la page blanche · vain continue l™ancienne expØrience, il ne s™ouvre pas pour une vie...

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lapageblanche lapageblanche la page blanche novembre/dØcembre (2004) numØro (34)

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    ela page blanchenovembre/décembre(2004)numéro(34)

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    ple poèmesi

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    simplepoème

    Effacement Un albatros est venu mindiquer la voieJe lui ai murmuré, pâlie, ton nomProtégée dans les plis de mon châle. Il y a des taches de baisers sur les lézardes de ma maison,Un il jauni me regarde encore par ma fenêtreEt lempreinte sanglotant de ta main sur mon litMaccueille là où je cache mon désir. Je te regarde à travers ce voile de pétalesDans mon deuil de jeune prostituéeLécume caresse mes piedsEt les sirènes me chantent mon plaisir.Je ferme mes yeux et je me laisse emmener par ce ventPar ces morceaux de pavots, les efß uves dune extase. Mon corps réclame la libertéSans voix, je tourne dans le cercle de mon videDans mon délire, je crois te reconnaîtreJe crois voir tes griffuresLa poudre de tes fatigues ..tout est ß ou.Le souvenir, les caresses. Où es-tu ?Je pensais tavoir aperçu derrière le rideau. Mais cétait mon reß et.Le déchirement de la sèveSur le seuil rouillé de mon élan.

    Sylvia Stramenga

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    ito

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    lé d i t o r i a l

    La chrysalide et le papillon

    Ce qui fait que la question de lémi-gration des écrivains soit spéciale-ment stimulante cest le fait, apparem-ment paradoxal, que pour les écrivains lexil a assez peu à faire avec le ter-ritoire. Pour être plus clair : en général, dans le cas de lécrivain, le changement de pays est également un changement de langue littéraire situation si riche en conséquences, humaines et artistiques dans le même temps. Autrement dit, si le changement de langue littéraire ne se produit pas, pour les auteur duvres lit-téraires se dépayser est seulement une modiÞ cation de domicile. Leur condition civile change leur condition décrivain reste la même. (Si on fait parfois des tra-ductions dans la langue du pays dadop-tion, ça nest le signe daucune appro-che signiÞ cative: le mental de cet écri-vain continue lancienne expérience, il ne souvre pas pour une vie spirituelle différente; il reste toujours occupé par son milieu culturel dorigine.) Dans sa pensée, un tel auteur reste toujours « envahi » par le pays dorigine, par la mentalité de là-bas, suivie, attentive-ment, depuis loin. Il reste déÞ nitivement centré sur son milieu culturel originaire.

    Pour lécrivain le dépaysement com-mence donc avec le changement de la langue lécrivant habitant non seule-ment dans un pays, mais encore (et sur-

    tout) dans une langue. On na pas dit en vain que la langue est la patrie du poète Dici, une nouvelle situa-tion paradoxale. Du point de vue lit-téraire on peut quitter son pays sans bouger du domicile en optant pour une autre langue dexpression littérai-re Si jécris maintenant en français, je me dépayse, même si je nai pas changé de coordonnées spatiales. Je deviens un élément plus ou moins actif dans la cul-ture française et, dans la même mesure, je le suis moins pour la culture rou-maine Cest, probablement, ce quont senti les membres du groupe surréaliste roumain (y compris Gherasim Luca) quand ils ont commencé à sexprimer directement en français (même sils ont gardé, pour un certain temps, aussi le roumain).

    Je crois que cet expérience le transfert dun « je » dune langue à une autre cest la plus extraordinaire expérience de lexil. Et, en conséquence, le seule critère sérieux pour organiser lexil. Les caractéristiques dune telle catégorie sociale (les écrivains qui arrivent dans une langue par une autre voie que celle naturelle) découlent de là, parce que tout écrivain qui veut vraiment réaliser ce transfert tient à sintégrer dans un nouvel ordre culturel, dans une nouvelle manière de percevoir la réalité, de sentir le monde, etc. Il veut se réveiller un jour, pour de bon, dans un nouveau monde, son espace culturel de choix. Cest pas du cinéma propre à tout artiste gâté le fait que Cioran a refusé, pour un temps, de parler le roumain. Qui veut sinsérer avec succès dans un autre monde doit quitter lancien. Lexpérience est peut-être triste, peut-être même dramatique mais, pour la faire bien, on ne peut pas la faire autrement Je pense, pour ça, que les débats et les essais dorganiser les-pace littéraire issus du changement de

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    sommaire

    som

    ma

    irepatrie doivent se coaguler autour dune telle réalité.

    Cest vrai, pourtant, que pour lattitude courante il est autre chose de plus impor-tant le critère de la nationalité : doù nous parvient un transfuge ou un autre, dans quelle mesure il « nous représente » ou « les représente», etc. Des choses, donc, qui regardent plutôt la collectivité que lindividu

    Jai été incité à ces observations par la parution de quelques livres dans la col-lection Les Étrangers de Paris, de la maison dédition Oxpus. Ces Les Étran-gers de Paris sont, ici, Les Roumains de Paris et la collection, dirigée par Basa-rab Nicolescu, compte des livres sur quelques roumains plus ou moins célè-bres. Après un livre qui est, je crois, une présentation générale (Roumanie, capi-tale… Paris, guide du Paris des artistes et écrivains roumains), ayant pour but de familiariser les intéressés avec la dimension du phénomène, dans la série ont été publiés des livres ayant comme titres Benjamin Fondane, Gherasim Luca, Cioran, Mircea Eliade, roman-cier, Victor Brauner. Pas facile à trouver le critère de la sélection. On a trois artis-tes modernes, deux écrivains et un pein-tre, tous proches du surréalisme (Ghe-rasim Luca, Benjamin Fondane, Victor Brauner), mais les deux autres (Cioran et Mircea Eliade) nont rien à faire avec lavant-garde Dautre part, aucune unité en ce qui regarde le problème que jai évoqué plus haut: Cioran est devenu un « grand styliste » de la langue fran-çaise par contre, Mircea Eliade sest vanté de sa conséquente option pour la langue roumaine : il a rédigé des textes scientiÞ ques en français ou en anglais, mais son uvre littéraire est rédigée seu-lement en roumain

    Le seul critère qui peut être donc invo-qué cest lorigine roumaine des auteurs et le fait quils sont plus ou moins bien connus dans le milieu français. Mais, pour rester à ce point, il faut dire que bien dautres écrivains et artistes provenant de Roumanie ont trouvé comme pays dadoption la France. On peut énumérer, parmi les écrivains plus connus, Panait Istrati, Tristan Tzara, Ilarie Voronca, Isi-dore Isou, Paul Celan et, pour les autres artistes, Constantin Brancusi. On peut trouver, sans doute, des liens étroits entre les roumains de Paris, établis dans la vie littéraire roumaine, avant que les bol-cheviks eussent occupé déÞ nitivement le pays. Dans son très documenté livre Gherasim Luca, Petre Raileanu nous parle, par exemple, de la provocation, devenue le point fort du groupe sur-réaliste de Bucarest, « exigence qui, selon Gellu Naum, aurait Þ ni par écar-ter plusieurs prétendants, parmi lesquels Paul Celan et Isidore Isou ». (Petre Raileanu, Gherasim Luca, Oxus, 2004, p. 98). Voilà, en une seule scène, dans le Bucarest des années 45, Gherasim Luca, grand poète français après la guerre (« un grand poète parmi les plus grands » - Gilles Deleuze), Paul Celan, grand poète de langue allemande et Isidore Isou, le père du lettrisme (qui na pas eu, quand même, dactivité litté-raire en Roumanie)

    De cette collection, « Les Roumains de Paris », jai lu deux volumes, Gherasim Luca, de Petre Raileanu et Benjamin Fondane, de Olivier Salazar-Ferrer. Je nai pas ici lespace de parler ample-ment comme ils le méritent! de ces deux livres. Il sagit de précieuses con-tributions dans la bibliographie des ces auteurs. Petre Raileanu, un des meilleurs connaisseurs de lavant-garde roumaine, fait une très compétente présentation du cercle roumain des surréalistes dès

  • 6 éditorial

    éd

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    ria

    lannées 1940 1947, dans lequel Ghera-sim Luca a eu un rôle de choix. Il faut dire que cest un moment dhistoire lit-téraire encore pas très bien connu même des historiens littéraires de Roumanie. Létude soigneuse de Petre Raileanu nous montre Gherasim Luca dans le contexte littéraire de son groupe décri-vains et artistes, dans son entourage rou-main, dans sa complexité et son mys-tère parce que, comme toujours dans lexistence surréaliste, reste au moins un grain de mystère On voit le poète rou-main préparé pour sa destination litté-raire française

    Le livre de Olivier Salazar-Ferrer Sur Benjamin Fondane (il a signé B. Fun-doianu en Roumanie) a mis un accent plus fort sur le destin français de son auteur. Celui là, dailleurs, a émigré assez tôt, en 1923, à lâge de 25 ans La reconstitution de son trajet français est minutieuse, on dirait que lauteur connaît tout sur Benjamin Fondane et encore plus et que son souci est de ne pas manquer de nous présenter les épi-sodes marquants, de sauver dun égare-ment dans la profusion des détails.

    Dans les deux livres on sent lattrait des deux critiques pour le transfert des deux poètes de lunivers roumain en celui de la France. Leur intérêt pour la chrysalide qui va offrir les papillons

    Deux livres quil faut, simplement, lire.

    Constantin Pricop

    é d i t o r i a l

    la page blanchenovembre/décembre(2004)numéro(34)

    simple poème 03Effacement de Sylvia Stramenga

    éditorial 04La chrysalide et le papillonpar Constantin Pricop

    poète de service 07 Philippe Nollet

    moment critique 10L’image Rompue par Hakime Mokrane

    cultures 14Autre Eden par Anne-Laure Lamarque Henri Cartier-Bresson par Valery Oisteanu

    notes de lecture 19Ellespar Blandine Longre

    Ensemble 22Moments d’îles de Florence Noël et Stéphane MeliadeL’entre-deux de Sylvia Stramenga

    séquence 33Pays de l’ennemie (suite)de Frédéric Pouchol

    latelier de traduction 35Robert SerbanAdemar Ribeiro

    notes de sophie 43

    e-poésies 46Philippe Bray, Serge Marlot, Stéphane Méliade, Thierry Brunet, Hervé Chesnais, Sophie Bykovsky, Jean-Michel Mayot, Arno Calleja, Pierre Lamarque

    s o m m a i r e

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    deservice

    de

    serv

    icep o è t e d e s e r v i c e

    Philippe Nollet

    Je suis né en 1963 à Lille. J’ai quitté l’usine à 38 ans. Ne reste que l’écriture, qui prend bien assez de place comme ça.

    Objectivement et pour chaque jour,chaque chose est à sa place :

    voilà bien la malédiction.Je suis légaré, sans parcelle aimante,

    dont la solitude indifférente à toutest inversée,

    installé dans mon écritureet Þ dèle à ce quelle mordonne.

