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DÉCENTRALISATION ET ÉVOLUTION DU MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT 17 Jacques Theys, François Perdrizet, Jean-Pierre Galland, Claude Spohr, Serge Wachter, Yves Janvier, Jean-Claude Nemery, Daniel Béhar et Gilles Jeannot

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DÉCENTRALISATION ET ÉVOLUTION DU MINISTÈREDE L’ÉQUIPEMENT17

Jacques Theys, François Perdrizet, Jean-Pierre Galland,

Claude Spohr, Serge Wachter, Yves Janvier,

Jean-Claude Nemery, Daniel Béhar et Gilles Jeannot

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AVANT-PROPOS (J. Theys) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Annexe : Documents produits pour la DRAST et le CPVS dans le cadre de la démarche “Décentralisation et avenir de l’équipement” . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

PARTIE ILE MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT FACE À LA DÉCENTRALISATION

ET AUX NOUVEAUX ENJEUX DES ANNEES 2000 : QUELLES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION ? QUATRE SCÉNARIOS POUR UN DÉBAT

Jacques Theys, Jean-Pierre Galland, Claude Spohr, Serge Wachter

1. Bref retour historique sur le ministère de l’Équipement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

2. Quelle perception des enjeux début 2002 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

3. Au-delà des enjeux perçus, quelques tendances lourdes d’évolution du contexte . . . . . . . 26

4. Quatre scénarios pour un débat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

Annexe 1 : Vers une organisation décentralisée de la République : le projet de loi constitutionnelle sur la décentralisation . . . . . . . . . . . . . . . .49

PARTIE II : ÉVOLUTIONS DU MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT EN RAPPORT

AVEC LE PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION : UNE ANALYSE HISTORIQUEYves Janvier

1. Positions et valeurs du ministère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

2. L’adaptation des services aux évolutions extérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 603. La “modernisation, management de l’adaptation” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

4. Le ministère à la recherche d’enjeux et de stratégies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 755. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

PARTIE III : QUELLES PERSPECTIVES DE RENFORCEMENT DE LA DÉCENTRALISATION ?

Jean-Claude Nemery

1. Les perspectives décentralisatrices dans les rapports “Mauroy” et “Delevoye-Mercier” . . . . . 90

2. Les réformes législatives engagées et leurs limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

3. Nouvelle gouvernance et République territoriale : les débats sur la décentralisation . . . . 101

4. Décentralisation, acte 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

5. Quelques questions pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .107

3

SOMMAIRE

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PARTIE IV : DEUX CONTRIBUTIONS D’EXPERTS

I) LES ÉLUS LOCAUX ET LE MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENTDaniel Béhar

1. Les transformations du pouvoir local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

2. L’impact sur les relations du ministère de l’Équipement au local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

3. Quelle perspective de repositionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

II) LES COMPÉTENCES COMPOSITESGilles Jeannot

1. Des fonctions légitimes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

2. Des compétences à conforter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

3. Des compétences composites : l’exemple des services de police de l’eau . . . . . . . . . . . . . . . 120

4. La compétence composite n’est ni la technicité ni le management . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

5. Produire les compétences composites : essai de prospective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

PARTIE V :QUELLES PERSPECTIVES DE RENFORCEMENT DE LA DÉCENTRALISATION ?

François Perdrizet

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1271. De notre symbiose avec les agents de travaux et l’exploitation des routes . . . . . . . . . . . . . 1272. À propos de la décentralisation et de la réforme de l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1323. De l’articulation entre le politique et le technique,

l’évolution du réseau scientifique et technique de l’Équipement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

NOTES CPVS DÉJÀ PARUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .139

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Les auteurs

• François Perdrizet, Directeur de la DRAST

• Jacques Theys, Responsable du Centre de prospective et de veille scientifique de la DRAST

• Jean-Pierre Galland, Chargé de Mission au CPVS, Rédacteur en chef des Annales des Ponts

• Claude Spohr, Chargé de mission auprès du directeur de la DRAST et au Conseil Général des Ponts

• Serge Wachter, Conseiller scientifique du CPVS, professeur à l’École d’architecture de Rennes

• Yves Janvier, Directeur de Janvier Consultant

• Jean-Claude Nemery, Professeur à l’université de Reims

• Gilles Jeannot, Directeur de recherche au LATTS (ENPC)

• Daniel Béhar, Professeur associé à l’université de Paris XII, Consultant à la coopérative ACADIE

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Suite à la publication des rapportsMauroy et Delevoye laissant envisa-ger une nouvelle étape dans ladécentralisation en 2002-2003, lecomité des directeurs du ministère del’Équipement a demandé en sep-tembre 2001 à la DRAST d’engagerune réflexion sur ce thème de ladécentralisation dans ses relationsavec l’action future du ministère.Très rapidement, il est apparu néan-moins que cette analyse des impactsde la décentralisation ne pouvait êtreentreprise sans tenir compte simulta-nément d’autres évolutions auxquellesle ministère de l’Équipement estaujourd’hui confronté : le contextebudgétaire, la réforme de la loi orga-nique de 58, l’affirmation croissantede l’Europe, les nouvelles attentes dupublic et des usagers (en particulieren matière de sécurité, de participa-tion aux décisions et d’environne-ment), les difficultés à adapter les com-pétences à ces nouveaux besoins, ouencore la transformation des formesde “gouvernance” et du positionne-ment de l’État par rapport à d’autresacteurs que les collectivités locales :entreprises, organisations patronalesou syndicales, associations, autoritéde régulation, etc.Il est également apparu qu’une telleréflexion devait à la fois s’appuyer surla multiplicité des rapports, études,analyses, séminaires déjà publiés ouréalisés sur ce thème au sein ou horsdu ministère ; mais en même tempss’en différencier sur le plan de la

méthode, en donnant la place la pluslarge à l’ouverture et à la controverse.D’où, comme on le verra, une tenta-tive sans doute insuffisante pour éla-borer des scénarios contrastés d’évo-lution du ministère.

La démarche mise en place par laDRAST et le Centre de Prospective et deVeille Scientifique s’est articulée autourde quatre grandes étapes successivesentre novembre 2001 et juin 2002 :

– dans une première étape, un ques-tionnaire ouvert a été envoyé à unetrentaine de responsables de l’ad-ministration centrale, des servicesdéconcentrés et de personnalités ouchercheurs extérieurs. Il était de-mandé aux répondants à la fois de“citer cinq à dix idées reçues sem-blant déterminantes pour l’évolutiondu ministère” et de “mentionnerquelques déclencheurs – évène-ments, lectures ou expériences – an-nonçant des pistes nouvelles detransformation”.

– sur la base de ce questionnaire syn-thétisé par François Perdrizet, Direc-teur de la DRAST, plusieurs réunionsont été ensuite organisées avec deschercheurs et des responsables duMETLTM pour dégager cinq à dixthématiques majeures, susceptiblesd’être approfondies par des experts.

– dans une troisième étape, de courtessynthèses ont été commanditées puisréalisées sur les thèmes ainsi consi-dérés comme prioritaires : l’Europe,

AVANT-PROPOS

Jacques Theys*

7

* Responsable du Centre de prospective et de veillescientifique

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l’ingénierie publique, les relations duMETLTM avec les élus, la perceptiondu ministère par le public, les rela-tion entre administration centrale etservices déconcentrés, la probléma-tique du développement durable, lethème du risque, l’évolution des com-pétences, les recompositions pos-sibles des champs d’intervention, lanotion de service public…

Parallèlement deux importants “étatsdes lieux” ont été rédigés sur lethème de la décentralisation. Le pre-mier, écrit par Yves Janvier, fait unerétrospective des impacts de ladécentralisation sur le ministèredepuis les années 80 et analyse lesstratégies mises en œuvre depuiscette date pour s’adapter aux chan-gements qui en ont résulté. Lesecond, réalisé par Jean-ClaudeNemery, professeur à l’Université deReims, fait une synthèse des propo-sitions qui ont été faites ou du“débat public” qui s’est engagé surla décentralisation au cours desannées les plus récentes.

– C’est sur la base de tous ces maté-riaux qu’une quatrième étape a puse dérouler en juin 2002 : la tenued’un séminaire de réflexion pros-pective1 reprenant les éléments deréflexion précédents pour en déga-ger des “esquisses” de scénariosalternatifs sur l’évolution future duministère.

La présente Note du CPVS rassemblequelques uns des matériaux élaborésau cours de cette démarche :

– le premier texte, rédigé par leCentre de Prospective (JacquesTheys, Jean-Pierre Galland, SergeWachter et Claude Spohr), synthé-tise les principaux résultats de l’en-quête préalable et présente lesesquisses de scénarios2 ;

– les deux parties suivantes repren-nent – dans une version réduite –les rapports de Yves Janvier et deJean-Claude Nemery ;

– une quatrième partie illustre, à tra-vers deux exemples, le travail d’ex-pertise thématique qui a précédé lecolloque – les deux textes choisis por-tant successivement sur les rapportsdu ministère aux élus (Daniel Béhar)et sur l’évolution des compétences(Gilles Jeannot) ;

– enfin une postface, rédigée parFrançois Perdrizet, clôt le documentet propose au débat quelquespistes et recommandations.

Il faut insister sur le caractère à lafois incomplet et modeste de cettepublication :

– faute de place, il n’a pas été pos-sible de publier l’ensemble desexpertises qui ont été faites ni derendre compte de manière exhaus-tive du séminaire tenu en juin à laMaison de l’Amérique latine3 ;

– les scénarios présentés dans lepremier texte ne constituent que desesquisses très partielles : ils reflètentun travail en atelier de quelquesheures qui devra à l’évidence êtreapprofondi ;

– la démarche n’a pu naturellementtenir compte des projets du nouveaugouvernement en matière de décen-tralisation et risque en conséquenced’être en décalage par rapport auxperspectives qui se dessinent dansles réformes engagées aujourd’hui ;

– il faut souligner enfin que le but decette réflexion n’était pas d’analy-ser de manière opérationnelle lesconséquences pour le ministère,secteur par secteur ou niveau parniveau, des projets de décentrali-sation mais plutôt d’apporter deséléments de cadrage en amont.

Nous espérons que malgré toutes ceslimites, les éléments rassemblés danscette note (qui, comme toutes lesnotes du CPVS n’engage que leursauteurs) seront néanmoins utilespour éclairer les réformes en cours etamorcer les approfondissementsnécessaires.

1 Séminaire organisé à la Maison de l’Amérique latineles 10 et 11 juin 2002.2 La synthèse exhaustive de l’enquête, rédigée parFrançois Perdrizet, peut être obtenue auprès du Centrede Prospective et de Veille Scientifique.3 Le compte rendu de ce séminaire, réalisé par VirginieDesanfans est disponible au CPVS (Bénédicte Bianay).

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1.Projet de programme de travail sur la décentralisation et l’évolution duMETL (J. Theys, novembre 2001).

2. Envoi par F. Perdrizet d’une demande de contribution informelle, à partird’une note “Esquisse de cadrage pour une démarche prospective et ave-nir de l’Équipement” – novembre 2001.

3. Exploitation des retours à cette demande : “Résumé de lecture des contri-butions ‘Prospective et avenir de l’Equipement’ ” – F. Perdrizet, janvier2002.

4. Réflexions sur l’évolution du MELT : thèmes de travail proposés par lecomité de direction de la DRAST et synthèse de réunions préparatoires(CPVS).

5. Évolutions du ministère de l’Equipement en rapport avec le processus dedécentralisation, rapport intermédiaire – synthèse bibliographique desréflexions menées entre 1980 et 2001 – Yves Janvier, mars 2002.

6. Évolutions du ministère de l’Equipement en rapport avec le processus dedécentralisation, Yves Janvier, rapport final, avril 2002.

• 10 expertises portant sur des thèmes divers (avril à mai 2002) :

7. “Les élus locaux et le ministère de l’Équipement”, Daniel Béhar.

8. “Le développement durable et l’avenir de l’Équipement”, Dominique Bidou.

9. “L’Équipement dans quinze ans”, Jean-Claude Boual.

10. “Les compétences composites”, Gilles Jeannot.

11. “Le plan de modernisation de l’ingénierie publique : vers une recompo-sition des territoires professionnels ?”, Claude Vauclaure.

12. “Évolution des rapports entre DAC et services extérieurs”, François Hurson.

13. “Contribution aux réflexions prospectives sur l’avenir de l’Équipement”,Isabelle Orgogozo.

14. “La société du risque et le ministère de l’Équipement post-moderne”,Jean-Gustave Padioleau.

15. “Institutions européennes et nationales : l’imbrication”, Jean-Claude Boual.

16. “Ingénierie publique : quelques hypothèses d’évolution”, SébastienGourgouillat.

• 3 documents de synthèse réalisés par Virgine Desansfans (cabinet YvesJanvier) :

17. Résumé de la thèse : Le ministère de l’Équipement : un révélateur desmutations en cours de l’action publique territoriale, thèse de doctorat ensciences politiques, Hélène Reigner, novembre 2000.

18. Résumé de la recherche : Le rapprochement des directions de l’agricul-ture et de la forêt et des directions départementales de l’Équipement, lacoordination des interventions publiques, Patrice Duran, avril 1995.

19. Résumé des Baromètres de la communication gouvernementale de 1996à 2001, SIC-METL.

20. Quelles perspectives de renforcement de la décentralisation ? Jean-Claude Nemery, mai 2002.

21. Compte rendu de l’atelier “Prospective de la décentralisation et avenirde l’Équipement”, DRAST, 10-11 juin 2002, Maison de l’Amériquelatine, Virginie Desansfans, juillet 2002.

Documents produits pour la DRAST et le CPVS dans le cadre de la démarche

“décentralisation et avenir de l’Équipement”

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Partie I

LE MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT FACE À LA DÉCENTRALISATION

ET AUX NOUVEAUX ENJEUX DES ANNÉES 2000 :

QUELLES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION ?QUATRE SCÉNARIOS POUR UN DÉBAT

Jacques Theys, Jean-Pierre Galland, Claude Spohr, Serge Wachter

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1 Source : compte rendu du Comité des directeurs datéd’octobre 2001.2 On s’est limité dans cette note à reproduire les résul-tats des ateliers de prospective mis en place au cours duséminaire organisé à la Maison de l’Amérique latine, les10 et 11 juin 2002.3 Voir, sur ces deux rapports, la synthèse rédigée parJean-Claude Nemery.4 Les deux rapports plaident non seulement pour destransferts de compétences mais aussi pour des trans-ferts de moyens et de personnels – dont les répercus-sions seraient nécessairement très importantes pour leMELTM.5 Voir également la synthèse de Jean-Claude Nemery,en partie III du document.

13

C’est à la demande du Comité desdirecteurs du ministère de l’Équipe-ment1 que la DRAST et le CPVS ontengagé fin 2001 une réflexion sur“les conséquences possibles d’unenouvelle étape de la décentralisa-tion”, et plus largement, sur “les nou-veaux enjeux, liés aux évolutionsinternes ou externes, auxquelsdevrait être confronté le ministèredans les années à venir”.

La démarche mise en œuvre a com-biné plusieurs “outils” différents : uneconsultation restreinte, la réalisationde plusieurs “états des lieux”, desexpertises sur des sujets ciblés, l’or-ganisation d’un séminaire, et finale-ment l’élaboration de “scénarioscontrastés”. La note qui suit rendcompte essentiellement des résul-tats de la consultation restreinteet du travail d’élaboration desscénarios qui, comme on leconstatera, ne sont encore quedes esquisses très schématiques2.

À l’origine de la démarche confiée àla DRAST, il s’agissait essentiellementde situer le ministère par rapport auxpropositions faites fin 2000 et début2001 par les rapports Mauroy et Mer-cier-Delevoye3. Ces deux rapports,tout en ouvrant la perspective d’unenouvelle étape dans la décentralisa-tion, suggéraient en effet simultané-ment des transferts très précis de com-pétences aujourd’hui attribuées auministère – soit au profit des régions(ports non autonomes d’intérêt régio-nal, transports ferroviaires, aides loca-lisables aux logements…), soit à celuides départements (entretien du réseauroutier national…). Une première pré-occupation était donc de s’interroger

sur les conditions ou impacts possiblesd’un tel transfert4.

Très rapidement, il est apparu néan-moins que la réflexion devait êtreélargie dans au moins trois directions.

Il a semblé tout d’abord nécessaire, àmesure que l’année 2002 s’avançait,de prendre en compte d’autres hypo-thèses de décentralisation que cellessuggérées dans les rapports Mauroyet Mercier-Delevoye – ce qui finale-ment a justifié un large “état deslieux” des débats ouverts sur ce thèmeavant les élections présidentielles5.

Il est par ailleurs progressivementapparu qu’on ne pouvait dissocier lesréflexions sur la décentralisation decelles portant sur d’autres évolutionsinternes ou externes au ministère – l’af-firmation croissante de l’Europe, lechangement des attentes sociales, lamodernisation de l’État, le renforce-ment des contraintes budgétaires, lerenouvellement des compétences, levieillissement du personnel… Unelarge place leur a donc été donnéedès la consultation préliminaire.

Enfin – et surtout – il a semblé qu’onne pouvait évaluer l’impact desréformes institutionnelles à venir sanstenir compte à la fois des transforma-tions de longue durée qui ont affectéle ministère de l’Équipement depuisvingt ans et de la longue liste deréflexions, diagnostics et constats quise sont attachés à caractériser ceschangements au cours de la mêmepériode. Bien qu’identifiées à de nom-breuses reprises – notamment lors du“Grand Débat” de 1995 – ces muta-tions en profondeur du contexte,

PARTIE I :LE MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT FACE À LA DÉCENTRALISATION

ET AUX NOUVEAUX ENJEUX DES ANNEES 2000 : QUELLES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION ?

QUATRE SCÉNARIOS POUR UN DÉBAT

Jacques Theys, Jean-Pierre Galland, Claude Spohr, Serge Wachter

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parce que multiples et progressives,sont restées très largement à l’arrière-plan – mal explicité – du fonctionne-ment du ministère. Or, il s’agit à l’évi-dence de facteurs déterminants danstoute tentative de positionnement parrapport aux hypothèses de décentra-lisation future – dans la mesure oùcelle-ci ne peut se réduire à un simpletransfert de compétences.

C’est en fait précisément l’objet desscénarios – présentés en quatrièmepartie de cette note – de réarticulerces déterminants de long terme et lesenjeux plus immédiats liés à la décen-tralisation, pour tenter de dessiner desimages volontairement contrastéesd’évolution du ministère dans ladécennie à venir.

À travers leur extrême schématisme,la principale vertu de ces “images”est peut-être finalement de montrer, acontrario, la difficulté à faire tenirdans une même vision cohérente uneadministration aussi multiple dans seséchelles et champs d’intervention,mais surtout dans ses fonctions (de“garant”, “partenaire”, “presta-

taire”, “opérateur”, “contrôleur”,“régulateur”…), que celle du minis-tère…

Comment cet équilibre entre fonctionss’est-il modifié au cours de la périodehistorique récente ? Comment pourrait-il encore évoluer dans différentscontextes de décentralisation ? C’esten définitive la question centrale àlaquelle tentent de répondre les quatreparties de ce papier qui s’attachentsuccessivement :

1. à rappeler rapidement les grandesétapes de l’évolution historique duministère (Partie I) ;

2. à synthétiser les principaux résul-tats de la consultation lancée fin2001 sur “la perception desenjeux futurs” (Partie II) ;

3. à faire un bref inventaire, en prin-cipe plus objectif, des quelques fac-teurs majeurs d’évolution à moyenterme du contexte – tant internequ’externe – (Partie III) ;

4. et enfin à présenter les esquissesde scénarios élaborées lors duséminaire de juin 2002 (Partie IV).

I. BREF RETOUR HISTORIQUE SUR LE MINISTRE DE L’ÉQUIPEMENT6

14

Le ministère de l’Équipement a été crééen 1966 par la fusion du ministère desTravaux Publics et du ministère de laConstruction et de l’Urbanisme. C’estla rencontre de deux domaines d’ac-tion de traditions et de structures trèsdissemblables : les Travaux Publics,administration très déconcentrée et liéeau monde rural, et la Construction etl’Urbanisme, structure centralisée s’oc-cupant des villes, qui a donné lieu àune institution puissante et originale,restée pour l’ensemble stable, pourtraiter des enjeux de plus en plusurbains d’une société en forte trans-formation depuis les années 50.

Première origine : le ministère des Travaux PublicsLa base la plus ancienne et la plus mar-quante de ce nouveau ministère a étéle ministère des Travaux Publics (MTP),son cœur historique, fondé en 1830pour équiper le territoire en infrastruc-tures routières, en canaux de naviga-tion ou en infrastructures ferroviaires.

Ce ministère, spécialisé dans le géniecivil, prend sa forme définitive en1869. Il est extrêmement décentraliséet ancré dans le monde rural autourde la construction et de l’entretien desroutes.

Son administration dispose de caracté-ristiques originales et à l’origine de trèsprofondes traditions : une forte implan-tation territoriale avec des services trèsautonomes par rapport aux adminis-trations centrales, capables de s’adap-ter à l’extrême diversité des situations etdes configurations politiques locales.

En 1904, l’administration des TravauxPublics comporte environ 8 500agents sur les quelque 500 000 quecomprend la fonction publique. Plusde 95 % des effectifs sont affectésdans les services territoriaux, seuls 250agents sont en administration centrale.

Dans chaque département est implantéun Service Ordinaire des Ponts etChaussées (SOPC), l’ancêtre desDirections Départementales de l’Équi-

6 Il s’agit d’un résumé, librement construit, d’unensemble de cours de l’Ecole Nationale des TravauxPublics de l’État, “Les politiques publiques d’équipe-ment du territoire : approche historique et politique”,réalisé sous la direction de B. Jouve.

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pement (DDE). Dirigé par un ingénieuren chef des Ponts et Chaussées, ilcoiffe des arrondissements territoriaux,deux à six selon les départements, etdes subdivisions, quatre à huit selonles arrondissements.

Dans leurs rapports aux communes,ces cellules de base que sont les sub-divisions et les arrondissements cumu-lent, dès cette époque, les trois fonc-tions qu’elles assurent encore trèslargement aujourd’hui : une fonctionde production technique ou d’entre-prise de génie civil, financée parhonoraires ; une fonction régaliennede contrôle de légalité et de “portage”des politiques nationales ; et une fonc-tion d’assistance, de conseil à la maî-trise d’ouvrage ou d’ingénierie.

Par son rapport privilégié au terri-toire, c’est-à-dire aux élus locaux, leministère des Travaux publics consti-tue ainsi, par bien des points, une ori-ginalité dans l’appareil administratifde l’État républicain français. Maisson mode de fonctionnement estincontestablement mieux adapté auxterritoires ruraux qu’à la ville : dansles zones urbaines, le nombre d’ac-teurs à intégrer dans les négociationsavec l’État est incomparablement plusimportant (élus locaux de différentestendances, acteurs privés, groupes depression, associations…) ; les modesd’intervention sur la ville font interve-nir une expertise beaucoup plussocio-politique ou économique quetechnique ; le “socialisme municipal”qui se développe à partir de la fin duXIXè siècle vient remettre en question lalégitimité de l’État à intervenir seul. Ily a là une dissymétrie qui va marquerdurablement le ministère.

Seconde origine : le ministère de laReconstruction et de l’UrbanismeÀ l’opposé des traditions décentrali-sées du MTP, l’urbanisme et la recons-truction prennent au lendemain de laguerre une tournure centralisatrice –dans une relative continuité avec cer-taines réformes de Vichy qui avaitcréé des administrations centraleschargées de la planification des villes.

En novembre 1944 est créé le minis-tère de la Reconstruction et de l’Ur-

banisme (MRU) – la fusion, proposéeà cette époque, de la reconstruction etdes travaux publics ayant été refusée.

Le MRU qui, sous l’impulsion de son Pre-mier ministre, Raoul Dautry, avait pourmission de “reconstruire la France”,hérite des traditions d’interventionpublique en matière de logement social.

À partir de 1949, il récupère la res-ponsabilité des Habitations à Bon Mar-ché (HBM) qui deviendront les Habi-tations à Loyer Modéré (HLM) en1950. Une politique de la constructionet du logement s’élabore progressive-ment pour prendre le relais de lareconstruction. C’est à partir de 1953que les moyens sont dégagés pour lan-cer une politique de construction demasse. L’objectif du “Plan Courant”était de construire 240 000 logementspar an. En 1952, 82 000 logementsauront été construits ; 187 000 en1953 et 264 000 en 1954.

Cette politique de la construction, avecla figure centrale du “grand en-semble”, qui permet la convergenced’une logique industrielle et d’unelogique architecturale et urbaine, vafinalement conduire à la constructionde plus de 2 millions de logements en10 ans.

Le MRU a un caractère très centralisé.L’administration répartit des crédits,réglemente, contrôle, lance des mar-chés, produit des normes techniques,mais ne réalise jamais elle-même. En1965, avant la fusion, elle compte7 000 agents avec en moyenne 1 sur4 en centrale (1 sur 60 pour le MTP).Elle s’appuie localement sur des Direc-tions départementales de la Construc-tion (DDC) relativement modestes. Lecontraste avec le ministère des Travauxpublics est évident.

La création du ministère de l’Équipement en 1966Pour faire face aux enjeux devenusmajeurs de l’aménagement du terri-toire et de la politique urbaine, le gou-vernement met en place, au début desannées 60, un certain nombre d’outilsnouveaux : l’Institut d’Aménagementet d’Urbanisme de la Région Pari-sienne, le District (1959) et l’Agence

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Foncière et Technique (1962) pour larégion capitale ; la Délégation àl’Aménagement du Territoire et del’Action Régionale, DATAR, (1963)pour l’ensemble du territoire. Il engagepar ailleurs une refonte plus globaledes interventions territoriales de l’Étatpar la création du ministère de l’Équi-pement. Il s’agit de prolonger l’effortde construction par une politiqueactive de l’habitat et de l’aménage-ment de l’espace s’appuyant sur unemaîtrise des équipements et du foncier.

Le ministère de l’Équipement naît offi-ciellement par décret du 20 janvier1966. Le gouvernement gaulliste entre-prend de recentraliser les activités duministère des Travaux Publics et duministère de la Construction puis de lesfusionner, afin de produire une entitéadministrative imposante, efficace etgouvernable de Paris.

Le ministère de l’Équipement compteà sa création près de 85 000 agents.Ses dépenses d’investissement repré-sentent à elles seules plus du tiers desdépenses en capital de l’État.

L’administration centrale est recom-posée et progressivement renforcée.Sa structuration répond aux objectifssuivants :

– définir et conduire la politique fon-cière nécessaire pour la maîtrise del’urbanisation et des transports ;

– réaliser des infrastructures ou encontrôler la réalisation ;

– organiser, financer et contrôler laconstruction de logements et deséquipements correspondants ;

– assurer l’exploitation des infra-structures et des moyens de trans-port en recherchant un optimuméconomique et social (notammentgrâce à l’utilisation du calcul éco-nomique et de politiques de finan-cement adaptées).

