Deux lettres a propos d Archeologie Peruvienne

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DEUX LETTRES A P R O P O S D’ÁRCHÉOLOGIE PÉRUVIENNE TREMIERE LETTRE LE DOCTEUR J. J. VON TSCHUDI, A M qnsieur V. F. L ópez . DEUXIÈME LETTRE MONSIEUR VICENTE FIDEL LOPEZ, A tt DOCTEUR L J . VON TSCHÜDÍ. BUENOS AIRES CHARLES CASAVALLE , ÈDITEUR. IMPRIMEME ET LIBRA.IRTE DE MAYO. RUE MORENO, 211. 1878 J

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DEUX LETTRESA P R O P O S

D ’ÁRCHÉOLOGIE PÉRUVIENNE

T R E M I E R E L E T T R E

LE DOCTEUR J. J. VON TSCHUDI, A M q n sieu r V. F . L ó pez .

D E U X IÈ M E L E T T R E

MONSIEUR VICENTE FIDEL LOPEZ,A tt DOCTEUR L J . VON TSCHÜDÍ.

BUENOS AIRESC H A R LE S CA SA V A LLE , È D IT E U R .

IM PR IM EM E ET LIBRA.IRTE DE MAYO. R U E MORENO, 211.

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J

DEUX LETTRESa p R O P o S

D’ARCHÉOLOGIE PÉRUVIENNE

P R E M IE IiE L E T T R E

LE DOCTEUH L J. VON TSCHUDI, A Monsieuk V. F. L ópez.

D E U X IÈ M E L E T T R E

MONSIEUK VICENTE FIDEL LOPEZ,AU DOOTEUR J. J. YON TSCHUDI.

BUENOS AIRESCH A RLES CA SA V A LLE . É D IT E U R .

IM PR IM EM E ET L IBR A IR fE DE MAYO, RU E MORENO. MI.

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PREMIÈRE LETTRE.

L e docteur J . J . yon T schudi,

A Monsieur V . F . L ó p e z .

M onsieur,

A m on granel regrefc, il n ’y a que peu ele tem ps que j 'a i obtenu co n n aissan ce ele v o tre o u v rag e su r les ra c e s a ry e n n e s . J e Tai étuclié av ec soin e t j e m e p e rm e ts de v ou s ta ire quelques ob serv atio n s a cet égarcl.

D ’ab o rd , il m e fau t a v o u er qu e vous avez e x e rcé u n e critiq u e bien sévère quant à F o u v ra g e su r les a n - tiquités p éru vien n es ele M. R iver o, s u r lequel figure au ssi m on nom , je p eu x bien le d iré , m alg ré m oi. J ’ai su rv eillé F exécu tion des p lan ch es et j ’ai au g m e n ­té les m a té ria u x de M. R ivero p a r p lu sieu rs belles pièces de m a co lle c tio n ; m ais le te x te , à l ’exception du seco ad et cinquiém e ch ap itre ,a in si que quelques o b se r­vation s, est l ’ceuvre de M. R ivero et j ’ai eu m ém e infi- nim ent à lu tter p o u r effacer du M s. uno quanti té d ’as- sertio n s et des h yp oth éses, d épourvu es de tou te liase scientifique. J e ne peux nullem ent p re n d re su r moi la resp on sab ilité de ce que M. R ivero a é c r i t . Si vous avie: eu F o cca sio n d e co n n aitre m on o u v ra g e , Voyage clans V A m é riq u e d u S u d , vous au riez trouvé bien d’a u tre s idées su r les antiquités du P éro u qu e celles de M. R iv ero d an s les A n tig ü ed a d es .

J e ne veu x to u ch e r ici q u ’un seul point su r lequel vous avez dirigé un e critiq u e m aheillanfce direote- m ent à m on a d re ss e . C ’est lam éd ecin e et la ch iru rg ie

d e sa n cie n s P éru v ien s. Ce q u ’en e st dit su r cette m a- tié re d an s les A n tig ü ed a d es , ¡o. 122, n ’est certain em en t p as une inventim i ni de M. R ivero ni de m oi, o 'est puisé des é crits des v ieu x C ronistas; p. 320 do v o tre ou vrag e v ou s dites : « Ju sq u ’á nos jo u rs Ja m édecine n ’a possédé que deux écoles essen tiellem en t clíniques, celle d ’H ip- p o cra te e t celles des Q u ic h u a s !!» P a s a m oi seu l, m ais à beaucoup d’hom m es de Science, ce tte assertio n a fait l ’eí'fet d’une p laisan terie de v o tre p a r t . L a m édecine, ou Pécole d’liip p o cra te , nous la con n aisson s p arfaite - m en t bien, m ais pas celle des Q u ich u as; et vous-m ém e, M onsieur, v ou s ne donnez au cu n e p reu v e de son ancien n e existen ce. E n vain j ’ai ch e rch é d an s les re la - tions des au te u rs con tem p orain s de la C onquista et de lc u r s s u c c e s s e u r s d e s X V I e e t X V I I e siécles les preu ves de v o tre a s s e r tio n ; m ais l’étude consoiencieuse des au te u rs qui ont ó crit s u r ra n c ie n M exique p rou ven t à l’évidence que les co n n aissan ces m edicales des Az- téques c t des a u tre s nation s m exicain es, av aien t été au m ém o d eg ré de développem ent que celles des A m au - ta-s.

V ou s ditos, p . 322 : « M ais p reñ ez la m em e Science au P é ro u et en E u ro p e p en d an t to u te la d u rée du m oyen- a g e et ch erch ez de quel có té a u ra it été l’a v an ta g e ? »

II m 'e st difficile de c ro ire que v ou s ay ez p ris cette p h rase bien au sé rie u x . L a isso n s m em e de cóté le g ra n d m aitre de l ’an cien n e Science m édicale, H ippo­c ra te et A n síe te le , le co m p ilateu r P l i n e ; il n ’y a qu’a c itc r le céleb re C else, e t su rto u t les h u it liv res d e m e­d ic in a d e l ’ad m irab leG alén e dont l’in gón icu x sy stém e m édical é ta it pen d an t tro is siècles , ju sq u ’á P a ra c e ls e , lo sy stém e ré g n a n t de m éd ecin e. J e n e v e u x m ention- n e r en détail tous les a u tre s au te u rs qui ont écrit au m o y en -ág e s u r les v e rtu s m éd icales des p lan tes e t la m édecine p ra tiq u e ; je m e b orn e to u t b on n em en t à vous d em an d er si vous avez o u b lié le s v a ste s co n n ais­sa n ce s m édicales q u e des do ctes a ra b e s , d isciples de la céleb re école d’A lexan d rie , ont rép an d u en E sp a g n e et un e g ra n d e p a rtie de T E u ro p e ?

