ [ 23 , 1 ] .

f0

f1

f2

f3

derivee non-nulle

On verifie aisement que si fn est croissante, continue et verifie fn(0) = 0 ainsi quefn(1) = 1, alors fn+1 est aussi croissante, continue et verifie fn+1(0) = 0 ainsi quefn+1(1) = 1. Mais on verifie aussi facilement qu’on a la propriete

supx∈ [0,1 ]

|fn+2(x)− fn+1(x)| ≤ 12 · sup

x∈ [0,1 ]

|fn+1(x)− fn(x)| .

On en deduit (par recurrence et par l’inegalite triangulaire) qu’on a, pour toutk, n ∈ N, la propriete

(34.25) supx∈ [0,1 ]

|fn+k(x)− fn(x)| ≤ 2−n+1 · supx∈ [0,1 ]

|f1(x)− f0(x)| = 13 · 2

−n .

Il s’ensuit que la suite (fn(x))n∈N est une suite de Cauchy pour tout x ∈ [0, 1 ] ; ilexiste donc une fonction F : [0, 1 ] → R telle qu’on a

F (x) = limn→∞

fn(x) .

C’est un exercice standard de montrer (a l’aide de (34.25)) que F est croissante,continue et verifie F (0) = 0 ainsi que F (1) = 1.

Pour decouvrir les proprietes remarquables de cette fonction, on reprend sadefinition ainsi que la definition de l’ensemble de Cantor [19.13]. Pour faciliterla discussion, on introduit les ensembles On = [0, 1 ] \ Bn le complementaire deBn et Bn l’interieur de Bn. Ainsi (Bn)n∈N est une suite decroissante d’ensemblesouverts et (On)n∈N une suite croissante d’ensembles ouverts. Si on regarde lesexpressions explicites pour les premiers termes des suites des fn et Bn, il n’est pasdifficile de se convaincre (et de le montrer par recurrence) qu’on a les proprietessuivantes :

(i) fn est derivable sur On ∪ Bn, de derivee ( 32 )n sur Bn et de derivee 0 sur

On ;(ii) fn+1 = fn sur On.

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326 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

Il s’ensuit qu’on a la propriete

∀k, n ∈ N , ∀x ∈ On : fn+k(x) = fn(x) et f ′n+k(x) = 0 .

On en deduit immmediatement que la fonction F = limn→∞ fn est derivable surOn de derivee nulle. Ceci etant vrai pour tout n ∈ N, il s’ensuit que F est derivablesur ∪n∈NOn = [0, 1 ] \ C de derivee nulle, ou C designe l’ensemble de Cantor. Lafonction F est donc λ-presque partout derivable de derivee nulle. Pourtant ce n’estpas une fonction constante, car on a F (0) = 0 et F (1) = 1.

Pour montrer que la mesure de Stieltjes associee λF est concentree sur C, il fautd’abord etendre F en une fonction sur R entier. On le fait en posant F (x) = 0 pourx ≤ 0 et F (x) = 1 pour x ≥ 1. Ainsi F devient une fonction croissante continuesur R. Sur R \Bn la fonction F est derivable de derivee nulle. Il s’ensuit que si ona l’inclusion ]a, b [ ⊂ R \Bn, alors F est continue sur [a, b ], derivable sur ]a, b [ dederivee 0, donc F est constante sur [a, b ] et on a

λF ( ]a, b [ ) = λF ( ]a, b ]) = F (b)− F (a) = 0 .

A l’aide de l’additivite d’une mesure et le fait que pour tout M ∈ N∗ l’ensemble]−M,M [ \Bn = ]−∞, 0[ ∪On∪ ]1,∞ [ est une reunion finie d’intervalles ouverts,on en deduit qu’on a

λF ( ] −M,M [ \Bn) = 0 ,

et donc par continuite croissante qu’on a

λF (R \Bn) = 0 .

De nouveau par continuite croissante d’une mesure on obtient le resultat voulu :

λF (R \ C) = λF (R \ (⋂n∈N

Bn)) = λF (⋃n∈N

(R \Bn) = limn→∞

λF (R \Bn) = 0 .

Pour terminer les proprietes annoncees de λF , on remarque qu’on a

λF (R) = λF (⋃n∈N

] − n, n ]) = limn→∞

(F (n)− F (−n)

)= 1 .

34.26 Remarques pour les curieux. • La construction de la fonction “escalierdu diable” qu’on a donne en [34.24] peut etre mise dans un cadre un peu plussavant. Pour cela on commence avec la definition de l’espace norme C0( [0, 1 ],R)des fonctions continues sur l’intervalle [0, 1 ] a valeurs dans R muni de la normede la convergence uniforme ‖ · ‖sup [29.16]. Dans C0( [0, 1 ],R) on regarde le sous-ensemble E des fonctions qui sont 0 en x = 0 et 1 en x = 1 :

E = f : [0, 1 ] → R | f continue sur [0, 1 ] , f(0) = 0 , f(1) = 1 .

La preuve que E est un sous-ensemble ferme de C0( [0, 1 ],R) est facile et la preuveque C0( [0, 1 ],R) est un sous-espace ferme de L∞R ( [0, 1 ], λ) est elementaire [30.37].

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LE THEOREME DE RADON–NIKODYM 327

Il s’ensuit que l’ensemble E muni de la distance induite d∞(f, g) = ‖f − g‖sup estun espace metrique complet.

Sur E on definit l’application T : E → E par

T (f)(x) =

12 · f(3x) x ∈ [0, 1

3 ]12 x ∈ [ 1

3 ,23 ]

12 + 1

2 · f(3x− 2) x ∈ [ 23 , 1 ] ,

et on verifie aisement que si f appartient a E, alors T (f) appartient elle aussi a E.On verifie aussi facilement que T est une contraction de facteur 1

2 :

d∞(T (f), T (g)) ≤ 12 · d∞(f, g) .

Avec ces preparations on peut dire que la fonction F (l’escalier du diable) estl’unique point fixe de l’application T ; l’existence est garantie par le fait que (E, d∞)est un espace metrique complet.• Une autre definition de la fonction F qu’on trouve dans la litterature part

directement de la construction de l’ensemble de Cantor. On definit la suite desfonctions (fn)n∈N comme

fn(x) = (32 )n ·

∫[0,x ]

1Bn(x) dλ .

On obtient la meme suite qu’en [34.24], mais il est plus difficile de montrer lesproprietes de ces fonctions a partir de cette definition qu’a partir de la definitionqu’on a utilisee dans [34.24].

→ 34.27 Exercice. Montrer les affirmations faites dans [34.24] sur la suite (fn)n∈N,en particulier

(i) l’existence d’une fonction continue (croissante) F = limn→∞

fn,(ii) la derivee de fn sur On ∪

∫Bn et

(iii) l’egalite fn+1 = fn sur On.

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328 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

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329

Partie VI : Ensembles Lebesgue mesurables

35. Espaces mesures complets

35.1 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. On dit que la tribu F estcomplete par rapport a la mesure µ si tout sous-ensemble contenu dans un ensemblemesurable de mesure nulle est aussi mesurable (et donc de mesure nulle). Enformule :

A ∈ F et µ(A) = 0 =⇒ ∀B ⊂ A : B ∈ F .

Si c’est le cas, on dira que (Ω,F , µ) est un espace mesure complet .

35.2 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Soit N ⊂ P(Ω) l’ensembledefini par

N = N ⊂ Ω | ∃A ∈ F : µ(A) = 0 et N ⊂ A ,

soit Fµ ⊂ P(Ω) l’ensemble defini par

Fµ = A ∪N | A ∈ F , N ∈ N

et soit µ : Fµ → R+ l’application definie par µ(A ∪N) = µ(A). Alors

(i) Fµ est une tribu contenant F ,

(ii) µ est une mesure sur Fµ qui coıncide avec µ sur F (µ|F = µ ) et

(iii) Fµ est complet par rapport a µ.

Preuve. • (i) : Il est evident qu’on a l’inclusion F ⊂ Fµ (car ∅ ∈ N ) et il reste

a montrer que Fµ verifie les trois proprietes d’une tribu. La premiere ∅ ∈ Fµ estimmediate. Pour la deuxieme, on prend An = Fn ∪ Nn ∈ F

µavec Fn ∈ F et

Nn ∈ N . Mais les Nn sont negligeables, donc ∪n∈NNn est negligeable [4.24]. Ils’ensuit qu’on a ∪n∈NNn ∈ N ; F etant une tribu, on a ∪n∈NFn ∈ F et donc⋃

n∈NAn =

⋃n∈N

Fn ∪⋃n∈N

Nn ∈ Fµ.

Pour la derniere propriete d’une tribu on prend A = F ∪N ∈ Fµ. Il existe doncB ∈ F tel que N ⊂ B et µ(B) = 0. On a donc les inclusions

F ⊂ A ⊂ F ∪B par complementaire=⇒ (F ∪B)c ⊂ Ac ⊂ F c .

Mais on a aussi

Ac \((F ∪B)c

)⊂ F c \

((F ∪B)c

)= F c ∩ (F ∪B) = F c ∩B ⊂ B .

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330 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

On a donc

Ac = (F ∪B)c ∪Ac \((F ∪B)c

)avec Ac \

((F ∪B)c

)⊂ B et µ(B) = 0 .

Il s’ensuit qu’on a bien Ac ∈ Fµ ((F ∪B)c ∈ F car F est une tribu).

• (ii) : En prenant N = ∅ ∈ N il est evident que µ coıncide avec µ sur F etqu’on a µ(∅) = 0. Mais il faut tout d’abord montrer que µ est bien definie. Pourcela on suppose qu’on a A ∪ N = A′ ∪ N ′ avec A,A′ ∈ F et N,N ′ ∈ N et il fauten deduire qu’on a µ(A) = µ(A′) (sinon la definition de µ n’a pas de sens). On a

A′ \A ⊂ A′ \A ∪N ′ \A = (A′ ∪N ′) \A = (A ∪N) \A = N \A ⊂ N .

Parce que N est negligeable, il s’ensuit (avec la croissance d’une mesure) que A′ \Aest negligeable. Mais A′ \A est mesurable, donc on a µ(A′ \A) = 0, ce qui permetde faire le calcul

µ(A′) = µ(A′ \A ∪A′ ∩A) = µ(A′ \A) + µ(A′ ∩A) = µ(A′ ∩A) .

