Séquence Nº1 Qui suis-je · 2015-09-20 · (En couverture) CASPAR DAVID FRIEDRICH (1774-1840)...

Séquence Nº1

Qui suis-je ?

Introduction à l’histoire de l’autoportrait

Niveau : Quatrièmes Prof. : Oriol Vaz-Romero Trueba

NIVEAU: QUATRIÈME/ SÉQ. Nº1 PROF. ORIOL VAZ-ROMERO TRUEBA !

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« J’ai fait dans ma vie bien des portraits de moi,

au fur et à mesure que je changeais de situation d’esprit. J’ai écrit ma vie en un mot. »

GUSTAVE COURBET1

epuis la Renaissance, les peintres ont toujours aimé faire leur propre portrait, cer-tains d’entre eux de façon répétée. Les historiens de l’art expliquent généralement cette habitude moins par une complaisance envers soi-même que par un ardent

désir d’introspection et d’autocritique passionnée.

Pourtant, jusqu’à quel point cependant peut-on arriver à se représenter soi-même ? La ré-ponse à la question « Qui suis-je ? » peut être abordée avec certitude moyennant des cou-leurs et des coups de pinceau ? On peut déjà se le demander en considérant la représenta-tion des mains dans les autoportraits. Pour faire son autoportrait, l’artiste se regarde dans un miroir et l’image spéculaire qui lui sert de modèle est inversée : il se voit gaucher, te-nant la palette de la main droite et le pinceau de la main gauche. Il se trouve donc placé devant un dilemme : soit se peindre en gaucher, tel qu’il se voit dans le miroir (mais cela contredirait tout ce qu’il sait de lui-même et de la façon dont les autres le voient) ; soit cor-riger cet aspect, et se représenter droitier (mais cela oblige à divers artifices).

L’examen de nombreux autoportraits dans l’histoire de l’art montre que dans la peinture classique la plupart des peintres corrigeaient l’image spéculaire et réinventaient leur pro-pre semblant. C’est un des phénomènes qui remettent en question la fidélité que nous croyons pouvoir établir entre le visage peint et le modèle d’origine, dans ce cas, le peintre lui-même.

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(En couverture) CASPAR DAVID FRIEDRICH (1774-1840) Autoportrait, vers 1802. Mine de plomb, plume/papier, 26.7 x 21.5 cm. Hambourg, Kunsthalle

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1 Lettre de Gustave Courbet à Alfred Bruyas (3 mai 1854, depuis Ormans), dans : Petra Ten-Doesschate Chu (ed.), Correspondance de Courbet, Paris, Flammarion, 1996, p. 124.

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L'autoportrait est une représentation d’un artiste, de son visage et de son corps, qui peut être dessinée, peinte, photographiée ou sculptée par l’artiste lui-même. Connu depuis l’Antiquité, ce genre de représentation s’est imposé peu à peu dans l’art eu-ropéen. D’une certaine façon, il répond à l’expression des anciens grecs « Gnothi seauton » (« Connais-toi toi-même »), un des plus anciens préceptes qui furent gravés à l’entrée du temple de Delphes. La création de l’autoportrait a été rapportée à la vision mythologique de Narcisse (Ovide) contemplant son reflet dans l’eau, désespéré de ne jamais pouvoir attraper sa propre image. Au-delà de l’introspection, l’autoportrait fur une manière com-mode d’exercer la peinture figurative, car le modèle le plus facilement disponible étant soi-même.

CARAVAGGIO (1573-1610) Narcisse, 1594-1596. Huile/toile, 110 x 92 cm. Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica

Nous pouvons situer la naissance de l’autoportrait visuel dans quelques enluminures, à partir du XIIe siècle, et notamment en peinture à partir du XIVe siècle. Le procédé consistant à se peindre parmi les personnages d’un événement, sorte de signature visuelle du tableau, aurait été utilisé par Andrea Orcagna (1359) et notamment par Piero della Francesca. Le peintre italien se représente en soldat, lourdement endormi, dans sa Réssurrection (vers 1463, Sansepolcro). C’est ainsi que l’artiste perd discrètement son anonymat et devient reconnaissable. Sandro Botticelli se représente tourné orgueilleusement vers le spectateur dans son Adoration des Mages (Florence, 1475) et Fra Filippo Lippi se peint dans un cycle de fresques sur La Vie de la Vierge (Cathédrale de Spolett, vers 1472). C’est encore le cas, en Europe du Nord, dans le tableau du peintre flamand Jan Van Eyck : « Les époux Arnolfini » ou le peintre apparaît en bleu dans le miroir pendu au fond de la pièce.


