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SOMMAIRE / INHOUDSTAFEL Doctrine / Rechtsleer VIII Le juge et l'arbitre face aux lois étrangères d'application 251 immédiate dans les contrats internationaux: les nouvelles possibilités offertes par la loi du 14 juillet 1987, par Raphaël Prioux - De rechtstreeks toepasselijke regelingen (samenvatting) 296 Rechtspraak / Jurisprudence 1- COMPETENCE - DROIT INTERNATIONAL PRIVE - 297 VIII VENTE Compétence internationale ratione loci - Obligation de payer - Loi du for - Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (Bruxelles, 19 mars 1987) (note N.W.) BEVOEGHEID- INTERNATIONAAL PRIVAAT RECHT -KOOP Internationale bevoegdheid ratione loci - Verplichting te betalen - Lex fori - Toepasselijke wet - Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende zaken (Brussel, 19 maart 1987) (noot N.W.) 1- COMPETENCE - DROIT INTERNATIONAL PRIVE - 303 VIII VENTE Compétence internationale - Ratione loci - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Article 5, 1 ° de la Conven- tion de Bruxelles - Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers corporels (Mons, 14 mai 1987) (note Nadine Watté, "Les ventes internationales d'ob- jets mobiliers corporels et les Conventions internationales qui leur sont applicables") BEVOEGDHEID - INTERNATIONAAL PRIVAAT- RECHT - KOOP . Internationale bevoegdheid - Ratione loci - Verdrag van 27 september 1968 -Artikel 5, 1 ° -Toepasselijke wet - Eenvormi- ge Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken (Bergen, 14 mei 1987) (noot Nadine Watté) 1- COMPETENCE - DROIT INTERNATIONAL PRIVE - 311 VIII VENTE Compétence internationale - Ratione loci - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Obligation servant de base à la demande - Art. 5 de la Convention - Prorogation de

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SOMMAIRE / INHOUDSTAFEL

Doctrine / Rechtsleer

VIII Le juge et l'arbitre face aux lois étrangères d'application 251 immédiate dans les contrats internationaux: les nouvelles possibilités offertes par la loi du 14 juillet 1987, par Raphaël Prioux

- De rechtstreeks toepasselijke regelingen (samenvatting) 296

Rechtspraak / Jurisprudence

1- COMPETENCE - DROIT INTERNATIONAL PRIVE - 297 VIII VENTE

Compétence internationale ratione loci - Obligation de payer - Loi du for - Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (Bruxelles, 19 mars 1987) (note N.W.)

BEVOEGHEID- INTERNATIONAAL PRIVAAT RECHT -KOOP Internationale bevoegdheid ratione loci - Verplichting te betalen - Lex fori - Toepasselijke wet - Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende zaken (Brussel, 19 maart 1987) (noot N.W.)

1- COMPETENCE - DROIT INTERNATIONAL PRIVE - 303 VIII VENTE

Compétence internationale - Ratione loci - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Article 5, 1 ° de la Conven­tion de Bruxelles - Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers corporels (Mons, 14 mai 1987) (note Nadine Watté, "Les ventes internationales d'ob­jets mobiliers corporels et les Conventions internationales qui leur sont applicables")

BEVOEGDHEID - INTERNATIONAAL PRIVAAT-RECHT - KOOP . Internationale bevoegdheid - Ratione loci - Verdrag van 27 september 1968 -Artikel 5, 1 ° -Toepasselijke wet - Eenvormi­ge Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken (Bergen, 14 mei 1987) (noot Nadine Watté)

1- COMPETENCE - DROIT INTERNATIONAL PRIVE - 311 VIII VENTE

Compétence internationale - Ratione loci - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Obligation servant de base à la demande - Art. 5 de la Convention - Prorogation de

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compétence - Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (Comm. Liège, 17 avril 1986) (note)

BEVOEGDHEID - INTERNATIONAAL PRIVAAT­RECHT - KOOP Internationale bevoegdheid- Ratione loci- EEX-verdrag van 27 september 1968 - Verbintenis die aan de eis ten grondslag ligt -Artikel 5, 1 ° van het Verdrag- Uitbreiding van bevoegd­heid - Toepasselijke wet - Eenvormige Wet op de internatio-nale koop van roerende lichamelijke zaken (Kh. Luik, 17 A april 1986) (noot) W

I RECHTSPLEGING 317 Cautio judicatum solvi - Statenopvolging - Bilateraal verdrag - Eénzijdige verklaring - Continuïteit (Kh. Brussel, 18 novem-ber 1986) (noot A. Monden, "Statenopvolging t.a.v. verdra-gen : tabula rasa in praktijk")

PROCEDURE Cautio judicatum solvi - Succession d'Etats - Traité bilatéral - Déclaration unilatérale - Continuité (Comm. Bruxelles, 18 novembre 1986) (note A. Monden)

1- DROIT INTERNATIONAL PRIVE - VENTE 324 VIII Loi applicable - Loi uniforme sur la ven te des objets mobiliers

corporels - Délais (Comm. Bruxelles, 18 février 1987) (note)

INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT - KOOP Toepasselijke wet - Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken - Termijnen (Kh. Brussel, 18 februari 1987) (noot)

Livres / Boeken 331

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Le juge et l'arbitre face aux lois étrangères d'ap­plication immédiate dans les contrats internatio­naux : les nouvelles possibilités offertes par la loi du 14 juillet 1987

- I. Introduction

J Au sein de la tendance interventionniste croissante des Etats, la théorie juridique des lois d'application immédiate occupe une place particulière.

Ce concept de loi d'application immédiate rencontre certes, depuis quelques années, un succès croissant en doctrine1, mais il apparaît quelque peu rébarbatif pour les praticiens qui bien souvent l'ignorent ou préfèrent ne pas y recourir pour des raisons diverses, en tout cas en matière contractuelle.

Ce fossé existant entre la théorie et la pratique surprend compte tenu de l'importance et surtout de l'utilité que pourrait revêtir le concept en question.

Combien de praticiens ne se sont-ils pas déjà vus confrontés à la situation suivante, quelque peu embarrassante à première vue? Un litige présentant un ou plusieurs éléments d'extranéité se pose entre plusieurs parties et semble a priori devoir être résolu à la lumière d'une loi déterminée car celle-ci présente non seulement un très grand intérêt pour le législateur national qui l'a édictée, mais en outre elle déclare régir tout ou partie de la question litigieuse. Pourtant les règles de conflits de lois traditionnelles conduisent à rendre applicable au litige un autre ordre juridique que celui de la loi qui se veut applicable par elle-même.

Devant une telle situation, deux types de réaction sont possibles : soit on se home à appliquer la loi applicable au contrat sans se soucier de cette loi tierce, soit on admet au contraire que celle-ci doit prévaloir dans une certaine mesure sur la lex contractus. Pour ce faire, il est possible de recourir aux concepts de loi de police et de sûreté ou de loi d'application immédiate. 2

1 Voy. notamment Francescakis, La théorie du renvoi, 1958, 11 et s.; Graulich, "Règles de conflits et règles d'application immédiate", in Mélanges Dabin, 1963, 629 ets.; Sperduti, "Les lois d'application nécessaire en tant que lois d'ordre public", R.C.D.l.P., 1977, 257 et s.; De Nova, "Conflit de lois et normes fixant leur propre domaine d'application", in Mélanges Maury, t. I, 1960, 377 ets.; Verwilghen, "Les règles de droit délimitant leur propre domaine d'application en droit international privé beige", in Rapports be/ges au Xlème Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, 1982, 342 ets.; Van Hecke, Internationaal privaat­recht, in A.P.R., 1986, n°' 183 à 197, p. 107 à 113; Toubiana, "Le domaine de la loi du contrat en droit international privé", Dali., 1972, n° 251 ets.; Karaquillo, Etude de quelques manifesta­tions des lois d'application immédiate, 1977, PUF; Lipstein, "Les normes fixant leur propre domaine d'application - Les expériences anglaises et américaines", Travaux du Comitéfrançais de D.I.P., 1977-79, 188 ets.; Rigaux, "Les règles de droit délimitant leur propre domaine d'application", Ann. Dr. Louv., 1983, 285 et s.; Sindayigaya, Les lois d'application immédiate en droit international privé, Thèse, Université libre de Bruxelles, 2 vol., 1986. 2 Sur la distinction entre ces concepts, voy. infra.

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2 Dans un premier temps3, ce concept de loi d'application immédiate peut être défini comme suit: les lois d'application immédiate sont des lois, généralement de police, ayant vocation à régir toutes les relations juridi­ques présentant un lien donné avec l'Etat dont elles relèvent et ce tant dans les relations internes que dans les relations internationales. Il s'agit en effet, de règles de droit matériel auxquelles le législateur fixe de manière unilatérale un champ d'application interne et international.4

-

En matière contractuelle, la caractéristique essentielle de ces lois est de soustraire à la lex contractus, c'est-à-dire, la loi choisie par les parties, ou le cas échéant la loi désignée en vertu d'une méthode de localisation, le règlement de tous ou de certains aspects de la situation contractuelle. 5

Bien entendu on ne vise ici une éviction de la lex contractus que pour une question qu'elle est supposée régir, c'est-à-dire une question qui entre dans son domaine d'application.6

Un exemple classique de loi d'application immédiate est la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions exclusives de ven te à durée indéterminée. 7

Cette loi prévoit son application à toute concession de vente produisant ses effets en Belgique, "nonobstant toute convention contraire conclue avant la fin du contrat de concession" (art. 6 de la loi).8

Le caractère d'application immédiate de cette loi de 1961 est générale­ment admis en Belgique : on en déduit que les dispositions de cette loi

3 Nous nous contentons à titre provisoire d'une telle définition générale sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, voy. infra. 4 Audit, "Le caractère fonctionnel de la règle de conflit (sur la crise des conflits de lois)", in Rec. cours, 1984, III, 249. 5 Rigaux, Droit international privé, t. Il, n° 1144. 6 Tout autre est Ie problème de la détermination de l'étendue de ce domaine d'application de cette lex contractus. Ainsi, par exemple, Ie fait pour la lex contractus de ne pas régir la question de la capacité des parties à contracter est étranger à la question des lois d'application immédiate. En effet, selon les règles de conflit habituelles, cette question se situe en dehors du domaine d'application de cette loi. Dans Ie cadre de la présente étude, nous utiliserons Ie terme "lex contractus" en supposant qu'il s'agit chaque fois de la loi applicable à la situation contractuelle envisagée selon les règles habituelles de conflit de lois. 7 Cette loi est citée comme exemple de loi d'application immédiate, tant en Belgique qu'à l'étranger: Verwilghen, "Les règles de droit délimitant leur propre domaine d'application en -droit international privé beige", in Rapports Be/ges au Xlème Congrès de l'Académie internatio-nale de droit comparé, 1982, 342 ets.: Rigaux, Droit international privé, t. I, 2ème éd., 1987, n° 274; en ce qui concerne l'étranger, voy. Lando, "Party autonomy in the E.C. Convention on the law applicable to contractual obligations", in L'influence des Communautés Européennes sur Ie droit international privé des Etats membres, Larcier, 1981, 204. 8 Selon la doctrine beige, Ie caractère d'application immédiate de cette loi découlerait plutöt de son article 4, alinéa 2 qui prévoit que "pour les cas ou le litige est porté devant un tribunal beige, celui-ci appliquera exclusivement la loi beige". Contrairement à l'article 6 qui est général, eet article 4 vise uniquement l'hypothèse d'un conflit porté devant un juge beige alors qu'une des caractéristiques essentielles des lois d'application immédiate est leur "vocation internatio­nale" en ce sens qu'elles devraient aussi être appliquées lorsqu'elles donnent lieu à un litige soumis à un juge étranger.

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évincent la loi étrangère éventuellement choisie par les parties ou applica­ble selon les règles de conflit de lois belges.9

Cette éviction de la loi applicable au profit de la loi de 1961 peut paraître évident pour le juge belge parce que la loi en question constitue pour lui sa loi nationale, c'est-à-dire la loi du for. Par contre, nous allons constater que lorsque le juge belge est confronté à une loi étrangère d'application immédiate tierce à la lex contractus, il adopte un raisonne­ment totalement différent.

C'est en ces termes que se pose, tant en Belgique que dans les pays voisins, le problème des lois étrangères d'application immédiate .

. 3 Si de manière générale, les jurisprudences belge et étrangères admet­ten t d'appliquer ou de prendre en considération une loi de police ou d'application immédiate du for, elles se montrent beaucoup plus réticentes lorsqu'il s'agit d'une loi étrangère qui présente pourtant le même caractè­re.

Une telle "discrimination" pouvait auparavant trouver un certain appui dans la doctrine, mais ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui.

La doctrine récente se montre de plus en plus réceptive à la prise en considération des lois étrangères d'application immédiate.

Cette tendance a été consacrée par la Convention CEE du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et par la loi belge du 14 juillet 1987: l'article 7 de cette convention et l'article 7 de cette loi belge prévoient expressément, et dans des termes identiques, la possibilité pour le juge de "donner effet" aux lois d'application immédiate tierces à la lex con tractus.

Nous nous proposons dès lors de mesurer, de manière théorique mais aussi pratique, l'impact réel que pourraient avoir ces dispositions sur les contrats internationaux en général. Il nous paraît cependant indispensable au préalable de faire le point sur cette matière des lois étrangères d'appli­cation immédiate, tant du point de vue de la doctrine que du point de vue de la jurisprudence.

II. Les lois étrangères d'application immédiate dans la jurispru­dence

e 1. La jurisprudence des juridictions nationales

Les situations d'espèces dans lesquelles la jurisprudence a, expressément ou même implicitement, eu recours à la notion de loi d'application

9 Voy. notamment Van Houtte, "La concession de vente: la loi du contrat ou loi du 27 juillet 1961", J.C.B., 1980, 613; Hanotiau et Fallon, "Chronique dejurisprudence - Les conflits de loi en matière d'obligations contractuelles et non contractuelles", J.T., 1987, p. 107, n° 44; Fierens et Kileste, "Chronique de jurisprudence - La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée", J.T., 1987, p. 699, n°' 48 et 49 et les réf. citées.

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immédiate en tant que telle, étant tellement rares, il nous paraît opportun d'envisager aussi certaines affaires ou cela aurait pu être le cas.

4 La matière du droit du travail nous en donne l' occasion. 1° Cette matière offre surtout l'avantage d'illustrer la différence de réaction des juges selon que la loi d'application immédiate, ou loi de police, constitue pour eux une lex f ori ou une loi étrangère. -

Les tribunaux et cours du travail belges ont ainsi à des nombreuses reprises, évincé la lex contractus applicable à un contrat de travail exécuté en tout ou en partie en Belgique pour faire application de dispositions légales belges organisant la protection des travailleurs, à savoir essentielle­ment les dispositions sur le salaire minimum, l'indemnité d'éviction, le pécule de vacances, les causes de suspension du contrat, les délais minima de préavis et le renvoi pour motif grave. 11 Ainsi, par exemple, l'article 82 de la loi du 3 juillet 1978 (ancien article 15 des lois sur le contrat d'emploi) relatif à la fixation du délai de préavis à observer lors de la résiliation d'un contrat d'emploi a donné lieu à une abondante jurisprudence, illustrée notamment par le célèbre arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 1985. 12

En l'espèce, les parties liées par un contrat d'emploi avaient soumis leurs relations contractuelles à la loi de l'Etat d'Illinois (USA). A la suite de la rupture de ce contrat, se posait la question de la durée du préavis à observer par l'employeur. Les juges du fond décidèrent que nonobstant le choix des parties quant à la lex contractus, il y avait lieu d'appliquer une disposition impérative de droit belge en raison de son caractère de loi de police et de sûreté, à savoir: l'ancien article 15 des lois coordonnées sur le contrat d'emploi fixant des délais de préavis minima et permettant au juge de déterminer la durée du préavis à respecter à défaut d'accord des parties (après le moment ou le préavis a été donné). Par son arrêt du 3 juin 1985, la Cour rejetta le pourvoi dirigé contre eet arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 22 juin 1983.

Bien que ce faisant, la jurisprudence ait fait appel à la notion de loi de police et de sûreté (et même à celle d'ordre public international ce qui paraît plus critiquable), ces exemples sont parfaitement valables pour

10 Le droit du travail constitue en effet un domaine de prédilection pour la théorie des lois d'application immédiate, car nombre de dispositions protectrices des travailleurs répondent à la définition des lois d'application immédiate. Voy. à ce propos, Francescakis, "Lois d'applica- A tion immédiate et droit du travail", R.C.D.l.P., 1974, 273 et s. W 11 Voy. notamment, Cass., 25 juin 1975, Pas., 1975, I, 1038; C.T. Bruxelles, 24 mai 1983, R. W. 1983-84, 253; C.T. Liège, 22 octobre 1981, J.T.T., 1982, 58; C.T. Bruxelles, 11 mars 1983, J.T.T., 1983, 178; C.T. Bruxelles, 25 avril 1978, R.D.S., 1979, 98; C.T. Liège, 5 janvier 1982, J.L., 1983, 241; voy. en doctrine: Fallon, "L'autonomie de la volonté et rattachement du contrat international de travail au droit beige", J.T.T., 1984, p. 268, n° 14 ets.; Rigaux, "Loi d'autonomie et contrat de travail en droit international privé", J.T.T., 1985, p. 454, n° 11 et s.; Bayart, "Lesjuridictions du travail et la fixation de la durée du préavis", J.T.T., 1987, 213 et s. 12 Cass., 3 juin 1985, J.T.T., 1985, p. 309 et la note Wantiez; Cass., 9 juin 1986, J.T.T., 1986, 505; Cass., 9 février 1987, J.T.T., 1987, 266. Sur la controverse tranchée par ces arrêts, voy. notre commentaire de !'arrêt précité du 3 juin 1985 in Watté et consorts, "Chronique de jurisprudence beige - Droit international privé", à paraître au Clunet.

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notre propos, car le raisonnement est quasi identique dans les deux cas (voy. infra).

On peut donc conclure que cette jurisprudence constitue une parfaite illustration de la théorie des lois d'application immédiate. Cette situation s'explique sans doute par le fait que les lois en question émanaient du législateur belge.

5 En effet, lorsqu'elles ont été confrontées à des lois similaires étrangè­res, les mêmes juridictions du travail se sont montrées beaucoup plus réticentes13 comme en témoigne une intéressante affaire tranchée par la cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 7 octobre 1981. 14

Un litige opposait un ingénieur belge à son employeur belge à propos du congé que lui avait donné ce dernier. Le contrat d'emploi ainsi résilié avait été exécuté en Mauritanie. Compte tenu de cette localisation, l'employeur soutenait que la loi applicable à la relation de travail entre parties était celle de Mauritanie. Il s'appuyait à eet égard sur l'article 6 du Code du travail mauritanien qui est rédigé comme suit: "Quels que soient le lieu de la conclusion du contrat et de la résidence de l'une des parties, tout contrat conclu pour être exécuté en République de Maurita­nie est soumis aux dispositions du présent code". 15 Le premier juge donna raison à l'employeur en invoquant le caractère de loi de police et de sûreté de l'article 6 en question.

Par contre, la cour rejeta eet argument tiré du caractère de loi de police pour décider ensuite que la loi belge était applicable parce que plusieurs indices démontraient une volonté des parties dans ce sens (nationalité des parties, lieu de conclusion du contrat, affiliation à l'OSSOM, etc.).

Deux éléments de fait nous semblent avoir été déterminants dans ce rejet de l'application d'une loi étrangère de police ou d'application immé­diate.

D'une part, la loi mauritanienne entrait en conflit avec la loi belge <lont on a vu que nombreuses dispositions de droit du travail présentent aussi un caractère de loi de police. Or en cas de conflit entre deux lois d'application immédiate, la préférence va généralement à la loi de police du for. L'article 7, § 2, précité de la Convention CEE de 1980 et l'article 7 de la loi belge du 14 juillet 1987 ont d'ailleurs consacré cette solution.

D'autre part, lors de l'exécution du contrat, les parties n'avaient jamais appliqué le Code du travail mauritanien. Il aurait été choquant de voir ce code s'appliquer à la demande de l'employeur, alors que jusque là eet employeur ne s'était nullement préoccupé du droit mauritanien du travail.

13 Fallon, "Autonomie de la volonté ... ", l.c., n° 16; Dumortier, Arbeidsverhoudingen in het internationaal privaatrecht, 1981, n° 82. 14 C.T. Bruxelles, 7 octobre 1981, J.T.T., 1983, 179. 15 On trouve des dispositions semblables dans d'autres droits africains. Voy. un intéressant arrêt de la Cour de cassation de France du 29 janvier 1975 (R.C.D.l.P., 1976, 338 et la note Battifol), relatif à !'exequatur d'une décision sénégalaise ayant fait application du droit du travail sénégalais en raison de son caractère impératif.

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En définitive, cette décision se justitie sur le plan de l'équité. Elle n'en reste pas moins décevante sur le plan des principes qui nous occupent en ce qu'elle rejette catégoriquement la possibilité, même théorique, de l'application d'une loi étrangère de police ou d'application immédiate.16

6 On rencontre aussi de telles prises de position négatives dans la jurisprudence étrangère. - !

L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juillet 198217 s'inscrit incontes­tablement dans cette tendance. Une entreprise française avait conclu un contrat de vente avec un exportateur brésilien à l'intervention d'un agent de ce dernier établi en France. Cet agent avait promis à l'acheteur français une remise spéciale de 12% prohibée par la réglementation brésilienne des changes. Assigné en paiement de ladite remise, l'exportateur brésilien invoquait notamment la connaissance de cette violation de la loi brésilien­ne par l'acheteur. La cour d'appel de Paris écarta cette argumentation dans les termes suivants : "Considérant que la réglementation brésilienne, même si elle était connue par la société C.C.O. (l'acheteur français) ne s'imposait pas à celle-ci dans un contrat conclu en France ou elle a elle-même son siège social et ou la livraison devait être faite".

Cette décision est tout d'abord critiquable en ce qu'elle ne s'est pas clairement prononcée sur la question du droit applicable. 18

Mais en outre, on peut s'étonner de ce que la cour n'ait en aucune manière examiné l'éventuelle incidence sur 1e contrat litigieux de la violation de la législation brésilienne.

7 La jurisprudence, tant française qu'étrangère19 s'est pourtant à de nombreuses reprises prononcée en faveur d'une "certaine" prise en considération des lois étrangères tierces à la lex contractus, lorsque ces lois font l'objet d'une violation systématique par les cocontractants.

Ce premier pas dans le sens de l'application de la théorie des lois d'application immédiate a été franchi notamment par le tribunal de commerce de Bruxelles dans son célèbre jugement du 19 avril 1968.20

Le tribunal avait été amené à examiner au regard du droit belge, la licéité de l'objet d'une association momentanée constituée en vue d'effectuer des opérations de trafic de devises entre la Belgique et la République du Congo. Ce trafic étant manifestement interdit par la législation des changes congolaise, se posait la question de la prise en considération d'une loi de police étrangère n'appartenant pas à la lex contractus, à savoir le -droit belge.

16 Sur ce point, cette décision ne saurait donc être approuvée. Contra: Blondiau et consorts, "Chronique de jurisprudence - Rupture du contrat de travail", J.T.T., 1986, 105. 17 Clunet, 1983, 383 et la note Kahn. 18 Voy. à eet égard la note Kahn précitée, p. 386. 19 Voy. lajurisprudence française, néerlandaise et allemande citée par Toubiana, o.c., n° 263 ets., p. 237; - Battifol, Les conflits de lois en matière de contrats, n° 418, p. 359. 20 J.C.B., 1968, 765 et la note Rigaux.

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Le tribunal constata tout d'abord que cette question était totalement étrangère au concept d'ordre public international be~e.21 Cette première précision fut approuvée à juste titre par la doctrine 2 puisque ce concept d'ordre public international a uniquement pour fonction d'empêcher l'application d'une loi étrangère normalement compétente mais contraire aux principes essentiels de l'Etat du for. 23

Le tribunal déclara ensuite que la seule circonstance qu'une loi étrangè­re ait été violée ne suffit pas à justifier l'application en Belgique d'une nullité absolue fondée sur les articles 6 et 1131 du Code civil, même lorsque la violation de la loi étrangère était le mobile déterminant des associés, ce qui était le cas en l'espèce.

On considère en eff et traditionnellement que pour prononcer une telle nullité, l'intention de violer la loi étrangère doit apparaître au juge belge comme contraire aux bonnes mreurs telles qu'il les apprécie.

Selon le jugement, cette condition était présente en l'espèce parce que les associés étaient uniquement animés par le but de lucre et de spéculation et qu'ils avaient même été jusqu'à corrompre des tiers pour exercer leur activité frauduleuse. La société momentanée fut donc en définitive décla­rée nulle et l'action tendant à établir les comptes de liquidation fut jugée irrecevable.

Il est incontestable que le tribunal a pris en considération la loi étrangère dans son raisonnement, mais l'enseignement qu'on peut en tirer sur le plan de la théorie des lois d'application immédiate apparaît fort réduit puisque : - d'une part, le tribunal ne s'est nullement préoccupé du caractère d'application immédiate de la réglementation des changes congolaise; - d'autre part, la loi étrangère n'a été prise en considération24 que de manière très restrictive en tant qu'indice d'une contrariété aux bonnes mreurs belges. La loi étrangère n'a donc été examinée que comme élément de pur fait. 25 ·

Le tribunal a en effet, implicitement mais de manière certaine, refusé de prendre en considération la loi étrangère en tant que telle (c'est-à-dire

21 Dans Ie sens contraire, voy. trib. civ. Seine, 4 février 1956, R.C.D.l.P., 1956, 679, et la note H.B.; voy. aussi, les décisions citées par Mme Tubiana, o.c., n° 263. Cet auteur semble se rallier à cette jurisprudence (voy. n° 264 ets.) tout en préférant un rattachement à la notion d'ordre public réellement international ou d'ordre public transnational. 22 Van Ommeslaghe, "Examen de jurisprudence - Les obligations", R.C.J.B., 1975, p. 465, n° 27; Dieux, "Le contrat: instrument et objet de dirigisme?", in Les obligations contractuelles, éd. J.B., 1983, 269; Rigaux, Note d'observations précitée, n° 8 et s. 23 Vander Elst, Droit international privé beige, n° 80 ets., p. 331 ets. Sur Ja distinction entre les notions d'ordre public international et de loi d'application immédiate, voy. infra. 24 Selon l'expression du Professeur Mayer, il y a prise en considération d'une norme étrangère "lorsque cette norme entre dans Ie présupposé de Ja règle substantielle applicable": Mayer, "Les lois de police étrangères", Clunet, 1981, p. 307, n° 34. Dans Ie jugement commenté, la Joi étrangère entre dans Ie présupposé de la règle de contrariété aux bonnes mreurs. 25 Battifol et Lagarde, Traité élémentaire de droit international privé, 6ème éd., n° 598, p. 277; Rigaux, note précitée, n° 9; Gianviti, "Le controle des changes étranger <levant Je juge national", R.C.D.I.P., 1980, 697 et les réf. citées.

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en tant qu'élément de droit), puisqu'il a refusé de déduire de sa seule violation une application des articles 6 et 1131 du Code civil. 26

Dans le raisonnement du tribunal il n'y avait donc aucune délimitation de la lex contractus à envisager qui proviendrait de la réglementation congolaise des changes.27

Il serait cependant difficile de reprocher au tribunal d'avoir raisonné de la sorte à une époque ou la théorie des lois d'application immédiate A était encore balbutiante et ou d'ailleurs la doctrine internationaliste W adoptait le même raisonnement fondé sur la notion de bonnes mreurs. 28

Selon cette doctrine traditionnelle, l'intention de transgresser une loi étrangère quelconque (c'est-à-dire fût-ce-t-elle même d'application immé­diate), constitue non pas "la cause prohibée par la loi au sens de l'article 1133 du Code civil, puisque la loi violée n'est pas celle qui régit le contrat, mais la "cause contraire aux bonnes mreurs" au sens de cette disposition. Cette opinion est tout à fait conforme à !'analyse généralement retenue sur ce point en droit des obligations.29

Par contre, à la suite du Professeur Rigaux30, on peut regretter que le tribunal n'ait nullement tenu compte de l'article VIII, 2b, des accords de Bretton Woods relatifs au statut du Fonds Monétaire International. La version française de cette disposition capitale approuvée par la loi beige du 26 décembre 1945, prévoit que "les contrats de change qui mettent en jeu la monnaie d'un membre et sont contraires aux réglementations de controle des changes que ce membre maintient en vigueur ou qu'il a

26 Nous verrons ei-dessous que justement la théorie des lois étrangères d'application immédia­te aurait pu conduire à une telle solution. 27 Dans le même sens, voy. Van Hecke, Problèmesjuridiques des emprunts internationaux, lère éd., p. 210, et du même auteur, voy., le v° Currency, in International Encyclopedia of Comparative law, vol. III, ch. 36, p. 14, n° 16. 28 Van Hecke, ibidem; Battifol et Lagarde, o.c., n° 598. Voy. aussi, Liénard-Ligny, "L'autono­mie de la volonté face aux lois impératives dans les contrats internationaux", Ann. Fac. Dr. Liège, 1968, 33 et 36; Gothot, "Loi monétaire tierce et loi du contrat", Rev. Banque, 1979, cah. 4, p. 83. 29 Ainsi, selon Ie Professeur Van Ommeslaghe, il y aura en principe contrariété aux bonnes mreurs en cas de contrebande, piraterie, fraude douanière ou fraude sur devises, à moins que les responsables de ces actes n'établissent qu'ils étaient animés de mobiles respectables, par exemple parce que les lois étrangères violées étaient elles-mêmes contraires à la morale internationale généralement admise: Van Ommeslaghe, l.c.; - dans Ie même sens, Dieux, l.c.; Van Ryn et Heenen, Principes, t. III, 2ème éd., n° 8, 6°, p. 13. Cette réserve liée à l'immoralité de la loi étrangère s'explique aisément: on ne saurait considérer comme contraire aux bonnes mreurs Ie fait de chercher à échapper aux effets d'une loi immorale. La cour de Colmar a fait une parfaite application de ce principe en se fondant sur le caractère spoliateur de la réglementation des changes allemande pour considérer comme non contraire aux bonnes mreurs un contrat par lequel un réfugié allemand résidant en France avait donné mandat à un français pour rapatrier d'Allemagne les fonds qu'il ne pouvait sortir lui-même de son pays d'origine: Colmar, 16 février 1937, D.P., 1939, Il, 95 et la note Silz; voy. aussi sur cette réserve, Gothot, l.c., p. 896 et les réf. citées; Van Hecke, Problèmes juridiques des emprunts internatio­naux, lère éd., p. 212 et les réf. de jurisprudence anglaise citées; Liénard-Ligny, l.c., p. 35; Audit, Note sous !'arrêt de la Cour de cass. de France du 7 mai 1974, Clunet, 1975, 73. 30 Rigaux, note précitée, n°' 20 à 22.

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introduites en conformité avec eet accord, ne seront pas exécutoires sur les territoires des Etats membres ... ".