En echangeant les roles de A et A′ on obtient aussi l’egalite µ(A) = µ(A ∩ A′) etdonc l’egalite µ(A) = µ(A′).

Il nous reste a montrer la σ-additivite d’une mesure. Prenons donc Fn ∈ F etNn ∈ N tels que les Fn ∪Nn sont 2 a 2 disjoints. On a

⋃n∈N

(Fn ∪Nn) =( ⋃n∈N

Fn

)∪(∪n∈NNn

)avec ∪n∈NFn ∈ F et ∪n∈NNn ∈ N . D’autre part, si les Fn∪Nn sont 2 a 2 disjoints,les Fn le seront certainement. On a donc

µ( ⋃n∈N

(Fn ∪Nn))

def.= µ

( ⋃n∈N

Fn

)µ est σ-add.

=∑n∈N

µ(Fn)def.=∑n∈N

µ(Fn ∪Nn) .

• (iii) : Pour montrer que Fµ est complet par rapport a µ, il faut montrer que

si B ⊂ Ω est tel qu’il existe C ∈ Fµ tel que B ⊂ C et µ(C) = 0, alors B ∈ Fµ.Pour le monter on note d’abord qu’il existe A,F ∈ F et N ∈ N tel que C = F ∪N ,N ⊂ A et µ(A) = 0. Mais par definition on a µ(C) = µ(F ). On a donc

B ⊂ F ∪N ⊂ F ∪A

avec 0 ≤ µ(F ∪ A) ≤ µ(F ) + µ(A) = 0. Il s’ensuit qu’on a B ∈ N ⊂ Fµ commevoulu. CQFD

35.3 Definition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. La tribu Fµ definie dans [35.2]

est appele la µ-completion de la tribu F . On dit aussi que l’espace mesure (Ω,Fµ, µ)est la µ-completion de l’espace mesure (Ω,F , µ).

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ESPACES MESURES COMPLETS 331

→ 35.4 Lemme. Soit (Ω, , µ) un espace mesure complet. Alors la µ-completion deF est F elle-meme.

Preuve de [35.4]. CQFD

→ 35.5 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et soit P une propriete d’elementsde Ω. Alors P est µ-presque partout vraie si et seulement P est µ-presque partoutvraie.

Preuve de [35.5]. CQFD

→ 35.6 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure. Alors la tribu Fµ est donnee par

Fµ = B ⊂ Ω | ∃E,E′ ∈ F : E ⊂ B ⊂ E′ et µ(E) = µ(E′) ,

l’ensemble des parties des Ω qui sont encadrees par des elements de F de meme µ-mesure. Si B ⊂ Ω est tel qu’il existe E,E′ ∈ F avec E ⊂ B ⊂ E′ et µ(E) = µ(E′),alors µ(B) = µ(E).

Preuve de [35.6]. CQFD

→ 35.7 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit (X,G) un espace mesurable et

soit f : Ω→ R une application mesurable. Alors f est aussi Fµ-G-mesurable.

Preuve de [35.7]. CQFD

→ 35.8 Lemme. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure complet, soit A ⊂ Ω une partieµ-negligeable, soit (X,G) un espace mesurable et soit f : A → X une applicationquelconque. Alors f est FA-G-mesurable.

Preuve de [35.8]. Soit G ∈ G. Alors f−1(G) ⊂ A par definition. Mais F est completpar rapport a la mesure µ et µ(A) = 0 Donc f−1(G) ∈ F avec µ(f−1(G)) = 0.

CQFD

35.9 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure complet, soit (X,G) un espacemesurable et soient f, g : Ω → X deux applications. Si f est mesurable et si

fµ-pp= g, alors g est mesurable.

35.10 Exemple. Si (Ω,F , µ) n’est pas un espace mesure complet, alors il est bienpossible qu’il existe deux fonctions qui sont µ-presque partout egales dont l’une estmesurable et l’autre ne l’est pas. Par exemple, etant donne que (Ω,F , µ) n’est pas

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332 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

complet, il existe A ⊂ Ω tel qu’il existe F ∈ F avec A ⊂ F , A /∈ F et µ(F ) = 0.Avec ceci on definit f : Ω→ R par

f(ω) =

1 , ω ∈ A−1 , ω ∈ (F \A)

0 , ω /∈ F .

Cette fonction est µ-presque partout egale (exactement sur l’ensemble F c) a lafonction nulle, qui est mesurable, mais f elle-meme n’est pas mesurable car (parexemple) f−1(1) = A n’appartient pas a F .

35.11 Proposition. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure et f : Ω→ K une application

avec K = R+, R ou C. Alors f est Fµ-B(K)-mesurable si et seulement s’il existe

une application g : Ω→ K qui est F-B(K)-mesurable telle que fµ-pp= g.

Preuve. S’il existe un tel g, alors g est aussi Fµ-B(K)-mesurable par [35.7]. Par

hypothese il existe N ∈ Fµ tel que µ(N) = 0 et f = g sur N c. f est donc FµNc-B(K)-mesurable sur N c. Par [35.8] f est aussi FµN -B(K)-mesurable sur N , donc

par [7.9] f est Fµ-B(K)-mesurable sur Ω.

Si f est Fµ-B(K)-mesurable, il faut trouver une application F-B(K)-mesurableconvenable. On le fait par etapes en suivant l’approche standard. Supposonsd’abord que f est une fonction etagee positive, f =

∑ni=1 ci · 1Ei , Ei ∈ F

µ,

ci ∈ ]0,∞ [ . Par construction de Fµ il existe Ai ∈ F et Ni ∈ N tels queEi = Ai ∪ Ni. Si on pose g =

∑ni=1 ci · 1Ai , alors g est une fonction F-B(R)-

mesurable. De plus, on a l’inclusion

ω ∈ Ω | f(ω) 6= g(ω) ⊂n⋃i=1

Ni ,

car 1Ai∪Ni et 1Ai ne peuvent differer que sur Ni. Il s’ensuit que fµ-pp= g.

Si f est une fonction Fµ-B(R+)-mesurable quelconque, alors il existe une suite(croissante) de fonctions etagees positives fn telles que f = limn→∞ fn. Par l’etapeprecedente il existe des fonctions (etagees positives) F-B(R+)-mesurables gn (mais

attention : la suite gn n’est pas forcement croissante!) telles que fnµ-pp= gn. Si on

pose

Nn = ω ∈ Ω | fn(ω) 6= gn(ω) ,

alors on a l’implication

(35.12) ω ∈( ⋃n∈N

Nn

)c=⇒ ∀n ∈ N : fn(ω) = gn(ω) .

Si on definit la fonction g par

g(ω) =

limn→∞

gn(ω) limn→∞

gn(ω) existe,

0 limn→∞

gn(ω) n’existe pas,

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ESPACES MESURES COMPLETS 333

alors g est F-B(R+)-mesurable par [8.18] et [7.9]. Par (35.12) on a l’implication

ω ∈(∪n∈NNn

)c=⇒ f(ω) = g(ω). Mais ∪n∈NNn est µ-negligeable, donc f

µ-pp= g.

Dans le cas K = R on separe f en ses parties positive et negative f = f+ − f−.Par l’etape precedente il existe des fonctions positives F-B(R)-mesurables g± telles

que f±µ-pp= g±. Et donc g = g+ − g− est une fonction F-B(R)-mesurable qui est

µ-presque partout egale a f . Le cas complexe se deduit de ceci en separant lesparties reelle et imaginaire. CQFD

35.13 Corollaire. Soit (Ω,F , µ) un espace mesure, soit K = R+, R ou C et soitp ∈ [1,∞ ]. Alors l’application

Φ :MK(Ω,F)/Rµ →MK(Ω,Fµ)/Rµ , [f ]µ 7→ [f ]µ

est une bijection. Restreint a LpK(Ω, µ) (pour K = R ou C) c’est une isometriebijective

Φ : LpK(Ω, µ)∼=−−→ LpK(Ω, µ) .

Preuve. Si f : Ω → K est mesurable par rapport a la tribu F , elle est mesurablepar rapport a la mesure µ [35.7]. L’application

φ :MK(Ω,F)→MK(Ω,Fµ)/Rµ , f 7→ [f ]µ

est donc bien definie. Par [35.5] cette application est constante sur les classesd’equivalence pour Rµ, ce qui montre que l’application induite Φ est bien definie.L’injectivite de Φ se deduit aussi de [35.5] et la surjectivite de Φ se deduit de [35.11].

Il est evident que la restriction de φ a LpK(Ω, µ) est lineaire. Pour f ∈MK(Ω,F)on a, par [10.13], l’egalite∫ Fµ

Ω

f dµ =

∫ FΩ

f dµ|F =

∫ FΩ

f dµ ,

ce qui montre a la fois que l’image φ(LpK(Ω, µ)) est LpK(Ω, µ) et que cette applicationtransforme la norme ‖ · ‖p sur LpK(Ω, µ) en la norme ‖ · ‖p sur LpK(Ω, µ). CQFD

35.14 Corollaire. Soit P ⊂ Rd un pave ferme et borne et soit f : P → R une

fonction Riemann integrable sur P . Alors f est B(Rd)λ-B(R)-mesurable, f est

λ-integrable et on a l’egalite∫Pf(x) ddx =

∫Pf dλ.

35.15 Proposition. Soit Ω un ensemble et µ∗ : P(Ω)→ R+ une mesure exterieu-re. Alors la tribu des ensembles mesurables M(µ∗) [17.7] est complete par rapporta la mesure µ∗|M(µ∗).

Preuve. Soit A ∈ M(µ∗) tel que µ∗(A) = 0 et soit B ⊂ A. Il faut montrerB ∈M(µ∗). Pour cela, soit C ⊂ Ω arbitraire. On commence avec la remarque que

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334 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

la croissance et la positivite de µ∗ impliquent que µ∗(X) = 0 pour tout X ⊂ A.Alors A ∈M(µ∗) et A ∩ C ⊂ A nous permettent de faire le calcul

µ∗(C) = µ∗(A ∩ C) + µ∗(Ac ∩ C) = µ∗(Ac ∩ C) .

