Descartes, Discours de la méthode -...

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Descartes, Discours de la méthode (1637) René Descartes (1596, La Haye - 1650, Stockholm)Discours de la méthode, Édition Adam-Tannery, Volume VI, 78 pages, Paris, Vrin, 1996

Ce discours célèbre, à la limite du genre autobiographique, présente l’itinéraire intellectuel du philosophe de la Modernité. Insistant sur l’inanité des savoirs établis en son temps (partie I), Descartes en vient à proposer sa méthode (partie II), sans la prétendre universelle. Le préliminaire est d’user en tout de la raison et de savoir par soi-même, en abandonnant les opinions reçues et sujettes à caution. Cette méthode comporte quatre principes : le doute et la découverte de la première certitude, la division des difficultés, remonter par ordre du simple au complexe, procéder à des dénombrements et des revues. Après une partie féconde sur l’adoption d’une morale par provision (partie III), Descartes expose les principales découvertes permises par l’application de la méthode. D’une part, elle met au jour les fondements de la métaphysique (partie IV), dont les concepts centraux sont l’âme et Dieu, dont l’existence est prouvée. D’autre part, la méthode conduit à des connaissances physiques et biologiques (partie V) importantes, ce qui culmine dans l’étude de l’âme humaine dans sa différence avec les bêtes. La fin du texte (partie VI) revendique deux intérêts. Il s’agit de justifier la parution de l’ouvrage au sein d’une réflexion sur les conditions de publication de l’époque. Surtout, cette dernière partie est plus programmatique, dans la mesure où elle annonce les potentialités de la méthode, dont l’ambition est de «nous rendre comme maître et possesseur de la nature.»

Ce texte court, rédigé dans une très belle langue, comprend des passages cardinaux et des expressions célèbres de la philosophie de Descartes. Véritable manifeste méthodologique et, anachroniquement, épistémologique, il marque le tournant caractéristique de l’entée dans l’âge moderne. Tournant le dos à l’ancienne connaissance et aux anciens savoirs, critiquant la scolastique et dénonçant les errements intellectuels de ses prédécesseurs, Descartes inaugure ici un temps nouveau, scientifique. Il opère un changement voire même une révolution épistémique essentielle. Ce discours présente à la fois les conditions, les moyens, quelques réussites et les buts ou ambitions extraordinaires de la connaissance humaine. Nous pouvons déplorer le prix auquel se paie cette révolution ou ce changement de paradigme, d’épistémè, mais nous devons aussi admirer cet homme pour la puissance intellectuelle qu’il déploie. Si les résultats parfois abscons que développe l’auteur se sont pas ses plus grandes pages (sur le fonctionnement du cœur par exemple), l’exposé de la méthode et de son ambition est le fait d’un génie absolu. Enfin, la dernière partie, programmatique, présente un plaidoyer pour l’exercice scientifique en même temps qu’un exercice de lucidité sur les conditions d’écriture au dix-septième siècle.

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PREMIÈRE PARTIE : CONSIDÉRATIONS SUR LES SCIENCES

Descartes présente la méthode qu’il a suivie et qui ne vaut peut-être pas pour tous. Les longues études, pleines de doutes et d’erreurs, renforcent l’ignorance. Les nombreux voyages succédant aux études n’offrent pas de meilleurs résultats, ils ne se confrontent qu’à la diversité. Il faut refuser de croire ce n’est proposé que par la coutume et l’exemple pour se délivrer «de beaucoup d’erreurs, qui peuvent offusquer notre lumière naturelle, et nous rendre moins capables d’entendre raison.» (p. 10). Je dois «étudier en moi-même [et] employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je [dois] suivre.» (p. 10)

SECONDE PARTIE : PRINCIPALES RÈGLES DE LA MÉTHODE

Puisque les ouvrages auxquels un seul travaille sont meilleurs que ceux collectifs, la vérité relève davantage des «simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent» (pp. 12-13). Et puisque nous fûmes longtemps gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, nos jugements ne sont ni aussi purs ni aussi solides «qu'ils auraient été si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle.» (p. 13). Il importe d’abandonner les opinions reçues au profit d’autres «ajustées au niveau de la raison. Et je crus fermement que par ce moyen je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne m'appuyasse que sur les principes que je m'étais laissé persuader en ma jeunesse, sans avoir jamais examiné s'ils étaient vrais.» (p. 14) Je dois me conduire par moi-même, lentement, pour trouver la bonne méthode pour connaître toutes les choses que je puis connaître. Cette méthode requiert quatre principes : «Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.» (pp. 18-19)L’application de cette méthode permet de tout connaître nettement et distinctement en usant en tout de la raison. Cette méthode permet de retrouver l’algèbre puis, avant de l’appliquer aux autres sciences, il faut en passer par la philosophie, car les principes des autres sciences découlent des principes de la philosophie.