L'application de cette disposition n'aurait toutefois pas été d'une grande utilité sur le plan de la solution finale. 31

Il aurait pu en être autrement si par exemple le tribunal n'avait pas admis l'existence d'une contrariété aux bonnes mreurs. Dans ce cas, le tribunal aurait pu à titre subsidiaire, appliquer l'article VIII en question en refusant de rendre exécutoire sur le territoire belge, la convention d'association momentanée qui lui était soumise.

Si cela avait été le cas, le jugement aurait pu alors être considéré comme une véritable illustration de la théorie des lois étrangères d'application immédiate.

En effet, l'article VIII de Bretton Woods utilise la technique propre aux lois d'application immédiate en prönant la prise en considération d'une loi étrangère éventuellement tierce à la lex contractus.

8 Les principes précités ont également reçu une intéressante application dans une sentence rendue par un tribunal arbitral belge en date du 23 mars 1981.32 L'action soumise au tribunal arbitral tendait à obtenir le paiement de loyers impayés et de dommages et intérêts. Les défendeurs soutenaient que cette action était irrecevable parce que les conventions sur lesquelles elle reposait étaient nulles pour contrariété aux bonnes mreurs et à l'ordre public: selon cette thèse, ces conventions auraient eu pour but et pour eff et de violer les lois espagnoles sur la réglementation des changes. Les défendeurs soutenaient à titre subsidiaire qu'il ne pouvait être donné force obligatoire à ces conventions en vertu de l'article VIII, 2b, des accords de Bretton Woods.

Après avoir choisi la loi belge comme lex contractus, 1e tribunal énonça les mêmes principes que ceux consacrés par lejugement précité du 19 avril 1968. Mais le tribunal constata en fait que les conventions litigieuses n'entravaient nullement la réglementation des changes espagnole. Il y avait certes un risque de voir une telle entrave se réaliser, mais les conventions pouvaient cependant être exécutées sans violer la moindre disposition de la loi espagnole. Un simple risque de violation fut donc logiquement considéré comme insuffisant pour invalider les conventions sur base de l'article 1133 du Code civil ou par application de l'article VIII des accords de Bretton Woods.

Comme l'y invitaient les plaideurs, le tribunal arbitral a donc pris en considération une réglementation des changes étrangère à la lex contrac­tus, mais uniquement sous l'angle de la contrariété aux bonnes mreurs et donc sans aborder la question de droit international privé liée au caractère de loi de police ou de loi d'application immédiate de la réglementation en question.

31 Voy. dans Ie même ordre d'idées, un jugement ou Ie principe de l'article VIII a été énoncé sans toutefois être appliqué car il était inutile à la solution: Comm. Bruxelles, 13 mars 1973, J.C.B., 1973, 403. 32 J.T., 1983, 727 et la note Ekelmans.

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Sur ce plan, la sentence n'apporte rien de neuf par rapport au jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 19 avril 1968.

Par contre, le tribunal a procédé à un raisonnement plus adéquat en examinant l'argumentation des défendeurs fondée sur l'article VIII des accords de Bretton Woods.

Le tribunal a certes écarté cette argumentation pour des motifs de fait, mais il n'en a pas moins admis implicitement la possibilité d'une prise en -considération effective (c'est-à-dire non plus comme simple élément de fait) d'une loi étrangère d'application immédiate par application de l'article VIII des accords de Bretton Woods.

9 Un récent arrêt de la cour d'appel de Bruxelles est encore plus explicite à eet égard. 33

Les circonstances de l'espèce sont comparables à celles du litige tranché par le tribunal de commerce de Bruxelles en 1968 (voy. supra, n° 7).

Pour s'opposer à l'exécution forcée d'une convention ayant donné lieu à la remise de chèques <lont le demandeur réclamait le paiement, la défenderesse invoquait notamment le fait que la convention en question était contraire à l'ordre public zaïrois en ce qu'elle avait pour hut de réaliser des opérations de changes violant la réglementation zaïroise sur le controle des changes.

Sur le plan des faits, eet argument était difficilement contestable puis­que les parties avaient expressément reconnu en présence de la police judiciaire zaïroise, qu'elles s'étaient livrées "à une opération de change interdite sur le territoire du Zaïre et qui porte atteinte à l'ordre public économique interne du Zaïre".

Sur le plan du droit, le premier juge l'écarta pourtant en constatant qu'il n'y a pas lieu d'avoir égard à l'ordre public zaïrois quant à la validité d'une obligation qui devait être exécutée en Belgique entre Belges.

Par son arrêt du 24 mars 1987, la cour d'appel de Bruxelles s'est montrée beaucoup plus nuancée.

Elle rel eva, en effet, que si effectivement le juge belgen' est pas le gardien de l'ordre public du pays étranger <lont une loi impérative a été violée, "encore ne peut-il donner effet à un contrat qui aurait pour cause la transgression délibérée de la loi zaïroise sur le controle des changes".

La cour fit ensuite expressément référence à l'article VIII des accords de Bretton Woods pour en déduire que "la commune appartenance de la Belgique et du Zaïre au Fonds monétaire international, il résulte que A le juge belge doit juger contraire aux bonnes mreurs la violation de la W réglementation sur le controle des changes édictée par l'un des Etats mem bres".

Les parties ne s'étant pas prononcé sur cette question, la cour ordonna dès lors une réouverture des débats.

Il faut évidemment saluer cette heureuse initiative de la cour qui n'a pas hésité à soulever d'office la problématique liée à l'article VIII des

33 Bruxelles, 24 mars 1987, J.T., 1987, 343.

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accords de Bretton Woods. Malheureusement, la manière <lont la cour a articulé cette problématique dans son arrêt, reste à notre avis, trop classique.

En effet, la cour n'a fait référence à l'article VIII des accords de Bretton Woods, que pour en déduire une éventuelle contrariété aux bonnes mreurs belges.

Le raisonnement de la cour aurait, selon nous été meilleur si l'article VIII avait été déclaré applicable comme tel indépendamment de l'article 1133 du Code civil.34

Sur le plan de la théorie des lois d'application immédiate, eet arrêt de la cour de Bruxelles n'apporte donc en définitive que peu d'innovation par rapport au jugement du tribunal de commerce et à la sentence arbitrale précitée.

JO Confrontée à des situations de fait similaires, lajurisprudence anglai­se se montre par contre plus "progressiste" en ce qu'elle ne se contente pas d'examiner les lois étrangères violées en tant que simple élément de fait.

Certes la validité d'un contrat conclu en violation d'une réglementation des changes étrangère est toujours examinée selon les critères de la lex con tractus. 35 Cependant, l'illicéité de ce contrat est déduite d'un principe de droit anglais plus général selon lequel l'objet d'une convention devient illicite s'il est interdit par la loi du pays ou le contrat doit être exécuté (la lex solutionis).

Cette jurisprudence consacrée à plusieurs reprises notamment en matiè­re de réglementation des changes et de crédit documentaire36 est beaucoup plus proche du concept moderne de loi d'application immédiate étrangère, que ne l'est la jurisprudence classique relative à la notion de bonnes mreurs : en eff et, contrairement à cette dernière, la jurisprudence anglaise en question envisage une prise en considération de la loi étrangère en tant qu'élément de droit.

11 La même constatation peut être faite à propos des décisions rendues en matière de force majeure. 37

34 Sur la délicate question du champ d'application de l'article VIII, voy. Ie remarquable ouvrage de M. Braeckmans, Juridische aspecten van consortiumkredieten in eurodeviezen, 1985, n° 515 et s. . 35 Cela ne nous paraît d'ailleurs pas critiquable, même au regard de la théorie des lois d'application immédiate: sur cette délicate question, voy. infra, n°' 30 et 31. 36 Voy. les décisions citées dans les chroniques de jurisprudence anglaise de M. Lipstein (Clunet, 1980, 158) et de M. Goldsmith (D.P.C.l., 1983, 179 ets.). Ce dernier formule ce principe de manière quelque peu différente: "Le juge anglais doit se refuser à condamner Ie contractant quine peut s'exécuter qu'en enfreignant une réglementation d'ordre public du pays ou l'exécution doit avoir lieu". 37 On notera que ce problème a aussi été posé dans la sentence arbitrale beige commentée ci-dessus. Le tribunal arbitral a, en effet, expressément admis qu'un fait du Prince aurait pu découler de la législation espagnole sur Ie controle des changes; Ie tribunal s'est prononcé -

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Certaines juridictions étrangères ont admis qu'une législation étrangère à la lex contractus pouvait constituer pour des cocontractants un empê­chement les mettant dans l'impossibilité d'exécuter leur prestation.38

Une telle impossibilité d'exécution a surtout été invoquée à propos des interdictions d'exportation ou de commerce avec l'ennemi en temps de guerre. Ainsi le Reichgericht allemand a-t-il admis qu'une interdiction anglaise de commercer avec l'ennemi pouvait constituer la force majeure -plaçant un ressortissant du Royaume-Uni dans l'impossibilité de faire face à ses obligations envers son cocontractant allemand. 39 Ce faisant, le Reichgericht a de manière certaine pris en considération la loi anglaise qui, selon toute vraisemblance, présentait les caractéristiques d'une loi d'application immédiate.

De même, plusieurs décisions françaises ont-elles admis que le blocage de valeurs mobilières par les autorités allemandes d'occupation exonérait un agent de change et un banquier de leur obligation de livraison de telles valeurs à leurs clients.40

La jurisprudence anglaise a systématisé le raisonnement pour admettre comme circonstances de force majeure ( ou plus exactement de "frustrating event")41 des décisions ponctuelles prises par des autorités étrangères, à savoir notamment des modifications d'octroi ou retraits portant sur des

-comme suit à eet égard : "Il aurait certes pu se produire que Ie locataire se soit trouvé par suite d'un refus des autorités espagnoles dans l'impossibilité d'exécuter l'une des obligations mises à sa charge par les conventions litigieuses ... ". Par contre, dans un arrêt du 21 mars 1986, la cour du travail de Bruxelles (J.J.B., 1986, 129) a rejeté un argument similaire (à savoir Ie "fait du Prince") fondé sur la violation de la réglementation zaïroise des changes. 38 La doctrine française s'est demandée si un tel raisonnement n'aurait pas pu être appliqué à propos de l'Executive Order américain du 14 novembre 1979 ayant ordonné Ie blocage des avoirs iraniens. La question s'est en effet posée de savoir si les filiales et succursales françaises de banques américaines devaient tenir compte de eet ordre de blocage. Après avoir déterminé que la lex contractus à ce genre de situation était la loi française, M. Gianviti a conclu que la force majeure ne pouvait jouer car la condition d'irrésistibilité n'était pas remplie: Ie seul fait que la loi américaine interdise aux banques françaises d'exécuter en France leur obligation ne pouvait pas constituer l'obstacle insurmontable nécessaire à la force majeure: Gianviti, "Le blocage des avoirs officiels iraniens par les Etats-Unis", R.C.D.I.P., 1980, 299 et 302; voy. aussi Gavalda, "L'efficacité juridique en France de l'exécutive order du Président Carter "gelant" les avoirs officiels iraniens?", Gaz. Pal., 16 décembre 1979, p. 2. De manière plus générale sur les effets extraterritoriaux de certaines réglementations américaines, voy. Fazonne, "Business Effects of the extraterritorial reach of the U.S. export control laws", Dr. et prat. comm. int. ( D.P.C.I.), 1982, t. 8, n° 4, p. 591 ets.; Audit, "Extraterritorialité et commerce international - !'affaire du gazoduc sibérien", R.C.D.l.P., 1983, p. 399 ets. 39 R.G. 28 juin 1918, R.G.Z., 93, p. 182, Clunet, 1919, 788; voy. les commentaires sur eet arrêt de Gianviti, étude citée, p. 697; - voy. aussi les autres décisions citées par Mme Liénard-Ligny, l.c., p. 30 et 31. 40 Poitiers, 10 février 1942, D., 1942, J., 146; Trib. comm. Marseille, 17 décembre 1941, Gaz. Pal., 1942, I, 151; pour d'autres exemples, voy. Mayer, note sous !'arrêt de la Cour de cass. de France du 8 mai 1974, R.C.D.I.P., p. 456, n° 4. 41 Sur cette notion de frustration, voy. Elland-Goldsmith, "Les principes généraux du droit anglais et les opérations internationales", D.P.C.I., 1980, 475 et s.

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licences d'exportation, des nationalisations d'exploitations pétrolières dans des pays arabes ou encore des mesures d'embargo.42

Cette jurisprudence relative à la notion de force majeure constitue une intéressante illustration de la théorie des lois d'application immédiate, puisque la loi étrangère est cette fois prise en considération en tant que véritable élément de droit.

Cependant, cette jurisprudence ne présente qu'un intérêt limité à eet égard dans la mesure ou elle ne repose pas sur un raisonnement de droit international privé.

12 Seules quelques rares décisions ont consacré le principe des lois d'application immédiate en s'appuyant sur un tel raisonnement.

Au surplus, la plupart de ces décisions ont énoncé le principe en question sans l'appliquer dans 1e cas d'espèce qui leur était soumis.

On peut citer dans ce sens un jugement du tribunal du travail de Huy du 27 novembre 1980.43

Il s'agissait d'une réclamation d'indemnités de rupture émanant d'un ingénieur belge engagé dans le cadre d'un contrat d'emploi du Mali.

Alors que eet ingénieur se fondait sur la loi belge, l'employeur invoquait pour sa part l'application de la loi malienne en tant que loi de police et de sûreté et non pas en tant que facteur de rattachement permettant de dégager la volonté des parties quant au droit applicable à leurs relations contractuelles.

Le tribunal rejetta cette argumentation tout en énonçant le principe suivant: "Lorsqu'un contrat d'emploi est conclu en Belgique entre deux personnes juridiques belges ... il y a lieu de faire application de la loi bel ge, sauf pour ce qui, s'exécutant dans le pays étranger, serait contraire aux lois de police de ce pays, sans être contraire aux nötres".

Il faut y voir une reconnaissance par le tribunal de la possibilité théorique de l'application de lois de police étrangères par rapport à la lex contractus.44

Le tribunal émet cependant la même réserve que celle envisagée ci-dessus : en cas de conflit entre une loi de police étrangère et une loi de police du for, celle-ci doit prévaloir.

Malgré cette réserve, ce jugement du tribunal du travail de Huy nous paraît tout à fait essentie!: à notre connaissance, il s'agit du seul cas dans lequel le principe des lois étrangères d'application immédiate a été implici­tement consacré par la jurisprudence belge.

13 Aux Pays-Bas, c'est la Hoge Raad elle-même qui a énoncé le principe, par son fameux arrêt Alnati du 13 mai 196645 : selon la Cour suprême,

42 Voy. les nombreuses réf. citées à eet égard par M. Philippe, Changement de circonstances et bouleversement de l'économie contractuelle, Bruylant, 1986, n° 4.2.5.3., p. 400. 43 J.L., 1981, 71. 44 Dans ce sens également Hanotiau et Fallon, "Chronique de jurisprudence - Les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles et non contractuelles", J.T., 1987, n° 40. 45 R.C.D.l.P., 1967, 524.

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"il peut arriver que, pour un Etat étranger, l'observation de certaines de ces règles, même en dehors de son territoire, revête une importance telle que le juge néerlandais doive en tenir compte et dès lors les appliquer de préférence au droit d'un autre Etat qui aurait été choisi par les parties pour régir leur contrat". En l'espèce, la Cour considéra que la disposition légale étrangère en question ne revêtait pas ce caractère de loi d'applica-tion immédiate. Il s'agissait de l'article 91, § 4, du Code de commerce 9 belge.

Le caractère "de principe" de eet arrêt Alnati semble cependant avoir été quelque peu remis en cause récemment. En effet, dans ses conclusions précédant un arrêt de la Hoge Raad du 12 janvier 1979, le Procureur général a pu soutenir, sans avoir été désavoué par la Hoge Raad, que la portée de la jurisprudence "Alnati" devait être limitée aux contrats de transport maritime contenant un choix expres de la loi applicable.46 Cette décision n'a cependant pas été suivie unanimement par les juridictions néerlandaises, comme en témoigne une remarquable ordonnance en référé rendue le 17 septembre 1982 par le tribunal d'arrondissement de La Haye.47

Dans cette affaire, un contrat avait été conclu en juin 1982 entre une société française (la C.E.P.) et une société néerlandaise (Sensor) indirecte­ment contrölée par une société américaine. Le contrat portait sur la livraison par Sensor à la C.E.P. de sismographes expressément destinés à l'URSS. A la suite des mesures d'embargo prises par le gouvernement américain pour empêcher la construction du gazoduc reliant la Sibérie à l'Europe occidentale48, Sensor fit savoir à son acheteur qu'elle était tenue de respecter ces mesures "en tant que filiale d'une société américaine" et qu'elle se trouvait dès lors dans l'impossibilité d'exécuter le contrat pour cause de force majeure. La C.E.P. l'a alors assignée, aux Pays-Bas, <levant le juge des référés compétent, en exécution forcée du contrat.

Le juge a tout d'abord recherché la loi applicable au contrat. A défaut de choix des parties, il s'est expressément inspiré de l'article 4 de la Convention CEE (consacrant le critère des liens les plus étroits) pour constater que le contrat était soumis à la loi néerlandaise. Sensor invo­quant la mesure d'embargo américaine, le président du tribunal s'est alors expressément demandé "dans quelle mesure faut-il tenir compte du droit des Etats-Unis qui restreint les échanges commerciaux". Après avoir écarté une telle prise en compte sur base de !'examen du "régime de

46 Voy. R.C.D.l.P., 1980, 68 et la note Van Rooy; - dans Ie même sens Karaquillo, o.c., n° 694, p. 192. 47 R.C.D.l.P., 1983, 473. 48 Sur Ie détail de ces mesures, voy. l'étude de M. Audit, "Extraterritorialité et commerce international - L'affaire du gazoduc sibérien", R.C.D.l.P., 1983, 399 ets.; Jacquet, "La norme juridique extraterritoriale dans Ie commerce international", Clunet, 1985, p. 351, n° 40 et les réf. citées à la note 48; de manière plus générale sur les effets des mesures d'embargo, voy. Virole, "Incidence des mesures d'embargo sur les contrats internationaux", D.P.C.l., 1981, 311 et s.

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juridiction" mis en reuvre au regard du droit international public49 , le juge des référés s'exprima comme suit:

"Selon les règles du droit international privé néerlandais, le juge néerlan­dais - même si le droit néerlandais est applicable à un contrat international comme dans le cas d'espèce - doit néanmoins dans certaines circonstances donner la priorité à certaines dispositions impératives du droit étranger par rapport au droit néerlandais.

Parmi les circonstances qui obligent le juge néerlandais à accorder une telle priorité figure la condition que le contrat présente des facteurs de rattachement suffisants avec le pays étranger en question. Cette question n'est pas remplie en l'occurrence".

Le juge en conclut que Sensor n'était pas fondée à invoquer l'embargo américain et il fit dès lors droit à la demande d'exécution forcée.

Cette ordonnance consacre, sans malheureusement l'appliquer50, la théorie des lois d'application immédiate, tout en la soumettant à une condition précise: la présence de liens suffisants de rattachement avec le pays dont émane la loi en question. 51

14 Par contre, par son arrêt du 15 mai 1975, la cour d'appel de Paris52

a non seulement énoncé le principe de l'application immédiate des lois de police contractuelle, mais elle l'a aussi appliqué au cas d'espèce qui lui était soumis. ·

Dans cette affaire, un certain M. Roux, propriétaire de diverses parcel­les de terre situées au Sud-Vietnam, avait cédé ses terres à l'Etat français moyennant un prix déterminé. Suite aux événements historiques que l'on sait, à savoir les accords franco-vietnamiens de décembre 1949 et décem­bre 1950, l'Etat français n'a pas pu bénéficier de cette vente.

Dès lors pour justifier son refus de paiement du prix, l'Efat français plaida que la vente intervenue était nulle en raison du fait qu'une autorisa­tion légale de ven te n'avait pas été obtenue: une ordonnance vietnamienne du 20 avril 1956 subordonnait en effet, tout transfert d'immeuble à un étranger à une autorisation préalable.

49 De eet examen, Ie juge a en effet conclu que la mesure applicable à la société Sensor, simplement contrölée indirectement par des ressortissants américains, n'était pas justifiable notamment au regard des dispositions de la convention américano-néerlandaise. Voy. sur cette question propre au droit international public, Audit, l.c., p. 406 à 426. Voy. aussi, Mayer, "Le röle du droit public en droit international privé", R.l.D.C., 1986, 467 et s. 50 Il faut cependant bien reconnaître qu'en l'espèce, cette non-application était effectivement justifiée par !'absence de lien étroit entre la législation américaine et la situation litigieuse. La décision ne saurait donc, à notre avis, être critiquée sur ce point. Dans Ie même sens, voy. Jacquet, "La norme juridique extraterritoriale dans Ie commerce international", Clunet, 1985, p. 403, n° 133. 51 Bien qu'il n'y soit pas fait expressément référence, il apparaît évident que cette dernière précision est inspirée de l'article 7 précité de la Convention CEE sur les obligations contractuel­les. Cet article prévoit en effet, qu'"il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit ... ". 52 R.C.D.I.P., 1976, 690 et la note Battifol.

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L'Etat français eut finalement gain de cause tant en première instance qu'en degré d'appel. La cour d'appel motiva sa décision de la manière suivante: "Considérant que très justement le tribunal a retenu que l'or­donnance n° 26 du 20 avril 1956 du Président de la République du Vietnam était une loi d'ordre public s'imposant aux cocontractants comme loi de police du contra! et à laquelle ne pouvait être opposée la loi d'autono­mie des parties; ... par suite, il y a lieu de <lire avec le tribunal que la vente du 20 août 1956 est nulle ... ".

Assurément, cette motivation est remarquable sous l'angle des lois d'application immédiate, même si la cour n'utilise pas le même vocable. 53

En effet, la cour reconnaît expressément que l'ordonnance vietnamienne doit être prise en considération comme loi de police nonobstant toute volonté contraire des parties dans le choix de la loi applicable.

Il est toutefois regrettable que la cour se soit contentée d'une telle affirmation et qu'elle n'ait pas effectivement déterminé la lex contractus applicable à la vente litigieuse. L'allusion négative faite à la loi française apparaît bien insuffisante à eet égard. 54

Si elle avait procédé à cette recherche indispensable du droit applicable, la cour aurait d'ailleurs probablement été amenée à choisir la loi vietna­mienne55, ce qui paradoxalement l'aurait dispensé de recourir, comme elle l'a fait, à la notion de loi de police ou d'application immédiate.

Peut-être pourrait-on expliquer cette carence en question par le caractè­re trop théorique de l'enseignement de la doctrine à propos des lois de police ou d'application immédiate?

En effet, nombre d'auteurs considèrent que lorsqu'on est en présence d'une loi d'application immédiate, tout recours aux règles de conflits habituelles devient superflu, puisque seule la loi d'application immédiate s'applique à l'exclusion de la lex contractus (voy. infra). De là à en déduire qu'il n'est plus nécessaire de déterminer la lex contractus il n'y a qu'un pas qui a probablement été franchi en l'espèce par la cour d'appel.

15 Nous aurons !'occasion de nous prononcer sur cette manière d'appli­quer la théorie des lois d'application immédiate. Contentons-nous pour !'instant de souligner que la détermination de la lex contractus reste une étape obligée même lorsqu'on est confronté à une loi d'application immédiate ou une loi de police.56

53 Comme nous Ie verrons, en France, beaucoup d'auteurs assimilent les notions de lois de police et de lois d'application immédiate. 54 Après avoir énoncé Ie principe précité, la cour continue en effet comme suit: "que l'application de ce texte s'impose avec d'autant plus de force qu'il s'agit en l'espèce de transfert des propriétés de biens qui sont des immeubles, et qu'il n'est aucunement justifié que les parties aient même implicitement entendu se référer à la loi française". 55 En effet, dans Ie silence des parties et en !'absence d'indices concordants en sens contraire, les contrats portant sur un immeuble sont généralement réputés régis par la lex rei sitae, c'est-à-dire la loi de la situation du bien vendu. Dans ce sens voy. Battifol, note sous !'arrêt commenté, l.c., p. 695; Rigaux, o.c., t. II, n° 1064. Telle est actuellement la solution retenue par l'article 4, § 3, de la Convention CEE sur les obligations contractuelles. 56 Toubiana, o.c., n° 181.

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Cette constatation provisoire ne peut toutefois être transposée sans nuance en matière d'arbitrage international.

En effet, de manière générale, la question de la prise en considération des lois étrangères d'application immédiate se pose en des termes quelque peu différents en matière d'arbitrage international. 57

2. La jurisprudence en matière d'arbitrage international

16 Contrairement aux tribunaux ordinaires, les arbitres internationaux ne sont, en principe, pas tenus de suivre les règles de conflit d'un pays plutöt que celles d'un autre.58

En eff et, les méthodes les plus fréquemment appliquées par les arbitres internationaux59 pour déterminer la loi applicable à un litige, ont en commun 1e fait que l'arbitre ne procède à la mise en reuvre d'aucun système de droit international privé étatique. Cette situation a pour conséquence essentielle que dans !'arbitrage international il n'existe pas de lois du for, ni de lois étrangères. Toutes les lois étatiques ont pour l'arbitre une valeur intrinsèque identique. Comme le souligne très juste­ment le Professeur Mayer, "le jeu n'est donc pas faussé par la distinction opérée par les juges étatiques entre lois de police du for et lois de police étrangères". 60 .

Certains auteurs vont même jusqu'à <lire qu'il n'existe pas vraiment pour l'arbitre de normes d'origine étatique d'application immédiate, car aucune loi ne s'impose à lui par le seul effet de sa volonté d'application. Plus exactement, tant que l'arbitre n'a pas pris une décision quant au droit

57 Sur cette notion d'arbitrage international, voy. les développements de MM. Huys et Keutgen, in L'arbitrage en droits beige et international, Bruylant, 1981, n°' 623 à 628; Rigaux, Droit international privé, t. I, 2ème éd., 1987, n° 200 et s. 58 Fouchard, L'arbitrage commercial international, p. 378; Loussouarn et Bredin, Droit du commerce international, p. 42; Lalive, "Les règles de conflit de lois appliquées au fond du litige par l'arbitre international siégeant en Suisse", Rev. arbit., 1976, 159. On ne peut cependant exclure totalement l'idée d'un tel recours aux règles de droit international privé d'un Etat déterminé: on rencontre en effet des hypothèses ou les arbitres internationaux font application des règles de conflit du pays ou se déroule !'arbitrage: Derains, "Les normes d'application immédiate dans la jurisprudence arbitrale internationale", in Le droit des relations économiques internationales, Etudes offertes à Berthold Goldmann, 1982, p. 32, n° 6. 59 Il s'agit surtout de la méthode de l'application cumulative des systèmes de conflits de lois, de la méthode dite de la "voie directe" qui consiste à déterminer Ie droit applicable indépendam­ment de toute règle de conflit et de la méthode des principes généraux de droit international privé; sur ces diverses méthodes, voy. notamment Van Houtte, "Arbitrage en toepasselijk recht", T.P.R., 1982, 703 et s.; Robert, L'arbitrage, Dalloz, 1983, 278 et s.; Lew, "La loi applicable aux contrats internationaux dans la jurisprudènce des tribunaux arbitraux", in Le contrat économique international, 1975, 151 et s.; Lesguillon, Les contrats internationaux, t. I, v0 Le droit applicable, n°' 219 à 222; Rubino-Sammartano, "Le tronc commun des lois nationales en présence - réflexions sur Ie droit applicable par l'arbitre international", Rev. arbit., 1987, 133 ets. 60 Mayer, "L'interférence des lois de police", in L'arbitrage commercial international: L'ap­port de lajurisprudence arbitrale, Les dossiers de la Chambre de Commerce Internationale, avril 1986, p. 46.

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applicable, toutes les lois d'origine étatique sont sur le même plan et ce, qu'elles soient d'application immédiate ou non.61

Dans sa recherche de la lex contractus la plus appropriée, l'arbitre choisira la loi qui correspond Ie mieux à "!'attente légitime" des parties.62

Ce souci d'appliquer la loi répondant Ie mieux à !'attente des cocontrac­tants apparaît dans les méthodes les plus habituellement suivies par les arbitres internationaux.

A ce stade, l'intervention des lois d'application immédiate ne pose que peu de problèmes en pratique: la jurisprudence arbitrale a rarement choisi63 ou écarté certaines dispositions légales en raison de leur caractère d'application immédiate. 64

Mais l'intervention éventuelle des lois d'application immédiate se pose néanmoins lorsqu'après avoir déterminé la lex contractus régissant le contrat à titre principal, l'arbitre est confronté à l'existence d'une loi d'application immédiate étrangère à cette lex contractus.

17 Si proportionnellement, les arbitres internationaux se montrent plus enclins que les juridictions étatiques à prendre en considération ou à appliquer les lois d'application immédiate étrangères, il faut bien recon­naître que la jurisprudence arbitrale reste malgré tout divisée. On constate même un certain courant hostile à toute dérogation à la loi d'autonomie. 65

Ainsi dans une affaire ou certaines dispositions d'un contrat régi par Ie droit français avaient pour objet de tourner systématiquement certaines règles douanières de droit mexicain, les arbitres ont refusé de prendre en considération cette loi étrangère à la lex contractus, estimant que "le droit français ne se soucie pas des droits de douane de l'étranger".66

A notre avis, cette dernière considération manque de nuance. Nous avons pu constater que, comme Ie droit belge, le droit français permettait

61 Derains, l.c., n°' 9 et 10, p. 34. 62 M. Lalive considère à ce propos qu'il existe en droit international privé de !'arbitrage un véritable principe général obligeant l'arbitre à respecter les attentes légitimes des parties, telles qu'elles résultent du contrat. Voy. pour plus de détails, Lalive, "Ordre public transnational et arbitrage international", Rev. arbit., 1986, p. 356 et 357, n°' 69 à 71. 63 On constate cependant une tendance récente selon laquelle les arbitres choisissent directe­ment comme lex contractus la loi d'application immédiate à laquelle ils sont confrontés. Ainsi, par exemple, dans !'affaire C.C.I. n° 4132, l'arbitre était saisi d'un litige relatif à un contrat <levant être exécuté en partie en Corée. L'arbitre constate d'abord que la loi coréenne invoquée par l'une des parties, présentait les caractéristiques d'une loi d'application immédiate. Ensuite, l'arbitre désigna Ie droit coréen comme droit applicable au contrat: Yearbook Commercial Arbitration, 1985, 49. Dans une autre affaire, l'arbitre saisi est allé plus loin: constatant qu'une loi de police yougoslave prétendait s'appliquer à un contrat, il en a déduit que Ie droit yougoslave était la lex contractus: sentence C.C.I. n° 2930, Yearbook, 1984, 105. 64 Derains, "L'ordre public et Ie droit applicable au fond du litige dans !'arbitrage internatio­nal", Rev. arbit., 1986, p. 375 et s., n° 50. 65 Les objections soulevées par les défenseurs de ce courant sont d'ordre divers. Elles ont toutefois été remarquablement rencontrées par Ie professeur Mayer: "L'interférence des lois de police", l.c., p. 46 et s. 66 Sentence C.C.I., n° 1399, citée et reproduite en grande partie par Lew, Applicable law in international commercial arbitration, p. 550.