    *

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    po

    èt

    e

    poèt

    e de

    ser

    vice Voilà de beaux éclats de vie

    de lautre côté des surfaces :

    les guêpes butant contre les vitresavec juste ce quil faut damour,

    sans oublier le rire vif-argentdans le déferlement des nuits.

    Les souvenirs denfance ne tombent pas du ciel.

    *

    Chaque nuit un ange passeet vous ramène à la maison,son bras gauche portantun garrot sanglant.

    Voyez la beauté étrange du bitumelorsque les voitures se croisent,et de mêmecette ondulation de pétrole,était-ce un frisson de désir ?

    *

    La foudre a frappé quelque partet la main cherche delle-mêmele chien qui la mordra -et rien ne bougeque cette image ß oueque lon a de soi-même -et rien ne jaillit ni nafß eure de ces régions perdueset tellement intimesque laube ne les nourrit plus -cest ainsi que jécris aujourdhui.

    *

  • 9

    deservice

    de

    serv

    iceSeuls les enfants remontentvers une source inlassable.

    Les seins de leurs mères refusentde se laisser saisir.

    Femmes en blouse de lin bleucomptant les jours.

    Tout un désordre de mains nuesoccupées à coudre.

    *

    La bête a rampédans les plis de sa robe.

    Satin :la pudeur menacée.

    Vivre de pleurer dans des nappes de douceur

    et de reprendre les motsau sens quils ont laissé.

    *

    Philippe Nollethttp://philippe.nollet.free.fr

    p o è t e d e s e r v i c e

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    me

    ntm o m e n t

    c r i t i q u e

    L’image rompue L’écriture poétique de Char sous le signe de la rupture

    Texte de jouissance : celui qui met en état de perte, celui qui déconforte ( peut-être jusquà un certain ennui ), fait vaciller les assises historiques, cultu-relles, psychologiques du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage.

    R.Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, coll. «Tel Quel», 1973, p. 25-26.

    En guise dintroduction

    Limage, peut-on lire dans le Petit Robert est « une reproduction exacte ou analogique d’un être, d’une chose ». Dans son livre L’image et les signes, Martine Joly nous donne une déÞ nition complémentaire en lappréhendant comme «quelque chose qui ressemble à quelque chose d’autre , et au bout du compte, comme une représentation analogique principalement visuelle. » 1 Une image serait donc quelque chose de perceptible qui évoquerait une réalité

    concrète ou abstraite en raison dun rap-port de similitude, danalogie, bref, de ressemblance. Or, dans la création, la notion dimage, nécessairement ambi-guë et fuyante, nest pas sans poser quel-ques problèmes dimportance.La volonté dun poète tel que Char de se lancer à la poursuite de la vie qui ne peut être encore imaginée 2, de considé-rer la poésie comme la vraie vie à l’en-droit victorieux du temps 3, son souci permanent dhabiter lespace, dappro-cher le réel immédiat, de trouver un lien privilégié avec le monde sensible en acceptant son irremplaçable fragilité suppose paradoxalement quil ne puisse sarrêter sur la chose concrète. Si le cas se produit, cest inéluctablement vers une écriture des clichés, métaphorique, stéréotypée, que nous conduiraient ces arrêts sur image, loin du mouvement continu de transformation de la vie elle-même.

    Aussi, que nous la considérions comme représentation ou imitation, analogie ou métaphore, allégorie et fantasme, cette présence recherchée par le poète, ce lien convoité suffoque dans limage qui con-vertit lunicité en duplicité. La réalité étant, écrit Char, « la moins saisissable des vérités » 4, nous allons voir comment limage, travaillant à sa perpétuation, ne peut demeurer quau prix de sa propre destruction

    1 Martine JOLY, image Þ xe, Paris, Nathan, 1994, p.24.2 Fureur et mystère, p. 258. Sauf indication con-traire, les références renvoie aux uvres complè-tes de René Char, coll. «La Pléiade», Gallimard, 1985.3 Arrière histoire du Poème pulvérisé, p. 12934 Recherche de la base et du sommet, p. 647

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    oment critiquec

    ritiques

    cri

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    ue

    sLécriture sinscrit sous le signe de la ruptureUne rupture essentielle sinscrit au cur de chaque poïèse, contradic-tion insurmontable tout entière contenue dans le paradoxe de la nomination : lap-propriation de ce que lon nomme est expérience du retrait et de la séparation . Ce recul à la fois volontaire et nécessaire est inhérent à la création. Il suppose une mise à distance non seulement suscepti-ble de permettre le Dire du poète mais également de découvrir la secrète cor-respondance des choses entre elles. Ces choses, dont lambition du poète est de montrer la coïncidence dans linstant ne sinscrivent pas dans une co-présence harmonieuse ou une connivence natu-relle. Cest toujours à un dialogue con-ß ictuel des réalités entre elles que nous sommes conviés dans la poésie de Char.

    Luvre porte en elle les traces du travail de la rupture

    Si la fonction du poète son projet poétique est bien de lier ce qui est désuni, dassembler des éléments dispa-rates, de dépasser la contradiction sujet/objet, monde profond/monde extérieur, son écriture vise à réconcilier dans un moment privilégié lêtre et le monde. Cest en effet de poétique dont il sagit, non au sens aristotélicien de réß exions à la fois descriptives et normatives sur la façon de faire œuvre d’art 5 mais au sens valéryen de poïétique 6, de « pro-cessus de la création », de connaissance de luvre dans lacte de son engendre-ment. Cette poétique, façonnée par les sèmes du devenir et de laltérité, font de chaque poème de Char un franchisse-ment, une écriture travaillée par la ten-sion du seuil. Le franchissement de la réalité donnée au proÞ t dune réalité que

    le poète juge plus digne, plus vraie, est fondamentalement Rencontre. Cette ren-contre est à la fois un lien et une sépara-tion. En me liant au nouveau, elle mar-rache à ce qui préexiste. Ce leitmotiv dune union rythmée par lalternance de lalliance et de la dispersion, du lien et de la séparation révèle non seulement lalliance des poèmes entre eux mais un rapport plus fondamental à lAutre, à lInconnue, à la femme fugitive et insai-sissable. Le poète est, face à la poésie, insoumis et courbé 7, dans une situa-tion paradoxale entre magnétisme ensor-celant et servitude accablante. La poésie est tout autant appel dune force régé-nératrice quoffense et souffrance - Je sais, Amie, que l’avenir est rare 8 écrit Char. Elle est lAmie qui ne restait pas - la sur, la femme, lamante mystérieuse et fantasque que le poète poursuit de ses assiduités avec une ardeur dautant plus vive que la rencontre est difÞ cile et éprouvante. Elle celle qui, trop rarement sans doute, désaltère l’espérance 9, sabandonne et se dérobe. Cette jubila-tion vécue dans linstantanéité de lex-tase naît précisément de la possibilité quoffre le poème de vaincre, fût-ce tem-porairement, une chronotopie porteuse de mort par la constitution dun espace imaginaire. Lespace ainsi entendu nest

    5 La Poétique dAristote, théorie philosophique de la création artistique, est articulée autour de trois concepts-clés, intimement liés et complémentai-res : celui de poihsiV (action de faire, de créer), celui de dunamiV (potentialité active ou passive), et celui de mimhsiV (imitation).6 « étymologie, sans oser cependant le prononcer Poïétiqueest enÞ n la notion toute simple de faire que je voulais exprimer. Le faire, le poïein appe-leresprit », Première leçon du cours de poéti-que, in uvres I, Paris, Gallimard, 1959, p. 13427 Le Nu perdu, p. 4808 Aromate chasseur, p. 5209 La Parole en archipel, p. 153

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    ritiq

    ue pas le résultat immuable dune dialecti-que bipolaire mais bien un espace limi-nal incandescent marqué du sceau de laltérité et façonné par labsence. Et cest cet espace qui constitue le véritable site de la poésie. Si lalternance du lien et de la rupture rythme lensemble de luvre, cest quil est essentiellement question de mort et de résurrection, dal-ternance vitale, de révolution cardiaque rejetant la séparation déÞ nitive et paraly-sante des contraires. La dysphorie inß i-gée par lexistence est temporairement suspendue par leuphorie consentie dans un espace-temps différent à même de produire léclair/éclat du chant jubi-lation intensive, extensive et protensive faisant du texte un point acméique, un sommet réclamant sa base. Le comble crée le vide et ce sommet ne saurait sédiÞ er sans quun abîme ne se creuse. Un principe inhérent à ce monde des forces gouverne ces véraisons successi-ves, préside au déploiement de toutes les virtualités enveloppées dans le germe de lécriture. Aussi nest-il ni leffet de quelque mystérieux processus exté-rieur ni le simple aboutissement dune évolution interne mais constitution dun champ spatio-temporel continuellement en mouvement, corrélations tensionnel-les faisant du principe de compensation la loi la plus constante de la poésie de René Char.Ce nest donc pas à laide dimages extraites de ces champs de force gla-nées au hasard des lectures, rassem-blées ou isolées arbitrairement que nous pourrons nous Þ gurer le dyna-misme de cette fonction compensatrice. Ces épiphanies successives trouvent leur équivalent dans l’éclosion multiple de l’image arrêtée et retenue, image nais-sante, toute encore à la joie d’être, aux prises avec ses volutes et son éclat, éprise de son jaillissement 10.Cest dans cette grâce éphémère que le

    poète trouve la compensation de sa dis-grâce 11, par substitution régénératrice. L’éclair me dure 12 écrit-il sacrali-sant ces instants où les Heures épou-sent les dieux 13 tout en sachant que léclair ne peut durer indéÞ niment. 14 La complète faveur 15 éprouvée lors-quil acheva le poème Madeleine qui veillait 16, folle faveur [] à laquelle nous ne pouvons nous soustraire 17, est suivie une intense solitude 18 précédant la chute, une tomb[ée] au gouffre 19. Ces faveurs accordées ne sont peut-être rien dautre que cet ordre fragile main-tenu en suspens par l’alliance de l’ab-surde et de l’amour 20 état de grâce dans lequel plus rien ne pèse ni nélève, où laction combinée de forces antago-nistes sannule. Léquilibre atteint nest autre que cet intervalle singulier [qui] n’est pas apparenté ni mesurable 21, espace liminal, écart minimal :

    Entre télescope et microscope, cest là que nous sommes, en mer des tempêtes, au centre de lécart, arc-boutés, cruels, opposants, hôtes indésirables. (AC 516)

    10 Recherche de la base et du sommet, p. 69311 Le Marteau sans maître, p. 4912 La Parole en archipel, p. 37813 Ibid., p. 38014 Faisant part à Daniel Leuwers de la difÞ culté dêtre, Char lui aurait conÞ é : Rimbaud a eu le privilège une existence éphémère. éclair ne peut pas durer indéÞ niment. in René Char, dit-elle, est mort, récit oblique, Bourges, Amor Fati, 1990, p. 59.15 Recherche de la base et du sommet, p. 66516 Ibid., p. 66317 Ibid., p. 63118 Ibid., p. 66519 Ibid., p. 63120 Chants de la Balandrane, p. 53621 Aromate chasseur, p. 519

  • 13

    critique

    cr

    itiq

    ueDes lignes de forces ou schèmes organisent et produisent concurremment lespace instable et changeant où sopè-

    rent ces jeux de compensation neutra-lisante. Lespace du texte quil va fal-loir apprendre à déchiffrer nest pas un en-soi (Newton), un concept logique (Leibniz), ou une forme a priori de notre intuition (Kant). Ces perceptions en font un milieu statique indifférencié où se situent tous les corps et tous les mouvements alors que lénergie poéti-que requiert plutôt une considération de ces corps comme forme spatiale en mouvement, comme espace migrant. À travers ce jeu de tensions intimes interactions polémiques de ces lignes de forces , une temporalité singulière rythme le mouvement du texte et permet den appréhender le sens. Cette mise en sens fait du rythme non pas un principe interne dorganisation antérieur à toute manifestation mais une forme en deve-nir, une forme sappelant.

