MICHEL MOHRT

M A R I N L A M E S L É E

PIERRE HORAY ÉDITIONS DE FLORE

MARIN LA MESLÉE

MICHEL MOHRT

MARIN LA MESLÉE

PRÉFACE DE JULES ROY

PIERRE HORAY ÉDITIONS DE FLORE 22 bis, passage Dauphine

PARIS 6e

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 75 EXEMPLAIRES SUR ALFAMA DES PAPETERIES DU MARAIS DONT 50 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 50 ET XXV EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE I A XXV

ET MARQUÉS H. C.

Maquette de Jaquette par ROBERT MASSIN. Les documents photographiques qui illustrent cet ouvrage

ont été communiqués par le ministère de l'air, le service cinématographique de l'armée et l'agence Crown.

Tous droits de traduction, adaptation cinématographique, théâtrale, radio- phonique, reproduction photographique, et tous procédés réservés pour

tous pays, y compris la Russie. Copyright by PIERRE HORAY et Cie, Editions de Flore, 1952.

Je remercie tous ceux qui ont bien voulu participer à cette, enquête et faire revivre pour moi le souvenir de leur compagnon d' armes, Marin la Meslée. Je remercie particulièrement le colonel Accart, son ancien chef et ami, dont le beau livre, Pilote de chasse au combat (Arthaud, Grenoble), m'a permis de retracer la carrière du héros pendant la campagne de 1939-1940.

M. M.

Cet ouvrage est publié sous le patronage du Comité Marin La Meslée

présidé par le Général d'Harcourt

P R É F A C E

C E n'est pas un type conventionnel de héros qu'il faudrait une fois encore tenter de définir ici. On se méfie des héros conven- tionnels tels que le cérémonial militaire les fixe sur leur dalle de gloire officielle. Pourquoi ne pas le dire? L'éclat des cuivres et le vocabulaire pompeux nous laisse froids quand il ne s'agit pas des camarades que nous avons connus, qui

buvaient un verre avec nous ou qui chantaient au mess, les jours de fête. Pour être franc, j' ajouterai que le rite des héros conventionnels n'a jamais accéléré les pulsations de mon sang.

Leur légende et les guerres lointaines étendent entre eux et nous un voile de brume. Si nous sommes vulnérables au souvenir de Saint- Exupéry ou de Marin la Meslée, c'est que nous sommes, à quelques années près, de leur âge. Nous avons vécu la même aventure, nous avons trinqué contre les leurs nos gobelets pleins du vin rouge de l'intendance. et, quand il nous arrive, de moins en moins souvent, d'entonner une vieille chanson d'amitié, leurs voix confuses se mêlent encore aux nôtres. Ils dérivent lentement de nous comme d'un rivage, avec les images de notre propre passé.

Lancelot et Perceval sont plus proches de nous que Guynemer. Entre Lancelot et nous, il n'y a pas l'abîme de deux générations, mais l'arche d'une éternité toujours jeune. Loin d'être pétri- fiés sous leurs gisants, ils vivent en nous. Mais André Gide a raison de dire que la Chanson de Roland est presque aussi ennuyeuse que la Hen- riade, et elle tombe aussi de nos mains, mais elle s'ouvre comme une mer où les navires peuvent prendre leur course. Lancelot, Perceval, Galaad,

oui, voilà de beaux personnages pour petits gar- çons de l'école communale, et, pourtant, je ne me rappelle pas qu'on m'ait jamais proposé leur aventure. C'est eux, sans doute, qui viennent à nous si nous n'allons pas à eux, qui nous enlè- vent en croupe et nous font chevaucher sous les sombres forêts. C'est le hasard des manœuvres qui m'a conduit sur la terre de Brocéliande et m'a penché sur la fontaine marécageuse des druides, toute frissonnante d'araignées d'eau, et Mélisende, quand je la guettais au bord des étangs de Bretagne, j'espérais bien la voir surgir et la serrer contre moi, ses cheveux encore humides des longues herbes de la rive.

« Qui te crois-tu pour être digne de pareils compagnons?... » C'est la question que je me suis souvent posée, et il est évident que la seule idée d'une comparaison me couvrirait de honte. Ceux avec qui je mangeais le « Boeuf mode » et les lentilles des popotes n'avaient ni le nom ni la gloire de Marin la Meslée. Ils étaient si grands pourtant que mon admiration ne savait au juste où les placer. Je ne leur en disais rien, pour ne point paraître ridicule. Je gardais mon secret au fond de moi, dans la brûlure de ma jalousie, comme un amour qu'on n'ose déclarer. En revanche, je leur jouais des farces, j' errais avec

eux dans les rues tristes d'une escale et nous nous asseyions devant un demi de bière. Puis nous allions ensemble à la météo, nous tempêtions contre des avions en panne ou la saleté d'une base, mais j'étais heureux de ne les partager avec personne.

