Chapitre 1 Du marketing à ses résistances : une analyse...
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Chapitre 1
Du marketing à ses résistances : une analyse par la sociologie
de la traduction
Dominique ROUX et Eric RÉMY
La machine marchera quand tous les gens
concernés seront convaincus.
Latour (1989)
Qu’est-ce qui fait la force du marketing ? La supériorité de mes produits et services,
répond le marketer. « Sa capacité à satisfaire les besoins et désirs au moyens de l’échange »
pour créer et capter de la valeur, proposent les théoriciens du marketing (Kotler et Armstrong,
2007, p. 25). Son pouvoir de manipulation, affirment ses détracteurs. Sa capacité de
récupération des oppositions et des contestations, concluent les tenants d’une « sociologie de
la critique » (Boltanski et Chiapello, 1999). En fin de compte, c’est bien souvent dans le
registre de la polémique, des invocations à charge ou à décharge de l’utilité ou des nuisances
qu’il entraîne que se joue depuis des décennies le sort du marketing (Marion, 2009). D’un
côté ses pourfendeurs d’inspiration marxienne, de l’Ecole de Francfort aux situationnistes,
l’accusent de maux qu’on prête généralement aux régimes conquérants, dominateurs et
ethnocentriques. L’hégémonie, l’impérialisme et la marchandisation du monde constitueraient
selon eux le cortège des trois Furies qui l’accompagnent. De l’autre, ses défenseurs de
sensibilité majoritairement libérale réaffirment avec constance qu’il n’y a de marketing mal
compris que mal mis en œuvre, et qu’au fond, ses préceptes sont non seulement utiles, mais
généralisables à tous domaines et à tous horizons. Ils ont donc promu l’idée que le marketing
gagne à étendre l’espace de ses interventions – notamment aux activités non marchandes – et
doit même pousser au bout, sur le plan temporel, la logique qui est la sienne. Avertissement à
l’adresse des managers négligents ou victimes d’une myopie progressive : le marketing doit
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anticiper aujourd’hui ce que le consommateur pourrait lui reprocher demain et préventivement
gérer les conséquences à long terme des désirs immédiats de ses cibles.
Mais si le débat s’enlise régulièrement dans les ornières de la critique et de sa récupération
(Boltanski et Chiapello, 1999), n’est-ce pas au fond parce que la question est ailleurs ?
Qu’est-ce qui fait la force du marketing sinon sa capacité à décourager, non pas les
dénonciations de ses détracteurs, ni les engagements pris pour leur répondre, mais les
volontés, ou parfois les velléités, de résistance des consommateurs à ses offres, ses techniques
et ses dispositifs ? Pour sortir de la circularité du débat sur le(s) pouvoir(s) du marketing et
des consommateurs, et montrer de quelles manières ils échappent dans la réalité aux efforts
faits pour les capter, nous proposons de mobiliser le cadre de la sociologie de la traduction.
Ainsi, nous faisons taire « le concert de la critique » (Marion, 2009) pour mieux « voir » ce
qui se joue en coulisses et sur la scène marchande. Comme en baissant le son du poste de
télévision, on remarque soudain les postures des acteurs que l’écoute des dialogues relègue au
second plan, nous proposons d’ignorer un instant les présupposés axiologiques sur lesquels ils
s’appuient pour légitimer leurs actions. Nous abandonnons provisoirement les irréconciliables
divisions portées par la critique et leurs référentiels de justification, pour nous intéresser
moins à une lecture de ce que l’on fait au consommateur qu’à une compréhension de ce que
certains acteurs font relativement ou par rapport à lui (Denis, 2008). Dans cette perspective,
nous substituons à ces dichotomies une autre analyse qui permet d’approcher la question
fondamentale posée aux marketers : « comment agir à distance » (Latour, 1990) sur des
cibles mobiles et orchestrer leur compréhension, sinon leur captation, par une mise en scène
« très respectueuse » de leur liberté (Cochoy, 2004, p. 16) ? En réinterrogeant le marketing
comme processus de traduction, nous jetons sur la résistance un éclairage qui s’affranchit de
ses argumentaires, et met au jour les trahisons – les dissidences (Callon, 1986) – qui
éprouvent perpétuellement la solidité (ou la fragilité) des réseaux qu’il cherche à construire.
1. Qu’est-ce que traduire ?
Initialement, la « sociologie de la traduction » (Latour et Woolgar, 1979 ; Callon, 1986 ;
Latour, 1989, 1990 ; Akrich et al., 2006) a été développée pour rendre compte de la manière
dont sont établis les faits scientifiques. Elle met en lumière qu’avant d’être considérés comme
incontestés, ceux-ci ont d’abord été l’objet de longs et multiples enjeux. L’activité
scientifique est ainsi constituée d’une suite d’opérations – des mesures, des classements, des
ordonnancements, des activités de production, des résultats (d’analyses, de rapports, de
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publications d’articles, etc.), qui visent à stabiliser des énoncés. L’objectif est que ces
affirmations, in fine, ne soient plus remises en cause, et passent du statut de controverses à
celui de faits. Dans ce but, les acteurs mobilisent des dispositifs qui, au bout du compte,
parviennent à occulter les processus par lesquels les situations ont été construites et les
controverses qui les ont précédées. Les énoncés qui paraissent « tenus pour acquis » à un
moment donné (Latour et Woolgar, 1979) ont donc en réalité été fabriqués, non pas par l’effet
de forces préexistant dans un champ, mais par le fait d’associations d’acteurs humains et
non–humains devenues irréversibles, cadenassées comme des « boîtes noires » (Latour et
Woolgar, 1979), au hasard de circonstances et d’incertitudes qui y auront aussi joué une large
part.
Hors du champ de la sociologie des sciences, la sociologie de la traduction permet de
penser les logiques d’actions, les réseaux d’acteurs et les jeux de pouvoir qui y ont trouvé de
nombreux points d’application dans le domaine de l’innovation, du changement, du
management et du marketing (Callon, 1986 ; Amblard et al., 1996 ; Barrey, 2004 ; Akrich et
al., 2006 ; Azimont et Araujo, 2007 ; Denis, 2008). Les opérations qui se jouent dans ces
différents domaines – scientifique, politique ou gestion d’entreprise (Latour, 1990) –,
engendrent des conflits et des luttes qui créent des lieux d’affrontement, ce que Latour et
Woolgar (1979, p. 251) nomment un « champ agonistique ». Certains acteurs problématisent
des situations et y déploient des stratégies pour en enrôler d’autres. Des humains mais aussi
des non-humains – objets et dispositifs – sont assemblés pour former des réseaux, des «
associologies » (Callon et Latour, 1981) engagées dans des opérations de persuasion
rhétorique (Laufer et Paradeise, 1982). Visant à rendre des énoncés crédibles et non
questionnables, ces opérations procèdent par traduction, c’est à dire métaphoriquement et
physiquement par un double déplacement des acteurs et du sens. Selon la définition de Latour
(1989, p. 284), parler de traduction signifie « à la fois que l’on propose de nouvelles
interprétations et que l’on déplace des ensembles ». Plus explicitement encore, les formes par
lesquelles la traduction opère, permettent de mettre au jour « l’ensemble des négociations, des
intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou une
force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre acteur ou
d’une autre force » (Callon et Latour, 1981, p.12). Traduire, à la différence d’une conception
foucaldienne du pouvoir, consiste moins à agir sur les actions des autres en contrôlant leurs
mouvements (Foucault, 1982), qu’à définir leur problème, porter leur projet, parler en leur
nom et s’autoriser à dire « nous » pour les représenter.
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2. Faire du marketing, c’est traduire et construire des réseaux
Le marché relève sans conteste de l’agonistique et d’espaces de frictions où des
compétiteurs s’affrontent autour de ressources rares. L’histoire du marketing retracée par
Cochoy (1999) illustre à loisir la tonalité martiale de l’environnement économico-industriel
dans lequel il prend forme à la fin du XIXème siècle. La croissance des firmes opacifie
progressivement leur connaissance fine, directe et humaine du client, que maîtrisait
auparavant le commerçant, le boutiquier ou l’entrepreneur. La guerre de territoire qu’elles se
livrent s’intensifiant avec leur nombre, les firmes s’emploient de plus en plus techniquement à
découper le marché, à le différencier, le segmenter, le représenter, le saisir, l’organiser, en
bref à le domestiquer pour s’en approprier des parts définies, isolables et maîtrisables. Ce
savoir-faire gestionnaire permet ainsi de résoudre une des contradictions de l’économie
libérale, où la concentration progressive du marché semble démentir le principe de libre
concurrence. Le concept de segmentation autorise en effet la coexistence des firmes qui
prétendent pouvoir le dominer entièrement, avec celles qui ancrées dans des niches, ne sont
pas de taille à le servir dans sa totalité. C’est donc autour et en appui d’une définition de ses
cibles que le marketing fonde sa légitimité et trouve les moyens d’organiser la production de
l’offre.
