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Revue Ubiquité - Droit des technologies de l’information - n° 12/2002 que d’autres selon les circonstances particulières propres à la situation vécue. En commerce électronique, l’autoré- gulation est souvent mise en avant par les différents acteurs. Voyons cepen- dant que le consensus n’est qu’appa- rent. Ainsi, l’autorégulation que propose la Commission européenne 2 laisse une place – du moins à terme – à un régulateur indépendant, ce qui s’oppose globalement aux vues des représentants des vendeurs en ligne 3 . La doctrine juridique s’intéresse, depuis quelque temps déjà, à l’autoré- gulation qui pourrait se définir comme l’acceptation volontaire de normes par des agents qui les ont eux-mêmes défi- nies. Les juristes tentent de décrire cette forme particulière d’émission de normes, mais aussi de dresser une liste des caractéristiques souhaitables de l’autorégulation. Cette approche juri- Le secteur du commerce électro- nique connaît, les analystes en convien- nent, un développement plus lent que celui qui était initialement espéré. Tant la Commission européenne que les associations de consommateurs et les entreprises du secteur s’accordent à dire que le manque de confiance lors des achats en ligne est une des raisons fondamentales de ce manque de suc- cès. Si le diagnostic est partagé, les dif- férents acteurs ne sont pas nécessairement d’accord sur les remèdes à apporter. Faut-il réguler ce secteur ou faut-il laisser les entreprises de vente en ligne trouver les solutions au problème ? Dit autrement, quelle doit être la forme de la régulation : une régulation ordinaire ou une « autorégu- lation ». Disons d’emblée que, telle quelle, cette alternative nous semble quelque peu caricaturale. Nous mon- trerons en effet que plusieurs formes de régulation et d’autorégulation existent, certaines voies étant plus adéquates 1 Introduction Le commerce électronique : autorégulation et asymétrie d’information Jean-Marie CHEFFERT 1 « Concurrence : l’âme du commerce. Commerce : discuter pour savoir lequel est le plus noble du commerce ou de l’industrie ». Gustave FLAUBERT, Dictionnaire des idées reçues 1. L’auteur est professeur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP) Namur et membre du CRID (Centre de recherches informatique et droit). 2. Voy. le eConfidence forum de la Commission européenne sur le site http://econfidence.jrc.it. 3. Voy., à cet égard, les propositions du GBDe (Global Business Dialogue on Electronic Commerce) sur le site http://www.gbd.org.

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que d’autres selon les circonstancesparticulières propres à la situationvécue.

En commerce électronique, l’autoré-gulation est souvent mise en avant parles différents acteurs. Voyons cepen-dant que le consensus n’est qu’appa-rent. Ainsi, l’autorégulation quepropose la Commission européenne2

laisse une place – du moins à terme –à un régulateur indépendant, ce quis’oppose globalement aux vues desreprésentants des vendeurs en ligne3.

La doctrine juridique s’intéresse,depuis quelque temps déjà, à l’autoré-gulation qui pourrait se définir commel’acceptation volontaire de normes pardes agents qui les ont eux-mêmes défi-nies. Les juristes tentent de décrire cetteforme particulière d’émission denormes, mais aussi de dresser une listedes caractéristiques souhaitables del’autorégulation. Cette approche juri-

Le secteur du commerce électro-nique connaît, les analystes en convien-nent, un développement plus lent quecelui qui était initialement espéré. Tantla Commission européenne que lesassociations de consommateurs et lesentreprises du secteur s’accordent àdire que le manque de confiance lorsdes achats en ligne est une des raisonsfondamentales de ce manque de suc-cès. Si le diagnostic est partagé, les dif-férents acteurs ne sont pasnécessairement d’accord sur lesremèdes à apporter. Faut-il réguler cesecteur ou faut-il laisser les entreprisesde vente en ligne trouver les solutionsau problème ? Dit autrement, quelledoit être la forme de la régulation : unerégulation ordinaire ou une « autorégu-lation ». Disons d’emblée que, tellequelle, cette alternative nous semblequelque peu caricaturale. Nous mon-trerons en effet que plusieurs formes derégulation et d’autorégulation existent,certaines voies étant plus adéquates

11Introduction

Le commerce électronique : autorégulation et asymétrie

d’informationJean-Marie CHEFFERT1

« Concurrence : l’âme du commerce.Commerce : discuter pour savoir lequel est le plus noble du commerce ou de l’industrie ».

Gustave FLAUBERT, Dictionnaire des idées reçues

1. L’auteur est professeur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP) Namur et membre du CRID (Centrede recherches informatique et droit).

2. Voy. le eConfidence forum de la Commission européenne sur le site http://econfidence.jrc.it.3. Voy., à cet égard, les propositions du GBDe (Global Business Dialogue on Electronic Commerce) sur le site

http://www.gbd.org.

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Joseph Stiglitz. Ces auteurs ont déve-loppé cette théorie de l’asymétrie d’in-formation en basant leur raisonnementsur l’expérience vécue dans certainssecteurs économiques. Nous pensonsqu’il est possible, et ceci sans utiliser lamoindre équation, de transférer ce typede raisonnement au secteur du com-merce électronique. Nous pourronsainsi poser un diagnostic et proposerdes voies de solution. Ce faisant, nousmontrerons la complémentarité desapproches juridiques et économiquesde l’autorégulation.

Présentons ici le point de départ denotre raisonnement. On a souvent ten-dance à considérer que le développe-ment du commerce électroniquerenforce les conditions de concurren-ce : les vendeurs, de plus en plus nom-breux, se font une concurrence de plusen plus rude. Internet serait par excel-lence un marché de concurrence par-faite. L’économie générale nous ditcependant qu’un mécanisme de mar-ché qui se base sur le libre arbitre desagents ne fonctionne dans le sens del’intérêt collectif que si des conditionstrès strictes sont réunies. En dehors dece cas de figure théorique, une régula-tion est nécessaire.

Diverses enquêtes montrent que,pour le consommateur potentiel, laméconnaissance du vendeur et laméfiance qui en résulte est le frein leplus important à l’achat en ligne. Il y aasymétrie d’information : le client neconnaît pas la fiabilité du vendeur quilui, bien évidemment, la connaît. Cetteméconnaissance doit-elle être considé-rée comme un phénomène isolé, oucomme un élément qui peut remettre encause l’efficacité du système de mar-ché ? Nous verrons justement que cetteasymétrie d’information peut générerun phénomène de sélection adverse :les mauvais biens risquent de prendrela place des bons. Le phénomène iden-tifié a été à l’origine d’une révolution

dique peut, selon nous, être utilementconfrontée au regard de l’économiegénérale. Comment, grâce à un raison-nement économique, structurer unepensée démontrant comment tous lesagents sont affectés par la méconnais-sance et la méfiance de quelques-uns ?Comment la collectivité est-elle affectéepar ce phénomène et quel jugementporter sur cette situation ? Commentdéterminer la forme adéquate quedevrait prendre l’autorégulation ?Quand nous parlons ici du regard del’économie, nous ne nous référons pasau point de vue des firmes concernées,pas plus qu’à des considérations deprofit. Notre point de vue économiquesera par essence centré sur l’intérêt col-lectif.

À cet égard, on entend parfois diredans la presse, ou même dans lesmilieux universitaires, que des « consi-dérations économiques » justifient l’au-torégulation pure – des règles mises enplace par le secteur privé –, mais quedes impératifs plus nobles (de justice,de respect de la vie privée, d’équité,etc.) plaident pour une place laissée àun régulateur indépendant. Une tellevue de l’économie est erronée : elle sebase sur une méconnaissance fonda-mentale de ses présupposés et de saméthode. Nous montrerons justementdans cet article comment, à partir deconsidérations économiques centréessur l’intérêt collectif, rejeter une autoré-gulation pure – ce terme sera préciséinfra – et faire une place cruciale à unrégulateur indépendant.

Pour arriver à cette conclusion,notre analyse montrera comment l’asy-métrie d’information peut être une cléde lecture pertinente dans une étudeéconomico-juridique de l’autorégula-tion dans le secteur du commerce élec-tronique. Cette théorie de l’asymétried’information vient justement de valoirle prix Nobel d’économie 2001 àGeorges Akerlof, Michael Spence et

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torégulation sera proposée au point 2.Un diagnostic de ce qui se passe dansle secteur du commerce électroniquesera présenté au point 3. On y montre-ra comment toute la collectivité peutêtre affectée par l’ignorance de cer-tains agents. Différentes voies de solu-tion seront suggérées au point 4. Nouspréciserons au point 5 les différentsrôles que le régulateur peut utilementprendre en charge pour rendre l’auto-régulation efficace. Les premièresconceptions de l’autorégulation seront,au point 6, confrontées aux résultats denotre raisonnement. On y montrera quele droit et l’économie sont des disci-plines très complémentaires. Nousconclurons ensuite, au point 7, enénonçant une série de propositionsconcrètes basées sur ces vues réconci-liées.

dans la théorie économique : l’asymé-trie d’information est une cause nouvel-le4 et particulière d’inefficacité dans lefonctionnement du marché : il y a doncune place pour une forme nouvelle derégulation.