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dans certains cas de tenir pour contraire aux bonnes mreurs un contrat conclu dans le but de violer une législation étrangère (voy. supra).

De toute manière, indépendamment de cette analyse traditionnelle limitant le röle de la loi étrangère à un élément de fait, les arbitres auraient pu faire application de la théorie des lois d'application immédiate étrangè-

1 res en donnant effet d'une manière ou d'une autre à la législation douanière ' - mexicaine envisagée comme élément de droit. 67

18 Un raisonnement semblable a été adopté par les arbitres internatio­naux dans plusieurs affaires.

On en trouve un remarquable exemple dans une sentence C.C.I. relative à une importation de marchandises. Dans cette affaire, les arbitres n'ont pas hésité à énoncer le principe selon lequel "tout commerçant d'un pays qui cherche à vendre ses produits dans un autre pays, est tenu de respecter les lois de police du pays d'accueil de sa marchandise, indépendamment du droit applicable au contrat". Il s'agissait, en l'espèce, d'un contrat <le­vant être exécuté en Jordanie, en Syrie et au Liban; la sentence constate que l'importateur libanais était tenu de respecter les lois de police des pays d'importation et que dès lors, le cocontractantjaponais de eet importateur ne saurait prétendre que ces lois d'importation ne lui sont pas opposables surtout lorsque celles-ci existaient à !'époque de la signature du contrat.68

Dans une autre affaire tranchée par une sentence arbitrale de la C.C.I.69, une société norvégienne avait manqué à son obligation de prendre livraison de pétrole brut acheté par elle. Pour justifier cette inexécution, la société invoquait notamment Ie fait que les autorités de change norvégiennes s'étaient opposées à l'exécution des marchés. Le tribunal arbitral prit en considération la législation norvégienne en matiè­re de change pour examiner la question de savoir si ce refus des autorités norvégiennes était constitutif de force majeure.

Il a certes conclu à la négative mais dans son raisonnement, la législa­tion étrangère a bel et bien été prise en considération comme élément de droit "immédiatement applicable".

On peut aussi citer une sentence récente ou Ie principe des lois d'applica­tion immédiate a été consacré mais non appliqué. Il s'agissait d'un contrat de vente de soja soumis au droit néerlandais. Les arbitres ont estimé que la réglementation des changes autrichienne aurait pu s'appliquer si un lien étroit avait existé entre ce contrat et I' Autrjche, qui était le pays du vendeur. Il est intéressant de signaler que ce critère du lien étroit est issu

67 Comme autre exemple de sentence hostile à cette théorie, voy. la sentence du 28 janvier 1976 de la Chambre d'arbitrage du Commerce extérieur de Berlin, Yearbook, 1979, p. 197: à !'argument selon lequel certaines dispositions impératives de la loi fédérale allemande (RFA) avaient été violées, les arbitres se sont contentés de répondre qu'il n'y avait pas lieu de prêter attention à ces dispositions car Ie contrat était soumis au droit de la République Démocratique Allemande (RDA). 68 Sentence C.C.I., n° 1859, reproduite (par extrait) in Derains, "Le statut des usages du commerce international <levant les juridictions arbitrales", Rev. arbit., 1973, p. 122. 69 Sentence n° 2216, C/unet, 1975, 917.

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de l'article 7 de la Convention CEE sur la loi applicable aux obligations contractuelles qui a été cité mot pour mot dans la sentence. 70

19 Au regard de cette jurisprudence arbitrale particulièrement intéres­sante, il faut se demander si l'enseignement qui en résulte pourrait être transposé <levant les juridictions étatiques?

Nonobstant les différences d'approche de la matière mentionnées ei- -dessus, l'affirmation nous paraît tout à fait défendable pour la raison essentielle que tant l'arbitre international que le juge ( ou l'arbitre) national est confronté à une loi étrangère ou tierce à la lex contractus. 71

Le choix de cette lex contractus s'effectue certes de manière différente pour l'un et l'autre, mais en définitive cela n'a qu'une importance réduite puisque l'application ou la prise en considération de la loi d'application immédiate étrangère ne s'effectue qu'une fois le choix de la lex contractus effectué.

Pour le reste, le raisonnement est similaire: il incombe tant à l'arbitre qu'au juge d'une part, de vérifier s'il s'agit bien d'une loi d'application immédiate et, d'autre part, d'examiner dans quelle mesure celle-ci doit être appliquée ou prise en considération.

3. Appréciation d'ensemble sur la jurisprudence examinée

20 A l'issue de ce tour d'horizon, il faut bien reconnaître que la théorie des lois étrangères d'application immédiate n'a reçu qu'un timide écho dans la jurisprudence des juridictions étatiques. On note certes ici et là des décisions isolées, mais à quelques exceptions près (à savoir celles rendues dans !'affaire Alnati, et dans !'affaire du gazoduc sibérien), cette jurisprudence ne s'est pas appuyée sur le concept de loi d'application immédiate tel qu'il a été défini par la doctrine depuis déjà de nombreuses années, ou tel qu'il a été consacré par l'article 7 de la Convention CEE.

Il nous paraît dès lors opportun d'aborder de manière plus théorique le concept de la loi d'application immédiate (III) et la controverse à laquelle il a donné lieu en matière de lois étrangères (IV) avant d'examiner comme tel l'article 7 de la Convention CEE (V).

Ensuite, nous envisagerons ce qui nous paraît être la question la plus délicate, à savoir celle de la mise en reuvre pratique de la théorie des lois étrangères d'application immédiate (VI).

Enfin, nous tacherons de définir brièvement le caractère d'application territoriale de ces lois (VII) et les limites de cette théorie (VIII).

70 Sentence du 11 janvier 1982 rendue en degré d'appel sous l'égide de l' Association du commerce des grains d'Amsterdam, Yearbook, 1983, 158. 71 Dans ce sens, on peut invoquer !'opinion du Professeur Mayer qui a effectué Ie raisonne­ment inverse: selon lui, la méthode élaborée par la doctrine pour appliquer les lois de police étrangère est transposable en matière d'arbitrage international car la loi invoquée est dans les deux cas extérieure au for; Mayer, "L'interférence des lois de police", l.c., p. 52.

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111. Le concept de loi d'application immédiate

21 Parmi les diverses approches retenues pour tenter de définir le concept de loi d'application immédiate, celle de la doctrine belge en général, nous paraît l'une des plus claires.

Elle consiste à définir ce concept en le distinguant des règles de conflit de lois traditionnelles.

On sait que ces règles aboutissent, en matière contractuelle, à la détermination d'une loi applicable quel que soit le contenu de celle-ci et ce, qu'il s'agisse de la loi du for ou d'une loi étrangère.

C'est en ce sens que les règles de conflit de lois peuvent être qualifiées de bilatéralistes72 et aussi d"'abstraites"73

: elles n'ont aucunement pour objet de charger le juge de rechercher la loi qui, au regard de son contenu, paraît la plus adéquate à régir la situation litigieuse.

Par contre, 1e critère du contenu est déterminant pour les règles ou lois d'application immédiate: le contenu de ces lois a été considéré comme tellement important, primordial par le législateur qui les a édictées, que ce dernier a fixé unilatéralement leur champ d'application au-delà des relations purement internes. Selon le vreu même du législateur, ces règles doivent, en effet, s'étendre aussi aux relations internationales. Ces lois ont donc vocation à régir toutes les relations juridiques qu'elles visent et qui présentent un lien avec l'Etat <lont elles relèvent. Cette vocation générale, qui est souvent implicite74, se justifie par un besoin d'efficacité: ces lois doivent avoir un domaine d'application suffisamment large que pour en assurer l'efficacité.75

Pour déterminer si une loi a un caractère d'application immédiate, le juge ou l'arbitre aura donc égard en priorité au contenu de cette loi.

Bien entendu, pour les lois étrangères, cette recherche ne s'avérera pas toujours facile. 76 Relevons toutefois que pour le juge belge cette démarche ne devrait pas apparaître tout à fait insolite puisqu'il se trouve confronté

72 Voy. toutefois pour une conception unilatéraliste des règles de conflits de lois, Gothot, "Le renouveau de la tendance unilatéraliste en droit international privé", R.C.D.I.P., 1971, 1 et s.; pour une approche de la matière des lois d'application immédiate sous l'angle d'un certain renouveau de l'unilatéralisme, voy. Audit, "Le caractère fonctionnel de la règle de conflit", l.c., p. 249, et s. 73 Expression utilisée notamment par Ie professeur Vander Eist, "Ordre public international, lois de polices et lois d'application immédiate", in Mélanges Legros, 1985, p. 662, n° 15. 74 Cette vocation à régir les relations internationales ne doit pas nécessairement être précisée expressément dans Ie texte même de la loi, mais peut découler implicitement de la teneur ou du but de la loi (Lesguillon, o.c., n° 99). 75 Jacquet, "La norme juridique extraterritoriale dans Ie commerce international", Clunet, 1985, p. 343, n° 28. 76 On peut même se demander si eet obstacle pratique que constitue pour Ie juge l'obligation d'examiner Ie contenu d'une loi étrangère pour sonder la volonté, parfois seulement implicite, du législateur, n'est pas, à tout Ie moins en partie, à !'origine de la timidité de la jurisprudence face à cette nouvelle théorie des lois d'application immédiate. On peut aisément concevoir qu'un juge beige ou français confronté par exemple à une loi rédigée en langue arabe et s'insérant dans un droit positif qui Ie plus souvent lui sera totalement inconnu, soit naturellement peu enclin à appliquer ou à prendre ladite loi en considération au détriment de la lex contractus.

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à une recherche similaire lorsqu'il doit faire une application d'office du droit étranger. 77

Diverses matières offrent des exemples de lois d'application immédiate susceptibles d'exercer une incidence sur des contrats internationaux.

Tel est le plus souvent le cas des règles protectrices des travailleurs et des consommateurs, des réglementations de changes78, des lois douaniè-res, de certaines réglementations économiques relatives aux licences d'im- -portation et d'exportation, de règles en matière de concurrence, des législations impératives sur les baux ou des lois sur les contrats d'assuran-ces obligatoires, etc.79 A cöté de ces matières générales, l'on rencontre aussi des dispositions d'application immédiate dans des domaines bien particu-liers, selon la sensibilité de chaque législateur. Un exemple classique à eet égard est celui de la loi italienne de 1941 sur le contrat d'auteur qui prévoit sa propre application à "toutes les reuvres d'auteurs italiens ou aux reuvres d'auteurs étrangers domiciliés en !talie qui seraient publiées pour la première fois en !talie".

22 La doctrine déduit des caractéristiques présentées par ces lois d'appli­cation immédiate, que leur domaine d'application doit se déterminer indépendamment de la règle de conflits de lois habituelle. L'application de ces lois est effectivement dite "immédiate" en ce sens qu'elle doit se faire ( ou ne pas se faire) de manière directe, sans tenir compte de la solution à laquelle devrait, en principe, conduire la règle de conflit de lois.80

La loi d'application immédiate peut donc être considérée comme une atteinte ou à tout le moins une restriction au domaine propre de la loi de !'autonomie de la volonté en matière contractuelle.81

Cet élément essentie! caractérise également les concepts voisins d'ordre public international et de loi de police.

Il convient de bien distinguer ce premier concept de celui de loi d'application immédiate. En effet, loin de viser une norme déclarée

77 Rappelons en effet, que selon la Cour de cassation (Cass., 9 octobre 1980, J.T., 1981, 70 ets., et la note Vander Elst), Ie juge doit soulever d'office tout conflit de lois lorsque les faits de la cause révèlent l'existence d'éléments d'extranéité. Il en résulte qu'il a aussi l'obligation de rechercher d'office Ie contenu réel du droit étranger dont l'application est commandée par la règle de conflits de lois: sur cette double obligation, voy. notamment Lenaerts, "Le statut du droit étranger en droit international privé beige. Vers un nouvel équilibre?", in Mélanges Vander Elst, 1987, 529 ets., surtout n°' 18 à 22. 78 Les réglementations des changes dont on a vu qu'elles étaient au centre de la plupart des décisions analysées, constituent à notre avis l'exemple même de lois d'application immédiate. Comp. Gothot, "Loi monétaire tierce ... ", l.c., p. 87. 79 M. Verwilghen (l.c.) s'est attaché à répertorier toutes les dispositions de droit beige qui, selon lui, présenteraient un caractère de loi d'application immédiate. Voy. aussi Erauw, Beginselen van internationaal privaatrecht, 1985, 124. 80 Graulich, l.c., n° 6, p. 641; Francescakis, in Encycl. Dalloz, Droit international privé, v0

Conflits de lois, n° 124; Karaquillo, o.c., n° 442. 81 Rigaux, "Les méthodes des conflits de lois dans les codifications et projets de codification de la dernière décennie", [tC.D.l.P., 1985, n° 10, p. 11; Jacquet, Principe d'autonomie et contrats internationaux, Economica, 1983, n° 431, p. 282.

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applicable aux relations tant internes qu'internationales, l'ordre public international constitue seulement une exception dans le système de conflit de lois pour évincer les dispositions de la loi étrangère normalement applicable lorsque celles-ci heurtent l'ordre moral, politique ou économi­que du for. 82

Quant à la distinction entre les concepts de loi d'application immédiate et de loi de police, elle est surtout propre à la doctrine belge. 83

En effet, si selon les auteurs belges, les lois d'application immédiate ne constituent qu'une variété particulière des lois de police84, la doctrine française majoritaire utilise, quant à elle, indistinctement les termes de loi d'application immédiate et de loi de police, la préférence étant donnée actuellement à cette dernière expression. 85

On retrouve le même intitulé de "loi de police" à l'article 7 de la Convention CEE sur les obligations contractuelles <lont le commentaire officiel confirme clairement qu'il vise les lois d'application immédiate.86

On se contentera donc de retenir de cette distinction terminologique87, que toutes les lois de police ne sont pas nécessairement d'application immédiate : une loi de police ne saurait se voir appliquer le régime réservé aux lois d'application immédiate que si le législateur lui a conféré, même implicitement, les effets propres à ces lois. Tel est par exemple, le cas des

82 Voy. à ce sujet, Rigaux, Droit international privé, t. I, 2ème éd., n° 507 et s. 83 Par contre, certains auteurs français se sont ingéniés à établir des subtiles distinctions parmi les lois de police contractuelles, fondées essentiellement sur la distinction entre Ie droit privé et Ie droit public. Ainsi M. Jacquet distingue-t-il les lois de police ou lois d'application immédiate traditionnelles, des lois de compétence exclusive et des lois spatialement délimitées (Jacquet, o.c., n°' 430, 454 et 465). Nous n'apercevons cependant pas l'intérêt pratique de ces distinctions sur Ie plan contractuel. 84 Ainsi, selon Ie Professeur Vander Elst, que les lois,de police puissent être érigées par Ie législateur en loi d'application immédiate, cela va de soi. "Mais que la qualification de "lois de police" soit réservée à ces seules lois impératives, cela ne peut se concilier ni avec la jurisprudence beige qui donne cette qualification à toutes les lois qui régissent les obligations non contractuelles, ni avec la constatation que les lois de statut réel ou de statut personnel peuvent être érigées en lois d'application immédiate": Vander Elst, Droit international privé - Con.flit de lois, p. 220, n° 47.3 et la note 118. De même, Fallon précise que "sur Ie plan de la technique d'applicabilité, la loi de police se confondra Ie plus souvent avec une loi d'application immédiate, mais pas nécessairement...": Fallon, "Les règles d'applicabilité en droit international privé", l.c., n° 22. Voy. aussi, Rigaux, "La méthode des conflits de lois dans les codifications ... ", l.c., n° 10; Van Hecke, "International contracts and domestics legislative policies", in Festschrift Mann", München, 1977, 185 et 186. 85 Voy. notamment, Mayer, "Les lois de police étrangères", l.c.; Toubiana, o.c., n° 195 et s.; Jacquet, o.c., n° 431 ets. M. Audit a précisé à propos de ces deux expressions qu'elles étaient équivalentes, même si celle de loi de police exprime un effet alors que celle de loi d'application immédiate vise plutöt un contenu. Audit, "Le caractère fonctionnel de la règle de conflit", l.c., p. 372, note 81. Voy. aussi sur cette différence en droit français, Mayer, Droit international privé, 2ème éd., 1983, n° 121 ets.; comp. Lesguillon, o.c., n° 37. 86 Vander Elst, o.c., n° 47.3, p. 219 in fine. 87 Signalons toutefois que certains auteurs italiens préfèrent au terme de loi d'application immédiate, celui de loi d'application nécessaire (Sperduti, l.c., p. 257) oude normes auto-limi­tées (Nova, l.c., p. 377: pour une critique de cette expression, voy. Graulich, l.c., p. 631, note 5). Pour une autre terminologie, voy. encore Parijs et Van Buggenhout, "Internationaal privaatrecht, finaliteitsbeschermende wetten en arbeidsrecht", R. W., 1979-80, 2629 et s.

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lois de police protectrices des travailleurs en matière de contrat de travail. 88

IV. La controverse liée aux lois d'application immédiate étran­gère

23 Nous avons constaté que si la jurisprudence n'hésitait pas à prendre en considération ou à donner une application directe aux lois d'applica­tion immédiate du for, elle se montrait hésitante, voire même hostile à faire de même pour les lois étrangères présentant les mêmes caractéristi­ques.

Cette situation n'est-elle pas due dans une certaine mesure, à la contro­verse qui divise la doctrine à eet égard?

En effet jusqu'il y a peu, à l'exception des auteurs néerlandais89 et allemands9'o, la doctrine s'est montrée relativement hostile à la prise en considération des lois d'application immédiate d'origine étrangère.

Paradoxalement, cette hostilité, ou plus exactement cette réticence, émane principalement des auteurs qui sont à !'origine du succès de la théorie des lois d'application immédiate.91

De toute manière, cette opinion défavorable92 ne saurait convaincre au regard des avantages et des arguments93 qui justifient la solution inverse,

88 Dans Ie même sens, Fallon, "Autonomie de Ja volonté et rattachement du contrat international de travail au droit beige", J.T.T., 1984, 268. 89 Pour une synthèse des opinions des meilleurs auteurs, voy. Schulsz, l.c., p. 40 ets.; Struiken, Note sous !'arrêt de Ja Hoge Raad des Pays-Bas du 13 mai 1966, R.C.D.l.P., 1967, 527, in fine, et s. 90 Voy. surtout Wengler et Zweigert, cités par Van Hecke, o.c., n° 189. 91 De Nova, l.c., p. 399 et 400; Graulich, l.c., n°' 7 et 8, p. 641 à 644: eet auteur n'exclut pas toute prise en considération des lois de police étrangères, mais y subordonne de nombreuses conditions théoriques sans en donner d'exemples; Sperduti, l.c., n° 5, p. 264 et 265; Lipstein, l.c., p. 192 et 193; Francescakis, l.c., v° Conflits de lois, n°' 147 à 149: au fil du temps, eet auteur a néanmoins nuancé son opinion pour en arriver à approuver l'article 7 de la Convention CEE de 1980: voy. son intervention après Ie rapport précité de M. Schulsz, Trav. du Com. fr. de dr. int. privé, année 1983-84, p. 55; Karaquillo, o.c., n°' 604 à 608; Lienard-Ligny, l.c., p. 30; voy. aussi en ce qui concerne la doctrine récente, Fallon, "Les règles d'applicabilité ... ", l.c., n° 42; Van Hecke, Internationaal privaatrecht, o.c., n°' 192 et 380: eet auteur ne se prononce pas vraiment contre, mais insiste sur Jes dangers que représente selon lui cette théorie des lois étrangères d'application immédiate; Kahn, Note d'observation sous un arrêt de Ja cour d'appel de Paris du 13 juillet 1982, Clunet, 1983, 386. 92 Nous ne croyons pas nécessaire de reproduire ici Jes arguments avancés par ces auteurs, non seulement parce que ces arguments ont été rencontrés à suffisance, mais surtout parce qu'aujourd'hui en Belgique, la controverse est dépassée au regard de la loi du 14 juillet 1987 approuvant la Convention CEE du 18 juin 1980 (voy. infra). C'est pour la même raison que nous n'avons pas essayé de justifier la théorie des lois d'application immédiate au regard de principes ou dispositions légales existants: on aurait pu songer en effet, à "raccrocher" cette théorie à l'article 3, alinéa Ier, du Code civil, comme cela a été fait en matière de Joi de police et de sûreté. Pour une telle approche, voy. notamment Toubiana, o.c., n° 279 et s. 93 Pour une synthèse de ces arguments, voy. Mayer, "Les lois de police étrangères", l.c., n° 45; voy. aussi les diverses interventions après Ie rapport Schulsz précité, p. 56 et s.

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à savoir celle de la prise en considération générale des lois d'application immédiate, sans distinction entre les lois du for et les lois étrangères.

Il n'y a en effet, aucune raison objective d'opérer une telle distinction.94

C'est donc logiquement que la doctrine moderne se prononce en faveur de cette solution, même si certains y posent certaines conditions proches de celles prévues par l'article 7 de la Convention CEE (voy. supra).95

24 On peut aussi remarquer que plusieurs conventions internationales ou projets de conventions, consacrent expressément cette solution96 Les exemples les plus caractéristiques à eet égard sont les suivants97 :

1 ° L'article VIII précité des accords de Bretton Woods, constitue incontes­tablement le premier exemple de cette tendance.

Soulignons toutefois que la portée exacte de cette disposition est controversée à plusieurs égards, principalement en ce qui concerne ses conditions d'application.98

D'autre part, selon certains auteurs99, l'article VIII ne constituerait pas une véritable illustration de la théorie des lois étrangères d'application immédiate à défaut pour cette disposition de prévoir une véritable applica­tion des réglementations de changes étrangères. Nous ne partageons pas cette opinion, principalement en raison du fait qu'à notre avis la prise en considération d'une loi étrangère comme élément de droit est une techni-

94 Voy. Toubiana, o.c., p. 233; Rigaux, Droit international privé, t. II, lère éd., n° 1144. 95 Voy. dans ce sens, Mayer, "Les lois de police étrangères", Clunet, 1981, p. 316 ets., n°5

43 à 46; Toubiana, o.c., p. 233 ets.; voy. Battifol et Largarde, t. I, o.c., n° 576, p. 281; Lando, l.c., p. 204 et 205; Watté, La loi applicable aux droits et devoirs des époux, 1987, n° 160; Lesguillon, o.c., n° 41; Deby-Gerard, Le role de la règle de conflit dans Ie règlement des rapports internationaux, n° 54 ets.; Rigaux, o.c., t. II, n° 1144; Jacquet, Principes d'autonomie et contrats internationaux, Economica, 1983, n° 412 et s.; Ekelmqns, l.c., n° 11. 96 Sur Ie plan des droit nationaux, on rencontre aussi une nouvelle tendance favorable aux lois étrangères d'application immédiate. Ainsi, Ie projet suisse de codification du droit interna­tional privé comporte une disposition générale (art. 18) <lont les termes sont proches de ceux de l'article 7 de la Convention CEE sur les obligations contractuelles: voy. Ie texte complet de cette disposition reproduit par Mayer, "Les lois de police étrangères", l.c., p. 318. On peut aussi citer ici l'article 7 de la loi beige du 14 juillet 1987 que nous commenterons ei-dessous. 97 On peut aussi citer dans ce sens: 1 °) L'article 13 al. 2, du projet de convention Benelux portant lui uniforme du droit international privé; Hanotiau, "La Convention CEE sur la loi applicable aux obligations contractuelles", J.T., 1982, p. 754, note 35; 2°) L'article 7 de la résolution de l'Institut de droit international sur Ie contrat de travail, cité par Battifol et Lagarde, Droit international privé, t. I, 7ème éd., 1981, p. 301, note 251; 3°) Par contre, la nouvelle convention de La Haye sur la vente internationale d'objets mobiliers ne retient la possibilité d'appliquer oude prendre en considération que les seules lois d'application immédia­te du for. Sur cette regrettable "fausse note", voy. Mayer, "L'interférence des lois de police", l.c., p. 45 et 46; Cohen et Ughetto, "La nouvelle convention de La Haye relative à la loi applicable aux ventes internationales de marchandises", D., 1986, Chron. XXV, p. 157 et les notes 63 à 65. 98 Voy. notamment Gianviti, "Réflexions sur l'article VIII, section 2, b, des statuts du Fonds Monétaire International", R.C.D.l.P., 1973, 471 ets.; "Money in private international law", Rec. cours, 1967, 191 ets.; Van Hecke, "Crédits bancaires internationaux et conflits de lois", D.P.C.l., 1977, 501 ets.; Braeckmans, o.c., n° 514 et s.; Gothot, "Loi monétaire tierce et loi du contrat", l.c., p. 90 et s. 99 Ekelmans, note précitée, n° 9.

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que propre aux lois d'application immédiate (voy. infra). Quant à la jurisprudence, elle est divisée, certaines décisions étrangères récentes refusant encore de reconnaître le caractère d'application directe de cette disposition. 100

Quoi qu'il en soit, dans la pratique des emprunts internationaux, eet article VIII est d'une grande importance. 101 Il en est de même en matière de crédit documentaire. 102 -

2° Les conventions de La Haye relatives aux contrats d'intermédiaires (14 mars 1978) et à l'institution du Trust (1 juillet 1985), comportent chacune une disposition rédigée en des termes très similaires de ceux de l'article 7 de la Convention CEE sur la loi applicable aux obligations contractuel-les.103

3° C'est donc bien cette Convention CEE qui offre la plus importante illustration du phénomène des lois étrangères d'application immédiate. Or, cette convention présente un caractère d'actualité tout particulier en Belgique.

Cette convention a été approuvée par la Belgique par la loi du 14 juillet 1987 publiée au Moniteur du 9 octobre 1987.

Cette loi comporte en outre, un chapitre 2 intitulé "Dispositions immé­diatement applicables" ~ui comporte seize articles <lont les quinze pre­miers sont identiques10 aux premiers articles de la convention elle­même105, le dernier article de ce chapitre 2 (soit l'article 17), réglant quant à lui, l'entrée en vigueur de ces dispositions immédiatement applicables.

Cette dualité106 présente un énorme intérêt pour la Belgique. En effet, malgré son approbation par la Belgique, la convention de 1980 n'est toujours pas en vigueur comme telle en Belgique, ni d'ailleurs dans les autres pays signataires. En effet, l'article 29 de cette convention prévoit

100 Reims, 25 octobre 1976, C/unet, 1978, p. 99 et la note critique de M. Mayer; Hoge Raad, 12 janvier 1979, R.C.D.l.P., 1980, 74 et la note Van Rooij. 101 Braeckmans, o.c., n° 514. Voy. aussi l'intéressante étude de M. Zamora, "Recognition of foreign exchange controls in international creditors' rights cases: the state of the art", The international lawyer, Fall, 1987, vol. 21, n° 4, p. 1063 et s. 102 Voy. à eet égard, Simont, "Misbruik bij documentair krediet", T.P.R., 1986, p. 86, n° 14c et la jurisprudence anglo-saxone citée. Pour plus de détails sur cette jurisprudence, voy. la chronique précitée de M. Goldsmith, p. 179 et s. 103 Sur la possibilité d'une réserve visant les seules lois étrangères dans la convention sur Ie Trust, voy. Gaillard et Trautman, "La Convention de La Haye du 1 juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance", R.C.D.I.P., 1986, p. 19 et 20, n°' 19 et 20 et les réf. citées. 104 Sous réserve de quelques adaptations terminologiques nécessaires à la transformation en dispositions de droit interne. Ainsi, par exemple, à l'article 7 comme aux autres articles concernés, Ie terme "convention" a été remplacé par Ie terme "chapitre". 105 A savoir les articles 1 à 16 à l'exception de l'article 2 qui instaure Ie caractère universel de la convention ("la loi désignée par la présente convention s'applique même si cette loi est celle d'un Etat non contractant"). 106 Cette situation dualiste n'est pas propre à la Belgique. Le Danemark et l'Allemagne ont également inséré dans leur droit interne des dispositions légales similaires à celles de la Convention CEE qu'ils ont tous deux approuvés.

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que la convention n'entrera en vigueur que "le premier jour du troisième mois suivant le dépöt du septième instrument de ratification, d'accepta­tion ou d'approbation". Or actuellement, à notre connaissance, seuls six Etats ont ratifié de la sorte la convention. 107

Par contre, les dispositions directement applicables de cette loi du 14 juillet 1987 entreront en vigueur, selon l'article 17 précité, "le premier jour du troisième mois qui suit celui de la publication de la présente loi au M oniteur beige".

Il faut préciser que seuls les contrats conclus après cette date seront régis par les articles 2 à 16 de cette loi du 14 juillet 1987108 ce qui est conforme au principe généralement admis en matière de rétroactivité des lois. 109

Ces articles constitueront donc le droit positif belge en matière contractu­elle.110

Parmi ceux-ci, on retiendra tout spécialement l'article 7 qui est la disposition générale en matière de lois d'application immédiate, mais aussi l'article 3 § 3, réservant la compétence des lois impératives sur le territoire duquel sont localisés tous les éléments du contrat et les articles 5 et 6 qui comportent une application particulière des lois d'application immédiate en matière de contrats avec les consommateurs (article 5) et de contrats de travail (article 6). 111

Ce fameux article 7 est rédigé comme suit :

1 ° "Lors de l'application en vertu de la présente convention de la loi d'un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure ou, selon 1e droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si eff et doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non application.

107 Il s'agit des pays suivants: la France (Ie 10 novembre 1983), l'Italie (Ie 25 juin 1985), Ie Danemark (Ie 7 janvier 1986), Ie Luxembourg (Ie 1 octobre 1986), la R.F.A. (Ie 8 janvier 1987) et enfin la Belgique (Ie 14 juillet 1987). 108 L'article 17, alinéa 2 prévoit en effet, que "Ie chapitre 2 est applicable aux contrats conclus après cette date". 109 On sait qu'en matière contractuelle, il est fait exception au principe général de l'application immédiate de la loi nouvelle en matière telle que les effets futurs des contrats en cours au jour du changement de législation demeurent régis par l'ancienne loi: De Page, Traité, t. I, n° 231quater; Roubier, Le droit transitoire, 2ème éd., n° 75; Closset-Marchal, L'application dans Ie temps des lois de droit judiciaire civi/, 1983, n° 21. 110 On rappellera toutefois que de plus en plus souvent la jurisprudence récente faisait spontanément application des principes consacrés par la Convention CEE, surtout en ce qui conceme Ie choix de la loi applicable à défaut de volonté des parties (article 4 de la convention). Voy. dans ce sens, Hanotiau et Fallon, Chronique de jurisprudence précitée, n° 18; Goffin et Forges, "Détermination de la loi applicable au contrat de travail en droit beige", Chron. dr. soc., 1984, 574. 111 Pour un commentaire systématique de ces dispositions, voy. Gaudemet-Tallon, "Le nouveau droit international privé européen des contrats", Rev. trim. dr. eur., 1981, n°s 43, 62 et 71. Sur Ie délicat problème de la combinaison entre les articles 6 et 7 en matière de loi de police, voy. Tagaras, "Vers une unification des règles de conflit en matière de relations individuelles de travail dans la CEE", R.D.l.D.C., 1981, p. 343 à 345, n° III.