Cependant, il faut concevoir le marketing comme une activité institutionnellement et
spatialement distribuée sur une série d’acteurs et de dispositifs. La construction de l’offre ne
repose pas en effet sur une représentation unique des consommateurs, mais sur de multiples
interprétations qui diffèrent selon les professionnels concernés à différentes étapes de
définition du produit, de communication ou de mise en marché. Elle mobilise des techniques
par lesquelles ces acteurs s’emploient à l’observer, à l’interroger et à le définir. Le marketing
apparaît ainsi comme une suite d’activités performatives par lesquelles ces acteurs s’engagent
dans la production des phénomènes qu’ils décrivent. Des produits, des marques, des discours
sont ainsi destinés à concrétiser ces représentations en pratiques, et malgré la distance, à
attacher concrètement les consommateurs par une multiplicité de liens portés par des systèmes
socio-techniques de moins en moins questionnés (Cochoy, 1999).
Agir à distance sur des sujets libres suppose ainsi un double pari : d’une part compter sur
les dispositions que l’on prête aux individus et déployer d’autre part les assemblages les plus
légers, mais aussi les plus solides possibles pour « dévier leur trajectoire, les soustraire à
l’espace extérieur, les placer sous contrôle » (Cochoy, 2004). En un mot, il s’agit de traduire,
au double sens de comprendre (les besoins et attentes du consommateur) et d’exprimer (sous
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la forme de produits, services, symboles, promesses et avantages) ce qui permettra de les
(é)mouvoir. La traduction est un travail de réduction des fossés existants entre des acteurs
dont les expressions et les buts diffèrent. Ce travail est réussi lorsqu’il parvient à leur faire des
détours subreptices en liant des énoncés et des enjeux a priori sans communes mesures. Si
« vos intérêts sont les nôtres » (Callon et Latour, 1981, p. 13), ou que « je veux ce que vous
voulez » (Latour, 1989, p. 261), alors il est possible de mettre en équivalence une série
d’énoncés implicites : « parce que vous le valez bien »... mes actionnaires (et par là même
mes actions) aussi.
Pour tenter de déplacer les acteurs, le marketing – tout autant que d’autres intervenants sur
le marché – met en œuvre quatre opérations qui concrétisent cette traduction : il problématise,
il intéresse, il enrôle et il mobilise (Callon, 1986). La traduction est d’autant plus efficace que
ses propositions apparaissent comme « allant de soi », qu’il parvient à naturaliser les faits,
c'est-à-dire ses offres, ses pratiques et lui-même comme médiateurs légitimes de l’interaction
marchande (Cochoy, 1999). C’est autour, et à partir de ces quatre opérations de traduction que
naissent les résistances que nous allons décrire, dont nous chercherons moins ici à restituer les
contenus qu’à examiner les conditions dans lesquelles elles sont produites et émergent.
2.1. Problématiser
Comme le montre l’exemple développé par Marion et Gomez (1992), « J’en ai rêvé, Sony
l’a fait » constitue l’un des messages publicitaires sans doute les plus prototypiques d’une
opération de traduction. Le marketing agit non pas pour découvrir à grand renfort d’outils
d’investigation ce que serait une vérité voilée des besoins du consommateur, mais pour
« soutenir les convictions d’une population suffisante d’acteurs », à laquelle il convient de
fournir des arguments de conviction et de rationalisation de ce qu’ils font (Marion, 1997,
p.82). Qu’on en appelle à n’importe laquelle des touches d’un « répertoire sophistique »
(Laufer et Paradeise, 1982) – depuis l’allégation basique sur l’efficacité d’une lessive
jusqu’aux promesses les plus élaborées sur le concept de soi idéal –, le travail du marketing
consiste à construire un problème auquel il va s’employer à répondre, pour un consommateur
dont il a contribué à produire la représentation (Dubuisson-Quellier, 2003 ; Denis, 2008).
Qu’importe en réalité que ce dernier n’ait pas le moindre rêve, ou qu’il l’ait concrétisé en
plage de sable fin et non en forme de baladeur numérique, s’il souscrit à l’idée promue par le
marketer que celui-ci s’harmonise de manière naturelle avec le décor de celle-là, ou qu’il
devient à l’usage le fidèle compagnon de ses temps de transports quotidiens. Problématiser,
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c’est se rendre indispensable aux acteurs que l’on souhaite enrôler, que leur conviction
d’essai, d’adoption ou de rachat du produit soit emportée par ses caractéristiques, par un
besoin d’appartenance, un désir mimétique, un habitus de classe ou tous ces motifs à la fois.
La performativité du marketing peut ainsi découler de manières différentes de lier des théories
représentationnelles sur les consommateurs – une vision transactionnelle versus relationnelle
par exemple – aux modalités pratiques de construction de l’offre et d’organisation des
échanges (Kjellberg et Helgesson, 2006). Problématiser, c’est aussi se rendre indispensable au
sein de l’entreprise, comme spécialiste de la médiation marchande (Cochoy, 1999), non pas
seulement dans l’efficacité de la mise en contact de l’offre et de la demande, mais dans la
créativité des moyens employés pour rassembler et harmoniser le point de vue de multiples
acteurs (Azimont et Araujo, 2007). C’est, sous cet angle, peser également sur la normalisation
des pratiques par l’établissement de règles, de codes et d’outils qui préviennent l’entreprise
d’interventions plus contraignantes menées au nom du consommateur.
Ce travail de légitimation permet de faire du marketing un point de passage obligé pour
les intervenants internes et externes impliqués dans la relation de l’entreprise avec ses cibles
(Denis, 2008). Actionnaires, fournisseurs, distributeurs, consommateurs poursuivent des
objectifs distincts et parfois antagonistes dont le marketing s’emploie à réduire les écarts, à
rapprocher les intérêts, devenant leur porte-parole commun et central. Ce faisant, il participe à
une forme d’« entre-définition » par laquelle les acteurs, de manière dialectique, acceptent en
retour la problématisation de leurs besoins et des réponses que le marketing contribue à
produire. Sous cet angle, une marque – comme un fait, un énoncé ou une situation – n’existe
alors que si un réseau d’individus se trouve là pour la porter, au double sens physique et
symbolique du terme.
2.2. Intéresser
Si la définition d’un problème pose la première pierre de la traduction et exprime les
attentes que l’on prête aux consommateurs, « l’intéressement » (Callon, 1986) constitue la
phase charnière par laquelle un déploiement de moyens parvient à en faire des alliés.
L’intéressement procède selon trois directions : des processus qui visent d’abord à recruter,
puis à retenir, conserver et fidéliser les consommateurs dans le temps ; des mécanismes
psychologiques et cognitifs qui étayent une série d’hypothèses sur l’identité et le
comportement des acteurs ; et des dispositifs discursifs et matériels – produits, marques,
symboles, structures de distribution, programmes de fidélisation, communication – qui parient
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sur ces dispositions et dont la multiplicité est à la hauteur de l’importance qu’ils revêtent dans
l’attachement des consommateurs à la firme (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000 ; Cochoy,
2004). Les gratifications monétaires des programmes de fidélisation sont-elles plus efficaces
que des gratifications symboliques ? La diffusion d’une musique d’ambiance est-elle de
nature à majorer la consommation des clients ? Une extension de marque doit-elle être
congruente avec les activités actuelles de l’entreprise ? Les innombrables questionnements
auxquels chercheurs et praticiens s’efforcent de répondre s’appuient sur des « pratiques
représentationnelles » parfois bien différentes entre elles (Kjellberg et Helgesson, 2006), mais
qui visent à soutenir, par de multiples inscriptions objectivées, la preuve que le marketing
cherche à intéresser le consommateur, le captiver et l’associer à un profit commun. En attirant
l’attention et en travaillant sans relâche sur les propriétés des dispositifs d’offres et de
qualification des produits (Callon et al., 2000), le marketing fait du même coup disparaître
son caractère performatif, c'est-à-dire sa capacité, à partir d’idées ou de théories, à s’instituer
en pratiques. Les externalités, les servitudes ou les dépendances qu’entraînent ces dispositifs
sont pourtant rarement questionnées de manière symétrique. Les offres d’essai, de crédit ou
d’abonnement, même assorties d’échappatoires que sont les propositions de remboursement,
le droit de rétractation ou les options de résiliation, misent sur une participation librement
consentie qu’une mise en scène parfaitement orchestrée du retrait rend en apparence d’autant
moins dangereuse (Cochoy, 1999). Ces opérations d’intéressement sont donc d’autant plus
efficaces qu’elles attachent le client dans un écran de fumée et que les opérations de
qualification et de singularisation de l’offre s’additionnent à celles, soigneusement
camouflées, des dispositifs de sortie visant à décourager ou prévenir son départ. Les
fonctionnalités et les performances techniques de ces dispositifs, supports de l’offre ou de la
relation client, participent ainsi lourdement, mais clandestinement, à leur attachement.