D ans la m em e p age de v o tre o u v rag e vous m ’ap- pelez av ec un e ad m irab le a ss u ra n ce « éléve do P école

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de Boussais!» H elas! moi, éléve ele í’école de Brous* sa is! c’était une chose toute nouvelle pour moi, une vraie plaisanterie qui m’a fait sourirc. Du temps que j’ai étuclié la mcclecine, Broussais e1¡ son syslème avaicnt été en Allemagnc, ou jamais il n’a cu eles parti­sans sérieux, oublié depuis de longues années.

Vous dites que m oi, eléve ele Pecóle ele Broussais, suis frappé grandem ent de ce fait que les Péruviens n’ouvraient pas Ies absces et ne faisaient pas la sai- gnéc genérale des grands vaisseaux du syslème vei- neux.

Je vous prie, Monsieur, de bien vouloir lire la pago 123 de A ntigüedades. Oü y a-t-il, en ce qui y est díi, un seul mot d’étonnement ?

Chaqué auteur a le droit d'cxiger que colui qui lo cile ou le critique, lo cite c o n sc ien c ieu sem en t ; et ce droit vaut aussi bien à Montévidóo qu’en Europe.

Vous dites que les anciens Péruviens avaient connu l’anatomie.

Je demande si c’cst connaitro Panatomie, si on connait Pemplacement des principaux viscéres? Dans ce cas, les sacerdotes mcxicains, qui savaient si bien arrachcr le cccur fumant de leurs victimes vivantes, les gauchos des saladeros, tous Ies bouchers, etc., seraient des anatomistas; ctsous cetíe conclition pacl- mets que les Amautas connaissaient Panaiomie. Mais la Science entend par le mot an atom ie tout au- tre chose que la connaissance empirique, et memo rude des entrailles en général. Je répéte done que rien neconstate que les Amautas avaient connaissance de l’anatomie scientifique.

Enfln, je vous avoue franchement queje no suis pas capable cíe comprendre la logique de votre phrase. Eh bien (page 323) jusqu’á la fin.

Je ne veux pas entrer dans d’autres détails, cela me méncrait trop ioin. Je répéte que je regrette beau- coup ele ne pas avoir connu plutót votre ouvrage. J’aurais eu une bonne occasion cPen parier dans l ’in- troduction de mon travail critique sur le drame Ol­lanta, qu e j;ai publié i l y a deux ans. Mais pespéro de pouvoir le faire sous peu, puisquo je suis occupó

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d*une seconcle éclition de m a g ra m m a ire q u ich u a , ou plutót cl’une g ra m m a ire a n a ly tiq u e de cette lan g u e, ct d’un au tre trav a il s u r les an cien s P éru v ien s. J e peux vous a s s u re r d ’av an ce que je vous c ite ra i relig ieu se- m en t. Mes études de la lan gu e q u ich u a m ’ont conduit à des con clu sion s bien difíerentes des v ó tr e s ; que, q u an t au sa n s crit , ju sq u ’a ce jo u r n ’ont p as en core tro u v é rap p ro b atio n des céleb res sa n scritistes alle- m ands efc an g lais , c t cepend ant je peux vous a ssu re r que v o tre liv rc füt bien exam in é p a r les philologues.

A g réez , M onsieur, l ’a ssu ra n ce de m a considération tres distinguen.

Yienne, 18 décembra 1877.

Tsci-itJDr.

DEUXIÈME LETTRE.

Vicente P. L ópez,

Au DOCTEült J. J. YON TáCHUDI.

Monsieur,

Je regrette bien sincérement que le livre d‘un auteur si peu connu que je le suis, ait été la cause de senti* ments, et cíe réclamations, aussi vifs, que ceux que vous m’aclressez clans votre lettre clu IBclócembre 1877. Leslignes qui m’ont attiré vos reproches sont un simple accessoire de ilion sujet, ou j’ai taché seule- ment de passer en revue, cl’une maniere breve et̂ lé- gére, certaines particularités de la civilisation ^péru- vienne, qu’il nc m’était- pas donné de tráiler spéciale- ment dans le corps ele l’ouvrage.

Cepenclant, vos réclamations, Monsieur, m’ont fait une punible impression; el, dans le second volume, que je me propose de publier procliainement, pour complétcr mon plan, ou je traiterai ces mémes matié- res cl’une maniere plus étcnclue, j ’eíTacerai tout ce qui a pu vous paraitre injusteà votre égarcl, en declarant, avec toute sincérité, que, mieux informé par vous- méme que l’ouvrage de M. Rivero porte votre nom m algré vous, jo retire les appréciations qui vous con­cernent, puisqu'il contient des opinions sur les anti- quités péruviennes qui ne sont pas les vótres.

Maintenant, Monsieur, permettez-moi de vous taire remarquer que le sujet essentiel de mon livre est la langue, l’histoire et la théogonie cíes ancicns Péru- viens; ct que, par rapport à la langue, maintes íois j ’ai

cité vos excellentes publications, quand j’aurais pu pré* férer González Holguin et Torres Rubio, qui, évidcm- ment, ont servi ele base à votre dictionnaire et à votre grammairc.

Au reste, il est vrai, et je n’ai aucun inconvenient à le reconnaitreici, qu’en lisant La.s A ntigüedades P e­ruanas, je me suis fait une idée peu favorable de vos informatione sur Farchéologie américaine, et que j’ai doutémeme sivous possédiez la langue quichua; car votre traduction d’Apu-O llantay est toute récente, et postérieure de plusieurs années à celle qu’ont publié en espagnolet en anglais M. Barrancas et M. Marchan.

C’est seulement à présent, et par votre lettre, queje viens cFapprendre que votre nom figurait m algrévous sur le frontispice de Touvrage deM. Rivero, et que vous n ’otes pasresjionsable de ce q u ’il a écrit. N’ayant pu le deviner, je me suis trompé sur 1’origine de cer- taines erreurs que je ne pouvais accepter; d’autant plus, que je n ’avais pas'eu le plaisir de lire votre Voyage clans V A m ériquc clu S u d , dont je viens de connaitre l’existence seulement par votre lettre. Je vais me pro­curer cet ouvrage immódiatement, sachant d’avance touteFinstruction queje puisen retirer.