Par complementarite on a C ⊃ Bc ∩C ⊃ Ac ∩C et donc par croissance de µ∗ on ales inegalites

µ∗(C) ≥ µ∗(Bc ∩ C) ≥ µ∗(Ac ∩ C) = µ∗(C) ,

et donc on a egalite partout. Vu qu’on a B ∩ C ⊂ A et donc µ∗(B ∩ C) = 0, ils’ensuit qu’on a l’egalite

µ∗(C) = µ∗(B ∩ C) + µ∗(Bc ∩ C) . CQFD

35.16 Discussion. Dans [17.12] on a prolonge une pre-mesure sur un semi-anneauen une mesure sur la tribu engendree par ce semi-anneau. Si on regarde un petit peuplus pres, on s’apercoit que la construction se fait en plusieurs etapes. On commenceavec la pre-mesure µ sur le semi-anneau C ⊂ P(Ω), on applique la construction [17.3]pour obtenir une mesure exterieure µ∗ definie sur toutes les parties de Ω. Aveccette mesure exterieure on construit la tribu M(µ∗) des ensembles µ∗-mesurablessur laquelle µ∗ est une vraie mesure et on montre d’une part que le semi-anneauC est inclus dans M(µ∗) et d’autre part que µ et µ∗ coıncident sur C. Ainsi onobtient le prolongement comme la restriction de µ∗ a σ(C), la tribu engendree parle semi-anneau.

Etant donne que µ∗ est construite a partir de C (et µ) et que σ(C) aussi, il estnaturel de se poser la question s’il y a un lien entre les tribusM(µ∗) et σ(C). Dans[35.17] on montrera (sous l’hypothese de σ-finitude) que le lien est donne par unecompletion : M(µ∗) est la completion de la tribu σ(C) par rapport a la mesureµ∗|σ(C), le prolongement de µ a σ(C).

Avec ce lien on a donc les inclusions σ(C) ⊂ M(µ∗) = σ(C)µ⊂ P(Ω). Il est

donc naturel de se poser la question si l’une ou l’autre de ces inclusions n’est pasune egalite. Dans §36 on montrera, dans le cas de la mesure de Lebesgue, que lapremiere inclusion n’est pas une egalite. Et dans §37 on montrera, avec l’axiome duchoix et toujours dans le cas de la mesure de Lebesgue, que la deuxieme inclusionn’est pas une egalite non plus.

35.17 Proposition. Soit Ω un ensemble, soit C ⊂ P(Ω) un semi-anneau et soitµ : C → R+ une pre-mesure σ-finie sur C : il existe une suite (Cn)n∈N d’elementsde C telle que ∪n∈NCn = Ω et µ(Cn) <∞ pour tout n ∈ N.

Si µ∗ : P(Ω) → R+ est la mesure exterieure associee au couple (C, µ) par laconstruction [17.3] et si µ = µ∗|σ(C) est le prolongement en une mesure sur la tribuengendree par C [17.12], alors on a l’egalite entre tribus

M(µ∗) = σ(C)µ

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ESPACES MESURES COMPLETS 335

et on a l’egalite entre mesures µ = µ∗|M(µ∗).

Preuve. • En preliminaire on montre que si B ⊂ Ω est tel que µ∗(B) <∞, alors ilexiste E ∈ σ(C) tel que B ⊂ E et µ∗(B) = µ∗(E).

La definition de µ∗(B) implique que pour tout ε > 0 il existe une suite (An)n∈Nd’elements de C telle que

B ⊂⋃n∈N

An et µ∗(B) ≤∑n∈N

µ(An) < µ∗(B) + ε .

Mais µ est une mesure sur σ(C), donc ∪n∈NAn ∈ σ(C) et (par sous-σ-additivite)

µ(⋃n∈N

An) ≤∑n∈N

µ(An). Par la croissance de la mesure µ∗ on a donc

µ∗(B) ≤ µ∗(⋃n∈N

An) ≡ µ(⋃n∈N

An) ≤∑n∈N

µ(An) < µ∗(B) + ε .

En prenant ε = 1/n on en deduit qu’il existe pour tout n ∈ N∗ un element Dn ∈σ(C) tel que B ⊂ Dn et µ∗(B) ≤ µ(Dn) < µ∗(B) + 1/n. La suite (En)n∈N definiecomme En = ∩ni=1Di est une suite decroissante d’elements de σ(C) verifiant lesmemes conditions que la suite (Dn)n∈N. En appliquant [4.14] on en deduit queE = ∩n∈NEn verifie les conditions requises : B ⊂ E et µ∗(B) = µ(E).

• Pour montrer l’egalite M(µ∗) = σ(C)µ

notons d’abord qu’on a l’inclusion

σ(C)µ⊂ M(µ∗) grace a [35.15]. Pour montrer l’inclusion dans l’autre sens, il faut

montrer (voir [35.6]) que pour tout B ∈ M(µ∗) il existe A,A′ ∈ σ(C) tels queA ⊂ B ⊂ A′ et µ(A) = µ(A′). Pour cela, fixons B ∈ M(µ∗) et n ∈ N. Parhypothese on a

µ∗(B ∩ Cn) ≤ µ∗(Cn) <∞ et µ∗(Bc ∩ Cn) ≤ µ∗(Cn) <∞ ,

donc, par ce qu’on vient de montrer ci-dessus, il existe En, E′n ∈ σ(C) tels que

B ∩ Cn ⊂ E′n et Bc ∩ Cn ⊂ En ,

ainsi queµ∗(B ∩ Cn) = µ(E′n) et µ∗(Bc ∩ Cn) = µ(En) .

On peut supposer sans perte de generalite que En, E′n ⊂ Cn, car sinon il suffit

de prendre les intersections En ∩ Cn et E′n ∩ Cn qui verifient les memes condi-tions. Sachant que µ∗ est une mesure surM(µ∗), ou en utilisant la definition d’unensemble µ∗-mesurable, on a l’egalite

µ(Cn) ≡ µ∗(Cn) = µ∗(B ∩ Cn) + µ∗(Bc ∩ Cn) ,

ce qui implique, par la finitude de µ(Cn), qu’on a l’egalite µ(E′n) = µ(Cn)−µ(En).Maintenant on constate qu’on a les implications

Bc ∩ Cn ⊂ En =⇒ Cn \ En ⊂ B ∩ Cn(En ⊂ Cn et µ(Cn) <∞

)=⇒ µ(Cn \ En) = µ(Cn)− µ(En) = µ(E′n) .

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336 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

On en deduit que A = Cn \ En et A′ = E′n sont des elements de σ(C) verifiant

A ⊂ B ∩ Cn ⊂ A′ et µ(A) = µ(A′). Il s’ensuit que B ∩ Cn appartient a σ(F)µ.

Mais σ(F)µ

est une tribu et on a l’egalite

B = B ∩ (⋃n∈N

Cn) =⋃n∈N

(B ∩ Cn) .

On en deduit que B appartient a σ(F)µ.

• Pour montrer l’egalite µ = µ∗|M(µ∗), prenons B ∈ σ(F)µ

et A,A′ ∈ σ(C) telsque A ⊂ B ⊂ A′ et µ(A) = µ(A′). Alors par [35.6] on a µ(B) = µ(A) et par

croissance de la mesure µ∗ sur σ(F)µ

on les inegalites

µ(A) ≡ µ∗(A) ≤ µ∗(B) ≤ µ∗(A′) ≡ µ(A′) .

Il s’ensuit immediatement qu’on a l’egalite µ(B) = µ∗(B). CQFD

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337

36. Combien de Boreliens sur R ?

36.1 Discussion. Dans §35 on a introduit la procedure de completion d’une tribupar rapport a une mesure. On a vu que, si on applique cette procedure a la tribu deBorel B(R) par rapport a la mesure de Lebesgue λ, on obtient un enonce plus jolipour la comparaison entre l’integrale de Riemann et de Lebesgue sur R : [35.14] ver-sus [25.12] ou [25.15]. Mais a-t-on vraiment besoin de cette completion ? Autrementdit, est-on sur que la tribu de Borel n’est pas deja complete par rapport a la mesurede Lebesgue ? Il paraıt difficile de trouver un sous-ensemble de R qui appartient ala tribu completee et qui n’appartient pas a la tribu de Borel (entre parentheses, unelement de la tribu completee B(R)

λest appele un ensemble Lebesgue mesurable).

Pourtant on peut montrer que de tels ensembles existent, mais la preuve est indi-recte. On peut monter qu’il existe une surjection R → B(R) et qu’il existe uneinjection P(R) → B(R)

λ. Si l’inclusion B(R) ⊂ B(R)

λest en fait une egalite, on

aura (avec [1.6]) une surjection R → P(R), ce qui est impossible. La conclusioninevitable est que l’inclusion B(R) ⊂ B(R)

λdoit etre stricte. Une facon de montrer

ces affirmations utilise la notion d’espace polonais, une notion qui est (aussi) utiledans d’autres domaines de l’analyse. Le but de ce chapitre est de fournir les detailsde ces preuves.†

36.2 Definition. Un espace polonais est un espace metrique (X, d) qui est sepa-rable et complet.

36.3 Proposition. Supposons que pour tout n ∈ N on a un espace metrique(Xn, dn) et posons P =

∏n∈NXn le produit de ces espaces. On definit l’application

dP : P × P → R+ par

(36.4) dP((xn)n∈N, (yn)n∈N

)=∞∑n=0

2−n · dn(xn, yn)

1 + dn(xn, yn).

Alors dP est une metrique sur P . Si tous les Xn sont separables, alors l’espacemetrique (P, dP ) est separable ; si tous les (Xn, dn) sont complets, alors (P, dP ) estcomplet.

Preuve. • Commencons avec la remarque que dP((xn)n∈N, (yn)n∈N

)appartient

bien a R+ car c’est une serie a termes positifs convergente (chaque terme est majorepar 2−n donc la somme est majoree par

∑∞n=0 2−n = 2). La seule propriete d’une

metrique qui n’est pas tout de suite evidente est l’inegalite triangulaire. Soit doncx = (xn)n∈N, y et z trois elements de P . On fixe n ∈ N et, en utilisant le fait que

†C’est H. Queffelec qui m’a fourni les grandes lignes de ce chapitre.

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338 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

la fonction f : R+ → R+, f(t) = t/(t + 1) est strictement croissante, on fait lecalcul

dn(xn, zn)

1 + dn(xn, zn)≤ dn(xn, yn) + dn(yn, zn)

1 + dn(xn, yn) + dn(yn, zn)

=dn(xn, yn)

1 + dn(xn, yn) + dn(yn, zn)+

dn(yn, zn)

1 + dn(xn, yn) + dn(yn, zn)

≤ dn(xn, yn)

1 + dn(xn, yn)+

dn(yn, zn)

1 + dn(yn, zn).