Ainsi, le succès de Meetic ne réside pas tant dans l’originalité du concept, ni même dans
sa position d’antériorité sur le marché, mais bien dans le raffinement technique de la solution
logicielle développée par une société de création et de gestion de programmes de Customer
Relationship Management (Gestion de la Relation Client). Les fonctions du site permettent à
l’Internaute de retrouver son repère habituel dans la possibilité, configurable et
personnalisable à loisir, de feuilleter les pages d’un catalogue de prétendants en libre-service
intégral et constamment mis à jour. Les engrenages de back office du site sont capables
d’extraire pour lui des listes de membres conformes à ses paramètres de choix, de lui adresser
des messages personnalisés en fonction de ses comportements de visite, des types de profils
qu’il consulte, des fonctionnalités qu’il utilise, de la fréquence de ses connexions, du temps
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qu’il passe sur le site, etc. La recherche amoureuse se trouve ainsi transfigurée par des
moyens techniques, qui déplacent l’intermédiation feutrée et confidentielle du conseil
matrimonial, en fréquentation outillée d’un hypermarché de la rencontre. Mais en fin de
compte, déçu ou non par la confrontation au réel, l’abonné a au moins un ami, le site, qui se
rappelle à lui avec une bienveillante régularité et une efficacité alignée sur celle de ses
algorithmes de programmation des messages. La promesse « Vous allez aimer », axe d’une
campagne de communication passée de l’entreprise, concernait certes prioritairement
« l’objet » de sa flamme, mais il n’est pas exclu qu’elle ait aussi visé implicitement l’outil, qui
à l’instar d’autres opérateurs1, cherchent à transporter les consommateurs – et pas seulement
dans des transports amoureux – loin des traductions concurrentes. L’apprivoisement du
consommateur par l’intéressement repose de fait sur l’idée peu médiatisée par les marketers
que les dispositifs le conduisent avant tout à passer par des points de passage obligés, en le
protégeant de captations rivales et en dénouant si besoin d’autres liens – regarder ailleurs, y
compris physiquement dans la « vraie vie ». Le pouvoir du marketing est donc d’abord
pouvoir de « mise en déroute », au sens de déviation du consommateur, qui en musardant
dans les rayons des différents dispositifs – de son supermarché à son écran d’ordinateur – se
trouve comme le Petit Chaperon Rouge constamment détourné dans ses déplacements de tous
les autres loups aux dents longues dont il faut précisément le distraire (Cochoy, 2004). Si
l’intéressement consiste à maintenir le client aussi solidement, mais subtilement que possible
arrimé à ces dispositifs, rien ne garantit jamais que l’alliance sera scellée et qu’elle sera
durable (Dubuisson-Quellier, 2004). Il faut aussi définir le rôle précis qu’il sera amené à
jouer, parler pour lui, parler en son nom, ce qui est encore la meilleure manière et la plus
habile de le faire taire (Callon, 1986, p. 196)
2.3. Enrôler
Enrôler les acteurs a pour but d’obtenir d’eux un engagement dans l’action. Cette
opération consiste à définir et stabiliser les rôles prescrits par la problématisation, en assignant
aux acteurs du réseau ce qu’ils doivent y jouer en termes de figure et d’action. « Parce que
vous le valez bien » et autres variantes des argumentaires sur le concept de soi enjoignent par
exemple au consommateur de se gouverner pour lui-même, en parfait hédoniste, contribuant
ainsi par son propre plaisir au bénéfice global de l’économie (Marion, 2004). D’autres
1 Comme la SNCF dont un message similaire promettait : « Nous allons vous faire aimer le train » ou France Telecom : « Nous allons vous faire aimer l’an 2000 ».
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impératifs du type « Think different », « Just do it », « A vous d'inventer la vie qui va avec »,
« Faites pousser vos idées », « A fond la forme », « Il a Free, il a tout compris » convoquent
d’autres registres et répertoires identitaires particuliers : l’original, le passionné,
l’entrepreneur créatif, le bricoleur, le sportif, le futé, etc. C’est à une figure qualifiée et
construite du consommateur que le marketing s’adresse, ou plutôt à une figure qui, à partir
d’opérations de segmentation, exemplifie dans le discours ses porte-parole les plus
intéressants, les plus emblématiques, les plus représentatifs.
Mais en plus de la définition conjointe des individus et de l’offre, formalisée dans des
discours censés représenter ces idéaux-types, le marketing travaille d’autres dispositifs plus
fins, ceux de la fidélisation et du marketing one-to-one qui tentent de parler directement à sa
singularité et font de chaque consommateur l’unique et le plus fidèle porte-parole de lui-
même. Traduire passe ainsi par la définition de l’unicité du consommateur, dont les dispositifs
techniques vont ensuite gérer les nuances. Ainsi, les outils de tracking comportemental et de
data mining combinent aujourd’hui des éléments de géocodage, de profilage et de scoring
aptes à nourrir toutes les combinaisons, toutes les variantes et tous les arrangements
nécessaires à la satisfaction individualisée des clients. Ces dispositifs socio-techniques
permettent par exemple à Amazon de dépoussiérer les vieilles recettes de vente additionnelle
en leur proposant des nouveautés, des recommandations de lecture basées sur le goût de
profils similaires, ou des options de création d’une liste personnalisée « d’envies cadeaux »,
dont la forme d’intéressement repose au fond sur une invitation à la co-promotion des
produits qu’ils ont appréciés. En construisant une figure du consommateur créatif par le biais
de la co-production, de la co-détemination ou de la co-innovation, le marketing cherche à le
faire agir dans le sens de ses intérêts – celui de l’expression, de l’auto-définition et de
l’interaction – mais aussi de ceux de l’entreprise qui parvient ainsi à déplacer, agencer et
coaliser leurs idées à son plus grand profit (Cova, 2008). Ces déplacements s’inscrivent
cependant dans une multiplicité d’espaces-temps fragmentés et disjoints. Cela nécessite de
comprendre plus concrètement comment ils réussissent à se matérialiser, à s’inscrire, à se
diffuser, pour finir par durcir les pratiques et produire des irréversibilités. La stabilité des
figures construites du consommateur est donc d’autant plus importante que la dialectique
d’« entre-définition » des acteurs est elle-même réussie, c'est-à-dire que les réalités
marchandes sont produites et soutenues par le réseau qui les porte, lequel n’existe que par les
réalités autour desquelles il se forme.
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2.4. Mobiliser
La traduction successive d’énoncés particuliers en d’autres énoncés particuliers – des
descriptions et des mesures produisant des normes, lesquelles gouvernent des échanges,
lesquels donnent lieu à de nouvelles représentations – permet de chaîner les acteurs par une
longue suite d’équivalences. En proposant des interprétations et des réponses qu’il s’emploie
à situer et distinguer des propositions concurrentes, le marketing déplace des ensembles. Mais
pour y parvenir, il est essentiel qu’il sélectionne les bons porte-parole. La star choisie pour
promouvoir ma marque est-elle bien celle dans laquelle se reconnaissent mes clients ? Les
offres, les arguments, le décor, la mise en scène, les actions directes ou à distance exercées sur
les cognitions et les émotions de ceux qui les ont représentés dans les phases d’études de
marché, les tests et les campagnes publicitaires seront-ils reconnus par la masse silencieuse
qu’ils sont censés traduire ? La mobilisation exige tout à la fois de pouvoir compter sur ses
alliés – humains et non-humains – mais aussi de pouvoir les compter. Les travaux
d’anthropologie et de sociologie économique ont largement souligné le travail de
commensurabilité, de mise en comparaison et d’interchangeabilité des objets et des situations
qui signe la singularité des relations marchandes et participe simultanément à leur unification
(Mallard, 2000 ; Dubuisson-Quellier, 2004). Pour rassembler ces alliés, des conversions et des
inscriptions seront nécessaires pour les représenter. Des consommateurs sondés se
transformeront en taille probable de segments-cibles. Des milliers de ménages acheteurs
seront exprimés en volumes de ventes, en chiffres d’affaires et en parts de marché. Des
résultats financiers seront retraduits en cours de bourse et convertis sous forme de nouvelles
activités. Autant de « représentations objectivantes » permettant la décision et l’action des
entreprises (Barrey et al., 2000).