En ce qui concerne Marin la Meslée, voici pourtant venue l'heure du partage et nous devons ouvrir nos rangs pour qu'au bout de nos bras levés, on le voie bien de toute part, sur l'aile fauchée de son Thunderbolt comme sur un funèbre bouclier d'apparat, au moment même où il rejoint dans leur éternité les chevaliers de la Table ronde.

C'est à Fès, au Maroc, en 1941, que je le ren- contrai. Je servais alors sous les ordres de Murtin dans une école où nous tâchions, avec beaucoup de rudesse et de maladresse, j'avoue, de renouer des liens que la débâcle avait relâchés. Murtin décida, un jour, de nous montrer Marin la Meslée, tel que sa propre histoire l'avait déjà dressé, et me chargea de, donner en son honneur un feu de camp, car, en ce temps d'épreuve où les armes manquaient, nous tentions d'accrocher notre espoir à des symboles de ce genre.

De la personne de Marin la Meslée, je ne redirai pas ce que ses amis rapportent dans ce livre. Il était déjà touché par l' immortalité qui l'attendait quatre ans plus tard, dans le fracas de sa chute en Alsace, trop beau mais surtout trop pur pour un long passage sur la terre, et je me repentis, par la suite, de n'avoir pas noté jusqu'à ses moindres paroles.

Nous l'aperçûmes vers la fin de l'après-midi, mais il n'apparut vraiment qu'à la nuit profonde. Après nos premiers chants autour du feu qui crépitait et jetait des étincelles dans les étoiles, il se leva. Sa haute taille se découpa sur les flammes. Son visage était tour à tour éclairé par la lumière dansante du feu et rejeté dans l'ombre. Il dut nous parler du rôle que nous jouions dans cette retraite à demi-monastique, et de la néces- sité de nous préparer en silence à reprendre les armes. Sa voix me, frappa tellement que je n'écoutai guère ce qu'il disait. Une si sereine autorité émanait d'elle et lui donnait un sens que les mots, après tout, devenaient accessoires. C'était une voix forte et mâle, sourdement cui- vrée par moments, et qui marquait les mots sans les marteler. Il n'y avait point chez elle d'exalta- tion ni de lyrisme, mais une assurance tranquille qui semblait jaillie de la nuit même et des

espaces vides de l'Afrique, et moissonnait le mes- sage de notre condition de soldats malheureux en marche vers leur patrie.

A distance, et sans oser affirmer que ce soit vrai, je jette à présent un burnous noir sur ses épaules. Est-ce la légende qui le couvre à mon insu de ce manteau de croisé? Je ne sais plus. En plein éclat du jour et tel que je le vis le lendemain, Marin la Meslée était bien Galaad, mais, ce soir-là, il évoqua pour moi toute la rigueur et la magie d'un Templier, parlant de la sainte cité de Jérusalem à ses frères réunis en chapitre.

S'il a, plus que d'autres, reçu la gloire en partage, s'il nourrit aussi des vertus exception- nelles, il trouve sa force dans la communauté de l'armée. Il se rattachait à une lignée, comme ses ancêtres qui tenaient des ducs de Savoie leur surnom de la Meslée. Doué comme il l'était, il n'avait plus, d'abord, qu'à marcher avec ses compagnons.

Il me semble, par exemple, que si la grâce qui a comblé Marin la Meslée lui avait été accordée aussi généreusement, Monraisse fût

monté aussi haut que lui. En tout cas, tous deux sont étonnamment proches l'un de l'autre, même physiquement, et d'autres encore, que Michel Mohrt cite en passant, comme s'il les exhumait du contrôle nominatif des régiments royaux ou de Roman de la Rose. Leur race bagarreuse et susceptible n'est pas éteinte. Elle rugit chaque matin sur tous les terrains de chasse. Elle s'arrache de la terre à longs cris rageurs et stri- dents, elle escalade le ciel pour se livrer à ses voltiges, puis redescend vers nous avec la vio- lence des aérolites et une souveraineté qui nous manque trop pour ne pas nous blesser.