Si on multiplie ce resultat par 2−n, si on prend la somme sur n ∈ N et si on applique[9.12] et [16.4], on obtient l’inegalite triangulaire

dP (x, z) ≤ dP (x, y) + dP (y, z) .

• Si tous les Xn sont separables, alors pour tout n ∈ N il existe un ensembledenombrable dense Dn ⊂ Xn. Pour montrer la separabilite de P on fixe en plusdans chaque Xn un element cn ∈ Xn. Avec ces preparations on definit les ensemblesCN ⊂ P , N ∈ N par

CN = (xn)n∈N ∈ P | ∀n ≤ N : xn ∈ Dn , ∀n > N : xn = cn .

Il est evident qu’il existe une bijection entre CN et le produit D0 × · · · × DN etdonc CN est un ensemble denombrable [1.11]. L’ensemble C = ∪N∈NCN est doncaussi denombrable comme reunion denombrable d’ensembles denombrables [1.12].

Pour montrer que ce C est dense dans P il faut montrer que toute boule Bε(y) ⊂P contient un element de C. Soit donc y = (yn)n∈N un element de P et ε > 0 unreel. Alors il existe N ∈ N tel que 2−N+1 < ε. Parce que Dn est dense dans Xn,il existe, pour tout n ∈ N, un element xn ∈ B2−N−1(yn) ∩Dn. Pour montrer quel’element z = (zn)n∈N ∈ CN ⊂ C defini par

∀n ≤ N : zn = xn , ∀n > N : zn = cn

appartient a la boule Bε(y) on fait le calcul

dP (y, z) =N∑n=0

2−n · dn(yn, zn)

1 + dn(yn, zn)+

∞∑n=N+1

2−n · dn(yn, zn)

1 + dn(yn, zn)

<

N∑n=0

2−n · 2−N−1 +

∞∑n=N+1

2−n < 2−N + 2−N = 2−N+1 < ε .

Ainsi on a montre que C est dense dans P .• Pour montrer que (P, dP ) est complet si tous les (Xn, dn) sont complets, on a

besoin de quelques preparations. On regarde de nouveau la fonction f : R+ → R+,f(t) = t/(1 + t) et on note qu’on a les proprietes

(36.5) f(t) ≤ 12 =⇒ 1

2 t ≤ f(t) ≤ t ≤ 1 .

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COMBIEN DE BORELIENS SUR R ? 339

Ensuite on remarque qu’on a pour tout k ∈ N et tout x, y ∈ P :

(36.6) 2−k · f(dk(xk, yk)) ≤∞∑n=0

2−n · dn(xn, yn)

1 + dn(xn, yn)= dP (x, y) .

Maintenant on prend une suite de Cauchy (x(n))n∈N dans P , c’est-a-dire

(36.7) ∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ≥ N : dP (x(n), x(n)) < ε .

Si on fixe k ∈ N et si on combine (36.6) et (36.7) on obtient

∀ε > 0 ∃N ∈ N ∀n,m ≥ N : f(dk(x(n)k, x

(m)k)) < ε .

La propriete (36.5) de la fonction f implique a son tour que pour chaque k ∈ Nfixe la suite (x(n)

k)n∈N est une suite de Cauchy dans (Xk, dk) qui est complet. Ilexiste donc yk ∈ Xk tel que lim

n→∞x(n)

k = yk.

Il nous reste a montrer qu’on a limn→∞ x(n) = y = (yk)k∈N ∈ P . Pour cela onfixe ε > 0 et on choisit K ∈ N tel que 2−K+1 < ε. Par les limites lim

n→∞x(n)

k = ykil existe, pour tout k ∈ N, un Nk ∈ N tel que

∀n ≥ Nk : dk(x(n)k, yk) < 2−K−1 .

Alors pour n ≥ max(N0, . . . , NK) on a

dP (x(n), y) =K∑k=0

2−k · dk(x(n)k, yk)

1 + dk(x(n)k, yk)

+∞∑

k=K+1

2−k · dk(x(n)k, yk)

1 + dk(x(n)k, yk)

≤K∑k=0

2−k · 2−K−1 +∞∑

k=K+1

2−k < 2−K+1 < ε . CQFD

36.8 Remarque pour les curieux. Si on a une famille d’espaces metriques(Xi, di), i ∈ I, alors ce sont en particulier des espaces topologiques. L’espaceproduit X =

∏i∈I Xi est alors aussi un espace topologique quand on le munit de

la topologie produit. On peut se poser la question si la topologie produit provientd’une metrique. On peut demontrer que c’est le cas si et seulement si c’est unefamille denombrable (quand chaque Xi a au moins deux points). Dans ce cas(36.4) donne une telle metrique. En general on peut munir un produit denombrabled’espace metriques d’une multitude de manieres d’une metrique, mais il n’est pasgaranti qu’une metrique choisie au hasard induit la topologie produit. Et meme sila metrique choisie induit la topologie produit, le fait que les espaces constituantssont complets ne garantit pas que le produit muni de cette metrique sera complet.Le lecteur interesse peut trouver plus de details dans [Du].

36.9 Corollaire. Un sous-espace ferme d’un espace polonais est polonais et leproduit denombrable d’espaces polonais est polonais.

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340 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

36.10 Exemple important. L’ensemble N est un espace polonais comme sous-espace ferme de R. L’ensemble NN qui consiste en toutes les applications de Ndans N peut etre vu comme le produit

∏n∈NXn avec Xn = N pour tout n ∈ N

en identifiant l’application a : N→ N avec la collection (a(n))n∈N ∈∏n∈N N. Vu

ainsi, l’espace NN est un espace polonais quand on le munit de la metrique dNN

donnee par (36.4) :

dNN(a, b) =∞∑i=0

2−i · |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

.

L’importance de cet espace reside dans le fait que c’est l’espace polonais “universel”dans le sens que tout espace polonais est l’image de NN sous une application con-tinue et ouverte [36.21].

36.11 Proposition. Soit, pour tout k ∈ N et tout n0, . . . , nk ∈ N le sous-ensembleNNn0,...,nk

⊂ NN donne par

NNn0,...,nk

= a ∈ NN | ∀ 0 ≤ i ≤ k : a(i) = ni .

Alors la collection

B =

NNn0,...,nk

| k ∈ N, n0, . . . , nk ∈ N

est une base denombrable pour la topologie de l’espace metrique (NN, dNN).L’application (de decalage d’un cran) S : NN → NN definie par

a ∈ NN ⇒ S(a) ∈ NN ⇔ S(a) : N→ N , n 7→ a(n+ 1)

a la propriete

(36.12) ∀n0 ∈ N ∀a, b ∈ NNn0

: dNN(S(a), S(b)) = 2 · dNN(a, b) .

En particulier elle etablit des homeomorphismes

S : NNn0

∼=−−→ NN et S : NNn0,...,nk

∼=−−→ NNn1,...,nk

pour tout k ∈ N∗ et tout n0, . . . , nk ∈ N. S est donc continue et ouverte.

Preuve. On commence avec quelques preparations. On fixe k ∈ N et on montre lesimplications

(36.13) dNN(a, b) < 2−k−1 ⇒ ∀0 ≤ i ≤ k : a(i) = b(i) ⇒ dNN(a, b) < 2−k .

Pour la premiere implication on prend 0 ≤ i ≤ k et on fait le calcul

2−i · |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

≤ dNN(a, b) < 2−k−1

=⇒ |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

< 2i−k−1 ≤ 2−1 .

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COMBIEN DE BORELIENS SUR R ? 341

Mais pour n ∈ N∗ on a la minoration n/(1 + n) ≥ 2−1, donc |a(i) − b(i)| = 0, cequi montre la premiere implication. Pour la deuxieme implication on fait le calcul

dNN(a, b) =k∑i=0

2−i · |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

+∞∑

i=k+1

2−i · |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

< 0 +∞∑

i=k+1

2−i = 2−k .

On peut reformuler (36.13) comme les inclusions

(36.14) ∀a ∈ NNn0,...,nk

: B2−k−1(a) ⊂ NNn0,...,nk

⊂ B2−k(a)

ou bien comme

(36.15) ∀a ∈ NN : B2−k−1(a) ⊂ NNa(0),...,a(k) ⊂ B2−k(a) .

La premiere variante (36.14) montre qu’on a NNn0,...,nk

= ∪a∈NNn0,...,nk

B2−k−1(a), cequi montre que NN

n0,...,nkest un ouvert.

Pour montrer que B est une base, on prend un ouvert T et a ∈ T arbitraire.Alors par definition de la topologie il existe ε > 0 tel que Bε(a) ⊂ T . Si on choisitk ∈ N tel que 2−k < ε, alors (36.15) montre qu’on a

a ∈ NNa(0),...,a(k) ⊂ B2−k(a) ⊂ T ,

ce qui montre que l’ouvert T peut s’ecrire comme une reunion d’elements de B.Mais cela est precisement la definition d’une base pour la topologie.

Finalement, si on ecrit B comme

B =⋃k∈NNN

n0,...,nk| n0, . . . , nk ∈ N ,

alors on voit que B est une reunion denombrable d’ensembles denombrables (enbijection avec Nk [1.11]), donc denombrable [1.12].• Pour a, b ∈ NN

n0on a a(0)− b(0) = n0−n0 = 0, ce qui permet de faire le calcul

dNN(a, b) =∞∑i=0

2−i · |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

=∞∑i=1

2−i · |a(i)− b(i)|1 + |a(i)− b(i)|

=

∞∑i=0

2−i−1 · |a(i+ 1)− b(i+ 1)|1 + |a(i+ 1)− b(i+ 1)|

= 12 ·∞∑i=0

2−i · |S(a)(i)− S(b)(i)|1 + |S(a)(i)− S(b)(i)|

= 12 · dNN(S(a), S(b)) .

