Chapitre 1 Du marketing à ses résistances : une analyse...

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1 Chapitre 1 Du marketing à ses résistances : une analyse par la sociologie de la traduction Dominique ROUX et Eric RÉMY La machine marchera quand tous les gens concernés seront convaincus. Latour (1989) Qu’est-ce qui fait la force du marketing ? La supériorité de mes produits et services, répond le marketer. « Sa capacité à satisfaire les besoins et désirs au moyens de l’échange » pour créer et capter de la valeur, proposent les théoriciens du marketing (Kotler et Armstrong, 2007, p. 25). Son pouvoir de manipulation, affirment ses détracteurs. Sa capacité de récupération des oppositions et des contestations, concluent les tenants d’une « sociologie de la critique » (Boltanski et Chiapello, 1999). En fin de compte, c’est bien souvent dans le registre de la polémique, des invocations à charge ou à décharge de l’utilité ou des nuisances qu’il entraîne que se joue depuis des décennies le sort du marketing (Marion, 2009). D’un côté ses pourfendeurs d’inspiration marxienne, de l’Ecole de Francfort aux situationnistes, l’accusent de maux qu’on prête généralement aux régimes conquérants, dominateurs et ethnocentriques. L’hégémonie, l’impérialisme et la marchandisation du monde constitueraient selon eux le cortège des trois Furies qui l’accompagnent. De l’autre, ses défenseurs de sensibilité majoritairement libérale réaffirment avec constance qu’il n’y a de marketing mal compris que mal mis en œuvre, et qu’au fond, ses préceptes sont non seulement utiles, mais généralisables à tous domaines et à tous horizons. Ils ont donc promu l’idée que le marketing gagne à étendre l’espace de ses interventions – notamment aux activités non marchandes – et doit même pousser au bout, sur le plan temporel, la logique qui est la sienne. Avertissement à l’adresse des managers négligents ou victimes d’une myopie progressive : le marketing doit

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Chapitre 1

Du marketing à ses résistances : une analyse par la sociologie

de la traduction

Dominique ROUX et Eric RÉMY

La machine marchera quand tous les gens

concernés seront convaincus.

Latour (1989)

Qu’est-ce qui fait la force du marketing ? La supériorité de mes produits et services,

répond le marketer. « Sa capacité à satisfaire les besoins et désirs au moyens de l’échange »

pour créer et capter de la valeur, proposent les théoriciens du marketing (Kotler et Armstrong,

2007, p. 25). Son pouvoir de manipulation, affirment ses détracteurs. Sa capacité de

récupération des oppositions et des contestations, concluent les tenants d’une « sociologie de

la critique » (Boltanski et Chiapello, 1999). En fin de compte, c’est bien souvent dans le

registre de la polémique, des invocations à charge ou à décharge de l’utilité ou des nuisances

qu’il entraîne que se joue depuis des décennies le sort du marketing (Marion, 2009). D’un

côté ses pourfendeurs d’inspiration marxienne, de l’Ecole de Francfort aux situationnistes,

l’accusent de maux qu’on prête généralement aux régimes conquérants, dominateurs et

ethnocentriques. L’hégémonie, l’impérialisme et la marchandisation du monde constitueraient

selon eux le cortège des trois Furies qui l’accompagnent. De l’autre, ses défenseurs de

sensibilité majoritairement libérale réaffirment avec constance qu’il n’y a de marketing mal

compris que mal mis en œuvre, et qu’au fond, ses préceptes sont non seulement utiles, mais

généralisables à tous domaines et à tous horizons. Ils ont donc promu l’idée que le marketing

gagne à étendre l’espace de ses interventions – notamment aux activités non marchandes – et

doit même pousser au bout, sur le plan temporel, la logique qui est la sienne. Avertissement à

l’adresse des managers négligents ou victimes d’une myopie progressive : le marketing doit

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anticiper aujourd’hui ce que le consommateur pourrait lui reprocher demain et préventivement

gérer les conséquences à long terme des désirs immédiats de ses cibles.

Mais si le débat s’enlise régulièrement dans les ornières de la critique et de sa récupération

(Boltanski et Chiapello, 1999), n’est-ce pas au fond parce que la question est ailleurs ?

Qu’est-ce qui fait la force du marketing sinon sa capacité à décourager, non pas les

dénonciations de ses détracteurs, ni les engagements pris pour leur répondre, mais les

volontés, ou parfois les velléités, de résistance des consommateurs à ses offres, ses techniques

et ses dispositifs ? Pour sortir de la circularité du débat sur le(s) pouvoir(s) du marketing et

des consommateurs, et montrer de quelles manières ils échappent dans la réalité aux efforts

faits pour les capter, nous proposons de mobiliser le cadre de la sociologie de la traduction.

Ainsi, nous faisons taire « le concert de la critique » (Marion, 2009) pour mieux « voir » ce

qui se joue en coulisses et sur la scène marchande. Comme en baissant le son du poste de

télévision, on remarque soudain les postures des acteurs que l’écoute des dialogues relègue au

second plan, nous proposons d’ignorer un instant les présupposés axiologiques sur lesquels ils

s’appuient pour légitimer leurs actions. Nous abandonnons provisoirement les irréconciliables

divisions portées par la critique et leurs référentiels de justification, pour nous intéresser

moins à une lecture de ce que l’on fait au consommateur qu’à une compréhension de ce que

certains acteurs font relativement ou par rapport à lui (Denis, 2008). Dans cette perspective,

nous substituons à ces dichotomies une autre analyse qui permet d’approcher la question

fondamentale posée aux marketers : « comment agir à distance » (Latour, 1990) sur des

cibles mobiles et orchestrer leur compréhension, sinon leur captation, par une mise en scène

« très respectueuse » de leur liberté (Cochoy, 2004, p. 16) ? En réinterrogeant le marketing

comme processus de traduction, nous jetons sur la résistance un éclairage qui s’affranchit de

ses argumentaires, et met au jour les trahisons – les dissidences (Callon, 1986) – qui

éprouvent perpétuellement la solidité (ou la fragilité) des réseaux qu’il cherche à construire.

1. Qu’est-ce que traduire ?

Initialement, la « sociologie de la traduction » (Latour et Woolgar, 1979 ; Callon, 1986 ;

Latour, 1989, 1990 ; Akrich et al., 2006) a été développée pour rendre compte de la manière

dont sont établis les faits scientifiques. Elle met en lumière qu’avant d’être considérés comme

incontestés, ceux-ci ont d’abord été l’objet de longs et multiples enjeux. L’activité

scientifique est ainsi constituée d’une suite d’opérations – des mesures, des classements, des

ordonnancements, des activités de production, des résultats (d’analyses, de rapports, de

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publications d’articles, etc.), qui visent à stabiliser des énoncés. L’objectif est que ces

affirmations, in fine, ne soient plus remises en cause, et passent du statut de controverses à

celui de faits. Dans ce but, les acteurs mobilisent des dispositifs qui, au bout du compte,

parviennent à occulter les processus par lesquels les situations ont été construites et les

controverses qui les ont précédées. Les énoncés qui paraissent « tenus pour acquis » à un

moment donné (Latour et Woolgar, 1979) ont donc en réalité été fabriqués, non pas par l’effet

de forces préexistant dans un champ, mais par le fait d’associations d’acteurs humains et

non–humains devenues irréversibles, cadenassées comme des « boîtes noires » (Latour et

Woolgar, 1979), au hasard de circonstances et d’incertitudes qui y auront aussi joué une large

part.

Hors du champ de la sociologie des sciences, la sociologie de la traduction permet de

penser les logiques d’actions, les réseaux d’acteurs et les jeux de pouvoir qui y ont trouvé de

nombreux points d’application dans le domaine de l’innovation, du changement, du

management et du marketing (Callon, 1986 ; Amblard et al., 1996 ; Barrey, 2004 ; Akrich et

al., 2006 ; Azimont et Araujo, 2007 ; Denis, 2008). Les opérations qui se jouent dans ces

différents domaines – scientifique, politique ou gestion d’entreprise (Latour, 1990) –,

engendrent des conflits et des luttes qui créent des lieux d’affrontement, ce que Latour et

Woolgar (1979, p. 251) nomment un « champ agonistique ». Certains acteurs problématisent

des situations et y déploient des stratégies pour en enrôler d’autres. Des humains mais aussi

des non-humains – objets et dispositifs – sont assemblés pour former des réseaux, des «

associologies » (Callon et Latour, 1981) engagées dans des opérations de persuasion

rhétorique (Laufer et Paradeise, 1982). Visant à rendre des énoncés crédibles et non

questionnables, ces opérations procèdent par traduction, c’est à dire métaphoriquement et

physiquement par un double déplacement des acteurs et du sens. Selon la définition de Latour

(1989, p. 284), parler de traduction signifie « à la fois que l’on propose de nouvelles

interprétations et que l’on déplace des ensembles ». Plus explicitement encore, les formes par

lesquelles la traduction opère, permettent de mettre au jour « l’ensemble des négociations, des

intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou une

force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre acteur ou

d’une autre force » (Callon et Latour, 1981, p.12). Traduire, à la différence d’une conception

foucaldienne du pouvoir, consiste moins à agir sur les actions des autres en contrôlant leurs

mouvements (Foucault, 1982), qu’à définir leur problème, porter leur projet, parler en leur

nom et s’autoriser à dire « nous » pour les représenter.