Vous taxez ma critique de sévére (et d’inconve- nante, je crois), mais, en mème temps, vous m’excu- sez; puisque, selon vous, Las A ntigüedades contien- nent maintes appréciations, et des hypothéses dépour- vues de toute base scientifique. C’cst encore de la sévérité, M. Tschudi; et mème un peu plus forte que la mienne.

Quant à mon livre, permettez-moi, Monsieur, de vous dire : que ce n’est pas une position sociale com­me savant, ni mème une satisfaction d’amour-propre, que j ’ai cherchó en Técrivant. Ayant étudié avec amour les’ antiquités et Thistoire moderne de l’Amé- rique du Sud, vexé mème clu mépris, de Fignorance et ele la malveillance, avec laquelle il parait etre cíe mode en Europe de nous traiter, nous présentant comme à demi-barbares, j’ai voulu seulement lancer clans le monde savant, une thése fondée sur des étu- des consciencieuses à défaut d?autre mérite, cíont les

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conclusions, dans Pétat actuelde la Science, pourront ne pas etre acceptées, mais dont la base et la filia- tion attireront forcément d’elles-mémes, 1’attention et la loyauté de quplques savants sans préjugés d’école ou de routine, comme j’en ai deja la preuve.

Vous me menacez l’avance d’un verdict défavo- rable qui ne m’épouvante pas. Je compitáis la-des- sus. Mon livre sera peut-étre oublié ou regardé comme très-peu concluant, ou très-incomplet. II au­ra fait scandale, peut-étre, car il est tout-a-fait diffe­rent de ceux qu’on a publié avant lui. Vous devez comprendre que cela ne peut m’affecter, puisque je le savais d’avance. Mais, je ne suis ni le client ni le candidat d’aucun corps savant ou ofíiciel. Je suis un intrús, un certain M. López , comme le disait der- niérement une de vos íeuilles périodiques, avec une délicatesse toute pleine d’esprit, qui m’a fait sourire aussi dans mon coin.

Mon seul but, mon seul intérét, a été la recherche de la vérité historique sur l’Amérique ancienne. Sup- posez que des études, que des investigations ultérieu- res et definitives, décicíeront que le fondement de ma thèse est inacceptable :• soit! On aura étudió à fond les qüestions, les langues, les dynasties, les races et l’en- chainement des differentes civilisations américaines qui se sont produites dans Pantiquiíé laissant cou- vert le pays tout entier de ces prodiges d’archi- tecture, de ces canaux, de cette haute culture sociale constatée par la profusión éfconnante de grands monu­ments et d’anciennes villes, éparses partout, que M. Squier vient de trouver; et dont, avant lui, on ne connaissait qu’un petit nombre dans des endroits isolés. Ces merveilles nous révèlent done Texistence de plusieurs civilisations, les unes plus anciennes que les autres, échelonnées dans une longue série de siccles dés la plus haute antiquité.

Les savants européens qui croient que tout cela a eu son origine dans le mouvement propre des Américains eux-mémes, me font Teffet, Monsieur, de ces autres savants très-profonds dans Tastronomie et dans la géologie, qui croient néanmoins aux miracles de la

Bible et au surnaturel de l’Evangile. Ce serait cer- tainement le seul exemple d’un fait pareil, un phé- nomène sans precedent ct san s raison d’étre; car vous savcz Cfu’il n’a pas existé un seul peuple civiíisé, qui ne s’enchaine à de plus anciens que lui, dans la sèrie des temps. E t il serait vraiment étonnant que Dieu, ou la Nature, qui fait toujours ces ohoses avec une si grande simplicilc, eüt réservé, pour l’Amérique toute seule, cet exemple, si exceptionnel, d’une civilisation tout asiatique, et parfaitement ancienne selon nos idées, mais sans aucune liaison avecl’Asie et avec ses langues civilisées.

De toute manière, si cela fut, il faut convenir que l’Amérique a étó bien supérieure en intelligonco à i’Europe. C ari’Europe doit tout ce qu’elle est, á l ’ini- tiation et aux traditions asiàtiques, tandis que, selon mes critiques, la civilisation sud-américaine aurait tout créé d’elle mòme: ses ceuvres prodigieuses, ses arts, ses grancís travaux de mathématiques appli- quées, ses càlculs astronòmiques, son gouvernement si bien établi et si hautement administratif, sa cul­ture, sa tolérance religieuse, son droit civil et públic, son système militaire, ses fortificatione admirables, sa colonisation des cléscrts, et son type asiatique, si supérieurs à tout ce que l’Europe (héritière clu mon­de ancien) a fait d’elle-meme avant le clix-septièmc siècle. Et tout cela aurait été créé et porté à un degré supreme de dévoloppement par l’Amérique et pour l’Amérique toute seule!

Je ne crois pas, Monsieur, aux miracles ni aux exceptions dans le développeinent moral de l’humani- té. Je crois à l’unité de la civilisation et à sa bifurca­ron avec l’Inde etlespeuples asiàtiques, quoique je ne crois pas à l’unité ethnologique des races ; c’est-à- dire : je crois que tous les peuples civilisés, malgré leurs différences d’origine, sont Tceuvre des traditions aryennes, et de la bifurcation de ces traditions avec les races antérieures etcoexistantes.

Le temps dira qui a raison ; et le temps n’est pas encore arrivó ou la Science a dit son dernicr mot, car on sait bien peu dcchose encore, permettez-moi, Mon-

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sieur, de vous le dire, sur l’archéologie américaine : memela plupart des Européens ignorent, à présent encore, ce qu’est l’Amérique du Sud 'moderne. Les brouillards de l;Océan Atlantique leur troublent la vue ; et l’influence de préjugés cí’écolc et de la routine les retiennent au seuil de ce qui les effraie.

Vous craignez le scandale. La hardiesse cònl-re vos maitres vous parait un crime.Moi, qui n’habite pas clans ce mème milieu, qui nc suis pas arrèté par les mèmcs convenances, je me conduis cl’une maniere toutc differente: libre d’appréhensions, exempt de crainte, et dégagé de toutlien avec votre Science oíli- cielle, qui, soit dit entre nous, n’a eu toujours le der- nior mot dansles débats scientifiques.

La ^recherche de ce dernicr mot a été mon but. Peut-ètre, est-il lointain, et mème illusoire. Mais, il sera prononcé certainement; et mon ceuvre, qu’elle soitvraieou fausse, aura donné lieu à un genre d’ó- tudes qui n’étaient pas faites sur le mème plan, cjuoi- qu’il ne nous manque pas cíe lueurs intuïtives a cet égarcl.