Le fait que S etablit des bijections comme indique est une consequence immediatedes definitions de S et de NN

n0,...,nk. Le fait que ces bijections sont des homeo-

morphismes (continue avec reciproque continue) est une consequence immediate de(36.12). L’application S est donc continue sur chaque NN

n0. Mais on a l’egalite

NN =⋃

n0∈NNNn0

et chaque NNn0

est ouvert. S est donc continue sur NN. Finalement, les NNn0,...,nk

forment une base pour la topologie et une application preserve les reunions. L’imaged’un ouvert est donc de nouveau une reunion d’elements de B, donc un ouvert, cequi veut precisement dire que S est une application ouverte. CQFD

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342 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

→ 36.16 Exercice. Montrer que les ensembles NNn0,...,nk

de [36.11] sont fermes. En

deduire qu’un sous-ensemble connexe de NN ne peut pas contenir deux pointsdifferents.

36.17 Definition. Soit (X, d) un espace metrique et A ⊂ X un sous-ensemble. Lediametre de A, note diam(A) est defini comme

diam(A) = sup d(x, y) | x, y ∈ A .

C’est “la plus grande” distance entre deux points de A. Par exemple dans Rn lediametre d’une boule de rayon r > 0 est 2r. Plus generalement l’inegalite trian-gulaire montre que le diametre d’une boule de rayon r dans un espace metriquequelconque ne peut pas depasser 2r.

36.18 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique separable, soit A ⊂ X un ouvertnon-vide et soit ε > 0. Alors il existe une suite d’ouverts non-vides (An)n∈N dansX telle que ∪

n∈NAn = A et telle que pour tout n ∈ N on a diam(An) ≤ ε et An ⊂ A.

Preuve. Soit D ⊂ X un sous-ensemble denombrable dense et soit B ⊂ P(X) definicomme

B = Bq(x) | x ∈ D , q ∈ Q ∩ ]0, ε/2[ .

Q ∩ ]0, ε/2[ est un sous-ensemble de l’ensemble denombrable Q [1.13], donc ilexiste une surjection de N sur Q∩ ]0, ε/2[ [1.5]. Il existe aussi (par definition) unesurjection de N sur D. En composant avec la bijection N→ N×N on obtient unesurjection de N sur D×(Q∩ ]0, ε/2[), un ensemble qui est visiblement en bijectionavec B. L’ensemble B est donc denombrable.

Par [31.6] il existe, pour tout x ∈ A, Cx ∈ B tel que x ∈ Cx ⊂ Cx ⊂ A. On adonc les inclusions/egalites

A =⋃x∈Ax ⊂

⋃x∈A

Cx ⊂⋃x∈A

Cx ⊂ A .

Il s’ensuit que si on pose A = C ∈ B | C ⊂ A , alors A est la reunion des elementsde A, chaque element de A est un ouvert, l’adherence de chaque element de A estinclus dans A et la contrainte sur q dans la definition de B garantit que le diametrede chaque element de A est borne par ε. En tant que sous-ensemble de B, A estdenombrable. On peut enumerer les elements de A comme A = An | n ∈ N eton a trouve la suite souhaitee. CQFD

36.19 Lemme. Soit (X, d) un espace metrique complet et (An)n∈N une suitedecroissante d’ensembles non vides dans X verifiant lim

n→∞diam(An) = 0. Alors

il existe un point x ∈ X tel que ∩n∈N

An = x.

Preuve. Si x, y ∈ X sont deux points dans ∩n∈NAn, alors x, y ∈ An pour tout

n ∈ N. Par definition du diametre on a donc d(x, y) ≤ diam(An)n→∞→ 0. Il

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COMBIEN DE BORELIENS SUR R ? 343

s’ensuit qu’on doit avoir d(x, y) = 0 et donc x = y. Ceci montre que l’intersectioncontient au plus un point. Pour montrer que l’intersection n’est pas vide, on choisitdans chaque An un point xn ∈ An. La decroissance de la suite (An)n∈N nous donne

(36.20) ∀m ≥ n : xm ∈ An et donc d(xn, xm) ≤ diam(An) .

La condition limn→∞ diam(An) implique a son tour que la suite (xn)n∈N est unesuite de Cauchy. Le fait que (X, d) est complet implique alors qu’il existe x ∈ Xtel que x = limn→∞ xn. La propriete (36.20) entraıne alors qu’on doit avoir x =limm→∞

xm ∈ An pour tout n ∈ N et donc x ∈ ∩n∈N

An. CQFD

36.21 Proposition. Soit (X, d) un espace polonais et soit (NN, dNN) l’espacepolonais de [36.10]. Alors il existe une application f : NN → X qui est continue,ouverte et surjective.

Preuve. On commence a construire pour tout k ∈ N et tout n0, . . . , nk ∈ N desouverts non-vides An0,...,nk ⊂ X tels que

(i) diam(An0,...,nk) ≤ (k + 1)−1,

(ii) ∀n0, . . . , nk, nk+1 ∈ N : An0,...,nk,nk+1⊂ An0,...,nk ,

(iii) ∀n0, . . . , nk ∈ N : ∪nk+1∈N

An0,...,nk,nk+1= An0,...,nk ,

(iv) ∪n0∈N

An0 = X.

La construction se fait par recurrence sur k. Pour k = 0 on invoque [36.18] avecA = X et ε = 1. On obtient des ensembles An0 , n0 ∈ N verifiant (i) et (iv).Supposons maintenant qu’on a deja construit les ensembles du rang k, c’est-a-direqu’on connaıt les ensembles An0,...,nk pour tout n0, . . . , nk ∈ N. Alors on invoque[36.18] avec A = An0,...,nk et ε = 1/(k + 2). On obtient des ensembles An0,...,nk,nk+1

verifiant (i), (ii) et (iii) (le n dans [36.18] s’appelle ici nk+1). Ainsi on obtient parrecurrence la famille souhaitee.• Pour construire f on prend a : N → N arbitraire. On lui associe une suite

d’ensembles (Ck)k∈N parCk = Aa(0),...,a(k) .

Par les proprietes (i) et (ii) on a directement que c’est une suite decroissanteverifiant limk→∞ diam(Ck) = 0. Par [36.19] l’intersection ∩k∈NCk contient ununique point. La propriete (ii) implique aussi qu’on a l’egalite ∩

k∈NCk = ∩

k∈NCk.

On peut donc definir l’application f : NN → X par

f(a) =⋂k∈N

Ck ≡⋂k∈N

Aa(0),...,a(k) .

On aura donc en particulier f(a) ∈ Aa(0),...,a(k) pour tout k ∈ N.• Pour montrer que ce f est surjectif, on prend x ∈ X et on va construire par

recurrence une application a ∈ NN telle que

∀k ∈ N : x ∈ Aa(0),...,a(k) .

Selon la propriete (iv) il existe n0 ∈ N tel que x ∈ An0. On initialise la recurrence

en posant a(0) = n0. Si x ∈ Aa(0),...,a(k), alors selon la propriete (iii) il existe

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344 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

nk+1 ∈ N tel que x ∈ Aa(0),...,a(k),nk+1. On pose alors a(k + 1) = nk+1. Ainsi

on a construit l’application a et il est immediat d’apres la definition de f qu’on af(a) = x.

Avec une petite adaptation de l’argument ci-dessus on montre que An0,...,nk estl’image par f de NN

n0,...,nk⊂ NN (voir [36.11]). Pour cela on prend y ∈ An0,...,nk

et on initialise la recurrence avec a(i) = ni pour tout 0 ≤ i ≤ k. Le reste del’argument ne change pas et on trouve a ∈ NN

n0,...,nktel que f(a) = y.

• Pour montrer que f est continue on prend a ∈ NN et ε > 0 pour lesquels ilfaut trouver δ > 0 tel que

dNN(a, b) < δ =⇒ d(f(a), f(b)

)< ε .

Selon (i) il existe k ∈ N tel que diam(Aa(0),...,a(k)) < ε et donc f(a) ∈ Aa(0),...,a(k) ⊂Bε(a). Mais alors on a par (36.15) et le resultat de surjectivite ci-dessus

f(B2−k−1(a)

)⊂ f(NN

a(0),...,a(k)) = Aa(0),...,a(k) ⊂ Bε(a) ,

ce qui montre que δ = 2−k−1 fait l’affaire.

• Reste a montrer que f est une application ouverte, ce qui veut dire que l’imagedirecte d’un ouvert est un ouvert. Pour cela il suffit de remarquer que tout ouvertT ⊂ NN est une reunion d’ensembles du type NN

n0,...,nk[36.11], que l’image directe

respecte les reunions et que l’image f(NNn0,...,nk

) = An0,...,nk est un ouvert de X.CQFD

36.22 Lemme. Soit C ⊂ P(R) une collection qui contient les fermes et qui eststable par reunion denombrable et intersection denombrable. Alors C contient lesboreliens de R : B(R) = σ(T ) ⊂ C.

Preuve. Soit D ⊂ C defini par

D = C ∈ C | Cc ∈ C .

En invoquant [36.18] avec A ⊂ R un ouvert et ε > 0 arbitraire, on obtient une suite(An)n∈N telle que

A =⋃n∈N

An ⊂⋃n∈N

An ⊂ A ,

ce qui montre que l’ouvert A est la reunion denombrable d’ensembles fermes. Soitmaintenant F ∈ C un ferme. Alors O = F c est un ouvert, qui est la reuniondenombrable de fermes. Mais C contient tous les fermes et est stable par reuniondenombrable. Donc O appartient aussi a C. Il s’ensuit que D contient au moinstous les fermes.

Par definition D est stable par complementation et il est facile de montrer qu’elleest aussi stable par reunion denombrable. En plus elle contient les fermes. C’estdonc une tribu contenant les fermes, donc elle contient la tribu engendree par lesfermes, c’est-a-dire les boreliens. CQFD

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COMBIEN DE BORELIENS SUR R ? 345

36.23 Proposition. Soit C ⊂ P(R) la collection qui contient l’ensemble vide etles images continues de NN [36.10] :

C = ∅ ∪f(NN) | f : NN → R continue

.

Alors C contient les fermes et est stable par reunion denombrable et intersectiondenombrable. Elle contient donc tous les boreliens de R : B(R) ⊂ C.