Dans le secteur qui nous occupe, lesquestions sont multiples. Le secteurpeut-il réagir de manière endogène auphénomène de sélection adverse ?Quel rôle peuvent jouer les labels quise développent dans le commerce enligne ? Une autorégulation est-elle réel-lement efficace ? Va-t-elle dans le sensdu bien commun ou sert-elle seulementles intérêts des entreprises ? À quellesconditions ? Quelle peut être la placed’un régulateur indépendant ?

Notre démarche sera la sui-vante. Une première approche de l’au-

4. Avant l’apport des trois prix Nobel d’économie cités, la littérature mettait surtout en avant l’existence de pouvoirs demarchés comme cause d’inefficacité.

22Une première approche de l’autorégulation

Présentons ici, en toute premièreapproximation, quelques thèmes étudiéspar les juristes qui s’intéressent à l’auto-régulation. Ces thèmes serviront de filconducteur dans nos développements.

L’autorégulation a d’abord à êtredéfinie. Il est, pour ce faire, utile d’iden-tifier l’émetteur et le destinataire desrègles. Dans le cas de l’autorégulation,les juristes s’accordent à dire que larègle n’est pas émise par la collectivité,mais par un groupe d’individus. En fait,émetteurs et destinataires de la règle seconfondent. La sanction n’existe pas ausens classique du terme : elle est plutôtmorale, comme l’est une exclusiond’une firme hors d’un groupe.L’autorégulation comporte un aspectvolontaire : se rallie à tel groupe celui

qui le souhaite et qui en accepte lesnormes. La généalogie du phénomèneest aussi un sujet de réflexion : qu’est-ce qui fait que tel secteur, placé danstelle situation particulière, met en placeune autorégulation ? Y a-t-il desconstantes à repérer dans ces circons-tances qui poussent les acteurs à agirde la sorte ?

S’agissant du bien-fondé de l’auto-régulation, les juristes sont divisés.Certains voient dans cette forme derégulation une démission de la collecti-vité, d’autres une voie de solution nova-trice et prometteuse. La place durégulateur est, de ce point de vue, unsujet crucial. Doit-il laisser agir le sec-teur ? Doit-il, à un moment donné, récu-pérer cette régulation endogène ?

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donc, au terme de notre analyse, surles vues énoncées dans ce point 2.Nous montrerons comment l’analyseéconomique peut apporter desréponses ou des compléments d’infor-mation aux questions posées.

Les questions que se posent les éco-nomistes, on le montrera, sont iden-tiques. Les points de vue sont aussi trèsproches : économistes et juristes pla-cent le bien commun et les valeurs dejustice et d’équité avant les intérêts d’in-dividus particuliers. Nous reviendrons

5. Cette simplification est dans la ligne de celles présentées dans certains manuels d’économie comme VARIAN,Introduction à la microéconomie, De Boeck Université, 1997 ou RASMUSEN, Games and Information, Basil Blackwell,1995. À notre connaissance, ce raisonnement n’a pas encore été appliqué au marché du commerce électronique.

6. « The Market for Lemons : Quality Uncertainty and the Market Mechanism » The Quaterly Journal of Economics, 1970.7. Tout autre nombre choisi ici ne changerait rien au raisonnement. 8. Cette proportion est choisie, elle aussi, par souci pédagogique. Une autre proportion laisserait inchangée l’essence

du raisonnement.9. Les vendeurs fiables sont donc homogènes du point de vue de leurs conditions de vente. Nous aurions bien évidem-

ment pu supposer que les vendeurs fiables proposaient des biens dans des conditions différentes. Une telle hétérogé-néité aurait compliqué le modèle sans remettre en cause les résultats centraux de ce modèle simple.

33Les effets pervers de l’asymétrie d’information

considérable de marchés dont, selonnous, celui qui nous occupe.

Pour pouvoir entamer le raisonne-ment, supposons qu’il y ait cent7 ven-deurs en ligne proposant à la vente unbien présenté, sur leur site Internet dumoins, comme identique de vendeur àvendeur. Supposons par ailleurs quecinquante de ces sites, la moitié8 donc,abritent des vendeurs fiables. Ces ven-deurs sont dits fiables car ils offrent unbien dans des circonstances particu-lières : le bien sera livré à coup sûr (levendeur existe réellement et n’est pasau bord de la faillite), dans les délais,sans fraude lors du paiement en ligneet sans que le profil du consommateurne soit espionné et réutilisé. La qualitédu bien offert par les vendeurs fiablesest donc définie tant à partir des carac-téristiques physiques que des circons-tances particulières citées plus haut. Cebien proposé par les vendeurs fiables9,c’est-à-dire dans les bonnes conditionsénoncées plus haut, sera appelé infrale bien 1.

1. Un cadre de réflexion

Pour servir de canevas aux idéesque nous développerons infra, il est trèsutile de disposer d’un cadre de raison-nement. Dans cette perspective, les éco-nomistes ont l’habitude de construire un« modèle », c’est-à-dire une représenta-tion volontairement simplifiée de la réa-lité. Ce modèle devient alors le supportd’une réflexion sur la réalité complexe.Il permet d’expliquer tel phénomène,mais aussi et surtout d’évaluer la situa-tion décrite et de suggérer à la collecti-vité les actions bénéfiques pour elle.

Le modèle présenté ici est une adap-tation à la réalité du commerce électro-nique de l’essence5 du raisonnementd’Akerlof6. Cet auteur, qui fut le pre-mier à mettre en lumière le phénomènede sélection adverse, avait choisi detraiter du marché des voitures d’occa-sion, marché sujet à une asymétrie d’in-formation – les acheteurs neconnaissent pas la qualité réelle dubien vendu. Notons que cette caracté-ristique est observée dans un nombre

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logie que de ses effets.

Si nous voulons étudier les effets del’asymétrie d’information, il nous faut,dans un premier effort d’abstraction,intégrer ces mauvaises pratiques desvendeurs dans notre cadre de raison-nement. On peut aisément admettreque ces pratiques influencent la valeurque les différents agents, tant acheteursque vendeurs, accordent aux biens.Ainsi, les consommateurs n’apprécientpas les pratiques des vendeurs moinsfiables. Tel acheteur particulier qui refu-serait catégoriquement que son profilsoit espionné serait, en définitive, prêtà payer zéro euros pour le bien 2 (lebien vendu dans les mauvaises condi-tions). Mais ce refus peut être plus oumoins catégorique. Considérons donc,plus généralement, que les consomma-teurs13 sont disposés à payer un prixplus faible pour le bien 2. Pourl’exemple, nous choisirons ici lesvaleurs de 100 et 50 euros14 pour, res-pectivement, les biens 1 et 2.

Les vendeurs, quant à eux, valori-sent les mauvaises pratiques comme lefait d’obtenir le profil des consomma-teurs, de livrer hors délai, etc. Ditautrement, les vendeurs peu fiablessont prêts à exiger un prix plus faiblepour vendre le bien à leurs conditions.En résumé, le prix exigé par un ven-deur peu fiable – il vend le bien 2 – estplus faible que celui du vendeur debien 1. Nous baserons notre raisonne-ment sur des prix exigés de 80 et 40euros pour, respectivement, les biens 1et 2.

Les autres sites abritent des ven-deurs intrinsèquement moins fiables10,c’est-à-dire que les biens qu’ils propo-sent sont vendus dans de mauvaisesconditions (les délais ne sont pas res-pectés, il y a risque de faillite ou dedéfaillance du vendeur, le profil duconsommateur est espionné, etc.). Cesmauvaises conditions seront iden-tiques11 chez tous les vendeurs moinsfiables.

Pour simplifier notre raisonnement,nous supposerons aussi que tous lesvendeurs, fiables ou non, disposentd’un stock identique12 (pour simplifier,disons un stock d’une unité) de sortequ’il y a potentiellement en vente cin-quante biens 1 et cinquante biens 2.

Supposons par ailleurs que centacheteurs soient tous disposés à ache-ter un de ces biens. Si les vendeursconnaissent leur propre degré de fiabi-lité, cette information n’est pas directe-ment disponible pour les acheteurs. Dece fait, il y a bien asymétrie d’informa-tion. Mais l’ignorance des consomma-teurs ne peut être considérée commetotale : différentes études circulent eneffet sur le degré de fiabilité des ven-deurs en ligne. Nous supposerons doncque les acheteurs connaissent la pro-portion de sites fiables sans pouvoiridentifier la fiabilité du site qu’ilsconsultent. Dans cette première étapede notre raisonnement, nous considére-rons donc qu’il n’existe pas de « label »de qualité. La labellisation des sitessera étudiée plus précisément au point4.3, tant du point de vue de sa généa-

10. Nous considérons donc, dans cette section, que les vendeurs sont intrinsèquement moins fiables. Cette hypothèse pour-rait être levée et le choix du degré de fiabilité pourrait être envisagé. On verra, au point 4.1, que la prise en comp-te de cette décision renforce les résultats obtenus.

11. Comme déjà dit plus haut pour les vendeurs fiables, nous aurions pu supposer que les vendeurs moins fiables étaientdifférents du point de vue de leurs conditions de vente. Notre hypothèse d’une homogénéité chez les vendeurs moinsfiables simplifie le modèle tout en permettant de sauvegarder l’essence du raisonnement.

