Le yin-yang de l’uranium dans la plante Arabidopsis...

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Le yin-yang de l’uranium dans la plante Arabidopsis thaliana Une enzyme cruciale enfin démasquée Conception de catalyseurs bioinspirés pour une chimie verte Une bonne nouvelle pour soigner les infections fongiques Le yin-yang de l’uranium dans la plante Arabidopsis thaliana n°59 Décembre 2017 PCV Les chercheurs de l’ équipe Plantes, Stress et Métaux du laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale ont analysé les effets de l’uranium sur un mutant d’Arabidopsis thaliana (mutant irt1) qui est affecté dans l’absorption du fer, élément essentiel dont l’homéostasie est fortement impactée par l’uranium. Le transport de fer à haute affinité par la protéine IRT1 ne correspond pas à une voie majeure d’absorption de l’uranium chez Arabidopsis puisque le mutant irt1 (chez lequel la protéine IRT1 est inactive) accumule autant de radionucléide dans ses racines et ses feuilles qu’une plante sauvage. Toutefois, l’analyse de la réponse du mutant irt1 à un stress uranium révèle plusieurs niveaux d’interférence entre le radionucléide, le fer et le phosphate. Ainsi, quand la disponibilité en phosphate dans le milieu est suffisante, le mutant irt1 présente les caractéristiques d’une déficience en fer dans les chloroplastes. Alors qu’un reverdissement est observé dans le cas de la plante sauvage, ces symptômes (chlorose, inhibition de la photosynthèse) sont abolis par l’uranium dans le cas de irt1. Cet effet bénéfique inattendu de l’uranium serait dû à une compétition entre le radionucléide et le fer pour une complexation avec le phosphate. Dans les racines et les feuilles, l’uranium serait capable de déplacer le fer inactif des complexes fer- phosphate pour libérer du fer actif pour les processus de biogenèse et pour le métabolisme. Lorsque le phosphate est en quantité limitante dans le milieu, la biodisponibilité de l’uranium est accrue et le radionucléide est absorbé plus efficacement par la plante. Les effets toxiques de l’uranium sont alors clairement visibles dans la plante sauvage et le mutant irt1 (arrêt de croissance). Les analyses montrent qu’un des mécanismes clé de la toxicité de l’uranium est lié à une interférence avec l’homéostasie du phosphate et plus particulièrement à l’induction d’une carence en composés phosphorylés. Ce travail souligne que l’homéostasie du fer et du phosphate sont intimement liées, et que toute perturbation affectant un des deux éléments a des répercussions sur de nombreux processus cellulaires. Il suggère que l’uranium pourrait détourner les machineries d’import, de translocation, de complexation et de séquestration du fer. L'uranium est naturellement présent dans l’environnement. Il peut être redistribué par les activités minières, militaires et agricoles. Ce radionucléide, chimiotoxique pour tous les organismes vivants, peut s’accumuler localement à des concentrations qui présentent des risques potentiels pour les agrosystèmes et la santé humaine. En effet, même s’il n'est pas essentiel pour les plantes, l’uranium est absorbé à partir du sol, incorporé dans la biomasse et entre ainsi dans la chaîne alimentaire. La compréhension des mécanismes physiologiques, biochimiques et moléculaires qui contrôlent la réponse et l’adaptation des plantes à un stress induit par l’uranium est un prérequis à la sélection d’espèces adaptées à la phytoremédiation et à l’amélioration de la sécurité des aliments. Effets yin-yang de l’uranium sur la physiologie de la plante Arabidopsis thaliana sauvage (WT) et du mutant irt1. Après 4 à 5 semaines de culture hydroponique dans des conditions standards, les plantes WT et irt1 d’Arabidopsis sont traitées avec du nitrate d’uranyle, en présence de fortes concentrations en phosphate (HP) ou de faibles concentrations en phosphate (LP). Observations après une exposition de 21 jours en présence de 50 µM de nitrate d’uranyle. RÉFÉRENCE Berthet S, Villiers F, Alban C, Serre N, Martin-Laffon J, Figuet S, Boisson AM, Bligny R, Kuntz M, Finazzi G, Ravanel S and Bourguignon J. Arabidopsis thaliana plants challenged with uranium reveal new insights into iron and phosphate homeostasis. New Phytologist, 2018 Contacts : Stéphane Ravanel et Jacques Bourguignon LPCV Laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale UMR 5168 - CEA - CNRS - UGA - Inra sans uranium WT irt1 HP LP + 50 μM d’uranium WT irt1 Protéine kinase CK2 et plasticité cellulaire BIG I Lettre scientifique n°59 I Décembre 2017 1