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2° "Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays dujuge qui régissent imRérative­ment la situation quelle que soit la loi applicable au contrat". 12

Quant à l'article 7 de la loi belge du 14 juillet 1987, sa rédaction est identique.

V. L'article 7 de la loi beige du 14 juillet 1987 et l'article 7 de la Convention CEE sur les obligations contractuelles

25 Dans l'ensemble, on peut faire les observations suivantes à propos du système mis en place par les articles 7 de la loi belge et de la convention.

1 ° Ce système s'applique de manière générale à tous les contrats visés par la convention et la loi, donc à une grande partie des contrats internatio­naux.113

2° Par application de eet article 7, les juridictions des Etats mem bres 114

pourront prendre en considération les lois de police ou d'application immédiate étrangères. Il s'agit d'une pure faculté, le juge disposant d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire. 115 A eet égard, le texte définitif de l'article 7 de la convention constitue un recul par rapport à ce qui avait été prévu dans le projet initial de la Convention CEE: celui-ci prévoyait, en effet, une prise en considération obligatoire ("il sera tenu compte de ces dïspositions ... ") et non pas simplement facultative. 116 Un tel pouvoir d'appréciation apparaît cependant nécessaire lorsque des lois d'applica­tion immédiate similaires mais émanant de deux pays différents, se veulent

112 J.O.C.E., M 266/3 du 9 octobre 1980; cette disposition figurait déjà dans Ie projet initia! de 1972 de la convention, mais a été modifiée sur plusieurs points dans Ie texte définitif. Pour un commentaire général de ce projet initia!, voy. Hanotiau et Jenart, "Les clauses relatives aux contrats dans l'avant-projet de Convention CEE sur la loi applicable aux obligations contractu­elles et non contractuelles", in Le contrat économique international - Travaux des Vllème journées Jean Dabin, Bruylant, 1975, n° 51, p. 63 et 64; Foyer, "L'avant-projet de Convention CEE sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles", Clunet, 1976, p. 580 et s. Pour une étude comparée systématique entre Ie projet initia! et Ie texte actuel de l'article 7, voy. Lando, l.c., p. 202 et s. 113 Schulsz, l.c., p. 46. 114 Notons que si I'article 7 ne s'impose pas auxjuridictions arbitrales internationales, celles-ci ne manqueront probablement pas de s'inspirer de l'enseignement tiré de cette disposition, comme en témoigne déjà la sentence examinée ci-dessus rendue Ie 11 janvier 1982 par l'association du commerce des grains d' Amsterdam: rappel ons que cette sentence avait même cité mot pour mot I'article 7. Quant aux conventions d'arbitrage elles-mêmes, elles sont expressément exclues du champ d'application de la convention (article !) et de la loi (article 2). 115 Jacquet, "La norme juridique extraterritoriale ... ", l.c., n° 103, p. 386; Erauw, o.c., p. 127; Schulsz, l.c., p. 47; contra, mais à tort: Mayer, "Les lois de police étrangères", l.c., n° 54. 116 Lando, l.c., p. 203; contra: Hanotiau et Jenart, l.c., p. 64.

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simultanément applicables à la même situation, et ou un choix doit nécessairement être fait entre l'un et l'autre. 117

3° Le "lien étroit" dont il est question à eet article 7 est précisé dans le rapport explicatif de la convention: il s'agit d'un lien <levant exister entre !'ensemble du contrat (et non seulement avec la question en litige), et la loi d'un pays autre que celui dont le droit est applicable au contrat. Tel sera, par exemple, le cas lorsque le contrat doit être exécuté dans eet autre pays, ou lorsqu'une partie a sa résidence ou son centre d'affaire dans eet autre pays.

Cette indication limitative devrait éviter que le juge ne soit trop souvent confronté à une application éventuelle de plusieurs lois de police étrangè­res présentant toutes des liens, mais non pas des liens "étroits", avec le contrat. 118

4° L'article 7 précise que l'appréciation du caractère de loi de police ou de loi d'application immédiate doit s'effectuer "selon le droit de ce dernier pays" (c'est-à-dire le pays avec lequel la situation contractuelle présente un lien étroit). Le juge du for ne saurait donc qualifier de loi de police une disposition étrangère à laquelle le législateur qui l'a édictée n'a pas conféré ce caractère. Bien entendu, ce caractère de loi de police ou de loi d'application immédiate pourra être déduit par le juge du for, par exemple à la lumière des travaux préparatoires de la loi étrangère en question (voy. supra).

5° L'article 7 semble opérer d'autres distinctions entre les lois étrangères d'application immédiate.

Cet article pose, en règle générale, qu'il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays "si et dans la mesure ou, selon le droit de ce pays, ces dispositions sont applicables, quelle que soit la loi régissant le contrat". Mais il ajoute ensuite que "pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences qui découle­raient de leur application ou de leur non application".

Cette dernière précision est évidemment extrêmement vague. Elle a d'ailleurs suscité beaucoup de protestations notamment de la part de la Grande-Bretagne qui a finalement décidé de recourir à la réserve prévue à l'article 22 de la convention (voy. infra). 119

26 En ce qui concerne la référence à la nature et l'objet de loi, il nous semble qu'il ne faut pas voir là l'existence d'une nouvelle restriction (autre

117 Lesguillon, o.c., n° 183. Voy. infra à eet égard, Ie problème de l'application territoriale des lois d'application immédiate notamment en matière de contrat de travail et de concession exclusive de vente. 118 Gaudemet-Tallon, "Le nouveau droit international privé européen des contrats", Rev. trim. dr. eur., 1981, 262. 119 Mayer, "L'interférence des lois de police", l.c., p. 52.

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que celle des "liens étroits") à la possibilité de donner effet aux lois d'application immédiate. En effet, s'il doit être tenu compte de la nature et de l'objet d'une loi impérative, c'est précisément pour déterminer s'il s'agit bien d'une loi d'application immédiate et non pas pour opérer une distinction parmi ces lois. 120

Selon cette interprétation, seules les lois impératives <lont la nature et l'objet les rendent applicables "quelle que soit la loi régissant le contrat" -sont réellement des lois d'application immédiate au sens de l'article 7 de la Convention.

Signalons au passage que cette interprétation de l'article 7 pourrait renforcer la thèse de la doctrine belge selon laquelle il faut distinguer les lois de police en général et les lois d'application immédiate. 121

Reste en toute hypothèse la difficulté à déterminer ce qu'il faut entendre par les termes "nature" et "objet".

Lors de la discussion du projet de la convention, il avait été proposé de préciser ces termes en adoptant certains critères admis en manière générale sur le plan international. Cette position n'a pas été retenue122

principalement pour la raison suivante: le caractère d'application immé­diate d'une loi dépend de la volonté de chaque législateur national. Or les conceptions des législateurs varient sensiblement d'un pays à l'autre. 123

On a donc préféré laisser le soin à chaque législateur national de décider lui-même, de manière expresse ou implicite, si les lois qu'il édicte doivent ou non avoir un caractère d'application immédiate.

27 Quant à la nécessité de tenir compte des "conséquences qui découle­raient de l'application" de ces lois d'application immédiate, on pourrait a priori regretter qu'elle ajoute une nouvelle incertitude au système. Il n'est en rien précisé selon quels critères Ie juge doit envisager ces consé­quences pour savoir si oui ou non, il convient d'appliquer ces lois étrangères.

On peut certes supposer que l'idée est d'éviter que l'application d'une loi étrangère d'application immédiate conduise à une solution choquante. Mais bien entendu, tout dépend de quel point de vue on se place, surtout

120 Par contre, une telle distinction résulte de la condition précitée relative à l'existence d'un lien étroit avec Ie contrat: ainsi, si une loi d'application immédiate ne présente pas un tel lien étroit, elle ne peut certes être appliquée conformément à l'article 7, mais elle n'en demeure pas moins une loi d'application immédiate. 121 On pourrait, en effet, soutenir que si l'article 7, tout en visant par son intitulé toutes les lois de police (ce qui n'est Ie cas que de l'article 7 de la convention, l'article 7 de la loi n'ayant pas d'intitulé), précise qu'il faut avoir égard ainsi à la nature et l'objet des lois de police visées, c'est bien parce que toutes les lois de police ne sont pas nécessairement des lois d'application immédiate. Il faut cependant bien reconnaître que même les plus fervents partisans de cette distinction entre loi de police et loi d'application immédiate considèrent, tout en Ie déplorant, que Ie terme loi de police utilisé à l'article 7 de la Convention, est synonyme de celui de loi d'application immédiate: dans ce sens, Vander Elst, o.c., n° 47.3, p. 220. 122 Hanotiau, l.c., p. 754, n° 54. 123 Voy. dans ce sens, les extraits du rapport explicatif de 1972 sur la Convention CEE, Lando, l.c., p. 203 et 204.

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en matière contractuelle ou l'on ne dispose pas d'un critère de référence ou d'un principe général comme celui de l'"intérêt de l'enfant" par exemple ... 124

Toutefois, à la réflexion, nous croyons qu'il faut plutöt se féliciter de cette dernière précision de l'article 7. On peut y voir une forme de limitation du pouvoir discrétionnaire dujuge en matière de lois d'applica­tion immédiate.

On a vu que les termes de l'article 7 impliquent par principe un tel pouvoir d'appréciation ("il pourra être donné effet ... "). Cependant, Ie juge ne pourra exercer ce pouvoir dans un sens ou dans l'autre qu'après avoir procédé à un examen concret des "conséquences qui découleraient de l'application" ou non de la loi étrangère en question.

Il s'agit là, à notre avis, non plus d'une simple faculté, mais d'une obligation ("pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte ... "). 125

On pourrait donc reprocher aujuge d'avoir appliqué oude ne pas avoir appliqué une loi d'application immédiate sans avoir expliqué les raisons de son choix sur Ie plan de l'opportunité.

Dans l'hypothèse ou Ie juge du dernier ressort n'aurait pas répondu aux arguments avancés à ce sujet par les parties dans leurs conclusions, il s'exposerait selon nous, à la censure de la Cour de cassation. 126

De manière plus positive, on pourrait se demander si un critère ne saurait être avancé pour savoir quand il est préférable de donner eff et ou de refuser un tel effet à une disposition d'application immédiate qui satisfait aux autres conditions de l'article 7.

A notre avis, Ie raisonnement adopté par Ie tribunal arbitral dans la sentence C.C.I. précitée, n° 1859127 pourrait permettre de dégager un tel critère: rappelons que Ie tribunal avait énoncé Ie principe selon lequel "tout commerçant exportateur est tenu de respecter les lois de police du pays d'importation indépendamment du droit applicable".

Le critère plus général qu'on pourrait déduire de ce raisonnement est Ie suivant: dans certaines situations contractuelles, il existe des lois d'application immédiate qui ne sauraient être éludées ou même ignorées par les parties tellement leur lien est étroit avec Ie contrat ou tellement leur vocation à régir la situation contractuelle est grande.

124 Sur ce critère Óu principe, en matière de filiation, voy. notamment Vander Elst, Droit international privé, o.c., n° 18; Rigaux, o.c., t. Il, n° 982, p. 290, et Van Gysel, "L'intérêt de !'enfant: principe général de droit", in Rev. gén. dr. civ., à paraître. 125 M. Mayer ("Les lois de police étrangères", l.c., n° 54) va même beaucoup plus loin en refusant au juge un pouvoir d'appréciation souverain: en s'appuyant sur ce passage de l'article 7, il soutient que "Ie terme pourra changer de sens et traduit plutöt l'éventualité que celle de faculté: si la nature et l'objet des dispositions impératives Ie justifient, effet doit leur être donné". 126 Sur Ie moyen tiré de l'inexistence ou de l'inadéquation des réponses aux conclusions des parties, voy. Dumon, "De la motivation des jugements et arrêts et de la foi due aux actes", J. T., 1978, 465 et s. 127 Voy. supra, n° 18: il s'agissait d'un exportateur japonais de marchandises à qui on avait reproché de ne pas avoir respecté certaines lois d'importation ne faisant pas partie de la lex con tractus.

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Selon ce critère "d' opportunité", qui trouve d'ailleurs son fondement dans l'article 7 même (en ce qu'il prévoit la nécessité d'un lien étroit), 1e juge devrait apprécier dans chaque cas si la loi étrangère d'application immédiate pouvait raisonnablement être évitée ou ignorée par un com­merçant ou plus généralement par un cocontractant normalement dili-gent. On en revient ainsi au critère bien connu de l'homme de métier normalement diligent qui est notamment adopté en matière de responsa- A bilité du banquier. 128 W

Tout est évidemment une question d'espèce. 129

28 6° Le § 2 de eet article 7 réserve expressément la situation ou la loi d'application immédiate entre en conflit avec une loi de police du for: dans cette hypothèse, le juge doit trancher en faveur de la loi du for. 130

A la suite de M. Lagarde, nous estimons qu'il s'agit d'un réflexe un peu conservateur en ce qu'il crée une assymétrie entre les lois de police du for et les lois de police étrangères. 131

7° Signalons enfin en ce qui concerne l'article 7 de la Convention (et non l'article 7 de la loi) la possibilité de réserve <lont il peut faire l'objet. L'article 22 de la convention prévoit que: "Tout Etat contractant, au moment de la signature, de la ratification, de l'acceptation oude l'appro­bation pourra se réserver le droit de ne pas appliquer l'article 7, para­graphe 1...".

Il est heureux que la Belgique n'ait pas fait usage de cette faculté de réserve.

Sur le plan communautaire, il paraît regrettable que cette faculté ait été instaurée en ce qu'elle risque d'une part de créer une distorsion dans le système et d'autre part de créer une réaction défavorable à l'égard des lois

128 Voy. notamment Van Ommeslaghe, "Rapport beige", in La responsabilité extra-contractu­elle du donneur de crédit en droit comparé, F.E.D.U.C.I., 1984, 37. Cet auteur résume cette question de la manière suivante: "C'est donc à la lumière des principes généraux relatifs à la responsabilité des professionnels qu'il faut apprécier la responsabilité du banquier envers les tiers ... Pour déterminer que! doit être Ie comportement d'un banquier normalement prudent et diligent, il faut avoir égard aux réactions qui sont usuellement celles des banquiers dans les mêmes circonstances compte tenu des bonnes pratiques professionnelles, suivant les usages de la profession". 129 Ainsi, on pourrait par exemple, difficilement reprocher à un ouvrier beige engagé pour travailler sur un chantier au Soudan de ne pas avoir tenu compte d'une disposition d'applica­tion immédiate du droit de travail soudanais. Dans une telle hypothèse, Ie juge beige pourrait refuser d'appliquer la disposition étrangère en question sur base du pouvoir d'appréciation que lui laisse l'article 7. Par contre une telle "clémence" se justifierait-elle moins pour un entrepre­neur habitué des marchés internationaux qui aurait conclu un contrat de construction au Vénézuela en soumettant son contrat au droit beige et qui pour cette raison refuserait à son cocontractant, maître de l'ouvrage, Ie droit d'invoquer une disposition vénézuélienne d'applica­tion immédiate qui, par hypothèse, instaurerait au profit du maître de l'ouvrage, une faculté de remplacement plus large que celle offerte par Ie droit beige (voy. à ce sujet Flamme, Le droit des constructeurs, l 984, n° 405 et s.). 130 On retrouve la même idée dans Ie jugement précité du tribunal du travail de Huy, voy. supra. 131 Lagarde, "Interventions après rapport Schulsz", l.c., p. 55 à 57.

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d'application immédiate émanant des pays qui auraient émis une telle réserve.

Bien entendu sans une telle faculté de réserve, certains pays n'auraient probablement pas ratifié ou ne ratifieraient pas la convention. En outre le fait pour certains pays d'exprimer une telle réserve à propos de l'article 7 ne signifie pas nécessairement que la jurisprudence de leur pays se montrerait tout à fait hostile à la théorie des lois d'application immédia­te_ 132

Actuellement parmi les six pays ayant approuvé la convention, seuls deux pays ont eu recours à la réserve de l'article 22: il s'agit du Luxem­bourg et de la République Fédérale d'Allemagne.

8° Si l'article 7 aborde et tranche certains aspects théoriques de la théorie de la loi d'application immédiate, sur le plan de la mise en reuvre de cette théorie, cette disposition reste relativement discrète.

Elle se contente de dire qu'il faut "donner effet'' aux lois qui présentent les caractéristiques de normes d'application immédiate.

VI. La mise en reuvre de la théorie des lois étrangères d'applica­tion immédiate sur Ie plan contractuel

29 Or, comment faire pour donner effet, sur Ie plan contractuel, à de telles lois d'application immédiate, une fois que l'on a admis qu'elles présentaient toutes les caractéristiques requises par l'article 7 de la loi ou de la convention ( ou simplement par la doctrine et la jurisprudence d'un pays ne connaissant pas de disposition semblable dans son droit positif)?

On enseigne traditionnellement qu'en raison de leur caractère d'"ap­plication immédiate", ces lois s'appliquent directement sans recourir aux règles de conflit de lois. Celles-ei sont de la sorte écartées au profit des lois d'application immédiate. 133 Certains soutiennent même que lorsqu'il envisage l'application d'une telle loi, Ie juge se situe en dehors du droit international privé. 134

Ce raisonnement nous paraît erroné, ou à tout Ie moins beaucoup trop théorique, en ce sens qu'il ne colle pas à la réalité du droit des contrats.

132 Voy. par exemple, Ie cas de la Grande-Bretagne dont la jurisprudence s'est, comme on l'a vu ci-dessus, montrée très progressiste sur Ie sujet (voy. supra). Ce pays a cependant clairement laissé entendre qu'elle exprimerait une telle réserve à propos de l'article 7 Ie jour ou elle ratifierait la convention: Van Hecke, "International contracts", l.c. 133 Francescakis, Encycl. Dalloz, o.c., n° 124; Graulich, l.c., n° 6; Karaquillo, o.c., n° 422; Fallon, "Les règles d'applicabilité en ... ", o.c., n° 18, p. 298, in fine; Lesguillon, o.c., n° 38, qui explique comme suit la démarche à suivre par Ie juge: "Le juge commence par examiner Ie droit français pour déterminer s'il existe des règles impératives, c'est seulement s'il n'en existe pas qu'il applique la règle de conflit"; voy. aussi, Vander Elst, Ordre public international..., l.c., p. 657 qui s'exprime comme suit: "Enfin ... apparaît la loi d'application immédiate qui méconnaît la règle de conflit dont elle veut annuler les effets". 134 Parijs et Van Buggenhout, l.c., col. 2635 in fine et 2638.

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En effet, on voit mal comment on pourrait définir au regard des seules dispositions de la loi étrangère d'application immédiate, les effets de celle-ci sur le contrat sauf dans de rares hypothèses, comme par exemple en matière de contrat de travail. 135

Dans la plupart des cas, la seule solution consisterait pour ce faire, à appliquer le droit des obligations et des contrats de l'ordre juridique <lont provient la loi d'application immédiate136

, ce qui reviendrait à évincer non -seulement les règles de conflit, mais aussi la loi applicable qui devrait en résulter. 137

Parfois même, cette méthode de raisonnement pourrait conduire à choisir comme loi applicable, tout l'ordre juridique de la loi d'application immédiate, ce qui fausserait complètement le système. 138

Cette manière de mettre en reuvre la théorie des lois étrangères d'appli­cation immédiate ne saurait être admise et ce, pour plusieurs raisons:

(i) d'une part, elle aurait pour effet de rendre applicable au litige d'autres dispositions légales de l'ordre juridique auquel appartient la loi d'applica­tion immédiate, ou même l'entièreté de eet ordre, alors que ces disposi­tions n'ont aucune vocation à s'appliquer puisqu'elles ne présentent pas de caractère "d'application immédiate" et qu'elles ne sont pas compéten­tes au regard des règles de conflit de lois.

135 Ainsi, par exemple, si une loi d'application immédiate d'un pays quelconque prévoit que la durée minimum d'un préavis est de six mois pour tel type de travailleurs, un juge pourrait appliquer cette règle sans devoir nécessairement faire appel à d'autres dispositions de l'ordre juridique auquel appartient cette loi. 136 Dans ce sens, Dieux, "Questions relatives aux effets de la contrainte étatique sur les contrats économiques internationaux", Rev. bel. dr. int. priv., à paraître, n° 12. 137 Une telle éviction aurait également lieu si pour déterminer les effets de la loi d'application immédiate sur Ie contrat, Ie juge faisait appel aux règles de droit des obligations du for. Cette hypothèse, quine paraît pas devoir être exclue, ne saurait aucunement se justifier à notre avis. On invoquerait vainement à l'appui de cette solution hypothétique que c'est Ie droit du for qui décide si un juge peut ou ne peut pas appliquer ou prendre en considération une loi d'application immédiate étrangère. En effet, Ie droit du for régit à eet égard uniquement Ie principe d'une telle application sur Ie plan du droit international privé, mais aucunement les conséquences de ce principe sur Ie plan du droit matériel. Une telle solution conduirait en outre, à un amalgame de lois (la loi d'application immédiate, la lex fori et la lex contractus) dont il serait bien difficile en pratique de coordonner les effets pour déboucher sur une solution concrète cohérente. Voy. toutefois Mayer, Note sous Cass. France, 8 mai 1974, R.C.D.P.l., 1975, 459. 138 Il faut cependant réserver les hypothèses dans lesquelles la loi d'application immédiate "absorberait" tout Ie contrat: en effet, dans certains cas, la loi d'application immédiate entend de façon plus ou moins explicite régir Ie contrat dans son intégralité. L'exemple typique à eet égard est Ie droit du travail. Nous avons vu dans la décision de la cour du travail de Bruxelles du 7 octobre 1981, commentée ci-dessus, que !'ensemble du Code du travail mauritanien présentait un caractère d'application immédiate, l'article 6 de ce code prévoyant que ... "tout contrat conclu pour être exécuté en République de Mauritanie est soumis aux dispositions du présent code". Une affaire soumise à la Cour de cassation de France (Cass. fr., 29 jan vier 1975, R.C.D.l.P., 1976, 338 et note Battifol) a révélé qu'il en était de même du Code du travail sénégalais: en l'espèce, Ie juge du fond avait décidé que Ie contrat soumis implicitement à la loi française devait cependant être régi dans son intégralité par Ie droit sénégalais, ce contre quoi la Cour de cassation ne s'est pas insurgée. Pour d'autres exemples de la loi de police absorbant Ie contrat, voy. Jacquet, o.c., n°s 439 à 447.

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(ii) d'autre part, elle aurait pour effet, le cas échéant, de porter une atteinte inadmissible à la volonté des parties puisque l'intrusion d'une loi tierce au contrat (à savoir la loi d'application immédiate elle-même) implique­rait en outre le "remplacement" du droit des obligations de la lex contrac­tus par celui de l'ordre juridique auquel appartient cette loi tierce.

L'économie contractuelle risquerait ainsi de se vair complètement bouleversée. En tout cas, cette solution déjouerait complètement les prévisions des parties en matière de droit applicable. Or tel n'est pas du tout le but de la théorie des lois d'application immédiate.

(iii) enfin et surtout, cette solution nous paraît contraire à l'article 7 de la loi du 14 juillet 1987. Cette disposition n'autorise de donner effet qu'aux seules dispositions présentant un caractère d'application immédiate, ce qui ne saurait être le cas de règles de droit des obligations de l'ordre juridique auquel appartient la loi d'application immédiate, ni d'ailleurs de règles de toute autre ordre juridique que celui de la lex contractus. En outre, l'article 7 prévoit qu'il ne pourra être donné effet à une loi d'application immédiate que "lors de l'application, en vertu du présent chapitre (oude la présente convention), de la loi d'un pays déterminé". Cela implique nettement selon nous, que le juge ne peut appliquer directement une loi d'application sans avoir au préalable déterminé la lex contractus. 139

30 Il en résulte un principe de base essentie} selon lequel les règles de conflit habituelles ne sont pas évincées par la présence d'une loi d'applica­tion immédiate, contrairement à ce qu' on enseigne généralement en doctrine.

Avant d'envisager les effets de l'application d'une telle loi, il convient au contraire de faire application de ces règles de conflit pour déterminer la loi du contrat. 140

L'éviction de cette lex contractus n'est donc pas totale: elle se limite à la situation envisagée par la loi d'application immédiate qui ne s'impose que dans les limites du nécessaire. Pour le surplus, la lex con tractus conserve sa vocation à régir les relations entre parties. Ce principe de "subsidiarité" de la lex contractus a bien été mis en lumière par M. Van Houtte en matière de concession exclusive de vente. 141

139 Implicitement dans Ie même sens: Gaudemet-Tallon, l.c., n° 74. Voy. aussi Jacquet, o.c. n° 431; Toubiana, o.c., n° 181. 14° Cette étape préalable est d'ailleurs indispensable pour savoir si on est en présence d'une loi d'application immédiate étrangère ou d'une loi du même type, mais appartenant au droit du for. Cette distinction pourrait conserver son intérêt après l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1987 puisque l'article 7 § 2 maintient une légère discrimination en faveur de la lex fori (voy. supra). 141 Van Houtte, l.c., p. 613: eet auteur critique avec pertinence une décision ayant complète­ment évincé la loi applicable choisie par les parties en matière de concession de vente, au profit de la loi beige dans son ensemble.

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Nous croyons pouvoir en déduire que c'est au regard du droit des obligations de la lex contractus qu'il faut examiner les effets de la loi d'application immédiate.

Bien entendu, cette loi étrangère doit être prise en considération ou mieux, appliquée, comme une véritable règle de droit et non plus comme un simple élément de fait (comme c'était le cas dans la jurisprudence classique en matière de bonnes mreurs). 9

Pour arriver à canaliser ces deux ordres juridiques concurrents (celui de la lex contractus et celui de la loi d'application immédiate), il faut raisonner comme si la loi d'application immédiate s'insérait ou devenait partie intégrante de la lex contractus.

Cela signifie que l'on peut adopter le même raisonnement que lorsqu'on examine les effets sur un contrat d'une disposition de police ou d'applica­tion immédiate appartenant à la lex contractus. Une fois que l'on a admis qu'une loi étrangère d'application immédiate doit être appliquée ou prise en considération, encore faut-il éviter de faire une discrimination entre celle-ci et toute autre disposition semblable qui appartiendrait à la lex contractus. 142 En d'autres mots, soit on admet, soit on refuse d'appliquer oude prendre en considération une loi d'application immédiate. Mais une fois la décision prise à eet égard, il faut en tirer toutes les conséquences : on ne saurait donner à une loi d'application immédiate des effets qu'elle n'a pas.

Cette solution, que l'on peut qualifier d"'intermédiaire", offre le double avantage de constituer réellement une application de la théorie des lois d'application immédiate ( contrairement à celle de la jurisprudence classi­que) et d'être tout à fait réalisable en pratique (contrairement à celle de la doctrine traditionnelle en matière de loi d'application immédiate).

31 Bien entendu, cette solution n'implique pas la disparition de la délicate distinction entre l'application et la prise en considération d'une loi étrangère.

En effet, ces méthodes ne sont pas l'apanage, l'une de la solution jurisprudentielle classique (la prise en considération), l'autre de la doctrine traditionnelle (l'application).

Il existe entre ces deux méthodes une simple différence de degrés due aux circonstances de fait et à la différence d'ampleur des contraintes exercées sur les contrats par les règles d'application immédiate.

Ainsi, on va rencontrer des hypothèses dans lesquelles il n'est concrète­ment pas possible d'appliquer comme telle une loi d'application immédia­te, seule une prise en considération de celle-ci se justifiant.

142 Si une forme de "controle d'opportunité" destiné à éviter une solution choquante sur Ie fond doit éventuellement être appliquée (ce que permet l'article 7), il paraît préférable de la mettre en ceuvre au niveau de l'admissibilité de la loi d'application immédiate, mais non pas au niveau du fond en adoptant une solution hybride peu conforme avec les principes du droit interne: en effet, la théorie des lois d'application immédiate appartient au droit international privé: elle ne saurait indirectement modifier les règles de droit matériel.

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Cette situation est due à la très grande variété d'hypothèses différentes dans lesquelles des lois d'application immédiate ont vocation à exercer une incidence sur un contrat.

(i) Bien souvent les lois d'application immédiate ont pour objet d'empê­cher purement et simplement l'opération contractuelle envisagée par les parties, ou à tout 1e moins de la soumettre à certaines conditions bien précises.

Tel est le cas notamment de certaines lois instaurant un embargo ou un contingentement par quotas ... ou une réglementation des changes.

Lorsqu'on se trouve en présence de telles lois d'application immédiate, il faut se poser la question de savoir si elles précisent elles-mêmes les conséquences juridiques qu'il faut tirer de leur non-respect. Si c'est le cas, il y a lieu tout simplement d'appliquer ces conséquences (par exemple la nullité) à la situation contractuelle litigieuse. A défaut, il faut procéder à une prise en considération de la loi étrangère en tant qu'élément de droit (et non en tant que simple élément de fait).

Dans les deux cas, il sera possible de donner effet à la loi étrangère selon la solution proposée ci-dessus, c'est-à-dire tout en respectant la lex con­tractus.

Supposons par exemple, un contrat portant sur des opérations de change entre deux pays, qui viole la réglementation des changes d'un de ces pays (<lont la loi n'est par hypothèse pas la lex contractus). La nullité du contrat devra être prononcée si une telle sanction est expressément prévue par la réglementation des changes en question puisque celle-ci doit être appliquée en tant que loi d'application immédiate étrangère. 143

Dans ce cas on peut se demander à quoi bon maintenir la lex contrac­tus?

Lui reste-elle quelque chose à régir? L'affirmation s'impose même dans ce cas extrême car il convient de déterminer les conséquences de cette nullité. Or celles-ci ne peuvent l'être qu'au regard de la lex contractus144,

143 On ne saurait nécessairement considérer comme entaché de nullité absolue un contrat qui violerait une réglementation des changes et ce, quand bien même celle-ci appartiendrait à la lex contractus. Encore faudrait-il que cette sanction de nullité soit prévue par la législation violée ou qu'elle découle du droit des obligations de la lex contractus. C'est ce qu'a finalement admis la Cour de cassation de France à propos de contrats violant la législation française des changes: Cass. comm., 22 novembre 1983, J.C.P., 1984, II, 20228 et la note Eck qui retrace l'évolution de la Cour à eet égard, R.C.D.l.P., 1984, 460, et la note Gianviti; de manière générale sur cette question, voy. la remarquable étude de M. Eck, "Le sort des contrats conclus en violation du droit français des relations financières avec l'étranger", D.P.C.l., 1985, p. 39 et s. 144 Dans ce sens, Jacquet, o.c., n° 438; Van Hecke, "International contracts ... ", l.c., p. 190. Sur Ie plan des principes, on pourrait évidemment imaginer que la réglementation des changes en question comporte des dispositions déterminant expressément les conséquences de la nullité qu'elle édicte. Mais une telle hypothèse paraît peu vraisemblable. Même dans ce cas, il faudrait se demander si ces dispositions ont également un caractère "d'application immédiate" au sens de l'article 7 de la loi, ce qui ne serait pas certain ... En outre, Ie juge pourrait refuser de les appliquer sur base du pouvoir d'appréciation souverain que lui octroie l'article 7.