    Ainsi, dans tout processus créateur, limage, travaillant à sa perpétuation, ne peut demeurer quau prix de sa propre destructionTelle est en effet la fonc-tion de limage poétique qui est dac-coupler des réalités discordantes par le truchement desquelles chacune accède non seulement à la capacité de se dire davantage, de se dire autrement, mais concours à la venue dune réalité dis-tincte. La lecture dun poème ne saurait en effet se faire à partir dun système de représentation traduction plus ou moins Þ dèle de ce qui fut mais bien dans laccueil réservé à la création, dans la rencontre quil nous est donné de faire avec un espace dans et par lequel des liens se tissent pour donner naissance au Réel.

    Situer linstant et le lieu de la rupture où se créent dautres chemins, en ce point des possi-bles, ce point de liberté.

    Cette « stratégie de la rencontre » nous permet de situer lémergence des possibles au sein de la rupture. Elle seule permet léchancrure, cest-à-dire louverture à lespace viviÞ ant du poème. Cest cette fêlure constitutive de limage qui lui permet dériger lespace quelle traverse, de produire cet espace dans lequel elle voit se lever des échos insoupçonnés et résonner lindicible, un espace qui lui permet daller plus avant et de découvrir son sens : un itinéraire spiralé dessinant une géo-poétique sin-gulière attestant de la cohérence de lu-vre. Ce sont les schèmes de constric-tion et dexpansion qui vont permet-tre une absorption de létendue dans lespace le plus exigu qui se puisse con-cevoir et une consomption de la durée en un point central, fertile, à partir duquel émerge une réalité tout à la fois même et autre. La dynamique acméique et explosive du poème trouve ainsi sa source dans cette extrême densité.

    Hakime Mokrane

    m o m e n tc r i t i q u e

  • 14 culture

    cu

    lt

    ur

    ec u l t u r eLes processus de création

    et l’écriture chorégraphique

    1- Les trois premières semaines déla-boration de la pièce « Lautre Eden »

    par la compagnie Robinson-

    Lorigine et le moteur de lélabora-tion de ce projet sont la vision artis-tique du chorégraphe, son envie de la faire émerger et de la modeler. Le choix du thème de la pièce est donc détermi-nant : il devient le cadre de lexploration artistique de chacun des interprètes. Je me suis ainsi intéressée aux façons dont ceux-ci ont donné vie à cet univers et au rôle du chorégraphe tout au long de cette exploration.

    Un élément me semble fondamental dans cette démarche chorégraphique : les liens entre le thème de « Lautre Eden », la vision philosophique et sym-bolique du monde qui le structure, et sa mise en uvre artistique portée par les interprètes. Ainsi, lensemble des questions quotidiennes posées par la démarche de construction chorégraphi-que, cest-à-dire le traitement artistique du thème, ne se dissocie pas du thème lui-même et des questions quil provo-que.

    La relecture du mythe de lEden relève dune recherche de lessence de lhomme et de ce qui détermine son existence. Il sagit dun questionnement autour de la « loi », cest-à-dire du déroulement du monde et de la vie : les cycles de la nature, des espèces animales, humai-nes... « Lautre Eden » permet de traiter en particulier la multiplicité des attitudes que peuvent adopter les hommes face à la condition humaine (la naissance, la vie, la souffrance, la mort).

    Parallèlement, ces trois semaines de recherche ont permis la mise en ques-tion des rapports de chacun des artistes au monde, à soi, à lautre, à lart Ce fut un moment dexploration de les-sence de chaque être/artiste relayée par la problématique du langage, des mul-tiples paroles possibles pour traduire lépure, lessentiel : le « vivant » dans tous ses états.

    Tel un rituel, ce moment délaboration artistique rejoue le mythe de la création, met ainsi en scène et questionne la com-plexité quotidienne.

    Le questionnement sur la place de lHomme (et celle de lartiste) dans le monde nous amène au cur dun espace où la rencontre avec lAutre, loin dêtre une évidence, devient nécessairement un enjeu. Nous sommes plongés dans un temps et un espace au sein desquels la société nexiste pas, cest une abs-traction. Les individus créent par leur présence des situations collectives sans pour autant faire émerger une cohésion, un groupe, une communication. La situa-tion de groupe est lespace des expres-sions individuelles au sein duquel les liens entre les individus sont hasardeux et restent à construire.

  • 15culturec

    ulture

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    lt

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    eA ce niveau sexpriment la complexité des rapports sociaux et humains et, plus largement, la complexité du rapport de lhomme au monde.

    Les artistes, dans lélaboration de leur langage poétique, mais aussi le spec-tateur, participent à un processus de déconstruction et de reconstruction du réel, des évidences. On voit ainsi appa-raître des expressions multiples de lhu-manité et du vivant : lanimal, le végé-tal, lhomme rampant, se mouvant, marchant, dansant, se hissant, chutant, naissant, mourrantsoufß ant, vocifé-rant, criant, riant, parlant Autant de facettes qui expriment lhumanité dans sa globalité, dans son rapport vivant au ciel, à la terre, aux élémentsau « même », à « lautre » et qui montrent que devenir et être un homme ne tient pas de lévidence !

    A ce stade de la création, les interprètes se sont appropriés le thème à la fois à travers lexploration de leur propre uni-vers et dans la transformation et laffû-tage des langages artistiques.

    Cette création est donc un ouvrage col-lectif : les interprètes sont à la fois vecteurs et acteurs dune vision artisti-que. Celle-ci sancre dailleurs dans un ensemble symbolique plus large : elle est le reß et dun système symbolique de pensée qui traduit un rapport particulier au monde, celui du chorégraphe.

    La transmission dun rapport au monde singulier et son expression collective souligne la relation pédagogique et dia-logique entre le chorégraphe et les inter-prètes.

    Les processus de transmission de ce sys-tème de pensée sopèrent à la fois par

    la présence du chorégraphe parmi le groupe, par sa parole, mais aussi par la mise en mouvement des interprètes de tout un réseau de symboles et de repré-sentations.

    Les artistes sont alors les acteurs dun processus dintériorisation et dincorpo-ration individuel et collectif dun sys-tème de pensée.

    Les interprètes « incarnent » la vision artistique du chorégraphe, en ce sens quils véhiculent et matérialisent des élé-ments symboliques et imaginaires par le biais du corps et des langages artisti-ques. Mais ces va et vient nexistent que parce quils sont nourris par les indivi-dus qui les mettent en uvre.

    Ainsi, le travail délaboration artistique suppose un travail de recherche et dex-ploration des « profondeurs » de chacun des interprètes.

    Lélaboration dune méthode a donc été indispensable pendant cette période de recherche. Le point de départ de celle-ci a été la démarche improvisée qui permet une véritable confrontation des êtres et des langages.

    Chaque improvisation est précieuse car elle fait surgir ou au contraire dissimule les êtres et leur complexité. Cest à tra-vers la confrontation à linstant, à lur-gence dêtre présent dans un espace donné, que petit à petit, les artistes ont développé et afÞ né avec justesse et sin-gularité leur langage. Il sagissait donc dun travail quotidien dexploration de linstant, de lêtre au présent.

    Mais limprovisation nest pas en soi une méthode complète pour parvenir à lélaboration dune vision artistique. Ces

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    re trois semaines ont donc été un champ dexpérimentation pour la construction dune méthodologie. Le but ? Parvenir à élaborer une écriture chorégraphique non Þ gée qui laisse ouvert le champ de limprévu mais permette de traiter Þ ne-ment le thème et soutienne les interprè-tes dans le développement de lexpres-sion artistique.

    Le travail de recherche articule plusieurs dimensions :

    - Lémergence des langages artisti-ques inhérents à chaque interprète à tra-vers un travail sur lêtre et ses langages et le développement de multiples métho-des techniques, expressives

    - La confrontation des êtres et des langages à travers le développement de procédés techniques et expérimentaux permettant de passer dun registre à un autre (le clown, la danse, la musique) et dun espace poétique à un autre, pour aboutir à une cohabitation au sein de laquelle lenjeu est la rencontre.

    - La confrontation des êtres et des langages au sein dun espace scénique à travers le développement de la cons-cience du tissage de la dramaturgie, de lespace, du rythme

    Lensemble de ce travail questionne lécriture chorégraphique. Celle-ci étant en effet, dans ce cadre, une écriture collective, instantanée, inscrite dans le cadre symbolique du thème de lEden.Lécriture ici nest pas un ensemble de traces mais un ensemble de passages, de parcours poétiques individuels ou col-lectifs.

    Cette méthode permet de traduire au plus juste, dans ce quelle a de plus

    incertain, la confrontation de lartiste au présent, à sa condition et ses condition-nements.

    Le travail sur linstant permet de faire surgir les déterminismes, ce qui est enfoui et qui surgit soudainement. Cette démarche est proche dun travail psy-chanalytique qui sollicite lémergence spontanée de la parole aÞ n de faire surgir les sens et lessence qui nous échap-pent.

    Chaque « présentation » aux publics sera ainsi lexpression directe et poétique, mouvante et singulière de cette confron-tation.

    Anne-Laure Lamarque

    observatrice et cuisinière de la troupe pendant ces trois semaines de création - étudiante en anthropo-logie

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    eHenri Cartier-Bresson (1908-2004)

    Henri Cartier-Bresson, célèbre artiste photographe, témoin oculaire des grands évènements du XX° siècle, la guerre civile espagnole, loccupation allemande en France, lindépendance de lInde, la révolution chinoise, la révolte estudiantine de 1968 à Paris, est mort le 3 août 2004 dans sa maison du Sud-Ouest de la France. Il a photographié un tas de gens illustres, comme Matisse, Sartre, Ghandi quil semblait connaî-tre personnellement. Avec de très petits moyens, un simple Leica 35mm, il réus-sissait discrètement à capturer lair du temps. Lincoln Kirstein qualiÞ ait Car-tier-Bresson dartiste responsable, «de son métier comme dans la société», ainsi que le rappelle Michael Kimmelman du New York Times. Sa femme, la photo-graphe Martine Franck, le considérait comme un « bouddhiste tumultueux ».