Les DDE sont créées sur la base d’uneorganisation qui restera pérennedurant une vingtaine d’années. Auxservices des anciennes directionsSOPC et DDC (les services-infrastruc-tures, avec une implantation territorialeremaniée et réduite, et les services del’urbanisme opérationnel et de laconstruction) se rajoutent deux services

transversaux, le Groupe AdministratifCentral (GAC) et le Groupe d’Etude etde Programmation (GEP). Le GEP fonc-tionne comme l’état major de la DDE.Faible en nombre mais doté de tech-niciens particulièrement adaptés auxtâches d’intégration, il a trois missions :

– animer la prospective,– assurer la programmation,– assurer aussi la liaison entre ser-

vices ou avec l’extérieur.

Le ministère de l’Équipement s’ouvreaussi par voie contractuelle à d’autresformations professionnelles, archi-tectes-urbanistes, géographes, écono-mistes, sociologues…

La direction de ces nouvelles structuresdépartementales est cependant large-ment assurée par le corps des Ingé-nieurs des Ponts et Chaussées (IPC).Sur 95 directions en 1967, 72 sontdirigées par des IPC, 21 par des Ingé-nieurs de la Construction et 2 par desUrbanistes de l’État (corps créé en1962).

De la création du ministère à la décentralisation (1966-1982)Le ministère se trouve rapidementconforté en 1967 par la loi d’Orien-tation foncière (LOF) qui correspond àl’ambition de faire concorder maîtrisedes sols et planification, et d’assurer le“gouvernement des territoires” par lecontrôle de la planification spatiale.La LOF met en place deux grandesdémarches de planification :

– les Plans d’Occupation du Sol (POS)qui précisent l’affectation détailléedes sols sur une commune ;

– les Schémas Directeur d’Aména-gement et d’Urbanisme (SDAU) quisont des schémas d’orientation àlong terme établis à l’échelle desagglomérations.

Parallèlement, la LOF crée la procé-dure de Zone d’AménagementConcerté (ZAC) qui va progressive-ment remplacer les Zones à Urbaniseren Priorité (ZUP) dont l’échec com-mence à être constaté : difficultés d’ac-quisition et retards dans les mises enchantier, terrains enclavés, mal des-servis, grande distance par rapport

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aux zones d’emplois et d’activités,mauvaise implantation dans l’agglo-mération… Les ZAC tentent de leurcôté de confier plus de responsabilitésau secteur privé dans le domaine de laproduction des équipements collectifs(un partenariat public-privé qui sedéveloppe également par le biais dessociétés d’économie mixte et des délé-gations de service public).

Le ministère de l’Équipement a ainsipour objectif de traiter de la ville etdes territoires sous différents anglesinterdépendants : maîtrise du foncier,réalisation des grandes infrastruc-tures et d’équipements collectifs, pro-duction de masse en matière de loge-ments… Il dispose pour cela d’uneforte légitimité assise sur :

– une solide capacité d’expertisetechnique et scientifique ;

– une implantation locale extrême-ment ramifiée qui lui assure unelégitimité politique non contestée,surtout en milieu rural ;

– une capacité administrative recon-nue ;

– la gestion des principaux moyensde financement ;

– ses fonctions de “représentation del’intérêt général” et son aptitude àl’articuler aux intérêts locaux.

Cette légitimité va néanmoins pro-gressivement s’affaiblir. Le ministèrede l’Équipement devra s’adapter auxcontestations qui se développent toutau long des années 70 et portent surl’obligation de ne plus traiter la villecomme un objet technique. L’État estjugé trop éloigné des réalités du local,trop dirigiste, trop bureaucratique.

La question de la recomposition desrelations entre l’État et les collectivitéslocales émerge, et, combinée aux fortestransformations sociétales, sociales etéconomiques des années 70, vaconduire aux lois de décentralisation.

Les lois de décentralisation de 1982-1983La décentralisation est conçuecomme un ré-agencement radicaldes pouvoirs locaux. Cinq grandsprincipes vont désormais organiser

le fonctionnement des collectivitéslocales :

– la libre administration des collecti-vités locales par les élus et le trans-fert de leur exécutif au profit de pré-sidents élus ;

– la reconnaissance de la régioncomme une collectivité de pleinexercice ;

– le transfert de ressources fiscales etbudgétaires de l’État, ainsi que decompétences importantes, vers lescollectivités locales ;

– le transfert aux Chambres régio-nales des comptes du contrôle bud-gétaire et financier des collectivitésterritoriales ;

– l’absence de hiérarchie entreniveaux de collectivité.

Le dispositif met d’abord en placede nouvelles responsabilités poli-tiques et administratives pour les col-lectivités libérées de la tutelle du pré-fet. La définition des missions et desmoyens intervient dans un secondtemps au fur et à mesure de diffé-rentes lois qui viennent compléter,corriger ou expliciter les conditionsd’exercice des nouveaux pouvoirs.Il s’agit d’un processus long quiaujourd’hui n’est certainement pasencore achevé.

La loi du 2 mars 1982 pose les grandsprincipes. La loi du 7 janvier 1983 éta-blit la répartition des compétencesentre les collectivités.

La région est créée en tant que col-lectivité locale, bien que le change-ment de statut n’entre en applicationqu’après les élections législatives de1986, sur des modalités organiséespar la loi du 10 juillet 1985.

Le département est consolidé. Il dis-pose de nouvelles compétences enmatière sanitaire et sociale. La loiconfirme son rôle d’aménageur parles compétences de voirie et de trans-ports, lui reconnaît un pouvoir d’in-tervention dans le domaine écono-mique et consacre son rôlefédérateur du tissu communal ; il peutapporter son concours technique,financier et juridique à l’ensembledes communes.

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Les responsabilités de l’urbanisme sonttransférées aux communes et auxgroupements de communes (même si,dans la pratique, la mise en œuvre dece droit peut être confiée aux servicesde l’État mis à leur disposition).

– Les services déconcentrés de l’Étatsont en conséquence réorganisés.Les services qui exercent une com-pétence attribuée à une collectivitésont soit transférés, soit mis à sa dis-position. Le système est encadré parune phase de transition à l’issue delaquelle une convention est signéepar le représentant de l’État et l’exé-cutif départemental ou régional.

Entre 1983 et aujourd’hui, environ5 000 agents auront ainsi été transfé-rés aux départements – notamment lesservices ou partie de services chargésdes transports scolaires, des transportsdépartementaux de voyageurs, desports maritimes de pêche et de com-merce, de la maîtrise d’ouvrage descollèges, de la programmation ou del’exploitation de la voirie départemen-tale7. La mise à disposition des parcset des subdivisions territoriales, orga-nisée sous forme de convention par laloi du 2 décembre 19928 toucheraquant à elle environ 25 000 agentssur un total de 80 000 travaillant dansles DDE en 2001.

La décentralisation a fortement désta-bilisé les DDE. Par réaction, les années80 ont été l’occasion d’un profondmouvement de réorganisation, susciténon seulement par les conséquencesde la décentralisation, mais aussi parla volonté d’un renouvellement du ser-vice public et de son adaptation auxnouvelles conditions sociales et éco-nomiques de cette période.

Ce mouvement de modernisationvise à la fois à réorganiser les tâcheset les fonctions “régaliennes”, et àaméliorer la qualité des services àapporter aux collectivités et aupublic. En particulier :

– l’arrondissement territorial et, dansune majorité de cas, les subdivisionsdeviennent des pôles de prestationpolyvalents ;

– les GEP sont souvent supprimés oumarginalisés ; une partie de leurs

effectifs est territorialisée ; le resteréorganisé en service d’étudesgénérales assurant également lestâches de “porter à connaissance” ;

– les services de l’Urbanisme Opé-rationnel et de Construction (UOC),amputés de leur fonction de ges-tion du droit des sols qui est terri-torialisée, se transforment en ser-vice de l’habitat ;

– les services de la sécurité et de l’en-tretien routiers, en large partie trans-férés ou gérés transitoirement parconvention, sont réorganisés.

Il en résulte plusieurs types d’organi-sation selon les DDE, leur taille, la qua-lité de leurs rapports avec les dépar-tements et la vitesse d’adaptationlocale des principes de modernisa-tion. De façon générale, les servicesde conception se sont affaiblis.

Et pourtant, le diagnostic sur lesimpacts de cette “première étape” dela décentralisation est contrasté :

– pour les uns9, la décentralisation aplutôt permis l’affirmation – à traversles DDE – du rôle d’un “État territo-rial déconcentré”, capable de nouerdes partenariats efficaces avec lescollectivités locales et de s’adapteraux formes nouvelles – plus “poly-centriques” – de l’action publique.On constate en effet que les DDErestent très sollicitées par les collec-tivités locales – notamment en zonerurale – (70 % de l’activité des DDEse fait au profit de celles-ci10), queleur rôle de “service technique” despetites communes n’est pas remis encause, et que finalement peu deprésidents de Conseils généraux ontsouhaité des partitions qui seseraient soldées par un dédouble-ment de structures ;

– pour d’autres, plus critiques, ladécentralisation a plutôt conduit l’É-tat à jouer un rôle d’acteur local“subsidiaire”, encore présent dansles domaines mal pris en comptepar les collectivités locales (l’équi-pement en zone rurale, la gestiondes crises…), mais de plus en plusen retrait par rapport à des enjeuxmajeurs comme la ville, le dévelop-pement économique local ou l’amé-nagement du territoire…

7 Source : rapport de la Commission des finances surle projet de loi de finances pour 2003 (annexe 20,Hervé Mariton).8 Loi n° 92-1255 relative à la mise à disposition desdépartements des services déconcentrés du ministèrede l’Équipement et à la prise en charge des dépensesde ces services.9 C’est notamment la position défendue par HélèneReigner dans sa thèse publiée aux Éditions de L’Har-mattan, Les DDE et le politique : quelle administrationdes territoires ?10 Soit très approximativement 50 % pour les dépar-tements et 20 % pour les communes. Voir la thèse d’Hé-lène Reigner, ouvrage cité.

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En fait, comme va le montrer la répé-tition des diagnostics et des débatsvenant se succéder tout au long desannées 90, c’est, bien au-delà deseffets de la décentralisation, l’identitémême du ministère qui va devenir pro-gressivement plus confuse (ou contro-versée) avec des tensions croissantesentre les “nouvelles DDE”, de plus enplus intégrées dans l’action publiquelocale, et les services centraux, sub-stantiellement renforcés, mais ne repré-sentant toujours à la fin des années 90que moins de 5 % du ministère11.

Les incertitudes des années 90La décentralisation de 1982-1983 amultiplié les lieux de décision et lesacteurs qui participent directement ouindirectement aux décisions et auxdémarches de l’action publique. Cettecomplexité va encore se développerjusqu’à atteindre son point culminantavec les “trois lois” – Voynet, Chevè-nement et S.R.U – qui consacrent lamontée en puissance des intercommu-nalités et refaçonnent de façon vrai-semblablement durable le paysage ins-titutionnel français. Il s’agit dedémarches de projets territoriaux àtoutes sortes d’échelles, à la charnièredes réalités locales et des politiqueseuropéennes, nationales, régionales“descendantes” ; démarches de plusen plus ouvertes à des débats avec desacteurs et des publics de plus en pluslarges, et pour lesquelles les enjeux,les thématiques, les connaissances, lesdisciplines et les modes d’interventionsont rendus interdépendants.

Ces démarches peuvent être globales[chartes de Pays, contrats d’agglo-mération ou Schéma de CohérenceTerritoriale (SCOT)], ou sectorielles[Programme Local de l’Habitat (PLH),Plan de Déplacement Urbain(PDU) …]. Elles induisent un jeu d’ac-teurs où les services déconcentrés,partenaires parmi beaucoup d’autres,doivent en permanence renouvelerleur positionnement et questionner leurcapacité d’expertise, de savoir-faireet de vision stratégique.

L’adaptation des services déconcen-trés par rapport à un environnementde plus en plus mouvant et incertain,

marqué par les à-coups liés aux évo-lutions institutionnelles, pose des défispermanents en terme d’organisation,de qualification, de formation deséquipes, de rapports avec l’extérieur etde communication. Ces services, avecde moins en moins de moyens, sonten permanence tenus de montrer leurcrédibilité en étant tiraillés entre uneadaptation continue aux formes chan-geantes des politiques locales et l’ap-plication territorialisée des “politiquesnationales prioritaires”12 qui résultentdes orientations définies par les direc-tions d’administration centrale.

Mais les incertitudes et les problèmesde choix stratégiques ne concernentpas seulement l’administration locale etles DDE. Car depuis les années 80, tout“l’environnement” du ministère s’est,parallèlement à la décentralisation,transformé et complexifié :

– depuis la loi d’orientation des trans-ports terrestres et la dérégulation dumilieu des années 80, la politiquede transport a pris, dans un contextede mondialisation et d’intégrationeuropéenne croissante, une dimen-sion qu’elle n’avait pas dans lesdécennies antérieures. Il ne s’agitplus désormais seulement de pro-duire ou de faire produire des équi-pements, mais aussi d’inventer et defaire accepter de nouvelles formesde “régulations” par les entreprisespubliques ou privées et les parte-naires sociaux ou européens, ce quiimplique des modes d’action très dif-férents ;

– l’attention portée durant les “TrenteGlorieuses” à la reconstruction et laproduction se porte de plus en plus,au cours des années 90, aux consé-quences des activités humaines et del’aménagement : à la sécurité, à l’en-vironnement, aux risques de fracturesociale, au “développement dura-ble”, à la démocratie participative.Or, comme le constate PatriceDuran13, le ministère de l’Équipe-ment, faute d’avoir eu dans lesannées 80-90 une stratégie proac-tive, a perdu sur ces thèmes une par-tie de ses capacités réelles d’inter-vention – ce qui le rend vulnérableen retour ;

– une dernière incertitude majeureporte enfin sur les compétences.

11 Aux 78 000 agents des DDE s’ajoutaient en2002 : 4 000 personnes dans les administrations cen-trales, 2 200 dans les Directions Régionales, 4 800dans le Réseau Scientifique et Technique, et 11 000dans les services spécialisés (navigation maritime,bases aériennes, écoles…).12 Synthétisées dans les directives nationales d’orien-tation.13 Source : Patrice Duran, “L’Équipement, une admi-nistration de gestion en recherche de missions” –Annales des Ponts, juillet-septembre 2001.

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Dans un contexte de restriction bud-gétaire, de vieillissement démogra-phique, de contraintes statutaires, demise en concurrence de l’ingénieriepublique ou de moindre attractivité del’État, c’est finalement – avec l’affai-blissement des compétences tech-niques – un des piliers centraux duministère (celui qui avait contribué àsa force depuis l’administration des tra-vaux publics), qui risque finalement des’affaiblir.

Après le ministère des Travaux publics,après celui de la Construction, aprèsaussi celui des Villes et de l’aménage-ment du territoire, le sentiment à la findes années 90 est que “l’Équipement”n’a plus d’identité clairement définieou plutôt qu’il doit de plus en plus sedéfinir “en réaction” par rapport auxévènements ou à l’extérieur14.

C’est dans ce contexte que viennents’inscrire les nouvelles propositionsen matière de décentralisation.

II. QUELLE PERCEPTION DES ENJEUX DÉBUT 2002 ?

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A l’aube de ce qui s’annonce commeune nouvelle étape importante dansl’histoire du ministère, comment lesenjeux auxquels celui-ci est aujourd’huiconfronté sont-ils perçus ?

C’était précisément l’objet de l’en-quête lancée fin 2001 par la DRASTque d’évaluer cette perception. Il étaitdemandé à la trentaine de personnesinterrogées de “citer cinq à dix idéesreçues semblant déterminantes pourl’évolution du ministère” et de “men-tionner quelques déclencheurs – évè-nements, lectures ou expériences –amorçant des pistes nouvelles detransformation”. L’exploitation de cequestionnaire15 ainsi que les réflexionscomplémentaires demandées début2002 à une dizaine d’experts, don-nent une représentation de ces enjeuxassez convergente, qui confirme lesentiment d’incertitude déjà présent aucours des années 90, mais met aussien évidence de multiples opportunitésnouvelles. On les regroupera iciautour de huit grands thèmes.

L’évolution des “postures” et missions du ministèreIl est devenu courant au sein du minis-tère, de réfléchir de manière généraleau rôle de l’État à partir de trois pôlesdistincts : “l’État garant” (dit parfoisrégalien) qui assure les missions incon-tournables d’un État de droit ; “l’Étatpartenaire” qui assume des missions àforts enjeux avec d’autres en ayant leparti de la mise en œuvre de l’intérêtgénéral ; et enfin “l’État prestataire”,qui fait lui-même un certain nombrede tâches pour le compte de tiers.

Cette façon de discriminer les fonctionde l’État tient maintenant du registredes “idées reçues”. Si elle garde sansdoute sa pertinence, elle demandecependant à être réinterrogée, s’agis-sant en tout cas du ministère de l’Équipement :

– Qu’est-ce que les fonctions réga-liennes de ce ministère ? La ques-tion multiface de la sécurité parexemple, que l’on sent monter sousdivers aspects, doit-elle être consi-dérée, globalement, à l’instar de cequ’elle est sans doute pour les minis-tères de l’Intérieur ou de la Justice,comme une fonction régalienne ?Pour un ministère technique commele nôtre, cela signifie-t-il que tout cequi a trait à la sécurité (mise enplace de dispositifs destinés à amé-liorer la sécurité routière ou étuded’un Plan de prévention des risquesnaturels, par exemple) doive impé-rativement être l’apanage exclusifdes services de l’État ? On voit làles limites d’une telle approche,extensive, des fonctions régaliennesd’un ministère technique. Mais àl’inverse, faut-il se contenter deconsidérer comme régalien ce quitient du contrôle ultime du bon fonc-tionnement général des relationsentre les acteurs locaux (contrôle delégalité par exemple) ?

– En ces temps de remise en cause dela notion d’intérêt général, qu’est-ceque la spécificité de l’État parte-naire ? Pour certains (D. Behar), lesrécentes évolutions du pouvoir localont provoqué une fragmentationaccrue de celui-ci et une remise encause du caractère “naturellementsurplombant” de l’État (et des ser-

14 Voir les réflexions menées au cours du “GrandDébat” de 1995 ainsi que le compte rendu d’un sémi-naire organisé en mai 2001 par la MIGT11 (CGPC).15 Réalisée par François Perdrizet, Directeur de laDRAST, voir opus cité en annexe 1.

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vices du ministère) en milieu rural (àl’instar de ce qui s’est passé anté-rieurement dans les villes). Finale-ment, et en raison de la mise enœuvre croissante d’une “logique deprojet” au sein des territoires, le pou-voir local tendrait à être de plus enplus “indifférent” à l’État, davantagepréoccupé qu’il est des concurrencesqui s’y multiplient.

– Enfin, l’activité traditionnelle de l’É-quipement prestataire est fragiliséepar l’ouverture de la concurrencesouhaitée par les instances euro-péennes (cf. le point public/privéet ingénierie publique).

Le développement durable et les questions environnementaleset des risquesL’idée de développement durable,avec ses avantages et ses inconvénients(la notion est maintenant largementprise au sérieux mais reste floue) pour-rait constituer une ressource pour unereconfiguration des missions du minis-tère. Une des conditions de cette inté-gration, pour ce ministère en particu-lier, est cependant de bien prendrecette notion dans sa triple dimension,environnementale certes, mais aussiéconomique et sociale. Reste en outreà donner très largement un contenuplus concret au concept. De même,l’idée de ne pas “laisser la question del’environnement au seul ministère del’environnement” ou celle de dépasserl’idée reçue au METLTM selon laquelle“la concertation avec le public, enmatière de projets d’équipementsnotamment, serait seulement un malnécessaire” revient régulièrement dansles points de vue exprimés.

Sur le registre plus restreint mais déjàvaste de la question des risques, uneapproche dépassant également un cer-tain nombre d’idées “reçues” a été pré-sentée par l’un des experts interrogés(J.-G. Padioleau) : si le ministère de l’É-quipement est habituellement mal àl’aise vis-à-vis de ces questions, c’estavant tout parce qu’il est le “soutier” dela mise en œuvre au plan local de poli-tiques publiques pensées par d’autres(Environnement, Santé, Intérieur…).Or, il peut inverser cette tendance à lacondition de ne pas s’en tenir, comme

la plupart de ses partenaires d’ailleurs,à une approche purement négativedes risques. Les risques (naturels, indus-triels…) sont “janusiens”, toute entre-prise humaine comportant des oppor-tunités positives et des effets possiblesnégatifs. Le ministère de l’Équipement(comme celui de l’Agriculture) a toutintérêt à reconnaître cette doubledimension et à se positionner, commeil l’a d’ailleurs largement fait dans sonhistoire, mais peut-être sans le dire jus-qu’ici de manière explicite, comme“entrepreneur d’actions collectives”dans la “société du risque” (ou desrisques) dans laquelle nous vivonsdésormais16.

Le partage public/privéL’évolution des rapports public/privédans nos champs de compétences nese résume pas à la seule question del’ingénierie publique ; mais les exi-gences tout récemment introduites parla Communauté Européenne sur ceplan constituent néanmoins une véri-table “révolution culturelle” (C. Vau-clare) dans les services déconcentrés.Le fait pour ces services de se trouverdésormais en concurrence avec lesecteur privé vis-à-vis d’un certainnombre de prestations destinées auxcollectivités territoriales (avec néces-sité de facturer sur devis ces presta-tions, ceci incluant estimation destemps passés et prix de journée)constitue un changement profond tantdans les rapports entretenus par lesservices déconcentrés avec leur envi-ronnement que dans le fonctionne-ment même des dits services. Le Plande modernisation de l’ingénierie pu-blique tente d’articuler cette donnenouvelle au maintien des missions deservice public (plans stratégiques desservices déconcentrés), en ouvrant enparallèle de nouveaux domainesd’investigation pour l’Équipement, cequi pose à nouveau la question descompétences et des qualifications.

La décentralisationL’idée selon laquelle la décentrali-sation va se poursuivre est large-ment partagée. D’un côté, elle pro-gresse d’ailleurs “à bas bruit” (la“révolution silencieuse” de l’inter-communalité), de l’autre, beaucoup

16 Voir l’article de Jacques Theys : “La société desrisques” in L’aménagement en cinquante tendances –Éditions de l’Aube – DATAR/CPVS – 2002, ainsi quela Note CPVS n° 10 (Jean-Pierre Galland).

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s’attendent à un “coup d’accéléra-teur radical” en la matière (voir letexte de J.-C. Nemery notamment).

La question de la déconcentration desmoyens de l’État accompagne celle dela décentralisation du pouvoir politique.Sont ainsi une nouvelle fois, mais peut-être de manière plus importante quejamais, posées un certain nombre dequestions qui touchent d’une part au sta-tut du niveau régional, au rapport entredirections d’administration centrale et

services déconcentrés (Voir Encart 2) etparallèlement, à l’évolution du rôle despréfets. Dit autrement, le double rôle desservices déconcentrés de l’Équipement,habituelles “courroies de transmission”des Directions d’administration centraled’un côté, et partenaires de l’État terri-torial de l’autre, évolue plutôt au profitde ce deuxième registre de leur activité,sans que toutes les conséquences decette évolution aient été tirées par lesdirections centrales elles-mêmes.

Encart n° 1 : Extrait (1) d’une réponse au questionnaire

“Sur la décentralisation et la déconcentration, je ne partage pas l’idée que la déconcentration serait l’anti-chambre de la décentralisation. Je pense au contraire que le caractère très centralisé de l’action adminis-trative de l’État alimente des demandes de décentralisation, l’expérience des vingt dernières années ayantdémontré l’incapacité de l’État à promouvoir une réforme de l’État déconcentré répondant aux exigencesd’une gestion moderne, proche du citoyen et lui permettant de se positionner en priorité dans une logiquede réponse à la demande sociale. Les élus sont exaspérés par le centralisme de l’administration qui en faits’est renforcé au cours des dernières années.”

Encart n° 2 : Ce que les services extérieurs attendent des Directions d’administration centrale

Avant de définir ce qu’un service extérieur attend d’une DAC, il est intéressant de rappeler ce que souhai-tent ses commanditaires locaux (préfet, élus).• Les élus attendent de la DDE :– une capacité à “territorialiser” les politiques nationales, c’est-à-dire à faire en sorte que leur application soit

la plus efficace possible en fonction des éléments de contexte local (apporter les meilleures procédures, sim-plifier les démarches administratives, faire en sorte que les financements offrent le meilleur rapport global) ;

– une capacité d’expertise, surtout dans les départements de taille moyenne ou petite, où les collectivités elles-mêmes sont confrontées à des problèmes de ressources et de compétences dans les domaines tels que :renouvellement urbain – transports collectifs – déplacements urbains – développement économique – amé-nagement. Des prestations de qualité (ingénierie publique et mise à disposition du Conseil général).

• Le préfet attend de la DDE (au-delà des attentes du ministère) :– des conseils pour la conduite de la politique locale ;– des expertises techniques sur des sujets touchant nos domaines d’intervention mais aussi d’autres (déve-

loppement local, projets touristiques…) ;– l’exercice du contrôle de légalité ;– la capacité à assurer une médiation locale entre État et collectivités locales voire entre collectivités locales.

À partir de là, une DDE attend des Directions d’administration centrale et d’une manière générale du niveau central :– les marges de manœuvre qui lui permettent de s’adapter au contexte local, d’optimiser les politiques, de

jouer leur rôle de médiateur ;– un recours et une réactivité dans les demandes d’expertises dont les services extérieurs font l’objet ;– la définition claire de priorités d’actions (ce qui est le cas de la DNO, à condition de considérer que ce

qui est en dehors n’a pas pour vocation à être traité avec la même priorité !) ;– les moyens et les compétences nécessaires à l’exercice de ses missions ;– un appui méthodologique et technique lors de la mise en place de politiques nouvelles ou de démarches

innovantes.

François Hurson

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La démographie des personnelset le renouvellement des métiersLa question du maintien des compé-tences et du renouvellement desmétiers au sein du ministère se posed’autant plus que la démographieactuelle des agents est telle que beau-coup de départs en retraite étant natu-rellement prévus dans les prochesannées à venir, certains craignent quele réservoir d’emplois du METLTM neconstitue une variable d’ajustement enmatière de gestion des effectifs de lafonction publique. Par ailleurs etd’ores et déjà, les métiers de l’Équi-pement semblent de moins en moinsparés d’attraits pour les grands corpsde l’État (notamment les ingénieursdes Ponts et Chaussées), voire même,de manière générale, chez les jeunes,qui en tout cas s’intéressent spontané-

ment davantage aux questions liées àla problématique de l’environnementqu’aux métiers historiques de l’Équi-pement (Virginie Desansfans, Résumédu baromètre de la communicationgouvernementale de l’Équipement).Par ailleurs, le taux de vacances despostes, notamment dans les servicesdéconcentrés, est élevé.