L ’isolementabsolu de la civilisation d’origine amé­ricaine est, véritablement, quelque chose d’aussi peu scientifique, et cl’aussi étrange, que le serait cle clirc que le Nouveau Monde n’est pas une partie organique cle l’unité cle la terre, aussi essentielle, par elle-mème, quo les autres continents, au mouvemcnt astronomi- que du globe et àson equilibre dans le ciel. Et vous savez que la Science d'une certaine époque l’a nié au nom de l’autorité.

Si je compare, Monsieur, ce que vous dites sur les connaissances des Péruviens en chirurgie et en mó- dccine avec les révélations et les preuves que M. Squier vient de nous faireconnaitre, je dois croire que, dans mon livre, j ’ai marché un peu plus près deia véritó que vous ne lecroyiez en m’aclressant votre lettre.Les connaissances chirurgicales des Amautas vous inspi­rent le plus profond mépris. Cependant, M. Squier a enrichi la Science de crànes péruviens très anciens, trepanes avec un art admirable, et par des procédés presque semblables à ceux qu’emploic la Science cu-

ropéenne. Jevous envoie ci-joint une copie de la gra- vure originale.

Qu’en clites-vous, Monsicur ? Je crois qu’en m’a- dressant votre lettre vous ne connaissiez pas encore l’ouvrage si séricux et si capital de ce grand explora- teur. Car, à présent mème, la trépanation clu cranc cst une cíes opérations chirurgicales des plus hasar- deuses et des plus délicates, mème à l’aide des instru­ments perfectionnées de la chirurgie moderne. Á elle seule, cette pièce suffit à nous fairc connaitrela com- pétence et la profondeur des connaissances anatòmi­ques que possédaient Ics Péruviens, il y a quatorze ou quinze siècles. Une sculo pièce trouvéc ele cello im- portance sufiit pour démontrer que, puisqu’ils prati- quaient cette opération, elle leur réussissait, quelques foisau moins.

Un parlant sommairemenl;, dans mon livre, et sous la forme cí’un léger résumé, de l’état comparatif clc la médecine dans l’Amérique et dans le moycn-àge ou* ropéen, jo n’ai pas dit, comme vous le donnez à en­tendre, queies Amautas eussent posséclécles écrivains et eles génies théoriques supérieurs aux savants con- nus de l’Europe héllénique. Comment pourrais-je clire une telle chose, quancl il n’y a pas un scul savant péruvien qui ait survécu à la clevastation épouvanta- ble cle la conquéte ? J ’ai énoncé seulemcnt qu’au mo- yen-acre la clin ique -pratique, la thérapeutique, avait au Perou des foncloments plus rationnels, ot mieux assis sur l’observation, que dans l’Europe : Notez bien, Monsieur, que j ’ai dit au moyen-àgo et pas autre chose.-

E t puisque vous avez nommé Paracelse clans votro lettre, permettez-moi deprofiter cíe ce nom, si célebre, poür constater l’état des Sciences medicales en Euro- pe, et, pas seulement au moyen-àge, comme je clisáis tout à l’heuré, mais encore au XVIe siècle, c ’est-à- dire, trois siècles plus tard.

Ce médecin, si granel selon quelques-uns, apporta de l’Orient le mercure et Popium ; mais -ú les em- ploya avec si peu de jugement et si peu de connais- sance de leur adaptation à l’organisme humain, que3

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dans la plupart de ses applications, il commit d’énor- mes fautes, sans aucune méthode clinique ou base prouvée par l’observation et le diagnòstic.

Vous savez bien mieux que moi, Monsieur, com­bien il était asservi aux superstitions les plus absur­des qui aient obscurci l’histoire de la médecine. Au dire des écrivains dont le témoignage ne peut pas etre recusé, il n’avait aucune espéce de discrétion pour prendre ses informations pratiques medicales. II con­sultad des théologiens, des vieilles femmes, des éxor- cistcs et des sorciers de tout genre. Alchimiste avant tout, il prófcendait posséder la P ierre philosophate et V E lix ir de v ie, la quintessence, Varcane d u v ü r i o l ; et surtout le secret de l’opium melé au mcrcure, dont il a écrit: ex duabus tantum rebus constans, quibus excelentiores, in m undo rep eriri n equ eu nt, qua m or­bos omnes ferè cu ra ntu r.

Libavius dit encore que, comme médecin, Paracel- se n’avait aucun savoir scientiíique, malgré son épi- taphe; qu’il tu a(sic) multitudo de malades, et qu’il rendit vraiment malades d’autres personnes qui ne bétaient pas séricusement; que ses écrits sur la mé­decine sont si pleins d’impostures et de superstitions, qu’il va jusqu’à enseigner qu’un homme, tout seul, et sans commerce avec une femme, peut faire un petit enfant vivant, et parfaitement pareil à ceux qui nais- sent de la femme, seulement beaucoup plus p etit; et il donne encore des instructioris pour le faire, aussi indécentes qu’absurdes. II se vantait d’avoir reçu des lettres de Galien et d’avoir cherché querelle à Avi- cenne, à l’entrée du royaume infernal. II soutenaitque le corps humain contenait le levant et le couchant, avec tous les signes du zodiaque. II enseignait que pour extrairoun dard ou une fièche d’une blessure, il falla.it invoquer l’influence de certaines constellations ; car il professait, selon Tennenann, que, d’accord avec l’harmonie universelle, les étoiles avaient une infiuen- ce immédiate sur le monde sublunaire et sur la vita* lité des éléments de notre corps; et que, par consé- quent, il fallait les faire agir au moyen de formules cabalistiques.

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Voilà, Monsieur, ou en était la Science au XV P siècle.

Cepenclant, vers la mème époque, les Péruviens possedaient, clepuisdessiècles,une pharmacopée dont Ics applications clíniques, s ’appuyaient sur une me­thode curative fondée sur des ohservations bien con- íirmées, et suivies jusqu a présent par la pratiquc ct par la Science.

II n7y a pasgrand savoir, certaincment, à purger ou à faire vçmir un malacíe. Mais, si je ne me trompe, l’emploi de la Chinchona, par exemple, comme toni- que, comme moyen de combatiré les maladies inter­mittentes, repose évidemment surdes études cl’une autre valeur, qui s ’enchainent mème aux principes scientifiques de laphisiologie moderne. E tvous sa- vez, bien mieux que moi, cíe combien d’autres appli­cations péruviennes on pourrait faire les mèrnes élo- ges, et les regarder comme de grandes conquétes clans l’ordre scientifique des faits.