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PIERO DELLA FRANCESCA (c.1412-1492), La Résurrection du Christ, 1463-1465. Fresque et détrempe, 225 x 200 cm. Sansepolcro, Museo Civico.

Au XVe siècle, la propagation de nouvelles techniques comme celle du miroir de verre permet à l'autoportrait de s’imposer. Le sujet était pratique, car il ne nécessi-tait pas la présence de modèle. Ce genre pictural s’impose à la Renaissance grâce au courant de pensée humaniste et à la « naissance de l’individu » dans l’art, qui modifie les conceptions de l’Homme et ses rapports au monde. L’artiste acquiert un nouveau statut social. Il se représente seul sur le tableau, qui devient le témoignage de sa place dans la société. En plus de représenter son statut social, le peintre va peu à peu exposer une partie de sa personnalité. Il va, par des attributs ou des déguisements, faire passer des messages sur son image. C’est le cas dans l’autoportrait de Albrecht Dürer datant de 1500, quelques années avant sa mort, il s'identifie au Dieu sauveur s’inspirant des icônes du Christ. Il affirme ainsi la noblesse de son travail et sa fonction « sainte » de créateur. Le peintre allemand Dürer est l’un des plus grands représen-tants de l’autoportrait : il se dessine dès l’âge de treize ans (1484), puis peint quatre grands autoportraits (1493, 1498 et 1500). Dans son autoportrait de 1498, Dürer ne se représente pas comme un simple artiste de province mais comme un aristocrate digne et paisible, habillé dans de beaux vêtements. L’autoportrait va rapidement devenir un outil d’introspection pour le peintre.


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JAN VAN EYCK (1412-1492) Détail de Les époux Arnolfini, 1434. Huile/panneau, 82.2 x 60 cm. Londres, National Gallery

Raphaël nous est aussi connu : nous le reconnaissons parmi les personnages de l’École d’Athènes (1510), ainsi que dans un autoportrait présumé de 1516, au-jourd’hui conservé au Musée du Louvre. Quant à Michel-Ange, il a donné son vi-sage à la dépouille de saint Barthélemy dans le Jugement dernier de la Chapelle Six-tine (1536-1541). Plusieurs de ses sculptures peuvent s’assimiler à des autoportraits idéalisés, comme le San Procolo du tombeau de Saint Dominique à Bologne. La bel-le artiste Artemisia Gentileschi se représente également à plusieurs reprises, tant dans les différentes versions sanglantes de Judith et Holopherne (1620) où elle exorci-se le viol subi dans sa jeunesse, que dans les autoportraits pleins de vigueurs de la maturité. Au XVIIe siècle, le plus marquant des autoportraitistes est sans conteste Rem-brandt, qui a consacré près d’une centaine d’œuvres, gravures ou toiles, à l’image de soi. Il les exécute entre ses 22 ans et les quinze jours précédents sa mort. Chez-lui, tous les détails narratifs du tableau sont supprimés (fond vide) au profit de l’expression du peintre, reflet de sa vie intérieure. Ces portraits « de lui-même », comme on disait à l’époque car le terme « autoportrait » n’existait pas, ressemble à un journal intime. Cet ensemble d’œuvres, construit sur plusieurs décennies, finit par créer une chronique du temps qui passe, dévoilant les évolutions physiques et psychiques du peintre au fur et à mesure de son vieillissement. Dans l’Espagne du « Siglo de Oro », on connaît de nombreux autoportraits, dont ceux du Greco, de Murillo et de Velázquez (retenons la frappante représentation


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au travail des Ménines, vers 1656). Quant à Zurbarán, il se représente en Saint Luc, patron des peintres, aux pieds du Christ en croix (1635). En France, on pense sur-tout aux autoportraits de Poussin, Simon Vouet, Jacques Stella ou, déjà en plein XVIIIe siècle, ceux de Jean Siméon Chardin, qui renouvelle le genre, n’hésitant pas à se peindre à plusieurs reprises, avec bonnet et lorgnons. De même, Madame Vi-gée-Lebrun délivre une image charmante et coquette d’elle, conservée dans le grand Corridor de Vasari, à Florence, où Léopold de Médicis avait commencé à collectionner de nombreux autoportraits de son époque.