    Henri Cartier-Bresson naquit à Paris en 1908 dans une famille aisée ; encouragé par un professeur, il fréquenta les gale-ries dart dès son jeune âge. Il entama une carrière dartiste peintre dans laca-démie de peinture dAndré Lhote, où il Þ t la connaissance du poète René Crevel. Si Cartier Bresson ne fréquen-tait pas personnellement André Breton, il se joignait souvent au groupe des Sur-réalistes de la Place Blanche, qui se réu-nissaient deux fois par jour. Il étudia les arts et la littérature anglaise à luniver-sité de Cambridge, puis accomplit son service militaire obligatoire dans lar-mée de lair française, à laéroport du Bourget, non loin de Paris, en 1929. Et le 9 septembre 1929, notre jeune aviateur, interrogé dans le bureau dun général, rencontre Harry Crosby, poète et éditeur américain du Black Sun Press,

    qui faisait une pose entre deux leçons de vol. Cartier-Bresson était accusé davoir désobéi au règlement en faisant des acrobaties au-dessus des nuages. Con-fondu, il protesta vigoureusement en citant Jean Cocteau : « le ciel bleu est à tout le monde ! ». Il écopa de trois jours de prison pour insubordination. Crosby intervint alors pour que le jeune cou-pable soit emprisonné dans la villa Le moulin, où il séjournait. Crosby venait de se mettre à la photographie et, selon sa femme Caress (The Passionate Years, Echo Press, New York, 1953), Cartier-Bresson fut tellement enthousiasmé par le nouveau média, quil reçut de Harry Crosby sa première caméra, le jour même de sa libération de larmée.

    En 1931, Cartier-Bresson passa une année en Côte dIvoire, et lannée sui-vante voyagea en Pologne, Tchécoslo-vaquie, Autriche, Allemagne et Italie. Le long du trajet il utilisa son Leica jusquà faire de la photographie son but Þ nal, particulièrement lors du voyage en Espa-gne. Une de ses photos de Séville en 1933 fut reproduite dans le livre dAn-dré Breton « LAmour Fou » et sa pre-mière exposition de photographies eut lieu la même année à Madrid, à Mexico, et à New York, à la Julien Levy Gallery.«Jadore prendre des photos, cest comme si jétais un chasseur, un chas-seur parmi des chasseurs végétariens voilà mon rapport avec la photo-graphie». il détestait les appareils auto-matiques, les comparant à des mitraillet-tes juste bonnes à tuer des perdrix, et même sil Þ t lacquisition dun Brownie, son outil préféré restait le Leica. Car-tier-Bresson puisait son inspiration aussi bien parmi les pays traversés et les gens rencontrés quen compagnie damis, comme lécrivain Langston Hughes, comme Lupe Marin, lex-épouse de Diego Rivera, ou bien encore le peintre Orozco ou encore le jeune photographe Manuel Alvarez Bravo, avec qui il par-

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    etagea une première exposition. Les pho-tographies de lépoque sont sensuelles et gracieuses, les formes et les textures puissantes. Pendant les années 1933-34, la Julien Levy Gallery présenta les uvres du jeune artiste sous le titre Pho-tographie contre Graphie, avec à la clef un essai de Peter Lloyd (un pseudo-nyme de J. Levy). En 1935 Levy pré-senta de nouveau lartiste, en compagnie de Walker Evans et de Manuel Alvarez Bravo.

    Les corps nus de Cartier-Bresson ont des gestes empreints dune sensualité proche du mystère surréaliste, proche dun choc sublime, loin de lordinaire déshabillage de limage. Ses photographies de pros-tituées Mexicaines sont dune chaleur emphatique contrastant avec une cou-tumière anxiété. Ses images obsédantes de la dislocation et de la destruction humaine font désormais partie de la vie quotidienne. La sensation de surréalité nous est fournie par des photos comme « Valence », « Séville » (1933), qui jux-taposent linnocente extase infantile et un décor qui porte encore des traces de ruine, violence, et autres perspectives tristes et mornes.

    Par lentremise de son ami Max Jacob, une diseuse de bonne aventure lui prédit un premier mariage malheureux, puis le bonheur avec quelquun de beaucoup plus jeune que lui. Et en effet, en 1937 il épousait Ratna Mohini, une danseuse javanaise, et trente, quelques années plus tard il divorçait de Ratna pour épouser Martine Franck (en 1970).

    En 1947, dans les beaux jours du photo-journalisme, il fonda Magnum Photos, une agence indépendante de photogra-phes associés, avec Robert Capa, Geor-ges Rodgers, David Seymour. Ainsi vint au monde la première agence de photo-graphies. Ce qui donna à Cartier Bres-son la liberté de voyager. Ses photos

    commencèrent à paraître, un peu par-tout considérées comme remarquable-ment en phase avec leur sujet humain.

    Il quitta Magnum Photos en 1966 et quelquun lui demanda alors sil en avait Þ ni avec la photo. Cétait le cas. Il ne voulait être quun artiste, et dans une candide entrevue avec Charlie Rose il avoua « Je ne suis pas un photographe, je ne suis quun artiste paresseux qui na pas la patience de dessiner, alors jutilise une caméra ». Il avait gardé de lépo-que de son maître André Lhote, le pein-tre cubiste, un petit carnet de croquis quil portait sur lui depuis 1927. Il des-sinait, cétait sa première et sa dernière passion. Les dernières années de sa vie, il les passa en compagnie de peintres amis à dessiner des paysages et des per-sonnages dans lesprit de Giacometti. Il avait son studio près de la Place des Victoires et se rendait régulièrement au Louvre pour faire des croquis. Il y a quelques années, alors quil se trouvait au Centre Pompidou près dun portrait de Matisse, se balançant sur sa canne, il ne prêta aucune attention aux visiteurs qui enregistraient le Þ lm de son absor-bante occupation.

    Dans ses photographies, on retrouve sou-vent labsurdité de la vie, la dimension surréelle de lexistence. Ses images de prostituées mexicaines sont des icônes de sensibilité . Il abordait tout « avec tendresse, gentillesse, sur la pointe des pieds, même si le sujet était la vie tran-quille ». Au-revoir Henri, le monde des arts est un peu vide sans vous.

    Valery Oisteanu Les Avant-Dieuxtraduction de latelier

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    EllesDavid Haziot

    Autrement, collection Littératures, 2004

    Pour une révision de l’histoire et une audacieuse mythologie féminine

    Lhistoire débute sur une course-poursuite étonnante, une chasse à lhomme (au sens propre du terme) organisée et impitoyable : les chasseurs sont des chasseresses, des femmes-gar-des habiles et bien entraînées, des archères de premier ordre, résolues à capturer leur proie masculine... Le mâle est roi, mais au lieu davoir accepté la castration rituelle qui devait mettre Þ n à son règne dune année, il a tué la reine et sest enfui...Nous sommes quelque part sur une île de la mer Égée (la Crète, peut-être), à une époque indéterminée du néolithique, un lieu où les femmes détiennent le pouvoir et vouent un culte quasi monothéiste à la Déesse-mère, une idole féconde, bien-veillante envers ses croyantes mais terri-blement belliqueuse envers les hommes. Lîle de Keypora abrite ainsi un royaume prospère, une société rurale où la réparti-tion des rôles est savamment agencée, de

    façon à assurer bien-être et confort aux femmes - un système qui ne peut passer que par la soumission des hommes. AÞ n de procréer, les femmes entretiennent une poignée dhommes choisis pour leur docilité et leur obéissance aux désirs féminins, tandis que ceux qui sont jugés comme les plus agressifs sont émasculés, une façon déradiquer leurs penchants brutaux et leur agressivité naturelle.Ce bel équilibre est pourtant sur le point de se rompre et le drame, insensible-ment, prend tournure, déterminé par les actes et les sentiments de quelques per-sonnages pivots : Anya, la nouvelle reine, une jeune Þ lle à qui Sakya, la grande prêtresse, transmet oralement ses savoirs et le grand «secret» de la pro-création, détenu par quelques femmes seulement, un secret qui maintient les hommes à leur place et les empêche de se révolter ; Penthéa, une jeune guer-rière fougueuse mais lucide, ennemie farouche de tout ce qui peut entraver les femmes ; Sigur, enÞ n, lhomme quAnya a choisi comme roi pour lannée à venir. Un homme dangereux selon Penthéa, lAmazone qui déteste les hommes, mais dont la nouvelle reine, la douce Anya, est amoureuse.

    «Faute de mieux, nous appellerons roman le résultat de cette recherche (...) Conte, mythe des origines, fantas-mes personnels ou libre enquête, chacun jugera selon son goût», nous dit lauteur dans un éclairant prologue, refusant ainsi de se prononcer et dans le même temps dimposer au lecteur une interprétation unique... Ceci étant, cet ouvrage peut dabord se lire comme un merveilleux roman, qui nous transporte dans un uni-

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    vers à la fois barbare et profondément humain, un âge dor qui laisse songeuse, quand le monde appartenait encore à «elles»... Mais David Haziot na pas seulement voulu raconter lamour, la tra-hison, la vengeance et lextermination, et lhistoire sert avant tout dune thèse, certes personnelle, mais étayée par de savantes recherches : ce récit inclas-sable interroge et remet en cause cer-tains mythes fondateurs (avant un «dieu-père», il y aurait eu une «déesse-mère»), notre système social et notre regard sur la Préhistoire et les débuts de lAnti-quité. Cest ainsi quest explorée la théo-rie de lexistence dun matriarcat ances-tral sans lequel les premières tribus et les premières civilisations nauraient pu survivre, une domination féminine qui aurait été ensuite éradiquée, occultée par les hommes durant des siècles - des hommes soucieux de maintenir, cons-ciemment ou inconsciemment, un pou-voir durement gagné sur lautre moitié de la race humaine. Cette reconstruction poétique de temps révolus, volontaire-ment effacés des annales de lhistoire et de la mémoire collective est certes pro-pice à la rêverie, mais pas seulement : les thèses ici avancées et le regard scien-tiÞ que qui est porté sur lhistoire de lhu-manité se fondent sur un abondant maté-riau livresque et une érudition de taille (présentés en détail en Þ n douvrage, dans une passionnante bibliographie) et reprennent des recherches déjà effec-tuées par des historiens, des paléonto-logues, des primatologues, des anthro-pologues pour la plupart anglo-saxons (citons entre autres Marija Gimbutas, S. Blaffer Hrdy, Yves Coppens, C. Knight, M. Stone ou Merlin Stone).