12. Cette hypothèse d’un stock identique chez tous les vendeurs est faite par souci pédagogique. On aurait pu envisagerdes stocks différents de vendeur à vendeur et plus élevés. L’hypothèse faite simplifie le modèle sans changer l’essencedu raisonnement.

13. Nous considérerons donc, pour simplifier, que les consommateurs sont identiques du point de vue de leurs préférences.14. Des nombres particuliers sont choisis pour éviter d’utiliser des notations mathématiques. D’autres valeurs pourraient

convenir. La même remarque prévaudra infra pour les prix exigés.

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– ils vendent donc les 50 unités – et infé-rieur au prix que les acheteurs seraientdisposés à accepter – ils achètent doncces unités mises en vente. En fait, toutprix situé entre 80 et 100 euros mettraitacheteurs et vendeurs d’accord : les50 unités de biens 1 potentiellement envente seraient effectivement vendues. Lemême raisonnement prévaut pour lebien 2 : tout prix situé entre 40 et50 euros serait accepté par les deuxparties.

En cas d’information symétrique, leséchanges potentiels ont donc tous lieu :les agents nouent sans peine descontrats sur les deux marchés séparés,celui des biens 1 et 2. La collectivitétout entière en sera bénéficiaire : ellevalorise en effet les échanges ainsi réa-lisés. Ainsi, un bien 1, qui ne représen-te que 80 euros pour le vendeur,vaudra, en passant chez l’acheteur,100 euros, soit 20 de plus ! La vented’une unité de bien 1 est donc valori-sée, collectivement16, à 20 euros. Les50 échanges de biens 1 ont donc unevaleur collective de 50 fois 20 euros,soit 1 000 euros. D’autre part, les 50échanges de bien 2 valent collective-ment 50 fois 10 euros17, soit500 euros.

2. La situation de référenceavec information symétrique

Le cadre de réflexion étant posé,nous voulons à présent étudier l’inci-dence de l’asymétrie d’information surles échanges. Le point de vue que nousadopterons dans cette étude sera biencelui de la collectivité tout entière15 etnon celui des entreprises. Si nous vou-lons quantifier les inconvénients decette asymétrie d’information pour lacollectivité, nous avons besoin d’unesituation de référence. Dans cette situa-tion – caractérisée par les mêmes don-nées – où l’information seraitsymétrique, la collectivité vivrait unesituation différente qui, on le montrera,serait meilleure pour elle.

Construisons donc une telle situationde référence en envisageant ce qui seserait produit dans le cas – tout à faithypothétique – d’information symé-trique : les consommateurs connaîtraientle degré de fiabilité des vendeurs enligne. Il est dans ce cas facile de mon-trer que tous les biens seraient vendus.Pour le bien 1 par exemple (voirtableau), un prix de 90 euros arrange-rait les deux parties. Ce prix est en effetsupérieur au prix exigé par les vendeurs

15. Les différents agents, qui sont tantôt producteurs, tantôt consommateurs, constituent la collectivité. C’est à elle de por-ter un regard sur la situation vécue.

16. C’est-à-dire en agrégeant vendeurs et acheteurs qui réalisent chacun un surplus calculé par référence au prix du bien.Ainsi, le surplus du consommateur est la différence, pour tout bien acheté, entre la disposition à payer (la valeur sub-jective) et le prix. Le surplus de la firme est, pour tout bien, l’écart entre le prix qu’elle observe et le prix qu’elle auraitaccepté (qui couvrirait ses coûts, dirions-nous pour simplifier).

Résumé des données

Type de bien Bien 1 (bonnes conditions) Bien 2 (mauvaises conditions)

Unités potentiellement 50 50vendues

Disposition à payer 100 euros 50 euros(par les consommateurs)

Prix exigé 80 euros 40 euros(par les vendeurs)

Remarque : ces données sont connues de tous les agents

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ne sait si le bien est de type 1 ou 2 –,ces acheteurs sont donc prêts à débour-ser, a priori, une valeur moyenne com-prise entre 100 et 50 euros (leursdispositions à payer dans chacune deshypothèses). Vu les probabilités (de0,50 et 0,50) d’occurrence des deuxcas de figure, cette valeur moyenne apriori vaut 75 euros19.

Mais à ce prix de 75 euros que lesacheteurs en ligne proposeraient, lesvendeurs fiables refusent de vendre !Rappelons (voy. tableau) que les ven-deurs fiables exigent un montant plusélevé, de 80 euros ici, par bien vendu.On observe donc un désintérêt des ven-deurs fiables pour la vente en ligne : ilsfont en effet face à des acheteurs qui neles identifient pas comme fiables et quiadoptent des attitudes « moyennes ».Les acheteurs, rationnels20, anticipentce phénomène de désintérêt chez lesvendeurs fiables. Sachant en définitivequ’ils n’auront affaire qu’aux vendeursles moins fiables, les acheteurs en lignene proposent donc qu’un prix de50 euros, ce qui convient encore auxvendeurs les moins fiables.

On observe donc ici un phénomènede sélection adverse : les vendeursfiables sont découragés de la vente enligne à cause d’un prix qui y est faible.Ce prix observé s’applique à tous lesvendeurs car les consommateurs nepeuvent distinguer les fiables desautres. Ce prix est faible parce qu’ilintègre la méfiance des consomma-teurs, méfiance due à la présence desites moins fiables que ces consomma-

En conclusion, voyons que, danscette situation de référence, tous leséchanges collectivement profitables ontlieu. Notons bien qu’il y a une placepour des achats réalisés auprès desvendeurs moins fiables. Les consomma-teurs connaissent, dans ce cas de réfé-rence où l’information est symétrique,les risques qu’ils subissent sur ce mar-ché-là. Ils nouent des contrats, à prixplus faible, en pleine connaissance decause. Cette situation où tous les bienssont échangés a une « valeur » collecti-ve totale de 1 500 euros : 1 000 pourle premier marché et 500 pour lesecond (voy. supra). Cette valeur de1 500 euros s’appelle le surplus collec-tif, notion centrale18 en économie, car àla base d’un jugement de valeur sur lesdifférentes situations vécues dans unmarché.

3. Asymétrie d’information etsélection adverse

Le surplus collectif de la situation deréférence – 1 500 euros – va cepen-dant chuter dès l’instant où l’informa-tion est asymétrique – lesconsommateurs ne connaissent pas icile degré de fiabilité prévalant sur le sitevisité. Montrons ce qui se passe etpourquoi.

Les consommateurs, ignorant ledegré de fiabilité de leur interlocuteuren ligne, savent qu’ils risquent, avecune chance sur deux, de tomber sur unvendeur non fiable. Pour un bien vendudans ces circonstances inconnues – on

17. Voy. la différence entre la disposition à payer et le prix exigé sur ce marché (50 – 40).18. Donnons ici une vue intuitive de cette notion. Ce surplus est collectif en ce sens qu’il s’intéresse tant aux acheteurs

qu’aux vendeurs, tous constitutifs de la collectivité. La valeur de ce surplus approche (en unités monétaires) la satis-faction collective totale résultant des actions des différents agents. Notons aussi que, dans notre exemple, tous les prixqui généreraient les échanges en question donneraient lieu, in fine, au même surplus collectif. La répartition de ce sur-plus serait cependant différente selon le prix observé. L’économiste se base, dans ses jugements de valeur, sur l’effi-cacité collective (mesurée par le surplus collectif, révélateur du bien-être global) et sur l’équité (la distribution dubien-être créé).

19. Formellement, les économistes diraient que l’absence d’aversion à l’égard du risque fait que la moyenne arithmétiquedes deux disposition à payer est la mesure relevante de la disposition à payer dans cette situation d’incertitude.

20. Ils connaissent le raisonnement des vendeurs et leurs prix exigés.

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échanges spontanés, maximise le sur-plus collectif. En fait, le marché fonc-tionne dans les hypothèses – trèsthéoriques – où la concurrence est par-faite, ce qui suppose que l’informationsoit parfaitement disponible. Ici, elle estasymétrique.

En fait, cette asymétrie d’informa-tion – l’ignorance des acheteurs – faitque tout se passe sur un seul marché aulieu de plusieurs (deux dans notreexemple). Ce marché unique englobeles différents types de biens. On assistealors à une forme particulière d’exter-nalité : les mauvaises pratiques détei-gnent sur les bonnes… en les faisantdisparaître. Notons bien que les ven-deurs fiables n’ont, pour l’instant, pasla possibilité de se distinguer de façoncrédible. Anticipons déjà ici le rôlebénéfique, sous certaines conditions,des labels qui seront étudiés au point4.3. Ils pourront, à certaines condi-tions, restaurer l’efficacité collective.

teurs ne peuvent, vu leur information,identifier comme tels.

Ce phénomène de sélection adverse– les mauvaises pratiques chassent lesbonnes – est aussi le signe d’une bais-se de surplus collectif. Comme seuls leséchanges de biens 2 ont lieu, la collec-tivité évalue cette situation à 500 euros(la valeur des échanges de bien 2 : cf.le point 3.2). La collectivité pâtit doncde cette situation.