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2. Faire du marketing, c’est traduire et construire des réseaux

Le marché relève sans conteste de l’agonistique et d’espaces de frictions où des

compétiteurs s’affrontent autour de ressources rares. L’histoire du marketing retracée par

Cochoy (1999) illustre à loisir la tonalité martiale de l’environnement économico-industriel

dans lequel il prend forme à la fin du XIXème siècle. La croissance des firmes opacifie

progressivement leur connaissance fine, directe et humaine du client, que maîtrisait

auparavant le commerçant, le boutiquier ou l’entrepreneur. La guerre de territoire qu’elles se

livrent s’intensifiant avec leur nombre, les firmes s’emploient de plus en plus techniquement à

découper le marché, à le différencier, le segmenter, le représenter, le saisir, l’organiser, en

bref à le domestiquer pour s’en approprier des parts définies, isolables et maîtrisables. Ce

savoir-faire gestionnaire permet ainsi de résoudre une des contradictions de l’économie

libérale, où la concentration progressive du marché semble démentir le principe de libre

concurrence. Le concept de segmentation autorise en effet la coexistence des firmes qui

prétendent pouvoir le dominer entièrement, avec celles qui ancrées dans des niches, ne sont

pas de taille à le servir dans sa totalité. C’est donc autour et en appui d’une définition de ses

cibles que le marketing fonde sa légitimité et trouve les moyens d’organiser la production de

l’offre.

Cependant, il faut concevoir le marketing comme une activité institutionnellement et

spatialement distribuée sur une série d’acteurs et de dispositifs. La construction de l’offre ne

repose pas en effet sur une représentation unique des consommateurs, mais sur de multiples

interprétations qui diffèrent selon les professionnels concernés à différentes étapes de

définition du produit, de communication ou de mise en marché. Elle mobilise des techniques

par lesquelles ces acteurs s’emploient à l’observer, à l’interroger et à le définir. Le marketing

apparaît ainsi comme une suite d’activités performatives par lesquelles ces acteurs s’engagent

dans la production des phénomènes qu’ils décrivent. Des produits, des marques, des discours

sont ainsi destinés à concrétiser ces représentations en pratiques, et malgré la distance, à

attacher concrètement les consommateurs par une multiplicité de liens portés par des systèmes

socio-techniques de moins en moins questionnés (Cochoy, 1999).

Agir à distance sur des sujets libres suppose ainsi un double pari : d’une part compter sur

les dispositions que l’on prête aux individus et déployer d’autre part les assemblages les plus

légers, mais aussi les plus solides possibles pour « dévier leur trajectoire, les soustraire à

l’espace extérieur, les placer sous contrôle » (Cochoy, 2004). En un mot, il s’agit de traduire,

au double sens de comprendre (les besoins et attentes du consommateur) et d’exprimer (sous

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la forme de produits, services, symboles, promesses et avantages) ce qui permettra de les

(é)mouvoir. La traduction est un travail de réduction des fossés existants entre des acteurs

dont les expressions et les buts diffèrent. Ce travail est réussi lorsqu’il parvient à leur faire des

détours subreptices en liant des énoncés et des enjeux a priori sans communes mesures. Si

« vos intérêts sont les nôtres » (Callon et Latour, 1981, p. 13), ou que « je veux ce que vous

voulez » (Latour, 1989, p. 261), alors il est possible de mettre en équivalence une série

d’énoncés implicites : « parce que vous le valez bien »... mes actionnaires (et par là même

mes actions) aussi.

Pour tenter de déplacer les acteurs, le marketing – tout autant que d’autres intervenants sur

le marché – met en œuvre quatre opérations qui concrétisent cette traduction : il problématise,

il intéresse, il enrôle et il mobilise (Callon, 1986). La traduction est d’autant plus efficace que

ses propositions apparaissent comme « allant de soi », qu’il parvient à naturaliser les faits,

c'est-à-dire ses offres, ses pratiques et lui-même comme médiateurs légitimes de l’interaction

marchande (Cochoy, 1999). C’est autour, et à partir de ces quatre opérations de traduction que

naissent les résistances que nous allons décrire, dont nous chercherons moins ici à restituer les

contenus qu’à examiner les conditions dans lesquelles elles sont produites et émergent.

2.1. Problématiser

Comme le montre l’exemple développé par Marion et Gomez (1992), « J’en ai rêvé, Sony

l’a fait » constitue l’un des messages publicitaires sans doute les plus prototypiques d’une

opération de traduction. Le marketing agit non pas pour découvrir à grand renfort d’outils

d’investigation ce que serait une vérité voilée des besoins du consommateur, mais pour

« soutenir les convictions d’une population suffisante d’acteurs », à laquelle il convient de

fournir des arguments de conviction et de rationalisation de ce qu’ils font (Marion, 1997,

p.82). Qu’on en appelle à n’importe laquelle des touches d’un « répertoire sophistique »

(Laufer et Paradeise, 1982) – depuis l’allégation basique sur l’efficacité d’une lessive

jusqu’aux promesses les plus élaborées sur le concept de soi idéal –, le travail du marketing

consiste à construire un problème auquel il va s’employer à répondre, pour un consommateur

dont il a contribué à produire la représentation (Dubuisson-Quellier, 2003 ; Denis, 2008).

Qu’importe en réalité que ce dernier n’ait pas le moindre rêve, ou qu’il l’ait concrétisé en

plage de sable fin et non en forme de baladeur numérique, s’il souscrit à l’idée promue par le

marketer que celui-ci s’harmonise de manière naturelle avec le décor de celle-là, ou qu’il

devient à l’usage le fidèle compagnon de ses temps de transports quotidiens. Problématiser,

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c’est se rendre indispensable aux acteurs que l’on souhaite enrôler, que leur conviction

d’essai, d’adoption ou de rachat du produit soit emportée par ses caractéristiques, par un

besoin d’appartenance, un désir mimétique, un habitus de classe ou tous ces motifs à la fois.

La performativité du marketing peut ainsi découler de manières différentes de lier des théories

représentationnelles sur les consommateurs – une vision transactionnelle versus relationnelle

par exemple – aux modalités pratiques de construction de l’offre et d’organisation des

échanges (Kjellberg et Helgesson, 2006). Problématiser, c’est aussi se rendre indispensable au

sein de l’entreprise, comme spécialiste de la médiation marchande (Cochoy, 1999), non pas

seulement dans l’efficacité de la mise en contact de l’offre et de la demande, mais dans la

créativité des moyens employés pour rassembler et harmoniser le point de vue de multiples

acteurs (Azimont et Araujo, 2007). C’est, sous cet angle, peser également sur la normalisation

des pratiques par l’établissement de règles, de codes et d’outils qui préviennent l’entreprise

d’interventions plus contraignantes menées au nom du consommateur.

Ce travail de légitimation permet de faire du marketing un point de passage obligé pour

les intervenants internes et externes impliqués dans la relation de l’entreprise avec ses cibles

(Denis, 2008). Actionnaires, fournisseurs, distributeurs, consommateurs poursuivent des

objectifs distincts et parfois antagonistes dont le marketing s’emploie à réduire les écarts, à

rapprocher les intérêts, devenant leur porte-parole commun et central. Ce faisant, il participe à

une forme d’« entre-définition » par laquelle les acteurs, de manière dialectique, acceptent en

retour la problématisation de leurs besoins et des réponses que le marketing contribue à

produire. Sous cet angle, une marque – comme un fait, un énoncé ou une situation – n’existe

alors que si un réseau d’individus se trouve là pour la porter, au double sens physique et

symbolique du terme.

2.2. Intéresser

Si la définition d’un problème pose la première pierre de la traduction et exprime les

attentes que l’on prête aux consommateurs, « l’intéressement » (Callon, 1986) constitue la

phase charnière par laquelle un déploiement de moyens parvient à en faire des alliés.