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Le yin-yang de l’uranium dans la plante Arabidopsis thaliana

Une enzyme cruciale enfin démasquée

Conception de catalyseurs bioinspirés pour une chimie verte

Une bonne nouvelle pour soigner les infections fongiques

Le yin-yang de l’uranium dans la plante Arabidopsis thaliana

n°59 Décembre 2017

PCVLes chercheurs de l’équipe Plantes, Stress et Métaux du laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale ont analysé les effets de l’uranium sur un mutant d’Arabidopsis thaliana (mutant irt1) qui est affecté dans l’absorption du fer, élément essentiel dont l’homéostasie est fortement impactée par l’uranium. Le transport de fer à haute affinité par la protéine IRT1 ne correspond pas à une voie majeure d’absorption de l’uranium chez Arabidopsis puisque le mutant irt1 (chez lequel la protéine IRT1 est inactive) accumule autant de radionucléide dans ses racines et ses feuilles qu’une plante sauvage. Toutefois, l’analyse de la réponse du mutant irt1 à un s t r e s s u r a n i u m r é v è l e p l u s i e u r s n i v e a u x d’interférence entre le radionucléide, le fer et le phosphate. Ainsi, quand la disponibilité en phosphate dans le milieu est suffisante, le mutant irt1 présente les caractéristiques d’une déficience en fer dans les chloroplastes. Alors qu’un reverdissement est observé dans le cas de la plante sauvage, ces s y m p t ô m e s ( c h l o r o s e , i n h i b i t i o n d e l a photosynthèse) sont abolis par l’uranium dans le cas de irt1. Cet effet bénéfique inattendu de l’uranium serait dû à une compétition entre le radionucléide et le fer pour une complexation avec le phosphate. Dans les racines et les feuilles, l’uranium serait capable de déplacer le fer inactif des complexes fer-

phosphate pour libérer du fer actif pour les processus de biogenèse et pour le métabolisme. Lorsque le phosphate est en quantité limitante dans le milieu, la biodisponibilité de l’uranium est accrue et le radionucléide est absorbé plus efficacement par la plante. Les effets toxiques de l’uranium sont alors clairement visibles dans la plante sauvage et le mutant irt1 (arrêt de croissance). Les analyses montrent qu’un des mécanismes clé de la toxicité de l ’uranium est l ié à une interférence avec l’homéostasie du phosphate et plus particulièrement à l ’ i n d u c t i o n d ’ u n e c a r e n c e e n c o m p o s é s phosphorylés. Ce travail souligne que l’homéostasie du fer et du phosphate sont intimement liées, et que toute perturbation affectant un des deux éléments a des répercussions sur de nombreux processus cellulaires. Il suggère que l’uranium pourrait détourner les machineries d’import, de translocation, de complexation et de séquestration du fer. !

L'uranium est naturellement présent dans l’environnement. Il peut être redistribué par les activités minières, militaires et agricoles. Ce radionucléide, chimiotoxique pour tous les organismes vivants, peut s’accumuler localement à des concentrations qui présentent des r i s q u e s p o t e n t i e l s p o u r l e s agrosystèmes et la santé humaine. En effet, même s’il n'est pas essentiel pour les plantes, l’uranium est absorbé à partir du sol, incorporé dans la biomasse et entre ainsi dans la chaîne alimentaire. La compréhension des m é c a n i s m e s p h y s i o l o g i q u e s , biochimiques et moléculaires qui contrôlent la réponse et l’adaptation des plantes à un stress induit par l’uranium est un prérequis à la sélection d ’ e s p è c e s a d a p t é e s à l a phytoremédiation et à l’amélioration de la sécurité des aliments.

Effets yin-yang de l’uranium sur la physiologie de la plante Arabidopsis thaliana sauvage (WT) et du mutant irt1. !Après 4 à 5 semaines de culture hydroponique dans des conditions standards, les plantes WT et irt1 d’Arabidopsis sont traitées avec du nitrate d’uranyle, en présence de fortes concentrations en phosphate (HP) ou de faibles concentrations en phosphate (LP). Observations après une exposition de 21 jours en présence de 50 µM de nitrate d’uranyle.