Au-delà du système d’alliances qu’elle constitue, cette concentration d’acteurs mis en
équivalence a une réalité bien physique, matérialisée par une série de déplacements tangibles :
les consommateurs sont allés dans les points de vente ; ils se sont connectés sur des sites ; de
nouvelles gammes de produits ont été crées ; de nouveaux magasins se sont ouverts ; de
nouveaux actionnaires ont été convaincus. Par une longue chaîne de traductions, le
déplacement des caddies dans les supermarchés entraîne celui de nouveaux alliés, banquiers
ou investisseurs. Mais pour en arriver là, des informaticiens ingénieux auront par exemple
aligné une suite binaire de zéros et de 1 pour produire un langage de programmation capable
de lier ensemble des constructeurs d’ordinateurs, des utilisateurs novices, des éditeurs de
logiciels, des développeurs de périphériques, et créer en moins de quarante ans l’une des
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premières capitalisations boursières de la planète et la plus grande fortune individuelle du
monde. Ces « associologies » d’acteurs sont de telles réussites qu’elles relèguent parfois dans
l’ombre les résistances qu’elles ont fait naître. Que pèsent face à Microsoft les quelques porte-
parole militants1 et poignées de consommateurs, même rangés en ordre de bataille derrière
leurs organismes de défense, réclamant le remboursement par l’assembleur du système
d’exploitation Windows dont ils refusent le contrat d'installation ? Qui a médiatisé, hormis les
intéressés eux-mêmes, les constitutions de plaintes portées par l’UFC Que Choisir depuis
2006 contre des distributeurs, au motif que ces pratiques représentent de la vente liée ? Et
combien sont, au fond, les acheteurs d’ordinateurs personnels qui réclament à la caisse que
leur système d’exploitation leur soit retiré et remboursé ? Que faut-il, finalement au fond,
pour qu’on puisse parler de résistance et qu’on parvienne à rendre compte, symétriquement,
de leurs refus de se laisser problématiser, intéresser, enrôler et mobiliser ?
3. De la traduction marchande à sa disqualification : la question de la résistance
Une traduction marchande réussie se manifeste par le fait que des consommateurs
achètent des produits et des marques, fréquentent des circuits de distribution, adhèrent à des
programmes de fidélisation et à des messages qui leur sont adressés, en bref souscrivent à la
production d’une figure objectivée d’eux-mêmes et aux dispositifs calculatoires qui
l’accompagnent. Certes, tous ne le feront pas, ni d’une façon globale, ni de manière uniforme
vis-à-vis de l’ensemble des biens et services qui leur sont présentés. Mais au moins une part
significative d’entre eux se reconnaîtra dans un éventail d’objets, de symboles et de discours
et, à défaut de s’identifier très étroitement à leurs possessions matérielles, en rempliront leurs
caddies et leurs espaces de vie. Qu’est-ce alors que résister ? Et pour ne pas ajouter à la
réification si facile du concept, comment donner substance à un phénomène que le marketing
gagne par nécessité, non pas tant à ignorer, qu’à faire taire ?
Débusquer la résistance suppose de revenir sur les mécanismes – et pas seulement les
motifs ou les sujets – autour desquels naissent les controverses, et d’imaginer pourquoi les
traductions ne sont pas pleinement réussies, pourquoi les produits, les discours et les
arguments marchands ne sont pas nécessairement perçus, en fin de compte, comme des
« allants de soi ». En suivant les quatre opérations examinées plus haut, nous interrogeons de
manière symétrique sur quoi reposent leurs échecs : les motifs de résistances à la
1 L'Association des Utilisateurs Francophones de Linux et des Logiciels Libres (AFUL) et la Free Software Foundation France.
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problématisation marchande, l’inefficacité des dispositifs socio-techniques déployés pour
attirer et retenir les clients, leurs dénonciations des discours de définition d’eux-mêmes par
lesquels on tente de stabiliser leurs comportements et la difficulté de les saisir et de les
représenter.
3.1 Résister à la problématisation marchande
Lorsque l’entreprise se fait distancer par ses concurrents, lorsqu’elle ne propose plus une
offre adéquate, lorsqu’elle déçoit les attentes de ses clients, elle se retrouve trahie en retour
par une proportion significative d’entre eux qui se dérobent aux arguments de l’intéressement
déployés pour les retenir. Il n’y a là rien de bien nouveau, en apparence, au chapitre de la
concurrence ou de l’analyse stratégique dont le marketing tire et expose les enseignements
dans tout bon manuel de base. La concurrence est une contrainte fondamentale des relations
marchandes qui impose, pour agir à distance sur ses cibles, de poursuivre constamment un
travail hautement technicisé d’analyse, de déployer d’innombrables instruments de mesure et
dispositifs d’action, et mobiliser des gens qualifiés (Law, 1986). La désertion, après tout, ne
fait que signer l’échec temporaire, et au pire définitif, d’une erreur de lecture stratégique,
l’emploi maladroit de tactiques ou le défaut de moyens. Exit les mauvais traducteurs auprès
desquels le consommateur, lassé de s’exprimer (voice) ou dépris de loyauté (loyalty),
manifeste sa défection (Hirschman, 1970).
Pourtant, les raisons pour lesquelles le marketing ne parvient plus à faire de la firme le
point de passage obligé semblent dépasser aujourd’hui la portée de l’avertissement
d’Hirschman quant aux seuls risques de déplacement des consommateurs d’une firme à une
autre. Les problématisations conventionnelles portées par le marketing – acheter, s’équiper,
consommer, vivre des expériences – aboutissent pour une certaine fraction d’entre eux à un
non-sens, c'est-à-dire dans sa double acception, à des significations dans lesquelles ils ne se
reconnaissent pas, et à une direction qui s’écarte de leurs aspirations. Les moyens
argumentatifs utilitaires classiques comme la fonctionnalité, la performance et l’intérêt, ou
l’exploitation de mobiles hédonistes comme la passion, l’appartenance ou l’authenticité, ne
suffisent plus à contrôler leur trajectoire de manière certaine, ni systématique. Même
l’appropriation, l’empowerment ou la personnalisation, dont on a pu penser avec le temps
qu’ils interpelleraient de manière complice un consommateur réfractaire au marketing de
masse et équipé en moyens d’expression, ne parviennent pas à distraire ses questionnements
et désamorcer ses critiques. Nombreuses sont les formes de résistance individuelles ou
13
collectives qui manifestent, à des degrés de mobilisation et d’institutionnalisation variables,
des préoccupations économiques, sociales et environnementales des consommateurs
(Dubuisson-Quellier, 2009). L’incorporation d’une figure du rebelle ne prémunit pas non plus
certaines firmes de retournements brutaux et de dénonciations sévères. Ainsi lorsque Jonah
Peretti, étudiant au MIT, propage sur Internet le refus de Nike d’inscrire le mot
« sweatshop »1 sur une paire de chaussures commandée en ligne, il se saisit à dessein des
dispositifs de personnalisation proposés par la marque pour en stigmatiser les mauvaises
pratiques sociales et le non-respect du droit du travail (Holt, 2002 ; Peretti, 2003). Le
positionnement de consumérisme militant qu’adopte Leclerc dans sa communication en ayant
proposé de tagger ses propres affiches publicitaires2 ne lui a pas épargné non plus la parodie
des slogans soixante-huitards par lesquels il pensait s’ériger en porte-parole d’un
consommateur contestataire (Sitz, 2007).