Les enjeux, en matière de communi-cation, et plus généralement entermes de réflexion, pour infléchir cestendances sont donc importants. Lessolutions pourraient passer pour cer-tains, compte tenu de l’évolutiongénérale du contexte de ces emploispublics, par des ruptures ou desmodifications radicales (fusion desfonctions publiques d’État et territo-riale, reprise de l’embauche decontractuels pour des tâches nou-velles, création d’agences…).

Encart n° 3 : Extraits (2) d’une réponse au questionnaire

“Il me paraît d’ores et déjà clair que l’Équipement prend du retard vis-à-vis des évolutions auxquelles il vaêtre confronté en continuant à développer dans ses services, au niveau de “l’institution CGPC”, dans les pro-grammes de formation de ses Ecoles, dans sa communication, une culture du “faire”. Il n’y a que lui pour ycroire et comme les jeunes perçoivent bien ces évolutions en cours, cela explique en grande partie, selonmoi, la désaffection à nos concours de recrutement…(…) On attend de l’État, à tous les niveaux, qu’il apporte de l’expertise, au niveau central comme au niveau terri-torial, et de mon point de vue c’est autour de cette idée qu’il est possible de concevoir un nouvel avenir pour noscorps d’ingénieurs. Plutôt que de cultiver la nostalgie des DDE toutes puissantes d’avant la décentralisation ou del’indépendance des anciens ingénieurs en chef des services ordinaires des Ponts et Chaussées par rapport auxpréfets, pourquoi ne pas rechercher une nouvelle légitimité dans l’expertise (y compris économique) sur tous lessujets prioritaires des Français ? L’ENA ne fabriquera jamais des experts : c’est une chance pour les grands corpstechniques de trouver demain dans l’appareil administratif de l’État des responsabilités et un avenir attractif, à condi-tion de faire reposer leur légitimité sur le “savoir” et non sur le “pouvoir” ou le “faire”.”

L’adaptation des compétencesLa question des “compétences” ausein du ministère a sans doute étéposée à partir de deux phénomènesdistincts : d’une part, la vieille idée,pas totalement “reçue”, selon laquellele ministère est un monde d’ingénieursqui, traditionnellement ne reconnaîtque la compétence technique ; d’autrepart, l’autre idée, liée cette fois à lapremière phase de décentralisation,selon laquelle l’ensemble des compé-tences rassemblées au sein du minis-tère sont susceptibles d’être discrimi-nées en blocs (de compétences),certains “blocs” pouvant justementêtre transférés et attachés à desniveaux non étatiques du pouvoir poli-tique. Or, l’observation que l’on peut

faire sur cette deuxième idée montreque l’organisation en “blocs de com-pétences” techniques bien isolés nesemble pas fonctionner, non seule-ment parce que le public ne s’yretrouve pas (il peut s’adresser tantôtau maire et tantôt à l’État pour lesmêmes problèmes et solliciter ainsi lesmêmes “compétences”), mais aussipeut-être parce que les modes de priseen compte des problèmes transver-saux, par les divers niveaux adminis-tratifs, ne sont pas forcément adaptésà de tels découpages. Certains plai-dent donc (G. Jeannot, D. Behar) pourque l’Équipement développe en sonsein des compétences “composites”ainsi nommées car il y s’agit davan-tage d’articuler des métiers ou dessavoirs divers autour de projets ou de

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Encart n° 4 : Extrait (3) d’une réponse au questionnaire

“Il faut aussi songer au caractère concurrentiel du “marché de la compétence” et à la nécessité, pour fidéliserdes collaborateurs de bon niveau pour le service public, d’être attractif en termes de statut (notamment financier),de condition d’exercice (recherche d’autonomie de réalisation dans le cadre des missions imparties), de mobi-lité (alternance public-privé, Paris-province, État-major-opérationnel), etc. La fonction publique pourra encore atti-rer si elle se met à niveau sur ces différents points. Elle doit en outre pour répondre au sentiment d’utilité que recher-chent les gens dans leur travail arriver à mieux identifier et rendre visibles les spécificités de ses missions.”

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processus, ou sur un autre plan, demieux articuler les diverses échellesde l’intervention publique. Dans cesconditions, la compétence n’est plusdéfinie comme un certain niveau detechnicité, mais plutôt par la capacitéà devenir “généraliste de domaines”.

Le management et la modernisationLe ministère a traditionnellementl’image, en externe et en interne, d’unministère “moderne” en matière demanagement. On peut quand mêmese demander, au vu des points pré-cédents, si cette réputation ne méritepas d’être relativisée et si la moderni-sation du ministère ne mérite pasd’être alimentée par un deuxièmesouffle, qui tienne mieux compte ducontexte actuel. Concrètement, la ges-tion des carrières se heurte toujours àun certains nombre de rigidités (filièresnouvelles). Et la nécessité d’unecoopération accrue entre servicesdéconcentrés, en vue d’une prise encompte plus transversale des pro-blèmes, est loin d’avoir donné tous lesrésultats attendus (voir l’expérience derapprochement DDE/DDA17. Parailleurs, le constat est largement effec-tué, plus globalement, que ce minis-tère apparaît depuis ces vingt der-nières années comme “sur ladéfensive”, plus réactif qu’anticipa-teur, par rapport à l’évolution de sonenvironnement. Enfin, il faut garder àl’esprit que si la question de l’évolutiondes métiers est déjà problématique ence qui concerne les cadres du minis-tère, elle l’est encore bien davantagevis-à-vis des autres personnels etnotamment de celle des agents de tra-vaux ; pour ces agents, qui constituenttoujours l’essentiel des “troupes” del’Équipement, les évolutions managé-riales sont bien souvent encore vécuessur le mode de l’affrontement.

L’EuropeL’importance de la montée en puis-sance de l’Europe a été – et continuelargement d’être – sous-estimée ausein de ce ministère. Or, il apparaîtclairement que l’avenir du ministèren’est pas seulement lié aux dévelop-pements attendus en termes de décen-tralisation du pouvoir politique fran-çais, mais bien plutôt aux effetscroisés des deux phénomènes. Laquestion de l’ingénierie publique estbien sûr particulièrement embléma-tique de cet “effet de ciseau” : lesprestations à destination des collecti-vités locales ont commencé par sedévelopper au profit des services del’État, en raison de la première vaguede décentralisation, avant de se trou-ver encadrées par des directives euro-péennes tendant à organiser ces pres-tations sous forme d’un marché plusouvert à la concurrence privée. Maisles effets croisés des deux phéno-mènes ne se limitent pas à cetexemple. La montée attendue du pou-voir régional, sous une forme qui resteà définir, n’est pas seulement liée àune volonté politique française dedévelopper cet échelon administratif ;elle s’appuie aussi sur le fait que lagestion des fonds structurels euro-péens articulés avec les contrats deplan État-régions, constitue une res-source non négligeable pour la miseen œuvre de projets divers à ceniveau de décision. Et vis-à-vis devastes domaines particuliers, s’agis-sant de politique des transports parexemple, l’échelon national n’est plusle seul et unique niveau d’appréhen-sion des problèmes ; les niveauxrégionaux et infra-régionaux tendent àprendre une place croissante dansl’organisation générale des transports,tandis qu’un certain nombre deréflexions et de grandes décisions stra-tégiques nécessitent d’être menées etprises au niveau européen.

17 Résumé de la recherche de P. Duran, sur ce point,par V. Desansfans.

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Encart n° 5 : L’évolution tendancielle du ministère : qu’est ce qui se passe, si rien ne se passe ?Réponses des participants au séminaire de juin 2002 :

– l’avenir de l’Équipement sera de faire des négociations sociales ou de gérer des crises– les services territoriaux de l’Équipement passeront totalement sous la tutelle des collectivités locales– le ministère n’aura pas les capacités de faire face aux nouveaux enjeux– les transferts aux départements et intercommunalités s’accélèreront– les services extérieurs n’arriveront pas à résoudre les contradictions entre leurs missions et à faire face à

leur mise en concurrence– le ministère s’atrophiera pour devenir une administration de procédure– des agents seront désorientés, sans moyens, ignorants les contraintes budgétaires et les attentes de la société civile– les collectivités territoriales et l’Union européenne auront absorbé ces champs d’intervention les plus intéressants– repli en moyen humain et financier– le ministère perdra de sa cohérence, de sa substance et ses missions évolueront en creux, par défaut (une

“administration subsidiaire”)– immobilisme et repli sur des positions défensives– plus d’IPC qui s’intéresseront aux routes et à l’équipement– les actions seront moins motivées par des objectifs politiques ou techniques que par des risques juridiques– les cadres du ministère seront débauchés par les entreprises privées du BTP– apparition de grave mouvements sociaux– perte de technicité – découragement de ceux qui sont censés “piloter le changement”– difficultés à garder et à attirer les talents– l’exigence politique augmentera et la capacité d’action baissera, d’où l’insatisfaction croissante du public.

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L’administration de l’Équipement estégalement transformée par le fait quel’effet frontière tend à s’estomper : laprise en compte par l’Europe de nom-breux territoires transfrontaliers, avecun certain nombre de projets à la clef,affecte naturellement beaucoup l’ad-ministration française et l’oblige à seconfronter à d’autres raisonnements,pratiques ou cultures. Et un certainnombre d’administrations étrangèresanalogues au ministère étantd’ailleurs elles-mêmes également ensituation de remise en cause, la proxi-mité évoquée favorise peut-être cer-taines convergences (J.-C. Boualévoque par exemple l’idée d’unebanalisation générale de l’emploipublic).

Enfin, et pour résumer d’un mot unvaste chantier de réflexions, l’avenirde l’Équipement sur le long terme esttout autant lié à l’avenir de la décen-tralisation à l’intérieur de nos fron-tières qu’à celui de l’Europe (réflexionsen cours à la Convention, élargisse-ment de la Communauté, dérégula-tion et mise en place d’agences euro-péennes, concept de servicepublic…).

Le besoin de stratégies “proactives”On constate en conclusion de cetteconsultation, la diversité et la lourdeurdes enjeux auxquels le METLTM estaujourd’hui confronté. Une des consé-quences de cette multiplication desdéfis est une certaine perception pessi-miste du changement. On est frappé, àce propos, de la vision particulièrementsombre qui s’est dégagée, lors du sémi-naire de prospective du juin 2002, dela réponse à la question “Que se pas-sera-t-il pour le ministère de l’Équipe-ment à un horizon de dix ans si rien nechange ?” (Voir encart n° 5).

Inversement, le passage en revue desdifférents enjeux a aussi mis en évi-dence les atouts dont dispose leMETLTM : haut niveau de profession-nalisme, fonctionnement en réseau,capacité à organiser des partenariats,capacité de réaction, proximité du ter-rain, aptitude à gérer les risques danstoutes leurs dimension… En fait, laconsultation n’a fait que réaffirmer uneidée commune à toutes les réflexionmenées depuis dix ans : la nécessitéde passer de politiques essentiellementréactives à des “stratégies proacti-ves” – structurées autour d’un vrai pro-jet mobilisateur et d’une vision parta-gée. Le problème est de savoir laquelleet comment (Ce qu’illustre l’encart 6).

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Encart n° 6 : Quelle vision idéale du ministère de l’Équipement dans dix ans ?Réponses des participants au séminaire de juin 2002

– le ministère est le meilleur acteur du renouvellement urbain– les agents de travaux sont les meilleurs alliés du développement durable– le ministère conserve sa neutralité– le ministère est un modèle à l’échelle européenne pour l’efficacité de sa politique et son ouverture européenne– un bon promoteur du savoir-faire français et de l’attractivité du territoire à l’échelle mondiale (conquête de

nouveaux marchés…)– acteur clef de la “qualité de la ville”– un ministère toujours maître d’ouvrage– une maîtrise de la complexité territoriale– le ministère devient le ministère de l’impulsion et de la mise en cohérence des politiques territoriales– l’ingénierie sera reconnue comme un intérêt général européen – le ministère conserve son influence dans la régulation des transports– des DRE renforcées, un réseau technique plus compétent, une vision neuve– le ministère maîtrisera l’intermodalité et l’insécurité routière– un ministère exemplaire en matière de sécurité– un ministère partenaire et exemplaire en matière de développement durable– non plus un ministère de monoculture d’ingénieurs mais au contraire d’ensemblier– un ministère qui saura travailler avec d’autres ministères – un ministère capable d’anticiper et d’agir à toutes les échelles– un ministère qui se recentrera sur des fonctions prospectives, d’évaluation et de contrôle– le ministère sera le pôle d’excellence du développement urbain et rural– le ministère aura satisfait les besoins en logements sociaux notamment pour les exclus– un ministère de la qualité de vie pour tous (en particulier pour les territoires menacés “d’exclusion”),

à l’écoute des habitants, et ouvert sur la société civile– un ministère à la pointe de l’innovation pour répondre aux besoins de la vie quotidienne

III. AU-DELÀ DES ENJEUX PERÇUS, QUELQUES TENDANCES LOURDES D’ÉVOLUTION DU CONTEXTE

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A la vision nécessairement subjectivedes enjeux exposés dans la partie pré-cédente, il a paru intéressant, malgréle risque de redondance, d’ajouter oud’opposer, pour la préparation duséminaire de prospective de juin2002, un inventaire un peu plus sys-tématique des “tendances lourdes” quidevraient avoir un impact majeur surl’évolution du ministère dans la décen-nie à venir. On pense naturellement,en premier lieu, aux différentes hypo-thèses envisageables sur l’approfon-dissement de la décentralisation. Maisbeaucoup d’autres facteurs tantexternes qu’internes vont contribuer àmodifier en profondeur le cadre danslequel va devoir évoluer le ministèredepuis la “révolution de l’intercommu-nalité” jusqu’à l’Europe en passant parla réforme de l’État, les nouvellesattentes du public, ou les changements

possibles du “périmètre” d’interventiondu ministère…

Au cours du séminaire, quatre grandestensions ont été un moment mises enavant : solidarité nationale et centralismeversus décentralisation ; étatisation-pri-vatisation ; réglementation-contractuali-sation ; territorialisation-mondialisation.Mais ces dichotomies ont été fortementcritiquées comme trop réductrices. Lestendances futures d’évolution – dont lespages suivantes n’ont en aucun cas laprétention de donner une liste exhaustive– ne débouchent certainement pas surune image univoque de ce que pourraitêtre le rôle ou la place du ministère àl’avenir. Comme toutes les tendances,elles constituent autant d’opportunitésque de risques et il vaut mieux les consi-dérer comme des chances qui permet-tent une innovation et une meilleure effi-

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cacité organisationnelle que comme descontraintes qui devraient être subies.

Trois hypothèses sur la décentralisationLe passage à une nouvelle étape d’ap-profondissement de la décentralisa-tion va bien évidemment avoir unimpact majeur sur l’évolution du minis-tère. Avant les projets récents du nou-veau gouvernement, plusieurs hypo-thèses étaient envisageables selonl’ampleur et le niveau de redistributiondes pouvoirs. Le rapport réalisé pourla DRAST par Jean-Claude Nemery18

en évoque en effet trois principales :

– La première hypothèse est celle d’un“gel” du modèle actuel avec unachèvement de la mise enœuvre des réformes législativesengagées. Cela serait déjà relati-vement ambitieux par rapport à lasituation actuelle puisque se généra-liseraient les communautés urbaineset d’agglomération sur l’ensembledes territoires urbains ainsi que lescommunautés de communes dans lesespaces ruraux. Cette évolution s’ac-compagnerait de la multiplicationdes contrats (agglomération, pays…)et d’une déconcentration accrue desservices de l’État.

– La seconde hypothèse suppose unapprofondissement de la décen-tralisation et de la déconcentra-tion, sans rupture avec le modèleexistant. Il y aurait néanmoins desréformes d’envergure : élection ausuffrage universel des délégués desintercommunalités ; maintien dudépartement, mais avec une redéfi-nition de son rôle et de ses relationsavec la région19 ; transferts impor-tants de compétences de l’État vers larégion, les départements et les inter-communalités (notamment enmatière de politiques des transports,d’attribution des aides au logementet de routes) ; transferts parallèles deservices extérieurs de l’État vers lesrégions, et recentrage des servicesdéconcentrés existants vers des mis-sions de contrôle et d’évaluation ;développement du droit à l’expéri-mentation ; gestion des fonds euro-péens par la région qui bénéficieraitégalement de transferts de res-sources fiscales (TVA, TIPP…).

– Enfin, la troisième hypothèse envi-sage une rupture avec le modèlede décentralisation existant.Cela impliquerait que le “macro-local” (les pays, les aggloméra-tions…), le “macro-régional” (lesregroupements de régions) et l’Eu-rope deviennent les trois grandspivots de l’organisation territoriale.Cela supposerait aussi l’élection ausuffrage universel des intercommu-nalités et une évolution vers la supra-communalité ; la disparition pro-gressive des communes commecollectivités autonomes20 et la sup-pression des départements ; la créa-tion d’inter-régions fortes ayant descompétences très étendues ; l’ab-sorption des services extérieurs del’État par les intercommunalités et lesrégions ; et enfin le redéploiementdes moyens fiscaux et la délégationde pouvoirs réglementaires et légis-latifs aux régions. On se rapproche-rait d’un système fédéral.

Chacune de ces hypothèses renvoie àdes défis majeurs pour l’État. Le chan-gement d’échelle territoriale introduitpar les trois lois Chevènement, Voynetet SRU va modifier en profondeur lamaîtrise d’ouvrage et les modes de fairedans les domaines de l’urbanisme, del’aménagement ou des transportslocaux. Il induira des conséquences toutà la fois pour les services territoriauxde l’Équipement et pour les politiquesconduites nationalement. L’offre de ser-vice des DDE et des organismes duréseau scientifique va devoir s’adapterà cette nouvelle échelle – et entreraéventuellement en concurrence avec denouveaux services techniques territo-riaux constitués au niveau des commu-nautés de communes ou d’aggloméra-tions. La contractualisation va, de soncôté, s’affirmer comme un instrumentmajeur de territorialisation des poli-tiques nationales. À tous les niveaux,les compétences stratégiques ou d’in-tercession deviendront essentielles.

Les deux autres hypothèses lient étroi-tement décentralisation et réforme del’État. Elles favorisent l’évolution versun État régalien, garant de la sécuritéet de la cohésion sociale, impulseuret contrôleur – mais perdant une partimportante de son rôle opérationnel(sauf pour la gestion des crises). En

18 Jean-Claude Nemery – “Évolutions du ministère del’Équipement en rapport avec le processus de décen-tralisation – Quelles perspectives de renforcement dela décentralisation ?” – mars 2002.19 Le département pouvant éventuellement devenir unedivision administrative de la région.20 Ce qui n’est pas contradictoire avec leur maintiencomme “sous-ensemble” des intercommunalités.

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théorie, cette conception nouvelle del’État est parfaitement concevable – sil’on se réfère aux exemplesétrangers – mais elle suppose d’im-portantes mutations organisation-nelles : suppression de la coupureentre fonction publique de l’État etfonction territoriale, reterritorialisationde l’action publique, réforme de la fis-calité locale, redistribution des com-pétences techniques…, autant demutations qui ne sont envisageablesque sur la durée.

Quelques autres facteursexternes de changementLa décentralisation ne peut être iso-lée d’autres facteurs externes qui euxaussi ont déjà eu ou vont avoirencore des conséquences majeuressur l’évolution du ministère. Ces fac-teurs de mutation externes ont déjàété recensés à maintes reprises dansles réflexions préalables à celles-ci(voir le document d’Yves Janvier). Onne fera donc ici que les récapitulertrès brièvement, en commençant parl’Europe et la mondialisation – quitteà répéter ce qui a déjà été dit dansla consultation sur les enjeux…

L’Europe21

Longtemps sous-estimée, la réalité del’intégration européenne ne fera àl’avenir que s’accentuer – à la foisparce que nous avons aujourd’huiune monnaie unique, que les traitésimpliquent une intégration toujoursplus forte, et qu’il est dans le rôle dela Commission européenne de déve-lopper toujours plus cette intégration.

Aujourd’hui, 70 % environ des loisnationales sont d’origine communau-taire. Cette influence s’exerce dans lesmultiples domaines et concerne aussibien les transports que la normalisa-tion ou l’ingénierie publique. Les règle-ments communautaires s’imposent par-tout avec de plus en plus de poids etreprésentent de puissants facteursd’évolution des pratiques administra-tives, des services publics, des entre-prises du secteur mais aussi des modesde faire et de décider. Les systèmeslégislatifs et de décision de l’Europe etceux des différents pays de l’Unionsont désormais étroitement imbriqués –

et limitent les initiatives isolées. Cettemontée de l’Europe a aussi des impli-cations sur les sources de finance-ment : l’aménagement et l’équipementdu territoire dépendent de plus en plusde financements communautaires.C’est ainsi que l’argent versé à laFrance par l’intermédiaire des fondsstructurels européens pour la périodede 2000-2006 représente un volumefinancier plus important que la partconsacrée pour la même période parl’État français aux contrats de plan État-régions (15,25 milliards d’euros).

L’influence européenne s’exerce aussià travers l’organisation du territoire etles infrastructures de communication.Une part sans cesse croissante de lalégislation et de la politique des trans-ports est élaborée au niveau commu-nautaire. De fait, les réseaux de trans-port ne peuvent se penser aujourd’huiqu’à l’échelle européenne et les dixprochaines années seront celles de lamise en place d’un système de régu-lation – ou de dérégulation – destransports conçu et piloté parBruxelles. Un autre signe tangible dela montée de l’influence communau-taire est la multiplication des coopé-rations transfrontalières. Il faut noterque près du tiers des services décon-centrés de l’Équipement se situe dansun département transfrontalier et cesservices sont concernés par des pro-jets élaborés avec des partenairespublics ou privés des pays voisins.Ces expériences témoignent d’un pro-cessus de construction de l’Europe “auconcret” et au quotidien qui est encoresouvent sous-estimé.

Cette liste d’exemples pourrait être for-tement allongée. Elle conduit à penserque demain l’Europe sera le territoirepertinent d’interventions non seulementpour les entreprises – comme ça l’estdéjà – mais aussi pour les administra-tions elles-mêmes. Comme la décen-tralisation à venir, cette notion de ter-ritoire européen va constituer unerupture majeure. Elle implique unevision neuve de l’approche territorialedu METLM. Désormais, celui-ci nepourra plus seulement se tourner versles collectivités locales mais devra éga-lement s’impliquer à l’extérieur du ter-ritoire national avec des probléma-tiques nouvelles : intervention sur tout

21 Le paragraphe s’inspire très largement du texte deJean-Claude Boual rédigé pour le séminaire de laDRAST, “L’Équipement dans quinze ans ?”.

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le territoire européen pour certains ser-vices tels que le “réseau scientifique ettechnique”, coopération transfronta-lière ou décentralisée, négociation et“régulation” des grands corridors…

La mondialisation et la remise en cause des services publicsÀ l’arrière-plan de la logique deconstruction européenne, la mondiali-sation et la libéralisation qui l’accom-pagne ne sont sans doute pas un phé-nomène nouveau, mais leurs effets –tout aussi considérables que l’Europe– sont encore très largement à venir. Ils’agit en apparence d’effets univoques– l’ouverture des marchés, la mise enconcurrence… – mais en réalité, lamondialisation risque d’apparaître deplus en plus comme une “injonctionparadoxale” pour la politique de l’Étatet singulièrement du ministère de l’É-quipement. D’un côté, elle remet forte-ment en cause la notion de “servicepublic à la française” – avec desconséquences directes ou indirectessur l’ingénierie publique, les procé-dures traditionnelles de passation desmarchés et le “maillage” territorialedes services. De l’autre, elle accroît lesinégalités, la mobilité, ou la concur-rence entre territoires – et donc parricochet, la demande d’interventionpublique. Si le ministère est ou seraparticulièrement concerné, c’est doncau moins à quatre titres : commemaître d’œuvre ou d’ouvrage, commeautorité de “tutelle” des entreprisesexposées à la “dérégulation”, commeentrepreneur de service public lui-même, et finalement comme un desresponsables majeurs de l’aménage-ment du territoire. Plus limité en tantqu’opérateur, il pourrait sans douteêtre amené à jouer un rôle plus impor-tant dans la territorialisation des ser-vices publics (schémas de service, opti-misation de l’accessibilité, mobilité deslogements, gestion des crises…).

L’ouverture à la concurrence des ser-vices autrefois publics ou produits pardes monopoles publics pourrait parailleurs conduire, comme cela s’est faitdans d’autres domaines ou d’autrespays à la mise en place d’autoritésindépendantes de régulation ou decontrôle. Il faut en envisager l’hypo-thèse et se demander quel serait alors

le partage des compétences et des res-ponsabilités entre le ministère et cesnouvelles institutions autonomes.

Le public et le privéCette possible redistribution des res-ponsabilités fait émerger un sujet quireste un enjeu important pour l’avenirdes politiques d’aménagement etd’équipement, à savoir le partenariatpublic-privé. Les frontières entre cesdeux pôles, qui étaient assez nettesautrefois, sont aujourd’hui brouillées.Le privé peut exercer des responsabili-tés publiques (l’eau, les transports..) ;le public peut offrir des services privés(aux particuliers ou aux collectivitéslocales) ; et les deux peuvent se regrou-per pour mener, par exemple, des opé-rations d’aménagement (les SEM). Lepartenariat public-privé est pratiquésous des formes variées, de la conces-sion de services publics à la réalisationd’opérations d’équipement en passantpar l’offre de services d’ingénierie dansdivers domaines. Une vision raison-nable du futur conduit à penser que leschamps de coopération entre le publicet le privé devraient encore s’élargir(notamment avec la montée des ser-vices et des nouvelles technologies dela communication), ce qui nourritencore plus les interrogations sur l’ave-nir du service public et sur le rôle duministère comme prestataire. De fait,on voit que la notion de service public,qui constituait pour une bonne partie laréférence de l’action du ministère, estaujourd’hui ambiguë, hybride et qu’elledevra être plus clairement redéfinie.