L’intéressement procède selon trois directions : des processus qui visent d’abord à recruter,

puis à retenir, conserver et fidéliser les consommateurs dans le temps ; des mécanismes

psychologiques et cognitifs qui étayent une série d’hypothèses sur l’identité et le

comportement des acteurs ; et des dispositifs discursifs et matériels – produits, marques,

symboles, structures de distribution, programmes de fidélisation, communication – qui parient

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sur ces dispositions et dont la multiplicité est à la hauteur de l’importance qu’ils revêtent dans

l’attachement des consommateurs à la firme (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000 ; Cochoy,

2004). Les gratifications monétaires des programmes de fidélisation sont-elles plus efficaces

que des gratifications symboliques ? La diffusion d’une musique d’ambiance est-elle de

nature à majorer la consommation des clients ? Une extension de marque doit-elle être

congruente avec les activités actuelles de l’entreprise ? Les innombrables questionnements

auxquels chercheurs et praticiens s’efforcent de répondre s’appuient sur des « pratiques

représentationnelles » parfois bien différentes entre elles (Kjellberg et Helgesson, 2006), mais

qui visent à soutenir, par de multiples inscriptions objectivées, la preuve que le marketing

cherche à intéresser le consommateur, le captiver et l’associer à un profit commun. En attirant

l’attention et en travaillant sans relâche sur les propriétés des dispositifs d’offres et de

qualification des produits (Callon et al., 2000), le marketing fait du même coup disparaître

son caractère performatif, c'est-à-dire sa capacité, à partir d’idées ou de théories, à s’instituer

en pratiques. Les externalités, les servitudes ou les dépendances qu’entraînent ces dispositifs

sont pourtant rarement questionnées de manière symétrique. Les offres d’essai, de crédit ou

d’abonnement, même assorties d’échappatoires que sont les propositions de remboursement,

le droit de rétractation ou les options de résiliation, misent sur une participation librement

consentie qu’une mise en scène parfaitement orchestrée du retrait rend en apparence d’autant

moins dangereuse (Cochoy, 1999). Ces opérations d’intéressement sont donc d’autant plus

efficaces qu’elles attachent le client dans un écran de fumée et que les opérations de

qualification et de singularisation de l’offre s’additionnent à celles, soigneusement

camouflées, des dispositifs de sortie visant à décourager ou prévenir son départ. Les

fonctionnalités et les performances techniques de ces dispositifs, supports de l’offre ou de la

relation client, participent ainsi lourdement, mais clandestinement, à leur attachement.

Ainsi, le succès de Meetic ne réside pas tant dans l’originalité du concept, ni même dans

sa position d’antériorité sur le marché, mais bien dans le raffinement technique de la solution

logicielle développée par une société de création et de gestion de programmes de Customer

Relationship Management (Gestion de la Relation Client). Les fonctions du site permettent à

l’Internaute de retrouver son repère habituel dans la possibilité, configurable et

personnalisable à loisir, de feuilleter les pages d’un catalogue de prétendants en libre-service

intégral et constamment mis à jour. Les engrenages de back office du site sont capables

d’extraire pour lui des listes de membres conformes à ses paramètres de choix, de lui adresser

des messages personnalisés en fonction de ses comportements de visite, des types de profils

qu’il consulte, des fonctionnalités qu’il utilise, de la fréquence de ses connexions, du temps

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qu’il passe sur le site, etc. La recherche amoureuse se trouve ainsi transfigurée par des

moyens techniques, qui déplacent l’intermédiation feutrée et confidentielle du conseil

matrimonial, en fréquentation outillée d’un hypermarché de la rencontre. Mais en fin de

compte, déçu ou non par la confrontation au réel, l’abonné a au moins un ami, le site, qui se

rappelle à lui avec une bienveillante régularité et une efficacité alignée sur celle de ses

algorithmes de programmation des messages. La promesse « Vous allez aimer », axe d’une

campagne de communication passée de l’entreprise, concernait certes prioritairement

« l’objet » de sa flamme, mais il n’est pas exclu qu’elle ait aussi visé implicitement l’outil, qui

à l’instar d’autres opérateurs1, cherchent à transporter les consommateurs – et pas seulement

dans des transports amoureux – loin des traductions concurrentes. L’apprivoisement du

consommateur par l’intéressement repose de fait sur l’idée peu médiatisée par les marketers

que les dispositifs le conduisent avant tout à passer par des points de passage obligés, en le

protégeant de captations rivales et en dénouant si besoin d’autres liens – regarder ailleurs, y

compris physiquement dans la « vraie vie ». Le pouvoir du marketing est donc d’abord

pouvoir de « mise en déroute », au sens de déviation du consommateur, qui en musardant

dans les rayons des différents dispositifs – de son supermarché à son écran d’ordinateur – se

trouve comme le Petit Chaperon Rouge constamment détourné dans ses déplacements de tous

les autres loups aux dents longues dont il faut précisément le distraire (Cochoy, 2004). Si

l’intéressement consiste à maintenir le client aussi solidement, mais subtilement que possible

arrimé à ces dispositifs, rien ne garantit jamais que l’alliance sera scellée et qu’elle sera

durable (Dubuisson-Quellier, 2004). Il faut aussi définir le rôle précis qu’il sera amené à

jouer, parler pour lui, parler en son nom, ce qui est encore la meilleure manière et la plus

habile de le faire taire (Callon, 1986, p. 196)

2.3. Enrôler

Enrôler les acteurs a pour but d’obtenir d’eux un engagement dans l’action. Cette

opération consiste à définir et stabiliser les rôles prescrits par la problématisation, en assignant

aux acteurs du réseau ce qu’ils doivent y jouer en termes de figure et d’action. « Parce que

vous le valez bien » et autres variantes des argumentaires sur le concept de soi enjoignent par

exemple au consommateur de se gouverner pour lui-même, en parfait hédoniste, contribuant

ainsi par son propre plaisir au bénéfice global de l’économie (Marion, 2004). D’autres

1 Comme la SNCF dont un message similaire promettait : « Nous allons vous faire aimer le train » ou France Telecom : « Nous allons vous faire aimer l’an 2000 ».

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impératifs du type « Think different », « Just do it », « A vous d'inventer la vie qui va avec »,

« Faites pousser vos idées », « A fond la forme », « Il a Free, il a tout compris » convoquent

d’autres registres et répertoires identitaires particuliers : l’original, le passionné,

l’entrepreneur créatif, le bricoleur, le sportif, le futé, etc. C’est à une figure qualifiée et

construite du consommateur que le marketing s’adresse, ou plutôt à une figure qui, à partir

d’opérations de segmentation, exemplifie dans le discours ses porte-parole les plus

intéressants, les plus emblématiques, les plus représentatifs.

Mais en plus de la définition conjointe des individus et de l’offre, formalisée dans des

discours censés représenter ces idéaux-types, le marketing travaille d’autres dispositifs plus

fins, ceux de la fidélisation et du marketing one-to-one qui tentent de parler directement à sa

singularité et font de chaque consommateur l’unique et le plus fidèle porte-parole de lui-

même. Traduire passe ainsi par la définition de l’unicité du consommateur, dont les dispositifs

techniques vont ensuite gérer les nuances. Ainsi, les outils de tracking comportemental et de

data mining combinent aujourd’hui des éléments de géocodage, de profilage et de scoring

aptes à nourrir toutes les combinaisons, toutes les variantes et tous les arrangements

nécessaires à la satisfaction individualisée des clients. Ces dispositifs socio-techniques

permettent par exemple à Amazon de dépoussiérer les vieilles recettes de vente additionnelle

en leur proposant des nouveautés, des recommandations de lecture basées sur le goût de

profils similaires, ou des options de création d’une liste personnalisée « d’envies cadeaux »,

dont la forme d’intéressement repose au fond sur une invitation à la co-promotion des

produits qu’ils ont appréciés. En construisant une figure du consommateur créatif par le biais

de la co-production, de la co-détemination ou de la co-innovation, le marketing cherche à le

faire agir dans le sens de ses intérêts – celui de l’expression, de l’auto-définition et de

l’interaction – mais aussi de ceux de l’entreprise qui parvient ainsi à déplacer, agencer et

coaliser leurs idées à son plus grand profit (Cova, 2008). Ces déplacements s’inscrivent

cependant dans une multiplicité d’espaces-temps fragmentés et disjoints. Cela nécessite de

comprendre plus concrètement comment ils réussissent à se matérialiser, à s’inscrire, à se

diffuser, pour finir par durcir les pratiques et produire des irréversibilités. La stabilité des

figures construites du consommateur est donc d’autant plus importante que la dialectique

d’« entre-définition » des acteurs est elle-même réussie, c'est-à-dire que les réalités

marchandes sont produites et soutenues par le réseau qui les porte, lequel n’existe que par les

réalités autour desquelles il se forme.