C'est de cela que je jalousais Marin la Meslée comme ses camarades. Furieux dans les plaisirs comme dans les combats, ils m'en imposent et m'intimident. La façon dont ils manient leurs machines donne à leur regard je ne sais quelle ressemblance avec celui d'un fauve au repos et toujours à l'affût. On croirait qu'une même mère a dessiné le front têtu, l'œil aigu, les lèvres minces et serrées, le menton de pierre de leurs visages lisses et clairs, un peu cruels derrière le pare-brise épais, quand leur main déjà posée sur le manche n'a plus qu'à presser un bouton pour déclencher le tonnerre des canons, tels qu'on les eût imaginés au moyen-âge, retenant leurs che-

vaux aux premières sonneries de trompettes du tournoi. Tout ce qui est hors série les tente, et s'ils n'y inclinent pas naturellement, ils s'épe- ronnent pour l'atteindre.

Du groupe de chasse 1/5 dont l'histoire commence, croirait-on, avec Murtin et Accart, Michel Mohrt note justement qu'il était consi- déré comme l' unité modèle de l' aviation de chasse. C'est que, Murtin, qui le commandait en 1939, avait commencé par lui imposer ce que les autres n'avaient pas : une tenue éclatante. Infa- tigable découvreur d'hommes et de pilotes, décidé à bien les connaître et à les briser, Murtin choisit Dorance et Marin la Meslée sans les voir, sur la seule foi de, leurs noms, mais son ambition fut de donner à tous ceux qui étaient placés sous ses ordres (et peut-être par regret du Royal-Piémont) de la classe. Il faut bien entendre ce mot. Murtin ne limitait pas la classe à une certaine catégorie sociale, à la taille, au titre ou à la fortune. Il savait la déceler chez un caporal secrétaire et la refuser avec insolence à un général. Porté naturellement au dandysme, aux lectures faciles et à la vie fastueuse, Murtin se cravachait pour simuler qu'il aimait les contraires. Ganté de blanc, toujours rasé de l'heure d'avant, portant les chemises et les cols

glacés les plus éblouissants de l'armée française, il couchait dans une cellule nue, sur un lit de camp, pour se punir d'aimer les grands hôtels et les palais, il lisait Descartes et Patrice de la Tour du Pin et s'astreignait à de pénibles exercices de culture physique.

Avec Accart, Marin la Meslée retrouvait les vertus paysannes, l'effacement, l'acharnement à l'étude aride de la technique du vol, et surtout l'incarnation du sacrifice. Accart et Murtin se rejoignaient pourtant dans la recherche du même absolu à la conquête du ciel. Sans ces deux hommes hors de toute mesure, dont l'un perdit une jambe et l'autre reçut une balle dans la tête, ce qui ne les empêcha pas de reprendre un commandement, il n'y aurait pas eu de Marin la Meslée, comme Galaad n'existerait pas sans Perceval et Lancelot. Marin la Meslée enfant a sauté sur les genoux de Nungesser comme un lionceau, mais il sait, dès le groupe 1/5, qu'il y a quelque chose qu'on appelle le devoir. Il est à bonne école et va pou- voir dépasser ses maîtres. Consolé de la vulgarité qui l'a tant fait souffrir à son entrée au service, il part sans le savoir à la recherche du graal.

Car enfin, qu'est-ce donc que ce renoncement aux biens de ce monde et cet attachement à des valeurs qui ne le mèneront, en bout de compte, qu'à la mort? Qui sont ces compagnons un peu hautains qui hésitent toujours une demi-seconde avant de vous serrer la main, ces princes des armées de la République tirés à quatre épingles et veillant sur leurs armes comme sur leurs seuls trésors, ces Alexandre en puissance qui piaffent de ne pas démolir d'un coup les esca- dres du maréchal Gœring, et dont la plupart tombent, comme Marin la Meslée, à trente- trois ans? Ils jalousent leurs victoires, et leur orgueil tient à la rigueur d'un vol de groupe serré, ailes dans ailes, pendant qu'ils pilotent leurs bolides du bout des doigts. Avec eux, Marin la Meslée part pour une conquête dont il ignore le nom et le terme. Il prend peu à peu leur allure, leur horreur de la facilité, leur regard un peu lointain, leur ironie qui glace le profane. Il s'exerce, au tir, potasse les notices techniques et apprend que sa vie dépend d'un réflexe. Comme eux, il ne boit pas, ne fume pas et se marie tôt.