L’absence de pertinence des problématisations conventionnelles ouvre par ailleurs un
nouveau marché de discours. La concurrence qui s’y exerce engage de nouveaux objets, de
nouveaux centres d’intérêt et de nouveaux acteurs parmi lesquels des collectifs militants, des
organisations de défense du consommateur, des syndicats, des ONG et de nouveaux
mouvements sociaux (Argenti, 2004 ; Dubuisson-Quellier, 2009). Il y a, de fait, dans la
rencontre de l’offre et de la demande plus d’espace que celui qu’occupent ensemble des
firmes rivales face à des consommateurs atomisés d’autre part. Ou pour filer plus loin la
métaphore informatique, la fragmentation du monde décrite par les travaux postmodernes
produit de multiples interstices dans lesquels s’engouffrent d’autres traducteurs – y compris
les consommateurs eux-mêmes – en mobilisant des sources d’information, des points de
comparaison, des lieux d’expression, des voies de circulation, des trajectoires de déplacement,
en résumé d’autres modalités d’échange qui concurrencent et disqualifient pour partie les
problématisations conventionnelles ou les obligent à s’amender (Argenti, 2004). Ainsi un
« consommateur responsable » ne trouve pas plus de pertinence dans les arguments de la
marque de lingette A que dans ceux de la marque B, mais il s’interroge sur la prolifération de
produits superflus, générateurs de déchets ou de bactéries résistantes à laquelle le sensibilisent
une association écologique ou un support de presse consumériste (Mallard, 2000 ; Dubuisson-
Quellier, 2009). Un consommateur d’occasion ne discute pas tant des caractéristiques des
enseignes de distribution pour ses courses alimentaires, que du fait qu’il les trouve
1 Atelier clandestin 2 Ces affiches ont été refusées par la RATP au motif qu’il est délicat de valoriser le barbouillage publicitaire d’un côté et de faire condamner les mouvements anti-publicitaires pour les mêmes motifs de l’autre.
14
infréquentables quand il s’agit d’égayer ses dimanches ou d’acquérir certains produits
anciens, uniques ou fortement décotés (Roux, 2004). Les adeptes de la simplicité volontaire
(Dobscha et Ozanne, 2001), les participants au festival Burning Man1 (Kozinets, 2002), au
réseau Napster (Giesler, 2006) ou au mouvement Bookcrossing2 (Dalli et Corciolani, 2008) ne
sont pas en guerre contre une firme, une marque, une major de l’industrie musicale ou une
entreprise d’édition plutôt qu’une autre, mais contre un système d’offre qui ne traduit pas
leurs attentes. Telles les coquilles Saint-Jacques que les courants emportent3 (Callon, 1986),
ils fuient vers d’autres alternatives d’approvisionnement, pour d’autres lieux et dans d’autres
réseaux d’échanges. Donner, troquer, recycler, faire tourner, partager, consommer sans
acheter sont aujourd’hui des intérêts particulièrement mal pris en compte par le marché
conventionnel, trop longtemps habitué à cylindrer des transactions dyadiques exclusivement
réglées par une logique marchande.
Les firmes partagent ensemble un même objectif et une vision commune : celui
« d’engager le consommateur dans l’acte marchand » (Mallard, 2000). Elles fabriquent et
façonnent des situations de choix, mais dans le seul univers cadré de cet espace d’échange. Si
le consommateur est « engagé », c’est uniquement par rapport à ce contexte et à ces
processus. D’autres acteurs, comme les associations qui le défendent, travaillent parallèlement
à la problématisation d’une autre figure possible du consommateur. Ainsi Mallard (2000)
présente-t-il tout le travail de la presse consumériste comme consistant à se placer en porte-
parole d’un consommateur que l’on souhaite « désengagé de l’infrastructure marchande ».
Même si les essais comparatifs ne s’écartent pas fondamentalement des principes de
qualification de l’offre couramment mis en œuvre par les firmes à travers des instruments
similaires, cette représentation est adossée à la figure d’un consommateur que l’on veut
« distancié » du marché. Cette analyse redéfinit la position spécifique que la presse
consumériste entend occuper comme prescripteur alternatif par rapport aux professionnels du
marché.
1 L’événement rassemble pendant quelques jours aux Etats-Unis dans le désert du Névada des milliers de participants qui viennent y vivre une expérience communautaire basée sur le don, l’échange et l’expression de soi, et qui s’engagent à proscrire toute pratique commerciale (sous la forme de vente d’objets) et même toute référence à des activités marchandes (interdiction d’arborer ou de promouvoir des marques). 2 Le mouvement Bookcrossing repose sur le principe d’une circulation et d’un partage de commentaires de livres mis à disposition d’autrui sans contrepartie marchande (don, abandon dans un lieu public) et commentés à nouveau par d’autres lecteurs. 3 C’est à partir de l’exemple du repeuplement des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc que Michel Callon (1986) a exposé les éléments fondateurs de la sociologie de la traduction. Dans cette étude de cas, les étoiles de mer sont détournées par les courants des dispositifs d’attachement destinés à les fixer pour assurer leur reproduction.
15
La problématisation de nouvelles figures qui rompent avec celle du consommateur ou de
l’acheteur émerge à l’aune des controverses – les Organismes Génétiquement Modifiés,
l’obésité, les ondes électromagnétiques, le trou de la couche d’ozone, etc. – ouvertes par la
société du risque. Ces nouveaux enjeux sont d’autant plus palpables que la pluralité des
figures du client n’est plus totalement internalisée dans le jeu classique de la concurrence
entre firmes, marques ou produits, mais saisie également par d’autres acteurs. Comme le
montre Argenti (2004), des Organisations Non Gouvernementales sont parvenues à mobiliser
la conscience d’un consommateur citoyen pour infléchir la politique de Starbucks en matière
de commerce équitable. Aujourd’hui d’autres figures – celle de l’enfant, de l’usager, du
parent ou du malade – sont prises en charge par des acteurs de la société civile qui participent
au dialogue collaboratif ou à la confrontation radicale avec les firmes. L’organisation de
collectifs d’un autre ordre représentationnel que celui du marché et la prolifération de
structures circulaires et parallèles d’échanges aux circuits classiques – AMAP1, marchés
d’occasion, systèmes d’échanges locaux – dévoile la multiplicité des réalités coexistantes
(Kjellberg et Helgesson, 2006). Les traductions alternatives dont s’emparent ces multitudes
d’intervenants pointent des axiologies trop largement ignorées par les acteurs conventionnels
au profit d’une figure réifiée et omniprésente du consommateur. La résistance fait ainsi le lit
de l’ouverture d’un marché de figures – sociales, politiques, biologiques, écologiques et
humaines – et émerge comme un artefact construit par les multiples mouvements qui la
portent et lui donnent consistance.
3.2. Résister à l’intéressement et aux dispositifs
La somme de discours déployés pour dire aux consommateurs la volonté de les satisfaire,
aussi convaincante soit-elle, ne suffit pas à les enrôler durablement. Les arrimer à la firme
nécessite de rallier d’autres forces – des objets aux dispositifs – dont l’efficacité est d’autant
plus patente qu’elle opacifie leur compréhension des mécanismes qui les attachent, au sens
physique comme affectif. Timeo danaos et dona ferentes : le déploiement de différents
assemblages socio-techniques résonne comme le funeste adage2. Il confirme que les discours
réussissent à masquer ce que les produits, les services, les programmes relationnels, les
agencements de magasin et leurs équipements sensoriels parviennent plus sûrement à
1 Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne 2 « Je crains les Grecs, même quand ils apportent des cadeaux » comme le prédit Laocoon aux Troyens, peu avant qu’ils soient trompés par la ruse d’Ulysse et assiégés par son armée dissimulée dans les flancs du cheval introduit dans la ville.
16
créer, en liant les individus à la firme par des objets et des dispositifs, et en les dissociant
d’autres acteurs qui les menacent. L’attention du consommateur gagne donc à être orientée
par ce qui lui est dit, pour que les dispositifs d’intéressement (cartes de fidélité, actions
promotionnelles, offres d’essai), de jugement (tests, guides, classements, avis de
consommateur, témoignages d’experts) ou de promesse (garanties, normes, arguments
publicitaires) le détournent d’un regard trop appuyé sur ce qu’ils lui font faire (Cochoy,
2004). Si les discours publicitaires sont classiquement pointés comme objets de critiques,
Fontaine (2009) illustre en revanche une moindre résistance à des moyens de communication
plus sophistiqués que sont les placements de marques dans les films. L’incorporation plus
subtile de ces dispositifs dans des contextes qui les dissimulent évite leur repérage et les
résistances qu’il entraîne. La plupart des consommateurs peuvent ainsi posséder en moyenne
plusieurs cartes de fidélité dans leur portefeuille, en ignorant la capitalisation des informations
recueillies sur leurs comportements et l’usage qu’en font les entreprises en préparation de
nouvelles actions pour mieux les retenir (Barrey, 2004). Ils ont aussi tout intérêt à
méconnaître la lourdeur des négociations qui se sont nouées entre distributeurs et producteurs
pour aboutir à leur offrir une gamme infiniment large de biscuits ou boissons gazeuses
(Azimont et Araujo, 2007), mais une variété limitée de pêches dont l’indice de dureté est
compatible avec les contraintes de stockage et de gestion des flux du distributeur (Dubuisson,
Navarrete et Pluvinage, 2006). Ils peuvent enfin ignorer que leurs choix sont le résultat
d’opérations complexes dans lesquelles les ressources qu’ils mettent en jeu sont non
seulement cadrées par leurs dispositions (Arnould, 2007), mais aussi distribuées sur des
dispositifs cognitifs situés qui leur fournissent autant de « points d’appui pour décider »
(Dubuisson-Quellier, 2004).