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2.4. Mobiliser

La traduction successive d’énoncés particuliers en d’autres énoncés particuliers – des

descriptions et des mesures produisant des normes, lesquelles gouvernent des échanges,

lesquels donnent lieu à de nouvelles représentations – permet de chaîner les acteurs par une

longue suite d’équivalences. En proposant des interprétations et des réponses qu’il s’emploie

à situer et distinguer des propositions concurrentes, le marketing déplace des ensembles. Mais

pour y parvenir, il est essentiel qu’il sélectionne les bons porte-parole. La star choisie pour

promouvoir ma marque est-elle bien celle dans laquelle se reconnaissent mes clients ? Les

offres, les arguments, le décor, la mise en scène, les actions directes ou à distance exercées sur

les cognitions et les émotions de ceux qui les ont représentés dans les phases d’études de

marché, les tests et les campagnes publicitaires seront-ils reconnus par la masse silencieuse

qu’ils sont censés traduire ? La mobilisation exige tout à la fois de pouvoir compter sur ses

alliés – humains et non-humains – mais aussi de pouvoir les compter. Les travaux

d’anthropologie et de sociologie économique ont largement souligné le travail de

commensurabilité, de mise en comparaison et d’interchangeabilité des objets et des situations

qui signe la singularité des relations marchandes et participe simultanément à leur unification

(Mallard, 2000 ; Dubuisson-Quellier, 2004). Pour rassembler ces alliés, des conversions et des

inscriptions seront nécessaires pour les représenter. Des consommateurs sondés se

transformeront en taille probable de segments-cibles. Des milliers de ménages acheteurs

seront exprimés en volumes de ventes, en chiffres d’affaires et en parts de marché. Des

résultats financiers seront retraduits en cours de bourse et convertis sous forme de nouvelles

activités. Autant de « représentations objectivantes » permettant la décision et l’action des

entreprises (Barrey et al., 2000).

Au-delà du système d’alliances qu’elle constitue, cette concentration d’acteurs mis en

équivalence a une réalité bien physique, matérialisée par une série de déplacements tangibles :

les consommateurs sont allés dans les points de vente ; ils se sont connectés sur des sites ; de

nouvelles gammes de produits ont été crées ; de nouveaux magasins se sont ouverts ; de

nouveaux actionnaires ont été convaincus. Par une longue chaîne de traductions, le

déplacement des caddies dans les supermarchés entraîne celui de nouveaux alliés, banquiers

ou investisseurs. Mais pour en arriver là, des informaticiens ingénieux auront par exemple

aligné une suite binaire de zéros et de 1 pour produire un langage de programmation capable

de lier ensemble des constructeurs d’ordinateurs, des utilisateurs novices, des éditeurs de

logiciels, des développeurs de périphériques, et créer en moins de quarante ans l’une des

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premières capitalisations boursières de la planète et la plus grande fortune individuelle du

monde. Ces « associologies » d’acteurs sont de telles réussites qu’elles relèguent parfois dans

l’ombre les résistances qu’elles ont fait naître. Que pèsent face à Microsoft les quelques porte-

parole militants1 et poignées de consommateurs, même rangés en ordre de bataille derrière

leurs organismes de défense, réclamant le remboursement par l’assembleur du système

d’exploitation Windows dont ils refusent le contrat d'installation ? Qui a médiatisé, hormis les

intéressés eux-mêmes, les constitutions de plaintes portées par l’UFC Que Choisir depuis

2006 contre des distributeurs, au motif que ces pratiques représentent de la vente liée ? Et

combien sont, au fond, les acheteurs d’ordinateurs personnels qui réclament à la caisse que

leur système d’exploitation leur soit retiré et remboursé ? Que faut-il, finalement au fond,

pour qu’on puisse parler de résistance et qu’on parvienne à rendre compte, symétriquement,

de leurs refus de se laisser problématiser, intéresser, enrôler et mobiliser ?

3. De la traduction marchande à sa disqualification : la question de la résistance

Une traduction marchande réussie se manifeste par le fait que des consommateurs

achètent des produits et des marques, fréquentent des circuits de distribution, adhèrent à des

programmes de fidélisation et à des messages qui leur sont adressés, en bref souscrivent à la

production d’une figure objectivée d’eux-mêmes et aux dispositifs calculatoires qui

l’accompagnent. Certes, tous ne le feront pas, ni d’une façon globale, ni de manière uniforme

vis-à-vis de l’ensemble des biens et services qui leur sont présentés. Mais au moins une part

significative d’entre eux se reconnaîtra dans un éventail d’objets, de symboles et de discours

et, à défaut de s’identifier très étroitement à leurs possessions matérielles, en rempliront leurs

caddies et leurs espaces de vie. Qu’est-ce alors que résister ? Et pour ne pas ajouter à la

réification si facile du concept, comment donner substance à un phénomène que le marketing

gagne par nécessité, non pas tant à ignorer, qu’à faire taire ?

Débusquer la résistance suppose de revenir sur les mécanismes – et pas seulement les

motifs ou les sujets – autour desquels naissent les controverses, et d’imaginer pourquoi les

traductions ne sont pas pleinement réussies, pourquoi les produits, les discours et les

arguments marchands ne sont pas nécessairement perçus, en fin de compte, comme des

« allants de soi ». En suivant les quatre opérations examinées plus haut, nous interrogeons de

manière symétrique sur quoi reposent leurs échecs : les motifs de résistances à la

1 L'Association des Utilisateurs Francophones de Linux et des Logiciels Libres (AFUL) et la Free Software Foundation France.

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problématisation marchande, l’inefficacité des dispositifs socio-techniques déployés pour

attirer et retenir les clients, leurs dénonciations des discours de définition d’eux-mêmes par

lesquels on tente de stabiliser leurs comportements et la difficulté de les saisir et de les

représenter.

3.1 Résister à la problématisation marchande

Lorsque l’entreprise se fait distancer par ses concurrents, lorsqu’elle ne propose plus une

offre adéquate, lorsqu’elle déçoit les attentes de ses clients, elle se retrouve trahie en retour

par une proportion significative d’entre eux qui se dérobent aux arguments de l’intéressement

déployés pour les retenir. Il n’y a là rien de bien nouveau, en apparence, au chapitre de la

concurrence ou de l’analyse stratégique dont le marketing tire et expose les enseignements

dans tout bon manuel de base. La concurrence est une contrainte fondamentale des relations

marchandes qui impose, pour agir à distance sur ses cibles, de poursuivre constamment un

travail hautement technicisé d’analyse, de déployer d’innombrables instruments de mesure et

dispositifs d’action, et mobiliser des gens qualifiés (Law, 1986). La désertion, après tout, ne

fait que signer l’échec temporaire, et au pire définitif, d’une erreur de lecture stratégique,

l’emploi maladroit de tactiques ou le défaut de moyens. Exit les mauvais traducteurs auprès

desquels le consommateur, lassé de s’exprimer (voice) ou dépris de loyauté (loyalty),

manifeste sa défection (Hirschman, 1970).

Pourtant, les raisons pour lesquelles le marketing ne parvient plus à faire de la firme le

point de passage obligé semblent dépasser aujourd’hui la portée de l’avertissement

d’Hirschman quant aux seuls risques de déplacement des consommateurs d’une firme à une

autre. Les problématisations conventionnelles portées par le marketing – acheter, s’équiper,

consommer, vivre des expériences – aboutissent pour une certaine fraction d’entre eux à un

non-sens, c'est-à-dire dans sa double acception, à des significations dans lesquelles ils ne se

reconnaissent pas, et à une direction qui s’écarte de leurs aspirations. Les moyens

argumentatifs utilitaires classiques comme la fonctionnalité, la performance et l’intérêt, ou

l’exploitation de mobiles hédonistes comme la passion, l’appartenance ou l’authenticité, ne

suffisent plus à contrôler leur trajectoire de manière certaine, ni systématique. Même

l’appropriation, l’empowerment ou la personnalisation, dont on a pu penser avec le temps

qu’ils interpelleraient de manière complice un consommateur réfractaire au marketing de

masse et équipé en moyens d’expression, ne parviennent pas à distraire ses questionnements

et désamorcer ses critiques. Nombreuses sont les formes de résistance individuelles ou

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collectives qui manifestent, à des degrés de mobilisation et d’institutionnalisation variables,

des préoccupations économiques, sociales et environnementales des consommateurs

(Dubuisson-Quellier, 2009). L’incorporation d’une figure du rebelle ne prémunit pas non plus

certaines firmes de retournements brutaux et de dénonciations sévères. Ainsi lorsque Jonah

Peretti, étudiant au MIT, propage sur Internet le refus de Nike d’inscrire le mot

« sweatshop »1 sur une paire de chaussures commandée en ligne, il se saisit à dessein des

dispositifs de personnalisation proposés par la marque pour en stigmatiser les mauvaises

pratiques sociales et le non-respect du droit du travail (Holt, 2002 ; Peretti, 2003). Le

positionnement de consumérisme militant qu’adopte Leclerc dans sa communication en ayant

proposé de tagger ses propres affiches publicitaires2 ne lui a pas épargné non plus la parodie

des slogans soixante-huitards par lesquels il pensait s’ériger en porte-parole d’un

consommateur contestataire (Sitz, 2007).