II faut done que ces pratiques péruviennes, qui ont jété une si grande lumière clans les Sciences me­dicales modernes, et qui ont suííi pour renouvelèr leurs méthodes curatives de la fièvreet d’autres gran­des maladies, aient reposé sur une observation ratio- nelle,et tout-a-fait organique,qui faitrejeter toute sup­positioni dempirisme aveugle ou brut, par rapport à l’enseignemcnt des Amautas; ele ces savants incon- nus^ qui ont péri par milliers dans respace de trois années, dans les büchers de l’Inquisition, et dans les profondeurs des mines, cherchant des métaux pré- cicux pour rassasier l’avarice cíes tyrans autrement ignorants et barbares que leurs victimes.

Ilestvrai, Monsieur, que dans mon livre ]c dis qu’au moyen-age les Sciences médicales s’étaientavi- lies. E t certaínement, elles n’étaient pas, tant s’cn faut, ce qu’elles avaientété au temps de Pline et de Galien. Permettez-moi, Monsieur, ele rappeler à vo- tre attention ce que nous en dit M. Daromberg (page 277 du IP volume). Selon lui, le moyen-age professait une médecine de quatH em e m a in ; on avait condam* n é à l ’oubli la méthocle des ancicns pour desformes

scholastiques et mystiques, aussi vaines que subtiles, les mélant avec des superstitioris nombreuses.

J ’ai écrit simplement que ces pratiques étaient bien intérieures aux pratiques péruviennes, et que l’école des H ippocratiques ressemblait plutót à ces clernières qu’à cello du moyon-age.

Pour abréger, et parce que ce n’était pas 1c vrai but de mon livre, j?ai parlé seuloment d’Hippocrate, en- veloppant clans la tradition commune, Plino, Celse, Galien, l’Ecole de Sáleme et toutes les autres écoles que j’ai considérées comme membres de la filiation grecque.

Mème les Árabes, dont vous me parlez, Avicenne surtout, appartenaient aux Hippocratiques, pris en général; c’est-à-dire, à cettc mème méthode d’obscr- vation et de spectative, dont j’ai cru aussi apercevoir l’existence parmi les Péruviens, à la nature de leurs drogues et à la manière de les employer. Pour prouver la supériorité des Péruviens sur les prati­ques du Ve au IX csiècles, je me suis appuyé sur Pau* locil'é concillante de Grégoire de Tours, que j’ai cité dans mon livre; et auquel je pourrais ajouter d'au- I res encore, M. Draper, par exemple, qui est hú­meme un illustre médecin.

Dailleurs, Monsieur, ou ai-je méconnu le savoir des latins hippocratiques, comme Pline, Galien etc.? Ce que j’en ai dit prouve tout le contraire; voici mes paroles, page 322 : — «Jusqu’à nos jours, la médecine n’a possedé que deux écoles essentiellement clíniques (c’est-à-dire curatives), celle d’Hippocrate et celle des Quichuas ». Ou ai-je dit que celle-ci fut supérieure à l’autre, et à sa tradition parmi les latins? N’ai-je pas énoncé (page 324) toutes les circonstances qui atte­nuent mon assertion, par rapport à la tradition des Péruviens, perdue aujourd’hui dans son ensemble théorique? Alors, Monsieur, je pourrais vous rap- peler votre phrase mème:— « Chaqué auteur a le droit d’exiger quo celui qui le cite, le cite consciencieuse- menty aussi bien à Montévidéo qu’en Europe ».

L ’ouvrage mème de M. Rivero (dans lequel je ne savais pas que votre nom íigurait m algré vous) nous

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fait connaitre à la page 122 (très-légèrement par mal- heurjtous les éléments d’une pharmacopéetelle, qu’el- le supposo ï’existcnce d’une cliniqüe méthodicrue, qu’a éta fonclamentalcment conservés et suiyíe par la Science moderne, et qui n’est pas moins étonclue, jc pense, ni moins bien établie clans l’observation ratio- nelle, que la clinique hippoeratique.

Ayez la bonté, Monsieur, de rcmarquer que je n’ai parlé que de la méthode curative ou thérapeutique; iaquclle, à ce que j 'imagine clans mon ignorance, est la partie essenticlle de la médecine selon les an- ciens. En parlant des Quichuas, comme vous le eon- cevez, je n'ai pu avoir i’intention ele les écraser par la comparaison avecles progrés prodigieux que la Scien­ce a fait clepuis Moliere, avec Paicíe de la chimie, clc la chirurgie méclicale, et de l’aclaptation des instruments creés par l’art moderne. Chaqué chose en son temps et en son lieu; afín que les transcriptions soient aussi loyales au Rio de la Plata qu’en Europe.

Vous m’accusez de ne pas vous citer con scien de use- m ent. Je crois que vous étes injuste envers moi. D’a- borcl, la briéveté avec laquelle j’ai traité la matiére dans mon livre, comme simple complément ép isod ique, ne me permettait pas de vous transcrire au long. En­suite, il est facile de s’apercevoir que j ’ai fait un simple et léger rapport des opinions que je combat­íais : et dans ce cas, tput le monde admet (et toutes les polèmiques en rendent témoignage), qu’on peut se tromper consciencieusement en interpretant les pen- sées des autres, en abrégeant l’expression ou en leur attribuant une valeur qu’elles n’ont pas. A cet égard, on peut se tromper consciencieusement aussi bien à Montévidéo qu’en Europe. Chaqué jour et chaqué li­vre nous apportent de nombreux exemples de ce gen- re de malenlenclus. Uésumer une doctrine est un tra- vail qui appartient au jugement de celui qui résume, et par conséquent, on peut se tromper consciencieusc- ment; car rósumer n’est pas transcrire.

Done, vous avez été trop vif, Monsieur, et trop em- pressé, non-seulement clans l’expression, maissurtout dans la nature devotre plainte.

Mème à present, efcenvue de vos réclamations, je me permets de penscr que je n’ai pas mal rapporté les assertione du livre que vous avez signé avecM. Ri- vero, et jo vais vous transcrirc, pour m’excuser avec vous de cette insistancc.