Preuve. • (contient les fermes) : Si F ⊂ R est un ferme non-vide, alors F avecla metrique induite est un espace polonais [36.9]. Par [36.21] il existe donc uneapplication continue surjective f : NN → F ⊂ R. Donc F appartient a C.• (stable par intersection denombrable) : Soit (Cn)n∈N une suite dans C. S’il

existe n ∈ N tel que Cn = ∅, alors ∩n∈NCn = ∅ ∈ C. Supposons donc que Cn 6= ∅pour tout n ∈ N. Alors il existe des surjections continues fn : NN → Cn [36.21].On definit maintenant l’espace X comme le produit denombrable d’espaces qui sonttous NN. Plus precisement on pose Xn = NN pour tout n ∈ N et X =

∏n∈NXn,

qui est donc un espace polonais comme produit denombrable d’espaces polonais[36.9]. Dans X on considere le sous-espace E ⊂ X defini par

E =

(an)n∈N ∈∏n∈N

Xn | ∀m ∈ N : fm(am) = f0(a0)

=⋂

m∈N

(an)n∈N ∈

∏n∈N

Xn | fm(am) = f0(a0).

Il est elementaire de verifier (a l’aide de (36.4)) que la projection X → Xm,(an)n∈N 7→ am est continue. La composition avec fm est donc continue, ce quiimplique que E est un ferme de X. Donc E est un espace polonais [36.9]. Il existedonc une application continue surjective g : NN → E [36.21].

La derniere etape est d’introduire l’application h : E → R par

h((an)n∈N

)= f0(a0)

et de montrer que h(E) = ∩n∈NCn. Pour cela on constate qu’on a

∀m ∈ N ∀(an)n∈N ∈ E : h((an)n∈N

)= f0(a0) = fm(am) ∈ Cm ,

car fm(NN) = Cm. Ceci montre qu’on a l’inclusion h(E) ⊂ ∩n∈NCn. Pour l’autreinclusion on prend x ∈ ∩n∈NCn. Alors par surjectivite de fm il existe am ∈ NN telque fm(am) = x. Alors l’element (an)n∈N appartient a E et on a h

((an)n∈N

)= x.

Ainsi on a montre que l’application h g : NN → R est une application continued’image ∩n∈NCn et donc ∩n∈NCn appartient a C.• (stable par reunion denombrable) : Soit (Cn)n∈N une suite dans C. Sans perte

de generalite on peut supposer que tous les Cn sont non-vides. Il existe doncdes applications continues surjectives fn : NN → Cn. Selon [36.11], l’applicationS : NN

n → NN est un homeomorphisme pour tout n ∈ N. La composee gn =

fn S : NNn → Cn est donc une application continue surjective. Etant donne que

NN = ∪n∈NNNn est une reunion disjointe d’ouverts, il s’ensuit que l’application

h : NN → R definie parh(a) = gn(a) si a ∈ NN

n

est une application continue. Vu que gn(NNn ) = Cn, il s’ensuit que h(NN) =

∪n∈NCn, c’est-a-dire que ∪n∈NCn ∈ C.• La conclusion que C contient les boreliens est une consequence immediate de

[36.22]. CQFD

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346 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

36.24 Corollaire. Il existe une surjection R→ B(R).

Preuve. On note D ⊂ NN un ensemble denombrable dense et on introduit l’ensem-ble RD de toutes les fonctions sur D a valeurs dans R ainsi que l’ensemble

F = f : NN → R | f continue

de toutes les fonctions continues sur NN a valeurs dans R. Selon [33.5] la fonctionRD : F → RD de restriction a D

f ∈ F 7→ f |D ∈ RD

est injective. Selon [1.6] il existe donc une surjection RD → F . Selon [36.23]l’application F → B(R), f 7→ f(NN) est surjective (si f(NN) n’est pas un borelien,on le change en ∅ pour que f prenne ses valeurs dans B(R)). En prenant la composeeon obtient donc une surjection RD → B(R).

Pour terminer il suffit donc de trouver une surjection R → RD. Pour celaon combine plusieurs resultats. On donne d’abord une description en mots del’argument ; on le resume apres en formules. L’ensemble D est denombrable, doncil existe une surjection N→ D. En composant avec la bijection N→ N×N [1.8]on obtient une surjection N → N ×D. Par [19.5] on obtient alors une surjection0, 1N → 0, 1N×D. Par [19.7] on a une bijection entre 0, 1N×D et (0, 1N)D

et selon [19.10] et [19.4] (N et N∗ sont en bijection) on a une bijection entre 0, 1Net R. Si on met tout cela ensemble avec [19.4], on obtient une surjection R→ RD.

Si on utilise le symbole pour indiquer une surjection on peut reformulerl’argument ci-dessus dans le schema suivant.

N D =⇒ N[1.8] N×N N×D =⇒

R[19.10]

[19.4]0, 1N

[19.5] 0, 1N×D

[19.7] (0, 1N)D

[19.10]

[19.4]RD .

La composee des surjections dans la deuxieme ligne donne une surjection R→ RD ;compose avec la surjection RD → B(R) deja obtenu on obtient le resultat annonce.

CQFD

36.25 Proposition. Il existe une injection P(R)→ B(R)λ.

Preuve. L’ensemble de Cantor C ⊂ [0, 1 ] [19.13] est un ferme, donc un borelien, demesure de Lebesgue nulle. Mais C est en bijection avec l’ensemble D = 0, 2N∗ detoutes les applications de N dans 0, 2 [19.13]. Selon [19.10] il existe une bijectionentre R et 0, 1N∗ . Avec [19.4] on en deduit qu’il existe une bijection entre Ret C. En combinant [19.8] et [19.4] (ou en le faisant directement) il s’ensuit qu’ilexiste une bijection entre P(R) et P(C).

Par definition de la completion, tous les sous-ensembles de C appartiennent a

B(R)λ, ce qui nous donne l’inclusion P(C) ⊂ B(R)

λ. Cette inclusion composee

avec la bijection entre P(R) et P(C) fournit une injection de P(R) dans B(R)λ.

CQFD

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COMBIEN DE BORELIENS SUR R ? 347

→ 36.26 Exercice. Montrer qu’il existe une bijection entre P(R) et B(R)λ.

→ 36.27 Corollaire. L’inclusion B(R) ⊂ B(R)λ

de la tribu borelienne sur R danssa completion est stricte.

Preuve de [36.27]. CQFD

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348

37. Les impossibilites de prolonger la mesure de Lebesgue

37.1 Theoreme (G. Vitali). Si on accepte l’axiome du choix, alors il n’existepas de mesure µ sur P(R) qui verifie les deux proprietes suivantes :

(i) µ est invariante par translations et(ii) µ( [0, 1 ]) = 1.

Preuve†. Pour x ∈ R on note Tx : R→ R la translation par x, c’est-a-dire Tx(y) =y+x. Si A ⊂ R est un sous-ensemble, on note souvent par abus de notation l’imageTx(A) par A+ x :

A+ x = Tx(A) = y + x | y ∈ A ⊂ R .

Une mesure µ : P(R) → R+ est invariant par translations si pour tout x ∈ R ettout A ∈ P(R) on a l’egalite µ(A + x) = µ(A). La strategie de la preuve consistea construire un ensemble G0 ⊂ R et deux suites (xn)n∈N et (yn)n∈N de reels telsque

(a) n 6= m =⇒(

(G0 + xn) ∩ (G0 + xm) = ∅ et (G0 + yn) ∩ (G0 + ym) = ∅)

(b)⋃n∈N

(G0 + xn) ⊂ [0, 1 ] et⋃n∈N

(G0 + yn) = R.

Si une mesure µ : P(R)→ R+ existe avec les proprietes (i) et (ii), la σ-additiviteet la croissance d’une mesure nous donne :

1 = µ( [0, 1 ]) ≥ µ(⋃n∈N

(G0 + xn)) =∑n∈N

µ(G0 + xn) =∑n∈N

µ(G0) ,

ce qui impliquerait qu’on doit avoir µ(G0) = 0. Mais on a aussi

1 = µ( [0, 1 ]) ≤ µ(R) = µ(⋃n∈N

(G0 + yn)) =∑n∈N

µ(G0 + yn) =∑n∈N

µ(G0) ,

ce qui est impossible si µ(G0) = 0. La conclusion est donc qu’une telle mesuren’existe pas.

Pour construire G0 on procede comme suit. Sur R on definit une relation d’equi-valence par x ∼= y si et seulement si x− y ∈ Q. Pour x ∈ R on note [x ] sa classed’equivalence :

[x ] = y ∈ R | y ∼= x ⊂ R

et on definit H comme l’ensemble des classes d’equivalence :

H = [x ] | x ∈ R ⊂ P(R) .

Par definition d’une relation d’equivalence les differents elements de H sont dis-joints : α, β ∈ H et α 6= β implique α ∩ β = ∅.

†La preuve qu’on donne ici suit presque a la lettre l’article original de Giuseppe Vitali [Vi].

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LES IMPOSSIBILITES DE PROLONGER LA MESURE DE LEBESGUE 349

Vu que x ∈ [x ] ∈ H, il s’ensuit que pour tout x ∈ R il existe α ∈ H telque x ∈ α. Autrement dit : R = ∪α∈Hα. De l’autre cote, si x ∈ α ∈ H, alorsα = Q + x par definition de la relation d’equivalence. On en deduit que pour toutα ∈ H l’intersection α∩ [0, 1

2 ] 6= ∅. En invoquant l’axiome du choix on selectionne

dans chaque α ∈ H un point Pα ∈ α ∩ [0, 12 ]. Finalement on definit G0 comme

l’ensemble de ces representants :

G0 = Pα | α ∈ H ⊂ [0, 12 ] .

Soit q, r ∈ Q deux nombres rationnels et supposons x ∈ (G0 +q)∩ (G0 +r). Ceciveut dire qu’il existe α, β ∈ H tels que x = Pα + q = Pβ + r. Mais alors Pβ −Pα =q − r ∈ Q, ce qui veut dire que Pα et Pβ sont equivalents. Ils appartiennent donca la meme classe d’equivalence, donc par construction de G0 on doit avoir α = β.Mais alors on a Pα = Pβ et par consequent q = r. On conclut que si q et r sontdeux nombres rationnels distincts, alors (G0 + q) ∩ (G0 + r) = ∅.

On definit maintenant la suite (xn)n∈N par

x0 = 0 et n > 0 ⇒ xn = 1n+1 .