L’absence de pertinence des problématisations conventionnelles ouvre par ailleurs un

nouveau marché de discours. La concurrence qui s’y exerce engage de nouveaux objets, de

nouveaux centres d’intérêt et de nouveaux acteurs parmi lesquels des collectifs militants, des

organisations de défense du consommateur, des syndicats, des ONG et de nouveaux

mouvements sociaux (Argenti, 2004 ; Dubuisson-Quellier, 2009). Il y a, de fait, dans la

rencontre de l’offre et de la demande plus d’espace que celui qu’occupent ensemble des

firmes rivales face à des consommateurs atomisés d’autre part. Ou pour filer plus loin la

métaphore informatique, la fragmentation du monde décrite par les travaux postmodernes

produit de multiples interstices dans lesquels s’engouffrent d’autres traducteurs – y compris

les consommateurs eux-mêmes – en mobilisant des sources d’information, des points de

comparaison, des lieux d’expression, des voies de circulation, des trajectoires de déplacement,

en résumé d’autres modalités d’échange qui concurrencent et disqualifient pour partie les

problématisations conventionnelles ou les obligent à s’amender (Argenti, 2004). Ainsi un

« consommateur responsable » ne trouve pas plus de pertinence dans les arguments de la

marque de lingette A que dans ceux de la marque B, mais il s’interroge sur la prolifération de

produits superflus, générateurs de déchets ou de bactéries résistantes à laquelle le sensibilisent

une association écologique ou un support de presse consumériste (Mallard, 2000 ; Dubuisson-

Quellier, 2009). Un consommateur d’occasion ne discute pas tant des caractéristiques des

enseignes de distribution pour ses courses alimentaires, que du fait qu’il les trouve

1 Atelier clandestin 2 Ces affiches ont été refusées par la RATP au motif qu’il est délicat de valoriser le barbouillage publicitaire d’un côté et de faire condamner les mouvements anti-publicitaires pour les mêmes motifs de l’autre.

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infréquentables quand il s’agit d’égayer ses dimanches ou d’acquérir certains produits

anciens, uniques ou fortement décotés (Roux, 2004). Les adeptes de la simplicité volontaire

(Dobscha et Ozanne, 2001), les participants au festival Burning Man1 (Kozinets, 2002), au

réseau Napster (Giesler, 2006) ou au mouvement Bookcrossing2 (Dalli et Corciolani, 2008) ne

sont pas en guerre contre une firme, une marque, une major de l’industrie musicale ou une

entreprise d’édition plutôt qu’une autre, mais contre un système d’offre qui ne traduit pas

leurs attentes. Telles les coquilles Saint-Jacques que les courants emportent3 (Callon, 1986),

ils fuient vers d’autres alternatives d’approvisionnement, pour d’autres lieux et dans d’autres

réseaux d’échanges. Donner, troquer, recycler, faire tourner, partager, consommer sans

acheter sont aujourd’hui des intérêts particulièrement mal pris en compte par le marché

conventionnel, trop longtemps habitué à cylindrer des transactions dyadiques exclusivement

réglées par une logique marchande.

Les firmes partagent ensemble un même objectif et une vision commune : celui

« d’engager le consommateur dans l’acte marchand » (Mallard, 2000). Elles fabriquent et

façonnent des situations de choix, mais dans le seul univers cadré de cet espace d’échange. Si

le consommateur est « engagé », c’est uniquement par rapport à ce contexte et à ces

processus. D’autres acteurs, comme les associations qui le défendent, travaillent parallèlement

à la problématisation d’une autre figure possible du consommateur. Ainsi Mallard (2000)

présente-t-il tout le travail de la presse consumériste comme consistant à se placer en porte-

parole d’un consommateur que l’on souhaite « désengagé de l’infrastructure marchande ».

Même si les essais comparatifs ne s’écartent pas fondamentalement des principes de

qualification de l’offre couramment mis en œuvre par les firmes à travers des instruments

similaires, cette représentation est adossée à la figure d’un consommateur que l’on veut

« distancié » du marché. Cette analyse redéfinit la position spécifique que la presse

consumériste entend occuper comme prescripteur alternatif par rapport aux professionnels du

marché.

1 L’événement rassemble pendant quelques jours aux Etats-Unis dans le désert du Névada des milliers de participants qui viennent y vivre une expérience communautaire basée sur le don, l’échange et l’expression de soi, et qui s’engagent à proscrire toute pratique commerciale (sous la forme de vente d’objets) et même toute référence à des activités marchandes (interdiction d’arborer ou de promouvoir des marques). 2 Le mouvement Bookcrossing repose sur le principe d’une circulation et d’un partage de commentaires de livres mis à disposition d’autrui sans contrepartie marchande (don, abandon dans un lieu public) et commentés à nouveau par d’autres lecteurs. 3 C’est à partir de l’exemple du repeuplement des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc que Michel Callon (1986) a exposé les éléments fondateurs de la sociologie de la traduction. Dans cette étude de cas, les étoiles de mer sont détournées par les courants des dispositifs d’attachement destinés à les fixer pour assurer leur reproduction.

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La problématisation de nouvelles figures qui rompent avec celle du consommateur ou de

l’acheteur émerge à l’aune des controverses – les Organismes Génétiquement Modifiés,

l’obésité, les ondes électromagnétiques, le trou de la couche d’ozone, etc. – ouvertes par la

société du risque. Ces nouveaux enjeux sont d’autant plus palpables que la pluralité des

figures du client n’est plus totalement internalisée dans le jeu classique de la concurrence

entre firmes, marques ou produits, mais saisie également par d’autres acteurs. Comme le

montre Argenti (2004), des Organisations Non Gouvernementales sont parvenues à mobiliser

la conscience d’un consommateur citoyen pour infléchir la politique de Starbucks en matière

de commerce équitable. Aujourd’hui d’autres figures – celle de l’enfant, de l’usager, du

parent ou du malade – sont prises en charge par des acteurs de la société civile qui participent

au dialogue collaboratif ou à la confrontation radicale avec les firmes. L’organisation de

collectifs d’un autre ordre représentationnel que celui du marché et la prolifération de

structures circulaires et parallèles d’échanges aux circuits classiques – AMAP1, marchés

d’occasion, systèmes d’échanges locaux – dévoile la multiplicité des réalités coexistantes

(Kjellberg et Helgesson, 2006). Les traductions alternatives dont s’emparent ces multitudes

d’intervenants pointent des axiologies trop largement ignorées par les acteurs conventionnels

au profit d’une figure réifiée et omniprésente du consommateur. La résistance fait ainsi le lit

de l’ouverture d’un marché de figures – sociales, politiques, biologiques, écologiques et

humaines – et émerge comme un artefact construit par les multiples mouvements qui la

portent et lui donnent consistance.

3.2. Résister à l’intéressement et aux dispositifs

La somme de discours déployés pour dire aux consommateurs la volonté de les satisfaire,

aussi convaincante soit-elle, ne suffit pas à les enrôler durablement. Les arrimer à la firme

nécessite de rallier d’autres forces – des objets aux dispositifs – dont l’efficacité est d’autant

plus patente qu’elle opacifie leur compréhension des mécanismes qui les attachent, au sens

physique comme affectif. Timeo danaos et dona ferentes : le déploiement de différents

assemblages socio-techniques résonne comme le funeste adage2. Il confirme que les discours

réussissent à masquer ce que les produits, les services, les programmes relationnels, les

agencements de magasin et leurs équipements sensoriels parviennent plus sûrement à

1 Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne 2 « Je crains les Grecs, même quand ils apportent des cadeaux » comme le prédit Laocoon aux Troyens, peu avant qu’ils soient trompés par la ruse d’Ulysse et assiégés par son armée dissimulée dans les flancs du cheval introduit dans la ville.