L’étude de Trompette (2005) sur le marché des pompes funèbres illustre ainsi la manière
dont les chambres funéraires sont parvenues à organiser une captation subreptice du marché
en trois temps : « suivre » leurs clients du domicile familial à l’hôpital, en fonction des
évolutions du rapport à la maladie et à la mort ; adosser leurs chambres funéraires aux portes
des hôpitaux dont elles ont permis de pallier les difficultés de financement des morgues ;
proposer une offre de services packagée aux familles venues visiter leur défunt. Le dispositif
socio-technique soigneusement verrouillé et des conditions situationnelles exceptionnelles –
un achat impliquant, un contexte d’urgence, et une profonde désinformation du client peu
enclin à comparer les offres à l’avance, et moins encore, compte tenu du sujet, au moment
crucial de son choix – contribuent conjointement à inhiber la résistance du consommateur
17
endeuillé. De fait, les « associologies » (Latour, 1990) qui tiennent les plus solidement les
consommateurs à la firme ne sont pas toujours, de loin, les plus repérables.
Cependant, à l’encontre de cet exemple édifiant, des éléments éclairent aujourd’hui les
raisons pour lesquelles les dispositifs ne jouent plus aussi efficacement. Tout d’abord, tous ne
sont pas intéressants, au sens où ils ne parviennent pas à éveiller la curiosité du chaland et à le
faire entrer dans une (bonne) affaire, comme le montre par exemple la perception mitigée,
sinon dégradée des dispositifs de fidélisation et des gratifications qu’ils proposent (El Euch
Maalej et Roux, 2008). Ensuite, le caractère pléthorique, mimétique et redondant de certains
dispositifs de qualification des produits comme les labels, les normes, les appellations, les
certifications conduit à alourdir le travail cognitif du consommateur, au point que l’effort,
même louable, des offreurs pour mieux équiper son jugement peut se révéler globalement
contre-productif (Chessel et Cochoy, 2004). Ainsi, parce qu’elle favorise l’accroissement de
leurs compétences, Dubuisson-Quellier (2004) soutient même que la prolifération de ces
dispositifs contribue à organiser la volatilité des consommateurs en rendant les situations plus
aisément décidables, leurs décisions temporaires et leurs choix plus facilement réversibles.
Enfin, les dispositifs ont aussi le pouvoir, intrinsèquement, d’indisposer les
consommateurs lorsqu’ils les repèrent, en raison des limitations de leurs libertés dont ils les
accusent et de l’interprétation des intentions marchandes qu’ils leur prêtent. Ainsi les
réactions aux démarches de télévente créent non seulement des résistances fortes à l’encontre
de la technique elle-même, mais entraînent potentiellement des effets délétères, par effet de
halo, sur d’autres éléments comme la marque, les produits et services ou l’entreprise toute
entière (Roux, 2008).
Les débats sur l’usage des puces RFID1 qui ont valu à Benetton un boycott récent ou les
faux blogs qui ont pointé l’indélicatesse de certaines marques2 montrent également la
prudence qu’impose la réappropriation, par le consommateur, d’outils de viralisation de ses
informations. De fait, les savoirs et savoir-faire que nourrissent des frottements de plus en
plus intenses aux dispositifs marketing, le conduisent à en (re)connaître les ficelles et à en
user à son profit pour faire son marché sur le dos, ou dans le dos des firmes. C’est ainsi
qu’Odou, Djelassi et Belvaux (2008) dépeignent des consommateurs devenus experts dans la
1 Radio Frequency Identification. Les puces RFID sont des « radio-étiquettes » qui peuvent être incorporées dans des objets, des produits ou des organismes vivants pour les tracer, en répondant à des requêtes radio émises depuis un émetteur-récepteur. 2 Vichy fut sans doute l’exemple le plus médiatisé avec « le Journal de ma peau » crée non par une Internaute, mais une responsable marketing de la marque. D’autres dénonciations de « faux blogs » par une blogosphère vigilante - MacDo, Nissan - ont eu lieu à la suite.
18
traque des offres de remboursement1 et lourdement équipés en logiciels, systèmes de
comptabilité de leurs gains et sites d’échange sur Internet. On peut aussi compter aujourd’hui
en centaines de milliers le nombre de pages qui proposent des « bons plans », des bonnes
affaires, des stratagèmes pour éviter de payer le prix de l’intéressement prévu par les firmes.
Des logiciels libres (Hemetsberger, 2006) aux astuces de réemploi des produits – cartouches
d’imprimante, remplissage artisanal des capsules Nespresso2 –, les consommateurs
contournent les barrières à l’entrée et déjouent les dispositifs, aussi inventifs et astucieux
soient-ils.
Par ailleurs, la moralisation de leurs comportements au nom de la préservation de certains
intérêts crée de nouvelles oppositions. Ainsi, les individus ne se sentent-ils pas vraiment
mobilisés par les discours culpabilisants sur le fait que le téléchargement appauvrit les artistes
et la production musicale. L’effort d’internalisation morale d’une loi économique – ne pas
pénaliser l’offreur –, qui plus est doublé par des dispositifs de pénalisation prévue par la loi
Hadopi, se heurte à la résistance des consommateurs. De fait, le téléchargeur que l’on présente
aujourd’hui comme un délinquant, s’est déjà échappé. Il s’est fait enrôlé par d’autres réseaux,
plus proches et plus personnels, et laissé intéresser par d’autres Internautes qui propagent les
multiples moyens de contourner le dispositif de surveillance prévu par la loi : usage des
logiciels de téléchargement, recours au streaming, consultation de sites gratuits d’écoute ou
de stockage en ligne, cryptage des données qui empêchent l’identification de l’Internaute ou
modalités de neutralisation du logiciel espion. De fait, la figure de ce qui a été décrit comme
un client-amateur face à celle d’un vendeur spécialisé (Cochoy, 2002) évolue dans le sens
d’une professionnalisation accrue du premier, aidé ou équipés par d’autres – la presse, les
médias, le législateur et d’autres consommateurs –, au détriment de l’impuissance du second à
rendre ses chevaux de Troie furtifs et invincibles.
3.3. Résister à la construction d’une figure du consommateur
Toute une partie du champ du marketing management se déroule en vase clos : celui des
acteurs de la mise en marché. Du designer au publicitaire en passant par les consultants, les
sociétés d’études de marché, le packager et le merchandiser (Barrey et al., 2000), de
multiples intermédiaires participent à la définition et à la présentation de l’offre. Ce monde 1 Pour lesquels le terme « odériste » a même été forgé. 2 C’est ce que propose le site homepresso.fr en expliquant aux possesseurs de machines comment recycler leurs capsules et combinant du même coup trois avantages négligés par la marque : réduire le prix des consommables, réduire le gaspillage lié à l’usage unique des consommables et augmenter doublement le sentiment d’intelligence du bricoleur qui s’arrange avec les moyens du bord.
19
clos fonctionne théoriquement avec des représentations partagées que praticiens et
académiques s’efforcent de délimiter, de raffiner, de stabiliser (Cochoy, 1999), et d’organiser
autour d’une idéologie commune sur le fonctionnement du système et le rôle que le marketing
est appelé à y jouer (Marion, 2004). L’un de ces rôles inclut implicitement l’ensemble des
réflexions, des techniques et des pratiques que le marketing convient d’utiliser pour contrôler,
maîtriser et déstabiliser le cas échéant les critiques adressées au capitalisme (Boltanski et
Chiapello, 1999 ; Rémy, 2008). En internalisant ces critiques, les marketers travaillent à la
survie et à l’évolution du système marchand dans sa globalité.