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ce que prescrit d'ailleurs l'article 10 § 1 er, litt. e, de la loi du 14 juillet 1987 et de la convention.

Par contre si la réglementation des changes non respectée ne précise pas elle-même le sort à réserver aux opérations qui y sont contraires, il faut raisonner selon les critères de la lex contractus, tout en prenant en considération la loi étrangère violée en tant qu'élément de droit "intégré" à cette lex contractus. 145 -

Cela signifie que le contrat violant la réglementation étrangère des changes ne sera entaché de nullité absolue que dans les hypothèses prévues par le droit des obligations de la lex contractus.

En droit belge cette sanction de nullité absolue pourrait résulter du caractère illicite de la cause oude l'objet du contrat (si le contrat avait pour cause ou pour objet la violation d'une réglementation des changes) ou du caractère frauduleux de la simulation <lont le contrat ferait l'ob­jet.146

En tout cas, les possibilités seraient beaucoup plus larges que celles offertes par lajurisprudence classique qui refuse d'envisager la loi étrangè­re comme élément de droit <lont il peut résulter de la violation une cause ou un objet contractuel illicite ou une simulation frauduleuse. 147

Nous croyons que c'est essentiellement en cela que la théorie des lois d'application immédiate se distingue de la jurisprudence classique. Mais il s'agit bien dans les deux cas d'une prise en considération et non d'une véritable application. Pour déduire l'illicéité de la cause du contrat (ou la simulation frauduleuse, ou la force majeure), Ie juge n'applique pas comme telle la loi étrangère d'application immédiate: il la prend en considération comme élément de droit (et non plus comme élément de fait)_ !48 .

145 Cette "intégration" à la lex contractus ne manquerait pas de déjouer complètement les prévisions des parties dans l'hypothèse ou celles-ci auraient réalisé toute une opération contractuelle visant justement à échapper à la loi d'application immédiate en question. Tel serait Ie cas, par exemple, d'une opération fiduciaire de portage d'actions conclue aux fins d'échapper à une réglementation étrangère de boycottage économique ou d'une législation sur les investissements imposant aux non ressortissants de l'Etat d'accueil d'être associés minoritai­res au sein d'une société de droit local: Schmidt, Witz et Bismuth, "Les opérations fiduciaires en droit français", in Les opérations fiduciaires, Colloque précité de Luxembourg, p. 322 et 323. 146 Voy. à eet égard, les lumineuses explications de M. Dieux, l.c., n° 5. Cet auteur examine aussi de manière très approfondie les circonstances dans lesquelles l'application de la notion de force majeure peut découler d'une contrainte étatique directe sur un contrat. Certes eet auteur n'envisage que l'hypothèse ou cette contrainte directe émane de la lex contractus. Nous croyons cependant que ce raisonnement est tout à fait transposable à propos d'une loi d'application immédiate tierce à la lex contractus, d'autant que la plupart des lois envisagées sous l'angle d'une telle contrainte directe présentent les caractéristiques des lois d'application immédiate. 147 Rappelons que la jurisprudence beige n'envisage la violation d'une loi étrangère que sous l'angle des bonnes ma:urs en ce sens que seul Ie fait de violer une loi étrangère peut être considéré comme illicite en fonction des circonstances de l'espèce. Voy. supra. 148 Contra mais à tort selon nous: Mayer, Note précitée sous !'arrêt de la Cour de cassation de France du 8 mai 1974, p. 453; Ekelmans, Note d'observations précitée, n° 1 L A ~

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(ii) Dans d'autres hypothèses, il ne sera question que d'une application pure et simple de la loi étrangère et non pas d'une prise en considération. L'exemple classique à eet égard est la matière du droit du travail. Ainsi, si un contrat de travail est exécuté dans un pays <lont certaines dispositions sont d'application immédiate, il faudra appliquer celles-ci, la lex contrac­tus restant toutefois seule applicable pour le surplus.

Ainsi dans les deux décisions de jurisprudence belge examinées ci-des­sus, la mise en ceuvre de la théorie des lois d'application immédiate aurait éventuellement pu conduire à l'application du droit mauritanien 149 ou du droit malien 150 sous réserve éventuellement des dispositions de ce droit contraires aux dispositions d'application immédiate de la loi belge, celle-ci étant en effet, la lex contractus dans les deux cas (voy. l'article 7 § 2 de la Convention).

(iii) En définitive, la distinction opérée par certains entre application et prise en considération des lois étrangères ne présente à notre avis, pas d'intérêt particulier.

Dans les deux cas, il est "donné effet" à la loi étrangère d'application immédiate au sens de l'article 7 de la loi belge et de la convention. On a parfois regretté l'utilisation de cette expression "donner effet" en ce qu'elle serait trop vague ou ambiguë. 151 Nous sommes, au contraire, d'avis que cette expression recouvre bien les diverses hypothèses d'appli­cation et de prise en considération de la loi étrangère, selon une technique qui est la même dans les deux cas (ou à tout le moins devrait l'être).

C'est d'ailleurs à dessein qu'une telle formulation a été donnée à l'article 7 et ce, dès l'avant-projet. 152

En outre, elle se justitie par la souplesse du système instauré par eet article 7 qui invite le juge à eff ectuer un examen concret de la situation litigieuse au regard de la lex con tractus et des éventuelles lois d'application immédiate.

--d'exemple, nous ne voyons pas comment ce dernier auteur pourrait justifier sur Ie plan du droit des obligations l'affirmation suivante: "De même plutöt que de prendre en considération la loi étrangère comme élément de fait constitutif de force majeure, il serait plus logique de déduire de cette loi étrangère déclarée applicable aux effets du contrat la libération du débiteur". M. Dieux a d'ailleurs bien montré que même lorsqu'il s'agissait d'une disposition appartenant à la lex contractus, il ne pouvait résulter d'une norme empêchant une partie d'exécuter ses obligations, la libération de celle-ci qu'au regard de la théorie de la force majeure. Bien entendu, on peut théoriquement imaginer que Ie recours à cette théorie soit inutile dans l'hypothèse ou la disposition d'application immédiate prévoirait ou impliquerait par elle-même la libération du débiteur (sur cette éventualité, voy. les décisions citées par Mayer, ibidem, n° 8). 149 Voy. supra, C.T. Bruxelles, 7 octobre 1981, J.T.T., 1983, 179. 150 Voy. supra, T.T. Huy, 7 novembre 1980, J.L., 1981, 71. 151 Mayer, "Les lois de police étrangères", l.c., p. 307; Ekelmans, l.c., p. 735, note 79 in fine. 152 Voy. Foyer, l.c., p. 592, n° 90; Van Hecke, "International contracts ... ", l.c., p. 187.

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VII. L'application territoriale des lois d'application immédiate

32 Il découle de la technique de mise en ceuvre des lois d'application immédiate, que nous venons de proposer, que ces lois ne sauraient se voir appliquées ( ou prises en considération), au-delà du champ d'application territoria! qu'elles se sont elles-mêmes fixées.

Ce principe d'application territoriale pourrait permettre de solutionner -le type de problème suivant qui se pose notamment en matière de contrat de travail et de concession exclusive de vente.

Lorsqu'un Etat édicte une loi d'application immédiate pour régir directement certains aspects de contrats déterminés exécutés sur son territoire, faut-il appliquer cette loi à !'ensemble du contrat ou seulement pour la partie de celui-ci exécutée sur le territoire de l'Etat en question?

Ainsi, il arrive fréquemment qu'un contrat de travail soit exécuté dans plusieurs pays. Confrontée à cette hypothèse, à propos des lois d'applica­tion immédiate du for, la jurisprudence belge semble divisée. 153 Selon la tendance majoritaire, les dispositions de lois de police et de sûreté belges doivent s'appliquer à tout contrat exécuté même partiellement ou tempo­rairement en Belgique. 154 Selon d'autres décisions moins nombreuses, l'application des "lois de police" belges n'est admise que si l'exécution en Belgique est suffisamment significative, une simple exécution temporaire ou limitée en Belgique ne suffisant pas. 155 Selon une troisième tendance illustrée par plusieurs décisions récentes du tribunal du travail de Bruxel­les 156, les lois de police belges sont exclusivement territoriales ce qui implique qu"'elles ne s'appliquent qu'à tout travail exécuté sur le territoire belge".

Une controverse semblable divise la doctrine à propos de la loi belge du 27 juillet 1961. La doctrine majoritaire157 suivie en cela par la jurispru­dence158, décide que lorsqu'une concession de vente s'étend en Belgique mais aussi sur d'autres territoires, la loi belge de 1961 doit s'appliquer à !'ensemble du litige même si le chiffre d'affaires réalisé en Belgique ne représente qu'un petit pourcentage du chiffre d'affaires total de la conces­sion. Jugeant à juste titre cette solution déraisonnable et non conforme à l'esprit du législateur, M. Hanotiau et M. Fallon estiment au contraire,

153 Sur cette controverse, voy. notre commentaire du jugement du tribunal du travail de Bruxelles du 17 juin 1986, in Watté et consorts, "Chronique de jurisprudence beige de droit international privé", à paraître au Clunet. 154 Voy. notamment C.T. Bruxelles, 20 décembre 1978, J.T.T., 1980, 12; C.T. Liège, 22 octobre 1981, J.T.T., 1982, 58; C.T. Bruxelles, 11 mars 1983, J. T.T., 1983, 178; C.T. Bruxelles, 29 novembre 1983, J.T.T., 1985, 192. 155 T.T. Bruxelles, 2 février 1981, J.T.T., 1982, 234; T.T. Bruxelles, 4 mars 1985, J.T.T., 1985, 426 : ce dernier jugement ne concerne cependant pas directement la question des Jois de police mais plutöt celle de Ja loi applicable. 156 T.T. Bruxelles, 17 juin 1986, J.J.B., 1986, 275; T.T. Bruxelles, 6 janvier 1986, et 24 avril 1986, inédits, cités par Ie jugement précité; T.T. Bruxelles, 20 mai 1987, J.J.B., 1987, 238. 157 Rigaux, Traité, t. I, n° 302; Verwilghen, l.c., p. 389. 158 Voy. Comm. Bruxelles, 11 juin 1974, J. T., 1974, 641 et les décisions citées par MM. Fierens et Kileste dans leur chronique précitée, n° 51.

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que la lex contractus doit rester applicable sous la seule réserve d'une application de la loi de 1961 à la partie de la concession qui s'exécute en Belgique: ainsi prönent-ils d'effectuer le calcul des indemnités <lues éven­tuellement au concessionnaire sur la seule base du chiffre d'affaires réalisé en Belgique. 159

A notre avis, cette dernière solution devrait pouvoir· s'appuyer sur le caractère d'application immédiate de la loi du 27 juillet 1961.

Quant à la solution contraire défendue par la doctrine majoritaire, elle nous semble injustifiable au regard de la théorie des lois d'application immédiate et même de celle des lois de police. En eff et, les termes de la loi de 1961 indiquent implicitement mais de manière certaine, que seules sont visées par la loi les concessions de vente portant sur le territoire belge.

Il en est de même des dispositions de police en matière de contrat de travail. En toute logique, il faudrait donc ne donner effet à ces dispositions qu'en ce qu'elles concernent le territoire belge (ou le territoire étranger concerné pour des lois étrangères similaires ). Les décisions de jurispruden­ce belge examinées ci-dessus paraissent peu conciliables avec ce principe, sauf celles de la troisième tendance. 160

De manière plus générale, ce principe d'application territoriale devrait conduire à limiter les effets d'une loi d'application immédiate à la partie du contrat qui entre dans son champ d'application territoriale, la lex contractus restant compétente pour le surplus. 161

Cette solution risque certes de donner lieu à un rriorcellement peu souhaitable du contrat, mais sur le plan des principes, elle nous paraît devoir s'imposer. De toute manière, le juge reste toujours libre de remédier à eet inconvénient pratique en refusant d'appliquer la loi d'application immédiate puisque l'article 7 lui laisse un pouvoir d'appréciation à eet égard. 162 Par contre, à notre avis, le juge ne pourrait invoquer ce pouvoir discrétionnaire pour étendre les effets d'une loi d'application immédiate au-delà de son champ d'application, même si cette extension étaitjustifiée par le souci d'arriver à une solution concrète cohérente.

159 Hanotiau et Fallon, Chronique précitée, n° 46. 160 Bien entendu, ce principe risque d'engendrer dans cette matière des difficultés pratiques non négligeables. lmaginons par exemple un contrat de travail d'un haut cadre américain, soumis au droit de l'Etat de Californie, mais exécuté dans divers pays européens, <lont la Belgique. Un juge beige, par hypothèse saisi, devrait en principe pour le calcul du préavis de ce cadre, respecter la loi applicable au contra! sous réserve des lois d'application immédiate des pays ou le contrat a été exécuté. Comment faire pour combiner ces diverses lois en ce qui concerne le calcul des indemnités de préavis? 161 En principe ce champ d'application territoriale coïncide avec Ie territoire de l'Etat <lont émane la norme. Mais dans certains cas, il pourrait s'agir d'un champ d'application plus large lorsqu'on est en présence de normes à effets extraterritoriaux (voy. Jacques, "La norme juridique extraterritoriale dans Ie commerce", l.c., n° 36 et s.). Mais dans cette hypothèse, il faudrait vérifier si les caractéristiques d'application immédiate de la norme subsistent en dehors du territoire national. 162 Sous réserve des lois d'application immédiate <lont Ie respect s'imposerait au regard de l'article 6 de la loi du 14 juillet 1987 (à savoir l'équivalent de l'article 6 de la convention). Sur cette éventualité, voy. Tagaras, l.c., p. 344 et Rigaux, "Loi d'autonomie et contrat de travail en droit international privé", J.T.T., 1985, p. 455, n° 17.

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Gageons que ces principes seront mieux respectés pour les lois étrangè­res d'application immédiate que pour les lois du for. 163

VIII. Les limites de la théorie des lois étrangères d'application immédiate

33 Indépendamment des limites instaurées par l'article 7 de la loi et de la convention (existence de liens étroits et absence de concurrence avec une loi d'application immédiate du for), la théorie des lois étrangères d'application immédiate se voit limitée par une autre théorie propre au droit international privé, celle de l'ordre public international.

On enseigne unanimement que l'exception d'ordre public international du for est également applicable à la matière des lois étrangères d'applica­tion immédiate. 164 L'article 16 de la Convention CEE de 1980 qui prévoit une telle exception, semble d'ailleurs applicable comme tel à l'article 7 .165

On pourrait à ce titre refuser d'appliquer ou de prendre en considération une loi étrangère d'application immédiate qui serait spoliatrice ou qui viserait à instaurer des représailles économiques. 166

34 Certains auteurs ont rapproché d'autres exceptions de cette limite constituée par l'ordre public international.

Ainsi, selon M. Gianviti, le juge aurait l'obligation de ne tenir compte que des réglementations étrangères conformes au droit international, notamment lorsqu'il existe un accord bilatéral entre l'Etat étranger et cel ui du for, ou lors~ue les deux Etats sont membres du Fonds Monétaire International. 16 On peut comparer cette opinion avec celle selon laquelle il existerait une notion d'ordre public transnational. 168

D'autre part, M. Mayer a démontré en matière d'arbitrage internatio­nal, qu'il ne fallait pas donner effet à une loi d'application immédiate édictée par un Etat partie au contrat en vue de mettre fin à ce contrat

163 Ainsi, dans l'exemple imaginé à la note 160, Ie juge beige n'hésiterait sans doute pas à écarter les lois d'application immédiate émanant des autres pays "visités" par Ie cadre américain pour ne finalement retenir que la loi beige. Encore ne pourrait-il dans ce cas appliquer la loi beige pour Ie tout. Il devrait alors combiner proportionnellement la loi de l'Etat de Californie et la loi beige pour la partie du contrat exécuté en Belgique. C'est dorre à tort, selon nous, que la cour du travail de Bruxelles a refusé de tenir compte, dans une hypothèse semblable, du seul travail presté en Belgique en déclarant que "la loi ne fait pas d'exception pour les cas ou l'occupation s'est effectuée successivement sur des territoires différents" (C.T. Bruxelles, 20 décembre 1978, J.T.T., 1980, 12). Cette règle énoncée par la cour et approuvée par la doctrine (Taquet et Wantiez, Note d'observation sous eet arrêt du 20 décembre 1978, p. 12; Hanotiau et Fallon, Chronique précitée, n° 35) n'est, à notre avis, appropriée que lorsque la loi beige est la lex contractus et non lorsque, comme en l'espèce, elle n'est appliquée qu'au titre de loi de police ou de loi d'application immédiate. 164 Voy. notamment, Mayer, "Les lois de police étrangères", l.c., n° 40 et n° 48; Schmidt et consorts, l.c., p. 322; Lesguillon, o.c., n° 40, in fine; Dieux, l.c., n° 12. 165 Rigaux, "Loi d'autonomie et contrat de travail", l.c., n° 18. 166 Pour d'autres exemples, voy. Gianviti, l.c., p. 701. 167 Gianviti, l.c., p. 703. 168 Voy. sur cette notion, Lalive, l.c., 1986, n° 88.

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ou <l'en modifier les termes. La base de son raisonnement est le suivant: lorsqu'un Etat, titulaire du pouvoir législatif, est partie au contrat, il faut considérer qu'il a pu s'engager, implicitement ou explicitement, à restrein­dre l'usage de ce pouvoir envers son partenaire. S'il ne respecte pas eet engagement, la sanction résidera dans la non-application de sa loi par l'arbitre. 169

IX. Conclusion

35 Nous crayons pouvoir conclure des considérations qui précèdent que:

1 ° Dans la jurisprudence, trois grandes tendances peuvent être distinguées à propos des lois étrangères d'application immédiate. Selon une première tendance, ces lois ne sont jamais appliquées ou prises en considération comme telles à défaut d'être applicables en vertu des règles de conflits de lois. Par contre, elles peuvent être prises en considération en tant qu'élé­ment de fait entrant dans le présupposé d'une règle matérielle de la lex contractus, comme par exemple, la notion de contrariété aux bonnes mreurs. D'autres décisions relatives à la notion de force majeure illustrent dans une certaine mesure la théorie des lois d'application immédiate en ce qu'elles ont pris en considération des lois étrangères en tant qu'élément de droit. Mais ces décisions ne peuvent être invoquées comme véritables cas d'application de cette théorie puisqu'elles ne reposent pas sur un raisonnement propre au droit international privé. Quant à la troisième tendance, elle regroupe les rares décisions ayant consacré le principe des lois étrangères d'application immédiate. Malheureusement, la plupart de ces décisions ont énoncé le principe sans l'appliquer concrètement.

2° Sur le plan conceptuel, on peut définir les lois d'application immédiate à partir de leur contenu: il s'agit de lois, généralement de police, qui fixent elles-mêmes, de manière explicite ou implicite, leur champ d'application au-delà des relations purement internes. Ces lois ont, en effet, pour vocation de régir toutes les relations juridiques, tant internes qu'interna­tionales, qu'elles visent. Parmi les nombreux exemples de lois de ce genre, on retiendra surtout les réglementations des changes qui ont donné lieu à de nombreuses applications jurisprudentielles de cette théorie des lois d'application immédiate.

3° Quant à la controverse qui divise la doctrine à propos de ces lois d'application immédiate autres que celles du for, elle nous paraît dépassée, à tout le moins en Belgique, pour les contrats conclus à partir du 1 janvier 1988 (date de l'entrée en vigueur de l'article 7 de la loi du 14 juillet 1987). Même en matière d'arbitrage international, cette controverse doctrinale

169 Mayer, "La neutralisation du pouvoir normatif de l'Etat en matière de contrats d'Etat", Clunet, 1986, 39 ets., et les nombreuses sentences arbitrales citées dans ce sens.

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ne présente, selon nous, qu'un intérêt secondaire dans la mesure ou la question des lois d'application immédiate se pose en des termes différents et ou surtout, la jurisprudence n'hésite pas à faire appel et même à citer tel quel l'article 7 de la Convention.

4° Cet article risque donc incontestablement d'engendrer un bouleverse­ment des méthodes de raisonnement traditionnelles en matière de conflits de lois et ce, malgré le pouvoir d'appréciation laissé au juge ( et a fortiori à l'arbitre). En effet, tout refus éventuel de prendre en considération ou d'appliquer une loi étrangère d'application immédiate devrait, à notre estime, être justifié par un examen préalable des "conséquences qui découleraient de l'application" ou non de la loi étrangère en question. Quant à la manière d'exercer ce pouvoir d'appréciation, le juge, mais aussi l'arbitre, pourrait trouver une ligne de conduite raisonnable dans le critère bien connu de l'homme de métier normalement diligent: selon ce critère, il serait possible de déterminer dans quelles circonstances une loi d'appli­cation immédiate ne peut raisonnablement être ignorée par les parties.

5° Parmi les autres questions laissées sans réponse par l'article 7, celle de la mise en reuvre des lois d'application immédiate apparaît comme une des plus délicates.

A partir des solutions extrêmes proposées à eet égard, on peut, selon nous, trouver un juste milieu : il consiste à ne déterminer les eff ets d'une loi étrangère d'application immédiate qu'après avoir choisi la loi applica­ble en vertu des règles de conflits habituelles. Une fois cette loi choisie, la loi d'application immédiate peut être appliquée dans la mesure ou une telle application (ou à tout le moins une prise en considération en tant qu'élément de droit) est concrètement possible. En toute hypothèse, l'éviction de la lex contractus se limite à ce qui est strictement prévu ou impliqué par la loi d'application immédiate. Cela signifie que les effets de celle-ci sur le contrat ne peuvent être appréciés qu'au regard de la lex contractus en général et du droit des obligations de celle-ci en particulier.

Ce caractère limitatif de l'éviction de la lex contractus se situe aussi au niveau territoria!: il serait erroné de vouloir donner effet à une loi d'application immédiate au-delà du champ d'application territoria! qu'el­le s'est elle-même fixée et qui normalement est celui du territoire national. En matière de contrat de travail et de concession exclusive de vente, ce principe se heurte cependant à une pratique bien établie dans la doctrine et la jurisprudence belges.

6° Outre les limites prévues pour cette mise en reuvre par l'article 7 de la loi belge et de la Convention, il y a lieu d'envisager aussi l'exception d'ordre public international du for et les éventuelles autres exceptions qui lui sont apparentées.

36 En définitive, que l'on considère l'article 7 comme une disposition progressiste témoignant d'une solidarité entre Etats, ou plutöt comme une grave nienace pesant sur !'autonomie de la volonté, force est de constater

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que dorénavant on ne pourra plus ignorer le phénomène des lois étrangè­res d'application immédiate, tout au moins pour les contrats visés par l'article en question.

Sur le plan de la pratique des affaires et notamment lors de la conclusion de tout contrat à vocation internationale, le simple choix d'une loi applicable connue et favorable à certains égards ne sera donc plus suffisant. Il faudra, en outre, s'informer sur l'éventualité de l'existence de lois étrangères d'application immédiate qui seraient susceptibles de venir bouleverser certaines prévisions en matière de droit applicable. 170

D'ailleurs, c'est déjà ce qui semble se passer dans la pratique de certains contrats économiques internationaux depuis de nombreuses an­nées.171

Faut-il en conclure que dans cette matière des lois étrangères d'applica­tion immédiate, les praticiens ont, dans une certaine mesure, devancé la jurisprudence et la doctrine?

Raphaël Prioux

170 Sur la nécessité de demander une "legal opinion" sur ce point en matière d'emprunts intemationaux, voy. Braeckmans, o.c., n° 526. 171 Braeckmans, ibidem; Bismuth, "Etude de quelques contraintes juridiques applicables au contrat international de transfert technologique", in Mélanges Weil/, 1983, 33 ets.; Derains, "Les normes d'application immédiate ... ", l.c., n° 18.

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De rechtstreekse toepasselijke regelingen (samenvatting)

1 Rechtstreeks toepasselijke regelingen worden gedefinieerd naar hun inhoud: het zijn wetten, doorgaans politiewetten, die zelf hun toepassings­gebied bepalen, met dien verstande dat zij ertoe strekken alle rechtsver­houdingen, zowel extern als intern te beheersen.

2 Voor de Wet van 14 juli 1987 (art. 7) in werking trad heerste er enige onzekerheid in de rechtspraak nopens de rol die een dergelijke (buiten­landse) regeling moest spelen: de rechtspraak aarzelde dergelijke regelin­gen toe te passen wanneer de lex contractus naar een ander recht verwees. Hoogstens werd aanvaard dat dergelijke buitenlandse regeling een feitelijk element was waarmee rekening kon worden gehouden in het materieel recht van de lex contractus.

3 De inwerkingtreding van de Wet van 14 juli 1987 maakt deze discus­sies overbodig. De problemen liggen thans elders. De rechter die de buitenlandse rechtstreeks toepasselijke regel mag aanwenden, is ertoe verplicht na te gaan welke de gevolgen zijn van die toepassing: hij zal die wet toepassen indien de wet redelijkerwijze door partijen gekend moest zijn.

4 De toepassing van de nieuwe norm zou als volgt kunnen worden gedaan. De rechter zou eerst moeten nagaan volgens zijn conflictenrecht welke wet op het contract toepasselijk is. Eens hij dit gedaan heeft, zal hij nagaan in welke mate met de buitenlandse regeling concreet rekening kan worden gehouden: deze buitenlandse regeling zal slechts in aanmer­king worden genomen inzoverre dit voorzien of nodig is voor de toepas­sing van die regeling.

Ook territoriaal moet op dezelfde wijze worden geredeneerd. Het zou fout zijn een draagwijdte te geven aan de buitenlandse regeling die deze regeling - die meestal slechts op het eigen nationaal grondgebied effecten wil sorteren - zelf niet nastreeft.

5 De hier besproken beginselen beletten uiteraard niet dat de klassieke regels van de internationale openbare orde steeds geldig blijven.

6 Een feit is nochtans dat het niet meer volstaat, in internationale overeenkomsten, de lex contractus te bepalen: ook de rechtstreeks toepas­selijke regelingen van buitenlandse wetgevingen worden een belangrijk gegeven waarmee contracterende partijen rekening moeten houden.

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Cour d' Appel de Bruxelles

19 mars 1987

COMPETENCE

I­V]

Compétence internationale ratione loci - Obligation de payer - Loi du for

Pour déterminer si une obligation de payer le prix d'une marchandise "a été ou doit être exécutée en Belgique" au sens de l'article 635, 3 ° du Code judiciaire, il faut se référer à la loi désignée par la règle de conflit du for.

BEVOEGDHEID Internationale bevoegdheid ratione loci - Verplichting te betalen - Lex fori

Om te beslissen of de verplichting om de prijs te betalen van goederen "in België uitgevoerd is of moet worden" in de zin van artikel 635, 3° Ger. W., moet de rechter de collisieregels aanwenden.

DROIT INTERNATIONAL PRIVE - VENTE Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels

Lorsqu'il s'agit d'une vente internationale d'objets mobiliers corporels, le défaut de conformité des objets vendus - et sa nature - doit être signalé dans un bref délai au vendeur, qui est invité à examiner les objets ou les faire examiner par son représentant ( articles 38 et 39 de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels - loi beige du 15 juillet 1970 ).

INTERNATIONAAL PRIVAAT RECHT - KOOP Toepasselijke wet - Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken

Bij een internationale koop van roerende. lichamelijke zaken moet de koper op een korte tijd bij de verkoper protesteren indien de geleverde zaak niet aan de overeenkomst beantwoordt. De verkoper moet uitgenodigd worden de zaak te keuren of door een vertegenwoordiger te doen keuren ( artikelen 38 en 39 Eenvormige wet).