JOHANNES GUMPP (1626-1728), Détail de L’Autoportrait au miroir, 1646. Collection privée

Dans la lignée des autoportraits de Rembrandt, apparaissent deux siècles plus tard ceux de Vicent Van Gogh qui, à la façon d’un style expressionniste avant la lettre, explore son identité intérieure entre 1887 et 1889. A la même époque, Gauguin peint son Autoportrait au Christ jaune, qui dévoile différents traits de sa personnalité. Au XIXe siècle, on peut dire que presque chaque grand peintre nous a laissé au


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moins un autoportrait. C’est alors l’occasion pour l’artiste de raconter son histoire où du moins une partie. Ils utilisent, pour certains, tout comme le faisaient les pein-tres du XIVe siècle, des symboles pour se personnifier. Le but n’est plus de dépein-dre leur statut social, comme le faisaient leurs prédécesseurs, mais de représenter de façon onirique leur état émotionnel intime. Sous l’influence des philosophes du Romantisme, l’autoportrait devient, vers la fin du XIXe siècle, une exploration mé-thodique du Moi. À signaler les dessins de Francisco de Goya, de Caspar David Friedrich, d’Eugène Delacroix, de Courbet ou de Cézanne. À l’aube du XXe siècle, il faut signaler aussi dans ce sens les nombreux autopor-traits d’Edvard Munch, Egon Schiele, Max Beckmann, Oskar Kokoschka, ou en-core l’œuvre picturale du compositeur Arnold Schönberg, qui a laissé, en trois ou quatre ans seulement pas moins de 59 autoportraits, don un de dos. Les horreurs de la Ie et la IIe Guerre Mondiale imprègnent toutes ses créations d’un goût pour la laideur, pour la distorsion extrême des traits du visage, qui arrive parfois à des degrés terrifiants, comme ceux de Francis Bacon. Ainsi les autoportraits de Félix Nussbaum durant la IIe Guerre Mondiale ou ceux de Frida Kahlo pendant la pé-riode trouble de 1930 au Mexique, sont des témoins des souffrances de ces artistes. La série d'autoportraits de Picasso n'est pas seulement témoin du temps qui pas-se mais c'est le moyen pour l'artiste d'expérimenter différentes techniques pictu-rales. Tout comme le peintre Parmesan se représenta à travers un miroir déformant au XVIIe siècle, Pablo Picasso expérimente sur lui-même ses innovations picturales. Les autoportraits de sa période cubiste agissent comme le support d’un message abstrait. Dans le portrait de 1938, Picasso se représente à la fois de face (les yeux) et de profil. L’idée exprimée ainsi est peut-être celle du dédoublement : à la fois in-trospection du peintre et image donnée par le peintre de lui-même au spectateur. Dans celui de 1929, Picasso se représente en ombre de profil, mangée par le visage monstrueux d’une femme ogresse. Il a perdu ici son enveloppe corporelle et sem-ble n’être qu’une pensée, un souvenir, un fantasme. Notons que, en revanche, dans les années 1960, les autoportraits hyperréalistes tel celui de Norman Rockwell ou ceux produits par la culture Pop des Etats-Unis, dont ceux d’Andy Warhol, remettront au premier plan la figuration chargée d’un sens critique contre les modes de vie occidentaux. Souvenons-nous des autopor-traits de Cindy Sherman ou Nan Goldin, dans les années 1970 et 1980. L’histoire des autoportraits prouve que ce genre artistique est d’abord un prétexte à toutes sortes d’exercices stylistiques. Mais son évolution au cours des siècles reste à la fois le miroir des peintres tel qu’ils se sont vus et tel qu’ils souhaitent être vus. Finalement, sous une optique plus vaste et profonde, l’histoire des autopor-traits dévoile encore les crises et les révolutions survenues dans la culture occiden-tale autour du modèle anthropologique, c’est-à-dire, autour de l’énigme de « QU’EST-CE QUE L’HUMAIN ? ».


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SOFONISBA ANGUISSOLA (1530-1625) Autoportrait au chevalet, 1556. Huile/toile, 66 x 57 cm. Château de !a"cut, Basses-Carpates (Pologne)


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ALBRECHT DÜRER (1484)

REMBRANDT (vers 1655)

JEAN-B. S. CHARDIN (1775)

FRANCISCO DE GOYA (1797)

MARIE-DENISE VILLERS (1801)

EUGENE DELACROIX (1840)

HENRI ROUSSEAU (1880)

VINCENT VAN GOGH (1889)

PAUL GAUGUIN (1889)


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ARNOLD SCHÖNBERG (1910)

EGON SCHIELE (1912)

JUAN GRIS (1912)

KAZIMIR MALEVICH (1933)

FRIDA KAHLO (1940)

PABLO PICASSO (1972)

FRANCIS BACON (1971)

ANDY WARHOL (1986)

CINDY SHERMAN (1980) !

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