Nouveaux besoins, nouveaux usagersUn autre ensemble de facteurs demutations provient des transformationsde la société civile et des rapports avecl’usager. Les citoyens sont devenus plusexigeants : cette vérité est banale maisdans le domaine de l’aménagement etde l’équipement, ces exigences onttransformé les manières d’élaborer lespolitiques et de les appliquer. Ceschangements appellent des attitudesnouvelles de la part des autoritéspubliques. Les notions de débat public,de participation des citoyens ou desusagers aux décisions, sont désormaisdes données presque “naturelles” qui

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accompagnent les politiques d’équi-pement. De même, l’utilité publique quis’imposait d’elle-même dans le passéest aujourd’hui discutée, mise en ques-tion et elle demande à être légitimée àtravers des consultations et des déli-bérations. Dans le même ordred’idées, l’usager qui était vu hiercomme quelqu’un qui fréquentait ouqui subissait un service offert est consi-déré aujourd’hui comme un clientcapable de formuler des exigences etcapable aussi de co-décider de la qua-lité du service qu’il entend obtenir. Cesniveaux d’exigence, en termes dedémocratie de proximité et en termesde qualité du service attendu, nedevraient pas diminuer dans les pro-chaines années. Au contraire, on peutpenser qu’ils seront introduits avecencore plus de force dans lesdemandes formulées aux politiquesd’aménagement et d’équipement.

L’aménagement et le développement durableParmi ces nouveaux besoins ou ces nou-velles exigences, il y aura de plus enplus ce que l’on peut regrouper autoursous la dénomination de “développe-ment durable”. Selon une acceptionlarge ou étroite, cette notion englobedes éléments plus ou moins variés –mais tous concernent très directementles activités comprises dans le “porte-feuille” du ministère de l’Équipement.On pense bien sûr d’abord aux ques-tions de risque et de sécurité qui sontappelées à occuper une place de plusen plus centrale dans la politique duministère – à toutes les échelles. Lethème du risque – qu’il s’agisse de lasécurité routière ou maritime, desrisques naturels ou de la localisation dessites industriels – est un “intégrateur” quioblige à adopter des approches trans-versales et à coordonner l’interventiond’une pluralité d’acteurs. Cela exigera,de la part des services chargés de lamise en œuvre, d’acquérir, au-delà desconnaissances techniques, l’art de four-nir des “services composites22” conju-guant une aptitude à percevoir lesenjeux de manière globale.

On pense aussi aux impératifs de pro-tection de l’environnement – à la luttecontre l’effet de serre, à la qualité despaysages, au traitement de l’eau et

des déchets, à la maîtrise des consom-mations énergétiques ou de la mobi-lité. Tous ces enjeux ont longtemps étéconsidérés comme des contraintes, descoûts supplémentaires pour la réalisa-tion des infrastructures ou des entravesà l’efficacité et à la liberté deséchanges. Mais on peut considérerqu’il s’agit aussi de nouvelles chancespour les politiques d’aménagement etd’équipement, des opportunités pourinnover et valoriser le savoir techniqueacquis au sein du ministère. Il est peuprobable, de toute façon, que l’opi-nion publique ou la communauté inter-nationale revienne à moyen-long termesur cette forte exigence.

En fait, au-delà des risques et de l’en-vironnement, le “développementdurable” est porteur de transformationsbeaucoup plus larges dans les proces-sus de décision et les formes d’actionpublique (transversalité, attention aulong terme, ouverture sur la société…),et c’est aussi en ce sens qu’il va s’agird’un défi – et d’une opportunité –majeurs pour le ministère23.

La fin de l’Équipement ?Une dernière évolution, souvent asso-ciée aux facteurs précédents, pourraitvenir de la remise en cause des poli-tiques d’équipement elles-mêmes.Sommes-nous, comme certains l’avan-cent, à la “fin d’un cycle” dans cedomaine, le relais étant pris, désor-mais par les télécommunications ou lesservices24 ? Il suffit d’évoquer les inves-tissements à faire pour le rééquilibragerail-route, les transports urbains ou lapolitique de renouvellement des quar-tiers pour se rendre compte que lesbesoins en équipement sont encore,en réalité, considérables, ce qui nemanquera pas d’ailleurs de poser desproblèmes de financement. En fait, cequi risque d’être de plus en pluscontesté c’est plutôt la tendance à don-ner la priorité à la “solution équipe-ment” (construction d’infrastructures)comme réponse aux besoins des popu-lations – en négligeant parallèlementles problèmes de maintenance,d’usage, de qualité de service ou d’ac-cès25. Désectorialiser “l’offre d’équi-pement” pour aborder de manièreplus transversale les problèmes desbanlieues, de sécurité, de développe-

22 Voir, ci-après, le texte de Gilles Jeannot.23 Voir Jacques Theys : “Le développement durable etla confusion des bons sentiments” in Repenser le terri-toire, un dictionnaire critique - Éditions de l’Aube,DATAR-CPVS, 2000.24 Voir sur ce thème le numéro spécial des Annalesdes Ponts : “L’Équipement, fin et suite” – juillet-sep-tembre 2001 ?25 Voir dans le numéro des Annales des Ponts l’articlede Gilles Jeannot : “L’impossible fin de la solution équi-pement”.

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ment local, d’environnement, de trans-port… sera plus encore qu’autrefois undéfi culturel majeur pour le ministère.

Les facteurs internes de changementLes causes “internes” d’évolution duministère sont au moins aussi nom-breuses que celles d’ordre externe.C’est pourquoi on les regroupera en plu-sieurs catégories, en commençant, parles données budgétaires. Là encore, ils’agira surtout de rappels – sans aucuneprétention à l’exhaustivité…

Le contexte budgétaireLe poids des données budgétaires vajouer un rôle tout à fait essentiel aucours des années à venir, et ceci pourau moins deux raisons différentes.

La réforme de la loi organique de1958 va introduire tout d’abord unerupture profonde dans le fonctionne-ment de l’administration en substituantà une logique de moyen une logiqued’objectif. En organisant l’évaluationpermanente des actions menées parrapport à un nombre relativementlimité d’objectifs – correspondant à laDirective nationale d’orientation – cetteréforme va nécessairement conduire àresserrer les priorités et à accroître lacohérence des politiques mises enœuvre par les services déconcentrés.On peut en attendre à la fois plus decontrainte dans l’évaluation desdépenses et une meilleure intégrationverticale des actions menées par leministère.

Sur un plan plus général, il est pro-bable que les années à venir vont êtremarquées par de fortes difficultésbudgétaires et un contrôle plus rigou-reux des dépenses – compte tenunotamment des transferts aux collec-tivité locales et du poids croissant desdépenses sociales (retraites, santé…).Les marges financières du ministèredeviendront plus étroites et on s’in-terroge déjà aujourd’hui sur les capa-cités qu’il pourra sauvegarder pourles programmes d’investissementdans les domaines routiers, des trans-ports collectifs ou de l’habitat (laCommission européenne a évalué à400 milliards d’euros le coût d’une

“nouvelle” politique des transports enEurope, alors que les capacitésactuelles des états européens sontévaluées à environ 20 milliards d’eu-ros !). Des économies et une certainemutualisation des moyens seront doncà l’évidence indispensables.

Les personnels et l’évolution des compétencesLes contraintes budgétaires ont déjàeu et auront encore des conséquencesimportantes sur l’évolution des per-sonnels du ministère et sur sa capacitéà renouveler ses compétences.

D’après les données fournies parl’INSEE sur l’évolution des agents del’État de 1990 à 2000, les effectifsde l’Équipement ont baissé de plusde 10 000 en passant de 122 700 à 112 300 agents. Celasignifie que des départs à la retraiten’ont pas été remplacés par de nou-velles embauches. De fait, onconstate sur cette même périodequ’après le ministère des Finances,celui de l’Équipement figure en têtedes administrations qui ont perdu leplus d’emplois. Dans un contexte deremise en cause des rôles et “péri-mètres” de l’État, on peut raisonna-blement penser que cette tendancese poursuivra. Compte tenu de lapyramide des âges et du départ pré-visible d’ici 15-20 ans de plus de lamoitié du personnel du ministère,(58 000 départs en retraite prévusd’ici quinze ans compte tenu aussides transferts possibles de servicesaux collectivités locales, une deshypothèses envisageables est donccelle d’un rétrécissement très signifi-catif des moyens en personnel duministère – en tout cas supérieur à untiers – à cet horizon de vingt ans.

Il n’y a pas nécessairement de relationentre cette perte possible d’effectifs etl’évolution des compétences – liée àbien d’autres facteurs (formation, recru-tement, mise en réseau, flexibilité,adaptation aux technologies, proxi-mité de la “demande” etc.). On peutcraindre néanmoins un processus devieillissement des personnels et desstructures qui viendrait accentuer ledécalage avec les services locaux oul’offre privée.

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Encart n° 7 : Deux discours sur les compétences

• “Aujourd’hui les relations avec les communes commencent à se dégrader. Elles regrettent l’époque où les DDE“avaient des moyens”. On n’est plus fiable. On ne respecte pas les délais. On est un peu dépassé par les évè-nements. Les communes se disent que la DDE, ce n’est plus ce que c’était…” (interview d’un responsable de subdivision cité par Hélène Reigner).

• “Le ministère de l’Équipement dispose sans doute du réseau technique le plus imposant en Europe. Maisil le sait mal lui-même et les incitations à la valorisation de ces compétences sont très insuffisantes” (Thierry Gaudin, “Le Grand Débat”, 1995).

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Quelle ingénierie pour quel service public ?Dans un tel contexte, le maintien descompétences va de fait être fortementlié aux choix de positionnement queva faire le ministère en matière d’in-génierie publique. Et ce choix pourrade moins en moins ne pas tenir comptede l’évolution plus globale des attentespar rapport aux services de l’État.

Le ministère a l’avantage de pouvoirintervenir sur un spectre très large dedomaines – avec des “postures” trèsdiversifiées allant de la productiond’infrastructures jusqu’à l’élaborationde normes ou de prescriptions – enpassant par la fourniture de servicesopérationnels. Il est probable néan-moins que l’on attendra de plus en plusde lui – comme de tous les services del’État – qu’il fournisse des services àhaute valeur ajoutée ou des outils d’en-cadrement technique et de régulationde l’action collective, beaucoup plusque des biens de production (le “fairefaire” plus que le “faire”…).

Tout cela devrait inciter à orienter l’in-génierie publique vers les besoins liésà la territorialisation des politiquespubliques (prospective territoriale,gestion de projets territoriaux com-plexes…) ou vers la prise en comptede problème “nouveaux” comme lagestion globale des risques, l’organi-sation du débat public, la mobilisa-tion de financements européens ou lamodernisation des systèmes d’infor-mation (du satellite aux systèmes d’in-formation géographique…).

De toute façon, l’ingénierie publiqueva devoir faire face à un contexte mar-qué de plus en plus par la concur-rence. Toutes les activités vont êtreconcernées, y compris celles dont onpourrait penser qu’elles sont à l’abri

d’une possible “privatisation” commele contrôle de légalité des documentsd’urbanisme. Face à des “marchés”en pleine évolution, les stratégies depositionnement, déjà en partie amor-cées, vont jouer un rôle majeur (voir lerôle des chargés de mission “pros-pective et développement des CETE”).Mais comme on l’a vu, les domainesnouveaux où les compétences d’unservice public modernisé pourronts’affirmer ne manquent pas…

La modernisation et les relationsentre administration centrale et services déconcentrésTous ces problèmes de positionnementet d’organisation des compétences nesont pas récents et ils ont conduit leministère à adopter depuis lesannées 80 une politique de manage-ment interne et de modernisation donton s’accorde généralement à penserqu’elle a été innovante et efficace. Leministère a ainsi acquis une expé-rience en matière d’expérimentationqui devrait pouvoir être valorisée dansun contexte de décentralisation…

Il semble cependant que ce caractèrenovateur se soit amoindri avec lesannées. Il y a eu, du fait de la décen-tralisation une fracture croissante entreles Directions d’administration centraleet les services déconcentrés. La “mutua-lisation” des compétences est restée enconséquence très imparfaite, et mal-heureusement ces dysfonctionnementsrisquent fortement de s’accroître avecles changements institutionnels futurs.

Parmi les points faibles généralementconstatés, on note en particulier l’ab-sence de véritable évaluation de l’ac-tion des DDE par le ministère, la fra-gilité des services de taille faible oumoyenne, un appui insuffisant des

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administrations centrales dans la miseen œuvre des politiques nationales,ou la “fuite en avant” vers des régle-mentations trop nombreuses et com-plexes qui rendent l’action de l’État“illisible” et “ impraticable26”.

Tous les facteurs d’évolution évoquésprécédemment risquent, comme on l’adit, d’accentuer cette cassure et l’ineffi-cacité qui en résulte. Y faire face sup-poserait, à l’inverse, de repenser laplace des structures régionales (DRE),de mieux organiser la mutualisation desmoyens, de systématiser l’évaluation etd’assortir toute proposition de politiquenouvelle d’une étude d’impact, commecela est fait en Allemagne.

L’évolution des champs d’actionMême s’il s’agit d’une conjecture par-faitement hypothétique, on ne peutexclure en dernier lieu un changementdu champ de compétence du minis-tère de l’Équipement. Si ce champ estresté relativement stable depuis 1966,il recoupe en même temps de mul-tiples prérogatives, et le ministère aété historiquement associé aussi bienà l’environnement qu’à la ville, aucadre de vie ou à l’aménagement duterritoire. L’association “transports-logement” qui répond à une logiqued’aménagement très solide n’est pasnon plus incontestable. Certains ima-ginent un ministère de “la qualité devie quotidienne27”, un ministère du“développement local” ou de “l’at-tractivité des territoires”… Les hypo-thèses sont infinies.

On peut cependant penser que les“modes de faire” sont sans doute plusdécisifs pour l’avenir que la délimita-tion des compétences. Ainsi, pourprendre ces deux exemples, enGrande-Bretagne et en Suède, lesadministrations centrales qui s’occu-pent d’aménager et d’équiper le terri-toire jouent un rôle interministériel trèsimportant de coordination dans la ter-

ritorialisation de l’ensemble des poli-tiques publiques tout en se limitant àédicter des directives et des orientations(les “Planning programming gui-dances” en Grande-Bretagne) qui sontmises en œuvre localement par lesacteurs privés et les collectivités locales.Une bonne application des directivespermet à ces acteurs décentralisésd’obtenir des contributions financièresde l’État. Dans le cas contraire, ils peu-vent inversement être fortement sanc-tionnés et traduits devant des juridic-tions civiles. On est là devant desmodes de régulation de l’actionpublique par l’incitation, complètementdifférents de ceux qui existent enFrance. La véritable question prospec-tive est de savoir si les modes de régu-lation existants vont rester stables enFrance dans les dix ans à venir ou aucontraire être profondément transfor-més. C’est sans doute, au-delà deschangements hypothétiques de com-pétence, une question majeure pour laconstruction de scénarios.

• Il est clair, en conclusion, que quelleque soit l’hypothèse de décentralisa-tion retenue, modeste ou audacieuse,le ministère n’échappera pas à l’obli-gation de réfléchir à de nouvelles mis-sions ou à de nouveaux modes d’or-ganisation mieux adaptés à unenvironnement institutionnel et écono-mique de plus en plus turbulent etcontraint.

On a trop souvent tendance à résu-mer les tendances futures à quatrerisques majeurs : perte de légitimité,perte de responsabilité, perte demoyen et perte de monopole tech-nique. Mais le changement decontexte va aussi, comme on l’a déjàdit, ouvrir beaucoup de marges demanœuvre nouvelles ; et les res-sources internes et externes qui exis-tent pourront être utilement mobiliséespour transformer ces différents risquesen opportunités d’action. Encore faut-il une vision partagée du changementet une stratégie d’action commune.

26 Source – François Hurson. “Réflexions sur les rela-tions entre Directions d’administration centrale et ser-vices déconcentrés” (pour le séminaire de la DRAST,août 2002).27 Proposition d’Isabelle Orgogozo, pour le séminairede la DRAST.

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Encart n° 8 : Quinze questions sur l’évolution du ministère de l’Équipement (compte-rendu du séminaire de juin 2002)

1. Où situer la frontière entre le rôle régalien de l’État et son rôle de contrôle – et en quoi diffèrent-ils ? Lagestion des risques est-elle, par nature, “régalienne” ?

2. Comment articuler les fonctions de prestataire et de co-décideur ? L’hybridation des deux rôles est-elle uneposition tenable et durable ?

3. En quoi les conceptions de “service public à la française” et de “service universel européen” diffèrent-elles et sont-elles compatibles ?

4. Comment résorber la coupure entre fonction publique territoriale et fonction publique d’État ?5. Comment faire progresser la culture du “faire faire” au sein de l’Équipement et pallier la pénurie en

matière d’expertise de maîtrise d’ouvrage ?6. L’ingénierie doit-elle continuer à travailler dans les domaines concurrentiels et le pourra-t-elle ?7. Le changement d’échelle lié aux nouvelles intercommunalités est-il durable – et va-t-il susciter un dévelop-

pement important de nouveaux services techniques hors des grandes agglomérations ? De quelle natureest l’intercommunalité qui se construit ?

8. Le réseau technique du ministère doit-il travailler désormais à l’échelle européenne et comment ?9. Le partage des compétences entre l’État et les collectivités locales doit-il se faire sur la base de critères

fonctionnels ou, au contraire, valoriser les “compétences composites” (rôle “ d’ensemblier, de médiateur,d’intercesseur…).

10. Quel est l’équilibre à rechercher entre approches sectorielles (transport, logement…) et approches trans-versales (développement territorial, qualité de vie, développement durable, gestion des risques et sécurité) ?Comment articuler les deux types de compétences correspondantes ?

11. Va-t-on assister à un glissement de la fonction publique d’État vers une fonction d’intercession territoriale,et quelle est la place des agents de catégorie B et C dans les nouveaux métiers de l’intercession ?

12. La notion d’“État territorial déconcentré” – “agence technique d’État” travaillant essentiellement pour descollectivités locales (notamment rurales) a-t-elle au sens dans le nouveau contexte de décentralisation ? Oufaut-il prioritairement renforcer les liens verticaux entre l’administration centrale et les DDE et se recentrersur les politiques nationales ?

13. Peut-on imaginer une représentation des élus locaux et des habitants dans les instances futures d’orientationdes DDE-DRE ? Ou des agences territoriales sous double tutelle ?

14. Comment appliquer le principe de subsidiarité à la gestion des réseaux ?15. Un ministère de l’Équipement à l’écoute des habitants et des usagers, ouvert à contre expertise, actif

dans le débat public et social, est-il concevable et comment ?

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Des scénarios structurés autourde deux dimensions : décentralisation et équilibreentre action sectorielle et action territorialeConstruire ces scénarios supposait,au départ, de privilégier deux outrois dimensions – ou variables dis-criminantes – parmi toutes celles envi-sagées dans la partie précédente ;la décentralisation, le contexte ex-terne, les champs d’action, les “pos-tures”, les contraintes budgétaires,les compétences, etc.

IV. QUATRE SCÉNARIOS POUR UN DÉBAT

C’est sur la base des matériaux précé-dents (rappel historique, analyse desenjeux et tendances) – et des ques-tions suscitées par leur présentation(Voir l’Encart 8) – qu’ont étéconstruites, au cours du séminaire dejuin 2002, quatre esquisses de scéna-rios contrastés d’évolution du minis-tère. Il faut une nouvelle fois insistersur le caractère très provisoire et infor-mel de ce travail qui devrait, à l’évi-dence, être repris pour tenir comptedu projet de réforme constitutionnelleen cours de discussion.

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• Très naturellement, il est apparuque la première façon de discri-miner les scénarios était deprendre en compte des hypo-thèses contrastées de décentrali-sation. On a donc différencié deuxhypothèses :

– La première hypothèse est celled’une poursuite sans discontinuitémajeure du mouvement amorcé àla fin des années 90 avec les troislois Voynet, Gayssot, Chevène-ment, la loi “Démocratie de proxi-mité” et en partie, les rapportsMauroy-Delevoye. Les intercommu-nalités sont renforcées ; la démo-cratie de proximité est dévelop-pée ; la mise en œuvre des lois de 82-83-92 est menée à son terme(avec une accélération du transfertaux départements des moyens etpersonnels d’entretien des routesdépartementales)28, certaines com-pétences sont transférées aux col-lectivités locales (routes nationalesnon structurantes, canaux de petitgabarit, ports fluviaux ou “natio-naux” d’intérêt non européen…),et leur autonomie est renforcée.

– La seconde hypothèse est, aucontraire, celle d’une rupture radi-cale dans le contexte institutionnel,aussi bien au niveau des pouvoirslocaux qu’au niveau européen ; avecnotamment, une constitution euro-péenne de type quasi-fédéral, l’élec-tion au suffrage universel des inter-communalités (agglomérations…),un transfert important de pouvoir auxrégions (en matière d’aménagementdu territoire, de transports, de loge-ment…), une forte articulation de cesrégions aux départements, unegrande réforme de la fiscalité locale,et une certaine décentralisation depouvoir réglementaire. Il faut remar-quer que chacune de ces deux hypo-thèses va dans le sens d’un appro-fondissement plus ou moins accentuéde la décentralisation29.

• Pour ce qui est de la secondedimension des scénarios, il a sem-blé indispensable de privilégier unevariable de choix stratégique pourle ministère. Plusieurs possibilitésétaient ouvertes : les champs d’ac-tion, les “postures” (garant, presta-taire…), les moyens (budget, com-pétences…), les attentes ou finalités

politiques (cohésion sociale, sécurité,développement économique, déve-loppement durable…), les valeurs“fondatrices” (neutralité, technicité,démocratie, service public…), etc.Après discussion, le choix a étéfait de discriminer les scénariosen fonction du poids respectifdonné aux politiques nationaleset européennes d’une part, àl’action territoriale déconcentréedu ministère de l’autre :

– dans une première hypothèse, leministère est plutôt envisagé commeune administration sectorielle, dontle rôle est de concevoir, négocier,mettre en œuvre, promouvoir despolitiques publiques nationales eteuropéennes, en partenariat avec lesautres acteurs ;

– dans une seconde hypothèse, lavision dominante est plutôt celled’un ministère fortement territoria-lisé intervenant sur tout le territoire,soit en appui des collectivitéslocales, soit pour mettre en œuvreles politiques de l’État (“l’État terri-torial déconcentré”).

Dans les deux cas, il ne s’agit quede dominantes permettant de mettreen évidence une tension entre deuxvisions contrastées.

• En croisant ces deux conceptionsalternatives du ministère avec lesdeux hypothèses sur la décentrali-sation et le contexte institutionnel,on parvient finalement à quatrescénarios différents :

1) “Un État lisible (et ouvert sur l’Eu-rope), entrepreneur de politiquespubliques” (Scénario 1).

2) “Un État intercesseur, au servicedes dynamiques territoriales”(Scénario 2).

3) “Un État régulateur et incitateur, por-teur d’innovations” (Scénario 3).

4) “Un État garant territorial” – auservice de la cohésion sociale, dela sécurité et du développementdurable – (Scénario 4).

• Au cours des travaux d’atelier etde la discussion, deux variantes duscénario 2 se sont par ailleursajoutées :

– “L’État subsidiaire” – ou recours –(Scénario 2b) ;

28 Mise en œuvre de l’article 7 de la loi de décembre 92.29 Les projets du gouvernement se situent entre cesdeux hypothèses, avec un accent particulier mis surl’expérimentation.

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Tableau n° 1 : Quatre scénarios et deux variantes

Encart n° 9 : Décentralisation et modernisation de l’action publique

“Décentraliser ne signifie pas moins d’État mais mettre en place une nouvelle articulation des pouvoirs entreadministrations centrales et collectivités locales, de manière à redéfinir l’action publique et engager un nou-veau rapport avec les citoyens”.

“Aujourd’hui nous pouvons aller vers un système où tous les services collectifs fournis aux territoires et auxpopulations seraient de la responsabilité des collectivités locales, laissant l’État exercer ses fonctions propresqui sont la définition des orientations, le suivi et le contrôle des politiques menées et le maintien de l’uniténationale. L’enjeu va donc bien au-delà d’un simple transfert de compétences !”.

Pierre Richard,Président de DEXIA,

Le Figaro, octobre 2002

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– et enfin le scénario du “Recteur ter-ritorial”, qui suppose une profonderéorganisation de l’administrationterritoriale de l’État (Scénario 2c).

Toutes ces propositions sont synthéti-sées dans le Tableau 1.Il faut ajouter, avant d’en venir à unedescription succincte de ces quatrescénarios (et des deux variantes) quetoutes ces images alternatives pren-nent comme point de départ communune part non négligeable des ten-dances lourdes évoquées dans lapartie précédente, sur lesquelles onne reviendra pas – en particuliercelles qui concernent la mondialisa-tion, les attentes du public ou lescontraintes budgétaires.

Le scénario 1 : “Un État lisible et recentré, entrepreneur de politiques publiques”Description générale

La caractéristique majeure de ce pre-mier scénario est un recentrage del’action du ministère autour dequelques grandes politiques bienidentifiées correspondant à la foisaux attentes du public et aux intérêtsprioritaires de la France à l’échelleeuropéenne.L’articulation avec l’Europe est privi-légiée ainsi que la capacité à mobi-liser la société autour de quelquesobjectifs lisibles et en phase avec lesattentes sociales.

L’action territoriale du ministère ainsique celle du réseau scientifique et tech-nique sont structurées par ces grandsobjectifs, avec une forte attention por-tée à la bonne articulation “verticale”entre directions d’administrations cen-trales et services déconcentrés, et à lalisibilité locale des politiques de l’État.

Hypothèses de départ

Quatre hypothèses majeures structu-rent ce premier scénario :

– la montée des enjeux européens etinternationaux, qui se manifeste à lafois dans l’encadrement juridique etfinancier (directives…) et dans l’évo-lution des problèmes (transports trans-frontaliers, sécurité maritime…) ;

– l’évolution des exigences du public,

de plus en plus sensible à l’effica-cité et à la lisibilité de l’actionpublique (attente de résultats, besoind’identifier les responsabilités…) ;

– le resserrement des contraintes bud-gétaires et en effectifs, qui impliqueun recentrage sur quelques priori-tés, des économies de moyen et unegestion par objectif ;

– une prise en charge croissante parles collectivités locales de domainesd’intervention d’intérêt local ourégional (routes nationales nonstructurantes…).

Contenu et cheminement

– Dans le cadre de la réforme de la loiorganique de 1958 et à partir despriorités définies par le gouverne-ment et le Parlement, le ministèreaffiche quelques grandes priorités àmoyen terme. Celles-ci sont inscritesdans la directive nationale d’orien-tation et assorties d’indicateurs derésultat.

– Parallèlement, le ministère renforcetrès sensiblement ses capacités d’in-tervention et de négociation auniveau européen. Une bonne articu-lation entre politique nationale etpolitique européenne est recherchée,ainsi qu’une meilleure valorisationdes fonds structurels ou des finance-ments de programmes européens.L’Europe devient le territoire d’actiondu réseau scientifique et technique,et la coopération transfrontalière estfavorisée.

– Les priorités politiques sont déclinéesdans une “doctrine de référencepour l’action des services déconcen-trés30”, ainsi que dans des “pro-grammes d’intervention territorialeprioritaires”, qui précisent les “terri-toires à enjeux”. Dans la perspectiveouverte par les “schémas de ser-vice”, une plus grande cohérence estpar ailleurs recherchée entre les pro-grammes européens, les projetsrégionaux et ces priorités nationales.