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créer, en liant les individus à la firme par des objets et des dispositifs, et en les dissociant

d’autres acteurs qui les menacent. L’attention du consommateur gagne donc à être orientée

par ce qui lui est dit, pour que les dispositifs d’intéressement (cartes de fidélité, actions

promotionnelles, offres d’essai), de jugement (tests, guides, classements, avis de

consommateur, témoignages d’experts) ou de promesse (garanties, normes, arguments

publicitaires) le détournent d’un regard trop appuyé sur ce qu’ils lui font faire (Cochoy,

2004). Si les discours publicitaires sont classiquement pointés comme objets de critiques,

Fontaine (2009) illustre en revanche une moindre résistance à des moyens de communication

plus sophistiqués que sont les placements de marques dans les films. L’incorporation plus

subtile de ces dispositifs dans des contextes qui les dissimulent évite leur repérage et les

résistances qu’il entraîne. La plupart des consommateurs peuvent ainsi posséder en moyenne

plusieurs cartes de fidélité dans leur portefeuille, en ignorant la capitalisation des informations

recueillies sur leurs comportements et l’usage qu’en font les entreprises en préparation de

nouvelles actions pour mieux les retenir (Barrey, 2004). Ils ont aussi tout intérêt à

méconnaître la lourdeur des négociations qui se sont nouées entre distributeurs et producteurs

pour aboutir à leur offrir une gamme infiniment large de biscuits ou boissons gazeuses

(Azimont et Araujo, 2007), mais une variété limitée de pêches dont l’indice de dureté est

compatible avec les contraintes de stockage et de gestion des flux du distributeur (Dubuisson,

Navarrete et Pluvinage, 2006). Ils peuvent enfin ignorer que leurs choix sont le résultat

d’opérations complexes dans lesquelles les ressources qu’ils mettent en jeu sont non

seulement cadrées par leurs dispositions (Arnould, 2007), mais aussi distribuées sur des

dispositifs cognitifs situés qui leur fournissent autant de « points d’appui pour décider »

(Dubuisson-Quellier, 2004).

L’étude de Trompette (2005) sur le marché des pompes funèbres illustre ainsi la manière

dont les chambres funéraires sont parvenues à organiser une captation subreptice du marché

en trois temps : « suivre » leurs clients du domicile familial à l’hôpital, en fonction des

évolutions du rapport à la maladie et à la mort ; adosser leurs chambres funéraires aux portes

des hôpitaux dont elles ont permis de pallier les difficultés de financement des morgues ;

proposer une offre de services packagée aux familles venues visiter leur défunt. Le dispositif

socio-technique soigneusement verrouillé et des conditions situationnelles exceptionnelles –

un achat impliquant, un contexte d’urgence, et une profonde désinformation du client peu

enclin à comparer les offres à l’avance, et moins encore, compte tenu du sujet, au moment

crucial de son choix – contribuent conjointement à inhiber la résistance du consommateur

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endeuillé. De fait, les « associologies » (Latour, 1990) qui tiennent les plus solidement les

consommateurs à la firme ne sont pas toujours, de loin, les plus repérables.

Cependant, à l’encontre de cet exemple édifiant, des éléments éclairent aujourd’hui les

raisons pour lesquelles les dispositifs ne jouent plus aussi efficacement. Tout d’abord, tous ne

sont pas intéressants, au sens où ils ne parviennent pas à éveiller la curiosité du chaland et à le

faire entrer dans une (bonne) affaire, comme le montre par exemple la perception mitigée,

sinon dégradée des dispositifs de fidélisation et des gratifications qu’ils proposent (El Euch

Maalej et Roux, 2008). Ensuite, le caractère pléthorique, mimétique et redondant de certains

dispositifs de qualification des produits comme les labels, les normes, les appellations, les

certifications conduit à alourdir le travail cognitif du consommateur, au point que l’effort,

même louable, des offreurs pour mieux équiper son jugement peut se révéler globalement

contre-productif (Chessel et Cochoy, 2004). Ainsi, parce qu’elle favorise l’accroissement de

leurs compétences, Dubuisson-Quellier (2004) soutient même que la prolifération de ces

dispositifs contribue à organiser la volatilité des consommateurs en rendant les situations plus

aisément décidables, leurs décisions temporaires et leurs choix plus facilement réversibles.

Enfin, les dispositifs ont aussi le pouvoir, intrinsèquement, d’indisposer les

consommateurs lorsqu’ils les repèrent, en raison des limitations de leurs libertés dont ils les

accusent et de l’interprétation des intentions marchandes qu’ils leur prêtent. Ainsi les

réactions aux démarches de télévente créent non seulement des résistances fortes à l’encontre

de la technique elle-même, mais entraînent potentiellement des effets délétères, par effet de

halo, sur d’autres éléments comme la marque, les produits et services ou l’entreprise toute

entière (Roux, 2008).

Les débats sur l’usage des puces RFID1 qui ont valu à Benetton un boycott récent ou les

faux blogs qui ont pointé l’indélicatesse de certaines marques2 montrent également la

prudence qu’impose la réappropriation, par le consommateur, d’outils de viralisation de ses

informations. De fait, les savoirs et savoir-faire que nourrissent des frottements de plus en

plus intenses aux dispositifs marketing, le conduisent à en (re)connaître les ficelles et à en

user à son profit pour faire son marché sur le dos, ou dans le dos des firmes. C’est ainsi

qu’Odou, Djelassi et Belvaux (2008) dépeignent des consommateurs devenus experts dans la

1 Radio Frequency Identification. Les puces RFID sont des « radio-étiquettes » qui peuvent être incorporées dans des objets, des produits ou des organismes vivants pour les tracer, en répondant à des requêtes radio émises depuis un émetteur-récepteur. 2 Vichy fut sans doute l’exemple le plus médiatisé avec « le Journal de ma peau » crée non par une Internaute, mais une responsable marketing de la marque. D’autres dénonciations de « faux blogs » par une blogosphère vigilante - MacDo, Nissan - ont eu lieu à la suite.

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traque des offres de remboursement1 et lourdement équipés en logiciels, systèmes de

comptabilité de leurs gains et sites d’échange sur Internet. On peut aussi compter aujourd’hui

en centaines de milliers le nombre de pages qui proposent des « bons plans », des bonnes

affaires, des stratagèmes pour éviter de payer le prix de l’intéressement prévu par les firmes.

Des logiciels libres (Hemetsberger, 2006) aux astuces de réemploi des produits – cartouches

d’imprimante, remplissage artisanal des capsules Nespresso2 –, les consommateurs

contournent les barrières à l’entrée et déjouent les dispositifs, aussi inventifs et astucieux

soient-ils.

Par ailleurs, la moralisation de leurs comportements au nom de la préservation de certains

intérêts crée de nouvelles oppositions. Ainsi, les individus ne se sentent-ils pas vraiment

mobilisés par les discours culpabilisants sur le fait que le téléchargement appauvrit les artistes

et la production musicale. L’effort d’internalisation morale d’une loi économique – ne pas

pénaliser l’offreur –, qui plus est doublé par des dispositifs de pénalisation prévue par la loi

Hadopi, se heurte à la résistance des consommateurs. De fait, le téléchargeur que l’on présente

aujourd’hui comme un délinquant, s’est déjà échappé. Il s’est fait enrôlé par d’autres réseaux,

plus proches et plus personnels, et laissé intéresser par d’autres Internautes qui propagent les

multiples moyens de contourner le dispositif de surveillance prévu par la loi : usage des

logiciels de téléchargement, recours au streaming, consultation de sites gratuits d’écoute ou

de stockage en ligne, cryptage des données qui empêchent l’identification de l’Internaute ou

modalités de neutralisation du logiciel espion. De fait, la figure de ce qui a été décrit comme

un client-amateur face à celle d’un vendeur spécialisé (Cochoy, 2002) évolue dans le sens

d’une professionnalisation accrue du premier, aidé ou équipés par d’autres – la presse, les

médias, le législateur et d’autres consommateurs –, au détriment de l’impuissance du second à

rendre ses chevaux de Troie furtifs et invincibles.

3.3. Résister à la construction d’une figure du consommateur

Toute une partie du champ du marketing management se déroule en vase clos : celui des

acteurs de la mise en marché. Du designer au publicitaire en passant par les consultants, les

sociétés d’études de marché, le packager et le merchandiser (Barrey et al., 2000), de

multiples intermédiaires participent à la définition et à la présentation de l’offre. Ce monde 1 Pour lesquels le terme « odériste » a même été forgé. 2 C’est ce que propose le site homepresso.fr en expliquant aux possesseurs de machines comment recycler leurs capsules et combinant du même coup trois avantages négligés par la marque : réduire le prix des consommables, réduire le gaspillage lié à l’usage unique des consommables et augmenter doublement le sentiment d’intelligence du bricoleur qui s’arrange avec les moyens du bord.