Encore était-il croyant. Mais au-dessus des reli- gions vit cette autre religion de la chasse, des insignes rivaux, des chefs et des avions, en marge des vicissitudes extérieures qui battent cet autel sans l'ébranler. Sont-ce là les secrets dont Marin la Meslée parle un jour à Fouquières? Est-ce là le graal de notre siècle : risquer la mort dans une carlingue d'avion de guerre ou s'accrocher à la passerelle d'un bateau qui fait naufrage, sans rien espérer d'autre que la paix de son âme?..

Peut-être irait-on jusqu'à considérer ces hommes-là comme des demi-dieux que leur condi- tion écarte de nous. Mais non. Ils n'attendent de miracle que de leur volonté. Ils ne s'engagent pas comme des fous, sûrs de leur invulnérabilité. Devant un ennemi en nombre écrasant, et au risque de passer pour un lâche aux yeux des siens, Marin la Meslée demande l'autorisation de ne pas attaquer. Si Murtin ne la lui avait pas accordée... Et avant un départ pour un com- bat, il se laisse aller à un mouvement de chaleur et pose à Fouquières cette question bouleversante qui le découvre tout entier : « Est-ce que ton cœur ne bat pas plus fort? »... Ce qui permet de les placer si haut, c'est qu'ils sont bâtis de la même argile que nous; ils sont les alchimistes de l'or qu'elle devient.

Ainsi répondent-ils à cette idée familière d'une vieille chevalerie errante qui se cherche pour se reconnaître, sur les terrains d'aviation comme autour des tables d'un bistro, et se serre d'instinct sur elle-même, pour se garder du monde et de sa pourriture. Car ils se sentent menacés. Le siècle ne les acclame que lorsqu'en danger de mort, il est sauvé par eux. Le reste du temps, il les tient en disgrâce parce qu'ils le gênent. Leur vie, est un démenti aux milliardaires, aux philosophes et aux politiciens.

Mais aux autres, oui, à l'immense église des hommes qui souffrent et qui espèrent, ils ouvrent parfois les portes de leur ordre pour célébrer le deuil et l'ascension d'un Marin la Meslée. Il n'y a pas d'autre explication au livre pudique, juste et tendre que Michel Mohrt a su écrire mieux que nul d'entre nous.

JULES ROY.

Dans les premiers jours de février 1945, au-dessus d'un champ de l 'Alsace reconquise, l'avion du Commandant Marin la Meslée était abattu par un obus de la D.C.A. ennemie. L'un des héros les plus prestigieux de la guerre, l'as aux vingt vic- toires, disparaissait, à trente-deux ans, quelques jours avant la libération complète du sol.

C'est la vie brève et exemplaire de Marin la Meslée, que Michel Mohrt raconte dans ce livre. N'ayant pas connu son modèle, il a dû se livrer à une enquête auprès des parents et des anciens compagnons d'armes du héros.

Nous voyons Marin la Meslée dans sa famille à Lille ; jeune apprenti pilote chez Morane ; élève à l'école militaire d'Istres, puis à celle d'Avord, où il conquiert ses galons d'officier de réserve. Passé dans l'active, Marin franchit tous les échelons de la hiérarchie et établit sa réputation de pilote de chasse.

Autour de la figure centrale de Marin la Meslée, c'est l'aviation de chasse dans la campagne de 1939-40, que l'auteur fait revivre. Chemin faisant, il trace des portraits des officiers qui l'ont commandé ou des pilotes qu'il a eu sous ses ordres : le Général Martin* ; le Colonel Accart ; le Colonel de Fou- quières... Il analyse les conditions du combat ; raconte quelques- unes des plus belles victoires du héros.

Après la défaite, Marin la Meslée est replié en Afrique du Nord. Le débarquement américain va permettre à la chasse française de reprendre le combat. A la tête du célèbre groupe 1/5, avec lequel il a fait toute la guerre, Marin est chargé de la surveillance des côtes oranaises et de la protection des convois.

Puis c'est le retour en France, tant attendu : la campagne d'Alsace, le sacrifice.

La figure légendaire de Marin la Meslée revit dans ces pages. A dessein, l'auteur s'est employé à ne pas hausser le ton, à éviter toute emphase ; le visage du héros n'en paraît que plus humain et plus fraternel. C'est le visage d'un homme qui avait fait le sacrifice de sa vie à un idéal, et qui demeure l'exemple des plus hautes vertus militaires : un visage devant lequel on se sent fier d'être un homme. * Erratum : ligne 20, lire Général Murtin.

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