Les xn sont des rationnels, donc les ensembles G0 + xn sont deux a deux disjoints.De plus, il est evident que G0 + xn ⊂ [0, 1 ] pour tout n ∈ N car 0 ≤ xn ≤ 1

2 .L’ensemble des rationnels Q etant denombrable, il existe une bijection y : N→

Q, ce qui nous permet d’ecrire Q = yn | n ∈ N. La suite (yn)n∈N ainsi construiteest une suite de rationnels, donc les ensembles G0 + yn sont deux a deux disjoints.De plus, si x ∈ R, alors il existe α ∈ H tel que x ∈ α = Pα + Q. Il existe doncq ∈ Q tel que x = Pα + q ∈ G0 + q. Par construction de y, il existe n ∈ N tel queyn = q et donc x ∈ G0 + yn.

On a ainsi verifie que l’ensemble G0 et les suites (xn)n∈N et (yn)n∈N verifientles conditions (a) et (b). On peut donc conclure a la non-existence d’une mesureavec les proprietes donnees. CQFD

37.2 Proposition. L’ensemble G0 ⊂ [0, 1 ] construit dans [37.1] n’appartient pasa la tribu Bλ. En particulier G0 n’est pas un borelien, ni λ-negligeable.

Preuve. Soit A ⊂ R un borelien et N ⊂ R un ensemble λ-negligeable, c’est-a-direqu’il existe un borelien B ⊂ R tel que N ⊂ B et λ(B) = 0. La mesure de Lebesgueetant invariante par translations Tx [23.1.i], on aura

λ(Tx(B)) = λ(B) = 0 et Tx(N) ⊂ Tx(B) ,

c’est-a-dire que Tx(N) est aussi λ-negligeable. On a donc

λ(Tx(A ∪N)) = λ(Tx(A) ∪ Tx(N)) = λ(Tx(A)) = λ(A) = λ(A ∪N) .

Il s’ensuit avec [35.2] que la mesure λ est aussi invariante par translations.Si G0 appartenait a Bλ, on pourrait determiner λ(G0). Et alors le raisonnement

donne dans la preuve de [37.1] s’applique et donne les inegalites

1 ≥∑n∈N

λ(G0) et 1 ≤∑n∈N

λ(G0) ,

ce qui est impossible. CQFD

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350 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

37.3 Discussion. Dans le theoreme de Vitali [37.1], l’hypothese de l’invariancepar translations est cruciale. Il est donc legitime de se poser la question ce qu’onpeut montrer sans cette hypothese. Une reponse partielle est donnee dans [37.5] quiutilise l’hypothese du continu. Cette hypothese a le statut d’un axiome indepen-dant : on peut le rajouter au systeme d’axiomes ZFC (les axiomes pour la theoriedes ensembles introduits par Ernst Zermelo, completes par Abraham Fraenkel, ycompris l’axiome du Choix) sans crainte de contradictions et on ne peut pas ladeduire de ces axiomes.† Cette hypothese/axiome dit que, si un sous-ensemble deR n’est pas en bijection avec R lui-meme, alors c’est un ensemble denombrable. Leplus souvent ceci est formule comme disant qu’il n’y a pas un cardinal strictemententre le cardinal de N (le cardinal denombrable infini) et le cardinal de R (lecardinal du continu).

37.4 Theoreme‡. Si on accepte l’hypothese du continu (et l’axiome du choix),alors toute mesure finie µ sur P( [0, 1 ]) qui est nulle sur les singletons (c’est-a-direµ(x) = 0 pour tout x ∈ [0, 1 ]) est identiquement nulle.

Preuve. CQFD

37.5 Corollaire. Si on accepte l’hypothese du continu et l’axiome du choix, alorsil n’existe pas une mesure sur P(R) qui prolonge la mesure de Lebesgue sur B(R).

37.6 Discussion. On a vu dans [37.2] et [37.5] que l’axiome du choix (et l’hypo-these du continu) permet de montrer que la tribu completee des boreliens Bλ n’estpas la tribu totale P(R) et qu’il est impossible de prolonger la mesure de Lebesguesur P(R) entier. Mais ce meme axiome du choix permet de montrer des paradoxescomme celui de Banach-Tarski [38.2]. Pour eviter ces paradoxes, on pourrait doncdecider de renoncer a l’axiome du choix. Et si on fait cela, R. Solovay a montre(modulo une condition concernant les cardinaux, voir [Kr]) qu’on peut, sans craintede contradictions, rajouter comme axiome le fait qu’on a l’egalite Bλ = P(R), c’est-a-dire qu’on peut pretendre que tout sous-ensemble de R est Lebesgue mesurable.

†Il semble que les logiciens penchent actuellement vers la non-acceptation de l’hypothese du

continu, ce qui reouvre la question sur un prolongement de la mesure de Lebesgue sur R.‡Dans la litterature ce resultat est attribue, en fonction de l’auteur, a Banach, Bernstein,

Kuratowski ou Ulam.

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351

38. Le paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski

38.1 Definition (couper-coller). Soit A et B deux sous-ensembles de Rd. Ondit qu’on peut transformer A en B par couper-coller si on peut decomposer A en unnombre fini de parties disjoints et qu’on peut deplacer ces parties d’une telle faconqu’on obtient B comme reunion disjointe de ces parties deplacees. Plus precisement,on suppose qu’il existe N ∈ N∗, des ensembles A1, . . . , AN ⊂ Rd 2 a 2 disjoints etdes isometries de Rd preservant l’orientation φ1, . . . , φN tels que

A =N⋃i=1

Ai et B =N⋃i=1

φi(Ai) une reunion disjointe .

Une isometrie de Rd qui preserve l’orientation est la composition d’une translationet d’un element du groupe SO(d). Pour d = 1 ceci se reduit aux translationsx 7→ x + a ; pour d = 2 on a les translations (x, y) 7→ (x + a, y + b) ainsi que les

rotations, decrites par les matrices( cosφ − sinφ

sinφ cosφ

), et cætera.

38.2 Theoreme (le paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski ou le double-ment de la boule). Soit A,B ⊂ R3 deux parties d’interieur non-vide. Alors onpeut transformer A en B par couper-coller. En particulier, soit A ⊂ R3 la boulepleine de rayon 1 :

A = (x, y, z) ∈ R3 | x2 + y2 + z2 ≤ 1

et soit B ⊂ R3 la reunion disjointe de deux boules pleines de rayon 1 :

B = (x, y, z) ∈ R3 | x2 + y2 + z2 ≤ 1 ∪ (x, y, z) ∈ R3 | x2 + y2 + (z − 3)2 ≤ 1 .

Alors on peut transformer A en B par couper-coller.

38.3 Discussion. Le paradoxe de ce resultat est qu’une isometrie preserve enparticulier la mesure de Lebesgue et que la mesure de Lebesgue de B (les deuxboules) est le double de la mesure de Lebesgue de A (une seule boule). La preuve ducas particulier, qui n’est pas vraiment difficile mais un peu trop longue pour qu’onla donne ici, repose sur l’existence d’ensembles non-mesurables pour la mesure deLebesgue : les parties Ai du decoupage de A ne sont pas mesurables (sinon on auraune contradiction). On trouve beaucoup de details sur ce paradoxe dans le livre devulgarisation [Wap] (qui se lit comme un roman) ; dans [CQ] on trouve une preuvecomplete. Dans ce qui suive on discute une transformation moins difficile, mais quicontient deja certains ingredients de la preuve du paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski.

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352 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

38.4 Proposition. On peut transformer par couper-coller le carre ferme

C = (x, y) ∈ R2 | 0 ≤ x, y ≤ 1en triangle ferme

T = (x, y) | |x| ≤ 1 & 0 ≤ y ≤ 1− |x| .

1

00 1 0 1−1

couper-coller

38.5 Remarques. Avant d’entamer la preuve, remarquons que ce resultat est tresfacile pour les enfants de maternelle : on coupe le carre selon la diagonale x+y = 1et on remet le triangle superieur tourne a gauche. Pour nous, le probleme est unpeu plus difficile, car il faut tenir compte de la diagonale, qui doit etre dans l’unou l’autre triangle, et du bord droit, qui va etre double quand on remet le triangle.

=

Un petit peu plus sophistique est l’idee de couper C en trois morceaux commesuit :

C1 = (x, y) ∈ R2 | 0 ≤ x ≤ 1 & 0 ≤ y ≤ 1− xC2 = (x, y) ∈ R2 | 0 ≤ x ≤ 1 & 1− x < y < 1C3 = (x, 1) ∈ R2 | 0 ≤ x ≤ 1

et d’appliquer des rotations avec le point (0, 1) comme centre aux morceaux C2 etC3, d’angle 3π/2 pour C2 et 5π/4 pour C3.

= =

Le resultat est presque le triangle T , sauf qu’il manque un bout du bord gauchede longueur

√2 − 1. Plus precisement, il manque un intervalle semi-ouvert de ce

longueur. Le but des resultats qui suivront est de “creer” ce bout manquant.

→ 38.6 Lemme. La procedure de couper-coller est une relation d’equivalence sur lessous-ensembles de Rd. Plus precisement : tout A ⊂ Rd peut se transformer en Apar couper-coller ; si A peut se transformer en B par couper-coller, alors B peut setransformer en A par couper-coller ; si A peut se transformer en B par couper-colleret si B peut se transformer en C par couper-coller, alors A peut se transformer enC par couper-coller.

Preuve de [38.6]. CQFD

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LE PARADOXE DE HAUSDORFF-BANACH-TARSKI 353

38.7 Lemme. On peut transormer A = [0,∞ [ ⊂ R en B = ]0,∞ [ par couper-coller (en deux morceaux).

Preuve. On pose A1 = N, A2 = A \ N, φ1 = (x 7→ x + 1) et φ2 = id. Alorsφ1(A1) = N∗ et φ2(A2) = A2 sont disjoints et φ1(A1) ∪ φ2(A2) = ]0,∞ [ .

0=

0 1 2 0 1 2=

CQFD

38.8 Lemme. On peut transformer le cercle S1 = z ∈ C | |z|2 = 1 en un cerclemoins un point S1∗ = z ∈ C | |z|2 = 1 & z 6= 1 par couper-coller.