TROISIÈME PARTIE : RÈGLES DE MORALES ISSUES DE LA MÉTHODE

«Afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement

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que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes dont je veux bien vous faire part.» (p. 22)1. «Obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu

m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l'excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j'aurais à vivre.» (p. 22)

2. «Être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses lorsque je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées.» (p. 24 - exemple du promeneur errant)

3. «Tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible.» (p. 25 - référence au stoïcisme)

4. Enfin, pour conclusion de cette morale, je m'avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est-à-dire que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite.» (p. 27)

«Et ainsi, sans vivre d'autre façon, en apparence, que ceux qui, n'ayant aucun emploi qu'à passer une vie douce et innocente, s'étudient à séparer les plaisirs des vices, et qui, pour jouir de leur loisir sans s'ennuyer, usent de tous les divertissements qui sont honnêtes, je ne laissais pas de poursuivre en mon dessein, et de profiter en la connaissance de la vérité, peut-être plus que si je n'eusse fait que lire des livres, ou fréquenter des gens de lettres.» (p. 30)

QUATRIÈME PARTIE : FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE (L’ÂME ET DIEU)

Il faut rejeter tout ce qui est soumis au doute pour voir s’il reste quelque chose d’indubitable. «Et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.» (p. 32) Je suis une substance dont l’essence ou la nature est de penser. Je suis une âme entièrement distincte du corps et plus aisée à connaître que lui. L’âme continue d’être ce qu’elle est même sans le corps. «Je pense donc je suis» est une règle générale. Les choses conçues clairement et distinctement sont toutes vraies. Le doute est une moindre perfection que la connaissance. Or je pense à quelque chose de plus parfait que ce que je suis, et cette pensée me vient d’un être plus parfait que moi. Cette idée a donc été «été mise en moi par une nature qui [est] véritablement plus parfaite que je [ne suis], et même qui [a] en soi toutes les perfections dont je [peux] avoir quelque idée, c’est à dire, pour m’expliquer en un mot, qui [est] Dieu. À quoi j’ajoutai que, puisque je connaissais quelques perfections que je n’avais point, je n’étais pas le seul être qui existât (j’userai, s’il vous plaît, ici librement des mots de l’école) ; mais qu’il fallait de nécessité qu’il y en eût quelque autre plus parfait, duquel je dépendisse, et duquel j’eusse acquis tout ce que j’avais.» (p. 34) Ce Dieu, dont l’existence est ainsi prouvée, est un esprit sans corps. Mais tous les corps et toutes les intelligences du monde dépendent de sa puissance et subsistent grâce à lui. L’idée d’un être parfait contient son

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existence, donc Dieu existe. Le fait d’avoir un corps, qu’il existe une terre et des astres, etc, tout ceci est moins assuré que l’existence de l’âme et de Dieu. Seule la présupposition de l’existence de Dieu lève le doute sur cette existence des corps. Même nos notions et idées, qui sont des choses réelles viennent de Dieu : dans la mesure où elles sont claires et distinctes, elles sont vraies. De plus, que nous rêvions ou non, «nous ne nous devons jamais laisser persuader qu’à l’évidence de notre raison» (p. 39) et non de notre imagination.