(Timpson Ltd. / Gander Lux Shoe)

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Attendu que la demande originaire tend à faire condamner la société Timpson Ltd à payer à la s.a. Cie belge Gander Lux Shoe - qui sera désignée dans la suite par Gander - la contrevaleur en francs belges de 19.690.413 lires italiennes du chef de factures impayées, ainsi que de 2.963.509 lires et 3.938.083 lires du chef d'intérêts conventionnels de retard et de clause pénale;

Que la demande reconventionnelle formée par Timpson <levant le -premier juge a pour objet de faire condamner Gander à payer la contreva-leur en francs belges de 1.464.088 lires italiennes et de 946, 14 livres sterling et de 14, 10 livres sterling par semaine depuis le 5 septembre 1986 jusqu'à la reprise des marchandises entreposées;

Attendu que Timpson fait grief au premier juge de s'être déclaré territoria­lement compétent et d'avoir fait droit à la demande principale en rendant applicables les conditions générales de vente de Gander au mépris de ses propres conditions d'achat ou, en tout cas, des dispositions de la Conven­tion de La Haye du 1 er juillet 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers corporels;

I. Sur la compétence territoriale

Attendu que Timpson conclut à l'incompétence du premier juge et sou­tient que tant le lieu de conclusion du contrat que le lieu de son exécution imposent la compétence des tribunaux du Royaume-Uni; que le premier juge s'est déclaré territorialement compétent sur base des conditions générales de vente de Gander, considérées comme acceptées tacitement par Timpson;

Attendu que suite à des discussions qui eurent lieu à Manchester le 21 novembre 1974, Timpson a acheté à Gander Lux Shoe diverses quantités de paires de chaussures; que les livraisons litigieuses furent facturées en avril 1975; que sur ces factures il est réclamé un solde en principal de 19.620.413 lires italiennes; que chaque commande avait fait l'objet d'un "order" adressé par Timpson à Gander;

Qu'il n'est pas allégué qu'au cours de la réunion tenue à Manchester, l'on ait débattu de la compétence judiciaire en cas de litige; que les commandes de Timpson ne contiennent aucune clause attributive de compétence et que Gander a reçu ces commandes sans faire référence à ses propres conditions de vente; que Gander n'est, partant, pas fondée à se prévaloir d'une clause attributive de compétence figurant seulement au verso de ses factures; qu'il s'agit là d'une stipulation qui ne rentrait pas dans le champ contractuel et qui modifiait unilatéralement la situation de Timpson;

Que de la circonstance qu'en 1973, Timpson avait acheté à trois reprises de la marchandise à Gander Lux Shoe l'on ne peut déduire que les conditions générales de vente de Gander formaient la loi des parties;

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Attendu que la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale n'est pas applicable en l'espèce, le Royaume-Uni ne l'ayant pas encore, à l'époque, ratifiée;

Que le juge doit, dès lors, vérifier sa compétence sur base des règles du droit commun de la lex fori; qu'aux termes de l'articles 635, 3° du code judiciaire, un étranger peut être cité <levant un tribunal belge notamment si l'obligation qui sert de base à la demande doit être exécutée en Belgique; qu'est désignée par là l'obligation invoquée à l'appui de la demande, soit en l'espèce, l'obligation qui pèse sur l'acheteur de payer le prix des marchandises qu'il a acquises de son vendeur;

Attendu que pour déterminer le lieu d'exécution de cette obligation, il convient de se référer à la loi désignée par la règle de conflit du for (Born et Fallon, "Droit judiciaire international, chronique de jurisprudence", J.T., 1983, p. 222, n° 17; Cass., 10 décembre 1976, Pas., 1977, I, 413);

Qu'en matière de vente à caractère international d'objets mobiliers corporels, la loi applicable est déterminée conformément aux dispositions de la Convention de La Haye du 15 juin 1955;

Attendu qu'aux termes de l'article 2 de cette Convention, les parties contractantes peuvent choisir la loi applicable à leurs relations, mais que ce choix doit être exprès; qu'en l'espèce, les parties n'ont pas fait un tel choix, la seule référence au droit anglais dans les conditions générales imprimées sur les bons de commande de Timpson ne pouvant être considérée comme un choix exprès au sens de l'article 2 de la Convention;

Attendu qu'à défaut, la vente est régie par la loi du pays ou le vendeur a sa "résidence habituelle" au moment ou il reçoit la commande (article 3), c'est-à-dire, dans le présent litige, la loi belge;

Que la Belgique ayant introduit dans sa législation la loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers corporels (Convention de La Haye du ler juillet 1964, approuvée par la loi du 15 juillet 1970), c'est aux dispositions de droit uniforme qu'il convient de se référer pour déterminer le lieu d'exécution de l'obligation de paiement de l'acheteur; qu'aux termes de l'article 59 de la loi uniforme, l'acheteur doit payer le prix au vendeur à son établissement, soit au siège de la Compagnie belge Gander Lux Shoe;

Que c'est à tort que Timpson prétend que le paiement des factures de Gander Lux Shoe devait se faire contre remise de la chose, au sens de l'article 59 précité, et, partant, au lieu de cette remise, à Manchester; qu'en effet les factures de Gander portent que le paiement devra avoir lieu dix jours après réception des marchandises;

Attendu que le premier juge étant territorialement compétent sur base du lieu d'exécution de l'obligation, il est sans intérêt d'examiner s'il existe d'autres facteurs de rattachement qui pourraient justifier sa compétence;

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300 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

II. Sur la loi applicable aux relations contractuelles

Attendu que le premier juge, se fondant à tart sur les conditions générales de vente de Gander, a considéré que les parties avaient tacitement écarté l'application de la loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobi­liers corporels;

Attendu que les contrats de vente litigieux ont été conclus sans référence expresse ou tacite aux conditions générales de ven te de Gander Lux Shoe; que celle-ci ne pouvait ultérieurement aggraver la situation de sa cocon­tractante par des conditions nouvelles qui n'avaient pas été débattues; que les parties n'ont pas exclu expressément ou tacitement l'application de la loi uniforme; qu'elles ne se sont pas davantage référées à des usages ou à des habitudes qui seraient en contradiction avec les dispositions de cette loi (article 9 de la loi uniforme);

Attendu que la vente internationale d'objets mobiliers corporels est régie en Belgique par la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable à ces ventes et par la Convention de la Haye du ler juillet 1964;

Que faisant usage d'une réserve inscrite dans la Convention de 1964, la Belgique a déclaré qu'elle n'appliquerait la loi uniforme que si la Convention de 1955 conduisait à l'application de celle-ci; qu'en d'autres termes, le juge belge ne peut se référer à la loi uniforme que si celle-ci est déclarée applicable à la vente en vertu des dispositions de la Convention de 1955 (Rigaux, F., "Le domaine d'application de la loi uniforme sûr la vente internationale des objets mobiliers corporels et de la loi uniforme sur la formation de ces contrats de vente", J.T., 1972, p. 569, n° 83; Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, III, 2e éd., n° 807; Watté, N., "La vente internationale d'objets mobiliers corporels", J.C.B., 1982, 265; Hanotiau et Fallon, "Les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles et non contractuelles", J.T., 1987, p. 108, n° 47);

Que comme il a été indiqué plus haut, la règle de conflit instaurée par l'article 3 de la Convention de 1955 rend compétente la loi du pays ou Gander Lux Shoe a son siège social; que le droit matériel uniforme doit donc recevoir application;

111. Sur Ie fond

A. La demande principale

1 ° Les factures litigieuses

Attendu que Timpson oppose à la demande de paiement du solde des factures litigieuses la non conformité des marchandises; qu'elle produit des notes de débit qu'elle a adressées à Gander à partir de février 1975;

Attendu que le droit matériel uniforme impose à l'acheteur d'examiner la chose et de dénoncer le défaut de conformité au vendeur dans un bref délai (articles 38.1 et 39.1 ); que l'acheteur doit également préciser la nature

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 301

du défaut de conformité et inviter le vendeur à examiner la chose ou à la faire examiner par son représentant (article 39.2);

Attendu que les notes de débit établies par Timpson ainsi que les télex et courriers échangés montrent que Timpson a dénoncé l'existence de défauts de conformité dans le bref délai exigé par la loi uniforme; que le délai de trois jours imposé par les conditions générales de Gander doit être écarté; qu'eu égard à la nature et à la quantité des fournitures, il tombe sous le sens qu'il eut été impossible de vérifier les livraisons et de dénoncer la réclamation dans un délai si strict;

Attendu que l'acheteur ne peut toutefois se contenter de faire savoir au ven deur que certaines marchandises sont aff ectées d'un défaut de conformi­té; qu'il lui appartient en autre, pour respecter les exigences du droit matériel uniforme, de donner toutes précisions utiles sur la nature exacte du défaut; qu'il ne suffit pas, comme l'a fait Timpson, de prétendre que certaines chaussures sont invendables ou ne peuvent être portées;

Que selon les pièces versées aux débats, la nature exacte des défauts n'a été précisée par Timpson que pour les marchandises suivantes ( ... )

qu'il y a lieu d'écarter les autres notes de débit, faute pour Timpson d'avoir précisé, à l'époque, les vices qui auraient affecté les marchandises faisant l'objet de ces notes de débit;

Attendu qu'en ce qui concerne les marchandises correspondant à la facturen° 34534 et aux trois notes de débit précitées, Gander Lux Shoe a accepté de les reprendre; que cependant, n'obtenant pas de Gander Lux Shoe une autorisation de renvoi qu'elle estimait requise par les services de la douane britannique, Timpson a invité Gander Lux Shoe, par lettre du ler octobre 1975, à venir examiner surplace la marchandise litigieuse; que ce faisant, Timpson s'est conformé à la loi uniforme (article 39.2);

Attendu que l'acheteur qui a régulièrement dénoncé le défaut de confor­mité peut obtenir une réduction de prix (articles 41 et 46 de la loi uniforme); que Timpson est donc fondée à diminuer sa dette à concurren­ce de 7.080.022 lires, ce qui laisse subsister un solde de 19.690.413 -7.080.022 = 12.610.391 lires italiennes;

Qu'à tort Gander Lux Shoe prétend limiter la réduction de prix qu'elle devrait consentir à 2% de la valeur totale des marchandises; que cette limitation ne trouve aucun appui dans le droit uniforme; qu'il n'est pas davantage établi que les parties se seraient mis d'accord sur ce point particulier, qui n'a été invoqué pour la première fois par Gander que dans une lettre du 4 septembre 1975; qu'à supposer d'ailleurs qu'un tel accord ait été pris, il ne serait pas valable, Ie vendeur professionnel étant présumé connaître les défauts de la chose (Van Ryn et Heenen, o.c., n° 840);

2° Les intérêts ( ... )

3° La clause pénale ( ... )

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302 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

B. La demande reconventionnelle

Attendu que Timpson se prétend créancière de Gander Lux Shoe ( ... ); que pour les motifs exposés sub A, ce chef de demande doit être rejeté;

Attendu que le second chef de la demande reconventionnelle consiste dans des frais d'entreposage des marchandises refusées; que selon l'article 92 A de la loi uniforme, l'acheteur qui a reçu la marchandise et entend la refuser W doit veiller à sa conservation et est en droit de se faire rembourser par le vendeur de ses dépenses raisonnables; qu'en l'espèce, Timpson ne produit aucun justificatif des frais d'entreposage allégués; que sa préten-tion ne peut être accueillie;

Par ces motifs,

La Cour, Condamne l'appelante à payer à l'intimée la contrevaleur en francs

belges, au cours le plus élevé du change au jour du paiement, de 12.610.391 lires italiennes augmentées des intérêts ( ... )

Du 19 mars 1987 - Bruxelles. Siég.: MM. Slachmuylder, président, del Carril et Parmentier, conseillers. Plaid.: Mes Raes loco Goris et R. Vander Elst.

Note

L'arrêt annoté a, àjuste titre, fait appel aux règles de compétence prévues par le Code judiciaire (article 635, 3°) et non par la Convention C.E.E. du 9 octobre 1978 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions. Celle-ci, en effet, n'était pas encore applicable au litige porté <levant la Cour d'appel, en vertu de l'article 34 d'après lequel: "l. La convention de 1968 et le protocole de 1971 modifiés par la présente convention ne sont applicables qu'aux actions judiciaires intentées et aux actes authenti­ques reçus postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente convention dans l'Etat d'origine."

Rappelons que la Convention de 1978, modifiant la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, est entrée en vigueur, en Belgique, depuis le 1er novembre 1986 (Mon., 17 octobre 1986) et à l'égard de la Grande­Bretagne, depuis le 1 er jan vier 1987.

Voir aussi la note, publiée ei-dessous, p. 308.

N.W.

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Cour d' Appel de Mons

14 mai 1987

- COMPETENCE

I­VI

Compétence internationale - Ratione loci - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Article 5, 1 ° de la Convention de Bruxelles

L'obligation à laquelle il faut se référer, pour l'application de l'article 5, 1 ° de la Convention de Bruxelles, est celle correspondant au droit contractuel sur lequel se Jonde l'action du demandeur

Dans Ie cas oit l'action a pour objet Ie paiement de dommages et intérêts et/ou la résolution du contrat, l'obligation visée à l'article 5, 1 ° est toujours celle découlant du contrat et dont l'inexécution est invoquée pour justifier la demande.

BEVOEGDHEID Internationale bevoegdheid - Ratione loci - Verdrag van 27 september 1968 - Artikel 5, 1 °

De term "verbintenis" in de zin van artikel 5, 1 ° van het Verdrag is de contractuele verbintenis die ten grondslag ligt aan de vordering in rechte. Wanneer de vordering strekt tot schadevergoeding en/of ontbinding van de overeenkomst, is de verbintenis bedoeld in artikel 5, 1 ° de contractuele verbintenis waarvan de miskenning wordt ingeroepen tot staving van de vordering.

DROIT INTERNATIONAL PRIVE - VENTE Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers corporels

Lorsqu'il s'agit d'une vente internationale d'objets mobiliers corporels, l'article 19 de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels ( loi beige du 15 juillet 1970), prévoit qu 'à dé faut pour les par ties d'avoir convenu des modes et des lieux la délivrance se réalise, dans Ie cas oit Ie contra! implique un transport de la chose, par sa remise au transpor­teur, pour transmission à l'acheteur.

INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT- KOOP Toepasselijke wet - Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken

Indien het ter zake gaat om een internationale koop van roerende lichamelij­ke zaken, impliceert de toepassing van artikel 19 van deze eenvormige wet (Wet van 15 juli 1970) dat, ingeval de overeenkomst tevens het vervoer van

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304 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

de zaak inhoudt, bij ontstentenis van akkoord nopens de wijze en de plaats van levering, de levering geschiedt door afgifte van de zaak aan de vervoerder ter verzending aan de koper.

(Sipal / Gold Products)

Attendu que l'intimée, demanderesse originaire, poursuit la résiliation aux torts de l'appelante, d'une convention avenue entre parties en mars 1981 et relative à la fourniture de produits d'entretien pour véhicules automobi­les;

Qu'elle postule également paiement d'une somme de 418.000 francs à titre de dommages-intérêts;

Attendu que, par Ie jugement déféré, Ie premier juge s'est déclaré compé­tent, a dit l'action fondée dans son principe, a prononcé la résiliation de la convention litigieuse et, pour Ie surplus, a désigné Monsieur Frans Dutrifoy en qualité d'expert;

Que l'appelante fait valoir que Ie tribunal saisi n'était pas territoriale­ment compétent et désigne comme compétente la juridiction dans Ie ressort de laquelle est établi son siège (soit Milan);

Qu'elle conclut, à titre subsidiaire, au non fondement de la demande ongmmre;

Attendu que les faits de la cause peuvent être résumés de la manière suivante: 1. Le 26 octobre 1978, les parties ont signé un contrat de concession exclusive de vente concernant la vente, en Belgique et au Luxembourg, des "produits chimiques et non chimiques pour l'entretien, Ie fonctionne­ment et Ie nettoyage des moyens de locomotion et de transport en général, fabriqués ou écoulés par nous (S.I.P.A.L. Arexons S.p.a.) dans les types spéciaux pour exportation". Cette convention entrait immédiatement en vigueur pour se terminer Ie 15 juillet 1980. 2. Par lettre du 15 juillet 1980, l'appelante propost:; à l'intimée de signer un nouveau contrat identique, lequel prendrait cours Ie 15 juillet 1980 pour se terminer le 14 juillet 1982. 3. Dans un courrier recommandé du 23 décembre 1980, l'appelante constate que Ie contrat d'exclusivité ne lui a pas été retourné et qu'elle se considère libre de tout engagement vis-à-vis de l'intimée. Elle y fait par ailleurs défense expresse à ladite intimée de continuer à utiliser ses signes distinctifs, en particulier noms et marques déposés. 4. Dans une lettre du 3 mars 1981, l'appelante soumet à l'intimée sa "meilleure offre pour les produits sous votre étiquette" (transformateur de rouille, désodorisant pour voiture, ... ).

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 305

5. Dans une lettre datée du 23 mars 1981, l'intimée détaille une commande faisant suite à l'offre du 3 mars 1981. 6. Le 24 mars 1981, l'appelante écrit à l'intimée: "Vous trouverez en annexe vos projets pour les étiquettes que vous nous aviez demandé de préparer. Nous vous renvoyons vos projets parce que ces produits ne sont plus intéressants pour nous". Le même jour, le conseil de l'appelante met l'intimée en demeure de "cesser d'utiliser les marques de la propriété" de sa cliente, et spécialement la marque "Roxill";

Quant à la compétence territoriale

Attendu qu'aux termes des articles 3 alinéa 1 et 5, 1 ° de la Convention C.E.E. du 27 septembre 1968, en matière contractuelle, le défendeur domicilié dans un Etat de la C.E.E. ne peut être appelé dans un autre Etat de la communauté que <levant le tribunal du lieu ou l'obligation a été ou doit être exécutée;

Que la règle uniforme énoncée ci-dessus est limitative en ce sens qu'en matière contractuelle, dans aucun autre cas, un déf en deur domicilié dans un Etat contractant ne peut être appelé <levant le tribunal d'un autre Etat contractant;

Que, dans les cas visés à l'article 5, 1 ° de la Convention du 27 septembre 1968, la compétence dujuge national pour décider des questions relatives à un contrat indut celle pour apprécier l'existence des éléments constitutifs du contrat lui-même, une telle appréciation étant indispensable pour permettre à la juridiction nationale saisie de vérifier sa compétence en vertu de la convention (C.J.C.E., 4 mars 1982, Rec. Jur. C.J.C.E., 1982, 825);

Que l'obligation à laquelle il faut se référer, pour l'application de l'article 5, 1 ° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire, est celle correspondant au droit contractuel sur lequel se fonde l'action du demandeur;

Qu'ainsi, dans le cas ou le demandeur fait valoir son droit au paiement de dommages-intérêts et/ou invoque la résolution du contrat aux torts et griefs de l'autre partie, l'obligation visée par l'article 5, 1 ° est toujours celle découlant du contrat et dont l'inexécution est invoquée pour justifier de telles demandes;

Qu'en l'espèce l'intimée, demanderesse originaire, fait grief, à l'appelan­te de ne pas avoir livré des produits d'entretien automobilé qu'elle s'était engagée à fournir suivant une convention conclue par échange de courrier (cf. citation introductive d'instance);

Attendu qu'il revient au juge saisi d'établir, en vertu de la Convention C.E.E., si le lieu ou l'obligation litigieuse eut dû, le cas échéant, être exécutée, est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale;

Qu'à eet effet, il doit déterminer, en vertu de ses propres règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et définir, conformément à cette loi, le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse;

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306 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

Qu'en d'autres termes le lieu d'exécution est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie;

Attendu que l'intimée considère que sa lettre de commande du 23 mars 1981 traduit son acceptation de l'offre écrite de l'appelante en date du 3 A mars 1981, eet échange de consentements ayant entraîné la formation d'un W contrat, selon lequel l'appelante s'engageait à lui fournir des produits d'entretien pour véhicules, produits conditionnés sous forme de flacons, blisters et boîtes;

Qu'un tel marché, à supposer qu'il ait été effectivement conclu, entre dans le champ d'application de la convention internationale du Ier juillet 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, convention qui est entrée en vigueur à l'égard de la Belgique le 18 août 1972;

Qu'en effet se trouve présent le double élément d'extranéité prescrit par l'article ler de ladite convention, selon lequel il faut, d'une part, que le vendeur et l'acheteur aient leur établissement sur le territoire d'Etats différents, et il faut, d'autre part, soit un transport de la chose vendue du territoire d'un Etat dans celui d'un autre Etat, soit la localisation des actes constituant l'offre et l'acceptation sur le territoire d'Etats différents, soit la délivrance de la chose vendue sur le territoire d'un Etat autre que celui ou ont été accomplis les actes constituant l'offre et l'acceptation du contrat;

Que les règles du droit international privé sont exclues pour l'applica­tion de la convention du Ier juillet 1964 (article 2);

Que celle-ci prévoit que la délivrance consiste dans la remise d'une chose conforme au contrat et que, dans le cas ou le contrat implique un transport de la chose et lorsqu'aucun autre lieu n'a été convenu pour la délivrance - ce qui est le cas en l'espèce -, celle-ci se réalise par la remise de la chose au transporteur pour transmission à l'acheteur (article 19);

Qu'elle dispose encore que: - lorsque le contrat de vente n'implique pas un transport de la chose, le vendeur doit délivrer la chose au lieu ou il avait lors de la conclusion du contrat, son établissement ou, à défaut d'établissement, sa résidence habituelle, - si la vente porte sur un corps certain et si les parties connaissent le lieu ou il se trouve lors de la conclusion du contrat, c'est en ce lieu que le vendeur doit délivrer la chose. Il en est de même si les choses vendues sont des choses de genre à prendre dans une masse déterminée ou si elles doivent être fabriquées ou produites dans un lieu connu des parties lors de la conclusion du contrat (article 19, 1 ° et 2°);

Qu'il en résulte qu'à défaut pour les parties d'avoir convenu des mode et lieu de délivrance de la chose vendue, celle-ci eut dû être exécutée au lieu de l'établissement de l'appelante, soit Milan en !talie;

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 307

Attendu que surabondamment dans l'hypothèse d'un contrat non soumis à la convention internationale du 1 er juillet 1964, l'application des règles de conflit conduirait à une solution identique;

Qu'il faudrait alors rechercher si les parties ont, de manière explicite ou implicite, choisi la loi applicable au contrat;

Que force est de constater que les lettres des 3 mars 1981 et 23 mars 1981 ne contiennent l'expression d'aucune volonté explicite quant à la loi applicable aux relations contractuelles;

Qu'on pourrait imputer aux parties une volonté implicite d'adopter la loi italienne dans la mesure ou, à !'occasion de relations commerciales antérieures (concession exclusive de vente), elles avaient expressément soumis leurs rapports à la loi italienne et attribué compétence aux juridic­tions italiennes (articles 17 et 18 de la Convention du 26 octobre 1978);

Que, cette volonté implicite ne pouvant être tenue pour certaine en raison même de l'évolution du cadre des relations entre parties, il paraît préférable de se référer aux règles de conflit subsidiaires, lesquelles ont un caractère objectif et tendent à localiser le contrat en fonction d'élé­ments matériels de rattachement;

Que, contrairement à ce que paraît avoir retenu le premier juge, la Convention alléguée n'a pas été conclue en Belgique mais bien en !talie, dès lors qu'il est généralement admis qu'un contrat se forme au lieu ou le pollicitant reçoit l'acceptation ( cf. Cass., 16 juin 1960, Pas., I, 1190; Van Ommeslaghe, in R.C.J.B., 1986, 138; Foriers, in J.C.B., 1983, 197);

Que le contrat allégué, qui ne contient aucune stipulation quant aux modalités de délivrance, n'a pas été exécuté;

Que les parties n'ont mis en évidence aucun indice sérieux permettant de penser que les conditions dudit marché impliquaient une prise en charge par l'appelante des frais et risques de l'expédition et du transport des marchandises;

Que, dans les circonstances de l'espèce, il est raisonnable d'admettre que la loi applicable aux relations entre parties est celle du pays ou la partie qui devait exécuter la prestation caractéristique (soit la mise à disposition des marchandises) avait son principal établissement lors de la conclusion du contrat, soit la loi italienne;

Attendu qu'aux termes de l'article 1182 du Code civil italien "l'obligation de livrer une chose certaine et déterminée doit être exécutée dans le lieu ou se trouvait la chose quand l'obligation est née ... Dans les autres cas, l'obligation doit être exécutée au domicile que le débiteur a au moment de !'échéance";

Que l'article 1510 du même Code dispose "qu'en !'absence d'accord ou d'usage contraire, la livraison de la chose doit se faire au lieu ou celle-ci se trouvait au temps de la vente, si les parties en avaient connaissance, ou bien au lieu ou le vendeur avait son domicile ou le siège de son entreprise. Sauf accord ou usage contraire, si la chose vendue doit être transportée d'un lieu à un autre, le vendeur se libère de l'obligation de la livraison en remettant la chose au transporteur ou à l'expéditeur; les frais de transport sont à charge de l'acheteur";

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308 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

Attendu qu'ainsi, en vertu de la loi italienne applicable, l'obligation de délivrance eut dû, en l'espèce et en l'absence de convention contraire, être exécutée, le cas échéant, par l'appelante sur le territoire italien, cette localisation excluant que la compétence des tribunaux belges soit retenue sur la base des articles 3 et 5, 1 ° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968;

Que surabondamment, en cas de doute et en raison même du caractère -limitatif de ces deux articles, l'appelante eut dû être attraite <levant les juridictions italiennes par application de la règle générale contenue dans l'article 2 de la susdite Convention du 27 septembre 1968;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces considérations que c'est à tort que le premier juge s'est déclaré territorialement compétent pour connaî­tre de la demande;

( dispositif conforme)

Du 4 mai 1987 - Mons. Siég.: MM. Mougenot, président, Jassogne et Van Wuytswinkel, conseillers. Plaid. : Mes Dewit, Delmarche et André.

Note Les ventes internationales d'objets mobiliers corporels et les Conventions internationales qui leur sont applicables

Les décisions publiées dans ce numéro R.D.C., 1988, 297,303,311 et 324 se rapportent à l'application de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (Convention de la Haye du 1 er juillet 1964, loi belge du 15 juillet 1970).

Rappelons que la vente internationale d'objets mobiliers corporels est également régie par la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corpo­rels (loi belge du 21 septembre 1962).

Alors que la Convention de La Haye de 1955 a uniquement pour objet d'établir entre les Etats contractants un système de règles uniformes de conflits de lois (c'est-à-dire, désigner dans chaque cas d'espèce, la loi applicable au fond), la Convention de La Haye de 1964 portant loi uniforme prévoit directement une réglementation uniforme spéciale entre les Etats contractants, indépendamment de toute loi interne.

Et pour éviter les conflits de conventions suscités par la Convention de 1955 et celle de 1964, la Belgique a fait usage de la réserve prévue à l'article IV de la Convention de La Haye de 1964 qui donne prééminence à la Convention de 1955.

En d'autres termes, ainsi que nous avons déjà eu l'occasion de le signaler dans cette Revue ("La vente internationale d'objets mobiliers corporels", cette Revue, 1982, 265 et s.; voir également Van Hoogten, "Overzicht van Belgische rechtspraak ... ", R.D. C., 1987, 168), le juge bel ge ne peut faire application de la loi uniforme qu'après avoir vérifié si elle

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 309

est compétente à la vente en vertu des règles de la Convention du 15 juin 1955.

Deux décisions commentées - celles du Tribunal de commerce de Liège du 17 avril 1986 et de la Cour d'appel de Bruxelles du 19 mars 1987 - ont respecté ce schéma: application de la Convention de 1955 puis compéten­ce de la Convention de 1964; les deux autres décisions analysées - celles du Tribunal de commerce de Bruxelles du 18 février 1987 et de la Cour d'appel de Mons du 14 mai 1987 - ont, à tort, fait directement appel à la Convention de La Haye de 1964.

Les champs d'application des Conventions de La Haye de 1955 et de 1964 ne sont toutefois pas identiques.

La première difficulté est relative à la notion de vente internationale. La Convention de 1955 ne précise pas ce qu'il faut entendre par "vente à caractère international"; en revanche, elle précise ce qui n'est pas considéré comme international. Selon l'article ler al. 4 en effet: "la seule déclaration des parties, relative à l'application d'une loi ou à la compéten­ce d'un juge ou d'un arbitre, ne suffit pas à donner à la vente le caractère international au sens de la Convention".

La Convention de La Haye de 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale, contrairement à la Convention de 1955, précise de manière positive ce qu'il faut entendre par "vente internationale", à l'article ler de la loi uniforme, en imposant, d'une part, des conditions relatives aux cocontractants eux-mêmes (ils doivent avoir des établissements sur le territoire d'Etats différents) et d'autre part, des conditions intéressant la chose vendue elle-même (par exemple, qu'elle fera l'objet d'un transport d'un Etat dans un autre) ou la conclusion du contrat (l'offre et l'accepta­tion ont été accomplies dans des Etats différents).

Ni la Convention de La Haye de 1955, ni la loi uniforme, ne précisent les concepts de "vente" et "d'objets mobiliers corporels". Cette qualifica­tion relève dès lors, soit de la lex fori ou loi du juge saisi (c'est la qualification lege fori), soit de la loi appliquée au fond (c'est la qualifica­tion lege causae).

Elles excluent toutefois de leur champ d'application la vente de certains objets (par exemple, les valeurs mobilières, les effets de commerce). Mais, il existe des divergences entre les deux Conventions. Ainsi, la Convention de La Haye de 1964 exclut la vente d'électricité; la Convention de 1955 ne l'exclut pas.

Quant au domaine de la loi appliquée, la Convention de 1955 et la loi uniforme présentent des ressemblances et des divergences. - Ressemblance : elles excluent toutes les deux, le transfert de propriété. - Divergence: La Convention de La Haye exclut la forme; l'article 15 de la loi uniforme prévoit qu'"aucune forme n'est prescrite pour le contrat de ven te. Il peut être prouvé notamment par témoins".

Autre difficulté d'application qui résulte de l'article 3 de la loi uniforme. D'après cette disposition, "les parties à un contrat de vente sont libres

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310 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

d'exclure totalement ou partiellement l'application" de la loi uniforme. "Cette exclusion peut être expresse ou tacite".

Lorsque l'exclusion de la loi uniforme est tacite, on peut se demander comment il faut concilier les deux Conventions. En eff et, une fois la loi uniforme exclue (par application de l'article 3 de la loi uniforme), s'agis-sant d'une vente internationale, Ie juge du for doit déterminer la loi applicable, en vertu de ses propres règles de conflit de lois, et donc de la A Convention de La Haye de 1955. Or, celle-ci, en son article 2 al. 2, W empêche de déclarer applicable la loi tacitement choisie par les parties. La loi compétente est alors la loi de la résidence du vendeur. Mais quid si cette loi est la loi d'un Etat qui a introduit la loi uniforme dans sa législation interne et qui prévoit la validité de l'exclusion de la loi unifor-me?

L'article 3 de la loi uniforme précise également que l'exclusion, par les parties, de la loi uniforme peut être expresse. Les parties peuvent, par exemple, avoir choisi des clauses conventionnelles incompatibles avec les dispositions de la loi uniforme. Elles peuvent aussi s'être référées à des usages et coutumes du commerce international ou lex mercatoria. Celle-ci bénéficie d'une suprématie sur la loi uniforme. L'article 9, 1 ° de la loi uniforme prévoit, en effet, que "les parties sont liées par les usages auxquels elles se sont référés expressément ou tacitement et par les habitudes qui se sont établies entre elles". Enfin, l'exclusion de la loi uniforme peut se faire par Ie choix exprès exprimé par les parties de l'adoption d'un système national. Se pose alors un problème d'interpréta­tion de la volonté des parties lorsqu'elles se sont référées à la loi d'un pays qui a introduit dans sa législation interne la loi uniforme: se sont-elles référées à la loi uniforme ou au droit interne qui subsiste dans les hypothèses non visées par la loi uniforme (c'est-à-dire, lorsque l'une des conditions d'application de la loi uniforme n'est pas remplie)?

Une telle question s'est posée dans Ie jugement du 18 février 1987 du Tribunal de commerce de Bruxelles (voir p. 324). D'après les faits relatés dans cette décision, les parties avaient choisi, parmi les conditions généra­les de vente, la loi belge pour régir leurs relations contractuelles. S'agissait­il de la loi belge, en ce compris les dispositions de la loi uniforme, ou de la loi belge, à l'exclusion des règles de la loi uniforme? On peut supposer que dans Ie litige soumis à l'appréciation du Tribunal de Bruxelles, deux considérations penchent en faveur de l'application du droit interne belge, à l'exclusion des règles de la loi uniforme. En effet, on peut relever à l'article 8 des conditions générales de vente, des dispositions particulières relatives à l'indemnisation par Ie vendeur en cas de vices cachés et apparents, conformes aux règles de droit civil belge, qui ne se retrouvent pas dans la loi uniforme. On peut également invoquer Ie fait que les parties aient précisé que les conditions générales de vente s'appliquent "à toutes ses ventes nationales ou internationales". Or, la loi uniforme ne vise que les ventes internationales, dans les circonstances que nous avons décrites plus haut.

Nadine Watté

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Tribunal de Commerce de Liège

17 avril 1986

COMPETENCE

I­VIII

Compétence internationale - Ratione loci - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Obligation servant de base à la demande - Art. 5 de la Convention - Prorogation de compétence

L'obligation visée à l'article 5, 1 ° de la Convention de Bruxelles concerne l'obligation servant de base à la demande, dont Ie lieu d'exécution se détermine par référence à la loi applicable au fond, désignée par la règle de conjlit du for.

BEVOEGDHEID Internationale bevoegdheid - Ratione loci - EEX-verdrag van 27 september 1968 - Verbintenis die aan de eis ten grondslag ligt - Artikel 5, 1 ° van het Verdrag - Uitbreiding van bevoegdheid

De in artikel 5, 1 ° van het Verdrag van Brussel bepaalde verbintenis is de verbintenis die aan de eis ten grondslag ligt. De plaats waar de verbintenis "is uitgevoerd of moet uitgevoerd worden" wordt vastgesteld overeenkomstig het recht dat volgens de collisieregels van de aangezochte rechter de litigieu­ze verbintenis ten einde beslecht.