Preuve. L’idee est de “rouler” la transformation [0,∞ [ → ]0,∞ [ sur le cercle.Pour cela on pose A1 = eni | n ∈ N, A2 = S1 \ A1, φ1 une rotation sur 1 radian(multiplication par ei) et φ2 = id. Ainsi φ1(A1) = ein | n ∈ N∗ = A1 \ 1et donc φ1(A1) ∪ φ2(A2) = S1∗. La derniere egalite est vraie parce que pour toutn ∈ N∗ : ein 6= 1. CQFD

=

le cas t = 0,1 ci-dessous

=

38.9 Nota Bene. Il est important a noter que les points ein sont tous differentspour differents n ∈ N a cause du fait que π n’est par rationnel : il n’existe pasn, k ∈ N∗ tels que n = 2kπ. On aurait pu prendre pour A1 l’ensemble eitn | n ∈ Navec t ∈ R∗ fixe a condition que π/t ne soit pas rationnel.

38.10 Lemme. Soit C ′ = (x, y) ∈ R2 | |x| ≤ 12 & |y| ≤ 1

2 le carre C translate et

soit I = (x, 0) ∈ R2 | 1 < x ≤√

2 un intervalle semi-ouvert de longueur√

2− 1.Alors on peut transormer C ′ par couper-coller en C ′ ∪ I.

Preuve. L’idee est d’epaissir la transformation du “cercle en cercle moins un point”et de le faire en sens inverse. Pour cela on coupe C ′ en trois morceaux

A1 = (x, 0) ∈ R2 | 0 < x ≤√

2− 1

A2 = r ein ∈ C ∼= R2 | 0 < r ≤√

2− 1 & n ∈ N∗

et A3 = C ′\(A1∪A2). Notons que A1 et A2 sont bien inclus dans C ′ car√

2−1 < 12 .

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354 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

A1

∪A2 φ1(A1)

∪φ2(A2)

L’isometrie φ1 sera la translation (x, y) 7→ (x + 1, y) qui transforme A1 en I,l’isometrie φ2 sera une rotation d’angle −1 radian (multiplication par e−i) quitransforme A2 en A2 ∪ A1 et φ3 sera l’identite. Ainsi on a bien C ′ ∪ I = φ1(A1) ∪φ2(A2) ∪A3 comme reunion disjointe. CQFD

Preuve de [38.4]. • En appliquant la translation T : (x, y) 7→ (x− 12 , y −

12 ) a C il

est immediat que C peut se transformer par couper-coller (sans couper) en C ′.• Par [38.10] C ′ peut se transformer par couper-coller en C ′ ∪ I.

• Etant donne que C ′ et I sont disjoints, on peut appliquer la translation T−1 aC ′ et la translation T ′ : (x, y) 7→ (x, y+1) a I pour pouvoir conclure que C ′∪I peut

se transformer par couper-coller en C ∪ J , ou J = T ′(I) = (x, 1) | 1 < x ≤√

2est disjoint de C (mais C ∪ J est connexe).• Suivant l’idee decrite dans [38.5] on coupe maintenant C∪J en trois morceaux

disjoints C ∪ J = A1 ∪A2 ∪A3 definis comme

A1 = (x, y) ∈ R2 | 0 ≤ x ≤ 1 & 0 ≤ y ≤ 1− xA2 = (x, y) ∈ R2 | 0 ≤ x ≤ 1 & 1− x < y < 1

A3 = (x, 1) ∈ R2 | 0 ≤ x ≤√

2

et on applique des rotations de centre (0, 1) et d’angle 3π/2 pour A2 et d’angle5π/4 pour A3. Ainsi on obtient le triangle T comme reunion disjointe de ces troismorceaux deplaces.

C ∪ J = = = = T

Pour finir la preuve il suffit d’invoquer la transitivite de la procedure [38.6] pourconclure que C peut se transformer par couper-coller en T . CQFD

38.11 Remarque finale. La preuve du paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski estune combinaison des idees donnees ci-dessus pour la preuve de la transformationdu carre en triangle et de l’idee de la preuve de Vitali sur l’existence d’ensemblesnon-mesurables pour la mesure de Lebesgue (qui utilise l’axiome du choix).

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355

Remerciements et references bibliographiques

Pour ecrire ce texte, j’ai consulte plusieurs ouvrages pour en copier ce qui meconvenait. Je me suis inspire en particulier du polycopie [Suq] de Ch. Suquet, maisle lecteur trouvera certainement des traces d’autres ouvrages. La liste completese trouve ci-dessous. J’ai aussi profite de l’aide et des conseils de mes colleguesY. Davydov, J. Lecot, A.J. Lenstra, A. Sengupta et Ch. Suquet, mais surtout cellede H. Queffelec (a qui je dois entre autres la section 36), a J.-F. Burnol (a quije dois la deuxieme preuve du theoreme de convergence dominee [11.5] et l’enonceavec preuve de [30.25]) et Ch. Sacre. Que ceux que j’oublie me pardonnent. Je lesremercie tous beaucoup pour leur aide precieuse. Et finalement il faut remerciermes etudiants qui, grace a leurs remarques critiques, m’ont permis d’ameliorer cetexte, notamment M. Hua, J.-Y. Pallaro (qui m’a donne une longue liste d’erreurset d’imprecisions) et X. Pollez (qui m’a fourni la preuve plus simple de [8.5]).

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357

Index

λ-systeme, 100

µ∗-mesurable, 143

π-systeme, 100

σ-additivite, 34

σ-algebre, 100

σ-anneau, 100

σ-finie

mesure, 39

sur..., 102

absolument continue

mesure, 319

partie d’une mesure, 324

adherence, 96

aire, 43

algebre, 100

anneau, 100

application

continue, 56

lineaire bornee, 264

mesurable, 54

approche standard, 86

axiome du choix, 6, 309–311, 349, 354

Banach

espace de, 251

paradoxe de, 351

base

d’une topologie, 17

denombrable, 17

hilbertienne, 300

Beppo Levi, 70

bilineaire, 289

Borel-Cantelli, 256

bornee, application lineaire, 264

borelien, 18

boule, 22

ouverte, 22

Cantor, argument diagonal, 12

Cauchy-Schwarz, inegalite de, 290

classe C1, 197

complet, 251

d’une mesure, 329

completion

d’un espace mesure, 330

d’une mesure, 330

concave, 237

concentree, mesure, 319

continue

a droite, 154

application, 56

convergence

absolue d’une integrale generalisee, 215

au sens Lp, 251

dominee, theoreme de, 90, 95, 97, 252

monotone, 70

simple, 59

uniforme, 59

convexe, 237

diable, escalier du, 324

diametre, 342

diffuse, mesure, 317

diffeomorphisme, 197

discrete, mesure, 317

droite achevee, 28

dual topologique, 264

decomposition de Lebesgue, 323

denombrable, 5

infini, 5

derivee de Radon-Nikodym, 175, 324

egalite de Parseval, 305

egalite du parallelogramme, 291

endomorphisme, 197

ensemble

Lebesgue mesurable, 337

negligeable, 40

ensemble mesurable, 14

escalier du diable, 324

escalier, fonction en, 207

espace

de Banach, 251

de Hilbert, 292

euclidien, 290

hermitien, 290

mesurable, 14

mesure, 34

complet, 329

metrique, 20

polonais, 337

prehilbertien, 289

semi-norme, 240

topologique, 17

vectoriel norme, 21

etagee, fonction, 42

euclidien, espace, 290

famille sommable, 133

Fatou, 89

finie, mesure, 39

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358 THEORIE DE L’INTEGRATION ’12–’13 — GIJS M. TUYNMAN

fonction

etagee, 42

concave, 237

convexe, 237

en escalier, 207

Hausdorff, paradoxe de, 351

hermitien, espace, 290

hermitienne, 289

definie positive, 289

positive, 289

Hilbert, espace de, 292

hilbertienne, base, 300

hypographe, 162

Holder, 239, 246

infini, ensemble, 5

integrable, 80

Riemann, 208

integrale, 48

de Riemann, 210

generalisee convergente, 214

generalisee divergente, 214

invariance d’une mesure, 186

inegalite

de Cauchy-Schwarz, 290

de Holder, 239, 246

de Minkowski, 239

isometrie, 264

Jacobien, 197

Jacobienne, 197

Laplace, transformee de, 229

Lebesgue

decomposition de, 323

mesure de, 160

Lebesgue mesurable, ensemble, 337

liminf, 257

limite inferieure, 257

limite superieure, 257

limsup, 257

Markov-Chebyshev, 77

mesurable

application, 54

ensemble, 14

espace, 14

mesure, 34

σ-finie, 39

a densite, 173

absolument continue, 319

complete, 329

concentree sur..., 319

de comptage, 34

de Dirac, 34

de Stieltjes, 157

diffuse, 317

discrete, 317

exterieure, 141

finie, 39

image, 183

invariante, 186

mutuellement singuliere, 319

produit, 113

Minkowski, 239

metrique, 20

induite par, 21

norme, 20

d’operateur, 264

de la convergence uniforme, 241

eucidienne, 21

sup, 241

superieure essentielle, 241

negligeable, 40

orthogonal

d’un ensemble, 293

mutuellement, 300

orthogonale, projection, 294

orthonorme, systeme, 300

ouvert, 17

egalite du, 291

egalite de, 305

partition, 16

phase, fonction, 268

Poincare, lemme de, 103

point adherent, 95

polonais, espace, 337

presque partout, 40

produit prolonge, 32

produit scalaire, 289

projection orthogonale, 294

prolongement, theoreme de, 146

pre-mesure, 146

prehilbertien, 289

Pythagore, 291

Radon-Nikodym, derivee de, 324

Riemann integrable, 208

section, 106

semi-anneau, 100

semi-norme, 240

d’operateur, 264

semi-norme, espace, 240

sesquilineaire, 289

signe, fonction, 268

singuliere

mesures mutuellement, 319

partie d’une mesure, 323

sous-espace vectoriel engendre par..., 293

Stieltjes, mesure de, 157

subdivision, 42

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INDEX 359

elementaireadaptee, 208

d’un intervalle, 207

d’un pave, 207adaptee, 42

suite de Cauchy, 251

au sens Lp, 251supremum essentiel, 241

symetrique, forme bilineaire, 290systeme orthonorme, 300

separable, 306

serie, 130interpretation, 32

Tarski, paradoxe de, 351topologie

euclidienne, 22

induite, 17

metrique, 22

topologique, espace, 17

transformee de Laplace, 229

tribu, 14, 100

borelienne, 18

de Borel, 18

engendree par..., 16

induite, 19

muni de la, 14

produit, 61

trace, 19

Vandermonde, determinant de, 312

variable d’integration, 108

volume, 43