    Il subsiste, au cur de ces hypothèses, sufÞ samment de zones dombre pour entourer le récit dune aura mythique et pour enclencher un riche processus ima-ginaire et une véritable attente dans les-prit du lecteur, mais ce que le romancier-chercheur met en place apparaît comme hautement vraisemblable. En se pen-chant sur un moment pivot, lépoque où tout aurait basculé pour les femmes (entre 8000 et 4000 av. J.-C.) dabord sur lîle de Keypora puis dans les ter-ritoires où les rescapées auraient tenté de reconstruire leur civilisation, David Haziot a pu construire une trame qui permet denglober à la fois le passé loin-tain, le présent et lavenir de la femme et de ses aspirations. On saura gré à lauteur dêtre un homme... Défenseur indirect de la cause des femmes, tout en refusant de promouvoir un féminisme de lextrême, il met laccent sur limpor-tance de la parité dans la dernière partie du roman (quand sébauchent les fon-dations dune société plus juste, dans le respect mutuel et le partage des tâches et des pouvoirs - ce à quoi les sociétés occidentales tendent de nos jours, même maladroitement) ; un point de vue sociologique particulièrement intéressant, développé tout au long du roman, chacun des personnages princi-paux incarnant une conception différente de ce que doit être une vie en société : Penthéa la guerrière, convaincue de la suprématie intellectuelle et stratégique des femmes, a raison de se méÞ er des hommes (certains événements lui don-neront raison) et prône lextermination et lhumiliation : «Sans la terreur que nous répandons, nous aurions depuis longtemps disparu. (...) Dès qu’ils mesu-rent leur force, ils ne rêvent que de s’en servir pour nous réduire en esclavage.

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    e(...) Partout des femmes vivent dans l’ab-jection, brutalisées, brisées, labourées par les hommes nuit et jour pour enfan-ter sans fi n. « Lance-t-elle à Anya, beau-coup plus mesurée et optimiste, peut-être plus naïve aussi : «Acceptons les hommes, élevons-les dès l’enfance dans l’idée du respect des femmes.»

    Cest Sigur qui symbolise les hommes dont parle Penthéa - des hommes-escla-ves, quils soient objets sexuels ou eunu-ques, tous soumis aux lois des femmes quils parviendront à combattre quand leur sera révélé le grand secret... Cest des années plus tard que Sigur com-prendra que les hommes et les femmes gagneraient à vivre en harmonie, même sil sinterroge toujours sur lessence énigmatique de la féminité : «Comment les hommes avaient-ils pu voir des monstres en ces femmes ? Certes, il acceptait l’idée que la femme fût un être d’une étrangeté défi nitive. Ne l’avait-il pas remarqué même chez celles qui lui étaient apparemment soumises ? (...) Et pourquoi cette division de l’humanité en deux groupes liés pour la vie et si ennemis l’un de l’autre ? Les hommes autour se trompaient en leur attribuant des museaux de louve ou de panthère. Elles se montraient bien plus terribles en femmes, selon lui, car si dans l’âme elles étaient des fauves, leur masque de beauté les rendait beaucoup plus redou-tables.»

    Parabole universelle qui développe un révisionnisme éclairé, Elles est une vision fulgurante et lumineuse de lhis-

    toire ancienne, revisitée par une plume vive et souple et une sécheresse narra-tive qui évite les digressions ; on appré-ciera la beauté et le souci de précision des descriptions de ce monde antique et parfois décadent, la grandeur des senti-ments évoqués (sans pourtant en faire un mélo ou une interminable saga) et, bien entendu, lévocation dune société égalitaire, lauteur opposant, au mani-chéisme des plus brutaux (quils soient hommes ou femmes), les visions paci-Þ ques dAnya. Quand bien même cer-tains seraient tentés de mettre à mal les théories ici émises (il est de bon ton aujourdhui de dénigrer de nouvel-les avancées féminines en se réconfor-tant dans lidée que le statut des femmes a déjà pu bénéÞ cier dévolutions non négligeables et certainement sufÞ san-tes), cette re-création épique ne ses-tompe pas avec le temps et pourrait peut-être devenir lun des mythes fondateurs à propager autour de soi.

    Blandine Longrejuillet 2004http://www.sitartmag.com/elles.htm

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    lee n s e m b l eMoments d’îleExtraits du Recueil à deux voix par Florence Noël et Stéphane Méliade

    Florence Noël

    Jai assorti les volets à la coque du bateau accoudée contre la brique.

    Ma maison est mélancoliqueavec son jardin dalgueset son chapeau doré

    Ils disent que lon ne peutêtre marin à terreLîle est un grand vaisseau pourtantet je sais ses tempêtes

    Nonje reste pêcheurça sent la pourpre chaude du poisson éventré

    Et demain, oui demainla mer hisseralîle dans ses Þ lets

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    Ca rassure les fougèresce vent diagonalinclinant le verbe boireLà, tes lèvres sont quai

    La mer change de bordet le ciel ascendant plisse ses yeux piqués de sel nocturne

    Tu es à lheure inauguraleoù les mouettes te font lhonneurdune haie suspendueet dun air de largecomme au moins létendue dune femme

    Tu nages avec les mouvementsdes couleurs argentéesqui absorbent le ciel

    Voleur ! voleur de vaguesVoista barque prend leauet la mer soffre à toi

    *

    Ces hommes vieux avaientsans aucun douteassis la dureté derrière la prièreles litanies singéniaient à lancer des abîmes des capteurs de feux, des hérissons braisés

    La coupelle de leur main inversait les berceaux de brastendus entre mères et leurs Þ ls sur la falaise des adieux

    ici départs et arrivéesse Þ ançaient en plein soleil puis dévidaient le lait aigredes lointaines voies lactéescomme tout enserrement de noces

    A force de dépolir leurs langues

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    eépaisses des mensonges salinsla dorure des icônes reß uait sur le visage damande doucedes Vierges

    Pauvres recluses de poternesprivées denfant au seinproscrites de relevaillesdroites toujours et sans repos

    Mais une main soignait le lilasles retrouvailleset ces jours-là des enfants naissaient sur la ligne pourpreoù locéan sarrache incessammentà lamour de la terre

    *

    En vaguelettes dherbesles pâturages reß uentsous lassaut des marées

    Un pas encore et cest la mer

    Soudainlenfant qui joue hésiteà cueillir une ß eur deau

    Le ciel trempe ses piedsun nuagepuis disloque son grand corpssous lhorizon

    Un peu plus loin et tout devient grismêlé de vertensuite de bleu

    Non,tes yeux nont pas Þ nide sébrouer sur leau

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    leStéphane MéliadeNos maisons sont si raresquon ne mange jamaissans avoir marché un momententre la première et la seconde

    Les livres ne viennent pas jusquà nousil faut les réécrire de mémoirepuis les ouvrir nous-mêmes Notre métier est de bien regarder la mer

    Plus tarddes formes nettestémoignerontque nous avons grandi ensemble iciallongés sur lherbeà regarder des photosqui navaient rien à voir avec lendroitmais tout à voir avec ce momentun peu mouilléun peu hésitant sur ses contours

    Nos regardsérigeront des voûtesau-dessus de leaupour que les coquillages et la mousse recouvrent le tempsdun peu de nous Il faudra aussi le soirdeviner la lumièrela comprendre sans quelle se détailleet la coucher doucement dans la barqueà moitié immergéequi se balance dans la nuit

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    eMeurtre d’un langage

    il était six heuresle soleil levant couronnaitun rocher noirchaque seuil de chaque maisonétait ouvertquelque chose de plus solide que lhommeavait soif

    il dormaitil rêvait dans sa langueil la parlait encoremalgré les chouettes clouées sur sa portemalgré tous les moteursdes voitures et des tracteurs de lîlequi tournaient en même tempspour quon ne puisse jamaislentendre dune autre île

    ils sont venustous en même tempsil était six heures uneils ont recouvert sa boucheavec la peinture dune autre bouche

    maintenantplus personne dans lîle ne parle cette langueil ne sest même pas réveillétout le monde est reparti chez soisur une porte une chouette souritune dernière fois

    L’odeur d’où nous sommes venus

    De la plus petite maison de lîleémane une odeuron la dit plus ancienne que le mondeon en parle à voix basse

    La maison sest construite autour dellepersonne nest jamais venu lhabiter

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    la porte est toujours ouvertechacun peut rentrersasseoir quelques minutesrespirer lodeur de notre amourpuis ressortir les yeux brillantsincapable den parler

    Un insulairenous désigne du doigtles vagues les plus proches de cette maisondifférentes de toutes les autres vagues du monde Elles ne retombent jamais

    Plantée

    quand la grand-mère est morteils ont dabord voulu létendrela ramener dans la maisonla coucher et dire la prière des entouréscomme à ceux qui ont toujours étécerclés deau

    puis ils ont regardé les outilslarrosoir et le chapeauseul à être tombéils ont regardé les ß eurs toutes tournées vers ellela soutenant par les chevilles

    elle était morte deboutface aux vaguesdans son jardin qui penchait vers la merles jours de grand vent

    alors ils lont remise sur ses piedset ils ont travaillé jusquau soirpour la planter

    Extraits du Recueil à deux voix de Florence Noël et Stéphane Méliade

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    L’entre-deux (le balai des corps)

    de Sylvia Stramenga

    à Cyril O.

    I.

    Ferme tes yeux, je ten prie.Je suis là. On est là. Dans cet asile à lécart des Inquisiteurs. Renie ta foi. Origine et commencement de tout être. Ton odeur envahit chaque particule de ma peau, âcre et délicate comme une rose du désert. Belle du jour qui se ferme le soir. Dans ce monastère réservé aux prières des mondains, jallume un cierge à la Sainte Vierge du Nouveau Dogme. Vieux tour dantesque, anathème sans ambages. Voluptés de la chair, temple du plaisir.(le crime de la naissance)

    II.

    Ferme tes yeux, je ten prie.Naie pas peur. Tes poings, je les révèle, comme une oxalis qui ne souvre quen plein soleil. Entends, une mélodie dharmonica dans la rue, marche nuptiale du fruit défendu, pour notre Genèse à la portée de toutes les bourses. Lumières légères, volutes. Sonate en sol minore, nos corps brûlent comme une couverture de Nessus. Dédale grotesque. Arcanes.(la déchirure du corps)

    III.

    Ferme tes yeux, je ten prie.Entends le bruit de mes pas. Lentement. Lentement. Sigisbée visionnaire, aux efß uves deau-de-vie, aux yeux rutilants, nu. Ton corps dans le centre de ce plateau bénit, in contumacia, par

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    les vicaires de cette église artiÞ cielle. Le projecteur est pointé sur toi. Naie pas peur, personne ne nous regarde. Embrasse-moi. La salle est déserte. Un homme viendra, sans bruit et regardera nos corps, nos langues, nos mains qui se cherchent, se perdent, soublient et se cherchent à nouveau. Il sera envahi par lodeur de ton sperme. Et une ferveur religieuse inavouable lui forcera à nous regarder. Regarder. Moi. Toi. Nous. Encore et encore. Tendus. Jusquà sexcommunier sous le poids de cette violence. Avec ses mains parricides. Délire des Ménades travesties.(antériorité passive)

    IV.