Le recyclage des protestations est en soi une activité marketing. Son but est de retraduire
en réponses lucratives les inquiétudes ou mécontentements d’une demande solvable. N’y a t-il
pas au fond, comme le prétend Holt (2002), de meilleure énergie de renouvellement créatif
que celle qui provient des mouvements de contestation des consommateurs ? L’histoire
récente du commerce montre par exemple que la grande distribution, si critiquée aujourd’hui
dans son modèle de rationalité gestionnaire et ses effets d’uniformisation, s’est pourtant
développée en problématisant la construction d’un consommateur affranchi, débarrassé de
l’omniprésence du boutiquier et livré à la liberté de manipuler une profusion de produits
(Grandclément, 2008). Et Dubuisson-Quellier (2009) ajoute que l’histoire de ses mouvements
d’expression ne peut se lire indépendamment des conditions économiques, sociales,
culturelles et institutionnelles qui ont pesé, selon les pays et selon les périodes, dans le sens de
son enrôlement progressif dans la consommation. La résistance, et en particulier la
concurrence que posent des systèmes rivaux plus aptes à les traduire, a tout intérêt à être
internalisée en premier lieu par les acteurs du marché eux-mêmes. Dans tous les cas, le
consommateur gagne à rester ce qu’il est : un acteur de l’échange qui n’échappe pas au
marché (Arnould, 2007 ; Kozinets, 2002).
Pourtant, si ce monde des acteurs de l’intermédiation marchande partage une même
idéologie sur le consommateur, le travail de représentation et de sélection de la cible est un
processus délicat au cours duquel interviennent de multiples parties prenantes. Elles
infléchissent, amendent et dévient constamment la définition de la figure du consommateur et
ses ajustements à l’offre. Le développement du produit constitue une longue trajectoire dans
laquelle chacun des intermédiaires joue comme un médiateur qui adapte et réajuste
l’adéquation de l’un et de l’autre. Dans cette série de confrontations toujours provisoires
autour de conventions continuellement renégociées (Azimont et Araujo, 2007), la figure du
consommateur se révèle être l’objet de conflits potentiels autour des représentations que
chacun s’en fait. Comme l’ont montré Barrey et al. (2000) en s’appliquant à donner une
20
compréhension longitudinale de la mise en marché, chaque médiateur – le designer, le
packager et le merchandiser – est porteur d’une figure particulière et sensiblement différente
du client. Chacun de ces « professionnels du marché » prend place dans les diverses
séquences du développement du produit et le « requalifie » tour à tour pour le public visé. En
prenant pour exemple les réunions de définition des assortiments entre producteurs et
distributeurs, Azimont et Araujo (2007) dévoilent dans ces moments d’épreuve le contenu
des représentations du consommateur qui servent de base, via la problématisation de ses
attentes, au déploiement de la stratégie d’offre des producteurs. Dans le même esprit,
Grandclément (2008) montre que les distributeurs reprennent, remédient et corrigent en
permanence les ajustements produit-consommateur qui leur sont donnés en charge par les
fabricants. Hennion et Méadel (1997) montrent enfin que l’intervention des publicitaires ne
consiste pas en bout de course à « ajouter une couche » de séduction sur les produits, mais
que le travail de ces « ouvriers du désir » demande au contraire un engagement actif dans la
définition de l’objet. Finalement, « l’intermédiaire qui a la dernière main » est aussi « celui
qui a le dernier mot sur le positionnement du produit » (Grandclément, 2008).
Ce n’est donc pas un hasard si la notion même de marché et celle de consommateur sont
multiples. Si, comme le rappellent la plupart des manuels, il n’y a pas un marché mais des
marchés ou des points de vue contradictoires sur le marché (Kjellberg et Helgesson, 2006), la
proposition symétrique suppose de dire qu’il n’y a pas non plus un consommateur mais des
figures variables du consommateur mobilisées du côté de l’offre par des porte-parole
différents. A l’extrême, il n’y a pas de marché, ni de consommateur, mais « de multiples
intermédiaires dont l’intervention incrémente une série d’épreuves ou de confrontations
mutuelles entre des figures de mieux en mieux déliées du produit et du consommateur »
(Grandclément, 2007, p. 17). Dans ce cadre, la résistance du consommateur peut se concevoir
comme le résidu spontané de cette confrontation. En instrumentalisant chacun une figure
particulière pour se positionner dans le jeu, les acteurs de l’offre produisent eux-mêmes le
degré de fragmentation qu’ils semblent parfois collectivement déplorer. Dans un marché
instable de représentations (Ohl, 2002), la résistance manifesterait ainsi, pour le
consommateur, non pas tant le fait d’échapper à un effort de contrôle, que l’éclatement naturel
et inévitable de la bulle de représentations qui tentent de le circonscrire et de l’emprisonner.
21
3.4. Les résistances à la mobilisation du consommateur
Le constat précédent pose de manière corrélative le problème de la mobilisation des
consommateurs, c'est-à-dire des moyens par lesquels le marketing parvient à les transporter, à
les convertir sous formes d’inscriptions qui les représentent. Si le choix des bons porte-parole
est un problème crucial, le problème de leur mesure et des outils utilisés en est un autre. Le
marketing est non seulement une pratique d’organisation des échanges mais aussi une
pratique représentationnelle (Kjellberg et Helgesson, 2006) et le consommateur une
information, ce qui montre combien toute information est une transformation ou une
traduction. Mobiliser suppose de créer des inscriptions lisibles, présentables, et indéformables
que le marketer déplace en lieu et place des consommateurs lorsqu’il parle en leur nom. Leur
résistance souligne qu’ils ne se laissent pas aisément réduire aux inscriptions censées les
traduire, et ceci pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, en s’appuyant sur des représentations construites de ses cibles, le marketing
risque de construire des objets, des offres, des réponses dont les perceptions sont ensuite
reflétées en miroir par les outils ex post qu’il utilise. Ceci pointe la potentielle dimension
tautologique, circulaire et récursive des études de marché, qui aboutissent à la (re)découverte
d’une série de figures que les outils participent à produire (Dubuisson-Quellier, 2004).
En second lieu, certains mobiles gagnent en consensus ce qu’ils perdent en qualité de
représentation. C’est par exemple ce qu’illustre Denis (2008) à travers une étude des formes
de définition des consommateurs dans les activités de création, par les chaînes de télévision,
de bandes-annonces d’auto-promotion de leurs émissions. Il montre que la figure du public
comme masse segmentable, qualifiable, calculable et objectivée a priori, ne fait pas débat et
établit au contraire un consensus et des conventions partagées autour de mesures de profils
d’audiences. Elle organise a minima les interactions des professionnels engagés dans les
activités de production télévisuelle. Des mesures et des règles figées sont autant de
« mobiles » permettant de déplacer facilement et sans déformation les consommateurs le long
du réseau – par exemple en translatant des cibles qualifiées du côté du concepteur de
programmes, en calcul d’un GRP actionnable du côté des acteurs du financement publicitaire.
Inversement, il souligne que la « figure de l’usager » analysée et construite par les études de
marché pose problème. Malgré sa richesse et son épaisseur compréhensive, elle n’est pas
« mobilisable » si aisément dans le processus de production. Elle fournit une représentation
complexe et instantanée d’une multiplicité de pratiques, d’attentes et de comportements
difficilement généralisables et exploitables par les professionnels. Il est ainsi plus facile, dans
22
une négociation, de transporter des individus transformés en segments, en classes et en
profils, que leurs réactions qualitatives et leurs émotions à la réception d’un programme.
Pourtant, les difficultés de rendre compte des consommateurs ne se situent-elles pas
également dans le fait que même convertis en chiffres, ils se dérobent à la notion de segment
et que ce par quoi on les compte ne les représente pas totalement ou de façon partielle ? D’où
finalement, la mise en lumière d’une troisième forme de saisie du public dans le champ des
représentations : celle d’un spectateur incorporé correspondant à la situation où le concepteur
se met « à la place » du consommateur. Autrement dit, c’est ce consommateur incorporé dans
le médiateur marchand – en tant que client, aimerais-je acheter ce produit ? – qui a le dernier
mot.