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clos fonctionne théoriquement avec des représentations partagées que praticiens et

académiques s’efforcent de délimiter, de raffiner, de stabiliser (Cochoy, 1999), et d’organiser

autour d’une idéologie commune sur le fonctionnement du système et le rôle que le marketing

est appelé à y jouer (Marion, 2004). L’un de ces rôles inclut implicitement l’ensemble des

réflexions, des techniques et des pratiques que le marketing convient d’utiliser pour contrôler,

maîtriser et déstabiliser le cas échéant les critiques adressées au capitalisme (Boltanski et

Chiapello, 1999 ; Rémy, 2008). En internalisant ces critiques, les marketers travaillent à la

survie et à l’évolution du système marchand dans sa globalité.

Le recyclage des protestations est en soi une activité marketing. Son but est de retraduire

en réponses lucratives les inquiétudes ou mécontentements d’une demande solvable. N’y a t-il

pas au fond, comme le prétend Holt (2002), de meilleure énergie de renouvellement créatif

que celle qui provient des mouvements de contestation des consommateurs ? L’histoire

récente du commerce montre par exemple que la grande distribution, si critiquée aujourd’hui

dans son modèle de rationalité gestionnaire et ses effets d’uniformisation, s’est pourtant

développée en problématisant la construction d’un consommateur affranchi, débarrassé de

l’omniprésence du boutiquier et livré à la liberté de manipuler une profusion de produits

(Grandclément, 2008). Et Dubuisson-Quellier (2009) ajoute que l’histoire de ses mouvements

d’expression ne peut se lire indépendamment des conditions économiques, sociales,

culturelles et institutionnelles qui ont pesé, selon les pays et selon les périodes, dans le sens de

son enrôlement progressif dans la consommation. La résistance, et en particulier la

concurrence que posent des systèmes rivaux plus aptes à les traduire, a tout intérêt à être

internalisée en premier lieu par les acteurs du marché eux-mêmes. Dans tous les cas, le

consommateur gagne à rester ce qu’il est : un acteur de l’échange qui n’échappe pas au

marché (Arnould, 2007 ; Kozinets, 2002).

Pourtant, si ce monde des acteurs de l’intermédiation marchande partage une même

idéologie sur le consommateur, le travail de représentation et de sélection de la cible est un

processus délicat au cours duquel interviennent de multiples parties prenantes. Elles

infléchissent, amendent et dévient constamment la définition de la figure du consommateur et

ses ajustements à l’offre. Le développement du produit constitue une longue trajectoire dans

laquelle chacun des intermédiaires joue comme un médiateur qui adapte et réajuste

l’adéquation de l’un et de l’autre. Dans cette série de confrontations toujours provisoires

autour de conventions continuellement renégociées (Azimont et Araujo, 2007), la figure du

consommateur se révèle être l’objet de conflits potentiels autour des représentations que

chacun s’en fait. Comme l’ont montré Barrey et al. (2000) en s’appliquant à donner une

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compréhension longitudinale de la mise en marché, chaque médiateur – le designer, le

packager et le merchandiser – est porteur d’une figure particulière et sensiblement différente

du client. Chacun de ces « professionnels du marché » prend place dans les diverses

séquences du développement du produit et le « requalifie » tour à tour pour le public visé. En

prenant pour exemple les réunions de définition des assortiments entre producteurs et

distributeurs, Azimont et Araujo (2007) dévoilent dans ces moments d’épreuve le contenu

des représentations du consommateur qui servent de base, via la problématisation de ses

attentes, au déploiement de la stratégie d’offre des producteurs. Dans le même esprit,

Grandclément (2008) montre que les distributeurs reprennent, remédient et corrigent en

permanence les ajustements produit-consommateur qui leur sont donnés en charge par les

fabricants. Hennion et Méadel (1997) montrent enfin que l’intervention des publicitaires ne

consiste pas en bout de course à « ajouter une couche » de séduction sur les produits, mais

que le travail de ces « ouvriers du désir » demande au contraire un engagement actif dans la

définition de l’objet. Finalement, « l’intermédiaire qui a la dernière main » est aussi « celui

qui a le dernier mot sur le positionnement du produit » (Grandclément, 2008).

Ce n’est donc pas un hasard si la notion même de marché et celle de consommateur sont

multiples. Si, comme le rappellent la plupart des manuels, il n’y a pas un marché mais des

marchés ou des points de vue contradictoires sur le marché (Kjellberg et Helgesson, 2006), la

proposition symétrique suppose de dire qu’il n’y a pas non plus un consommateur mais des

figures variables du consommateur mobilisées du côté de l’offre par des porte-parole

différents. A l’extrême, il n’y a pas de marché, ni de consommateur, mais « de multiples

intermédiaires dont l’intervention incrémente une série d’épreuves ou de confrontations

mutuelles entre des figures de mieux en mieux déliées du produit et du consommateur »

(Grandclément, 2007, p. 17). Dans ce cadre, la résistance du consommateur peut se concevoir

comme le résidu spontané de cette confrontation. En instrumentalisant chacun une figure

particulière pour se positionner dans le jeu, les acteurs de l’offre produisent eux-mêmes le

degré de fragmentation qu’ils semblent parfois collectivement déplorer. Dans un marché

instable de représentations (Ohl, 2002), la résistance manifesterait ainsi, pour le

consommateur, non pas tant le fait d’échapper à un effort de contrôle, que l’éclatement naturel

et inévitable de la bulle de représentations qui tentent de le circonscrire et de l’emprisonner.

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3.4. Les résistances à la mobilisation du consommateur

Le constat précédent pose de manière corrélative le problème de la mobilisation des

consommateurs, c'est-à-dire des moyens par lesquels le marketing parvient à les transporter, à

les convertir sous formes d’inscriptions qui les représentent. Si le choix des bons porte-parole

est un problème crucial, le problème de leur mesure et des outils utilisés en est un autre. Le

marketing est non seulement une pratique d’organisation des échanges mais aussi une

pratique représentationnelle (Kjellberg et Helgesson, 2006) et le consommateur une

information, ce qui montre combien toute information est une transformation ou une

traduction. Mobiliser suppose de créer des inscriptions lisibles, présentables, et indéformables

que le marketer déplace en lieu et place des consommateurs lorsqu’il parle en leur nom. Leur

résistance souligne qu’ils ne se laissent pas aisément réduire aux inscriptions censées les

traduire, et ceci pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, en s’appuyant sur des représentations construites de ses cibles, le marketing

risque de construire des objets, des offres, des réponses dont les perceptions sont ensuite

reflétées en miroir par les outils ex post qu’il utilise. Ceci pointe la potentielle dimension

tautologique, circulaire et récursive des études de marché, qui aboutissent à la (re)découverte

d’une série de figures que les outils participent à produire (Dubuisson-Quellier, 2004).

En second lieu, certains mobiles gagnent en consensus ce qu’ils perdent en qualité de

représentation. C’est par exemple ce qu’illustre Denis (2008) à travers une étude des formes

de définition des consommateurs dans les activités de création, par les chaînes de télévision,

de bandes-annonces d’auto-promotion de leurs émissions. Il montre que la figure du public

comme masse segmentable, qualifiable, calculable et objectivée a priori, ne fait pas débat et

établit au contraire un consensus et des conventions partagées autour de mesures de profils

d’audiences. Elle organise a minima les interactions des professionnels engagés dans les

activités de production télévisuelle. Des mesures et des règles figées sont autant de

« mobiles » permettant de déplacer facilement et sans déformation les consommateurs le long

du réseau – par exemple en translatant des cibles qualifiées du côté du concepteur de

programmes, en calcul d’un GRP actionnable du côté des acteurs du financement publicitaire.

Inversement, il souligne que la « figure de l’usager » analysée et construite par les études de

marché pose problème. Malgré sa richesse et son épaisseur compréhensive, elle n’est pas

« mobilisable » si aisément dans le processus de production. Elle fournit une représentation

complexe et instantanée d’une multiplicité de pratiques, d’attentes et de comportements

difficilement généralisables et exploitables par les professionnels. Il est ainsi plus facile, dans

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une négociation, de transporter des individus transformés en segments, en classes et en

profils, que leurs réactions qualitatives et leurs émotions à la réception d’un programme.

Pourtant, les difficultés de rendre compte des consommateurs ne se situent-elles pas

également dans le fait que même convertis en chiffres, ils se dérobent à la notion de segment

et que ce par quoi on les compte ne les représente pas totalement ou de façon partielle ? D’où

finalement, la mise en lumière d’une troisième forme de saisie du public dans le champ des

représentations : celle d’un spectateur incorporé correspondant à la situation où le concepteur

se met « à la place » du consommateur. Autrement dit, c’est ce consommateur incorporé dans

le médiateur marchand – en tant que client, aimerais-je acheter ce produit ? – qui a le dernier

mot.