– Sur la base de ce repérage desenjeux, les services déconcentrés,disposant d’outils d’observation etd’analyse renforcés, transforment lesorientations en doctrines territorialesde l’État servant de référence pourles missions régaliennes ou les “por-ter à connaissance”. L’interministé-rialité est développée tant au niveau

30 Source : Aménagement et décentralisation : intro-duction au débat (F. Bouchard, J.P. Dufay, B. Meno-ret, M. Simonnet, N. Samsoen), PCM, n° 10, octobre2001.

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national que local au service d’une“vision partagée” des enjeux territo-riaux vus du point de vue des poli-tiques prioritaires (projets territoriauxde l’État).

– L’affichage clair de priorités secto-rielles ne vise pas à recentraliser l’ac-tion du ministère, mais plutôt à favo-riser la mobilisation sociale etéconomique autour d’objectifs par-tagés. C’est pourquoi la notiond’“entrepreneur de politiques (oud’actions) publiques” est dans ce scé-nario capitale. La contractualisationet le partenariat constituent des outilsd’action prioritaires au même titreque l’évaluation (par rapport à desobjectifs affichés). Le ministère favo-rise la création de structures ad hocde partenariat (groupements d’inté-rêt public et structures de gestion deprojet associant l’État, les collectivitéslocales, les entreprises et les asso-ciations…). Il s’appuie fortement surla société civile pour favoriser leschangements.

– L’organisation interne du ministère etdu réseau scientifique et techniqueest modernisée pour traduire leschoix de priorité et permettre unemeilleure articulation entre directionsd’administration centrale et servicesdéconcentrés. Dans cette dernièreperspective, le rôle des Directionsrégionales est fortement renforcé.

L’administration développe résolumentses moyens et ses outils en matière deconception, suivi et évaluation despolitiques publiques. Inversement, ellelimite ses prestations aux seuls champsconsidérés comme prioritaires. Uneflexibilité et une mobilité plus grandesdes effectifs permettent d’intervenir surdes “territoires à enjeux” avec deséquipes aux compétences adaptées.

Enjeux majeurs et questions

Le scénario repose sur la légitimité del’État à afficher des priorités et sur sacrédibilité à les mettre en œuvre. Peut-il le faire dans le contexte actuel horsdes domaines régaliens ; et a-t-il lesmarges de manœuvre nécessairespour réaffecter effectivement desmoyens aux politiques prioritaires ?

Il suppose aussi des changements cul-turels internes très importants (inves-tissement dans l’Europe, culture du

résultat, montage de partenariats com-plexes, interministérialité, ouverturesur la société civile…). On peut sedemander comment, par exemple,pourra se décliner dans les servicesdéconcentrés la volonté politique d’in-vestissement européen en un projetd’action concret.

Les services déconcentrés risquentd’être confrontés à un exercice impos-sible : “concurrencer les collectivitéslocales sur le terrain de l’énonciationdes priorités territoriales tout en criti-quant l’application aveugle des poli-tiques nationales sectorielles31”.

Pour rendre ce scénario plus concret,il faudrait spécifier les priorités d’ac-tion (sécurité, grandes infrastructures,développement durable, quartiersdéfavorisés… ?) et évaluer les chancesqu’elles mobilisent l’opinion – ce quele séminaire n’est pas parvenu à faire.

Le scénario 2 : un État intercesseur, au service des nouvelles dynamiques territorialesDescription générale

Dans ce second scénario, presquesymétrique au précédent, le ministèrese met d’abord en position de pouvoirparticiper activement aux nouvellesdynamiques territoriales liées à ladécentralisation et au développementdes intercommunalités. Il renforcedonc son organisation territorialedans la perspective de construire despartenariats efficaces avec les collec-tivités locales – dont les compétencessont par ailleurs sensiblement élargies.Il s’agit de valoriser les services, lesressources ou les fonctions complé-mentaires de ceux ou celles dont dis-posent les collectivités élues – en met-tant notamment l’accent sur un rôle“d’intercession”, d’intégration entreles différentes échelles territoriales.

Même s’il est moins en rupture que lesautres par rapport à la situationactuelle, ce scénario n’en est pas pourautant le prolongement direct. Il reposeen effet sur une mutation importantede l’activité des services déconcentrés– qui investissent de nouveaux thèmes(la prospective territoriale, le dévelop-pement local, la sécurité, l’utilisation31 Citation empruntée à D. Behar et P. Estebe.

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des fonds européens…) et jouent unrôle moteur dans la mise en place denouveaux territoires de projets (nou-velles intercommunalités, élaborationdes SCOT, nouvelle génération deplan de déplacement urbain, grandsprojets de renouvellement des quartiersou requalification des anciennesrégions industrielles…).

En d’autres termes, le ministère se réin-vestit sur l’urbain et le niveau régionalou interrégional en s’adaptant auxnouvelles demandes de la société.

Hypothèses de départ

– Au départ de ce scénario, il y a leconstat que l’aménagement du terri-toire ne peut se “piloter” à l’échellenationale : ce n’est qu’à l’échellerégionale ou à l’échelle des groupesde communes que peuvent utilementêtre appréhendées les probléma-tiques de déplacement, de dévelop-pement économique, de localisationdes services et des infrastructures oud’aménagement – dans lesquelles leministère est impliqué. Cela justifieque la priorité soit donnée à l’actionde terrain, au plus près des habitantset des acteurs locaux.

– L’autre hypothèse majeure est celled’un approfondissement sans rupturede la décentralisation. Les intercom-munalités sont mises en place. Lamise en œuvre de l’article 7 de laloi de 1992 est poursuivie. L’État neconserve sous sa responsabilité quele réseau routier strictement d’intérêtnational, les grands aéroports, lesvoies navigables à grand gabarit,les ports autonomes d’intérêt euro-péen, les aides au logement non ter-ritorialisées ou la “politique de laville” – alors que les aides à la pierreet les équipements d’importancerégionale sont confiés aux régionsou aux départements.

– Il y a toujours une forte attente localedu public pour que l’État interviennesur des thèmes comme la sécurité,l’environnement, l’organisation dela mobilité, le logement social, lapolitique de la Ville et l’accès auxservices publics. Mais il n’est plus,sur ces thèmes, qu’un acteur parmid’autres et doit trouver sa spécificité.

– Les directives européennes imposentdes contraintes à l’ingénierie

publique sans remettre en cause sonintervention dans des domaines spé-cifiques (assistance à la maîtrised’ouvrage, cadrage normatif…).L’utilité de maintenir un statut spéci-fique pour les services publics n’estpas fondamentalement remise encause.

– L’État conserve la gestion des fondsstructurels européens et renforceson rôle d’interface avec l’Europe.

Contenu et cheminement

– Le ministère de l’Équipement afficheclairement comme projet mobilisa-teur sa volonté d’être au service desnouvelles dynamiques territoriales etde contribuer activement au proces-sus de renforcement de la décentra-lisation. L’autonomie et les moyensgénéraux des services déconcentréssont renforcés.

– Les services territoriaux du ministères’impliquent fortement dans les pro-cessus de développement et d’amé-nagement des “nouveaux territoires”auxquels l’État est associé : projets etcontrats d’agglomération, SCOT,chartes de contrats de pays, PDU,programmes locaux de l’habitat,grands projets de renouvellementurbain, Agendas 21, SRAT… Ils s’ap-puient pour cela sur l’élaboration deprojets territoriaux de l’État articulésavec les schémas de service, lesdirectives territoriales d’aménage-ment ou les programmes européens.Cela suppose une vision claire et unedéclinaison locale des objectifs d’in-térêt général défendus par l’État :cohésion sociale, sécurité, dévelop-pement durable, intermodalité…

– Pour mieux répondre à ces besoins,de nouvelles compétences sontdéveloppées au sein des servicesdéconcentrés ou du “réseau scienti-fique et technique” en matière d’éla-boration de diagnostics, de pros-pective, d’assistance à la maîtrised’ouvrage, de gestion des risquesou des projets complexes…

– L’État se positionne essentiellementdans un rôle d’intercesseur et “d’en-semblier” en valorisant deux typesde ressources : la capacité d’articu-ler les échelles de territoire et demobiliser des “compétences compo-sites” (gestion des interfaces entre lesaspects techniques, économiques,

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ou socio-politiques des projets, apti-tude à l’appréhension transversalede problèmes complexes…).

– L’ingénierie se repositionne danscette perspective de complémenta-rité et de différenciation – en nouantéventuellement des partenariats avecle secteur privé. Elle s’adapte auxnouvelles règles de passation desmarchés et privilégie une approchepar la “demande” (recentrage sur lestransports urbains, l’environnement,la sécurité, l’évaluation ou le dia-gnostic…). L’évolution vers l’assis-tance à la maîtrise d’ouvrage estaccentuée. La qualité de servicedevient un objectif essentiel.

– En revanche, le rôle des DDE enmatière d’exploitation routière, demaîtrise d’œuvre des routes natio-nales non structurantes et d’élabora-tion en régie des POS ou PLU oud’application du droit des sols (ADS)est fortement diminué – même sidemeure la possibilité de conven-tionnements avec les départements oude partenariats avec les communes.

– Le scénario se situe donc dans uneperspective générale de “co-pro-duction” de l’action publique terri-toriale entre les collectivités locales,l’État déconcentré et les autresacteurs publics ou privés. Pour tenircompte de cette imbrication, lesDDE, les DRE et les CETE mettent enplace des “comités d’usagers” inté-grant à la fois les collectivités localesutilisatrices et des représentants dela société civile. Symétriquement, lesservices déconcentrés participentaux nouvelles institutions de “gou-vernance” qui se développent àl’échelle des aires urbaines ou desinterrégions, en favorisant leurouverture démocratique.

– Les administrations centrales ne sontpas absentes de ce mouvement deterritorialisation des politiquespubliques. Mais leur rôle se limiteessentiellement à définir des priori-tés nationales, fournir un appuiméthodologique ou de l’expertise etouvrir les marges de manœuvrenécessaires pour l’action locale.

Enjeux majeurs et questions

– L’incertitude majeure de ce scénarioconcerne la réalité des “nouveauxterritoires” : il n’est pas évident qu’ils

puissent trouver leur place dans lepaysage institutionnel français, nique l’État soit en position de pouvoirfaire passer son point de vue.

– Le scénario suppose par ailleurs uneforte évolution des compétences etde la culture du ministère, hypothèsequi peut sembler peu réaliste dansun contexte de ralentissement desrecrutements et de vieillissement dela pyramide des âges. Une des clefsde sa réussite est la capacité des ser-vices déconcentrés à se reconfigu-rer en fonction des nouvelles dyna-miques territoriales – ce qui estd’autant moins évident que la géo-graphie des territoires “pertinents”pour l’action future est incertaine.

– Il y a une contradiction potentielleentre le transfert de l’exploitationde la route ou de la constructionde routes nationales aux départe-ments et la priorité donnée à lasécurité, à la prévention desrisques et à l’intervention de l’Étaten cas de crise : quel sera le posi-tionnement institutionnel des agentsde travaux et qui sera responsableen cas de catastrophe majeure ?

– Comme les deux variantes suivantes,ce scénario 2 repose sur la capacitéà la fois à moderniser et à légitimerune conception hybride du servicepublic, à cheval entre l’administra-tion et la prestation de service. Pourle rendre moins vulnérable, il fau-drait sans doute imaginer de nou-velles formes de contrats entre col-lectivités publiques en dehors desconventionnements existants32.

Deux variantes du scénario 2 :“l’État subsidiaire” et le “rectorat territorial”Dans la même perspective d’un“État au service des territoires” et àpartir des mêmes hypothèses d’évo-lution du contexte, deux autresvariantes du scénario 2 ont été pro-posées au cours du séminaire : “L’É-tat ‘recours’ ou ‘subsidiaire’” et le“rectorat territorial”.

La principale différence avec le scé-nario précédent est que dans ces deuxcas, l’ambition n’est plus principale-ment d’accompagner les nouvelles

32 Voir sur ce thème les réflexions sur l’ingénieriepublique et le réseau scientifique et technique , et enparticulier la note de François Perdrizet.

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dynamiques territoriales ou de “réin-vestir” les agglomérations mais plutôtd’assurer la présence du servicepublic sur l’ensemble du territoire dansune perspective de solidarité natio-nale avec les collectivités locales lesplus pauvres, petites ou isolées. La ten-dance à intervenir en milieu rural estdonc accentuée.

La différence entre ces deuxvariantes est que la seconde envi-sage un changement radical dansl’organisation de “L’État territorial”avec une intégration des différentesadministrations techniques secto-rielles (DDE – DDA – DIREN…).

Première variante : “l’État ‘recours’ ou ‘subsidiaire’”

Dans cette première hypothèse, l’Étatintervient comme un service publicsubsidiaire par rapport aux collecti-vités locales (régions, départementsou communes). C’est-à-dire qu’ilassure les services ou les fonctionsque celles-ci ne peuvent assurer, soiten raison de leurs compétences (priseen charge des programmes ou poli-tiques d’intérêt national), soit en rai-son de leurs moyens (mise à disposi-tion ou prestation de services au profitdes communes ou des départementsdépourvus de services techniques).

On est dans la prolongation desmodes de fonctionnement mis enplace dans les années 80-90 (en par-ticulier la loi de 1992), avec une indi-vidualisation croissante au sein desDDE des services travaillant pour l’É-tat, pour les départements (régime deconventionnement, dualité des autori-tés fonctionnelles et hiérarchiques) oupour les communes (maintien de l’ATE-SAT – “Assistance Technique de l’Étatpour des raisons de Solidarité etd’Aménagement du Territoire”).

Ce scénario n’est pas en lui-mêmeincompatible avec un élargissementdes compétences des collectivitélocales – tel que, par exemple, le trans-fert aux départements de la responsa-bilité des routes nationales. Il supposesimplement, dans cette dernière hypo-thèse, un effort encore plus importantde modernisation des services décon-centrés à la fois pour maintenir la qua-lité des services rendus et pour gérer le

rétrécissement des moyens affectés aux“missions d’État” (réduction du nombredes subdivisions, mutualisation desmoyens…).

Par définition cependant, cette posi-tion de “recours” ou de “subsidiarité”met les services de l’État en situationde forte dépendance par rapport auxmoyens ou aux stratégies des collecti-vités locales. Elle est en outre particu-lièrement vulnérable aux directiveseuropéennes sur les marchés ou ser-vices publics. Même “réactivée” etlégitimée par les préoccupations nou-velles en matière de sécurité et de ges-tion des crises, cette première variantea surtout finalement l’inconvénientmajeur de figer le ministère de l’Équi-pement sur des positions que certainspourront juger très défensives et peuévolutives.

Seconde variante : “le rectorat territorial”

Cette seconde variante part d’unconstat et d’une hypothèse. Le constatest que le principal obstacle à uneaction efficace de l’État à l’échelle ter-ritoriale résulte d’une “interministéria-lité molle” et de l’incapacité à définir– vis-à-vis des collectivités locales –une position commune de l’État quisoit lisible et cohérente.

L’hypothèse est que le renforcementde la décentralisation et l’autonomi-sation croissante des territoires quivont en résulter ne vont faire que ren-forcer ce sentiment d’incohérence etd’inefficacité, et que la seule façond’y répondre et de rapprocher les ser-vices déconcentrés de l’État (pour peuque celui-ci souhaite conserver un rôleactif en matière d’aménagement duterritoire au niveau local).

Le cœur du scénario est l’institution-nalisation de “recteurs territoriaux”ayant pour rôle d’assurer la conver-gence de toutes les politiquespubliques sur ce territoire donné. Sansfonctions directement opérationnelles,ces “recteurs” ont essentiellement pourtâche “d’organiser la gouvernance”au niveau local, de cadrer le débatpublic sur l’aménagement du territoire,de fournir les instruments d’observa-tion, d’évaluation et de prospective.Une de leur attribution majeure est, en

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particulier, de mettre en place, avecles élus locaux, le maillage territorialle mieux adapté à un aménagementdu territoire efficace.

Les responsabilités du “recteur terri-torial” sont proches de celles des pré-fets, mais, dans cette variante, ils’agit de fonctions disjointes. Le rec-teur territorial est autonome par rap-port aux différentes administrationset a pour fonction majeure “d’être àl’écoute” des réalités territoriales etdes populations locales.

L’institutionnalisation des recteurs s’ac-compagne d’une autre réforme radi-cale qui est l’intégration ou même leregroupement des services territoriauxde l’État jouant un rôle technique dansle domaine de l’aménagement du ter-ritoire : DDE, DDA, DIREN, structuresde mission de la DATAR…

Cela passe, dans un premier temps,par une relance de la politique despôles de compétences, puis par uneintégration ou une fusion des services.Une des alternatives envisageablesest, à terme, la transformation de cesstructures regroupées en “agencestechniques territoriales” ayant dansleurs conseils d’administration desreprésentants des collectivités locales.

Par rapport aux communes, départe-ments ou régions, la spécificité de cesstructures constitutives de “l’État territo-rial” est de jouer un rôle d’interface, demédiation entre les différentes échellesterritoriales. Les “compétences compo-sites” et la pratique du fonctionnementen réseau développées au sein duministère pourront donc utilement y êtrevalorisées. Mais il s’agit bien, à terme,de sortir des logiques sectorielles etcorporatistes pour aller vers une offrede services publics intégrée au profitdes territoires.

Même s’il répond à des interrogationsréelles, ce scénario du rectorat territo-rial soulève naturellement de multiplesquestions qui le rendent à moyen termerelativement improbable :

– Quelle sera la position institutionnelledu “recteur” et peut-on imaginer qu’ilpuisse être différent du préfet ?

– L’échec des “pôles de compé-tences” ne rend-elle pas utopique

l’idée d’une forte intégration et afortiori d’une fusion des servicestechniques ?

– Ne risque-t-on pas, à travers lamise en place d’un tel scénario, àla fois un démantèlement et uneperte de technicité des services ?

– Comment le “rectorat territorial”pourra-t-il concrètement s’articuleravec les collectivités locales et s’im-poser comme l’“organisateur desgouvernances” ?

Il s’agit, en tout cas d’une rupturepresque aussi importante que cellesenvisagées dans les deux scénariossuivants qui, eux, font l’hypothèsed’une décentralisation très profonde.

Le scénario 3 : “L’État régulateur et incitateur”Description générale

Comme le scénario 1, ce troisièmescénario met l’accent sur la dimensionnationale ou internationale de l’actiondu ministère. Mais il constitue une rup-ture beaucoup plus radicale dans lamesure où l’État y perd une grandepartie de ses fonctions opérationnellesà l’échelle des territoires au bénéficedes régions et des regroupements decommunes.

N’ayant plus que des missions opéra-tionnelles limitées (conception ou ges-tion de certaines grandes infrastructuresou opérations d’intérêt national ou inter-national…), le ministère se recentre surdes fonctions d’animation, d’incitation,de régulation, de contrôle ou de pro-motion de l’innovation. Relais des poli-tiques européennes, il définit les poli-tiques sectorielles, développe larecherche et l’innovation, poursuit lanormalisation et assure la coordinationdes initiatives territoriales.

En conséquence, la structure ministé-rielle se réduit progressivement auxadministrations centrales et à desmissions régionales – qui continuentnéanmoins à pouvoir s’appuyer surdes agences techniques ou d’objec-tifs susceptibles de travailler au-delàdu territoire national.

La création par la loi d’une nouvellecatégorie d’établissements publics –

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les “agences territoriales de servicespublics33” lancées sous la double tutellede l’État et des collectivités locales –ouvre la possibilité d’un pilotage com-mun par l’État, les départements et lesrégions des services déconcentrésactuels. Mais la tendance la plus pro-bable dans un tel scénario est plutôtcelle d’une régionalisation des servicesde l’État.

Hypothèses de départ

– L’hypothèse centrale de ce scénarioest celle d’une redistribution pro-fonde des pouvoirs au profit desregroupements de régions, des inter-communalités et de l’Europe. Lesdépartements deviennent des divi-sions administratives des régions.Celles-ci se voient confier des com-pétences opérationnelles en matièresd’aménagement du territoire, detransport, de logement, d’infrastruc-tures routières et d’environnement.

– Parallèlement, le constat est fait que“la régulation par les blocs de com-pétence ne fonctionne pas” et “qu’ily a une dissociation de fait entre lesfonctions politiques réellement exer-cées et le périmètre ou le statut desinstitutions territoriales34”. Dans unesociété devenue plus ouverte, il y aplace pour un certain “découplage”entre les fonctions traditionnellementunifiées de représentation, mise endébat, décision, évaluation,expertise…

– Une autre hypothèse importante estl’accentuation de la mondialisation,un contexte favorable à la libéralisa-tion de l’économie, et la tendance àune définition restrictive des servicespublics européens. Les marges demanœuvre pour une ingénieriepublique “à la française” se réduisent.

– Tant au niveau européen qu’àl’échelle française, les pressions dupublic restent néanmoins très vivespour la mise en place de systèmesdémocratiques de “régulation” dansdes domaines comme la sécurité, lafiscalité locale, l’accès aux servicespublics, la qualité des transports…

Contenu et cheminement

– Le ministère perd une partie de sescompétences opérationnelles auprofit des régions : l’investissementet l’entretien routier hors autoroutesde liaison, la majeure partie des

infrastructures portuaires et aéro-portuaires, les subventions aux trans-ports publics, les aides localisablesau logement. Les services décon-centrés correspondants sont placéssous la tutelle des régions ou sousdouble tutelle (grâce à la créationd’agences territoriales de servicespublics). Dans cette perspective, lesfonctions publiques nationales et ter-ritoriales sont harmonisées – ou àterme, fusionnées.

– L’État se recentre sur des fonctions de“régulation” (Voir l’Encart n° 10) et“d’animation” : définition d’objectifs,élaboration de normes ou de régle-mentations, articulation avec les poli-tiques européennes, négociation etmise en place de mécanismes depéréquation, usage des incitations(information, financements, politiquescontractuelles, fiscalité…), évaluation,contrôle, aides à la recherche et àl’innovation (technique et sociale).

– Il s’appuie pour cela sur des“agences d’objectif” (agence desroutes, agence de la sécurité rou-tière…) chargées d’élaborer desnormes ou des “guidelines”, de capi-taliser le savoir-faire technique, definancer la recherche, de diffuser lesexpériences et de favoriser “l’intelli-gence collective” des problèmes.Ayant le statut d’EPIC, les agencespeuvent aussi développer certainesformes d’ingénieries publiques (assis-tance à la maîtrise d’ouvrage).

– Dans certains domaines comme l’or-ganisation du débat public, ou lestransports ferroviaires, maritimes ouaériens, les fonctions de régulationsont partagées avec des “autoritésadministratives indépendantes”.

– Les organismes de recherche oud’expertise du réseau scientifique ettechnique (hors “agences d’objectif”)sont développés et structurés demanière à pouvoir devenir des pôlesd’excellence au niveau européen età mieux répondre aux besoins desentreprises et des collectivitéslocales.

– Au niveau régional, le relais avecles collectivités locales continue àêtre assuré par des structureslégères fonctionnant comme desadministrations de mission. Celles-ci jouent un rôle d’interface entreles institutions locales, les agences

33 Proposition faite par Jean Ludovic Silicani, anciencommissaire à la réforme de l’État (in) : Cahiers de lafonction publique et de l’administration, numéro spécialsur la déconcentration, juillet-août 2002 (n° 214).34 Citations empruntées à Daniel Behar et PhilipeEstebe : “Décentralisation : l’acte II est déjà joué”, LesÉchos, 6 juin 2002.

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Encart n° 10 : L’État régulateur

L’État régulateur, c’est en premier lieu l’État réglementeur, édicteur de lois et de règlements, l’État qui définit lesrègles du jeu (économique, politique, social). C’est aussi l’État contrôleur, garant du respect des règles. C’estenfin l’État régulateur au sens restreint du terme, à savoir l’arbitre des différends entre acteurs économiques enconcurrence ou entre groupes sociaux aux intérêts antagoniques. La régulation n’est pas à l’évidence une fonc-tion nouvelle pour l’État : l’essence de l’État n’est-elle pas, d’une certaine manière, la production de la loi ? Plusspécifiquement, c’est la position de l’État au sommet d’une hiérarchie décisionnelle qui est remise en question,dès lors que cette hiérarchie, justement, n’en est plus vraiment une. Ce qui est donc en jeu au fond, c’est latransformation des modalités de la régulation exercée par l’État. La question posée est en définitive : commentréguler lorsqu’on n’a plus (ou qu’on a moins) le pouvoir d’imposer ses décisions régulatoires ? Pour faire image,quel est le pouvoir d’un arbitre qui, lorsqu’il siffle une faute, est soit ignoré, soit contesté ? Certes, on peut jugerque cette comparaison est plus ou moins valide selon les domaines d’intervention de l’État ; mais c’est bien celaque signifie le diagnostic (ou l’hypothèse) de perte de centralité de l’État.

Cela conduit à accorder une attention particulière à la figure d’État compositeur d’intérêts sociaux, facilitateurde décisions collectives. Cette figure suggère que la fonction sociale principale de l’État serait désormais de créerles conditions favorables à un accord entre intérêts contradictoires ou de composer au mieux entre ces différentsintérêts pour aboutir à un compromis acceptable par tous – ce qui n’exclut pas, notons-le, un certain degré deconflictualité dans le processus d’élaboration de ce compromis. C’est cette conception qui semble prévaloir, notam-ment en matière d’action publique territoriale : pour nombre d’experts, l’État a vocation désormais à se limiter àfixer les règles des jeux d’acteurs locaux et à en arbitrer le déroulement. Cette conception procédurale de l’ac-tion de l’État soulève cependant des questions importantes : l’État a-t-il encore des objectifs stratégiques ? Si oui,lesquels ? Comment ont-ils été élaborés et quelle est leur légitimité ? De quels moyens l’État dispose-t-il pour fairevaloir – et le cas échéant, prévaloir – ses objectifs (censés traduire une certaine forme d’intérêt général) ?

Olivier CoutardJacques Theys

et Serge WachterIntroduction du séminaire du CPVS sur “l’État régulateur”

35 Voir sur ce plan, les travaux du CGPC et ceux duséminaire mis en place par le Centre de Prospectivede la DRAST (séminaire sur “l’État régulateur”).

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d’objectif, les organismes euro-péens, les administrations centraleset la société civile, qui, elle aussi sestructure et joue un rôle croissantdans les décisions.

Enjeux et questions

– Ce scénario met en évidence plu-sieurs enjeux relativement nou-veaux ou sous-estimés par le minis-tère : l’importance des relationsfutures avec les régions, la néces-sité d’approfondir les réflexions surla régulation ou ses outils (norma-lisation, incitations économiques,débat public…)35, le besoin urgentde développer en interne les capa-cités d’évaluation ou de prospec-tive, l’importance de passerellesentre les deux fonctions publiques.