En troisième lieu, de multiples exemples illustrent la difficulté, centrale en marketing, de
définition des outils. Rendre compte de la richesse des perceptions, des comportements et des
attentes des consommateurs s’avère souvent incompatible avec l’aplatissement des données
que suppose un déplacement simple, simplifié et donc plus aisément compréhensible de la
réalité. Certaines informations qui permettent de les représenter finissent ainsi par se
déformer. Ainsi, connaître son âge ne suffit plus à rendre compte de certains choix bien
appréhendés par une variable simple : il faut inventer de nouveaux mobiles et prendre en
compte, en complément, leur âge subjectif.
Enfin, au-delà des avancées que provoquent les raffinements conceptuels et métriques sur
les anciennes catégorisations sociales de nature biologique (âge, sexe) ou productive (revenu,
catégorie socio-professionnelle, niveau d’éducation), les problèmes de « mesure du
consommateur » ne touchent pas que les professionnels du marketing, mais l’ensemble des
acteurs impliqués dans la construction du marché. Ainsi, Azimont et Araujo (2007), font
valoir l’existence d’un second marché : celui de l’information et des études, des organismes
de normalisation, des experts oeuvrant dans des instances externes, et des fournisseurs de
technologies. Ici, la mobilisation du consommateur par le biais d’un arsenal d’inscriptions,
fussent-elles évolutives et perpétuellement raffinées, ne suffit pas à le déplacer tant que des
controverses subsistent sur un marché. Ainsi, lorsque ces auteurs analysent la manière dont se
construit l’assortiment d’un distributeur dans la catégorie des boissons non alcoolisées, ils
montrent que les problèmes de mesure du taux de sucre et l’absence de consensus dans la
définition d’une norme – qu’est qu’un taux de sucre ? De quel sucre parle-t-on ? Dans quelle
proportion doit-il être contenu pour lutter contre l’obésité ? – ralentissent le décollage du
marché. Si les controverses sur ces questions permettent aux offreurs de se positionner
tactiquement plus aisément dans un champ de discours non stabilisés, elles empêchent
23
simultanément le ralliement massif des consommateurs à une mesure conventionnelle
indiscutable. Au regard de la résistance, cet exemple fournit deux enseignements : il montre
d’une part en quoi l'intéressement des consommateurs, même limité, peut être temporairement
réussi du fait qu’ils ne sont pas en position d'assister, en encore moins de participer à la
construction du marché qui se fait à partir d’eux, mais hors d’eux (Dubuisson-Quellier,
2009) ; il conduit d’autre part à comprendre que c’est paradoxalement un certain degré de
durcissement et de stabilité des faits – savoir précisément quel taux de quel sucre nuit à sa
santé – qui rend les dispositifs visibles et donc contestables. En d’autres termes, tant que le
consommateur ignore ce qui le rend malade, à quoi peut-il résister ? La résistance ne prend
sens que lorsqu’elle trouve matière à s’exercer, c'est-à-dire lorsque les mobiles atteignent eux-
mêmes un certain niveau de stabilisation et de rigidité qui rend possible leur questionnement.
Il n’est pas exclu de penser que les entreprises puissent avoir intérêt à maintenir un état de
controverse, bien que ce constat soit néanmoins à relativiser. Cette instabilité peut faire le jeu
de la mobilisation « résistante » campée derrière le principe de précaution et une
généralisation de la défiance vis-à-vis de certaines entreprises, comme l’illustre la controverse
sur les Organismes Génétiquement Modifiés. L’enrôlement d’une production scientifique
basée sur des mesures ne parvient ni à stabiliser les discours sur le risque, ni à réduire les
suspicions d’intérêts purement économiques attribués à Monsanto. Ces questions éclairent
peut-être sous un jour nouveau la difficulté de résistance des consommateurs dans des
situations de controverses récentes, où l’instabilité des réseaux et des faits empêchent de saisir
de manière concrète, les objets tangibles contre lesquels lutter.
Repenser la résistance à l’aune de la traduction
Revenant sur notre objectif introductif, nous avons cherché à dépasser la chaleur des
débats idéologiques qui enferment le pouvoir et la résistance dans une lecture binaire, pour
proposer une lecture alternative des formes de problématisation, d’intéressement,
d’enrôlement et de mobilisation des consommateurs. Cette lecture ouvre la possibilité de
penser la résistance dans d’autres directions que celles les plus souvent abordées, qui
s’intéressent aux modalités visibles et audibles contenues dans les discours, les causes et les
actions portées par des collectifs militants (Dubuisson-Quellier, 2009). Elle laisse entrevoir, à
l’échelon individuel, des formes d’échecs de la problématisation des attentes des
consommateurs qui ne trouvent pas de réponses satisfaisantes dans le fonctionnement actuel
du marché et s’organisent autour de défections, de formes alternatives d’échange ou
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d’enrôlement dans d’autres réseaux. Elle met au jour des résistances aux dispositifs et aux
dispositions sous-jacentes sur lesquelles ces dispositifs parient. Elle dévoile la fragmentation
des figures que l’on construit d’eux, qui ne se laissent pas si facilement inscrire, capter et
déplacer.
La recherche en comportement du consommateur – placée elle-même en position de
miroir et de mise en représentation de la pratique (Kjellberg et Helgesson, 2006 ; Cochoy,
1999) – contribue également à cette traduction. Elle participe à cette production d’inscriptions
par des chiffres, des tests, des modèles, des observations, des verbatims qui, dans des arènes
de discussion, peuvent être présentées en lieu et place des consommateurs. En traducteurs
directs des acteurs du marché – qu’il s’agisse des consommateurs ou des professionnels
marchands –, les chercheurs concourent donc aussi à ce travail de problématisation,
d’intéressement, d’enrôlement et de déplacement. Ils cherchent à garantir, sous couvert de
neutralité apparente, l’utilité économique et sociale et ce faisant la légitimité d’une science
performative, c’est à dire émergeant dans et à travers la pratique (Araujo, 2007).
Le champ des représentations où s’activent les chercheurs est tout autant que celui des
échanges un champ agonistique (Latour et Woolgar, 1979). Des dissidences apparaissent
autour des cautions scientifiques mobilisées pour rendre compte des réalités et de l’adéquation
des représentations à ces réalités. Elles questionnent simultanément l’axiologie du marketing
et sa finalité et certaines remettent en cause la quantification du consommateur comme
système central de représentation. Du paradigme expérientiel à la Consumer Culture Theory
(Arnould et Thompson, 2005), en passant par la Consumer Odyssey (Belk, Wallendorf et
Sherry, 1988), certains de ces courants tentent de retrouver le sujet sous le consommateur. Ils
proposent de le saisir non pas seulement comme un rôle, ou une inscription mobilisable, mais
comme un être agissant, doué de capacités interprétatives, d’une volonté de donner du sens à
ses actions (Arnould et Thompson, 2005), et dont on ne peut prédire, et encore moins
circonscrire le devenir.
Pourtant traduire, quelle qu’en soit l’auteur et l’intention, aboutit au paradoxe qui veut
qu’en problématisant, on enferme le sujet dans une représentation qui finit paradoxalement
par le trahir. Par un étrange jeu de miroir, ces mêmes recherches contribuent aussi à la
création d’un – « nouveau » – consommateur, du moins d’un autre consommateur. Un peu
comme Marx construit la classe ouvrière à partir d’un cadre théorique, l’expérience du
consommateur et sa dimension émotionnelle énoncées dans les cadres théoriques du début des
années 1980 sont autant un effet de réalité, qu’un effet d’observation. Pour le dire autrement,
en théorisant un consommateur à la recherche de ré-enchantement, on fabrique l’argument qui
25
permet de le faire exister sur le marché. En le voyant fragmenté, on organise sa volatilité, en
le regardant tribal, on le communautarise. L’objectivité apparente dans laquelle s’enveloppe le
discours scientifique contribue à occulter le caractère potentiellement performatif de son
travail – dans la mesure où ses idées et théories transformeraient les pratiques – sans qu’il soit
aisé de le mettre en évidence (Robert-Demontrond, 2008). Ainsi, l’éthique du chercheur,
notamment sous l’angle de sa position et de son axiologie, doit être aussi symétriqument
questionnée (Gentric, 2005 ; Bergadaà, 2004). Elle commence incontestablement par une
posture résistante et réflexive sur sa propre démarche : celle à laquelle la sociologie de la
traduction le convie, en le réintroduisant dans le travail de problématisation des discours, et
non en extériorité par rapport à ceux-ci. Le chercheur en marketing ne peut se situer moins
qu’un autre dans l’interrogation sur le « je », dans le jeu qu’il participe à construire.
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