    Ferme tes yeux, je ten prie.Mes mains sur tes yeux. Non, ne les ouvre pas, je ten prie. Mes mains sur ta nuque. Pour effacer tes pensées. Exorcisme à demi voix. Amnésie à décrypter par un dieu ivre. Mes mains sur tes lèvres, tes dents, ta langue. Moi aussi, jai les yeux fermés, touche-moi. Mon visage sur ton dos, mes bras qui tenlacent, mes mains sur ta poitrine, ton ventre, ton sexe. Prêt au plaisir. Je le serre fort dans ma main. Un cri, un gémissement. Avatar des regards. Corps mêlés qui se tordent, qui sabîment dans un excès de volupté. Naie pas peur. Le plaisir viendra. Corps se pâmant. Laisse-moi te faire plus mal laisse-moi abjurer cette foi puritaine. Abduction de la chair, Bouguereau moyenâgeux. Laisse-nous dans cette ivresse folle, touchés.(les prairies corrompues)

    V.

    Touche-moi, je ten prie.Tes mains qui cherchent à se saisir de ma nuque, reconnaître les contours de mon visage. Compositeur densemble pour orchestre des funambules. Entité accablant qui se lovait en toi. Recouvre mon corps de toute ta tendresse. Tes doigts qui descendent sur mon dos, qui suivent les avenues de mes vertèbres, les trajets de mes nerfs. Tes ongles qui griffent le pont entre mon cerveau et mon sexe, pour accélérer lécoulement de mon extase. Les mains ouvertes qui descendent sur mes fesses et les serrent, soudainement, comme une nouvelle possession. Tes doigts qui marquent le nouveau territoire, qui entrent dans la chair faible, qui veut nier cette déchéance. Esclavage inutile. Je suis à votre

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    emerci, mon Maître. Mon pubis sur tes fesses.(TerriÞ ée de vivre)

    VI.

    Ouvre ta bouche, je ten prie.Laisse mes doigts y pénétrer, un par un, laisse ta langue les caresser, les sucer, les blesser. Laisse mes doigts devenir le prélude dautres doigts. Les doigts de ta main, les doigts de ton sexe. Nouvre pas les yeux, naie pas peur. Tes doigts entre mes dents, entre le tissu de ma langue. Je suis en face de toi. Tout est suspendu. Sens la pointe de mes seins sur ta poitrine, les poils de mon pubis caresser la plante de ta verge qui se gonß e dune beauté animale. Conjonction entre moi et lautre. Accordement des respirations. Saisis mes seins durs, saisis-les fort, que personne noublie que je suis là pour vous servir, mon Seigneur. Ton hostie dans ma chair, soufß e ton verbe à lintérieur de moi. Oubli de soi, dans le miroir de lautre.(rattaché au Þ l du désir)

    VII.

    Caresse mes cheveux, je ten prie.A genou devant vous, prosternée devant lautel de votre sexe levé. Moi. Une portion de ton corps. Accroupissement vainqueur. Comme une épée, pour me couronner, salope à un sou pour satisfaire vos envies innombrables. Regarde comme jhonore cette cornucopie, comme jai hâte den goûter les cadeaux luxurieux, jusquà la dernière goutte. La nuit tombe. Mes mains autour de cette tour perdue de Sion, Lazare réveillé par la beauté de Venus, mains qui bougent, qui cherchent les sauvages clairières. Ma langue anxieuse de participer au festin de la sève crée à mon exclusivité. Mes lèvres qui souvrent pour accueillir ta verge, tes mains, tes cuisses, mon cerveau archaïque qui se déshonore dans cette ataraxie renversée. Mouvements lents, dans un rythme qui se perd en sursauts.(lueur des parvenus)

    VIII.

    Caresse ton sexe, je ten prie.

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    se

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    leTa main sur ton sexe, ma langue dans ta main, mes doigts qui cherchent lenclave entre tes fesses, ma langue entre tes cuisses, ta main sur mes lèvres, ta main sur mon sexe, entre les lèvres écartées, ton sexe dans ma main, encore et encore. Glissement. Glissement toujours plus rapide. Tout se mélange, tout soublie. Tout se cache, tout se perd. Tout se cherche. Ma chatte. Ta verge. Glissement progressif. Nouveau rythme alexandrin, frémissement fébrile. Obsessions érotiques à la Poussin. Mes lèvres sur lextrémité douce et lisse de ton gland, univers tantrique de mouvements, dun accompagnement de voix, des lèvres, des mains dans une musique incessante, toujours plus fort, toujours plus insoutenable.(détaché de ma chair)

    IX.

    Prends- moi, je ten prie (doucement).Tes doigts dans mon sexe qui creusent le sentier du plaisir, un, deux, trois doigts, ta main qui se perd dans ma chatte, je ten prie, ne tarrête pas. Mes lèvres qui accompagnent la cadence de ta main, ta langue dans ces lèvres sanguines de ma bouche, cachée aux regards, dans mon clitoris, à apercevoir les plis de ce chemin, à jamais mi-closes, Tes mains qui lèvent mes fesses, comme une coupe élevée en ton honneur, à goûter le vin crée par ta vigne des mains et langue et dents et salive.(lantre de ton corps)

    X.

    Prends- moi, je ten prie (toujours plus fort).Les soupirs de nos corps, toi qui cherches la fente de mes fesses avec ta langue, le réseau du sang de ton sexe. Ton sceau sur moi. Je nai pas peur. Naie pas peur. Ton dos qui se penche sur le mien, tes mains sur mes seins, certitudes du jour. Ma nuque appuyée sur ton épaule, mes lèvres qui cherchent les tiennes, avec mes ongles, je griffe ton dos, pour laisser mon empreinte sur la faible chair. Ton sexe qui pénètre à lintérieur de moi, lentement, lentement. Toujours plus à fond. Nous. Nous. Plus à fond. Plus fort. Toujours plus fort. Un imagine unique aux yeux de lhomme qui regarde. Frémissement de nos reins, mains qui bougent sans but. Le Þ l tient. Tout tient. Saisir tout, au-delà de lespace. Au-delà du temps. Linstant dentre deux. Les yeux

  • 32 ensemble

    en

    se

    mb

    le

    fermés.(avaler ton sperme)

    XI.

    Prends- moi, je ten prie (te regarder dans les yeux).Et puis, puis tout revient. Glissement imperceptible de ton sexe entre mes fesses, à labri dautres croix. Je sens ta verge pénétrer, imperturbable, dans lourlet de mon vagin. Nos jambes ne peuvent soutenir le poids de cet abîme. A genou dans ce sanctuaire, tes mains sur mes hanches. Instinct et soupir. Instincts qui nous envahissent, sans consciences. Annihilés entre nous, au-dessous, au-dessus, au sommet. Libertins dun plaisir custodi aux latomies dArcadie. Maudits à nouveau. Avec ton sexe entre mes fesses tu me retournes. Et nos yeux se rencontrent. Moi et Toi. Toi. Moi.(hiles de conscience)

    Ton sexe toujours à lintérieur de moi, je le sens bouger, se gonß er, sépanouir, vivant. Je le serre fort entre les muscles de mon sexe pour que la tension règne dans le domaine de nos désirs, jusquà la venue du jour. Mon sexe. Ton sexe. Moi. Toi. Toujours plus rapide, toujours plus rapide, toujours plus.

    Nous.

    Et Puis, Puis Rien.

    Enlacées, perdus.

    (In corpore vili).

    Sylvia Stramenga

    e n s e m b l e

  • 33

    séquence

    qu

    en

    ce

    Pays de l’ennemiede Frédéric Pouchol

    (suite)

    En mon pays démeutes, de hainesséculaires, je soulèverai tes jupons et retrouverai lodeur de mes forêtssous tes aisselles. Tes râles denfant, ton ventre arqué, ta crinière deau douceme seront livrés à lombre du muguet. par grappes, tes caresses salées.

    *

    En mon pays de frondes, de pics dressés, je marcherais sur tes seins laiteux. DéÞ lerai à la lueur des ß ammes sur tes mousseuses déclinaisons.

    *

    En mon pays détrange patois, de langue râpeuse et de consonnes baveuses, tes râles, tes gémissementssont trophées.

    *

    En mon pays de rebouteux et bêtes clouées aux portes, nest pas magie la marée montante entre tes cuisses ; nest pas magie non plus ta ß eur trempée, vaseuse, en deux trois pâmoisons.

    *

    En mon pays à la peaurugueuse, les hommes se pressent à la portepour toucher cette rumeur dorage pressentie sous tes draps nus.

    *

    En mon pays le vieux pays mes ancêtres les métayers avaient à charge la terre. A mon tour, je marme dun épieu, dun gourdin, dune outre et pars te débusquer dans la nuit grimpante.

    Tes cuissesmarneuses,la terre de mes ancêtres

    pour seulslegs.

    *

    s é q u e n c e

  • 34 séquence

    qu

    en

    ce

    Mes mains frottent ton ventre comme le ventre dun animal sauvage. Mimbriquerai à tes bouches rouges. Macheminerai vers ces commissures où tremblent un dernier morceau de neige, un restant de vin, quelque carcasse de rêve. Plongerai dans ta toison de sel, de miel. Glanerai de ce suc amer au gosier. Menivrerai de lécorce, du lichen foisonnant sous tes aisselles, cette même mousse verdoyante qui a pris racine sous ta touffe sauvage. Lustrerai tes jambes jusquau sang. Jusquà ce que jaillisse une étincelle, une première fumerolle. Un départ de feu. Aimerai te voir prendre feu, telle une efÞ gie ardente.

    *

    Feu. Lâme de mes Ancêtresse lève dans la nuit. Hommes à léchine courbée, - écorcedrue quaimantent les seins noirsde la terre.

    Adulte, je déferleraisur ton ventre ennemi. Siégeraià la tablée des vainqueurs.

    *

    Tes jambes arborent létendard de la guerre. Au fur et à mesure,que la nuit avance et que les hommes meurent, elles brandissent cet oriß amme plus éclatant, de sang, décume entrelacés.

    *

    Le manteau de feuilles jaunieset le havresac trouécommencent à bien faire

    Mattendent sans grand espoirune fois la forêtretournéesens dessus dessous,

    lhiver secle puits tari,

    loffrande dun épieuplanté àlheuredu sommeil.