« De cualquier modo(dit-il) los conocimientos cu­rativos de los Amautas eran empíricos y limitados, y se ceñían á mitigar los síntomas mas alarmantes ̂ cle la dolencia, sin sistema alguno nosológico ó terapcúl i- co » et vous dites celà, monsieur, malgré l'exemple dé­la Chinchona 1 Je continue: — «Do todos los medios exploratorios, usados por nuestros médicos, para diagnosticar las enfermedades, no conocían otro, que el estado de la membrana mucosa de la lengua. » Je voudrais bien savoir, Monsieur, sur quels documents reposentces assertions. La pharmacopée péruvienne, sérieusement étucliée depuis la Calisaya jusqu’á la Ra­tafia, la C/iucu?npa, et cent autrcs moyons, prouve que leur diagnòstic embrassait une sphere bien plus éten- due que no le suppose M. Rivero ; et que ce diagnòs­tic avait une baso rationnelie et scientiiique.

Quant à la chirurgie, M. Rivero dit encore que les Amautas n'étaient pas arrivés à employor la saignée proprement dite — « habían llegado á reconocer, que en ciertos casos, conviene disminuir la masa de la sangre; pero siempre en las inm ediaciones de la partedoliente....... produciendo evacuaciones, que, mas queá nuestras sangrías propiamente dichas, se asemeja­ban á las emisiones de sangre locales...... Lacirujíaoperatoria era com pletam ente desconocida á los fa­cultativos peruanos........... sin la m en o r idea de laapertura de abeesos, con instrumentos constantes, etc., etc. »

Je relis ce que j’ai écrit à cefc égard, et, malgré deux expressions inconvenantes,qucjo regretlc do tout ¡non coeur, oú je taxe, commc vulgairc, eos apercus si ca- pricieux, et, à ce que je crois, dépourvus cíe fonde- ment, je ne \ ois pas oíi cst rinexactitudc de l’abrége que jJen ai fait clans mon livre. Je crois que des chi- rurgions qui avaient trepané les cránes avec des instruments aussi clélicats que ceux clont M. Squier

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et M. de Broca nous ont parlé, d’après la copie que je vous envoie, ne pouvaient pas ignorer la maniere de couper un membre etd'ouvrir un abcés.

Je pense que l’opération clu trepan était en Europe, mème au X V le siècle, un des cas les plus graves do la chirurgic médicale. Je ne sais pas si on la pratiquait dans lo moyen-age ou dans l’antiquité classique. Le seul cas queje connaisse est celui duprince D. Carlos, le ñls cie Philippe ÏI ; et il nous montre assez éviclcm- ment quellcs étaient les enormes diííicultés que cett-e opération offrait aux médecins les plus célébres ele l’Europe dans cetemps-la.Et encore, il faut remarquer que Don Carlos n’a pas ét-é proprement trépané, puis* qu’on se limita à ruginer simplement la surfacc os- seuse du cranc ; tanciis que dans l’cxemplaire présen­te à la Science par M. Squier, nous avons un cas de trópanation véritable et accomplic.

Au Rio ele la Plata nous avons aussi des médecins chirurgions tres habiles cfctrès instruïts. J ’ai faitlirc à quelques-uns d’entr’eux, qui sonten mème temps des littérateurs distingues, le court aperçu ele mon livre sur la clinique péruvienne mise en parallele. avec l’é- colé hippocratique; et, bien loin d’y trouver rien d’ab­surde, ils ont jugé, au contraire, que tout ce queje dis lá-clessus cst bien fonclé et rationnel.

Je pourrais mème aller un peu plus loin, si je lo voulais. Un savant clu Chili, M. Domeyko, clont vous devez connaitrc le nom et Timportance, a dit, écrivant sur la métallurgie, que certaincs amalgamations prali- quéespar les anciens Péruviens,prouventqu’ils avaient une connaissance profonde cíes lois chimiques qui opèrent pour produiré le résuUat. Et un autre de nos chimistes les plus distingues, M. Puiggari, adonné à l’étude de la coca, a découvert que l’emploi cíe cetlc feuilie ne cléveloppe ses qualités essentielles, dans Téconomie humaine, qu’en la mélant avec le carbo­nate de souele, en raisóncle cortaines lois chimi­ques que i'analyse prouve admirablement; ainsi, ce savant dit que c'est évident, pour lui, que les Quichuas connaissaient parfaitoment ces lois, puisque, comme

votis sa vez, ils ne m achent jaraais la coca sa n s la mo­ler avec la L ly p ta ,

Mals, supposez qu'à cet égard il y eut erreur de ma p a rt: — est-cc que ce n’est pas un faifc avéré, donttous les anciens historien» de la conquète ont parlé, que rhabiíeté des Royan comme pratitiens, et comme initiés dans Ics propriétés medicinales de lcurs plantes et de leurs resines ? D'aillcurs, cet te partió de mon livre, ie lcrépéte, n'est qu’un appendice insiimiñant, quia tres peu de papportavec le sujetcapital."Je m’étonne done, qu’étant vous-meme si bien penetré des secrets de la langue quichua, vous ayez porté toute votre attention sur la partió simplement accessoiro, ou épisodique, de l’ouvragc.

II cst vrai, Monsieur, que vous me faites espércr une réfutation générale, invoquant méme Ics conclu­sions de divers savants ; je l’attends sans émotion, et avec la conviction que mon livre et ma thésegagne- ront beaucoup à étre discutes. Car, quelques-uns au moins de mes savants critiques, voudront étudier la matiórc et les preuves, avec connaissance de cause, et avec bonno foi, sans préjugé par rapport aux thómos, aux racines et à la grammaire quichua, que bien peu de savants sanscritistas ( peut-ctro qu’aucun méme) ne connaisscnt encore.

Quand aux autres, quiécriront sans avoirapprofon* di cctte langue, ils diront ce qu’ils voudront: ils seront toujours en dehors du sujet, comme tous ces héllénis* tes et latinistes qui maudissaicnt Bopp et sos disciples, sans vouloir étudier le sanscrit.

Je savais d’avance, Monsieur, quemón livre ne trou- verait pas gràce à vos yeux. Dans mes études sur la langue et sur la théogonie des Péruvicns, j ’ai cru avoir trouvé des élémcnts, ci des secrets, bien di Itérente de ceux que vous avez vus dans vos ouvrages, queje trouve, néanmoins, pleins de savoir et de Science, mais, dont rcspr.it et la portée diffèrent tout à fait du mien. Vos objectione étaient toutes naturelíes, mal- heureusement pour moi : il était en dehors de la na- luro humainc qu’il en fut autrement.