CINQUIÈME PARTIE : QUESTIONS DE PHYSIQUE, EXPLICATION DU MOUVEMENT DU

CŒUR, DIFFICULTÉS DE LA MÉDECINE, DIFFÉRENCE ENTRE NOTRE ÂME ET CELLE DES BÊTES

«Je suis toujours demeuré ferme en la résolution que j’avais prise de ne supposer aucun autre principe que celui dont je viens de me servir pour démontrer l’existence de Dieu et de l’âme, et de ne recevoir aucune chose pour vraie qui ne me semblât plus claire et plus certaine que n’avaient fait auparavant les démonstrations des géomètres ; et néanmoins j’ose dire que non seulement j’ai trouvé moyen de me satisfaire en peu de temps touchant toutes les principales difficultés dont on a coutume de traiter en la philosophie, mais aussi que j’ai remarqué certaines lois que Dieu a tellement établies en la nature, et dont il a imprimé de telles notions en nos âmes, qu’après y avoir fait assez de réflexion nous ne saurions douter qu’elles ne soient exactement observées en tout ce qui est ou qui se fait dans le monde. Puis, en considérant la suite de ces lois, il me semble avoir découvert plusieurs vérités plus utiles et plus importantes que tout ce que j’avais appris auparavant ou même espéré d’apprendre.» (pp. 40-41)Ceci conduit à des savoirs en physique (connaissance de la nature des choses matérielles), notamment autour de la lumière, en démontrant les effets par les causes. Cette méthode permet d’expliquer également le mouvement du cœur ainsi que le fonctionnement des nerfs et des muscles (esprits animaux). Vient ensuite la question des automates. Notre corps est une machine comme eux, mais une machine mieux ordonnée et possédant des mouvements plus admirables, car elle est faite non des mains des hommes mais des mains de Dieu. Les animaux sont comme ces automates : ils n’usent pas de paroles «ni d’autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées.» (p . 56). Et même si les bêtes font des choses aussi bien voire mieux que nous, elles en manquent d’autres, donc elles n’agissent pas par connaissance. Ainsi nous comprenons la différence entre les hommes et les bêtes : aucun animal ne possède le discours, ce qui témoigne que les bêtes n’ont point du tout de raison. Elles n’ont point d’esprit, c’est la nature qui agit en elles. «J’avais décrit après cela l’âme raisonnable, et fait voir qu’elle ne peut aucunement être tirée de la puissance de la matière, ainsi que les autres choses dont j’avais parlées, mais qu’elle doit expressément être créée ; et comment il ne suffit pas qu’elle soit logée dans le corps humain, ainsi qu’un pilote en son navire, sinon peut-être pour mouvoir ses membres, mais qu’il est besoin qu’elle soit jointe et unie plus étroitement avec lui, pour avoir outre cela des sentiments et des appétits semblables aux nôtres, et ainsi composer un vrai homme.» (p. 59) Cette âme n’est pas de même nature que celle des animaux ; en outre elle est immortelle car indépendante du corps.

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SIXIÈME PARTIE : CE QUI EST REQUIS POUR ALLER PLUS AVANT DANS LA RECHERCHE DE

LA NATURE § LES RAISONS D’ÉCRIE

Ces connaissances, nouvelles, étant très utiles, doivent être rendues publiques ; mais des circonstances de l’époque empêchent la diffusion. Le but est de «nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature» (p. 62), avec une préoccupation toute particulière pour la médecine. «Je jugeais qu’il n’y avait point de meilleur remède contre ces deux empêchements que de communiquer fidèlement au public tout le peu que j’aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et.son pouvoir, aux expériences qu’il faudrait faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu’ils apprendraient, afin que les derniers commençants où les précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire.» (p. 63)Il s’agit de commencer par trouver les principes et les premières causes, puis d’en déduire les effets les plus ordinaires, puis d’entrer dans des éléments plus particuliers, niveau auquel les moyens sont très divers. Les principes expliquent toutes choses se présentant aux sens, et ce en diverses façons. Les vérités trouvées dans les sciences dépendent de cinq ou six principales difficultés préalablement surmontées. «Toutes ces considérations jointes ensemble furent cause, il y a trois ans, que je ne voulus point divulguer le traité que j’avais entre les mains, et même que je pris résolution de n’en faire voir aucun autre pendant ma vie qui fût si général, ni duquel on put entendre les fondements de ma physique. Mais il y a eu depuis derechef deux autres raisons qui m’ont obligé à mettre ici quelques essais particuliers, et à rendre au public quelque compte de mes actions et de mes desseins. La première est que si j’y manquais, plusieurs, qui ont su l’intention que j’avais eue ci-devant de faire imprimer quelques écrits, pourraient s’imaginer que les causes pour lesquelles je m’en abstiens seraient plus à mon désavantage qu’elles ne sont. […] L’autre raison qui m’a obligé à écrire ceci est que, voyant tous les jours de plus en plus le retardement que souffre le dessein que j’ai de m’instruire, à cause d’une infinité d’expériences dont j’ai besoin, et qu’il est impossible que je fasse sans l’aide d’autrui.» (pp. 74-75)«Et j’ai pensé qu’il m’était aisé de choisir quelques matières qui, sans être sujettes à beaucoup de controverses, ni m’obliger à déclarer davantage de mes principes que je ne désire, ne laissaient pas de faire voir assez clairement ce que je puis ou ne puis pas dans les sciences.» (p. 75)«Et si j’écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en latin, qui est celle de mes précepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu’aux livres anciens.» (p. 77)

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