DROIT INTERNATIONAL PRIVE - VENTE Loi applicable - Loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels

L'obligation de l'acheteur de payer Ie prix de la chose vendue doit s'effectuer à l'établissement du vendeur, ou à défaut, à sa résidence habituelle, en vertu de l'article 59 de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels ( loi beige du 15 juillet 1970).

INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT- KOOP Toepasselijke wet- Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken

Krachtens artikel 59 van de Eenvormige Wet ( Belgische Wet van 15 juli 1970) moet de koper aan de verkoper de prijs van de verkochte zaak betalen ter plaatse van diens vestiging of op diens gewone verblijfplaats.

(Grafossart / Phénomènes)

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312 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

1. Objet de l'action

La société anonyme Grafossart postule la condamnation solidaire des défendeurs à lui payer la contrevaleur en francs belges d'une facture émise le 11 avril 1985 d'un import de 1.063.092 francs français, majorée des intérêts conventionnels de retard, de la clause pénale et des frais de protêt ainsi que la somme de 500.000 francs belges à titre de dommages et intérêts -complémentaires.

2. Les faits

Le 8 mars 1985, Monsieur Olivier Thys rencontre à Boulogne, Madame Marie-Laurence Besin en vue d'obtenir un devis relatif à l'impression et à la photogravure du numéro d'avril de la revue "Phénomène", éditée par la société <lont il est le gérant et directeur de publication. Madame Besin, quant à elle, est représentante indépendante des deux sociétés Grafossart, la S.A.R.L. de droit français et la société anonyme de droit belge.

Un contact téléphonique est pris avec la demanderesse et une réunion à Herstal est convenue pour le 11 mars suivant.

Au cours de cette rencontre, à laquelle assistent notamment Messieurs Olivier et Jean Thys, les conditions et les modalités d'exécution de la commande, sont discutées et, semble-t-il, mises au point. Le même jour, un devis est établi par Madame Besin sur un document à en-tête "Grafos­sart-France";

A-t-il été rédigé avant ou après la réunion à Herstal? Les parties sont en désaccord sur ce point. Une seconde divergence a trait à l'exigence formulée par Grafossart de la remise d'une traite avalisée par banque; Selon la demanderesse, cette condition - indispensable à son accord -aurait été formulée dès le 8 mars 1985; selon les défendeurs, c'est seule­ment le 21 mars suivant qu'un aval bancaire sera réclamé, contrairement aux accords antérieurs prévoyant simplement un payement à 120 jours.

A la demande de Monsieur Olivier Thys, qui souhaite opérer directe­ment le dédouanement des marchandises, une facture pro forma est rédigée le 21 mars par Grafossart Belgique et remise par Madame Besin, moyennant traite à accepter et à avaliser.

Rendez-vous est pris à Paris pour le 3 avril suivant en vue de retirer la traite. Monsieur Olivier Thys ne vient pas à ce rendez-vous auquel vient sa mère, laquelle affirme avoir envoyé, par recommandé, la traite avalisée à Herstal.

La revue, imprimée, quitte le siège de Grafossart le 4 avril; le lendemain, la traite - non avalisée - parvient à son destinataire qui fait aussitöt bloquer par télex la marchandise chez son transporteur à Aubervilliers. Le samedi 6 avril, au cours d'une nouvelle réunion à Paris, à laquelle assiste Monsieur Jean Thys, on apprend que le stock de revues vient d'être retiré par Monsieur Olivier Thys du dépöt d'Aubervilliers. Une autre partie de la marchandise, destinée au marché suisse, fera retour à Grafos­sart, le transitaire à Paris n'ayant pas reçu les documents nécessaires à son dédouanement.

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 313

La présente action est introduite avant !'échéance - au 31 août 1985 -de la traite qui a fait l'objet d'un protêt faute de paiement.

3. Discussion : Quant à la compétence

Attendu que les défendeurs soulèvent in limine litis un double déclinatoire de compétence, considérant d'une part à titre principal que les juridictions belges ne peuvent connaître du présent litige compte tenu des dispositions de la Convention C.E.E. du 27 septembre 1968, de l'autre à titre subsidiai­re, que la cause devrait être renvoyée <levant le tribunal de première instance, les 2ème, 3ème et 4ème défendeurs n'ayant pas la qualité de commerçant;

§ 1. Quant à la compétence internationale de la juridiction saisie

a) L'article 17 de la Convention C.E.E.

Attendu que l'article 22 des conditions générales de vente de la S.A. Grafossart prévoit que "toute contestation sera de la compétence exclusi­ve des tribunaux de Liège";

Que les défendeurs considèrent que la prorogation de compétence prévue à l'article 17 de la Convention C.E.E. ne peut en l'espèce être invoquée pour un double motif: 1. Les relations commerciales se seraient nouées non avec Grafossart Belgique mais avec la S.A.R.L. Grafossart France; 2. Les conditions de forme exigées pour l'application de l'article 17 ne sont pas réunies;

Attendu que le premier argument soulève en réalité une question de recevabilité de l'action et non de compétence;

Qu'il se fonde en eff et essentiellement sur le fait que le devis initia! du 11 mars 1985, rédigé et signé par Mme Besin sur un document à en-tête de la S.A.R.L. Grafossart France, constitue la base des relations contrac­tuelles auxquelles serait demeurée étranger Grafossart Belgique qui n'au­rait de la sorte aucune qualité à agir;

Attendu que le dossier - en particulier la correspondance échangée entre les parties - révèle le contraire :

Les pourparlers se sont noués entre les défendeurs et la S.A. Grafossart et les engagements réciproques ont été effectivement conclus entre ces parties; que la réunion du 11 mars 1985 s'est tenue au siège social de la demanderesse; qu'au cours de celle-ci, Monsieur Olivier Thys a demandé qu'une facture soit émise de Belgique; que cette facture est établie au nom de la société belge; que le télex du 9 avril 1985 de Grafossart fait explicitement référence à certaines clauses des conditions générales de la demanderesse; que les défendeurs ne peuvent raisonnablement soutenir n'avoir traité qu'avec la S.A.R.L. Grafossart France, alors qu'ils ont remis à la demanderesse la traite exigée et tirée par elle;

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314 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

Attendu que le second argument a trait aux conditions d'efficacité de la clause attributive de juridiction au regard de l'article 17 de la convention C.E.E.; que la portée de cette disposition a été précisée par la Cour de Justice (voir notamment les arrêts Segoura et Estasis du 14 décembre 1976, Rec., 1976, 1831 et 1851) en prescrivant au juge "d'examiner si la clause qui lui attribue compétence a fait effectivement l'objet d'un consen­tement entre parties, qui doit se manifester d'une manière claire et précise" -et qu'il n'est satisfait aux exigences de forme posées par cette disposition "que si la confirmation écrite du vendeur avec communication des condi-tions générales de vente a donné lieu à une acceptation écrite de l'ache-teur", le défaut de protestation de sa part ne valant acceptation que "si l'accord verba! se situe dans Ie cadre de rapports commerciaux courants entre parties établis sur base des conditions générales" du vendeur;

Que la jurisprudence beige en déduit que les clauses attributives de compétence figurant au verso des factures, ne répondent pas à ces exigen­ces, auraient-elles été acceptées tacitement faute de protestation (Born, H. et Fallon, M., "Droit judiciaire international, chronique de jurispruden­ce", J.T., 1983, n° 92, p. 207);

Que les défendeurs n'ont pas déclaré par écrit accepter ces conditions générales et que les parties n'entretenaient pas "des relations d'affaires courantes desquelles il pouvait être déduit qu'elles étaient d'accord pour qu'elle fussent soumises aux conditions de l'une d'entre elles" (cf. Mons, 9 mars 1983, R.D.C., 1985, 387 et la note Grégoire, M., "la prorogation de compétence");

b) L'article 5, 1 ° de la Convention

Attendu qu'en vertu de l'article 5, 1 ° de la convention du 27 septembre 1968, le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait dans un autre Etat de la Communauté, en matière contractuel­le, <levant le tribunal du lieu ou l'obligation a été ou doit être exécutée; que le terme "obligation", se réfère à l'obligation contractuelle servant de base à l'action (arrêt de la Cour de Justice du 6 octobre 1976, Rec., 1976, 1497), soit en l'espèce à l'obligation de payer la facture du 21 mars 1985 relative à la revue "Phénomène", imprimée et livrée par la demanderesse;

Que la détermination du lieu d'exécution de l'obligation litigieuse doit s'opérer par référence à la loi applicable au fond, désignée par la règle du conflit du for;

Attendu que Ie marché en cause rentre dans le champ d'application de la convention de la Haye du i5 juin 1955 <lont l'article 1 al. 3 assimile aux ventes, les contrats de livraison d'objets mobiliers corporels à fabri­quer ou à produire, lorsque la partie qui s'oblige à livrer doit fournir les matières premières nécessaires à la fabrication ou à la production;

Qu'en vertu de l'article 3 de la dite convention, à défaut de choix exprimé par les parties, la vente est régie par la loi interne du pays ou le vendeur a sa résidence habituelle au moment ou il reçoit la commande, soit en l'espèce la loi belge;

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 315

Attendu que l'article 59, 1 ° de la Convention de la Haye du 1 er juin 1964, portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, dispose que "l'acheteur doit payer le prix au vendeur à son établissement ou, à défaut, à sa résidence habituelle"; que l'obligation litigieuse <levant être exécutée à Herstal, lieu du siège social de la demande­resse, le tribunal de céans est territorialement compétent pour connaître

- du litige;

Attendu que les défendeurs font cependant valoir que l'action extra-cam­biaire implique la restitution de la traite au débiteur; que l'article 59, 1 ° in fine de la convention du 1 er juin 1964 prévoit que "lorsque le paiement doit être fait contre remise de la chose ou des documents, il doit être effectué au lieu de cette remise";

Que la traite, payable à Paris, devait y être remise; qu'en conséquence, le lieu de l'obligation, au sens de l'article 5, 1 ° de la Convention C.E.E., ne permet pas de justifier la compétence des juridictions belges;

Attendu que ce raisonnement se fonde sur une interprétation erronée des termes utilisés dans la Convention de la Haye; que la portée de l'expression "remise des documents" est précisée à l'article 50 qui dispose que "Lors­que le vendeur est tenu de remettre à l'acheteur des documents qui se rapportent à la chose, il doit s'acquitter de cette obligation au moment et au lieu déterminés par le contrat ou par les usages";

Que les documents concernés sont ceux qui sont représentatifs de la marchandise (certificats, titres de transport, connaissements, etc., voir Kahn, P., Rev. Trim. Dr. Comm., 1964, 718) et non ceux qui sont destinés à servir d'instruments de paiement.

§ 2. Quant à la compétence matérielle

Attendu que la demanderesse a introduit son action et postule la condam­nation solidaire d'une société commerciale et de trois personnes physiques <lont la qualité de commerçant est contestée;

Qu'il résulte du dossier que Monsieur Olivier Thys est gérant de la S.A.R.L. "Phénomènes"; que son père, Monsieur Jean Thys est notaire et sa mère, Madame Christiane Legentel, responsable de la gestion ad­ministrative de la revue (voir la lettre du 17 avril 1985 de Madame Besin, suite 4);

Qu'il est certes indiscutable que ces personnes sont intervenues - à des titres divers - tant au cours des négociations préalables à la conclusion du contrat avec Grafossart que lors des réunions et tractations ultérieures; qu'elles ont pu apparaître à la demanderesse comme "agissant et s'enga­geant personnellement ou ensemble pour leur compte personnel, souscri­vant des obligations se rattachant au fonctionnement d'une entreprise commerciale", il n'est toutefois pas démontré qu'elles avaient effective­ment la qualité de commerçant;

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316 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

Attendu que le tribunal de commerce connaît des contestations entre commerçants, relatives aux actes réputés commerciaux par la loi (art. 573, 1 ° C.J.); que "les textes attribuant compétence à unjuge d'exception sont, en principe, de stricte interprétation. Le tribunal civil doit être préféré chaque fois que la lecture de la loi laisse subsister un véritable doute sur l'attribution de compétence à un juge spécial". "Juridiction in dubiis est ordinaria" (Fettweis, A., Kohl, A. et de Leval, G., Eléments de la compé- -tence civile, P.U. Liège, 1983, n° 75, p. 31);

Que la demanderesse n'a pas postulé le renvoi de la cause <levant le tribunal d'arrondissement pour qu'il soit statué sur le déclinatoire des défendeurs.

Par ces motifs

Le Tribunal dit pour droit que la juridiction de céans est internationale­ment compétente pour connaître de la cause;

Constate que l'objet du litige est indivisible et qu'il n'est pas établi que les 2°, 3° et 4° défendeurs ont la qualité de commerçant;

Renvoie la cause <levant le tribunal civil de première instance de Liège.

Du 17 avril 1986 - Comm. Liège. Siég.: MM. Troisfontaines, juge, Chandelon et Collinet, juges consulaires. Plaid.: Mes Debliquy loco Wtterwulghe et Van Damme loco Henry.

Note

Voir la note p. 308

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Rechtbank van Koophandel te Brussel

18 november 1986 I

RECHTSPLEGING Cautio judicatum solvi - Statenopvolging - Bilateraal verdrag - Eénzijdige verklaring - Continuïteit

Een bilateraal verdrag blijft van toepassing op een onafhankelijk geworden Staat, wanneer deze door middel van een éénzijdige verklaring erkent erdoor gebonden te zijn.

PROCEDURE Cautio judicatum solvi - Succession d'Etats - Traité bilatéral - Déclaration unilatérale - Continuité

Un traité bilatéral continue à s'appliquer à un Etat devenu indépendant, lorsque celui-ci décide d'assumer Ie traité par une déclaration unilatérale.

( ... )

(Owens Bank Limited (St. Vincent en de Grenadines) / Trends (België))

Gelet op onze beschikking d.d. 26 september 1986 waarbij aan de Belgische Staat, vertegenwoordigd door de Heer Minister van Buitenlandse Zaken, bevolen werd ter griffie van onze rechtbank neder te leggen een voor echt verklaarde kopij van de stukken of de verklaringen waaruit blijkt dat het verdrag gesloten tussen België en Groot-Brittannië op 4 november 1932 betreffende de "cautio judicatum solvi" de Rechtsbijstand en de lijfdwang, goedgekeurd bij Wet van 25 april 1934 en bij bericht verschenen in het Staatsblad van 26 juni 1935 uitgebreid o.a. tot de eilanden St. Vincent en de Grenadinen : · - hetzij nog steeds bindend blijft voor de Belgische Staat in zijn verhou­

ding met de State of Saint-Vincent and the Grenadines, - hetzij dat de Hoge Verdragsluitende partijen respectievelijk hun opvol­

ger, in de soevereiniteit over gezegde gebieden, dit verdrag als hetzij opgeschorst, hetzij vervallen beschouwen; Gelet op de volgende stukken, in naam van de Minister van Buitenlandse

zaken opgesteld en ter griffie van onze rechtbank neergelegd, nl. :

1. een brief gedagtekend op 6 november 1986 en neergelegd op 7 novem­ber 1986 aan ons gericht waarvan de inhoud als volgt luidt:

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318 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

"Terzake kan ik u meedelen( ... ) dat de Belgische regering zich nog steeds door dergelijke conventie gebonden acht.

Evenwel is deze houding onderworpen aan de uitdrukkelijke aanvaar­ding door de regering van de betrokken staten.

Om binnen de door voornoemde beslissing vastgestelde tijdspanne ingelicht te zijn over de standpunten van de overheden van St.Vincent en A de Grenadinen, werd aan de Ambassade van België te Kingston door mijn w diensten opdracht gegeven deze overheden terzake te ondervragen.

Niettegenstaande onze diplomatieke post op mijn instructie herhaalde­lijk bij de bevoegde overheden ter plaatse tussenkwam, deelde zij mij tot op heden nog geen antwoord mede. Wel lichtte de Ambassade van België te Kingston mij er zeer recent over in dat het Ministerie van Buitenlandse Zaken van St. Vincent en de Grenadinen niet over de tekst van de voormelde conventie van 1932 beschikt en zich slechts definitief wenst uit te spreken na de documenten aangaande de conventie te hebben onder­zocht en bestudeerd.";

2. een afschrift van een vertaling van een verklaring van 30 september 1983 van de toenmalige Eerste Minister van de State of Saint-Vincent and the Grenadines aan de Secretaris Generaal van de Verenigde Naties, neergelegd op 17 november 1986, waarvan de inhoud als volgt luidt.

"Monsieur le Secrétaire général, J'ai l'honneur de me référer à l'accession à l'indépendance, le 27 octobre

1979, de l'ancien Etat associé britannique de Saint-Vincent, qui est devenu l'Etat de Saint-Vincent-et-Grenadines, ainsi qu'à la question du statut des conventions, traités et autres instruments internationaux qui s'appliquent à Saint-Vincent ou auxquels le Gouvernement britannique a adhéré en son nom avant l'accession à l'indépendance.

Le Gouvernement de l'Etat de Saint-Vincent-et-Grenadines considère que la question de la succession à de tels conventions, traités et autres instruments internationaux devrait être régie par les règles acceptées du droit international et par les principes pertinents figurant dans la Conven­tion sur la succession d'Etats en matière de traités, signée à Vienne le 23 août 1978.

Le Gouvernement de l'Etat de Saint-Vincent-et-Grenadines déclare par la présente qu'il continuera de se conformer aux clauses de tous les traités multilatéraux s'appliquant ou s'étendant à l'ancien Etat associé britanni­que de Saint-Vincent, à titre provisoire et sur la base de la réciprocité jusqu'à notification au dépositaire de la décision qu'il aura prise à ce sujet.

Quant aux traités bilatéraux qui s'appliquent ou s'étendent à l'ancien Etat associé britannique de Saint-Vincent ou qui ont été ratifiés en son nom, le Gouvernement de l'Etat de Saint-Vincent-et-Grenadines déclare qu'il examinera chacun d'eux et qu'il communiquera ses vues à l'autre Etat partie. Entre-temps, il continuera de respecter à titre provisoire et sur la base de la réciprocité, les dispositions de tous les traités qui lui sont valablement applicables et quine vont pas à l'encontre de son sta tut d'Etat souveraih indépendant. '

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 319

Le Gouvernement de l'Etat de Saint-Vincent-et-Grenadines demande que la présente déclaration soit distribuée à tous les Membres de l'Organi­sation des Nations Unies et aux organismes des Nations Unies.

3. een begeleidende brief d.d. 14 november 1986, in naam van de Minister van Buitenlandse Zaken aan ons gericht, waarvan de inhoud als volgt

- luidt: "Comme vous le remarquez, en ce qui concerne les traités bilatéraux, ce Gouvernement a déclaré qu'il examinera chacun d'entre eux et qu'il communiquera ses vues à l'autre Partie et qu'entre-temps, il continuera de rèspecter, à titre provisoire et sur la base de la réciprocité, les disposi­tions de tous les traités qui lui sant valablement applicables et quine vont pas à l'encontre de son statut d'Etat souverain indépendant.

Je ne puis que vous confirmer, qu'interrogé par notre Ambassade à Kingston, ce Gouvernement n'a pas fait état de ce point de vue ni du résultat de l'examen auquel il entendait procéder. La position de l'Etat belge telle qu'elle apparaît dans ma lettre du 6 novembre dernier demeure inchangée."

Gelet op de besluiten der partijen;

Overwegende dat uit voornoemde stukken dient te worden af geleid dat het Verdrag van 4 november 1932, na de onafhankelijkheid van de State of Saint-Vincent and the Grenadines, zijn bindend karakter behouden heeft;

Overwegende dat de verklaring d.d. 30 september 1983 van de toenmalige Eerste Minister van de State of Saint-Vincent and the Grenadines aan de Secretaris-Generaal van de Verenigde Naties een uitdrukkelijke erkenning van het bindend karakter van het Verdrag inhoudt;

Dat het gestelde voorbehoud enkel betrekking heeft op de duur van de verbintenissen die uit het Verdrag voortvloeien, maar evenwel geen twijfel kan teweegbrengen over het bestaan ervan vermits de bevoegde instanties van de State of Saint-Vincent and the Grenadines tot nu toe het Verdrag niet hebben opgezegd noch hebben laten kennen dat de toepassing ervan opgeschorst zou zijn;

Overwegende dat de beschouwing dat voornoemde verklaring geen enkele duurzame rechtszekerheid voor in België litigerende partijen zou bieden ter zake niet dienend is;

Overwegende dat de onzekerheid betreffende de houding die de State of Saint-Vincent and the Grenadines later zou kunnen innemen m.b.t. dit Verdrag, uiteraard geen invloed kan hebben op de rechten die de onderda­nen van de Hoge Verdragsluitende partijen, respectievelijk hun opvolger, thans nog steeds kunnen laten gelden;

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320 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

Overwegende dat aan de termen "gerechtskosten" ("Costs") in voor­noemde conventie een ruime interpretatie dient te worden gegeven; dat deze termen zowel de kosten van het geding dekken als de schadevergoe­ding waarin eiseres kan worden verwezen;

Overwegende dat een andere interpretatie de suprematie van het Inter­nationaal Recht op latere wetten zou miskennen, en minstens gevolgen -zou teweegbrengen die met het in zulke conventie nagestreefde doel strijdig zouden zijn;

Om deze redenen,

( ... ) Zegt voor recht dat er geen gronden toe bestaan om aan eiseres de

zekerheidsstelling bepaald in artikel 851 Ger. W. op te leggen.

D.d. 18 november 1986 - Kh. Brussel (kort geding). Zet.: Mevr. Ch. Schurmans. Pleit.: Mr. De Koek en Mr. De Bauw loco Martens.

Noot Statenopvolging t.a.v. verdragen: tabula rasa in praktijk

Art. 851 van het Gerechtelijk Wetboek stelt dat een eisende vreemdeling gehouden is een borg te stellen voor de kosten die uit het geding voort­vloeien.

De vreemdeling dient geen borg te stellen wanneer staten bij verdrag bedongen hebben dat hun onderdanen vrijgesteld zijn van deze verplich­ting.

België sloot verdragen aangaande de vrijstelling van borgstelling voor de eisende vreemdeling met verschillende staten zoals de Verenigde Staten, Bulgarije, Groot-Brittannië, Turkije ... 1 Ook vele multilaterale verdragen ontslaan de onderdanen van de ondertekenende staten van de verplichting van borgstelling.2

Bovendien werd aan onderdanen van staten waarmee België feen verdrag heeft gesloten dikwijls impliciet hetzelfde recht toegekend. De facto wordt de cautio judicatum solvi dan ook vaak niet meer vereist; ze kan trouwens als discriminerend beschouwd worden t.a.v. vreemdelingen. In Frankrijk schafte men om deze redenen de cautio judicatum solvi af

1 Voor een overzicht van deze verdragen, zie Rouard, P., Droit judiciaire privé, procédure civile, Il, 1977, 434-435. 2 Voor een overzicht, zie Storme, M., Gerechtelijk Wetboek, 1980, art. 851. 3 B.v. door de clausule van de meestbegunstigde natie, die dikwijls voorkomt in vriendschaps-, handels- en· vestigingsverdragen.

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 321

door het Decreet van 25 juli 1972.4 In België echter geldt ze officieel volgens het wetboek nog steeds.

Het verdrag tussen België en Groot-Brittannië dateert van 4 november 1932.5 In 1979 werd St. Vincent en de Grenadinen onafhankelijk van Groot-Brittannië.6 Thans wordt in kort geding de vraag gesteld of St. Vincent en de Grenadinen nog steeds gebonden is door het verdrag van 1932 gesloten tussen België en Groot-Brittannië. 7 De voorzitter beslist van wel.

Een specifieke regeling voor statenopvolging t.a.v. verdragen heeft in het internationaal recht nooit bestaan. Het stellen van een algemene regel leek niet mogelijk door de verscheidenheid van gevallen. 8

Er was wel consensus over bepaalde soorten van verdragen. Zo nam men b.v. aan dat persoonlijke verdragen van haar voorganger, de onaf­hankelijk geworden staat niet automatisch bond.9 Grensverdragen daar­entegen wel. 10

De conventie van 1978 i.v.m. de Statenopvolging t.a.v. verdragen deed een (ongelukkige) poging om toch bepaalde principes vast te leggen in een verdrag. 11 De conventie kwam er vooral onder druk van onafhankelijk geworden staten, die aldus hoopten hun rechten meer kracht te kunnen bijzetten. Art. 16 bevat het principe van de clean Slate of de "tabula rasa" : "een onafhankelijk geworden staat is niet automatisch gebonden door een bilateraal verdrag dat afgesloten werd door zijn voorganger". 12 Dit betekent dat een onafhankelijk geworden staat kan kiezen aan welk verdrag ze zich al dan niet gebonden acht. 13

De nadruk op het zelfbeschikkingsrecht van staten is lovenswaardig maar men kan zich afvragen of ze zo ver mag gaan dat de rechtszekerheid

4 Rouard, P., o.c., 432, 433. 5 Uitbreiding tot o.a. de eilanden Grenada en St. Vincent in B.S., 26 juni 1935. 6 St. Vincent en de Grenadinen is een eilandengroep in de Oostelijke Caraibische zee met ongeveer 132.000 inwoners. 7 Het is betwistbaar of de cautio judicatum solvi wel behandeld kan worden in kort geding. Zie Moreau, A., De lajuridiction des référés, 1980, p. 259, nr. 391; Rouard, P., Droitjudiciaire privé, procédure civile, Il, 1977, 436. 8 O'Connell, D.P., State Succession in municipal law and International law, vol. II, Cambridge, University Press, 1967, 6. 9 Bello, E.G., "International equity with particular reference to treaty law and state succes­sion", Revue des droits intern. sc. diplomat. et pol., 1980; 172; Mallamud J ., "Optional succession to Treaties by Newly Independent states", 63 AJIL 1969, 782. 10 Wallace, R.M.M., International Law, London, Sweet & Maxwell, 1986, 214. 11 Vienna Convention on succession of states in respect of treaties, 22 augustus 1978, I.L.M., 1978, 1488-1517. Ondertekend en geratificeerd door: Egypte, Ethiopië, Irak, Marokko, Sechellen, Tunesië, Joegoslavië. Enkel ondertekend: Angola, Brazilië, Chili, Ivoorkust, Madagascar, Niger, Pakistan, Para­guay, Peru, Polen, DDR, Senegal, Soedan, Vaticaan, Tsjechoslovakije, Uruguay, Zaïre. De conventie is nog steeds niet in werking. Art. 49 bepaalt immers dat de conventie slechts in werking treedt na 15 ratificaties. 12 Men zou dit ook de opking-in theorie kunnen noemen. Zie Mallamud J., "Optional succession to Treaties by Newly Independent States", 63 AJIL 1969, 785. 13 Gruber, A., Le droit international de la succession d'états, BruJsel, Bruylant, 1986, 177.

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322 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

in het gedrang wordt gebracht. De beschikking toont aan tot welke moeilijkheden een praktische toepassing van die keuzevrijheid kan leiden.

Onafhankelijk geworden staten kunnen hun keuze bekend maken d.m.v. een eenzijdige verklaring. 14

De meeste onafhankelijk geworden staten bepalen dat de verdragen gedurende een bepaalde tijd in voege blijven (veelal wordt een termijn van twee jaar vooropgesteld) tenzij ze tijdens die periode opgezegd worden. -Na deze periode wordt de verdragsband als beëindigd beschouwd. 15 Een ander soort eenzijdige verklaring stelt geen tijdslimiet maar duidt aan welke verdragen "na het onderzoeksproces" niet langer in werking zijn. 16

De staat St. Vincent en de Grenadinen verklaart dat "alle bilaterale verdragen onderzocht zullen worden en het standpunt terzake medege­deeld zal worden. In afwachting van een definitief standpunt zullen ten voorlopige titel en op voorwaarde van wederkerigheid de verdragsbepa­lingen nageleefd "worden ... "

Deze verklaring is nog vager en onduidelijker dan de reeds betwiste tweede soort eenzijdige verklaring. Er wordt geen tijdslimiet bepaald, noch wordt er gespecifieerd wat er met de verdragen gebeurt na het "onderzoeksproces". Uit de feiten blijkt bovendien dat St. Vincent nauwe­lijks van het bestaan van het verdrag afweet, laat staan dat ze haar stand­punt terzake dan binnen afzienbare tijd bekend zal maken.

Een bilateraal verdrag, zoals in casu, vereist bovendien aanvaarding van beide partijen opdat het (zelfs voorlopig) van toepassing zou blijven. 17

België acht zich slechts gebonden op voorwaarde van uitdrukkelijke aanvaarding door St. Vincent en de Grenadinen. Het is betwistbaar of de vage verklaring van St. Vincent alsmede haar onverschillige houding wel beantwoorden aan de vereiste van uitdrukkelijke aanvaarding. De mededeling aan de Secretaris-Generaal van de Verenigde Naties ontslaat St. Vincent niet van elk verder initiatief. 18

De conventie van 1978 stelt als principe dat een onafhankelijk gewor­den staat haar wil moet kunnen uitdrukken. Het is de vraag of de nadruk op dit "voluntarisme" zo sterk mag zijn dat een staat haar keuze op de lange baan kan schuiven.

14 Een andere manier om de statenopvolging te garanderen is het sluiten van een overgangso­vereenkomst ("devolution agreement") tussen de onafhankelijk geworden staat en haar voor­ganger. 15 Deze vorm van eenzijdige verklaring is bekend als de Nyerere-doctrine. Bello, E.G., "Reflections on succession of states in the light of the Vienna Convention on Succession of States in Respect ofTreaties 1978", 23 G. Y.l.L., 1980, 299; Bardonnet, D., La succession d'états à Madagascar, in Bibi. droit international, nr. 57, 1970, 434. 16 Schaffer, R., "Succession to treaties: South African practice in the light of current development in international law", 30 I.C.L.Q., 1981, nr. 3, p. 604. 17 Shaw, M.N., International law, Cambridge, Grotius, 1986, 442; art. Vienna Convention on succession of states in respect of tTeattes, 22 augustus 1978, l.L.M., 1978, 1493. Deze vereiste is ook af te leiden uit art. 24 van de conventie: "A bilateral treaty is considered as being in force when they agree ... " Zie ook de opinie van de International law commission: art. 23, /.L.C. Yearbook, 1974, vol. Il, par. !, p. 239. 18 Schaffer, R., o.c., 599.