Comment interpréter le fait que deséchanges collectivement profitables,relatifs au bien 1, n’apparaissent pas ?Pourquoi la libre négociation desagents sur un marché aboutit-elle à unedisparition des échanges ? Dit autre-ment, pourquoi y a-t-il échec du marchéau sens où la négociation décentraliséen’aboutit pas à un surplus collectifmaximal ? Voyons que cette observa-tion va à l’encontre de l’idée selonlaquelle le marché, en permettant les

21. Le théorie économique nous dit aussi qu’une autre cause – classique – de dysfonctionnement du marché est l’existen-ce de pouvoirs de marché. Les firmes qui en disposent font que les échanges observés ne sont pas ceux que la col-lectivité souhaiterait.

d’autres agents ou que le régulateur,auraient la capacité et la volonté demettre en œuvre des pratiques souhai-tables pour la collectivité. Dans le sec-teur qui nous occupe, l’autorégulationest-elle une voie de solution ?

La question devrait, selon nous, êtreaffinée. Le raisonnement économiquepeut nous montrer que chaque situationest un cas de figure particulier où uneforme particulière d’autorégulationpeut être opérante. Dans telle circons-tance particulière, la liberté des agentsles plus informés les pousse-t-elle effica-cement à trouver la solution que la col-

L’asymétrie d’information est doncbien ici la cause particulière21 d’unmauvais fonctionnement du marché.Les agents, laissés à eux-mêmes, neréalisent pas tous les échanges profi-tables pour la collectivité. Quelles sont,dès lors, les différentes voies de solu-tion qui s’offrent à la collectivité ?L’autorégulation est-elle ici une voieporteuse ?

Dans certaines situations, l’autoré-gulation peut être considérée commeune voie de solution privilégiée. On sebase alors sur l’idée que certainsagents, ayant plus d’informations que

44Les différentes formes de régulation

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l’asymétrie d’information, sa décisiond’être non fiable aura un effet infime23

sur le prix de marché, mais un effet tan-gible sur son profit (la mauvaise pra-tique est valorisée à 40 euros24). Infine, tous les vendeurs feront ce choix.La liberté des vendeurs se retournedonc contre la collectivité25. Ce raison-nement nous montre déjà en quoi ilsera difficile pour un vendeur de pré-tendre qu’il est fiable alors qu’il n’estjamais dans son intérêt de l’être (mêmes’il peut souhaiter qu’on le pense). Laquestion de la crédibilité des affirma-tions des vendeurs est donc cruciale.L’asymétrie d’information fait que lesvendeurs ne peuvent proclamer leur fia-bilité de manière crédible.

Mais une autre liberté des agentspourrait, à première vue seulement,redresser la situation. Les vendeursfiables pourraient eux-mêmes émettreune garantie à destination des consom-mateurs. Cette garantie pourrait les dis-tinguer et leur permettre de créer cedeuxième marché qui fait défaut.L’autorégulation pure, sans l’existencede tiers, pourrait donc être une voieporteuse.

Pour voir en quoi les choses sontmoins simples qu’il n’y paraît, analy-sons d’abord cette question des garan-ties dans un autre marché, par exemplecelui de la vente par correspondanceou du télé-achat. Nous verrons ensuiteen quoi le marché du commerce élec-tronique est différent.

Supposons que le modèle examinésupra représente le marché de la ventepar correspondance où coexisteraient

lectivité souhaite ? À quelles condi-tions ? Un raisonnement économiquepeut nous aider à y voir plus clair.

1. La non-crédibilité de l’autorégulation pure

Dans les circonstances que nousvenons de décrire, la seule liberté desagents les plus informés – les vendeursici – les conduit-elle à mettre en œuvreles pratiques voulues par lacollectivité ? Dit autrement, une autoré-gulation pure, basée sur la seule libertédes vendeurs et sans la moindre pré-sence de tiers, est-elle une voie porteu-se ? Nous montrerons que cette formed’autorégulation pure risque d’être inef-ficace.

S’agissant de cette liberté des ven-deurs, examinons tout d’abord une deshypothèses de notre modèle. Nousconsidérions supra que les vendeursétaient soit fiables, soit peu fiables. End’autres termes, nous ignorions la liber-té, pour eux, de choisir leur degré defiabilité. On pourrait objecter que, sicette liberté existait, tous choisiraientd’être fiables car la profitabilité de cesactivités est potentiellement plus éle-vée22. Un seul marché existerait alors,mais seules les meilleures pratiques yseraient observées ! Voyons en quoicette affirmation est erronée. Mettons-nous à la place d’un de ces vendeursqui observe un prix quelconque sur lemarché agrégé du bien considéré.Quel que soit le niveau de ce prix, levendeur aura intérêt à vendre le biendans de mauvaises conditions – disons,par exemple, espionner le profil duconsommateur. En effet, caché par

22. Le bien 1 pourrait être vendu à 99 euros (ce qui serait accepté par les acheteurs) alors qu’il ne coûte que 80 euros.Une telle profitabilité est impossible sur le marché des biens 2.

23. Cet effet existe si les consommateurs, informés par les études sur le secteur, révisent leur probabilité de tomber sur unvendeur fiable. Dans tous les cas, cette révision est de faible ampleur : un seul vendeur a changé de degré de fiabi-lité.

24. Ceci était posé au point 3.1 : vendre le bien dans de mauvaises conditions fait que le vendeur exige un prix de40 euros au lieu de 80. Cette différence de prix résulte de la valorisation par le vendeur de la mauvaise pratique.

25. Notons que cette liberté de choix se retourne contre les acheteurs (qui seront privés de biens 2) et les vendeurs (quiseront privés de la profitabilité liée à la vente de biens 2).

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présence de tiers – peut apparaître defaçon endogène.

Mais, dans le secteur du commerceélectronique, le cas de figure est diffé-rent : la particularité des risques encou-rus fait que les vendeurs auront de lapeine à être crédibles lors de l’émissionde garanties. Examinons quelquesrisques inhérents à la vente en ligne. Telvendeur, inconnu, peut se révéler êtreinexistant ou peu solide financièrement.Étant donné la nature même de cerisque, on voit que notre condition àl’émission endogène de signaux cré-dibles fait défaut. Il est en effet difficilede retrouver « demain » le vendeur etd’exiger de lui qu’il honore sa garan-tie. Celle-ci n’est donc pas crédible.

Un autre risque de la vente en ligneest celui d’un vendeur peu scrupuleuxlors du payement électronique ou peurespectueux de la vie privée : le ven-deur frauderait lors du paiement ou uti-liserait le profil du consommateur pourle harceler ou pour communiquer desdonnées à d’autres vendeurs peu scru-puleux. Le bien vendu dans ces condi-tions a donc moins de valeur aux yeuxdu consommateur. Une garantie offertepar l’opérateur, dans un simple codede bonne conduite et sans certificationexterne, d’un paiement sécurisé oud’un respect de la vie privée est noncrédible. On peut en effet difficilementvérifier « demain » les pratiquescachées du vendeur.

La nature des risques de la vente enligne fait donc que, sans l’existence detiers fiables, les garanties émises parles opérateurs de commerce électro-nique sont peu crédibles.

Si c’est le cas, on peut aisémentcomprendre que des codes de bonneconduite peu sérieux fleurissent sansque le consommateur puisse effective-ment discriminer les vendeurs. Un tellabel est en effet non coûteux pour la

des vendeurs proposant des biens debonne et de mauvaise qualité, les biens1 et 2 respectivement, caractérisés parles données du tableau du point 3. Ilexiste bel et bien un intérêt individuelpour les vendeurs de biens de bonnequalité à se démarquer en signalantqu’ils vendent un tel bien. Typiquement,ils offriraient une garantie « satisfait ouremboursé » et prendraient à leur char-ge les frais de port occasionnés par lerenvoi de l’objet.

Voyons en quoi, dans ce marché dela vente par correspondance, la garan-tie émise est crédible. Seuls les ven-deurs de biens de bonne qualitévoudront en effet émettre une tellegarantie : pour eux, la garantie nedevra jamais fonctionner car les biensexaminés sont effectivement de bonnequalité. Les autres vendeurs n’émettrontjamais de garantie : le fait que leconsommateur puisse effectivementconstater, à la réception, la mauvaisequalité, générerait une perte surchaque vente (les frais de port). Lagarantie a donc bien joué le rôle d’unsignal. Grâce à l’émission endogènede garanties, deux marchés serontdonc clairement identifiés : celui desbiens garantis et celui des biens nongarantis. L’efficacité collective sera dèslors restaurée.

Observons que dans le raisonnenteffectué supra, nous avons explicite-ment posé une hypothèse cruciale carelle rend la garantie crédible : l’ache-teur est effectivement en mesure de véri-fier la qualité « demain », de retrouverle vendeur et d’exiger de lui qu’il hono-re sa garantie. Cette hypothèse est réa-liste lorsque tous les vendeurs ontpignon sur rue. Si cette hypothèse estvérifiée, des garanties « endogènes »et crédibles apparaîtront.

Nous voyons donc que dans cer-taines circonstances particulières, uneforme d’autorégulation pure – sans la

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tement discriminés et les consomma-teurs pourraient, en connaissance decause, décider d’entrer sur tel ou telmarché et de contracter.