RÉFÉRENCE!Berthet S, Villiers F, Alban C, Serre N, Martin-Laffon J, Figuet S, Boisson AM, Bligny R, Kuntz M, Finazzi G, Ravanel S and Bourguignon J. Arabidopsis thaliana plants challenged with uranium reveal new insights into iron and phosphate homeostasis. New Phytologist, 2018

Contacts : Stéphane Ravanel et Jacques Bourguignon LPCV

Laboratoire Physiologie Cellulaire & VégétaleUMR 5168 - CEA - CNRS - UGA - Inra

WT irt1 irt1WTControl [U] = 50 µM

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21 days of exposure

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21 days of exposure

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sans uranium

WT irt1

WT irt1 irt1WTControl [U] = 50 µM

NoP

LP

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21 days of exposure

BM

HP

LP

+ 50 µM d’uranium

WT irt1

Protéine kinase CK2 et plasticité cellulaire

BIG I Lettre scientifique n°59 I Décembre 2017 1

Contact : Marie-Jo Moutin GPC

Groupe Physiopathologie du Cytosquelette BIG et UMR_S 836 UGA/Inserm/CEA

Les microtubules contribuent à des fonctions cellulaires essentielles Les microtubules sont des fibres dynamiques présentes dans toutes les cellules. Formés par l’assemblage de deux protéines (tubuline α et tubuline β) , les microtubules assurent de  nombreuses fonctions. Ils séparent les chromosomes destinés aux deux cellules filles lors de la division cellulaire, ils contribuent à la polarité des cellules, à la morphologie et à la migration cellulaire. Ils forment des sortes de rails sur lesquels sont transportés des constituants cellulaires tels que des protéines ou des brins d’ARN.  Ces fonctions cellulaires sont régulées grâce à l'existence de "signaux" présents à la surface des microtubules. Ces signaux sont des modifications biochimiques des acides aminés (appelées modifications post-traductionnelles car elles ont lieu après la synthèse de la protéine) qui sont réalisées par plusieurs enzymes qui, ici, modifient les tubulines.   !L’enzyme TCP, identifiée après 40 ans de mystère L’activité de l’une de ces enzymes a été mise en évidence pour la première fois en 1977 par des chercheurs argentins qui lui donnent le nom de TCP (Tubuline CarboxyPeptidase). Cette enzyme, qui n’avait jusqu’à ce jour jamais été identifiée (sa taille et sa séquence restaient inconnues), a comme fonction de supprimer le dernier acide aminé, une tyrosine, de l’extrémité de la tubuline α. C'est la réaction de détyrosination. Une enzyme réverse, la ligase TTL, est chargée de repositionner cette tyrosine à sa place. C'est la tyrosination. Ce cycle de détyrosination/tyrosination est vital pour la cellule et l’organisme. Une détyrosination massive (anormale) est observée dans plusieurs cancers sévères et maladies cardiaques.  

Identifier et caractériser la TCP constituait donc un objectif majeur pour comprendre la fonction physiologique de la détyrosination de la tubuline α et pour évaluer les conséquences de son inhibition.  Pour isoler la TCP, les chercheurs ont suivi son activité, utilisé des techniques classiques de biochimie et fait appel à des chimistes de l’Université de Stanford qui ont développé une petite molécule inhibitrice de son activité. Cette molécule a été utilisée comme hameçon pour "pêcher" l’enzyme convoitée.  Au final, ce ne sont pas une, mais deux enzymes qui ont été découvertes ! Ces dernières, dénommées VASH1 et VASH2, étaient déjà connues des scientifiques mais sans savoir qu’il s’agissait d’enzymes en lien avec le cytosquelette. Les chercheurs ont montré qu’à la condition d'être associées à une protéine partenaire appelée SVBP, VASH1 et VASH2 sont capables de détyrosiner la tubuline α. Pour le démontrer, les chercheurs ont supprimé leur expression (ou celle de leur partenaire SVBP) dans les neurones. Ils ont alors observé une très forte diminution du taux de détyrosination de la tubuline α, ainsi que des anomalies dans la morphologie des neurones (v. Figure). Les chercheurs sont allés plus loin en montrant que ces enzymes sont également impliquées dans le développement du cortex cérébral. !Des perspectives pour la lutte contre le cancer Ainsi, quarante ans après les premiers travaux sur la détyrosination de la tubuline α, les enzymes responsables ont été démasquées ! Dorénavant, les scientifiques espèrent qu’en modulant l’efficacité de la TCP et en améliorant les connaissances du cycle détyrosination/tyrosination, ils pourront mieux lutter contre certains cancers et progresseront dans la connaissance des fonctions cérébrales et cardiaques. !