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 323

De voorzitter beslist voor de verdere toepassing van het verdrag. Men kan deze beslissing dan ook in tweeërlei zin opvatten : Ofwel is ze gesteund op art. 28 van de conventie en aldus op een blind vertrouwen in de verantwoordelijkheidszin van St. Vincent (die aldus nog jarenlang haar bilaterale verdragen "voorlopig" kan toepassen); ofwel heeft de voorzitter geoordeeld dat de conventie geen oplossing biedt wanneer een staat haar wil verwarrend uitdrukt en er bijgevolg geen sprake kan zijn van enige "consensus " met de derde staat aangaande de verdere toepassing van het verdrag. De preambule van de conventie bepaalt dan dat de gewoonte­rechtelijke regels terug gaan spelen. Dit wil in concreto zeggen dat men elk geval afzonderlijk dient te bekijken om de meest redelijke oplossing te bekomen m.a.w .... de situatie die heerste voor de conventie. 19

Het hoeft geen verder betoog meer dat de conventie van 1978 meer verwarring heeft gesticht dan dat ze een oplossing bood.20 Een mooi voorbeeld van verspilde energie ...

A. Monden Centrum voor Internationaal Recht

K.U. Leuven

19 De enige gewoonterechtelijke regels die vaststaan zijn die t.a.v. strikt persoonlijke verdra­gen en grensverdragen, zie supra. 20 O'Connell, D.P., "Reflections on the State succession Convention"; 39 Zaörv 1979, nr. 4, p. 733.

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Tribunal de commerce de Bruxelles

18 février 1987 I­VIJ

DROIT INTERNATIONAL PRIVE - VENTE Loi applicable - Loi uniforme sur la vente des objets mobiliers corporels -Délais

Lorsqu'il s'agit d'une vente internationale d'objets mobiliers corporels, les articles 39 et 49 de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels ( loi beige du 15 }ui/let 1970) déterminant les dé/ais pendant lesquels les défauts de conformité des objets vendus doivent être dénoncés.

INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT - KOOP Toepasselijke wet- Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken - Termijnen

M.b.t. een internationale koop-verkoop van roerende lichamelijke zaken bepalen de artikelen 39 en 49 van de Eenvormige Wet op de internationale koop van roerende lichamelijke zaken ( Wet van 15 juli 1970) binnen welke termijn de gebreken in de verkochte zaken aan de verkoper moeten worden bekendgemaakt.

(Tegral / U.C.B.)

Attendu que l'action tend à la condamnation d'U.C.B. au paiement de la somme de 10.557.872 Lires Irlandaises majorée des intérêts moratoires;

Qu'il est sollicité par la demanderesse, avant <lire droit de désigner un expert;

Attendu que la défenderesse a postulé initialement que la société Tegral soit condamnée à fournir une caution suffisante pour garantir les frais et dépens de l'action;

Qu'elle se réfère actuellement à justice quant à cette demande;

Attendu que pour les surplus et dans l'état actuel du dossier, la défende­resse conclut à l'irrecevabilité ou à tout le moins au non fondement de l'action;

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 325

Les antécédents

Attendu que les faits peuvent être exposés comme suit :

1. Les parties sont en relation d'affaire depuis près de 20 ans. U.C.B. vend à Tégral les résines nécessaires à enduire les ardoises fabriquées par celle­ci en lrlande.

2. Les résines utilisées jusque dans les années 1980, présentant certains inconvénients, les parties discutèrent d'un changement de produit.

U.C.B. proposa notamment une peinture identifiée comme "Acemix 539" qui fut testée et considérée comme donnant les meilleurs résultats globaux. ,

Tegral commanda ce produit pour la 1 ere fois le 22 août 1980. Elle avait dû adapter son équipement pour l'utilisation de celui-ci.

3. En hiver 1981-1982, Tegral reçut de nombreuses plaintes de sa clientèle en raison de défauts présentés par les ardoises principalement en cas de gel.

Tegral expose avoir répercuté ses réclamations à l'adresse d'U.C.B. dès janvier 1982 au cours d'une réunion.

4. Tegral confirma par télex le 26 février 1982 l'existence des défauts constatés et demanda à U.C.B. de s'expliquer sur les causes possibles et les remèdes à apporter au problème posé. En 1982, plusieurs réunions eurent lieu entre parties qui travaillèrent dans un esprit de collaboration.

U.C.B. procèda à divers examens et tests comparatifs de son produit et en conclut que le problème était dû à la qualité du ciment composant l'ardoise et n'était pas imputable à la peinture livrée par elle (voir notam­ment télex 3 mars, 8 mars 1982, lettres 18 mars, 7 mai, 28 octobre et 16 décembre 1982).

Le 28 octobre 1982 U.C.B. écrit notamment " ... nous voulons trouver une solution aux problèmes techniques que vous rencontrez en utilisant nos produits et plus précisément nous voulons adapter les spécifications de notre peinture à vos besoins spécifiques en collaboration stricte avec vos techniciens. Néanmoins, nous voudrions souligner clairement qu'une telle collaboration n'implique aucune responsabilité quelconque de notre société quant aux résultats obtenus ... ".

Au cours d'une réunion du 2 décembre 1982 Tegral demanda à U.C.B. d'intervenir pour 8.000.000 F. dans le dommage qu'elle subisait.

U.C.B. refusa par lettre du 16 décembre 1982 et envoya un rapport circonstancié contenant son appréciation du problème technique posé. Elle précise dans la lettre précitée qu'elle ne peut accepter aucune respon­sabilité dans Ie litige. Elle se déclare toutefois disposée à accorder une ristourne de 5% sur les achats 1983-1984 à titre commercial, ce poste ne pouvant être considéré comme une reconnaissance de responsabilité quelconque.

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326 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

5. Les parties continuèrent leur discussion sur le plan technique et com­mercial en 1983, sans aboutir. U.C.B. prévint ses assureurs. Il y eut des réunions entre parties et experts des compagnies d'assurances qui échouè­rent.

6. Tegral estime son préjudice en principal après de 700 millions de francs belges. Elle expose que U.C.B. voulut capter sa confiance en lui faisant A croire que le produit offert était quasiment identique à celui utilisé par W un fabriquant concurrent de Tegral; Que le produit était mal testé et non éprouvé.

U.C.B. conteste cette version. Assignation fut lancée en mai 1985.

En droit

I. Exceptio judicatum solvi art. 815 C.J.

Attendu que U.C.B. s'en réfère actuellement à justice; Que la demande de fourniture d'une caution n'est pas justifiée en

l'espèce, la défenderesse reconnaissant au cours des débats que la deman­deresse est une société de grande envergure, bien établie en Irlande avec laquelle elle a entretenu pendant près de 20 ans d'excellentes et fructueuses relations commerciales;

Qu'en outre l'Irlande a signé le traité instituant la Communauté écono­mique européenne qui interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité ce qui a pour effet de mettre dans les mêmes conditions procédurales les étrangers ressortissants d'un Etat membre de la C.E.E. que les nationaux des autres Etats (Rigaux, Droit International Privé, II, n° 732);

Attendu que cette exception n'est dès lors ni recevable ni fondée;

II. Demande tardive

Attendu que la défenderesse soutient que le présent litige tombe sous l'application de la loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobi­liers corporels (convention du 1er juillet 1964) et qu'en conséquence l'action ne peut être accueillie car les délais prévus par les articles 39 et 49 de la dite loi n'auraient pas été respectés; Que la demanderesse estime principalement que la loi uniforme n'est pas applicable en l'espèce;

1. Applicabilité de la loi uiiiforme

Attendu qu'il n'est pas contesté que les ventes litigieuses entrent dans Ie champ d'application matériel de la loi uniforme précitée;

Attendu que la demanderesse soutient que les parties ont exclu l'applica­tion de la loi uniforme en choisissant Ie droit beige comme loi régissant

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 327

leurs relations contractuelles, l'art. 11 des conditions générales de vente de la société U.C.B. prévoyant que "le droit belge est applicable à toutes nos ventes";

Attendu que l'article 3 de la loi uniforme prévoit que cette loi est supplétive de la volonté des parties qui peuvent en exclure l'application,

- de manière expresse ou tacite, totalement ou partiellement;

Attendu toutefois que l'article 11 des conditions générales d'U.C.B. ne peut être interprété comme une disposition excluant de manière certaine la loi uniforme querellée;

Qu'en effet cette loi fait partie intégralement du droit belge; (voir Rigaux et Van Hecke, "Examen de jurisprudence - Droit International Privé (1976 à 1980)", R.C.J.B., 1982, p. 426, n° 68; contra: Comm. Tongres, 9 juin 1977, J.C.B., 1978, 181);

Que l'article 11 parle du "droit belge" sans autres précisions; Que la dérogation de la loi uniforme, pour être admise doit être certaine; Que cette certitude ne peut être déduite ni du dossier ni des conditions

générales de vente;

Attendu que la demanderesse invoque l'article 8 des conditions générales d'U.C.B. relatif à l'indemnisation par le vendeur des vices cachés ou apparents et sa responsabilité pour faute lourde; en soutenant que par eet article, contenant des notions propres au droit civil belge, qui ne se retrouvent pas dans la loi uniforme, les parties ont entendu exclure partiellement les règles contenues dans la loi uniforme sur "le défaut de conformité" et ses conséquences;

Attendu qu'il est permis de déroger aux dispositions de la loi uniforme (art. 3); Qu'une dérogation en matière de responsabilité n'a rien à voir avec les délais pour agir (voir Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, t. III, 2e éd., n° 840);

Attendu que les conditions générales d'U.C.B. ne fixent pas de délais de réclamations et d'intentement des actions en réclamation pour vices cachés ou apparents; Que l'on ne peut déduire de l'article 8 la volonté des parties de déroger aux dispositions de la loi uniforme sur cette question de délai;

Qu'en outre les conditions générales d'U.C.B. s'appliquent à toutes ses ventes, nationales ou internationales;

2. Mise en reuvre des dispositions de la loi uniforme

Attendu que selon la demanderesse, Tegral n'aurait pas respecté le prescrit des articles 39 al. 1 et 49 al. 1 de la loi uniforme, d'une part parce qu'elle n'aurait pas dénoncé le défaut de conformité dans un délai bref et à tout le moins dans les 2 ans de la remise de la chose et d'autre part parce que Tegral n'a pas agi dans le délai d'un an qui a couru à compter de la

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328 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

dénonciation, ce qui a pour conséquence de la déchoir du droit de se prévaloir du défaut de conformité allégué;

Attendu que Tegral expose ne jamais avoir été en mesure de dénoncer le défaut de conformité car jusqu'à ce jour les parties n'ont pu déterminer la nature exacte du défaut, en manière telle que le § 2 de l'article 39 ne pourrait être respecté; Que seule une expertise pourrait préciser la cause -des troubles litigieux;

Attendu que l'article 39 § 2 doit s'interpréter dans le cadre de la loi uniforme et par rapport aux différents cas d'application énoncés en son article 33;

Que l'on ne peut en déduire que la dénonciation doit contenir la détermination de la cause du défaut; Que cela priverait de tout sens l'exigence du "bref délai" prévu par le § 1 de l'article 39; Qu'en effet la nature exacte du vice caché d'une chose ne peut souvent être définie qu'après une longue procédure incluant un débat sur expertise;

Attendu que Tegral soutient que le délai légal de 2 ans n'a pu commencer à courir qu'à dater de septembre 1983, époque à laquelle les produits litigieux n'ont plus été livrés par U.C.B., car s'agissant de ventes successi­ves portant sur des choses de genre, l'acheteur était pratiquement dans l'impossibilité de dénoncer un éventuel défaut de conformité en se référant à la livraison qui serait défectueuse;

Attendu qu'il ne résulte pas du texte de la loi uniforme que celle-ci ne serait pas applicable aux ventes successives de ce genre; Que ce type de vente n'a pas été écarté du champ d'application de la loi;

Qu'en outre la loi uniforme ne fait pas d'exception en ce qui concerne les délais de dénonciation pour ces ventes successives qui en l'espèce font l'objet de commandes et de contrats de vente séparés;

Attendu par ailleurs que la dénonciation a été effectuée en 1982, année durant laquelle les parties ont tenté d'appréhender le problème posé et ou chacune a conclu à la responsabilité de la partie adverse, Tegral estimant que le défaut est imputable à la nouvelle peinture livrée et U.C.B. déclinant toute responsabilité, soutenant que la cause des troubles réside dans la qualité des ardoises; Qu'en 1982, Tegral demandait déjà à U.C.B. paiement de 8 million de F.B. pour l'indemniser de son dommage;

Que ces éléments de fait contenus dans l'échange de correspondance, se référant à diverses réunions, établissent que la dénonciation a bien eu lieu en 1982;

Attendu que la citation n'ayant été lancée qu'en mai 1985, le délai d'un an prescrit par l'article 49 de la loi uniforme n'a pas été respecté;

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 329

Attendu que Tegral reproche à U.C.B. de l'avoir trompée en lui faisant miroiter la recherche d'un "arrangement amiable", ce qui l'aurait empê­chée ainsi d'agir;

Que cela correspondrait à l'exception de "fraude de l'acheteur" prévue à l'article 49 de la loi uniforme;

Attendu qu'il n'est nullement démontré, à l'examen du dossier, qu'U.C.B. aurait frauduleusement induit Tegral à différer l'introduction de la pré­sente action;

Attendu que le 28 octobre 1982, U.C.B., répondant à la lettre du 23 septembre 1982 de Tegral, la mettant en cause écrivit de manière claire qu'elle déniait toute responsabilité; Qu'elle a confirmé son attitude notam­ment par lettre du 16 décembre 1982 et télex du 17 février 1983 d'U.C.B. à Tegral);

Que dès lors, dès octobre 1982, Tegral était fixée sur !'attitude juridique adoptée par U.C.B., attitude qui n'a pas varié ultérieurement, même lorsqu'elle f1t appel à ses assureurs <lont les experts prirent contact avec Tegral, la 1ere fois Ie 31 octobre 1983;

Attendu que Tegral estime en outre qu'U.C.B. en masquant les défauts de son produit a empêché que la contestation vienne à jour; Que Tegral ne peut être suivi dans ce raisonnement puisqu'en toute hypothèse elle a contesté le produit litigieux en lui imputant la responsabilité des défauts apparaissant sur ses ardoises dès 1982 et de manière précise par lettre du 23 septembre 1982;

Attendu que Tegral soutient en dernier lieu qu'U.C.B. aurait commis une faute dans Ie cadre de la mission "de conseil et de direction" qu'elle aurait eu à assurer;

Attendu qu'il n'est pas démontré en l'espèce qu'U.C.B. ait été chargée d'une mission d'études et de conseil, impliquant, comme il est soutenu, une prise en charge par U.C.B. des problèmes d'enduisages de Tegral;

Attendu que si Ie produit litigieux fut choisi par Tegral après qu'U.C.B. ait procédé à des tests et se soit rendu surplace pour examiner l'érosion des ardoises, il ne faut toutefois pas perdre de vue que les par-ties sont toutes deux des professionnelles de très grande envergure; Que Tegral disposait du personnel technique et administratif compétent pour étudier et apprécier une décision aussi importante que Ie choix d'un nouveau produit d'enduisage sur sa fabrication d'ardoise;

Que la défenderesse n'a rien fait d'autre que de formuler une suggestion · dans Ie choix de ses produits, dans les conditions prédécrites; Que l'on ne peut considérer dans les circonstances de l'espèce et vu la qualité des parties qu'U.C.B. aurait rempli une mission "de conseil et de direction" sortant des conseils que le vendeur donne normalement à l'acheteur dans ce type de vente;

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330 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

Que Tegral a d'ailleurs testé elle-même des échantillons fournis par U.C.B.;

Attendu que 1e fait qu'ultérieurement U.C.B. ait prêté son assistance technique pour tenter de solutionner le problème posé aux ardoises ne change rien;

Qu'il ressort du dossier qu'elle a adopté cette attitude eu égard aux -excellentes relations existant entre parties depuis de très nombreuses années, au souci de conserver Tegral comme dient et au souhait de par­ticiper à la recherche de solution pour régler les problèmes que peuvent poser l'utilisation de ses produits (voir Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, t. 111, 2e éd., n° 664);

Attendu que sa participation technique ne fut dès lors qu'accessoire aux contrats de vente du produit querellé;

Que l'on ne peut en déduire qu'outre l'application de la loi uniforme, le présent litige serait également soumis aux règles d'ordre interne du droit belge;

Attendu par ailleurs que le reproche fait par Tegral répond au prescrit de l'article 33-1-e de la loi uniforme qui édicte que le vendeur n'a pas exécuté son obligation de délivrance "lorsqu'il a remis une chose qui ne possède pas les qualités nécessaires pour un usage spécial prévu expressé­ment ou tacitement par le contrat";

Attendu dans ces conditions que le présent litige étant soumis à l'appli­cation de la loi uniforme sur la vente d'objets mobiliers corporels <lont l'article 49 n'a pas été respecté, l'action doit être considérée comme tardive;

Par ces motifs,

Le Tribunal Déclare l'exceptio judicatum solvi irrecevable et non fondée; Déclare l'action principale irrecevable.

Du 18 février 1987 - Comm. Bruxelles. Siég.: Mme Henrion, juge, MM. De Temmerman et de Meyer, juges consulaires. Plaid. : Mes Crousse, Dalcq et Fagnart.

Note

Voir la note p. 308.

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Livres / Boeken

Feit en recht of de rechter en de procespartijen door M. van Quickenborne Brussel, Swinnen, 1987, 154 p.

- Dit klein boekje wil de afbakening van de resp. rol van de rechter en procespartijen toelichten, inz. aan de hand van de Cassatierechtspraak. De door Motulsky sterk geïnspireerde auteur geeft een bijzonder ophelde­rende analyse van het geldend recht.

"Da mihi factum, dabo tibi jus" is de teoretische oplossing van het probleem van de afbakening. Zo eenvoudig is het echter nog niet en auteur ontleedt op zeer accurate wijze hoe actiegebonden de procedures nog zijn (en correlatief, hoe weinig vrij de bodemrechter is).

De lezing van het werk doet beter begrijpen hoe de rechterlijke organi­satie werkt. De rechter in eerste aanleg kan zich nog een zeker beleid permitteren en de middelen van partijen nogal vrij aanvullen; de appel­rechter - die in het algemeen meer Cassatiegetrouw is - zal doorgaans de problemen anders benaderen en een minder "activistische" rol spelen (ten nadele van eigen vindingrijkheid en ten voordele van een grotere mate aan rechtszekerheid).

De auteur geeft een belangwekkende uiteenzetting over de taak van de fiscale en sociale rechter. De vrijheid waarover de fiscale rechter geniet in de rechtsvinding is benijdenswaardig ...

Internationale Rechtsprechung zu EKG und EAG door P. Slechtriem en U. Magnus Baden-Baden, Nomos Verlag, 1987, 478 p., 87 DM. Gesetzesamlung zum Internationalen Kauf beweglicher Sachen door P. Slechtriem en U. Magnus

I.V.

Baden-Baden, Nomos Verlag, 1987, 144 p., 29 DM. (samen 98 DM.)

De eenvormige koopwetten zijn om een dubbele reden belangrijk voor de Belgische jurist.

Vooreerst behoren deze wetten sedert 1972 tot het Belgisch positief recht. Deze wetten zijn aldus in België van toepassing op elke internatio­nale koop wanneer de lex contractus hetzij Belgisch recht als dusdanig, hetzij het recht van een andere staat, die de eenvormige wetten heeft aanvaard is. Niet alleen onze belangrijke handelspartners - Nederland, Duitsland, Groot-Brittannië, Italië, Luxemburg - maar ook Israël en Gambië hebben de eenvormige wetten aangenomen. Derhalve zou de eenvormige wet in vele gevallen voor de Belgische rechter moeten worden ingeroepen. De Belgische juristen zijn evenwel nog te weinig vertrouwd met de mogelijkheden en perspectieven welke de eenvormige wetten hen

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332 - 1988 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

kunnen bieden. B.v. de strikte regel die de aansprakelijkheid voor verbor-gen gebreken beperkt indien niet binnen het jaar na de ontdekking van het gebrek de dagvaarding ten gronde wordt betekend (art. 49) zou menig pleiter onverhoopt soelaas kunnen geven. Hoewel de eenvormige wetten nog vaak over het hoofd worden gezien, passen Belgische rechters hen meer en meer toe (zie Van Hooghten, P., "De éénvormige wet inzake de internationale koop van roerende lichamelijke zaken, ondertekend te Den -Haag, op 1 juli 1964", T.B.H., 1987, 163-200).

Voor de Belgische praktijkjurist die de eenvormige koopwetten moet toepassen, is het vaak verlichtend om te weten hoe deze wetten in andere landen worden toegepast. Tot nog toe kan hij b.v. te rade gaan bij één der nationale standaard-commentaren, zoals H. Dölles, Kommentar zum einheitlichen Kaufrecht (Wenen, 1976) of Mertens en Rehbinders Interna­tionales Kaufrecht (Frankfurt-am-Main, 1975) voor Duitsland en Vander­veldens De eenvormige koopwetten van 1964 (Deventer, 1979) voor Neder­land. Het wordt echter moeilijker om meer recente vreemde rechtspraak te consulteren. Hiervoor is het noodzakelijk de buitenlandse rechtstijd­schriften na te pluizen - wat vaak ondoenbaar is.

Het verzamelwerk nationale rechtspraak uit België, Duitsland, Italië, Israël en Nederland, dat P. Slechtriem en U. Magnus hebben samenge­steld, is bijgevolg een gemakkelijke weg om deze buitenlandse uitspraken te raadplegen. Bij elk artikel van de eenvormige wetten werden de relevan­te uitspraken terzake vermeld. Waar dit volstond, hebben de auteurs de principes weergegeven welke de uitspraak verwoordde; indien nodig hebben zij stukken uit de uitspraak - in Duitse vertaling - geciteerd. Bovendien hebben zij voor elke uitspraak de vindplaats in de nationale rechtstijdschriften vermeld.

Uit een nazicht van de Belgische rechtspraak, welke de auteurs analyse­ren, bleek dat zij alle uitspraken vermelden welke P. Van Hooghten in zijn T.B.H.-overzicht heeft behandeld. Deze steekproef toont de degelijkheid van deze nuttige compilatie aan.

Het bundel met de tekst van de eenvormige koopwetten in het Duits, Frans en Engels kan zijn diensten bewijzen bij het consulteren van de buitenlandse rechtspraak of bij gedachtenwisseling over de eenvormige koopwetten met buitenlandse juristen.

H. Van Houtte

Distributorship, Franchising, Agency-Community and national laws and practice in the EEC door R. Baldi Deventer, Kluwer, 1987, 269 p., 120 Fl.

De titel van het boek vertelt welke de ambities zijn van de auteur: een rechtsvergelijkend overzicht te geven nopens de bestaande nationale wetgevingen met daarbij een commentaar van het E.E.G.-recht (de veror-

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 333

<leningen betreffende tussenpersonen, de toepassingsproblemen van het E.E.X.-verdrag, het Verdrag van 19 juni 1980).

Dit boekje is een perfecte illustratie van de gevaren verbonden aan rechtsvergelijking. Het Belgische recht van de agentuur, makelaarsovereen­komsten en zelfs concessie wordt volledig onjuist weergegeven. Voor de agentuur b.v. wordt de illusie onderhouden dat de Beneluxovereenkomst effectief van kracht is. Cassatierechtspraak gaat niet verder dan 1978. Als troost kan de Belgische lezer in de bijlagen een vertaling in het Engels vinden van de wetteksten.

Het Italiaanse recht wordt wel meer uitvoerig en (vermoedelijk) correct weergegeven.

Précis des marques de produit et de services par A. Braun Bruxelles, Larcier, 1987, 932 p., 6.277 F.

La deuxième édition sort au moment ou la marque de service entre en vigueur. Ce n'est à vrai <lire pas tant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi qui justifiait la nouvelle édition: la marque de service ne fait d'ailleurs l'objet que de peu de commentaires, l'auteur n'ayant pu en tenir compte qu'in extremis. L'ensemble du développement de la matière, tant sur le plan Benelux, européen qu'international justifiait cette belle mise à jour.

Le plan de l'ouvrage est le suivant: 1. Droit Benelux; 2. Droit international (droit des étrangers en Benelux, Convention

d'Union, Arrangement de Madrid, de Nice, de Vienne); 3. Textes législatifs.

Le commentaire est de grande qualité. Il est inspiré par un souci d'utilité pratique qui fait que le lecteur retrouve des commentaires étendus sur des problèmes réels et se voit épargner des digressions sur des sujets d'intérêt abstrait. L'auteur défend en outre ses vues avec ardeur et n'hésite pas à critiquer les jurisprudences qui ne lui semblent pas appropriées.

Les thèses défendues par l'auteur n'entraînent pas toujours une adhé­sion unanime. Sur le plan du référé, notamment, l'auteur s'inspire directe­ment de l'enseignement de de Leval et van Compernolle, paru dans le J. T., 1985. La synthèse de ces deux auteurs ne réflète pas exactement la pratique judiciaire: contrairement à ce que dit Braun, dans le sillage de de Leval et van Compernolle, il n'est nullement requis que les droits du demandeur en référé soient incontestés ou évidents (p. 454).

Ceci introduit la seule critique que l'on pourrait éventuellement faire à eet excellent ouvrage. L'auteur n'a pas eu ni les loisirs ni l'aide qu'aurait pu lui procurer une charge d'enseignement à temps plein. Les références s'en ressentent partiellement et, par ricochet, certaines idées ne trouvent aucun écho. L'auteur s'est parfois contenté de ce qu'il avait sous la main (p.e. en matière d'astreinte, il cite quelques articles mais ignore l'ouvrage de Ballon paru dans 1' A.P.R.; l'excellent ouvrage de Stuyck et van Gerven, Beginselen van Belgisch privaatrecht, XIll/2 est ignoré). Les références ne

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sont pas toujours bien reproduites (notamment quant au nom des parties), et certaines coquilles ne sont pas absentes (jury remplaçant juge: n. 430).

Ces imperfections mineures sont le prix à payer par ceux qui, avec courage, combinent science et pratique et peuvent ainsi offrir à leur lecteur la qualité d'un ouvrage à la fois profond et utile.

Manuel du curateur de faillite par I. Verougstraete Bruxelles, Swinnen, 5ème édition 1987, 725 p., 3.250 F.

Cette édition succède à la quatrième édition qui remontait à 1979. Elle s'est sensiblement enrichie de dévelopements nouveaux suscités par l'ac­tualité de certaines questions ou controverses dans un domaine ou l'action législative se fait toujours aussi rare, tandis que la créationjurisprudentiel­le et l'apport doctrinal demeurent importants, signe d'un droit en crise qui ne répond plus aux besoins. Il serait grand temps de mettre en chan­tier une vaste réforme du droit de la faillite qui prenne en compte les conséquences sociales et économiques des défaillances d'entreprises et qui s'attache plus à la recherche d'une solution d'avenir qu'à l'apurement du passé.

L'ouvrage reste axé sur les devoirs du curateur depuis la déclaration de la faillite jusqu'à sa clöture, en passant par la vérification des créances, les débats sur les contestations, la phase concordataire, la réalisation de l'actif et sa répartition entre les créanciers. Il se poursuit par l'examen de l'extension de la faillite, de la responsabilité des dirigeants, de la banque­route et de la faillite d'associés garants et par un bref aperçu de questions de droit international privé. Des éléments relatifs à la comptabilité du curateur et un formulaire bilingue très précieux terminent l'ouvrage.

Nous avons dit (J.C.B., 1980, 55) tout le bien qu'il fallait penser de l'ouvrage de M. Verougstraete. La nouvelle édition appelle une approba­tion sans réserve. L'auteur, qui alie une riche expérience de magistrat à un grand talent d'auteur, livre ici aux praticiens un ouvrage de référence sans égal.

Cl. Parmentier

Les filiales spécialisées de la Société Nationale d'Investissement par M.M. Bolca Bruxelles, Bruylant, 1987, un volume in 8°, 236 p., 988 F.

Le centre interuniversitaire de droit public vient de faire paraître une étude de M.M. Bolca, chargé de recherches du centre, consacré aux filiales spécialisées de la société nationale d'investissement (S.N.I.).

Les interventions des pouvoirs publics dans les divers secteurs de la vie économique se sont, au cours des dernières années, multipliées et diver­sifiées. La loi du 2 avril 1962 créa la S.N.I. et la loi de réorientation

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT 1988 - 335

économique du 4 août 1978 jeta les bases des filiales spécialisées de cette société. Ces filiales ont pour mission de contribuer à la mise en reuvre de la politique industrielle de l'Etat.

L'étude de M.M. Bolca a pour objet d'analyser l'effet des dispositions de 1978 sur le régime juridique de l'entreprise publique en Belgique. On y trouvera !'analyse détaillée des statuts des filiales spécialisées constituées entre 1978 et 1985. Jusqu'à présent, le statut de filiale spécialisée de la S.N.I. a été attribué à dix entreprises; six d'entre elles fonctionnent encore.

Comme le souligne Jacques Stassen, professeur émérite à la faculté de droit, d'économie et de sciences sociales de l'Université de Liège, dans sa préface, on retrouve dans eet ouvrage une analyse juridique bien charpen­tée, une documentation fouillée et de première main, réalisée avec un souci de la précision jusque dans les détails.

Dans la première partie de l'ouvrage, l'auteur s'est attaché à cerner la notion de filiale spécialisée après avoir, dans le titre préliminaire, esquissé l'environnement institutionnel et fonctionnel de ces filiales. M.M. Bolca étudie successivement les motifs de la création des filiales, les modes de réalisation, leur classification, les dispositions communes à !'ensemble des filiales spécialisées et à la S.N.I., ainsi que leur statut juridique.

La seconde partie est consacrée à l'étude analytique des filiales spéciali­sées de la S.N.I. C'est ainsi que le lecteur pourra utilement s'informer sur la dizaine de filiales <lont la S.A. Société Beige d'Investissement, la S.A. Société de Coopération à la reconversion d'entreprises, la S.A. Société Nationale pour la restructuration de !'industrie de la confection et du textile, la S.A. Société Nationale pour la restructuration des secteurs nationaux, la S.A. Leasinvest et bien d'autres. Ces filiales spécialisées de la S.N.I. constituent en fait, comme le rappelle l'auteur, l'expression institutionnelle d'un des aspects nouveaux de l'intervention directe de l'Etat dans la vie économique. Ces instruments d'intervention ont été conçus et mis en reuvre pendant une période de crise économique structu­relle qui fut aussi celle des réformes institutionnelles.

Avec M.M. Bolca, nous ne pouvons qu'applaudir, malgré l'imperfec­tion de leur encadrement juridique, la création des filiales spécialisées créées à l'initiative du gouvernement qui contribuent à la mise en exécu­tion de l'effort de restructuration de plusieurs entreprises relevant des secteurs nationaux.

Espérons, comme !'auteur, que la pratique des filiales spécialisées se caractérisera prochainement par l'affinement des techniques êe gestion et de controle des participations publiques acquises dans des entreprises ayant des activités d'ordre mercantile et soumises à la concurrence. Il faut, selon M.M. Bolca, accorder aux filiales spécialisées, la capacité de conce­voir dans leur domaine respectif, les solutions les plus appropriées, de les faire prévaloir et de les mettre en reuvre, ceci en vue notamment de préparer la gestion de l'après-crise.

Un abondante bibliographie termine eet ouvrage appelé à fpurnir aux praticiens du droit administratif économique d'utiles informations.

J.D.