La régulation décrite plus haut estdonc lourde et coûteuse. Mais un desenseignements du modèle a étéignoré : les vendeurs fiables ont toutintérêt à se signaler comme tels. Nepeut-on donc diminuer le coût de larégulation en se servant de cet intérêt ?L’intérêt des vendeurs fiables devientdonc le moteur d’un système moins coû-teux. Il est cependant nécessaire d’in-troduire une dose de crédibilité dans lesystème pour que le signal puisse effec-tivement jouer son rôle. Cette crédibili-té, on le verra, passera par la présenced’agents tiers indépendants.

3. Un système de labellisationdes sites

Une voie intermédiaire, située entrel’autorégulation pure et la régulationlourde, consisterait à permettre l’émis-sion de signaux qui seraient certifiéspar une instance indépendante. Si cettevoie semble intuitivement porteuse,comment démontrer son efficacité àpartir de notre modèle ? L’efficacité col-lective sera-t-elle entièrement restau-rée ? Quels autres enseignementspeut-on tirer de notre raisonnement ?

On montrera que l’indépendancede ces instances est cruciale pour quele système fonctionne. Rien ne nous per-mettra cependant d’exclure une labelli-sation effectuée par le secteur privé.Nous montrerons justement commentune telle solution « mixte », où régula-teur et opérateurs privés ont un rôledéterminé, peut restaurer partiellementune efficacité collective mise à mal parl’asymétrie d’information.

firme. Non crédible, il ne parvientcependant pas à jouer un rôle entermes d’efficacité collective.

Mais on ne peut conclure prématu-rément à l’échec de toute forme d’auto-régulation : on a seulement montrépourquoi une forme particulière d’auto-régulation, celle qui ne se base que surles pratiques des vendeurs, est ineffica-ce. La notion de la crédibilité dessignaux émis était au centre du débat.Il s’agit donc de voir comment mettreen place des procédures qui permettentd’asseoir cette crédibilité. Voyons enquoi des acteurs tiers indépendantspeuvent avoir un rôle ici.

2. Le coût d’une régulationlourde

Le raisonnement du point précédenta permis d’établir deux affirmations.D’abord, nous savons que l’intérêt exis-te, chez les vendeurs fiables, d’émettreun signal. Ensuite, nous avons observéque les signaux qui seraient émis demanière endogène sont peu crédibles ;l’efficacité collective n’est donc pas res-taurée.

Si nous ne nous basons que sur laseconde affirmation, une voie de solu-tion consisterait à mettre en place unerégulation « lourde ». On demanderaità un régulateur indépendant de vérifierscrupuleusement et de manière réguliè-re la fiabilité intrinsèque de chaquevendeur en ligne. Le régulateur affiche-rait alors le résultat de son investigationsur le site. Le signal émis par le régula-teur serait bien crédible. On imaginecependant la lourdeur de cette pratiquedans un marché où les acteurs appa-raissent et disparaissent rapidement. Lecoût collectif d’un tel contrôle serait trèsélevé. Ceci dit, les sites seraient parfai-

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deurs peuvent décider librement d’ac-quérir un niveau affiché de fiabilité,disons un nombre d’«étoiles». Re-marquons que les vendeurs ont la pos-sibilité d’investir dans des signaux deplus ou moins grande qualité : ils choi-sissent le nombre d’étoiles qui leurconvient. Nous noterons e1 et e2 lesétoiles obtenues par les vendeursfiables et non fiables. Les vendeursacquièrent ces labels à destination dupublic en se soumettant aux contrôlesd’une instance de labellisation.

Notons que ces niveaux affichés defiabilité sont le résultat de ladémarche ; ils ne révèlent donc pasnécessairement les niveaux intrinsèquesde fiabilité. En effet, chaque opérateurest, dans l’absolu, libre d’acquérir cesniveaux affichés. Poser cette liberté, quiest cruciale pour que le système fonc-tionne, signifie qu’on refuse d’exclure apriori le fait qu’un vendeur fiable n’ef-fectue aucune démarche ou le faitqu’un vendeur peu fiable décide d’ob-tenir un label. Il nous importera juste-ment de déterminer à quellesconditions les seuls vendeurs fiablessouhaiteront obtenir le label. Le systè-me de labellisation pourra alors jouerson rôle en séparant les sites fiablesdes autres. C’est bien dans ce cas queles labels seront crédibles. La questionde la crédibilité de ces labels sera inti-mement liée, nous le montrerons dansla suite du raisonnement, aux condi-tions, de coût notamment, qui s’impo-sent aux vendeurs en ligne lors de lalabellisation et à l’information dont lesconsommateurs disposent.

Rappelons que ces niveaux affichésde fiabilité ne changent pas le niveauréel de fiabilité. La certification est un

a. Introduction d’un système delabellisation

Complétons le modèle présenté en yintégrant, à la manière de MichaelSpence26, une possibilité d’émission designaux crédibles. Michael Spenceavait en son temps étudié le marché dutravail. Ce marché souffre, lui aussi,d’asymétrie d’information : la firme neconnaît pas, à l’embauche, la qualitédu travailleur. Un seul marché – hétéro-clite – se constitue donc, ce qui risquede causer une inefficacité. Les meilleurstravailleurs ont donc un intérêt à signa-ler de manière crédible leur qualité. Ilsont, pour ce faire, recours au systèmeéducatif27 qui émet des diplômes recon-nus agissant ici comme signal. Le lienavec la réalité du commerce électro-nique est fait aisément. Les vendeurs lesplus fiables, observant le prix – unique– d’équilibre sur le marché du commer-ce électronique, ont un incitant àémettre un signal certifié. Ils peuvent,en se distinguant, obtenir un meilleurprix.

La question centrale que nous envi-sagerons ici est celle du lien entre cettepossibilité d’utilisation de signaux etl’efficacité collective. On verra, dans cemodèle, que la possibilité d’utilisationde signaux – ici un niveau affiché defiabilité – générera une hausse de l’ef-ficacité collective. Cependant, on n’at-teindra pas le niveau de surplus de lasituation de référence car l’émission designaux occasionne un coût collectif.De plus, certaines conditions devrontêtre respectées pour que les signauxémis jouent effectivement leur rôle.

Nous complétons donc le modèledu point 3 en supposant que les ven-

26. M. SPENCE, « Job Market Signalling », Quaterly Journal of Economics, 1973. Le lecteur intéressé trouvera une simpli-fication de ce raisonnement dans VARIAN, 1997, op. cit.

27. Il va de soi que la fonction du système éducatif ne peut se réduire à celle d’une émission de signaux crédible. Unetelle vue réductrice nierait tous les apports des différents courants de la sociologie de l’éducation, même celui qui voitle système éducatif comme acteur de la reproduction sociale. La fonction mise en avant par Spence lui sert essentiel-lement de prétexte à un raisonnement neuf pour la théorie de l’asymétrie de l’information.

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la possibilité de choisir leur niveau affi-ché de fiabilité. Ces signaux e1 et e2sont deux nouvelles variables endo-gènes du modèle. Par ailleurs, lesconsommateurs ont maintenant la pos-sibilité de baser leurs paiements sur lessignaux visibles. Il faut donc analyserce comportement des consommateurs,c’est-à-dire la manière dont ils affichentun comportement de rémunération enfonction des labels affichés. Ce com-portement – un profil de disposition àpayer en fonction des signaux – estdonc aussi à déterminer.

Pour qu’une situation donnée soit unéquilibre, il faut qu’aucun agent nedésire, à partir de cette situation, chan-ger de comportement. Décrivons unetelle situation de départ et voyons si elleest bien, selon le sens que nous venonsde donner à ce terme, un équilibre.

Supposons une situation initiale oùles vendeurs fiables acquièrent leniveau de fiabilité affichée de 3 étoiles(e1 = 3) et où les non fiables n’entre-prennent aucune démarche (e2 = 0).Supposons aussi que les consomma-teurs émettent le comportement suivant.Ils sont disposés à payer le prix fort de100 euros sur les sites qui ont au moinsle niveau de fiabilité affichée de 3 etn’acceptent de payer que le prix de 50euros sur les sites qui affichent unniveau de fiabilité inférieur.

Montrons maintenant que cettesituation est bien un équilibre : person-ne, étant donné le comportement desautres agents, ne voudra changer lesien. Nous avions supposé que les ven-deurs fiables décidaient d’afficher troisétoiles. Ont-ils intérêt à n’en afficheraucune ? Un tel changement de com-portement serait sanctionné par unebaisse de leur prix de vente : lesconsommateurs ne paieraient le bien

pur signal. Dit autrement, l’acquisitionde ce degré de fiabilité affiché neconstitue pas le passage à un degré defiabilité supérieur.

La démarche entreprise auprès del’autorité de certification est coûteuse :se soumettre au contrôle de l’instancede régulation de façon à obtenir uneétoile a un coût. Supposons que le coûtd’obtention d’une unité – une étoile –de fiabilité soit de 5 euros pour un ven-deur fiable et de 25 euros pour un nonfiable. Cette différence de coût maté-rialise le fait qu’il est plus difficile pourun opérateur non fiable d’obtenir uneétoile. Dit autrement, tricher en se pré-sentant comme fiable a un coût car descontrôles efficaces existent. Nous ver-rons plus tard que cette structure decoûts est un des éléments de la crédibi-lité des signaux. Nous supposerons queces coûts sont connus de tous lesagents, vendeurs comme consomma-teurs. Cette hypothèse sera discutéeinfra lorsque nous tirerons les enseigne-ments du modèle.