Derniérement, j’ai eu une grande satisfaclion en

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Jisanfc legrand ouvrage de M. Squier: le seul, à ma oonnaissance. qui ait rétabli toute la grandcur et la solennello véritedes reliques de la civilisation péru- vienne. II a décov.vertque toutle pays était plein dc mines; et,en maiuts endroits, il a retrouvé les traces du evite lunairc des penplcs primitirs, cjue j’avais soup- íj-onné et jeté dans la discussion/

En interpretant lessymbolesmis en lamiere parcet expior ateur, et cu étudiant la topographio, ou la lan­gue est empreinte, comme je t&cho do lefaire clans la Revista del Rio d é la P ia la ,] o suis arrivé h pouvoir constator des faits précieuxet incontroversabJes, qui appuient la plupart des assertions que favais ayan­cóos dansmon ouvrage.

Si vous avez eu l’occasion ele lire cet ouvrage hors ligne — Travel and exploratiori o f the land o f the Incas by M. S q u ier (1 8 1 1 ) vous aurez vu comme cet auteur partage aussi mes opinions fondamentales. II va mème jusqu’a aílirmer que les Péruviens étaient bcaucoup plus avancés clans Ics Sciences naturelles que leurs conquérants ; qu’ils connaissaient memo la )oi des fluides, inconnue aux Romains (pago 412). L'Espagne néanmoins était dans le XVI* siécle ̂aussi avancée que n’importequellc autre nalioneuropéenne.

Ce précieux ouvrage, écrit sous le patronnage dos Etats-Unis, est venu ratifier toules mes vues sur la théogonieetPastrohomie des ancicns Péruviens. A la page* 188 on trouve la représentation du solsticc d’été sous la forme du Ccrf ardent à la génération, dont j’ai découvert l’existence comme signo du Zodiaque, sous le nom de Topa-Taruca. Ce fait archóologique est d’une énorme importancc; et personno no Pavait aperçu avant moi. Vous pouvez le voir admirable­ment representé à lapage deja citée. Le dessin repro- duit parfaitement la figure et lo nez d’unccrf, couron- né d’un hémisplière céleste, ou thiare, divisée en zones Jumineuses et obscures. II porte au front le signe clivin du Tau, et sur l’épaule un énorme'phallus, symbole, comme je Tai deja dit, du pouvoir souvcrain de la gé- nération, c’est-a-dire du soleil, dans toutes les théo- gonies du sabéisme et du naturalismo anden.

Àvec sa main clroite, le cerf ardent Topa-Tarucca élèvc le disque solaíre à la hauteur du solstice chaud. Au centre on voit les phases Iunaires correspondanfc aux saisons delumiòrect defécondité. La quouedela figure représente une couïeuvrc, symbole de l’Annéc, divisée en cleux zones, Tune lumineusc et l’autre ob­scure, avec Ics compartiments de cuaque mdis.

L c disque solaíre, tout éclatant-, est traversé par les dards du feu célestc; et une coulcuvrc cn mouvement inontre sa tete rampante dessous, symbolisant la marcim et les anneaux clu temps.

Dans sa main gauche, le cerf tientlatorche éfeiníe du solstice d’hiver, traversé par une petite zone luci- cide qui caractérieo, plusencore, toutlesymbolismeei; toules les allégories de ces deux points carclinaux du zodiaque péruvien, tels quéjelos ai établis clans mon livre.

A la page 186 vous trouverez le tropique clu Can­ee)’ eme j’ai nominé Machac-l·Iuay ou Ecrevissc.

.L ’Ecrevisse, dessinée dans la plancho avec une cxactitude frappante, représente dans le zodiaque classicfue la marche rétrograde clu soleil vers i’hé- misphère d’hiver. Dans la figure péruvienne, l’écre- visso est en lufcte avec un aclvcrsaire qui apparait comme un Dieu humain. Celui-ci s’efforce ele retenir le monstre, aíin d’empècher que, dans sa fuite, ilcm - porte Iachaleu'r et la lumière, si bienfaisantes pour rhomme, vers leroyaume eles ténèbres.

Pour ne laísscr aucun doute de ce que les deux com- battantssont deux membres cl’un mèmephénomène as- tronomique, il suffit de remarquor que tous les deux sont marquésà la poitrine d’unetètc de lion (pum a\ emblème clu soleil, et que, par la mème cause, or- nait aussi la poitrine des Incas, les fils du Soleil.

L ’un et l’autre personages portent le disque solaíre dans labouche, entouré d’étoiles. Le Dieu humain et puissant saisit l’écrevisse par la tète et Parróte dans sa fuite, élevant clans sa bouche le disque solaíre vers lchautdu ciel, tandis que l’écrevissetendà l’abaisser vers les regions inféricurcs eles ténèbres. II n’y man- querien pour la perfeotion du symbolisme, ni mème

los acarabees, qui sont les alliés des ténèbres et eles es- prits infernaux clans toutes lesthéogonies anciennes et clàssiques, comme vous le savez.

Cesdeuxvases précienx sontà present au musée de Londres, et je vous engagc à les confronter avec les fantnisies de mon livre, aíin que vous puissiez cléci- der si ces fantaisies-là étaient, ou non, bien près de la vérité réc-cmment mise en lumiòre.

À la page 180 vous trouverez une autre allégorie éga- lement précicuseetfrappante. Le Soleil, sous la forme d'un dieu colossal et earactérisé par les flammes ar­dentes de l’été, et par le triangle classique, rceoit, au solstice cPété, les hommages cfc les adorations cl’un chef suivi de ses peuples ; il leur oiïre la chicha (le soma des Indiens), jus de la moisson récente. S u rsa tente, soutenue par ia colonne solsticiale, resplandit le disque luminaire dans tóate sa rotonclité. A Pex- trémité Nord la colonne prend la forme contournée du serpent, et avale une partie du disque solaire, qui s’obscurcit pendant Phivcr, avec cPautrcs allegorias nombreuses, et non moins decisives, clont je vous íais gráce, et que j’analyse dans Ia Revista del Rio de lu Piata.

Je pourrais me laisser entrainer, Monsieur, à mille autres considérations suries documents et les monu­ments que M. Sqiiier vient cPexhumer dans sa gran­de et précicuse oxplorafcion du Pórou. Iis ont pour moi une valeur tout pcrsonnello, car iis m’ont don- né Poccasion cPentreprendre un autre volume de moti ouvrage, et probablement une nouvelle édition du pre­mier, oú je serai heureux de faire disparaitre tout ce qui personnellement apuvous offenser, tout en persis­tant néanmoins dans mes vues et dans mes opinions.

Plut à Dieu que jc puisse connaitre à temps vos nouvclles publications. Mais,.si elles paraissent en allemand, j’aurai le regret de ne pouvoir pas les lire, car je ne connais pas cette belle langue.