– Il présente néanmoins de nombreuxrisques dont celui d’une disparitiondes savoir-faire et d’une réductiondu service à l’usager lié à la réor-ganisation des DDE : on peut sedemander en effet ce que devien-

nent dans ce scénario les notionsd’intérêt général et d’égalité ou degarantie de service à l’usager.

– Une autre interrogation majeure quesoulève ce scénario est l’articulationdes missions ou l’emboîtement descompétences entre les régions et l’É-tat : en Angleterre, où il n’y a pas deservices déconcentrés, le gouverne-ment est confronté à un problème dif-ficile de territorialisation de ses poli-tiques nationales. On peut sedemander également à quelle échelles’organise la solidarité territoriale(perequation entre communes…) etce qui deviendrait dans cette hypo-thèse la politique contractuelle.

– Ceci étant, il faut relativiser la rup-ture que constitue ce troisième scé-nario : il est très proche du moded’organisation qui existe depuislongtemps non seulement dans lespays fédéraux mais aussi dans despays “centralisés” comme la Suède,les Pays-Bas ou, comme on l’a vu,l’Angleterre.

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Le scénario 4 : “L’État garant territorial”Description générale

Le quatrième et dernier scénario, “l’É-tat garant territorial” se situe, commele précédent, dans un contexte deforte décentralisation au profit desrégions et des groupement de com-munes, mais il s’en différencie radi-calement dans la mesure où l’État yconserve une présence territorialerelativement importante.

Cette apparente contradiction trouvesa justification dans une séparationmarquée des fonctions entre l’État etles collectivités locales. Si ces der-nières assurent désormais l’essentieldes missions opérationnelles, l’Étatconserve une fonction majeure devantla communauté internationale et lescitoyens – de “garant” de certainsobjectifs essentiels : la cohésion so-ciale, la sécurité, le développementdurable et un minimum d’équité dansl’accès aux services publics.

Cette fonction de “garant” prend troisformes différentes. D’une part, l’Étatcontribue à l’élaboration d’une visioncommune sur ces grands objectifs essen-tiels et met en place les politiques “consti-tutives” ou les moyens d’incitation néces-saires à leur mise en œuvre par lesdifférents acteurs publics ou privés.

D’autre part, il renforce ses moyensd’intervention “régaliens” – contrôlede légalité, police de la sécurité,capacité à intervenir en cas de crise…

Enfin, il assure le pilotage de manièreexceptionnelle de certains grands pro-grammes nationaux ou européens –en coopération étroite avec les collec-tivités locales – dans une perspectivede stricte subsidiarité.

Cette conception de l’intervention del’État a deux conséquences majeurespour le ministère : le rôle de presta-taire de service est fortement diminuéau profit d’une séparation stricte entrecontrôleur et opérateur ; par ailleurs,ce scénario s’accompagne d’uneorganisation beaucoup plus intermi-nistérielle des services déconcentrés,avec un rééquilibrage au profit del’échelon régional.

Hypothèses de départ

– Les hypothèses de départ sont lesmêmes que dans le scénario 3 (trans-ferts de compétences aux régions,renforcement de l’intégration euro-péenne et de la libéralisation éco-nomique, polycentrisme et com-plexification de l’action publique…),à deux exceptions près :

– En matière de compétences, l’Étatconserve ses attributions dans lesdomaines de la politique de laVille, de la sécurité (sécurité rou-tière, prévention des risques…) etde la planification spatiale àgrande échelle (avec les régions).

– Il existe une demande sociale plusforte pour qu’il continue à garantirun certain nombre de droits ou d’ob-jectifs essentiels : la neutralité de l’ac-tion publique, la cohésion sociale, lasécurité, le développement durable,l’équité dans l’accès aux services(notamment pour les populations lesplus vulnérables ou non solvables).

– C’est à ce titre qu’est justifiée lacoexistence de deux types de struc-tures publiques territoriales jouant unrôle complémentaire mais clairementdistinct.

Contenu et cheminement

– L’action de l’État se recentre sur cer-tains objectifs essentiels : la sécurité,la cohésion sociale, le développementdurable, la préparation du longterme… Les politiques du ministèresont redéfinies à la lumière de cespriorités aussi bien à l’échelle natio-nale que territoriale.

– Dans ces champs prioritaires, l’Étatcontribue à construire une vision par-tagée des attentes, des enjeux, dessolutions possibles, des objectifs àatteindre. Il traduit cette vision par-tagée en principes et programmesd’action clairement affichés – avecles indicateurs correspondants.

– Outre la définition de cadres d’ac-tion et la mise en œuvre des moyensde contrôle (administratif ou judi-ciaire), l’État conserve la possibilitéde proposer et de mettre en placedes programmes finalisés dans lesdomaines où les moyens d’interven-tion des collectivités locales (ou desautres acteurs publics ou privés) sontmanifestement insuffisants ou inap-

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propriés (principe de subsidiarité).Ce peut être par exemple le cas enmatière de renouvellement urbain,de prévention des risques ou detransports collectifs. Il développe parailleurs ses fonctions régaliennes(sécurité publique, intervention encas de crise…).

– Les collectivités locales, qui assurentdésormais la maîtrise d’œuvre desinfrastructures et la gestion des ser-vices publics locaux, sont tenues pourresponsables d’un certain nombred’obligations liées aux grands objec-tifs précédents et s’y engagent éven-tuellement par contrat. Les méca-nismes de péréquation intégrantcertaines règles de conditionnalité.

– Les services déconcentrés du minis-tère, renforcés au niveau régional etintégrés dans des structures progres-sivement plus interministérielles,jouent un rôle essentiel d’incitation àla mise en œuvre de ces objectifsdéclinés à l’échelle des territoires. Ilsdisposent pour cela de plusieursmoyens : “le porter à connaissance”,la prospective territoriale, la contrac-tualisation, le contrôle de légalité,l’évaluation et la mise en œuvre dela planification spatiale à grandeéchelle. Ils mettent par ailleurs enplace les partenariats nécessairespour la réalisation des grands pro-grammes, s’organisent pour pouvoirintervenir prioritairement dans les“territoires à enjeux” (quartiers défa-vorisés, zones à risque…) et assurentla gestion des moyens d’interventionde l’État en cas de crise ou d’acci-dent majeur.

– Le réseau scientifique et techniquerenforce ses compétences en matièred’évaluation, de normalisation, deprévisions ou d’information notam-ment dans les domaines “priori-

taires” : cohésion sociale, sécurité,développement durable… En revan-che, il n’intervient plus en matièred’ingénierie que pour la mise enœuvre des grands programmes d’in-térêt national ou européen.

Enjeux et questions

– La réussite du scénario repose à lafois sur une forte séparation et un par-tenariat actif entre l’État et les collec-tivités locales. Ne s’agit-il pas d’ob-jectifs contradictoires qui peuventgénérer beaucoup de confusion dansles responsabilités respectives des unset des autres ? Par exemple, qui seraréellement responsable devant l’opi-nion en cas de crise et où se situerontles moyens d’intervention ?

– La séparation opérateur-évaluateurne correspond-elle pas à une visionpurement abstraite de l’actionpublique ? Peut-on évaluer sansfaire ? Et l’État est-il légitime pourimposer aux collectivités locales (ouaux autres acteurs) des objectifs d’in-térêt général ? Quelle forme enfinprendront les “sanctions” éventuelles(sanctions pénales, compensationsfinancières, publication d’audits) ?

– Les mutations en terme de compé-tences et de personnels qu’impose-rait un tel scénario semblent com-plètement irréalistes à moyen terme.Il y a également un risque que leministère perde son identité au pro-fit de structures interministériellesdéconcentrées aux contours et auxcompétences extrêmement flous.

– En revanche, le scénario ouvre desperspectives intéressantes sur la terri-torialisation des politiques publiqueset a l’avantage de réduire considé-rablement les logiques sectorielles.

– Jugé très conservateur par les uns(retour à l’État régalien), ce scénario

Encart n° 11 : L’État garant en tant qu’opérateur

“Dans le domaine du logement, la répartition actuelle des rôles (ou plus précisément, le sentiment que lesélus disposent d’un pouvoir d’attribution arbitraire) fait peser sur les élus locaux, un inévitable soupçon declientélisme. À l’inverse, il ne semblerait pas illégitime que le maire ait un droit de regard global (et nonlimité à son “contingent”) sur les attributions dans sa commune. Ne pourrait-on envisager que l’État, plusneutre, gère les attributions sur la base d’orientations résumées dans un Programme local de l’Habitat négo-cié entre les communes et l’État, et sous le contrôle d’un “Conseil” des élus locaux ? Sans méconnaître lesobstacles (improbable retour en arrière sur la décentralisation, risque de dérive bureaucratique du fait deslourdeurs de gestion de l’État…), ne retrouve-t-on pas là la même logique : élus qui orientent, État plus neutrequi fait ?”.

Source : PCM, octobre 2001, opus cité.

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dessine au contraire pour les autres,une vision très novatrice de l’actionpublique future fondée sur une nou-velle forme de séparation des pou-voirs. Mais on pourrait imaginer, surle modèle de la séparation, une divi-

sion inverse du travail entre collecti-vités élues et État, où les premièresdéfiniraient les orientations et lesecond mettrait en œuvre les actionsopérationnelles (Voir Encart 11).

V. CONCLUSION

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À la fin de ce long exercice, il fautinsister une nouvelle fois sur le carac-tère très informel et provisoire desscénarios précédents.

Aucun d’entre eux ne donne une imageprécise de ce que pourrait être le minis-tère après la nouvelle étape de ladécentralisation. Ce ne pouvait d’ail-leurs pas être l’ambition de la DRAST dedessiner cette image – compte tenu desincertitudes sur la future répartition descompétences.

S’en dégagent néanmoins un certainnombre d’“idées nouvelles” ou de pistesde recherche qui mériteraient un appro-fondissement ultérieur. On en citeraquelques-unes, pour conclure :

– le renforcement des politiques secto-rielles dépend d’abord de la capacitéà mobiliser des partenaires autourd’une vision partagée, ce qu’ontréussi à faire des politiques de l’envi-ronnement dans les années 70-80 ;

– le “rectorat territorial” est une dessolutions possibles pour sortir de“l’interministérialité molle” et rendrelisibles les politiques territoriales del’État ;

– la création “d’agences territorialesde services publics” sous la doubletutelle de l’État et des collectivitéslocales est une solution qui peut êtreenvisagée dans presque tous lescas de figure – pour les servicesdéconcentrés comme pour le réseautechnique ;

– le rôle central que devraient jouerles régions dans la décentralisationfuture amène à s’interroger sur lesmodalités de coopération entre lesrégions et le ministère ; cette articu-lation sera naturellement encore plusdéterminante à partir du moment oùles régions deviendront, au mêmetitre que l’État, un échelon privilégiéde solidarité territoriale – avec unrôle important dans la péréquationet les politiques contractuelles ;

– dans toutes les hypothèses, l’Europeva avoir un impact majeur sur lesmétiers du ministère. Il serait doncutile d’initier une réflexion sur cesconséquences et sur les modalitésd’implication possibles des serviceset des personnels – au niveau cen-tral comme au niveau territorial –dans les politiques européennes etla gestion des fonds européens ;

– tous les scénarios vont égalementavoir des répercussions importantessur le positionnement ou les modesd’intervention des agents de tra-vaux. Là encore, il faudrait pouvoiranticiper toutes les éventuellesconséquences ;

– quel que soit le contexte le ministèresera très probablement amené àrenforcer ses moyens dans desdomaines comme le risque, la sécu-rité, le “développement durable”mais aussi dans la mise en œuvredes “nouveaux outils de l’actionpublique” – évaluation, information,médiation, prospective, capitalisa-tion des connaissances… Dans tousces domaines la mutualisation desmoyens indispensables devra faireappel à des solutions originales –avec, sans doute, une forte compo-sante interministérielle ;

– il faut remarquer, enfin, que plusieursscénarios ont semblé aux partici-pants trop abstraits : il faudrait àl’évidence compléter ces approchesglobales par des analyses plusconcrètes de l’évolution de l’actionpublique sur le terrain.

Tous ces thèmes n’étaient pas néces-sairement envisageables avant leséminaire – et c’est sans doute un desmérites principaux de celui-ci d’avoirmontré qu’à travers la décentralisa-tion, c’est finalement toute l’action duministère qui est concernée – bien au-delà, finalement, des problèmes poséspar la répartition des compétences.

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Le projet de loi constitutionnellerelatif à l’organisation décentrali-sée de la République, a été présentéau Conseil des ministres le 16 octobre2002, avant d’être déposé au Sénatpuis transmis à l’Assemblée nationalepour un examen au cours des moisd’octobre et de novembre. Son adop-tion définitive aura lieu au début del’année 2003 soit par le Congrès soitpar un référendum.Cette réforme vise à fonder les basesd’une République unitaire et décen-tralisée, “afin de favoriser le déve-loppement d’une démocratie localeau service des citoyens, dans le res-pect de l’unité et de l’indivisibilité dela République”.

Une organisation décentraliséede la République française• Le projet de loi constitutionnelle pré-

voit d’abord que les collectivités ter-ritoriales sont aujourd’hui appeléesà jouer un rôle essentiel pour moder-niser le pays. L’article 1er du projetde loi constitutionnelle complète l’ar-ticle 1 de la Constitution (“La Franceest une république indivisible, laïque,démocratique et sociale”) en rajou-tant la mention “Son organisation estdécentralisée”.

• Il prévoit également l’inscriptiondans la Constitution de l’existencedes régions et rend possible la créa-tion de collectivités territoriales à sta-tut particulier en lieu et place decelles existantes (art. 72, al. 1). Il

reconnaît la vocation des collectivitésterritoriales à exercer l’ensemble descompétences pouvant le mieux êtremises en œuvre à l’échelle de leurressort (art. 72, al. 2).

Le nouveau droit à l’expérimentation• Les collectivités territoriales s’admi-

nistrent librement par des conseilsélus et se voient reconnaître unpouvoir réglementaire pourl’exercice de leurs attributions dansles conditions prévues par la loi(art. 72, al. 3).

• De plus, elles pourront expérimen-ter des règles nouvelles, avec l’au-torisation du Parlement ou du Gou-vernement, selon des modalitésdéterminées par avance : elles pour-ront ainsi, selon les conditions défi-nies par la loi organique, dérogeraux dispositions législatives ou régle-mentaires régissant l’exercice deleurs compétences dans les cas pré-vus par la législation. Cependant,cette expérimentation ne pourra pasporter sur les conditions essentiellesd’exercice d’une liberté publique oud’un droit garanti par la Constitution(art. 72, al.4).

• Enfin, pour l’exercice d’une com-pétence nécessitant le concours deplusieurs collectivités territoriales, letexte prévoit la possibilité de dési-gner, par la loi, l’une d’entre elles,chargée, telle un “chef de file”, dedéterminer “les modalités de leuraction commune” (art. 72, al. 5).

ANNEXE 1 : VERS UNE ORGANISATION

DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE : LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

SUR LA DÉCENTRALISATION

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L’amélioration de la démocratielocaleLe texte prévoit d’améliorer la démo-cratie directe, notamment par troisnouveaux instruments (art. 72-1) :

– possibilité, par pétition, d’obligerl’assemblée délibérante d’une col-lectivité territoriale à inscrire à sonordre du jour toute question rele-vant de sa compétence ;

– possibilité, à l’initiative d’une col-lectivité locale, d’organiser unréférendum local sur tout projetrelevant de sa compétence ;

– possibilité de consulter les électeurssur toute question intéressant l’or-ganisation de la collectivité (pourcréer une collectivité à statut parti-culier ou pour modifier les limitesdes collectivités existantes).

Des ressources garanties pour la libre administration des collectivités locales• Les collectivités territoriales peuvent

disposer librement de ces res-sources dans les conditions prévuespar la loi : le projet de loi garantitl’autonomie financière des collec-tivités locales et l’existence de dis-positifs de péréquation nécessairespour corriger les inégalités de res-sources entre collectivités territoriales(art. 72-2).

• Les collectivités pourront déterminerle taux et l’assiette des impositionslocales dans les limites définies parla loi.

• Le texte leur assure que, dans lesconditions prévues par une loi orga-nique, leurs ressources propresconstitueront une part déterminantede l’ensemble de leurs ressources etque tout transfert de compétencess’accompagnera d’un transfert deressources corrélatif de la part del’État.

Des dispositions spécifiques pour les collectivités d’outre-mer• Le projet distingue d’une part, les

départements et régions où s’ap-plique de plein droit la législationvalant sur l’ensemble du territoire, etd’autre part, les collectivités relevantd’une législation spécifique. Le pas-sage d’un régime à l’autre ne serapossible qu’avec le consentementpréalable des électeurs de la col-lectivité intéressée, “convoqués parle Président de la République sur pro-position du Gouvernement”. Maisdans ce cas, c’est une loi organiquequi décide du changement derégime.

• Le projet prévoit aussi d’adapter lerégime des collectivités d’outre-meren fonction de leurs caractéristiqueset contraintes particulières, et d’of-frir à chacune d’entre elles un statutpropre conforme à ses spécificités età ses attentes (art. 73 et 74).

Parallèlement à l’examen parlemen-taire du projet, une série de débatssera organisée en province : ainsi, lesAssises des libertés locales organiséesd’octobre 2002 à la mi-janvier 2003permettront de recueillir dans lesrégions les souhaits des collectivitésquant à leurs compétences et la façondont celles-ci seront régies par la loi.Au printemps 2003, un projet de loiorganisant des transferts de compé-tences et des expérimentations seradéposé au Parlement. Trois lois orga-niques, dont l’adoption est prévueavant l’été 2003, auront pour objetde mettre en application la réformeconstitutionnelle, en organisant lesexpérimentations et les referendumslocaux, et en garantissant l’autonomiefinancière des collectivités locales.

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Partie II

ÉVOLUTIONS DU MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT EN RAPPORT

AVEC LE PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION :UNE ANALYSE HISTORIQUE

Yves Janvier

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1 On entend ici le terme “Équipement“ de façongénérique, englobant tous les secteurs d’admi-nistration qui – à travers les regroupementsministériels successifs – ont été placés dans lamême orbite, autour des fonctions de base duministère.

Les lois de décentralisation promul-guées en 1982 et 1983 ont marquéune rupture dans les rapports entre l’É-tat et les pouvoirs politiques territoriauxqui a provoqué une restructuration dupositionnement, de l’organisation et dufonctionnement du ministère de l’Équi-pement1. Sur le plan interne à l’Admi-nistration d’État, la décentralisation aété accompagnée par un mouvementde déconcentration qui a modifié dura-blement l’organisation des rapportsentre échelons centraux et services dits“extérieurs“, ainsi que les modalités detravail interministérielles aux différentsniveaux territoriaux. Les services duministère de l’Équipement ont été sou-mis à ce mouvement de déconcentra-tion, au même titre que les autresdépartements ministériels de l’État.

Ces transformations institutionnellesinternes à la France se sont trouvées,par ailleurs, insérées dans les trans-formations liées à la mise en placede l’Europe (Acte Unique : 1992) et,pour une part, déterminées par elles.

Par ailleurs, cette période d’une ving-taine d’années qui nous sépare des loisde décentralisation a été le tempsd’évolutions de la société qui débor-dent largement les transformations ins-titutionnelles posées par les lois. Ainsi,le champ où s’exercent les activités duministère de l’Équipement a-t-il été sou-mis à des exigences nouvelles de lapart des citoyens, de l’opinion publiqueet des corps constitués dans le sensd’un renforcement de la démocratieparticipative et de proximité. À l’autreextrême, le développement de la mon-dialisation, la montée en puissance de

la déréglementation et de la libéralisa-tion de l’économie ont structurellementmodifié le cadre de référence de l’ac-tion publique. Enfin, l’émergence dansla société des valeurs portées par lescourants de pensée écologique etl’émergence du concept de dévelop-pement durable ont contribué à défor-mer les enjeux des politiques conduitespar le ministère.

Ce relevé des principales composantesqui ont pesé sur les transformations duministère est évidemment assez sché-matique, et beaucoup d’autres fac-teurs, qui apparaîtront au fur et àmesure dans les analyses qui suivent,ont joué des rôles complémentaires.

Avec le recul que permet le regardprojeté une vingtaine d’années enarrière, il apparaît que les réactionset adaptations du ministère de l’É-quipement à ces diverses modifica-tions de son environnement se sontplacées dans des registres différentsselon les périodes : au départ, essen-tiellement comme des adaptations dedéfense et de survie puis, progressi-vement, dans une posture plus actived’identification et de poursuite denouveaux enjeux :

– autour de l’année 1980 (dès 1978à 1984), le ministère s’est trouvéplacé dans un contexte de déstabi-lisation extrême provoqué par lasimultanéité de la décentralisationet de l’éclatement du ministère endeux : ministère des Transports,d’un côté, ministère de l’Environne-ment et du Cadre de vie, d’un autrecôté,

PARTIE II : ÉVOLUTIONS DU MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT

EN RAPPORT AVEC LE PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION :UNE ANALYSE HISTORIQUE

Yves Janvier

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Jusqu’à l’engagement du processusde décentralisation, l’État tenait plusou moins entre ses mains tous les rôlesd’administration du territoire. Les loisde 1982 et 1983 ont introduit laconfusion dans la perception qu’onteue les services de l’Équipement deleurs responsabilités dans le fonction-nement de la nation : ce qui leur sem-blait être les moyens d’assurer leurvision du service public leur était retiré

et un courant d’opinion réclamant“moins d’État“ était perçu par euxcomme contestant leur utilité sociale.Les premières années qui ont entouréles lois de décentralisation (aussi bienavant, depuis 1978, qu’après, jusquevers 1985) ont ainsi été surtout cellesd’une recherche d’adaptation de dis-positifs juridiques et organisationnelsgarantissant la préservation des régu-lations opérées, des services rendus

I. POSITIONS ET VALEURS DU MINISTÈRE

– pendant les années 1980 (essen-tiellement de 1982 à 1990), l’éner-gie du ministère a été fortementmobilisée sur des questions d’orga-nisation pour trouver de nouveauxéquilibres entre son fonctionnementinterne et ses nouveaux rapportsaux autres acteurs. L’attentionessentielle a été portée, dans cettepériode, au sort des servicesdéconcentrés et à l’organisationterritoriale (arrondissements et sub-divisions) du ministère,

– au deuxième degré, le repositionne-ment du ministère – du moinsprincipalement de ses services décon-centrés – sur le registre de la pres-tation de service progressivement deplus en plus insérée dans un contexteconcurrentiel, a fortement poussé àl’engagement, à partir de 1985,d’une politique interne de conduitedu changement qui, sous le titre de“projet de modernisation“, s’impo-sera comme une dimension perma-nente de la gestion dynamique duministère,

– jusque vers l’année 1990, l’attentiondu ministère à sa propre transfor-mation sera ainsi mobilisée essen-tiellement vers l’adaptation de l’or-ganisation, des comportements, desoutils… en quelque sorte, sur le reca-lage de sa reconnaissance sociale,de sa capacité opérationnelle et deses moyens de production. Le débutdes années 1990 apparaît commeune période charnière où le regarddu ministère cherche à se reportersur le monde extérieur pour appré-hender les nouveaux enjeux,avec une prise de conscience de lafaiblesse d’un projet stratégique plusou moins délaissé pendant la décen-nie précédente. Cette période de

reconstruction du projet stratégiquen’est pas encore aboutie.

Notre propos est de donner de cesvingt années une vision à la fois syn-thétique et historique de l’évolution duministère de l’Équipement et de don-ner à voir l’articulation des adapta-tions auxquelles il a été contraint, desopportunités qui lui ont été ouvertes etaussi des jeux de forces internes quil’ont traversé. Ce panorama est fondé,conformément à la commande de laDRAST, sur l’exploitation d’un fondsdocumentaire constitué pour l’essen-tiel à partir de textes institutionnels etde la littérature officielle ou informelleproduite au sein du ministère de l’É-quipement2. Il s’agit donc essentielle-ment d’une restitution de la perceptionpar lui-même des évolutions du minis-tère et du contexte où elles se sont pro-duites ; il ne s’agit donc en aucunemanière d’une évaluation de la perti-nence des analyses ou de l’intérêt desrésultats des transformations opérées.

Nous aborderons successivement plu-sieurs plans où ces évolutions sontlisibles, sachant qu’ils sont évidemmenten interaction les uns avec les autres :

– les valeurs et la position institution-nelle du ministère dans le cadre del’évolution de l’État : sa légitimité,son rôle, ses missions, la nature deses responsabilités…

– l’organisation de sa structure interneet de ses liens aux autres acteurs,

– la manière dont le “management“s’est investi dans la politiqued’adaptation et de transformation,

– les enjeux et la stratégie : enjeuxanciens requalifiés ou nouveauxenjeux, formalisation de stratégiesà moyen et long termes.

2 La documentation sur laquelle on s’est appuyé,réunie à l’occasion de ce travail, est indiquée dansune annexe bibliographique.

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et des positions locales tenues par leministère de l’Équipement.

1. Quelles fonctions pour l’État ?En 1989, la circulaire Rocard3 expo-sait aux services de l’État la nécessitéd’un “renouveau du service public“autour de quatre axes majeurs : unerénovation des relations de travailinternes à l’Administration, un dévelop-pement des responsabilités des fonc-tionnaires, un devoir d’évaluation despolitiques publiques et une politiqued’accueil et de service à l’égard desusagers. Il ne s’agissait donc pasencore d’une reconception du servicepublic mais, pour l’essentiel, d’uneamélioration de sa qualité dans lalogique qui l’avait jusqu’alors déter-miné. En ce qui concerne le ministèrede l’Équipement, cette circulaire con-vergeait largement avec la réflexionengagée (et les actions conduites)dans le cadre de la “modernisation“du ministère4. Cependant, une fois trai-tées les plus grandes urgences relativesà la défense de la présence territorialedu ministère, des questions de fondsont remontées pour interroger lesdéformations subies par la notion deservice public et, en même temps, lesbases de la légitimité des missions duministère.

Ainsi, par exemple, en septembre1990, se sont tenues les “Rencontres“du ministère de l’Équipement5 sur lethème du “renouveau du servicepublic“ préconisé par le Premierministre comme un des axes poli-tiques de réforme de la société. Pourautant, à l’époque, régnait encore ausein de l’Équipement une visionconfuse de l’articulation entre les mul-tiples niveaux de son positionnement,si l’on en croit en tout cas le dossierprospectif constitué en 1990 par leCGPC6 qui entremêlait dans son ana-lyse rôles, fonctions techniques,champs de responsabilité, compé-tences, principes d’organisation, etc.