Une collaboration internationale impliquant des chercheurs du CEA, du CNRS, de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes, de l’Université de Montpellier et de l’Université de Stanford  a identifié une enzyme, la Tubuline CarboxyPeptidase (TCP), qui est responsable d’une transformation b i o c h i m i q u e d e s m i c r o t u b u l e s cellulaires, la détyrosination. La détyrosination est une réaction biologique consistant à supprimer l’acide aminé terminal tyrosine, de la tubul ine α, un composant des microtubules. Alors qu’elle était recherchée depuis quatre décennies, les biologistes ont réussi à isoler cette protéine par purification et ont ensuite apporté les preuves de son activité cellulaire.

Une enzyme cruciale enfin démasquée Communiqué de presse

Cycle de détyrosination/tyrosination de la tubuline. Les microtubules sont des

fibres présentes dans toutes les cellules composées d’un empilement de

tubulines α/β. La tubuline α porte une tyrosine (Y) à son extrémité qui est

alternativement enlevée et replacée par deux enzymes, modifiant ainsi la

surface des microtubules. La TCP (représentée par une scie composée de

deux éléments, VASH/SVBP) est responsable de la détyrosination. La

TTL (représentée par un tube de colle) replace la tyrosine sur la tubuline. Ce

cycle est essentiel aux diverses fonctions des microtubules dans les

cellules (division, migration, …) et vital pour l’organisme.

© C. Bosc, GIN

GPC

Les instituts suivants sont impliqués  : Grenoble Institut des neurosciences, GIN

(Inserm/Univ. Grenoble Alpes) ; l'Institut de biosciences et biotechnologies de Grenoble,

BIG (Inserm/CEA/Univ. Grenoble Alpes)   ; l'Institut pour l'avancée des biosciences, IAB

(Inserm/CNRS/Univ. Grenoble Alpes) ; le Department of Pathology, Stanford

University School of Medicine (Stanford, USA) ; l’Institut de génétique humaine, IGH

(CNRS/Univ. de Montpellier) ; le Centre de recherche en biologie cellulaire de

Montpellier, CRBM (CNRS/Univ. de Montpellier).

Photographies de l’altération des neurones par une réduction de l’expression des enzymes TCP (VASH/SVBP). De gauche à droite : neurone contrôle, neurones dans lesquels l’expression de VASH1 et VASH2 est réduite, neurones dans lesquels l’expression de SVBP est réduite. Les neurones ayant moins d’enzyme présentent un retard de développement et des anomalies morphologiques. © L. Peris /GIN

Contrôle VASH1 et 2 réduites SVBP réduite

Tub

ulin

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ulin

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née

RÉFÉRENCE!AillaudC,BoscC,PerisL,BossonA,HeemeryckP,VanDijkJ,Le

FriecJ,BoulanB,VossierF,SanmanLE,SyedS,AmaraN,Couté

Y,LafanechèreL,DenarierE,DelphinC,PelleFerL,HumbertS,

BogyoM,AndrieuxA,RogowskiKandMouFnMJ.Vasohibins/SVBParetubulincarboxypep7dases(TCP)thatregulateneurondifferen7a7on.Science,2017