A mesure que j’approfondis Pouvrage de M. Squier, et que j ’aclmire les trésors inépuisables, qu’il y offre à Pobservation des savants qui voudront étudier PA- mérique ingénument, ct sans préjugés cPécolo, je

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m’étonne qu’on vienneencore nous parler, au nom dc Garcilazo, et de sa maigre dynastie incassique, dans le terrain dc l’archéologie, de l’histoire et de l'an- thropologic. Yoilà le point capital- de mon procés avec la Science européenne. Concédez cent siòclcs de ci- vilisation indigene ; concédez des cataclysmes terres­tres, des révolutions climatériques, des changements dans les vents alisés et clans les courants marítimes, par le dégel des póles; concédez la submersiori cl’an- ciens continents, leur fractionnement, sculement dans la mer Pacifique et dans l’Océanie ; et mettez rhistoire humaine, dans l’Amérique, en accorcl avec la Science et la marche de la création et des races pri­mitives ; et vous verrez que les idées de mon livre sur ces races, sur les langues et les traclitions améri- caines, ne sont pas si absurdes qu’on veut les faire au- tour de vous.

M. Max Muller, ce granel juge de ces sortes de dio­ses dans notre siécíe, qui peche, trop peut-etre, par la circonspection et par la prudence, a jeté en passant quelques aperous d’une grande portée sous ce rapport. A la page 272 du 2e volume dc ses Chips from a Ger­m án W orkshop , il nous clit, après avoir .nommé Alexandre Humbolclt, que, dans les langues et dans les traditions, aussi bien que dans la fauno et dans la flore des cleux continents opposés, il y a de nombreu- ses indications, qui paraissent justiíier l’admission d’un passage, ou pont primitif chiles, à travers le dé- troit de Behring.

Si un savant de cette importance, et si prudent, est disposé déjàà nous accorcler un point aussi capital que la relation possible des races américaines avec les origines asiàtiques, nous somraes fonclés à espé- rer, qu’á mesure que les découvertes avanceront, cVautres savants trouveront le parallélisme primitif des langues et des cultures sociales entre les Asiàtiques et les Péruviens. Car, une parenté originaire cíe ra ­ce suppose au moins une bifurcation clan's leur développement respectif.

CMsUememe granel savant qui nous a déclaré, que, dans l’élat actuel de la philologie, on ne peut pas nier

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aux langues touraniennes certains caracteres es- sentiellemont aryens.

Eh bien ! Monsieur, la languo quichua emploie les mèmes formes ele la cíéclinaison et de ía conjugaison queia languo Asamèse, que la langue Guzerati et que toutes les autres de la Péninsule Indienne.

En parlant d’elles, M. Müiler nous apprend, non- seulement que Ieur grammaire n'a r ie n d’incom pati­ble avec les traits distincti fe de la gra m m a ire aryen- ne, maisil ajoute encore, qiïelles sont toutes de des- cendance a ry en n e ; que le sang q u i circu le dans leurs veines est d u sang a ryen ; et que dans leurs dictionnai- res et dans leur gram m aire, elles ont em p ru n té lar- g em ent k leurs voisines aryennes (Introd. Remarks to the touranian Rcsearchcs). On sait bien peu de chose encore, Monsieur, sur' l’histoire primitive de rinde et de ses grandes penínsules; bien peu sur l’en- grenage de ses races : sur ses colonies et sur les ohangements du globe après Texistence en Asie de l’homme civilisé, pour qu’il soit possible de vider, avec tant d’empressemcnt, les qüestions de langues et de tradition que j’ai soulevées dans mon ouvrage.

Pour moi, je le répèfce, mon livre est un procés. Le gagnerai-je? Le perdrai-jo ? Je l’ai écrifc av.ee la conviction que je marcháis vers le vrai. Mais, s ’il en est autrement, le verdict ne viendra qu’aprés avoir étudié à fond les choses du Pérou, à la lumiére des découvertes qu’on commence tout récemment à 1‘aire. Et croyez-moi, Monsieur, je ne rae désolerai pas.

Je regrette vraiment une seule chose : c’est cl’avoir ditque vousét-iez Broussaiiste. Remarquanl; le grand cas qu’on faisait de la saignéo génórale dans le livre de M. Itivero, j ’ai demandé des renseignements à quel* ques personnes qui avaient habité le Pérou ; et, à ce que je vois, elles me les ont donnés inexact-s. Je vous en demande pardon, Monsieur; c’est la seule erreur grave que j ’aye commise dans mon livre par rapport à vous.

D'aillcurs, il y a une autre circonstance qui m’af- fecíe. Yotre leüre est empreinte de mots et do traits

qui donnent au style un air très peu amical, et mème malveillani. Je ne vois pas bien clairement la jus­ti ce de ce procédé. Sivous aviez à vous plaindre de mes critiques, c ’est que j'ignoráis que votre nom figu- rà tm alg ré vous au frontispice du livre de M. Rivero, que vous critiquez, vous-mémc, plus sévèrement que moi, dans volre lettre. Avoir pensé que vous étiez tfroussaiiste, il y a trente ans, ce n’était pas vous in­jurier, car cette ecole compte de grands módecins, et à rendu de grands Services à la Science. Et si la cause de votre peu de hienveillance, est lo scandale soulevé par mes opinions et par mon systèmc, permettez-moi, Monsieur, de vous faire observer que vous aviez le droit de me critiquer ; mais, pas le moins du monde, celui de vous fàcher, ni do mc regarder de si haut.

Ces observationesont sinccrement amicales; et je vous proteste que je lirais toujours vos livres, quoi- qu’ils different dc mes opinions, aveo plus de bon vouloir, et de sympathie, que jcn ’cn ai mérité de vous.

Vous m'anticipez, Monsieur, que notro discussion est destinée à la publici té dans un prochain travail que vousallez faire sur les tòpiques mème qui font l’objet dc votre lettre. Cela étant, j ’ai pensé que j’étais autoriséàlapublier avecina répbnse ; car, il ne mc conviendrait pas que vos objcctions prévinssent l’o- pinion de mes amis sans ces antécédents.

La carte de visite, que vous avoz cu l’amabilité do joindre à votre lettre, me fait connaitre, Monsieur, la haute position que vous occupcz. Si elle est le juste hommage ac-cordéà votre savoir et à votre caractère, je vous fais, Monsieur, mes plus sincèrcs compliments. Mais je me permets, en mème temps, de vous assuror, que vos litres à ma haute considération, resteront tou­jours, pour moi, dans vos ouvrages sur la Ianguc quichua.

Vicente 1*\ López.