Il est important de souligner qu’à cetteépoque, comme on l’a déjà évoqué, ladéstabilisation des agents de l’Équi-pement induite par la décentralisationavait provoqué une crise interne d’in-certitude et de doute quant à l’utilitésociale des activités qui restaient du

ressort du ministère. Doute beaucoupplus profond sans doute que n’étaitleur remise en cause par les acteursextérieurs : “Du fait de ses missionsambivalentes, c’est-à-dire à la fois bienperçues (travaux d’utilité publique,recherche de cohérence et de solida-rité et vision à long terme, protectiondu domaine public et du patrimoine) etcontraignantes (expropriation, autori-sation ou interdiction, tutelle), notreAdministration a toujours éprouvé lebesoin d’un discours de légitimation àl’usage interne et externe, valorisantses missions et son utilité sociale.Aujourd’hui, ce discours est en défautet il mérite d’être reconstruit dans lecadre d’un véritable projet, même sinos partenaires locaux ne nous criti-quent qu’assez peu sur ces sujets“7.

Les notes et rapports établis à cetteépoque présentent des analysestrès convergentes des rôles de l’É-tat, interprétés par la perspective del’Équipement qui s’appuyait sur lesdeux composantes essentielles et his-toriques de sa mission (présentesavec constance depuis l’origine : lesPonts et Chaussées au XVIIIe siècle),que rappelle Claude Martinand :

– “concevoir, réaliser et gérer deséquipements publics et spéciale-ment des réseaux d’infrastructures,participant ainsi à l’aménagementdu territoire (fonction opérationnelleet culture de projet),

– mettre en œuvre des “pouvoirs depolice“, des réglementations et despolitiques publiques (fonction régle-mentaire et culture juridique, maisau service de la fonction opération-nelle), sachant que l’Équipementagit à la fois pour le compte de l’É-tat et pour celui d’autres collectivi-tés publiques ou privées (missionsd’intérêt général)“.

La formulation donnée aux rôles del’État-Équipement était généralementla suivante8 :

– État régalien : exercice souverainde ses responsabilités,

– État contrôleur : contrôle des res-ponsabilités décentralisées et tutelledes compétences déléguées,

– État prestataire de services :ingénierie publique notamment,

3 “Circulaire relative au renouveau du service public“– 23 février 1989.4 Cf. Chapitre 3 : “La conduite de l’adaptation“.5 “Discours introductif de M. Delebarre – Rencontresde 1990“ – 12 septembre 1990.6 “2020 – Rôle et missions de l’État“, CGPC, 1990.7 “L’Équipement – champs de légitimité et probléma-tique d’un projet“ – Claude Martinand, Note interneversion du 7 juin 1993.8 Cf. notamment “Réflexion stratégique au ministère del’Équipement“ – Service de l’information et de la com-munication – 3 mai 1993, mais aussi le texte deClaude Martinand et les documents d’analyse descontributions au Grand Débat de 1994.

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– État d’exception : intervention encas de défaillance ou de dysfonc-tionnement majeur des collectivitésou organismes responsables ou encas de force majeure,

– État régulateur et impulseur :intervention lorsque les méca-nismes ordinaires de régulation dela société ne peuvent pas jouer,

– État éclaireur, expert, stratège :fourniture d’informations, d’analyses,de doctrines.

2. Les valeurs fondatrices du ministère et leur remise en cause

Ces rôles étaient explicitement légiti-més à la fois par la répartition despouvoirs que la décentralisation défi-nissait, mais aussi, pour une partimportante, par les valeurs fondatricesdu ministère qui, en quelque sorte, suf-fisaient à justifier sa saisie de missionsd’intérêt public. Ces valeurs fonda-trices, très fortes, étaient trois : le sensdu service public, la compétencetechnique et la territorialité de l’or-ganisation9. Mais pour autant, laprise de conscience se faisait que cesvaleurs fondatrices étaient ébranléespar les évolutions de société ; lesréflexions menées au cours du GrandDébat l’ont bien explicité, même si le“Livre Bleu“ n’en a pas fait vraimentrendu compte. Ainsi, on peut trouver10

sous le titre : “Un ministère dont lespiliers sont fissurés ?“, le schéma etles commentaires ci-dessous :

“Le schéma met en évidence les troispiliers fondateurs du ministère dansson histoire :

– l’intérêt général, fondé sur unevaleur forte, la neutralité,

– la technique, fondée sur la compé-tence,

– la territorialité départementale, fon-dée sur la proximité des services.”

On peut y lire les analyses des“groupes des sages“ et “groupesmiroirs“ faisant état des fissures deces trois piliers :

– “remise en cause de l’intérêtgénéral : il n’y a plus un, mais desintérêts généraux ; la logique juri-dique européenne s’impose de plusen plus face à la logique jacobinelinéaire : apparition d’autreslogiques (référendum…) avec “unelégitimité qui vient du bas“,

– remise en cause du pilier tech-nique : les savoirs-faire techniquestraditionnels (BTP, route…) sont lar-gement détenus en dehors du minis-tère ; les techniques nécessairesrecouvrent de nouveaux champs,moins maîtrisés par le ministère(techniques plus cognitives, plussociales…),

– remise en cause de la territoria-lité départementale : montée enpuissance des collectivités locales etdes “acteurs aménageurs“ ; mise encause du niveau départemental (inter-communalité…) ; nouvelles logiquesde territorialité (zones frontalières) ;évolutions technologiques et modesde communication cassant la logiquede pays“.

Aussi, des interrogations se dévelop-pent à partir d’une remise en causedes acquis traditionnels du ministère,dans le but de clarifier ce qui est perçu

9 Cf. notamment “Le Grand Débat – exploitation desdébats dans les services“ – Yves Janvier – 1994.10 “Mettre au cœur du livre bleu et des scénarios ladéfinition des missions de service public auxquellescontribue le ministère“ – Grand Débat – Équipe Projet -IDRH – 12 juin 1994.

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Références vis-à-vis de l’État central Références vis-à-vis de l’État territorial

Ordre de la sécuritéOrdre du marché et de l’économie

Ordre de l’efficacité organisationnelle Ordre de l’efficacité techniqueOrdre civique Ordre de l’équitéOrdre du recours et de la régulation Ordre domestiqueOrdre de la responsabilité Ordre de l’adaptabilitéOrdre de l’éthique Ordre du renomOrdre de la négociation

comme un brouillage des rôles, uneabsence de priorités, une absenced’explicitation des choix :

– “le ministère doit-il continuer àassurer un triple rôle : régulateur,opérateur, prestataire ?

– quelle valeur ajoutée produit-il ?– au regard de quels intérêts publics

agit-il ? – le droit, la règle, la norme sont-ils

toujours opérants pour porter l’ac-tion régulatrice ?“11

3. Les débats sur la légitimité de l’État et le service public

Ces questionnements induiront, dansla période 1992-1995, des réfle-xions assez approfondies dans deuxdirections en particulier : d’une part,quant aux valeurs et aux sources delégitimité du ministère de l’Équipe-ment, d’autre part, sur l’évolution dela notion de service public. La réflexion sur la légitimité s’est déve-loppée à l’époque dans une problé-matique nouvelle dont on peut trouverl’origine dans la note de méthode pro-posée aux animateurs de groupes deréflexion de 199312 : “… la légitimitédes institutions publiques, et donc del’État, sera d’autant plus forte qu’ilsera à l’écoute des attentes socialeset en mesure soit d’y répondre, soitde faciliter la réponse par un autreacteur, soit d’expliquer clairement lesmotifs de non prise en compte de cer-taines attentes (…). La légitimitén’est donc pas consécutive à des“champs de compétences“ définisa priori. Elle se construit par des adé-quations successives, une communi-cation et une pédagogie actives, unpartenariat efficace et une responsa-bilité assumée“. En février 1993, lasynthèse des travaux de ces groupes

passe au filtre du diagnostic des légi-timités divers scénarios d’orientationen référence à la position du ministèrepar rapport aux enjeux de société, àla question de la ville et à celle de lafonction transport.

Cette réflexion, approfondie en1994 dans la dynamique du GrandDébat, conduit alors à soulever unequestion essentielle en mettant encause “l’unicité“ des légitimités duministère, en partant du constat quel’évolution des valeurs de référenceen Administration centrale et dans lesservices extérieurs – soumis plus for-tement à des pressions directes – nese faisaient ni au même rythme, nide la même façon. “La question quise pose est de savoir si, dans les pro-chaines années, ces systèmes devaleurs et de légitimités vont se rap-procher ou au contraire continuer às’éloigner jusqu’à une séparationnette entre un ministère central et unministère territorial“13. Pour éclairercette question, l’analyse qui est faitede l’évolution des systèmes de légiti-mité (fondée sur le niveau de l’adé-quation entre les attentes sociales etles valeurs du ministère) s’appuie surune grille de références des attentesqui, explicitée dans le document cité,est rappelée ci-après.

L’analyse tient compte principalementde deux éléments : d’une part, l’ordredomestique (celui de la proximité et del’adaptation aux spécificités locales),principalement porté par l’État territo-rial, est très valorisé et prend le passur l’ordre général ; d’autre part, desvaleurs traditionnelles sont en recul sen-sible : l’ordre de l’efficacité technique(progrès technique et innovation nesont plus reconnus comme moteur duprogrès social) et l’ordre civique (l’Étatgarant de l’intérêt général, de la justice

11 “Séminaire des Directeurs – Éléments de diagnos-tic prospectif“ – 21 novembre 1992 – DAEI12 “Groupe de réflexion des Directeurs – Note deméthode aux animateurs des trois groupes“ – DAEI -Josée Landrieu – 19 janvier 1993.13 “Valeurs et légitimités du ministère de l’Équipe-ment“ – DAEI – Mission Prospective – Josée Landrieu– 21 juin 1994.

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et de l’égalité fait place à un État équi-table régulant les rapports de proxi-mité). Cette réflexion explicite que lesdeux niveaux – central et territorial –ne relèvent pas du même système delégitimité et met en évidence la néces-sité d’une évolution dans trois re-gistres : les références culturelles desagents du ministère ; la reconnais-sance de divergences justifiées entreles références de légitimité de l’Étatcentral, des services extérieurs et desorganismes techniques ; les savoir-faire, compétences et organisations.

En ce qui concerne maintenant laréflexion engagée par Claude Marti-nand dans sa note (déjà citée) de juin1993 sur l’évolution du service public,elle a été poursuivie par lui dans lecontexte de la dérégulation introduitepar l’Union Européenne. Un pointeffectué en 199514 place la promotiond’un concept européen de servicepublic (ou de service d’utilité publique)comme un enjeu important de laconstruction d’une Europe politique etsociale. Rappelant d’abord combien,dans ces années, le débat était actif àl’échelle nationale et internationale (ettranscrit dans la réalité opérationnellepar les traités et par les arrêts de laCour de Justice de Luxembourg), ilmontre que les bases du servicepublic “à la française“ sont remisesen cause à de multiples titres :

– la base juridique (fondée sur lanotion d’intérêt général), par le droitde la concurrence, par le droit com-munautaire, par la confrontationavec les approches anglo-saxonnes,

– la base économique (référée à lathéorie de l’économie publique), parla transformation des points de vuesur la tarification (coût complet plutôtque coût marginal) et par la réflexionsur les rapports entre économiepublique et économie industrielle,

– la base sociale (portée par la notiond’État providence et la convergenced’intérêts entre les gestionnairespublics, leur tutelle et les syndicats),par la montée de revendication desusagers/clients et par le mouvementde déréglementation.

Après analyse, l’auteur propose ladéfinition générale suivante : “Un ser-vice public ou service d’utilité publique

est un service assurant des missionsd’intérêt (économique) général et dontune “autorité publique“ (Union Euro-péenne, État, collectivité locale) adécidé explicitement d’assurer la maî-trise (la régulation) publique enréponse à des exigences de la sociétédécoulant de différentes spécificitéstechniques, économiques, sociales,culturelles ou éthiques“.

L’analyse relativise aussi le principefrançais de mise en œuvre, implici-tement admis comme “le bon” :

– “la régulation publique peut être rat-tachée à deux formes : le modèlefrançais – administratif ou “bureau-cratique“ – confié au bureau desministères de tutelle ; le modèleanglo-saxon de l’expertise indé-pendante, confié à un régulateur(Grande-Bretagne) ou à des com-missions de régulation locales oufédérales (USA)“,

– mais, est-il souligné, il existe unautre modèle possible, préférable,“associant cinq catégories d’ac-teurs à la régulation publique pouraméliorer son efficacité : les usa-gers, clients et consommateurs etleurs associations ; les citoyens,contribuables et leurs représentantsélus ; les propriétaires, actionnairesou épargnants et les dirigeants del’entreprise ; les salariés et leurs syn-dicats ; les tiers, qu’ils soient concer-nés par des externalités positives ounégatives, ou qu’il s’agisse desgénérations futures“.

La perception d’une transformationstructurelle en cours de la notion deservice public, qui apparaissait pen-dant la tenue du Grand Débat de1994, n’a cependant pas été repriseexplicitement dans le “Livre Bleu“ quile clôturait, dont le texte affichait aucontraire plutôt une prise de positionen faveur de la continuité et de lapérennisation des valeurs passées :“Les retours aux sources sont souventsalutaires (…) Servir la collectivité,c’est au regard de cet objectif qu’ontété affirmées les valeurs d’égalité, deneutralité, de continuité qui fondentle service public “à la française“ etqui sont partie intégrante de notreidéal républicain. C’est au regard decet objectif qu’il nous revient de sai-sir les opportunités d’un monde en

14 “Le service public en France et en Europe – undouble effort de reconstruction indispensable“ –Claude Martinand (sans date).

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mouvement pour faire évoluer, adap-ter, rénover l’administration au béné-fice des individus et des organisationspubliques et privées pour lesquels elleintervient“. Dans le même esprit decontinuité, le “Livre Bleu” ferme aussiles discussions qui avaient été enga-gées sur la cohérence entre les fonc-tions de régulateur, d’opérateur et deprestataire assurées par le ministère,par le constat, non seulement del’existence de cette cohérence, maisde la synergie nécessaire entre cesdifférents rôles.

Ces affirmations n’ont cependant pasépuisé la question et une note interne,en 2000, remarquait le glissement dusens de “service public“, à travers une“certaine continuité des “services” ren-dus, qui ne se sont pas radicalementmodifiés au cours des vingt dernièresannées, même si leur périmètre avarié en raison des transferts de com-pétences opérés au profit des collec-tivités locales. (…) Ces éléments ten-dent à déplacer le centre de gravitéde la fonction publique vers des fonc-tions plus qualifiées de gestion, decontrôle ou d’organisation. L’État restelargement gestionnaire et ne sauraitêtre purement un “régulateur“ mais lestâches de gestion se sont singulière-ment enrichies et sont devenues pluscomplexes. Il demeure fondamen-talement “puissance publique“mais cette notion ne se confondplus aussi aisément que par lepassé avec le service public et afortiori avec le secteur public ou lafonction publique“.

4. L’État, animateur de “gouvernances”

En trame de fond, derrière ces débatssur le service public et le rôle de l’É-tat, une question – essentielle pour leministère de l’Équipement comptetenu de la simultanéité de ses posi-tions – porte sur le fait de savoir dequels intérêts il est réellement porteur.Cette question, présente dans lesquestionnements initiaux du GrandDébat, s’est trouvée reposée à pro-pos des DTA – outil considéré commeune reprise de parole de l’État sur lesterritoires locaux – à l’occasion d’unséminaire du CERTU15. “Est-ce que l’É-tat privilégie la déclinaison des

enjeux de l’État principalement, voireexclusivement ? ou est-ce que l’Étatest plutôt en posture de coproductionavec les grandes collectivités localesd’un discours sur les “enjeux parta-gés“, donc sur un spectre pluslarge ?“. Sans apporter de réponsedirecte à cette question, les discus-sions entre les partenaires de ce sémi-naire ont mis en évidence une visionassez nouvelle du rôle de l’État : “Del’État complexé à l’État complexe, ceparcours souligne le rôle moderne del’État : gouverner l’articulation despouvoirs publics, tous légitimes à leuréchelle. Mais la complexité ne se légi-fère pas, elle est même à l’opposé dela loi ou de la règle, qui sont senséesapporter la simplicité pour l’unitéd’action. Belle contradiction pour quiaurait l’ambition de retrouver uneplace centrale dans la décentralisa-tion, parce qu’à l’articulation de sesacteurs : cela ne peut se décréter souspeine de crispation générale, maisseulement se pratiquer“.

Cette vision du ministère comme, enquelque sorte, animateur des gou-vernances, est une façon de trans-cender des contradictions auquel il estconfronté et correspond à une posturepratique par laquelle il pourrait re-prendre un rôle de “création devaleurs“ sur les grands enjeux actuelsde société. C’est bien la posture qu’ila prise en lançant et en gérant le débatnational de 1999 sur la Ville16 dont onpeut constater qu’il a débouché surune finalité consensuelle et mobilisa-trice entre toutes les composantes par-ticipant au débat qui, sous le terme“faire société“, peut constituer uneréférence partagée, commune à tousles partenaires de la ville.

5. Les nouvelles perspectives de décentralisation

Parallèlement à ces réflexions et ini-tiatives internes au ministère, sonenvironnement politique et institu-tionnel continue à évoluer ; il fautévoquer à ce propos les débats encours sur l’opportunité et le sens àdonner à une nouvelle étape de ladécentralisation, débat dont le rap-port Mauroy17 pose les termes. Despropositions qui y sont faites, on peuten retenir quelques-unes dont la mise

15 “Vers un nouveau positionnement de l’État local ?l’exemple des DTA“ – Diagnostics de territoires et sys-tèmes d’acteurs – Cahiers n° 2 – CERTU – 2ème trimestre2001.16 “Débat national. Habiter, se déplacer... vivre laville“ – Compte-rendu d’Ateliers-Synthèse – juin 1999.17 “Refonder l’action publique locale ; rapport au Pre-mier ministre“ – Pierre Mauroy – 2000.

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en application pourrait avoir des inci-dences fortes, assez directes, sur laposition du ministère en général etparticulièrement sur celle des servicesdéconcentrés :

– un renforcement de la légitimitédémocratique (suffrage universel) del’intercommunalité, celle-ci devenantrapidement le support d’un nouveaumaillage du territoire national à par-tir des concepts de communautés decommunes, communautés d’agglo-mération et communautés urbaines,

– un renforcement de la démocratiede proximité, au nom duquel sontpréconisés la réforme de l’enquêtepublique, l’association des habi-tants à la conception et à la gestiondes projets, le renforcement de lareprésentation par les associations,

– une nouvelle articulation des éche-lons départemental et régional, lepremier ayant un rôle ciblé sur lagestion de proximité (social, cultu-rel, équipements), le second étantrenforcé par le transfert de nou-velles compétences et encouragé àatteindre, par des alliances et des

coopérations interrégionales, unniveau de puissance suffisant pourexister dans l’Europe des Régions,

– la confirmation de l’autonomie descollectivités territoriales les unespar rapport aux autres, mais avecl’apparition de la notion de “collec-tivité chef de file“ pour traiter lesproblèmes impliquant diversniveaux de compétences,

– la réaffirmation d’une organisationdéconcentrée de l’État, prévoyantnotamment le renforcement du rôledu Préfet dans la conduite cohérentedes services déconcentrés de l’Étatet la clarification des responsabilitésde niveaux différents par la sup-pression de la confusion des direc-tions régionales et départementales(Préfectures, DRE/DDE…).

Les principes ainsi énoncés, assortisde propositions de mesures tech-niques d’application, définissent unetransformation du contexte globalsusceptible d’induire une nouvellephase d’adaptation du ministère del’Équipement.

II. L’ADAPTATION DES SERVICES AUX ÉVOLUTIONS EXTÉRIEURES

Depuis 1980, la structure et l’orga-nisation du fonctionnement du minis-tère se sont beaucoup transforméesen réaction à des évolutions d’ordreinstitutionnel qui se sont produitesdans trois registres principaux :

– en premier, la décentralisation,rupture brutale qui, en deux ans,1982 et 1983, a bousculé structu-rellement la situation et qui a pro-voqué des mouvements d’adapta-tion très importants, surtoutpendant les dix années suivantes,

– en second, la déconcentration,mouvement de réforme interne à l’É-tat, accompagnant la décentralisa-tion ; il s’est imposé progressivementde façon relativement lente, maispuissante, par des dispositions quiont fortement modifié les rapportsentre les échelons territoriaux de l’É-tat et les rôles que ceux-ci jouaientpar rapport aux collectivités territo-riales de niveaux équivalents,

– enfin, sous l’effet – relativement tardifdans la période que nous exami-nons, 1980-2000 – le mouvement

de transformation des rapportsentre le secteur public et l’éco-nomie privée, induit notammentpar la politique de dérégulation etde généralisation de la concurrencepoursuivie par l’Union Européenne.En ce qui concerne le ministère, cetroisième volet des transformationsde contexte joue de façon directe(transformation de services en Eta-blissements publics, modification desrègles de l’ingénierie publique…),mais aussi de façon plus indirecte(développement des concessions deservices publics par les collectivitésterritoriales…).

Sous l’effet de ces mouvements, c’est lesort des services extérieurs – décon-centrés – qui a mobilisé pour l’essen-tiel les enjeux de la réorganisationstructurelle ; la forme que celle-ci aprise a résulté de l’adaptation à l’évo-lution des territoires et des institutionspolitiques, mais elle a été aussi déter-minée par la prise en compte du sortdes personnels – attachés à leur statutde fonctionnaires d’État – et du souci

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de l’institution Équipement de préser-ver des positions d’influence acquises.

Pour aborder cette question, nousavons pris le parti de rappeler l’évo-lution du ministère en choisissantquelques sujets qui ont été détermi-nants des transformations et qui ontété porteurs d’ouvertures d’alterna-tives, d’expérimentations plus oumoins heureuses et d’élaboration descénarios d’évolution. Cette présenta-tion crée, bien entendu, des coupuresartificielles entre différents aspects qui,dans la réalité, étaient en interactionles uns avec les autres. Acceptant cetteschématisation due au parti pris deprésentation, nous traiterons successi-vement les volets suivants :

– partition, rattachements, mise à dis-position des services extérieurs,

– transversalité, interministérialité,globalité,

– articulation des échelles : centrale,régionale, locale,

– ingénierie publique.

1. Partition, rattachements, mise à disposition des services extérieurs

Il faut rappeler qu’au moment de lapromulgation des lois de décentralisa-tion de 1982 et 1983, les services del’Équipement étaient en situation de fai-blesse depuis plusieurs années, notam-ment parce que le secteur des trans-ports, d’une part, ceux de l’urbanisme,de la construction et de l’environne-ment, d’autre part, étaient dissociés endeux ministères distincts, les servicesextérieurs (DDE) dont le métier étaitdominé par le domaine routier étantdétachés du ministère des Transports.Au début des années 80, la postureadéquate par rapport à la mise enplace des dispositions législativesn’était pas évidente18 :

“L’alternative paraît simple :

– vouloir croire à la pérennisation pos-sible de la mise à disposition desservices en leur forme actuelle oulégèrement adaptée, et mettre touten œuvre pour tenir le plus long-temps possible auquel cas, s’il y anaufrage, il y aura lieu d’évacuerd’urgence le navire,

– considérer que cette vision deschoses est un leurre, car totalementen opposition de phase avec lavolonté politique décentralisatrice quia présidé à l’élaboration des diffé-rentes lois, et anticiper le mouvementsous la forme la plus adaptée, ce quine signifie pas automatiquementtransfert d’hommes ou de services,

c’est cette deuxième solution quiparaît la plus réaliste“.

L’une ou l’autre de ces postures créaitdes incertitudes pour le personnel etun climat de déstabilisation qui amotivé, dans les années 1981-1982,des “tournées“ des Directeurs (enl’occurrence Rousselot et Dauge)dans les services extérieurs.

En réalité, sous le double effet de lamise en place de la décentralisationet de la définition progressive desmodalités de la déconcentrationinterne à l’État, c’est une ligne inter-médiaire qui sera mise en place.

Les lois de décentralisation, en effet,prévoyaient clairement une partitiondes services, les compétences et lesmoyens (y compris humains) devantêtre transférés là où les compétencesinstitutionnelles étaient désormais pla-cées. Ce principe politique a été, àl’époque, interprété parfois de façonassez brutale : le ministre de l’Équi-pement a, par exemple, été obligéd’intervenir pour bloquer la suppres-sion des rémunérations accessoiresdes corps de techniciens, envisagéecomme moyen éventuel de les inciterà passer “du côté des collectivitéslocales“19.

Les services extérieurs étaient placésen première ligne par rapport à ceprincipe de transfert ; en 1981, il aété envisagé que les DDE deviennentdes services départementaux, solutionqui a été abandonnée – quasi immé-diatement – dès lors que la loi Le Pors20

a créé une fonction publique terri-toriale indépendante et sans per-méabilité avec la fonction publiqued’État. Cette loi tranchait une alterna-tive qui semble avoir été assez peu dis-cutée, au bénéfice de la position tenuepar les élus politiques, alors que l’Ad-ministration d’État semblait plutôt favo-rable à maintenir en son sein les

18 “Rapport de la Mission permanente du SNITPE“ –Congrès National des 15 et 16 décembre 1983.19 “Note pour le Premier ministre“ du ministre de l’Ur-banisme et du Logement – septembre 1982.20 “Loi du 26 janvier 1984 portant dispositions sta-tutaires relatives à la fonction publique territoriale“.

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moyens en personnel utilisés par lescollectivités territoriales.

Par ailleurs, l’idée de traiter la décen-tralisation au niveau des DDE en pla-çant celles-ci dans une situation dequasi-autonomie a été poursuivie pen-dant assez longtemps, selon des hypo-thèses diverses. Dès 1983, l’idée estémise de transformer les DDE (pourleurs compétences routes, transports eturbanisme) en établissements publicstravaillant sous convention avec lestrois clientèles de l’État, des départe-ments et des communes, et utilisant dupersonnel relevant de la fonctionpublique d’État. Cette hypothèse a étérejetée au bénéfice de la solution miseen place par le décret de juillet 198521

qui préconisait des solutions diversi-fiées selon les départements mises enplace sous forme de conventionsdépartementales prévoyant pour unepart la partition des services avectransfert partiel, pour une autre partla mise à disposition de servicesaux collectivités territoriales.

L’esprit de celles-ci se référait à un prin-cipe formulé en 1984 au ministèrequant aux activités routières :

– les moyens de la maîtrise d’ou-vrage, fonction d’exercice du pou-voir, doivent être transférés aux élus,

– l’exploitation doit être assurée parune entité unique pour tout leréseau pour garantir la cohérencedu service, et donc rester entre lesmains des services d’État,

– la maîtrise d’œuvre et la réalisationdes travaux neufs n’ont pas à êtrepré-attribués de façon systématique.

La directive du ministre du 18 février198622 définit les orientations détailléespour la réorganisation des DDE, indi-quant, mission par mission et domainepar domaine, comment interpréter leslois de décentralisation et les décretsd’application.