Nous supposerons aussi qu’il y a denombreux acheteurs désireux d’acheterle bien en ligne. Les acheteurs se fai-sant concurrence, le prix observé sur unmarché sera la disposition à payer28.

b. Incidences sur le marché du com-merce électronique

Dans une première étape de notreraisonnement, nous identifierons lasituation qui, selon la rationalité desagents, émergera comme équilibre.Cette situation sera, dans une secondeétape, évaluée : l’efficacité collective a-t-elle été restaurée ? À quelles condi-tions ?

Deux comportements neufs sont àétudier. Les opérateurs ont maintenant

28. Cette hypothèse technique permet, en cas de multiplicité d’équilibre, de déterminer le prix d’équilibre.

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tement : ils parviennent, grâce au profilde disposition à payer rendu public, àpayer les opérateurs à leur niveau defiabilité ainsi révélé.

Au terme de l’analyse, on voit doncque la situation de départ est bien unéquilibre32. Dans cette situation, deuxmarchés séparés coexistent. En effet,seuls les opérateurs fiables, pour quil’émission de signal est moins coûteu-se33, émettent celui-ci. Le signal permetla séparation parfaite des opérateurs :les fiables et les peu fiables se compor-tent différemment et deviennent ainsiclairement identifiables. Deux marchésbien identifiés existent donc : celui desvendeurs fiables, à label, et celui desvendeurs non fiables. Cette séparationdes marchés permet donc de restaurerles échanges : les biens vendus dansde bonnes conditions trouvent acqué-reur. Le phénomène de sélection adver-se a donc été contré par le système delabellisation.

Notons que la liberté d’action desvendeurs est cruciale : libres de se com-porter de la manière qui est pour eux laplus intéressante, ils le font – grâce ausystème mis en place – dans le sens del’intérêt collectif. Le système de labelli-sation permet donc de se baser utile-ment sur l’intérêt des vendeurs pourtrouver une solution au problème de lasélection avderse dans le marché decommerce électronique.

Notons cependant la nécessitéd’une altérité. Il faut que les vendeurspassent par une autorité de labellisa-

vendu que 50 euros au lieu de 100.Cette perte de 50 euros que subissentles vendeurs fiables en changeant decomportement n’est pas compenséepar l’économie qu’ils réaliseraient enrefusant d’acquérir le label. Ils n’éco-nomiseraient en effet que 15 euros (3étoiles à 5 euros). En résumé, passer de3 étoiles à 0 n’est pas profitable pourles vendeurs fiables. On peut aussimontrer que toute autre déviation estdommageable pour eux29.

De la même manière, on peut mon-trer que les vendeurs non fiables n’ontpas intérêt à acquérir de label. Quelserait pour eux l’effet de l’acquisitionde 3 étoiles ? Ils bénéficieraient del’augmentation de prix : les consomma-teurs paieraient le bien 100 euros aulieu de 50. Mais ce bénéfice de 50euros ne couvrirait pas le coût d’acqui-sition du label qui représente pour eux75 euros (3 étoiles à 25 euros30). Touteautre déviation serait aussi domma-geable pour ces vendeurs peufiables31.

Les consommateurs, quant à eux,savent qu’in fine ils rémunéreront lesdifférents vendeurs, fiables ou non, auniveau de la disposition à payer adé-quate : le prix fort pour les fiables et leprix faible pour les autres. En effet,chaque consommateur – qui connaît lesdonnées du problème – est capable deprévoir le comportement rationnel desopérateurs : ils révéleront à coup sûrleur fiabilité réelle par le biais de la fia-bilité affichée. Les consommateurs n’ontdonc pas intérêt à changer de compor-

29. Acquérir plus de 3 étoiles n’est pas rationnel : on ne peut espérer, vu le comportement des consommateurs, un prixde vente supérieur à 100 euros ; or chaque étoile est coûteuse. De même, n’acquérir que 2 étoiles fait retomber leprix de vente à 50 euros : tout l’investissement en label est perdu.

30. Rappelons que le coût d’une étoile est plus élevé pour un vendeur non fiable. Tricher en se prétendant fiable est, vules contrôles, coûteux.

31. Ainsi, acquérir 2 étoiles ne permet pas de gagner les 50 euros d’augmentation de prix. Pourtant, cet investissementest coûteux. De même, acquérir plus de 3 étoiles est dommageable. Ce l’était dans le cas de 3 étoiles ; ça l’est icia fortiori.

32. Le lecteur qui le souhaite pourra montrer que toute situation initiale du type de celle décrite supra où nous remplace-rions le nombre de 3 étoiles par tout autre nombre compris entre 2 et 10 (ces deux valeurs non comprises) pourraitêtre un équilibre.

33. Voyons ici l’importance du système mis en place. Il doit être tel que cette propriété est vérifiée.

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observent des prix intermédiaires. Il y aalors potentiellement36 un phénomènede sélection adverse. L’asymétrie d’in-formation génère donc une inefficacitécollective. Cependant, cette situationva susciter un intérêt pour les opéra-teurs fiables : celui d’investir dans unsignal. Cet investissement est intéres-sant pour l’opérateur : il lui permet degagner plus. Mais cet investissementest aussi intéressant pour la collectivité :il permet de restaurer des échanges quiavaient disparu par un phénomène desélection adverse. Comme la mise enplace du système de labels est coûteu-se, le gain collectif dû à la réapparitiondes échanges est un peu atténué.

L’utilisation qui est faite ici de l’inté-rêt individuel des agents pour le labelpermet bien de rendre la régulationmoins coûteuse et moins lourde. Eneffet, ne sont labellisés que les opéra-teurs qui entreprennent une démarchepositive : une partie des opérateurs seu-lement. De plus, l’autorité de labellisa-tion se contente de vérifier, par descontrôles réguliers, certains paramètrescruciaux pour elle, sans vérifier la fia-bilité intrinsèque des sites. Une tellevérification serait en pratique très coû-teuse, voire impossible. Une structureadéquate des coûts d’obtention delabel permet de remplacer ce contrôlede la qualité intrinsèque des sites. Onse base alors sur une démarche qu’endéfinitive seuls les sites fiables entre-prendront !

tion, privée ou publique, qui facture uncoût à cette labellisation. Sans cettealtérité et ses contrôles, les signaux nesont pas crédibles (voy. au point 4.1l’échec de l’autorégulation pure).

c. Évaluation du système de labelli-sation

S’agissant maintenant d’évaluer pré-cisément cette situation d’équilibre, onvérifiera que le bien-être collectif estplus élevé que dans la situation où lesvendeurs ne pouvaient avoir recours aulabel. En effet, des échanges – ceuxrelevant des opérateurs fiables – ont étérestaurés : ils augmentent le bien-être.Notons cependant que le surplus estmalgré tout plus faible que dans lasituation de référence du point 3.2. Eneffet, la mise en place d’un système delabellisation engendre un coût pour lesopérateurs et donc pour la collectivité.Le surplus collectif vaut ici 1 500 (le sur-plus correspondant aux échanges surtous les marchés) moins 750 (le coût dela labellisation34), soit 750. En conclu-sion, on observe ici que le système delabellisation restaure une partie35 del’efficacité collective mise à mal par lephénomène de sélection adverse.

Le système particulier que nousavons décrit peut donc faire que l’inté-rêt individuel des agents soit utilisédans un sens qui intéresse la collectivi-té. L’interprétation de ce résultat est lasuivante. Les vendeurs fiables souffrentde la présence des non fiables : ils

34. Ce coût se calcule comme suit : 50 sites ont acheté 3 étoiles à 5 euros.35. Notons qu’avec d’autres valeurs de paramètres (de coûts par exemple), il est possible que le coût de la labellisation

soit plus important que le surplus lié aux échanges restaurés. Dans ce cas, le système de labellisation est inintéressantpour la collectivité.

36. Notons que cette sélection adverse pourrait, avec d’autres valeurs, ne pas se produire.

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qui garantiraient le sérieux descontrôles et l’indépendance des firmesde labellisation. Nous développeronscette notion d’indépendance au point5.4.

2. La labellisation proprementdite

Si le système mis en place offretoutes les garanties, le régulateur pour-ra alors se décharger de la tâche delabellisation proprement dite. Il s’agirad’accéder à la demande des vendeursen ligne qui exprimeront un tel souhait.Cette labellisation peut donc se fairesans aide d’un régulateur. Il faut seule-ment que les normes annoncées (decontrôles, d’indépendance, etc.) soientrespectées au cours de la période. Onvoit que le régulateur peut, sous cer-taines conditions, décentraliser lestâches de labellisation proprementdites. Ce point, nous le disions dansl’introduction, est justement celui quimet d’accord le secteur privé et laCommission européenne.