    Frédéric Pouchol

    s é q u e n c e

  • 35

    traductions

    trad

    ucti

    onsl a t e l i e r d et r a d u c t i o n

    Robert Serban« Un autoportrait » dupoète roumain Robert Serban traduction française par Mariana Luta(centre culturel français de IASI, Roumanie)

    Gura ta

    gura ta despartecarnea mea bună de carnea mea reaca o rindeacare desface în fâșiilemnul ce ţine ușaurliîţi pierzi culoarea ochilorgingiile pleznesclimba năvălește afarăpielea îţi crește și descrește ca un imperiunici-o oglindă nu te mai recunoaștecând ești femeie

    Ta bouche

    ta bouche séparema bonne chair de ma chair meurtriecomme un rabotqui fait voler en éclatslembrasure de la portetu hurlestes yeux se délaventles gencives se fendentla langue jaillit violemmentta peau sétend et se replie comme un empirefemmenul miroir ne te reconnaît plus

    Două alune bine prăjite

    în ce cartecrezi că mi-ar plăcea să mă regăsescîn pielea goalăcoloratîncordatcu toate grupele de mușchi ieșite în reliefcu venele și arterele dilatate la sângebărbat în toată puterea cuvântuluice transformă sfârcurile oricarei femeiîn două alune bine prăjite?nici-o carte din lumea asta nu e Þ delăiar cartea care îţi cade pe faţă și te adoarmeoricând te poate orbii

    Deux noisettes bien grillées

    saurais-tu dans quel livre jaimerais me retrouvernucoloriéraidetous les groupes de mes muscles saillantsles veines et les artères dilatées jusquau sanghomme dans toute la force du termequi transformerait les tétins de nimporte quelle femmeen deux noisettes bien grillées ?

    il ny a pas de livre Þ dèleet le livre qui tombe sur ton visage et tassommepeut téblouir à tout moment

  • 36 latelierde

    la

    teli

    erd

    e

    late

    lier

    de tr

    aduc

    tions

    opt cuvinte

    nici o zi de marţi nu seamănă același ghinion

    mi-ești dragă și îţi șoptesc astaîn timp ce tu așezicuburile de zahăr pe covorși îmi spui: mutăești primuliarăși esti primul

    deasupra noastrăîn postava transformată în leagănaluatul se umß ă ca un copil suprasexuat

    eu nu mă joc niciodată cu zaharulÞ indcă sângele meu a avutodată un mare ghinion

    huit mots

    tous les mardis napportent pas la même malédiction

    tu mes chère et jaime te le chuchoter pendant que tu posesles morceaux de sucre sur le tapiset me dis : à toi de jouertu es le premierune fois de plus

    au-dessus de nousdans le drap transformé en berceaule levain est en train de gonß ertel un enfant sur-sexué

    je ne joue jamais avec les sucrescar mon sang a été poursuivijadispar une terrible malédiction

    Un autoportret

    bărbaţii de la masa vecinăfumează beauși se uită la mine cum scriu

    din când în cândrostesc cuvinte într-o limbă străinădar eu știu despre cine vorbesc

    dacă aș putea să desenezmi-aș face un autoportretși l-aș da

    Un autoportrait

    les hommes de la table voisinefumentboiventet me regardent écrire

    de temps à autreils prononcent des mots dans une langue que je ne connais pasmais moi je sais bien de qui ils parlent

    si je savais dessinerje ferais mon autoportraitet loffrirais

  • 37latelier de traductionstr

    aductions

    trad

    ucti

    ons

    Vestitorul primãverii

    ţiganul care vinde parfumuria trecut și pe la masa meacu sticluţele lui care mai de care mai colorateîn forme straniipline de arome tari sau dulci

    m-a îmbiat să le adulmec pe Þ ecaresă aleg ce mi se potriveștece-mi placem-a tot îmbiat

    apoi a plecat cum a venitca o primăvară

    Le héraut du printemps

    le Tzigane qui vend des parfumsest passé aussi à ma tableavec ses ß acons les uns plus bariolés que les autresde formes étrangesremplis dodeurs fortes ou sucrées

    il me les a fait miroiter un à unque je choisisse celui qui me vaou celui qui me plaîtil na pas arrêté de mappâter puisil est parti tout comme il était venutel le printemps

    Gest

    am să-mi las câteva zileobrajii nebărbieriţi

    nu din comoditatenu din frondăci fără nici un motivașa cumcâteodatălas să-mi treacă viaţa

    * * *

    stau de două ceasuriîn același loc

    nu aștept pe nimenidar am dat mâna cucinci cunoscuţi

    femeile au plecat la război

    Geste

    un jour je vais laisser pousser ma barbe

    non pas par paresseet non plus par révoltemais sans raison aucunede la même manière quede temps à autreje laisse passer ma vie

    * * *

    je nai pas bougédepuis deux heures

    je nattends personnemais jai déjà serré la mainà cinq inconnusles femmes sont parties faire la guerre

  • 38 latelierde

    la

    teli

    erd

    e

    late

    lier

    de tr

    aduc

    tions

    mai mint și eu

    nu mi-am schimbat niciodată adresacine m-a cautat tot aici m-a găsitchiar dacă a trebuit să aștepte câteva ceasuri

    ies din când în cândsă văd dacă lumea se mutăsau rămâne la locul eisă văd dacă drumurile care o leagăau sau nu alte semne

    nu lipsesc multpentru că nu merg foarte departeși oricumspun întotdeauna unde plecașa am fost învăţat de copilsă spun totul și adevărul până la capăt

    mai mint și eupână la capăt nu m-am dus niciodatăÞ indcă nimeni n-a știut să-mi arate drumulsau să-mi dea măcar o adresă

    il marrive de mentir

    je nai jamais changé dadressejai toujours été là pour celui qui maurait cherchéou bien aurait passé des heures à mattendre

    je sors de temps en tempshistoire de voir si le monde bougeou sil est encore à sa placechercher de nouveaux repèressur les chemins qui le relient

    je ne mabsente pas pendant longtempsparce que je ne vais jamais trop loinet de toute façon on sait toujours où me trouverenfant, on ma appris àtout dire et la vérité tout entière

    il marrive de mentir je ne suis jamais allé jusquau boutpersonne na pu me montrer le cheminou du moins mindiquer une adresse

    Série Autoportrait – Robert SerbanTraductions françaises de Mariana Luta

  • 39latelier de traductionstr

    aductions

    trad

    ucti

    ons

    Ademar RibeiroJoão Pessoa Paraíba Brésil

    Strychnine

    Il n´est déjà plus tempsde cueillir Þ gues et dattesmais plutôt de tronquer des têtesles rejeter sur l´écran.

    Plutôt le couteau et la lameet le poignard, et la faux :il ne faut pour ce poèmeque l´embrocher jusqu´aux os.

    Et dans le désert du papierlà où, tout seul, je clamejuste où l´amour se broiequand les poètes font la fêteque la poésie se termine

    je mets la table et ne dis,même si la cochonne rechigne,ni où ai-je donc masqué ce texteni où ai-je donc fait fausse rimeni où sont passés les bonbonsni non plus la strychnine.

    Estricnina

    Agora já não é tempode colher Þ gos e tâmarasmas dedecepar cabeçasatirá-las contra câmeras.

    Mas de faca e de punhale de lâmina, e de foice :é sujigar-se o poemaespetá-lo até o osso.

    E no deserto do papelaonde, sozinho, clamoaonde o amor se esboroae os poetas festejame a poesia terminaponho a mesa, mas não digonem que a porca torça a trombanem onde velei o textonem onde furei a rimaem que verso deixo balaem que bala, estricnina.

  • 40 latelierde

    la

    teli

    erd

    e

    late

    lier

    de tr

    aduc

    tions Poemissile

    La poésie à laquelle

    poète dissident, légionnaire en pleurs je me range

    s´est dépouillée de sa barbe auprès de l´Onu et de ses phalanges.

    Mais aussitôt une autre plus vaillante, plus insoumise que celles des plus rebelles de ses vaillantes Þ lles,

    sous le massif de mon texte se cache dans des cavernes,aligne son escadrille

    et opère dans d´autres cielsun impondérable exercice

    faire raser des édiÞ cespar des avions de papier

    sous un grand coup d´humeuren conjurant d´autres poètes

    de bien pointer leurs verssinon de déchirer leurs livres.

    Poemíssil

    A poesia a que poetadissidente, legionário

    em prantos, me irmanofaz a barba à sua estéticaante os exércitos da Onu.

    Mas já uma outra, barbuda, insurretadas suas não poucas insurretas, barbudas Þ lhas

    nas cordilheiras do meu texto encafua-se em cavernasapruma sua esquadrilha

    e opera noutros céusum divertidíssimo exercício

    de, com aviões no papelcom imponderável humor

    desabar sobre edifíciosconclamando os mais poetasa bem apontarem seus versos

    ou a bem rasgarem seus livros.

    septembre 2002

  • 41latelier de traductionstr

    aductions

    trad

    ucti

    ons

    Annonciation

    Je demande à l´ange de la mortqui vient d´au-dedans l´éthéré en suçant de la pâte à mâcherauquel je m´annonce à l´enversen ne me dévoilant qu´en tortce qu´il cherche dans mon déserten montant la garde à mon port.

    septembre 2002

    Anunciação

    Pergunto ao anjo da morteque desce, inepto, do eternoa quem, ao invés, me anuncioe não me revelo, nem mortoo que, mastigando chicleteprocura no meu desertoatracado no meu porto.

    septembre 2002

    Chien foutu Dans le pays Paraíbaà table, dans un barlors d´un tour de jaquetgrisé de taÞ a enraciné dans le sol désaccordé dans la vietant qu´un foutu chienen se léchant les blessuressans plus rien dans le coeursans verbe ni pourvoimi-radoteur, mi-contentsur la route de Cajásous le plein de l´étéen un trait d´eau de viedans un vieux fourgongrimpant l´après-midi.

    Cão Pungido

    No sertão da Paraíbanuma mesa de bar num jogo de gamãode sezão, de bexigaenraizado no chãodesaÞ nado na vidapungido feito cãono lamber das feridassem nada no coraçãonem verbo pra falardestrambelhado e contentena estrada do Cajáno pino do verãonum copo de aguardenteno banco de um vagãonuma tarde indecente.

  • 42 latelierde

    la

    teli

    erd

    eDécombres

    Dans mon poème, les motss´arrêtent comme des soldatsemmurés dans des décombres.Le texte explosé, tous se sauvent. Ce sont les intrus qui se damnent.

    novembre 2002

    Escombros

    No meu poema, as palavrassão como fossem soldadosencurralados no escombro.Explode-se o texto, não morre.Suicida-se quem não foi convidado.

    novembre 2002

    Ademar Ribeiro (versions françaises de l’auteur)

    l a t e l i e r d e t r a d u c t i o n

  • 43

    sophie

    so

    ph

    ien o t e s d e s o p h i e

    Je te reparle donc des trois livres que j’ai reçus il y a quelques jours. D’abord une anthologie de Maïakovsky

    Quand il sest arrêté,un « bravo » a tordules bouchescomme le courant électrique.Bravo !Bra-avo !Bra-a-avo !Bra-a-a-avo !Bra-a-a-a-avo !Mais qui est-ce, qui est-ce donc ?Cette meute hurlante massoviandesque,à gueule de taureau ?

    On ne peut faire rentrer dans de tranquilles volumes de versun cri de colère.Ce sont les petits-enfants des Colombs,les descendants des Galiléesqui hennissent, empêtrés dans un Þ let de serpentin

    Extrait de La guerre et le monde

    *

    Je suis poète moi-même. Vous apprenez aux enfants :« le soleil se lève au-dessus des absinthes de la steppe. » De la couche damour, derrière ses trois petits poils, monte la tête de la femme aimée.

    Extrait de L’homme. Chose

    *

    J’aime beaucoup ce tourbillon, cette révolte tonitruante et cette provocation que je trouve pleine d’humanité.