En troisième lieu, de multiples exemples illustrent la difficulté, centrale en marketing, de

définition des outils. Rendre compte de la richesse des perceptions, des comportements et des

attentes des consommateurs s’avère souvent incompatible avec l’aplatissement des données

que suppose un déplacement simple, simplifié et donc plus aisément compréhensible de la

réalité. Certaines informations qui permettent de les représenter finissent ainsi par se

déformer. Ainsi, connaître son âge ne suffit plus à rendre compte de certains choix bien

appréhendés par une variable simple : il faut inventer de nouveaux mobiles et prendre en

compte, en complément, leur âge subjectif.

Enfin, au-delà des avancées que provoquent les raffinements conceptuels et métriques sur

les anciennes catégorisations sociales de nature biologique (âge, sexe) ou productive (revenu,

catégorie socio-professionnelle, niveau d’éducation), les problèmes de « mesure du

consommateur » ne touchent pas que les professionnels du marketing, mais l’ensemble des

acteurs impliqués dans la construction du marché. Ainsi, Azimont et Araujo (2007), font

valoir l’existence d’un second marché : celui de l’information et des études, des organismes

de normalisation, des experts oeuvrant dans des instances externes, et des fournisseurs de

technologies. Ici, la mobilisation du consommateur par le biais d’un arsenal d’inscriptions,

fussent-elles évolutives et perpétuellement raffinées, ne suffit pas à le déplacer tant que des

controverses subsistent sur un marché. Ainsi, lorsque ces auteurs analysent la manière dont se

construit l’assortiment d’un distributeur dans la catégorie des boissons non alcoolisées, ils

montrent que les problèmes de mesure du taux de sucre et l’absence de consensus dans la

définition d’une norme – qu’est qu’un taux de sucre ? De quel sucre parle-t-on ? Dans quelle

proportion doit-il être contenu pour lutter contre l’obésité ? – ralentissent le décollage du

marché. Si les controverses sur ces questions permettent aux offreurs de se positionner

tactiquement plus aisément dans un champ de discours non stabilisés, elles empêchent

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simultanément le ralliement massif des consommateurs à une mesure conventionnelle

indiscutable. Au regard de la résistance, cet exemple fournit deux enseignements : il montre

d’une part en quoi l'intéressement des consommateurs, même limité, peut être temporairement

réussi du fait qu’ils ne sont pas en position d'assister, en encore moins de participer à la

construction du marché qui se fait à partir d’eux, mais hors d’eux (Dubuisson-Quellier,

2009) ; il conduit d’autre part à comprendre que c’est paradoxalement un certain degré de

durcissement et de stabilité des faits – savoir précisément quel taux de quel sucre nuit à sa

santé – qui rend les dispositifs visibles et donc contestables. En d’autres termes, tant que le

consommateur ignore ce qui le rend malade, à quoi peut-il résister ? La résistance ne prend

sens que lorsqu’elle trouve matière à s’exercer, c'est-à-dire lorsque les mobiles atteignent eux-

mêmes un certain niveau de stabilisation et de rigidité qui rend possible leur questionnement.

Il n’est pas exclu de penser que les entreprises puissent avoir intérêt à maintenir un état de

controverse, bien que ce constat soit néanmoins à relativiser. Cette instabilité peut faire le jeu

de la mobilisation « résistante » campée derrière le principe de précaution et une

généralisation de la défiance vis-à-vis de certaines entreprises, comme l’illustre la controverse

sur les Organismes Génétiquement Modifiés. L’enrôlement d’une production scientifique

basée sur des mesures ne parvient ni à stabiliser les discours sur le risque, ni à réduire les

suspicions d’intérêts purement économiques attribués à Monsanto. Ces questions éclairent

peut-être sous un jour nouveau la difficulté de résistance des consommateurs dans des

situations de controverses récentes, où l’instabilité des réseaux et des faits empêchent de saisir

de manière concrète, les objets tangibles contre lesquels lutter.

Repenser la résistance à l’aune de la traduction

Revenant sur notre objectif introductif, nous avons cherché à dépasser la chaleur des

débats idéologiques qui enferment le pouvoir et la résistance dans une lecture binaire, pour

proposer une lecture alternative des formes de problématisation, d’intéressement,

d’enrôlement et de mobilisation des consommateurs. Cette lecture ouvre la possibilité de

penser la résistance dans d’autres directions que celles les plus souvent abordées, qui

s’intéressent aux modalités visibles et audibles contenues dans les discours, les causes et les

actions portées par des collectifs militants (Dubuisson-Quellier, 2009). Elle laisse entrevoir, à

l’échelon individuel, des formes d’échecs de la problématisation des attentes des

consommateurs qui ne trouvent pas de réponses satisfaisantes dans le fonctionnement actuel

du marché et s’organisent autour de défections, de formes alternatives d’échange ou

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d’enrôlement dans d’autres réseaux. Elle met au jour des résistances aux dispositifs et aux

dispositions sous-jacentes sur lesquelles ces dispositifs parient. Elle dévoile la fragmentation

des figures que l’on construit d’eux, qui ne se laissent pas si facilement inscrire, capter et

déplacer.

La recherche en comportement du consommateur – placée elle-même en position de

miroir et de mise en représentation de la pratique (Kjellberg et Helgesson, 2006 ; Cochoy,

1999) – contribue également à cette traduction. Elle participe à cette production d’inscriptions

par des chiffres, des tests, des modèles, des observations, des verbatims qui, dans des arènes

de discussion, peuvent être présentées en lieu et place des consommateurs. En traducteurs

directs des acteurs du marché – qu’il s’agisse des consommateurs ou des professionnels

marchands –, les chercheurs concourent donc aussi à ce travail de problématisation,

d’intéressement, d’enrôlement et de déplacement. Ils cherchent à garantir, sous couvert de

neutralité apparente, l’utilité économique et sociale et ce faisant la légitimité d’une science

performative, c’est à dire émergeant dans et à travers la pratique (Araujo, 2007).

Le champ des représentations où s’activent les chercheurs est tout autant que celui des

échanges un champ agonistique (Latour et Woolgar, 1979). Des dissidences apparaissent

autour des cautions scientifiques mobilisées pour rendre compte des réalités et de l’adéquation

des représentations à ces réalités. Elles questionnent simultanément l’axiologie du marketing

et sa finalité et certaines remettent en cause la quantification du consommateur comme

système central de représentation. Du paradigme expérientiel à la Consumer Culture Theory

(Arnould et Thompson, 2005), en passant par la Consumer Odyssey (Belk, Wallendorf et

Sherry, 1988), certains de ces courants tentent de retrouver le sujet sous le consommateur. Ils

proposent de le saisir non pas seulement comme un rôle, ou une inscription mobilisable, mais

comme un être agissant, doué de capacités interprétatives, d’une volonté de donner du sens à

ses actions (Arnould et Thompson, 2005), et dont on ne peut prédire, et encore moins

circonscrire le devenir.

Pourtant traduire, quelle qu’en soit l’auteur et l’intention, aboutit au paradoxe qui veut

qu’en problématisant, on enferme le sujet dans une représentation qui finit paradoxalement

par le trahir. Par un étrange jeu de miroir, ces mêmes recherches contribuent aussi à la

création d’un – « nouveau » – consommateur, du moins d’un autre consommateur. Un peu

comme Marx construit la classe ouvrière à partir d’un cadre théorique, l’expérience du

consommateur et sa dimension émotionnelle énoncées dans les cadres théoriques du début des

années 1980 sont autant un effet de réalité, qu’un effet d’observation. Pour le dire autrement,

en théorisant un consommateur à la recherche de ré-enchantement, on fabrique l’argument qui

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permet de le faire exister sur le marché. En le voyant fragmenté, on organise sa volatilité, en

le regardant tribal, on le communautarise. L’objectivité apparente dans laquelle s’enveloppe le

discours scientifique contribue à occulter le caractère potentiellement performatif de son

travail – dans la mesure où ses idées et théories transformeraient les pratiques – sans qu’il soit

aisé de le mettre en évidence (Robert-Demontrond, 2008). Ainsi, l’éthique du chercheur,

notamment sous l’angle de sa position et de son axiologie, doit être aussi symétriqument

questionnée (Gentric, 2005 ; Bergadaà, 2004). Elle commence incontestablement par une

posture résistante et réflexive sur sa propre démarche : celle à laquelle la sociologie de la

traduction le convie, en le réintroduisant dans le travail de problématisation des discours, et

non en extériorité par rapport à ceux-ci. Le chercheur en marketing ne peut se situer moins

qu’un autre dans l’interrogation sur le « je », dans le jeu qu’il participe à construire.

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