3. L’information des consommateurs

Dans notre exemple, un nombre de3 étoiles permettait aux consommateursde discriminer les sites. Nous n’avonspas précisé comment calculer cenombre – il y en avait d’ailleursd’autres qui permettaient d’obtenir cerésultat. Il peut être montré que ces dif-férentes valeurs critiques dépendentintimement des coûts (5 et 25 eurosdans notre exemple) d’obtention d’uneétoile. Dit autrement, les consomma-teurs ne pourront trouver un nombre

Voyons, à partir de ce qui vientd’être développé, que la labellisationpeut se décomposer en trois volets com-plémentaires. Si nous avons considéréjusqu’ici comme indifférent que lesfirmes de labellisation soient privées oupubliques, n’y a-t-il pas malgré tout uneplace particulière pour un régulateurindépendant ?

1. La mise en place du système

Le système de labellisation doit toutd’abord être mis en place. Mais toutsystème ne peut convenir : il s’agit deveiller à ce que les signaux émis à des-tination des consommateurs soient cré-dibles. Cette crédibilité repose sur lastructure du système : il faut que lessignaux émis révèlent les vraies carac-téristiques des vendeurs. Dans notremodèle simple, il faut que les vendeursfiables soient les seuls à désirer obtenirle label. Une telle situation sera obser-vée si les coûts de labellisation respec-tent certaines propriétés. Ainsi, unsystème où les contrôles sont peusérieux – il serait aussi facile pour lesvendeurs fiables d’obtenir le label – nepermettrait pas37 aux consommateursde trouver un nombre d’étoiles servantde base à des comportements d’achatdifférents. Les vendeurs ne seraient dèslors pas discriminés !

On voit bien ici l’utilité d’un premierrôle pour un régulateur indépendant.Comme certains systèmes mis en placepar des firmes privées pourraient s’avé-rer peu sérieux, un régulateur pourraitvérifier la qualité de ceux-ci en impo-sant, par un système d’accréditation,des normes – un « label des labels » –

37. Le lecteur vérifiera, par exemple, que si le coût d’une étoile est de 5 euros pour tous les opérateurs, aucun nombred’étoiles ne sera tel que seuls les vendeurs fiables décident d’investir en label.

55Les rôles du régulateur

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On voit donc que le régulateur, s’ilpeut se reposer sur des firmes privéesde labellisation, garde malgré tout unrôle de gardien du marché. Nousavons suggéré que ce régulateur indé-pendant puisse octroyer un label auxlabellisateurs et informer les consom-mateurs. L’enjeu pour le régulateurdevient donc la « récupération » effica-ce d’un processus qui a tendance à semettre en place de manière endogène,mais sans garantie totale d’efficacité.On voit donc que la place du régula-teur peut être, sous certaines condi-tions, intimement liée à celle du secteurprivé…

4. L’indépendance des entreprises de labellisation

Nous soulignions plus haut l’indé-pendance des firmes de labellisation,souvent prônée par les juristes qui s’in-téressent au marché du commerce élec-tronique. On pourrait, pour étayer cettevue, se demander ce que seraient leseffets économiques d’un système où lesvendeurs eux-mêmes mettraient enplace un tel système. Voyons ici en quoice type d’autorégulation aurait degrandes chances d’être inefficace pourla collectivité : il serait vraisemblable-ment basé sur le bluff.

Reprenons les trois aspects du systè-me de labellisation de cette section. Siles vendeurs avaient à mettre sur piedun système, ils auraient intérêt à faire –vu les impératifs de profit – que lescoûts de labellisation soient faibles,voire nuls. Ayant à opérer eux-mêmesleur labellisation, ils donneraient trèsfacilement le label (à tous…). Ils assu-reraient alors les consommateurs du faitque le label révèle effectivement les

d’étoiles qui leur permet d’y voir clairdans le marché que s’ils connaissenttrès précisément le système mis enplace et ses coûts. On ne peut raison-nablement faire cette hypothèse. Lesconsommateurs devraient alors être gui-dés dans leur interprétation des labels.On peut donc identifier un rôle neufpour le régulateur : celui d’informer lesconsommateurs sur le secteur et sur lessystèmes de labellisation existants. Lemythe de l’internaute éclairé risque eneffet d’être d’un faible secours dans cetype de choix.

Pour nous convaincre de l’importan-ce de l’interprétation des labels, imagi-nons que les consommateurs se« trompent ». Supposons par exemplequ’ils soient trop exigeants. Ils affiche-raient un comportement où ils se disentprêts à payer le prix fort (100 euros aulieu de 50) pour un niveau de12 étoiles, par exemple. Dans ce cas,aucun opérateur ne serait prêt àémettre de signal. En effet, les opéra-teurs fiables supporteraient alors uncoût d’émission de signal de 12 fois 5euros, soit 60 euros, alors que l’ac-croissement de recette ne serait que de50 euros. A fortiori, les opérateurs nonfiables – émettre un signal est plus coû-teux pour eux – refuseraient de le faire.En l’absence de signaux émis, lesconsommateurs ne pourraient discrimi-ner et on retrouverait donc le phéno-mène de sélection adverse ! Le lecteurvérifiera que des consommateurs troppeu exigeants – ils donneraient foi àdes labels d’une étoile par exemple –feraient que tous les opérateurs seraientprêts à investir dans le signal. Dans cecas, aucune discrimination ne pourraitdonc avoir lieu et la sélection adversese produirait à nouveau38.

38. Observant que tous les opérateurs ont le label, les consommateurs, incapables de discriminer, se rendraient comptedu fait que les opérateurs peu fiables ont le label aussi. Le signal émis serait non crédible. Les consommateurs révise-raient alors leur disposition à payer (ils feraient la moyenne) et le phénomène de sélection adverse se produirait denouveau.

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plus tard, après cette expérience ratée.Il est en effet dans son intérêt de repro-duire la situation décrite supra, tout enjurant que le système est sérieux. Dèslors, un système de labellisation endo-gène fiable risque bien de ne jamaisvoir le jour. De plus, si les consomma-teurs réalisaient d’emblée le risquecouru, ils ne donneraient même jamaisde crédit à un système de labellisation« endogène ».

Nous le disions en début de cettesection, on entend parfois dire que « lepoint de vue économique » justifie l’au-torégulation pure, mais que des impé-ratifs plus nobles (de justice, de respectde la vie privée, d’équité, etc.) plaidentpour un régulateur fort. On voit doncbien ici que le point de vue écono-mique – étranger, on le sait, aux impé-ratifs de profit – légitime, pour raisonde bien-être collectif, la place d’orga-nismes indépendants.

opérateurs fiables et que leur propor-tion est de 100 %. On observerait uneinflation de « codes de bonne condui-te » trompeurs…

Quelle serait alors la situation quiprévaudrait, au moins pendant une cer-taine période ? Les consommateurs,assurés de la fiabilité de tous les sites,émettraient une disposition à payer de100 pour tous les biens. À ce prix, lesprofits atteindraient des niveaux trèsélevés39 : les sites peu fiables réalise-raient des profits très élevés en flouantles consommateurs. Une telle situationoù les firmes trompent les consomma-teurs pourrait durer quelque temps (onne peut savoir « demain » si le site estfiable). Dès l’instant où les consomma-teurs réalisent qu’ils ont été floués etque les signaux ne signifient rien, ilsrévisent leur disposition à payer et lephénomène de sélection adverse sereproduit.

Il n’y a pas de raison de croire quele secteur des vendeurs fasse mieux

39. Le lecteur vérifiera que ces profits valent (100 – 80) 50 pour les vendeurs fiables et (100 – 40) 50 pour les vendeurspeu fiables, soit un total de 1 000 + 3 000 = 4 000.

66Les liens entre économie et droit

L’autorégulation est une situation oùdes règles sont émises par un grouped’intérêts privés à destination desmembres de ce même groupe.L’émetteur des règles n’est donc pas lacollectivité tout entière. Le destinatairede ces règles est ce même groupe res-treint. Dit autrement, émetteurs et desti-nataires se confondent.

Voyons que l’analyse économiquepermet d’affiner cette observation. Il y

Voyons en quoi ce qui vient d’êtredéveloppé permet de revenir, en lesnourrissant, aux questions présentéesau point 2.

1. Les caractéristiques de l’autorégulation

Pour définir le champ de l’autorégu-lation, par opposition à celui des règlesde droit ordinaires, le juriste avancedifférents critères.

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payer plus faible, c’est-à-dire une exclu-sion. Mais une autre sanction existe :celle du contrôle effectué par l’entrepri-se de labellisation. Sans un contrôlesérieux de ce type, le système ne peutêtre efficace. On voit donc qu’unenchevêtrement de sanctions est néces-saire pour que le système soit opérant.

Une dernière caractéristique del’autorégulation, souvent mise en avantpar les juristes, est son aspect volontai-re : se rallie à tel groupe celui qui lesouhaite et qui en accepte les normes.Cette liberté des opérateurs, l’analysenous l’a montré, est plus qu’une simplecaractéristique : elle est une des condi-tions de fonctionnement du système.Dans le modèle présenté, la labellisa-tion est basée sur un intérêt – et uneliberté – de l’opérateur à investir enlabel. S’il fait le libre choix d’investir, ilsera à juste titre considéré par lesconsommateurs comme faisant partied’un groupe distinct : celui des ven-deurs fiables. Certains vendeurs aurontun tel intérêt, d’autres pas. C’est préci-sément cette liberté des opérateurs quipermet, si le système est bien organisé,leur discrimination… Cette liberté estaussi à la base d’une régulation moinscoûteuse.