BIG I Lettre scientifique n°59 I Décembre 2017 2

Conception de catalyseurs bioinspirés pour une chimie verte CBMLes chercheurs de l’équipe Physicochimie des Métaux en Biologie du Laboratoire de Chimie et Biologie des Métaux ont montré [1] que les catalyseurs à deux ions fer possèdent une très grande activité et le comportement très singulier de pouvoir adapter leur f o n c t i o n n e m e n t r é d ox à l a d i f f i c u l t é d e transformation du substrat. Ainsi, alors que l'amination d'un substrat facile à transformer met en jeu une espèce active FeIIIFeIV, celle d'un substrat plus récalcitrant requiert une espèce active FeIIIFeV (Figure 1). Ces 2 espèces ont été mises en évidence

par des réactions de piégeage chimique, détectées par spectrométrie de masse par électronébulisation/désorption. Leurs structures électroniques ont été caractérisées par des chercheurs de l'Inac/SyMMES/CAMPE en utilisant des calculs DFT qui ont montré que la grande réactivité de ces espèces est due en particulier à leur très grande affinité électronique qui quantifie la capacité d’une espèce à arracher un electron au substrat. Afin de tirer le meilleur parti de cette propriété, les chercheurs ont testé ces catalyseurs à deux ions fer et leur activité a été comparée à celle d'une nouvelle famille de catalyseurs [2] ayant l'avantage d'être facilement accessibles et modulables. Les excellents

rendements obtenus s’avèrent être directement fonction de l'affinité électronique de l'espèce active (Figure 2). Par ailleurs, l'étude expérimentale et théorique du mécanisme de la réaction a montré que l'affinité électronique joue un rôle majeur dans la stabilisation de l'état de transition de la réaction, et gouverne au final son efficacité. Cette approche mécanistique, qui combine études expérimentales et calculs DFT permet d'analyser finement les réactions de transfert de nitrènes de sorte que de nouveaux catalyseurs peuvent désormais être conçus de façon rationnelle. En outre, des études très récentes ont montré que cette approche s'applique également à des réactions plus complexes associant un nitrène à un autre composant, ce qui ouvre la voie à la synthèse des molécules complexes polyfonctionnelles. !

Les amines sont des composés biologiques essentiels dont la synthèse est une activité majeure de l'industrie pharmaceutique. Les efforts entrepris o n t c o n d u i t à d é v e l o p p e r d e nombreuses méthodes, chacune adaptée à une classe de produits et nécessitant de multiples étapes. De ce fait, la mise au point d'une méthode de synthèse d’amines, directe, efficace et répondant aux critères de la chimie verte est à la fois un enjeu et un défi. Les études menées depuis quelques années ont identifié les réactions de transfert de nitrènes comme la méthode la plus prometteuse pour atteindre ce but. Cependant, à l'heure actuelle, elles font appel à des catalyseurs à base de métaux comme le ruthénium, le rhodium et le palladium qui sont rares, chers et toxiques. Dans ce contexte, le développement de catalyseurs de transfert de nitrènes à base de fer et s'inspirant des oxygénases apparaît comme une approche très attrayante. Deux nouvelles familles de catalyseurs de transfert de nitrènes ont ainsi été mises au point en s'inspirant des structures des oxygénases possédant un ou deux ions fer à leurs sites actifs.

Contacts : Jean-Marc Latour - LCBM Laboratoire Chimie et Biologie des Métaux

UMR 5249 - UGA - CEA - CNRS Pascale Maldivi - SyMMES

Systèmes Moléculaires et nanoMatériaux pour l'Energie et la Santé

UMR 5819 - UGA - CEA - CNRS

Figure 1. Auto-activation du catalyseur.

Figure 2. L'affinité électronique de l'espèce active gouverne le transfert du nitrène au substrat. Ces catalyseurs à deux ions fer ont été testés dans la réaction d'aziridination des oléfines qui permet d'accéder à des composés possédant un grand intérêt pharmaceutique. TS = transition state.

Les protéines de la famille BET modulent l’expression des gènes en liant la chromatine par le biais de leurs bromodomaines, un type de domaine structural qui reconnaît spécifiquement les lysines acétylées. Des inhibiteurs ciblant les bromodomaines BET humains ont été développés au cours des dernières années et sont en cours d'évaluation clinique pour le traitement du cancer, des maladies cardiovasculaires et des maladies inflammatoires. L’inhibition des bromodomaines apparaît comme une solution prometteuse pour découvrir de nouveaux traitements antifongiques. Ainsi, des chercheurs de l’équipe Étude de la Dynamique des Protéomes du laboratoire Biologie à Grande Échelle ont étudié les bromodomaines de Bdf1, une protéine de la famille des protéines BET qui est retrouvée chez les champignons pathogènes. Ils ont montré que la mutation des bromodomaines de Bdf1 tue Candida albicans, une levure pathogène fréquemment isolée chez les patients infectés, et diminue sa virulence dans des modèles d'infection généralisée de souris. Bdf1 et ses bromodomaines constituent donc une nouvelle cible thérapeutique chez Candida albicans. Dans ce contexte, des molécules capables de se fixer spécifiquement sur les bromodomaines de Bdf1 ont été recherchées  ; certaines molécules identifiées s’avèrent posséder une forte sélectivité pour les b r o m o d o m a i n e s d e l e v u r e c o m p a r é s a u x bromodomaines humains. Les modes de liaison de ces inhibiteurs ont été déterminés en collaboration avec l’IBS, ce qui a permis d’expliquer leur sélectivité pour les bromodomaines de levure par l’existence de différences (mineures) dans la structure des poches