  • 44 notesde

    no

    te

    sd

    eJe vais te citer des extraits d’une anthologie d’Anne Perrier et tu verras que la forme en tout cas est bien différente de celle de notre ami Vladimir :Ce nest pas lombre que je chercheNi lhumble signeDe la halte sous les palmiersTranquilles ni leau ni langeGardien doasisJe cherche le chemin qui dureToujours toujours toujours

    Extrait de La vie nomade

    *

    Lheure venuePousser la porte du jardinSans larme traverserLespace de la roseEt doucement glisserDe lun à lautre Eté

    Extrait de L’unique jardin

    *

    On a creusé ma tombeAu prochain cimetièreLa terre sera prêteMoi nonLa lumière sera pureMoi nonJe suis lenfant du sableEt de limonLes siècles passerontIl faut tant deauPour laver une ombre

    Extrait de Le temps est mort

    *

  • 45

    sophie

    so

    ph

    ie(Autre genre de poésie. Cette dame née en 1922 est suisse. Cette écriture est

    moins tape à l’œil, presque un peu trop discrète et pourtant elle recèle toute une intelligence de vie, de tendresse de cœur qui j’espère me sont proches.)

    Dune page de « Bereshit Rabba »

    Le vacarme de trois chosesva de par le monde au-dessus des océans et des neigesterres de sécheresse et rizières :et nulle membrane de louïene le capture, le vacarme de trois choses.Le vacarme du soleil qui va de par le ciel,le vacarme de la pluiequand le vent la détache des nuageset le vacarme de lâmedun corps qui la crache

    Massimo, Eliana, jeunes sur la Tyrrhénienne, corps engloutis, offerts pour donner de la lumière aux méduses, dans leurs bassins se cacha la soleaux os de leurs pieds se noua le madrépore qui ß eurit en coraux,de leur bouche lhuître suçait sommeil et ivoire,dans leur poitrine la rascasse rouge baisait la pieuvre de sable,dans leur crâne le cheval marin eut son église,la nef dans les os pariétaux, dans les orbites les rosaces,et les daurades volèrent leurs cheveux, et à lendroit du sexele gaz dune source dair chaud soufß ait des bulles au ciel

    Extrait de Noyades

    Enfi n, Erri de Luca. De lui, j’ai reçu un recueil bilingue intitulé Œuvre sur l’eau. Erri de Luca, je t’en ai déjà parlé. De lui j’avais lu une œuvre en prose, Acide arc-en-ciel qui m’avait totalement subjuguée. Je crois que sa poésie la vaut bien.

    Amitiés,

    Sophie Bykovsky

    n o t e s d e s o p h i e

  • e-PoésiesPhilippe Bray . 47Serge Marlot . 48

    Stéphane Méliade . 49Thierry Brunet . 51

    Hervé Chesnais . 52Sophie Bykovsky . 54

    Jean-Michel Mayot . 55Arno Calleja . 56

    Pierre Lamarque . 57lapageblanche

    novembre/décem

    bre(2004)numéro(34)

  • e-Poésiese- Poésies

    47

    Philippe Bray

    Sur les pas des cigognes

    Sur les pas des cigognes,Mille autres du roitelet.À la vue des oiseaux alsaciens,Sen sont allés, le mien, le tien, le sien et le nôtre.

    Léger et pesantComme la grâce et la pesanteur,Cétait, à une soirée dété, le long du ß euve.Tableau de Bakélite, enveloppé de soie, loffrande était joyeuse.

    Sur les traces de ces oiseaux blancs,musclés et grands se déplaçantSe côtoient des canards sauvages, des poules mouillées.Leau, à la cascade, tandis que le vent portantemmène en ses ailes les objets inanimés de lère industrielle.

    Je me souviens de la sirène des Þ lms animés,de la licorne, de mes premières imaginations.Imaginer en taille réelle.Soufß er la réalité.Prendre les enfants des nains de jardins par la main,Enterrer les déjà vieux en vue de renaissance.

    Souvenir de cour magique,La poésie était présente,alors que je nen avais aucune sensation.Les peintures et les poésies appellent au silence,on ne peut sentretenir, dans labsolu, quaux vies quils les ont écrites ou peintes, aÞ n de les aimer davantage ; nul ne peut être atteint en son cur, sans un effet de la lune.

    Philippe Bray

  • 48

    e-PoésiesSerge Marlot

    Les sanglots longs

    Il y a eu une fois comme on saimeLescalier du ciel descenduChaque pas arrachant sa roseEt dabîmes senveloppant Il y a eu une fois comme on pleureLa rumeur casse-cou des mainsMarée montante et atout curLil dérobant le paysage Il y a eu une fois la mémoireEmouvante en amante émueDans la ruelle des regrets Il y a eu une fois le remordsEn pointillés sur le rocherOù se ressource la conÞ ance. Il y a eu une fois comme on sème.

    Serge Marlot

  • e-Poésies49

    Stéphane Méliade

    «Deuxièmement, poursuivis-je, il ny aura pas beaucoup de lumière. Ilfaut donc rester proches lun de lautre et prendre chacun une lampe»Roger Zelazny

    Résidences Vingt-troisième pièce Lentrée des reß ets dyeux

    Ici, on remplit par les yeux les corps des hommes vides. Ici, on entre en composant des chiffres au hasard. Quatre, trois, deux,un seul, on sappuie sur le nombre des yeux que lon croit avoir. On Þ xe un pied sous une autre tête, un bras sur un autre torse, jusquàressembler soi-même à une clé aux bords irréguliers.

    pour que le vent soufß e aille plus vite rebondisse sur les montagnes et les vallées de clé cest lui seul qui ouvre la porte

    On médit du dehors, ce ciment de paysage aux couleurs artiÞ cielles, aux horizons mal Þ xés dont on aperçoit distinctement les Þ ls. Une main les enlève une seule seconde trop tard. Le temps sufÞ sant pour être recouvert de rayons de rétine, décailles de clarté, de vitraux decernes.

    ainsi ton corps annonce sa présence et fait un bruit de verre et de soleil quand il se déplace

  • 50

    e-Poésies

    Je rebondis dans lentrée des reß ets dyeux. Mes protections dom-bres et de paupières recouvrent à peine la matière étranglée versée en moi par mes yeux ouverts. Des sacs sombres sagitent dans les angles. Jespère que ce sont les morceaux des autres et pas les miens.

    il vaut mieux que tu regardes lescalier la météo prévoit une éclaircie vers le haut des marches

    Je replie lentrée, lempile en feuilles, la déguise en reß ets dudehors. Ceux qui rentreront ici sans sêtre vidés ny verront quuneß aque un peu trop brillante, un miroir un peu trop expressif. Puis je fais tourner la combinaison et je raconte une histoire auxchiffres pour quils sendorment sur leur lit pivotant.

    jespère que la clé ne fait pas trop mal et que lentrée na pas trop mordu les autres pièces À part une éraß ure de conscience, je suis entier.

    Stéphane Méliade

  • e-Poésies51

    Thierry Brunet

    Vivre en païen turbulent !

    MuterMigrer sans cesseOpter pour une éthique originale

    toujours furieux - toujours curieux

    Redécouvrir le golfe de Carpentaria !(Celui davant les corsaires)

    Sui generis - continental

    Affamé de couleursCette volupté de lil qui occulte les trahisons ordinaires

    Thierry Brunet

  • 52

    e-PoésiesHervé Chesnais

    Galet

    Ce seront des galets lancés au front des temples. Ce geste qui brise le cercle où senfermait lélan de la pierre, ce geste est mien. Lapidaire dit-on. Lapidaire mon galet sertissant vos fronts.

    Ma parole un noyau sans fruit. Une amande plus dure que lécorce. Que sy brise ton appétit, tes dents qui broient et pulpe et chair et jus-quau pignon des naissances.

    Polir nest pas un geste doux, polir nest pas de la caresse. Polir pour mieux meurtrir encore. Angles, arêtes prêtent ß anc, offrent ventre à lautre. Je nai rien de tendre à te révéler, pas de terre meuble pour ton soc, pas de foie palpitant que tu puisses brandir hors du sillon tracé par le couteau dobsidienne qui se brise sur mon galet.

    Galets de mes grèves au pied des falaises, leçon de la mer: silex retournés contre la falaise-même; arrondissant les angles, faire sef-fondrer les murs.

  • e-Poésies53

    Mon galet comme un il tibétain quand le géant titube, mon galet dans le pied dargile du colosse, mon galet mais aussi ce bivalve fra-gile (aile dange dans les collections denfants, dont la salive acide ronge le calcaire, y creuse des galeries qui le minent): physique et chimie dune violence qui mexalte, tant en elle, de toutes mes Þ bres danimal moderne, je retrouve le chant du monde.

    Le chant passe par votre meurtre, par le désir que jen ai qui me tend tout entier. Je me fous que ce soit bien ou mal, je me fous de crever lil de dieu. Je voudrais juste que ce soit bien fait. Que mon sexe excède sa gaine. Que de cette démesure, le monde sen trouve aspergé. Que mon galet soit si dense et dur, obtenu dun silex noir déchassé de la craie de Caux, quil se Þ che mieux quun dard dans los du guerrier qui voulait ma mort. Quil sy brise nimporte: il nest pas de forme parfaite, et pourvu quil en reste un éclat dans le crâne du géant, quil voyage, traverse ses lobes et lui permette des visions foudroyantes au moment même où il seffondre.

    Hervé Chesnais

  • 54

    e-PoésiesSophie Bykovsky

    Sinon

    Tous les morts sont enterrés iciTout fermés de rocher, de bouts de verre, de couteaux dressés pour la peau vivante quelle sy égratigneImmobiles dans une érosion butée de millénaires, dépoquesÉtouffés dans le caillou maigre aux os gratte sang qui nexiste pasQui nexiste même pasJuste là pour un peu rappeler quon y est,dans la pierre tombale sans ß eurs ni couronnes sans noms sans dates sans souvenirs, hébétés serrés sur tant dévidente stupiditébelle et bête à se mordre

    Sophie Bykovsky

    Juillet, étreintes

    Car ici tout se mélangeLes papillons collent aux vitres qui brûlentLes frelons plongent dans la cheminée, lherbe griffue mange la dalleLes oiseaux partagent le toit en cellules blanchesLe ciel bute sur le caillou

    Sophie Bykovsky

  • e-Poésies55

    Jean-Michel Mayot

    Un papillon qui fredonneDe légers nuagesQui nous lavent des tristesses Tes cheveux qui rougissentAu soleilLe bruissement des mirabelliers Septembre t’en souviens-tu Lécolier en tablierLouvrier vers son usineEt nous qui courions dans les champs À ne pas savoir où Septembre Septembre qui fuyait Nous reverrions-nous

    Jean-Michel Mayot

  • 56

    e-Poésies

    Arno Calleja

    Poesie crisique

    cest dans la crise quon travaille. on nest travaillé quen crise. cest dans la crise quon travaille sa parole. cest dans la crise quon parle vrai. quon parle en vrai dan