2. Le bien-fondé de l’autorégulation

Tout comme les économistes, lesjuristes se posent la question de savoirsi l’autorégulation, basée sur les inté-rêts privés, va dans le sens du biencommun. Le débat est souvent animéentre tenants de la régulation ordinaireet partisans de l’autorégulation. On yvoit souvent poindre des a prioritenaces.

L’analyse économique, centrée surle bien-être collectif – variante écono-mique du bien commun – nous montreque chaque cas de figure possède saforme de régulation appropriée. Ainsi,

a différents systèmes d’autorégulation.Les vendeurs pourraient tout d’abordémettre eux-mêmes leurs propresrègles. C’est le cas dans l’autorégula-tion pure du point 4.1 où tel secteurdéfinirait ses propres règles (cf. le« groupement de vente par correspon-dance » et ses garanties). C’est aussi lecas dans la situation où le secteur privémettrait sur pied son propre système delabellisation (cf. le point 5.4). Il y adonc des circonstances où des acteursressentent le besoin de s’imposer desrègles. La question est de savoir si cetintérêt rencontre l’intérêt collectif (cf.infra).

Nous avons aussi relevé un autrecas de figure d’autorégulation : lalabellisation effectuée par des entre-prises privées indépendantes des pre-mières. Si la collectivité n’émet pas larègle, voyons en quoi émetteurs et des-tinataires des règles ne se confondentcependant pas tout à fait. Dans ce casde figure, le régulateur peut aussi trou-ver un rôle particulier qu’il n’avait pasdans le cas de l’autorégulation pure.L’analyse économique nous montredonc que chaque situation particulièregénère sa propre forme d’autorégula-tion, plus ou moins efficace collective-ment.

Dans un système d’autorégulation,les juristes considèrent que la sanctionau sens classique du terme est souventinexistante. Elle est plutôt morale,comme l’est l’exclusion d’un agent –telle firme, vu son comportement, estmise hors du groupe. L’analyse écono-mique nous permet ici encore de confir-mer cette affirmation en la précisant. Ily a, dans le marché qui nous occupe,deux formes de sanction « non clas-sique ». D’abord, certaines firmes quin’entreprennent pas l’effort de labelli-sation requis ne peuvent signifier leurdifférence auprès du consommateur.Elles subissent alors, de la part de celui-ci, la sanction d’une disposition à

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firmes sont poussées par des considé-rations de profit ne suffit pas à écarterd’emblée toute forme d’autorégulationbénéfique pour la collectivité. Dans lecas du commerce électronique, nousavons cependant montré les limites del’autorégulation pure. De même, onaurait tort de croire au mythe de l’inter-naute éclairé. La fiabilité des sites apeu de chances d’être connue desconsommateurs : pour interpréter cor-rectement les signaux émis, cesconsommateurs doivent disposer deparamètres caractérisant le secteur.Nous avons ainsi identifié trois rôlespossibles pour le régulateur. Celui-cipeut donc effectivement veiller à ce quel’autorégulation soit efficace sansdevoir nécessairement la récupérerentièrement. Au terme de l’analyse, onvoit donc que le régulateur a une placeréelle.

4. La généalogie du phénomène

Une autre question que les juristes seposent est celle de la généalogie duphénomène de l’autorégulation.Quelles sont les conditions d’émergenced’un tel intérêt, pour certains acteurs,d’émettre eux-mêmes des règles ?

Un premier élément de réponse estapporté par l’analyse économique.Nous avons montré qu’une raisonessentielle de l’autorégulation est icil’asymétrie d’information. Certainsacteurs, souffrant d’appartenir à ungroupe hétérogène d’agents plus oumoins fiables, souhaitent se différencieren s’astreignant à des comportementscoûteux mais, in fine, bénéfiques poureux. Si le système est correctement misen place, ces comportements serontaussi bénéfiques pour la collectivité.

nous avons montré que dans certainscas, l’autorégulation pure va dans lesens du bien commun (cf. le cas de lavente par correspondance où la possi-bilité existe de vérifier la qualité dubien « demain »). Dans le cas du com-merce électronique, il y a des raisonsde penser, vu la nature des risquesencourus, que le secteur des vendeurssera incapable de mettre sur pied uneautorégulation pure crédible. Mais lacollectivité peut utilement se baser surl’intérêt des vendeurs pour mettre surpied un système crédible où un régula-teur indépendant et des firmes de label-lisation coexistent. L’indépendance deces firmes et le sérieux des contrôlessont des éléments cruciaux du système.

3. La récupération de l’autorégulation

Une autre question que les juristesse posent est celle de la récupérationéventuelle par le régulateur des règlesémises. Ces règles doivent-elles êtrerécupérées ? Sans modification ?

Nous avons montré que le secteurprivé a souvent intérêt à pratiquer l’au-torégulation en cas d’asymétrie d’infor-mation. À la collectivité de vérifier si lesconditions d’une autorégulation allantdans le sens de l’intérêt collectif sontprésentes. Le secteur, pratiquant l’auto-régulation, manifeste déjà un problè-me : l’asymétrie d’information etl’inefficacité collective qui en résulte. Lacollectivité a, quant à elle, à examinerles caractéristiques du système endogè-ne et, connaissant les risques intrin-sèques d’un tel système, à mettre enplace, le cas échéant, un autre systèmegéré par la collectivité ou visé par elle.

Ainsi, on a vu que le fait que les

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l’économie et le droit. Il est souventutile, pour trouver des solutions à unproblème posé, de disposer de « repré-sentations » de la réalité. L’économiepure, grâce à ses modèles, en fournitquelques-unes. La doctrine juridique etl’économie pure peuvent donc êtrecomplémentaires… si l’économie estprise pour ce qu’elle est, un regardsocial particulier qui, tout comme ledroit, est étranger aux considérationsde profit.

Certaines phrases révèlent uneméconnaissance de l’économie. Citonspar exemple : « Il faut remplacer lamain invisible par la main citoyenne »entendue lors d’un séminaire interdisci-plinaire. Nous pourrions, nous aussi,inventer des propositions tout aussi per-cutantes, mais vides de sens, comme« il faut remplacer la loi du marché40

par la loi ». Ces affirmations révèlentque l’économie est souvent prise pourun discours simpliste, plus centré surdes considérations de profit que surl’intérêt collectif. À ce genre d’affirma-tions, nous substituerions plutôt laconclusion suivante.

L’analyse économique – nousvenons de le démontrer dans cetteétude du secteur du commerce électro-nique – permet de comprendre les cir-constances multiples et variées où le« marché » (non pas les firmes elles-mêmes, mais un processus décentraliséde rencontre entre agents) ne joue passon rôle. La main invisible (non pas le

Au terme de l’analyse, l’autorégula-tion se révèle une voie de solution inté-ressante dans le secteur du commerceélectronique. Elle est apte à restaurer laconfiance dans un secteur où la méfian-ce a des effets de contagion. Mais l’au-torégulation ne peut être considéréecomme une solution unique ou figée.Ainsi, nous avons vu que différentesformes d’autorégulation existent, cer-taines formes étant plus appropriéesdans certains cas de figure. Nousavons aussi souligné qu’une autorégu-lation ne peut réussir que si certainesconditions de crédibilité sont remplies.Dans le cas du commerce électronique,nous suggérions une autorégulation oùl’indépendance des entreprises delabellisation est garantie et où lesconsommateurs sont régulièrementinformés sur les labels utilisés.

Nous avons donc identifié uneplace pour le régulateur indépendant :même s’il n’effectue pas la labellisationproprement dite, il peut, par sonaction, rendre le système plus crédible.Cette place peut aussi être prise aprèsque le mécanisme ait fonctionné demanière autonome. En donnant uneplace au régulateur, nous soutenonsplus volontiers les vues de laCommission européenne que celles dusecteur privé.

Lors de cette analyse simplifiée dusecteur du commerce électronique,nous avons montré l’intérêt d’un dia-logue entre des disciplines telles que

40. Il est intéressant de noter qu’aucun manuel d’économie ne décrit cette fameuse loi du marché : elle est un pur fantas-me, tantôt déifié, tantôt diabolisé, des tenants du discours simpliste. Tous les manuels d’économie s’entendent pour direque le recours au mécanisme de marché est un choix collectif – il ne s’impose pas – et que d’autres voies d’organi-sation existent (citons le monopole public régulé). De plus, si la voie choisie était d’organiser une concurrence danstel marché particulier, la collectivité garderait toujours en main une série d’outils d’intervention, qu’ils soient de typeincitatif ou coercitif.

66Conclusion

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Elle a pourtant tout intérêt à être com-plétée par les regards d’autres disci-plines, telles que le droit, qui adoptentdes critères d’évaluation souventproches et déclinés dans des conceptscomplémentaires.

pouvoir des firmes, mais la force qui,dans certaines circonstances particu-lières, rabote leur pouvoir et s’impose àelles) ne joue alors pas son rôle derégulateur de l’efficacité collective. Unetelle analyse économique est citoyenne.