de liaison des bromodomaines humains et de levure. De façon très prometteuse, ces molécules se sont révélées toxiques pour C. albicans lorsqu’elles ont été ajoutées dans le milieu de culture des levures. Ces résultats établissent la preuve de concept que l'inhibition des bromodomaines BET est une stratégie antifongique prometteuse et ils identifient Bdf1 comme une nouvelle cible thérapeutique pour le traitement des infections fongiques généralisées.

Alors qu’il existe une vingtaine de classes d’antibiotique pour lutter contre les bactéries, seules quatre familles de médicaments permettent de soigner les infections graves provoquées par des champignons p a t h o g è n e s . C e s c h a m p i g n o n s s’infiltrent dans le sang, les poumons ou le cœur lorsque les patients ont un système immunitaire affaibli. A l'origine de 1,5 millions de morts par an, il est urgent de développer de nouvelles molécules antifongiques pour lutter contre ces infections qui représentent un enjeu majeur de santé publique.

Une bonne nouvelle pour soigner les infections fongiques

RÉFÉRENCE!Mietton F, Ferri E, Champleboux M, Zala N, Maubon D, Zhou Y, Harbut M, Spittler D, Garnaud C, Courçon M, Chauvel M, D'Enfert C, Kashemirov BA, Hull M, Cornet M, McKenna CE, Govin J and Petosa C. Selective BET bromodomain inhibition as an antifungal therapeutic strategy. Nature Communications, 2017

BGE

Contact : Jérôme Govin BGE

Laboratoire Biologie à Grande Échelle UMR_S 1038 - CEA - Inserm - UGA

RÉFÉRENCES!Gouré et al. Redox self-adaptation of a nitrene transfer catalyst to the substrate needs. Angewandte Chemie-International Edition, 2017Patra et al. Rational design of Fe catalysts for olefin aziridination through DFT-based mechanistic analysis. Catalysis Science & Technology, 2017

Représentation de surface montrant la poche de liaison du bromodomaine 2 de la protéine Bdf1 de Candida albicans

liée au composé A.

A

Facile

Difficile

Affinité électronique

Rendement

BIG I Lettre scientifique n°59 I Décembre 2017 3

20 µm

© CEA [2017]. Tous droits réservés. Toute reproduction totale ou partielle sur quelque support que ce soit ou utilisation du contenu de ce document est interdite sans l’autorisation écrite préalable du CEA

Les laboratoires

Directeur de la publication

Jérôme Garin

Comité de rédaction Jacques Bourguignon, Odile Filhol, Jérôme Govin, Jean-

Marc Latour, Stéphane Ravanel

—Éditeur et format électronique

Pascal Martinez [email protected]

BCI BGE CBM PCV GPC

Biologie du Cancer et de l’Infection UMR_S 1036 CEA/Inserm/UGA

Biologie à Grande Échelle UMR_S 1038 CEA/Inserm/UGA

Chimie et Biologie des Métaux UMR 5249 CEA/CNRS/UGA

Physiologie Cellulaire & Végétale UMR 5168 CEA/CNRS/UGA/Inra

Groupe Physiopathologie du Cytosquelette BIG et UMR_S 1216 UGA/Inserm/CEA/CHU

Institut de Biosciences et Biotechnologies de Grenoble CEA-Grenoble 17 avenue des Martyrs I 38054 Grenoble cedex 9

big.cea.fr www.cea.fr/drf/big/actu/lettres Responsable : Jérôme Garin Tel : 04 38 78 45 01 Fax : 04 38 78 51 55

www.cea.fr/drf/big/BCI www.cea.fr/drf/big/BGE www.cea.fr/drf/big/CBM www.cea.fr/drf/big/PCV www.cea.fr/drf/big/GPC

Des chercheurs de l’équipe Mécanismes d'Invasion en Angiogenèse et dans le Cancer du laboratoire Biologie du Cancer et de l’Infection avaient précédemment montré qu’une façon d’induire l’EMT, à partir de cellules épithéliales mammaires, était de perturber le niveau d’expression d’une des sous-unités de la protéine kinase CK2 [Référence]. Cette enzyme ubiquitaire est composée de deux sous-unités catalytiques α et deux sous-unités régulatrices β (Figure). Le déséquilibre entre ces sous-unités au profit de CK2α perturbe la phosphorylation de certains substrats entraînant l’EMT [Référence]. Les chercheurs ont poursuivi la caractérisation des cellules où ils avaient atténué l’expression de CK2β (cellules ΔCK2β) en étudiant plus précisément leurs capacités à se comporter en cellules souches («  souchitude  »). Ils ont montré que les profils en ARNm et microARN de ces cellules varient selon les mêmes règles que les profils observés dans le cas des cellules mésenchymateuses. Ces profils montrent également que les cellules ΔCK2β ont plusieurs gènes actifs en commun avec les cellules souches et suggèrent même qu’elles possèdent des propriétés

de cellules souches cancéreuses. En effet, les cellules ΔCK2β expriment des marqueurs de cellules souches, croissent en absence d’ancrage et sont résistantes au Paclitaxel, un médicament anti-cancéreux. De plus, leur comportement est celui de cellules ayant perdu leur polarité et qui ne sont plus capables de former des acini comme les cellules parentales (Figure). Ces résultats démontrent le rôle important de la sous-unité β de la CK2 dans le contrôle de la plasticité cellulaire et incitent à chercher à identifier l e s p r o t é i n e s s u b s t r a t s d e C K 2 d o n t l a phosphorylation est modulée par la présence ou l’absence de CK2β. Ainsi, de nouveaux marqueurs pourraient permettre de détecter, dans les tumeurs, les cellules ayant les capacités à migrer et former des métastases, enjeu majeur en cancérologie.

La plasticité cellulaire permet aux c e l l u l e s d e s ’ a d a p t e r à l e u r environnement. Ainsi, des cellules épithéliales acquièrent des propriétés migratoires lorsqu’elles sont amenées à se déplacer. Ce phénomène réversible, a p p e l é l a t ra n s i t i o n é p i t h é l i o -mésenchymateuse, ou EMT, est physiologique, mais également utilisé par les cellules cancéreuses pour quitter la tumeur primaire afin de former des métastases. Ce mécanisme largement étudié est induit par c e r t a i n s f a c t e u r s o u p a r u n environnement particulier, tel que l’hypoxie. Les cellules devenues mobiles a c q u i è re n t é g a l e m e n t d ’a u t re s propriétés proches de celles des cellules souches. La question des mécanismes mis en jeu lors de l’EMT se pose.

Protéine kinase CK2 et plasticité cellulaire

RÉFÉRENCE!Duchemin-PelleFerE,BaulardM,SpreuxE,PriouxM,Burute

M,MograbiB,GuyonL,ThéryM,CochetCandFilholO.Stemcell-like proper.es of CK2β-down regulated mammary cells.Cancers,2017

BCI

Contact : Odile Filhol BCI

Laboratoire Biologie du Cancer et de l’InfectionUMR_S 1036 - CEA - Inserm - UGA

Schéma représentant une cellule épithéliale où CK2 est composée des 2 types de sous-unités, et une cellule mésenchymateuse où CK2β est absente. Les images A et B sont celles de cellules cultivées dans une matrice extracellulaire (type Matrigel) avec un marquage des noyaux (bleu), des contours des cellules (vert) et du Golgi (rouge). Les cellules épithéliales poussent sous forme d’acini (A) alors que les cellules ΔCK2β sont incapables d’en former (B), tout comme les cellules souches cancéreuses.

Cellules épithéliales Cellule mésenchymateuse ΔCK2β

α α

β β

α α

dédifférenciation vers une cellule souche

Acini

A

B

ancrage

CK2ΔCK2β

BIG I Lettre scientifique n°59 I Décembre 2017 4