Pour autant, l’Association des Ingé-nieurs des Ponts et Chaussées main-tenait sa préférence pour la solutionde l’établissement public, idée repriseet soutenue en 1986 par le ministreMéhaignerie à son arrivée. Mais laDPS – pour éviter aux agents le risque(qui inquiète les syndicats) de perte de

leur statut de fonctionnaire d’État –négociera une position de compromisqui confirmera, par le décret de février198723, le dispositif des conventionsdépartementales.

C’est donc ce dispositif convention-nel qui deviendra la règle, mise enplace de façon inégale et selon desmodalités propres dans chaquedépartement.

Une évaluation faite en 199024 fait étatde ce que, à cette date, la DDE assumedans près d’un tiers des départementsla maîtrise d’œuvre pour le compte duConseil général, mais que des pra-tiques d’appui intellectuel (assistance àla maîtrise d’œuvre) se sont dévelop-pées fortement dans des conditions juri-diques floues. Ce constat est une alertetant sur le plan juridique (responsabilitéincertaine en raison de l’écart entre ledroit et le fait) et risque de dégradationde la qualité technique (isolement dela hiérarchie par rapport au subdivi-sionnaire). Le rapport pose troistermes alternatifs pour poursuivre cetaxe de la décentralisation :

– confirmer la pertinence d’une maî-trise d’œuvre générale de la DDEavec ses moyens internes et rela-tions contractuelles avec le maîtred’ouvrage départemental,

– reconnaître la vocation des dépar-tements à prendre en charge latotalité de la maîtrise d’œuvre avecsous-traitance éventuelle (à la DDEnotamment, de façon ponctuelle),

– laisser se poursuivre l’évolution quitransforme peu à peu certainesDDE en loueurs de main d’œuvreau coup par coup, ce qui ne garan-tit pas à long terme le maintiend’une compétence technique.

Cependant, les dispositions financièresde la loi de 1985 (partage financier)n’ont pas été appliquées et il faudraattendre 199225 pour que le dispositifconventionnel soit administrativementstabilisé par des dispositions qui régu-lent dans le détail la répartition descharges financières entre départe-ment et État ainsi que les modalitésde leur gestion26, notamment en géné-ralisant, pour le parc, le mécanismedu compte de commerce. La structuregénérale du dispositif est la suivante :

21 “Décret du 31 juillet 1985, relatif aux modalités dutransfert aux départements et à celles de la mise à dis-position de ceux-ci des services extérieurs du ministèrede l’Urbanisme, du Logement et des Transports“.22 “Directive du ministre de l’Urbanisme, du Logementet des Transports aux Commissaires de la République,donnant des orientations pour la réorganisation desDDE“ – 18 février 1986.23 “Décret du 13 février 1987, relatif aux modalitésdu transfert aux départements et de la mise à leur dis-position des services extérieurs du ministère de l’Équi-pement, du Logement, de l’Aménagement du Territoireet des Transports et du Secrétariat d’État à la Mer“.24 “Rapport du groupe de travail concernant l’exer-cice par les DDE pour le compte des Départements desmissions de maîtrise d’œuvre et de conduite d’opéra-tions intéressant la voirie départementale“ – CGPC –Max Fortin et Jean-Paul Suillerot – 18 février 1991.25 Sauf pour la gestion du parc, pour laquelle le méca-nisme du “compte de commerce“ a été créé par le décretdu 15 mars 1990 relatif aux opérations industrielles etcommerciales des DDE.26 “Loi du 2 décembre 1992 relative à la mise à dis-position des Départements des services déconcentrésdu ministère de l’Équipement et à la prise en chargedes dépenses de ces services“ – “Décrets 92-1464 et92-1465 du 31 décembre 1992“.

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– le service mis à disposition duConseil général demeure serviced’État et leur personnel conserveson statut,

– la mise à disposition s’effectuedans le cadre d’un dispositif deconventions négociées à l’échelondépartemental,

– sur demande du Conseil général, ilpeut être procédé à une adaptationde l’organisation des services(article 7) identifiant les parties desservices intervenant exclusivementpour le compte du département.Celles-ci sont alors placées sous l’au-torité fonctionnelle du Président duConseil général, l’autorité hiérar-chique sur le personnel de l’Étatdemeurant du ressort de l’État.

La clôture de la période transitoirepar cette loi de 1992 ne ferme pour-tant pas, sans doute, le débat et lesanalyses faites de son applicationlaissent envisager des adaptationsencore possibles.

En effet, si le rapport Cyrot27 conclutque “le système mis en place par la loidu 2 décembre 1992 peut fonctionnercorrectement, selon un avis assez lar-gement répandu, avec un minimumde bonne volonté de part et d’autre“,il fait aussi état que “beaucoup leconsidèrent cependant comme fragileet instable. Cela tient vraisemblable-ment à l’importance déterminantereconnue aux relations humaines (…)mais aussi au contexte de réductiondes moyens de l’État qui fait douterde la valeur de son engagement àmoyen terme“. Pourtant, la souplessed’ajustement à chaque situation localeapparaît a posteriori comme un fac-teur positif et il n’est pas constaté,contrairement à beaucoup decraintes, de difficultés majeures dansl’articulation des autorités fonction-nelles hiérarchiques dans les servicesconcernés.

Le rapport Cyrot pronostique pourl’avenir soit le maintien d’une strictelogique d’allocation de moyens dansl’esprit de l’article 7, soit la transfor-mation en une logique pleinementcontractuelle définissant des résultatsà obtenir et les conséquences de nonrespect des obligations.

On peut également évoquer l’avis desélus à l’appui de la probabilité àterme d’une nouvelle évolution du dis-positif, avis qui ressort, par exemple,du rapport Hoeffel de 199728 : “Lesprincipes suivant lesquels tout transfertde compétence de l’État au profit desDépartements et des Régions devaits’accompagner du transfert des ser-vices correspondants (article 7) (…) etla mise à disposition en tant que debesoin des autres services de l’Étatnécessaires à l’exercice des compé-tences transférées (…) ont reçu uneapplication inégale, assez satisfai-sante dans certains cas, moins dansd’autres, ainsi que le montre l’exempledes DDE. (…) L’APCG ne se satisfaitpas de la situation actuelle et souhaitela poursuite de la partition des DDE“.

Il est intéressant de noter comment,dans le cadre de ces adaptations del’organisation des services extérieurs,la position des agents par rapport àleur statut a pu évoluer sur unepériode longue. Au moment de ladécentralisation, la décision a étéprise par le législateur de séparer defaçon quasi étanche la fonctionpublique territoriale et la fonctionpublique d’État, interdisant ainsi lessynergies et transferts de compétencesqu’aurait permise la mobilité. Lesagents du ministère, dans les négo-ciations sur la partition des services etla mise à disposition ont toujours poséla limite du maintien de leur statut defonctionnaire d’État (ce même souci ad’ailleurs été aussi présent dans lestransformations de certains services enétablissements publics).

Cette position s’est assouplie progres-sivement, au fur et à mesure sansdoute que la fonction publique territo-riale prenait de la maturité et que ladécentralisation s’établissait de façoninéluctable. Cette évolution a permisd’introduire récemment une premièrebrèche dans l’imperméabilité entre lesdeux statuts, en donnant un droit d’op-tion pour intégrer le statut de la fonc-tion publique territoriale29 aux agentsdes DDE appartenant aux services (ouparties de services) placés sous l’au-torité fonctionnelle des Présidents deConseils généraux.

27 “Évaluation de la mise en œuvre de la loi du 2décembre 1992“ – Rapport au ministre de l’Aménage-ment du Territoire, de l’Équipement et des Transports –CGPC – Dominique Cyrot – 1er octobre 1995.28 “Commission des Lois – rapport d’informationn° 239 – Groupe de travail sur la décentralisation“ –1996-1997 – Daniel Hoeffel, Sénateur.29 “Loi relative à la démocratie de proximité“ –27 février 2002.

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2. Transversalité, interministérialité et globalité

Le ministère est traversé depuis 20 anspar des mouvements permanents deregroupements et de redécoupages,par des recherches de cohérence etde synergie, par des expériences oudes créations dont beaucoup ont eudes durées de vie courtes. Ces évène-ments ont été impulsés par deux moti-vations essentielles, outre les considé-rations strictement politiques qui ontpesé dans les multiples modificationsdu “périmètre“ du ministère30 :

– l’une ressort de la politique de décon-centration, qui promeut31 les réduc-tions d’effectifs, une meilleure lisibi-lité de l’État par la réduction dunombre de ses services et l’organisa-tion d’une cohérence administrativeaux différents niveaux territoriaux,

– l’autre ressort de considérations surla nécessité de compenser la secto-risation – indispensable pour que lesdirections techniques développentleurs compétences – par des dispo-sitifs qui permettent l’appréhensionglobale des problèmes et la gestioncoordonnée des solutions.

Ces deux enjeux se trouvent évidem-ment confrontés, d’une part, à l’inertiedes structures, d’autre part, aux inté-rêts des milieux sectoriels et à leurscraintes de devoir partager leur maî-trise d’un domaine. Dans la pratique,plusieurs types de modalités ont étéenvisagées, expérimentées ou misesen place, pour chacune desquellesnous donnerons des illustrations :

– le regroupement structurel,– la création de structures horizon-

tales,– la mise en place d’organisations

fonctionnelles,– la multi-fonctionnalité de services

opérationnels,– et, naturellement, la refonte totale

de l’organisation sur de nouvellesbases.

a) La logique de regroupement

Un premier exemple de regroupementstructurel est celui qui avait conduit àla création du ministère de l’Environ-nement et du Cadre de vie, en 1978,conformément aux conclusions du

rapport Guillaumat (début 1978)soulignant l’intérêt d’un découpageministériel regroupant d’une part toutce qui concerne la vie urbaine etd’autre part tout ce qui concerne lesliaisons entre elles.

La création du ministère de l’Envi-ronnement et du Cadre de vie ras-semblait ainsi – en les séparant desTransports – les compétences del’Administration ayant un sens pourla gestion territoriale de l’espace :urbanisme, construction, architec-ture, environnement. Dans le projet,les DDE devaient subir une réorga-nisation, les subdivisions étant pro-mises à devenir des “ALEE“ (AgencesLocales de l’Équipement et de l’Envi-ronnement). Ce dispositif n’a pas eule temps de produire ses effets,puisque l’expérience a été arrêtée en1981 par un éclatement en plusieursministères ; les différences, voire lesoppositions entre les cultures profes-sionnelles, étaient trop fortes pourque des synergies réelles aient pu sedévelopper en un temps aussi court.

Il est intéressant de signaler que cetteproblématique a été reprise beaucoupplus récemment en conclusion géné-rale d’un rapport de 199532 qui, s’ap-puyant sur les réflexions du GrandDébat de 1994, préconise la mise encohérence d’ensemble des moyensd’administration de l’espace territorialet, pour cela, le placement “sous lecommandement d’un même ministre,de l’environnement, de l’urbanisme,de l’habitat et de l’équipement, quipourraient donner ainsi leur pleinemesure dans le contexte de la décen-tralisation“. Il est aussi intéressant derappeler que, presque à la mêmeépoque – 1997 – le rapport Santel33

se référait à la même logique deregroupement, finalisé par la prise encharge d’une thématique globale,mais pour argumenter la création dela DGUHC autour d’un enjeu un peudifférent, plus spécifiquement urbain :

– “développer les synergies entre lespolitiques d’habitat et les politiquesurbaines,

– renforcer les capacités d’élaborationdes politiques,

– favoriser une approche globaledes problèmes urbains“.

30 Le rapport du “Comité Costet“ – 1994 – analysece mécanisme et rappelle que, à travers la grandevariabilité de l’affectation des Directions aux diversesconfigurations ministérielles, la structure des Directionselles-mêmes reste “assez stable“.31 Cf. “Décret du 1er juillet 1992 portant Charte de ladéconcentration“ et les circulaires du Premier ministredu 26 août 1992 (adaptation des règles de gestiondes personnels de l’État au service de la déconcentra-tion) et du 18 septembre 1992 (déconcentration etsimplification des structures administratives).32 “Mission d’analyse et de proposition relative à laDirection de l’Architecture et de l’Urbanisme“ – PierreMayet – 18 avril 1995.33 “Rapport sur la création d’une Direction Générale del’Urbanisme et de la Construction“ – Gilbert Santel –16 septembre 1997.

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Cependant, la montée en importancedes préoccupations environnemen-tales induisait de façon permanente,au sein de l’Équipement, unerecherche d’articulation avec les ser-vices de l’Environnement, voire deprise en charge du domaine. À uneéchelle ponctuelle, il a été conduitpar exemple une opération de rap-prochement entre DRE et DRAE dansle Nord-Pas-de-Calais34 qui aurait puaboutir à la fusion des deux services.Cette expérience a été suspendueparce qu’elle s’est trouvée “prise àcontre-pied par les projets d’admi-nistration territoriale autonome duSecrétariat d’État à l’Environnementet par l’hostilité de la communautédes DRAE prompte à redouter uneannexion par l’Équipement“. Elleétait pourtant évaluée comme appor-tant “trois avantages décisifs : déga-ger des économies de gestion, diffu-ser “un brin“ de culture commune ausein des deux filières administrativesqui, à l’heure actuelle, vivent surdeux planètes différentes (à noterque l’inculture de l’Équipement enmatière d’environnement et de patri-moine n’est pas pour rien dans lavolonté d’autonomie du ministère del’Environnement), surtout, permettreau couple Équipement-Environne-ment de prendre une option sérieusesur le créneau interservices et inter-ministériel de l’aménagement du ter-ritoire au niveau régional“.

Une autre expérience, plus durable, amarqué fortement l’histoire du ministèrependant ces années : celle du rap-prochement entre DDE et DDAF. Làencore, l’origine se situe dans des pré-occupations environnementales, à pro-pos des difficultés d’une gestion coor-donnée de l’eau dans le contexte d’uneannée de sécheresse. L’expérience estlancée officiellement dans quinzedépartements en février 199135 ; danschaque département expérimental, leDRAE est présent au Comité de Pilo-tage. Les domaines expérimentaux sontouverts ; sont suggérés : l’aménage-ment, l’urbanisme, l’eau et les déchets,l’équipement des collectivités locales,les constructions publiques.

L’opération, menée avec une certaineampleur (dispositif de pilotage et d’ani-mation, diffusion d’un “Journal de l’ex-

périmentation“…), paraît suffisammentintéressante pour être généralisée àl’ensemble national par la circulairedu 22 janvier 1993. Les DDASS, lesDIREN et les DRIRE se sont impliquéesde façon inégale suivant les départe-ments. Une évaluation réalisée en1994 par Patrice Duran36 en confirmeles résultats positifs37, surtout en matièrede politique de l’eau38. Mais onconstate à l’époque un essoufflementde la dynamique expérimentale, liéd’une part à une incertitude sur lesobjectifs et le caractère stratégique durapprochement, d’autre part aumanque d’accompagnement pour lalevée d’obstacles statutaires et admi-nistratifs qui obéraient le fonctionne-ment. Les services impliqués ont eu ten-dance à se réfugier dans un attentismeprudent, sans s’engager dans uneperspective stratégique de recherched’opportunités nouvelles de servicepublic et de repositionnement de l’État.

La systématisation et l’institutionnalisa-tion du rapprochement DDE-DDAFseront cependant proposées en199539 par le Comité pour la Réorga-nisation et la Déconcentration desAdministrations, en référence à la loid’orientation pour l’aménagement etle développement du territoire40. Cespropositions, reprises par le Commis-sariat à la Réforme de l’État (créé en199141) et soumises par celui-ci à laconcertation, ont fait l’objet d’un avismitigé de la part des préfets : “Unefusion des DDE et des DDAF ne paraîtpas envisageable à court terme pour laplupart des préfets qui considèrent quele monde agricole doit conserver uninterlocuteur bien identifié. Cependantplusieurs préfets ont envisagé des rap-prochements de ces services notam-ment dans le domaine de l’ingénierie“.

Cette expérience aura sans doute ins-piré d’autres initiatives ultérieurestelles que :

– projet de généralisation des mis-sions conjointes d’ingénierie entreles services de l’Environnement etde l’Agriculture42,

– projet de création dans les départe-ments d’un pôle de compétencedans le domaine de l’environnementet de l’aménagement de l’espaceassociant DDE, DDAF, DDASS,DIREN et DRIRE43,

34 Signalée comme un modèle possible par le rapport“Note de réflexion sur les échelons régionaux du minis-tère de l’Équipement, du Logement, des Transports etde la Mer“ – CGPC – Claude Robert – mars 1990.35 Note des ministres de l’Équipement, de l’Agricul-ture, de l’Intérieur et de l’Environnement aux préfetsde région et de département : “coordination des inter-ventions des DDE et des DDAF“ – 15 juillet 1991.36 Patrice Duran – Centre de Recherche en SociologiePolitique – Université de Bordeaux II.37 Cf. aussi le rapport du “Comité Costet“ de réor-ganisation et de déconcentration – 1994.38 En décembre 1993, la “MISE“ (Mission Inter Ser-vices de l’Eau) est crée dans 42 départements et en ins-tance de création dans 34 autres.39 “33 propositions pour rendre plus efficace l’admi-nistration territoriale de l’État“ – Rapport du Comitépour la Réorganisation et la Déconcentration des Admi-nistrations – avril 1995.40 “Loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’amé-nagement et le développement du territoire“, dite LoiPasqua.41 Par la “circulaire du Premier ministre du 26 juillet1995 relative à la préparation et à la mise en œuvrede la Réforme de l’État et des services publics“.42 “Projet de lettre des ministres de l’Équipement, del’Agriculture et de la Fonction Publique au Vice-Prési-dent du CGPC et CGGREF“ – octobre 1996.43 Dossier interne du CGPC – février 1994.

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– proposition d’une organisation ren-forcée dans le champ de l’Équipe-ment, de l’Aménagement et de l’En-vironnement par fusion des DDE,des SDA et des DDAF en un serviceunique44.

b) La logique des structures horizontales

Les adaptations des directions cen-trales sont caractéristiques de cettemanière de procéder, qui confie àune structure spécialisée horizontale,transversale aux filières spécialiséesde l’organigramme, la prise encharge de fonctions de cohérenceentre les directions techniques. C’estce qui a motivé, en mars 1992, uneréorganisation des directions cen-trales dites “horizontales“ : regrou-pement à la DPS de l’ensemble desmoyens relatifs aux services décon-centrés, regroupement à la DAFAGdans le but d’y développer deuxpôles de compétence (en matière juri-dique et en matière financière et fis-cale), création de la DRAST pour éla-borer une politique de recherche etd’orientation technologique pour l’en-semble du ministère, mission de coor-dination des études en matièred’aménagement des territoiresconfiée à la DAU, responsabilité dela prospective confiée à la DAEI, ainsique de la coordination statistique del’ensemble du ministère.

En dépit de ces décisions structurelles,le Comité Costet rappelle, début199445, que, “lors de leur analyse desdysfonctionnements de l’Administra-tion centrale, les chefs de servicesdéconcentrés ont insisté sur le manquede travail inter-directions pour la miseau point d’orientations coordonnéesà destination des services de terrain,tout en notant qu’il y a eu des progrèsrécents sur ce point“. Le rapportrecommande “une réflexion sur lesmodalités du travail horizontal del’Administration centrale“, conduitepar le Comité des Directeurs.

La question de l’efficacité des trans-formations d’organigramme pour com-penser la sectorisation des directionstechniques restera posée comme unequestion de fond pour la modernisa-tion des directions centrales ; le rap-port d’orientation d’octobre 199846

met en effet l’accent sur le fait que lesdirections centrales ont plus tendanceà rechercher les améliorations dansdes modifications de structures, per-manentes ou non permanentes, plutôtque dans les modalités de travail sus-ceptibles de mobiliser, d’une autremanière, les acteurs et les agents duministère.

c) La mise en place d’organisations fonctionnelles

Cette modalité correspond à la créa-tion de missions ou d’organisationsinter-structures, destinées soit à assurerde façon permanente ou temporairedes coordinations et des cohérences,soit à prendre en charge un aspectparticulier d’une politique visant larésolution d’un problème global.

Parmi les nombreuses dispositions rele-vant de cette logique, on peut en citerdeux particulièrement caractéristiques :

– l’organisation de “pôles de compé-tences“ préconisée – après expé-rience – par la Charte de la décon-centration47 et reprise dans tous lestextes et rapports de propositions surla déconcentration de l’État. Essen-tiellement mis en place au niveaudes départements – parfois auniveau des directions régionales –ces pôles de compétences avaientle mérite d’être plus facilement inter-ministériels que les regroupementsde services,

– au niveau central, ce principe estcelui de la constitution des comitésde directeurs, dont la première miseen place date de 1994. Ces comi-tés, thématiques, doivent permettrel’articulation entre les directions etsoutenir un travail transversal. Ilspeuvent être ouverts, selon le thème,à des partenaires d’autres adminis-trations telles que la DATAR ou leministère de l’Environnement…

d) La multi-fonctionnalité de services opérationnels

C’est une logique fortement présenteau ministère de l’Équipement, surlaquelle s’appuie directement l’ar-gumentaire de défense et de main-tien de l’échelon territorial des sub-divisions et, dans une moindremesure, celui des directions dépar-tementales.

44 Note remise par le CGPC, sans date et sans signa-ture : “Proposition pour une organisation des servicesde l’État renforcée dans le champ de l’Équipement, del’Aménagement et de l’Environnement“.45 “Synthèse des travaux du Comité devant servir debase au rapport“ – Comité de réorganisation et dedéconcentration de l’Équipement – Jean Costet –13 janvier 1994.46 “L’amélioration du fonctionnement des Adminis-trations centrales du ministère de l’Équipement, desTransports, du Logement – Rapport d’orientations etde propositions au ministre“ – le Délégué à la Moder-nisation et à la Déconcentration – octobre 1998.47 “Décret du 1er juillet 1992 portant Charte de ladéconcentration“.

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Dans cette formule, une entité territo-riale rattachée au ministère de l’Équi-pement se trouve placée en situationd’opérateur de proximité pour unfaisceau diversifié des politiquesnationales pouvant relever d’autori-tés ministérielles différentes. Ce prin-cipe a été promu – et plus ou moinsmis en œuvre concrètement – à partirde la réalité historique de la présenceterritoriale du ministère, au service dedeux objectifs : d’une part, pour coor-donner l’action locale de l’État par rap-port à des problèmes globaux, d’autrepart, pour mettre à disposition des par-tenaires de l’État (élus et citoyens) desservices de proximité au moindre coût,grâce à des économies d’échelle.

Selon ce principe, les structures terri-toriales du ministère constituent, enquelque sorte, une rente de situationqui peut être valorisée en supportantdes offres aux autres secteurs del’Administration.

e) La restructuration d’ensembledes services

Les examens qui sont faits, au fur età mesure des diagnostics et des éva-luations, des effets des transforma-tions de structures montrent que lesréformes et les repositionnementspassent autant – sinon plus – parl’évolution des comportements et desmodalités de travail, ainsi que par ledécloisonnement des cultures spéci-fiques portées par les divers secteursde l’Administration. Et pourtant, levent de réforme qui a été porté parla déconcentration a conduit à exa-miner des modifications lourdes dela structure de l’Administration pour-suivant, il est vrai, en priorité laréduction drastique des effectifs et dunombre de services ; les propositionsles plus ambitieuses et les plus systé-matiques sont sans doute celles quiont été formulées par le Commissa-riat à la Réforme de l’État en 1996,sous forme de scénarios proposés àl’examen des préfets48.

L’objectif affiché est d’une part derationaliser les moyens de l’État,d’autre part d’aller au-delà de la for-mule des pôles de compétences dontde nombreux préfets jugeaient qu’elleavait atteint ses limites là où elle avaitété expérimentée. L’ambition était

d’organiser les services déconcentrésde l’État en une dizaine d’unités (aulieu d’une vingtaine, voire près de 40dans certains départements). Il s’agis-sait donc de propositions placéesdans une perspective résolument inter-ministérielle. Plusieurs niveaux derecomposition étaient scénarisés :

– recomposition complète où l’Équi-pement se voyait impliqué dansdeux directions départementales :environnement et cadre de vie,aménagement de l’espace,

– recomposition moyenne qui pré-voyait la fusion de la DDE et de laDRAF, notamment pour réunir lesactivités d’ingénierie publique,

– réorganisation limitée, qui intégraitle SDA à la DDE, et intégrait l’en-vironnement à la Direction Dépar-tementale de l’Agriculture,

– réorganisation des services sur leprincipe de leur adaptation auxcaractéristiques géographiquesdes départements et des régions,qui prévoyait la fusion des DDE etdes DDAF sous l’autorité soit d’unIGREF, soit d’un IPC (selon le tauxd’urbanisation du département),

– enfin, un scénario de regroupe-ment des niveaux régionaux etdépartementaux et de création dedirections interdépartementales.

3. L’articulation des échelles territoriales

Pendant les années qui ont suiviimmédiatement les lois de décentrali-sation, la logique générale d’organi-sation du ministère de l’Équipemententre les niveaux territoriaux n’a pasété réellement remise en cause sur lefond. L’attention du ministère s’étaitessentiellement mobilisée vers l’adap-tation de l’échelon départemental etinfra-départemental, les plus directe-ment mis en cause par la décentrali-sation : c’est donc à l’échelle dépar-tementale que se situaient alors lesprincipaux enjeux. Mais, plus que deréorganisation des fonctions internesau ministère, il s’agissait surtout dedégager un nouvel équilibre des rela-tions entre les échelons territoriaux(département, arrondissement, subdi-vision) et les nouveaux pouvoirs descollectivités territoriales.

48 “Réorganisation des services déconcentrés de l’É-tat, scénarios de réorganisation“ – Juillet 1996.

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En particulier, le niveau régional res-tait tel qu’il avait été institué par ledécret de 1967, qui en faisait unéchelon quasi strictement d’adminis-tration, pour l’essentiel de prépara-tion de la programmation. L’analyseconduite en 199049 donnait des fonc-tions des DRE une image assez plate :observatoire socio-économique, pros-pective et planification de l’aména-gement, animation du partenariatavec les milieux professionnels (cestrois fonctions rangées sous le titre“communication“) et les fonctions depréparation de la programmation etde gestion et de contrôle des trans-ports de marchandises. Les perspec-tives d’avenir et les propositions res-taient dans la logique de leurrenforcement et d’une plus grandeprofessionnalisation de ces fonctionsqui n’étaient pas structurellementtransformées.

Cependant, à la même époque, uneanalyse conduite par Claude Robert50

projetait au premier rang le niveaurégional. Prenant appui sur une visionde l’avenir des régions dans la Com-munauté Européenne, de l’évolutiondu rôle de l’État et du caractère inter-ministériel de ses domaines de com-pétences, il prenait acte de l’émer-gence du niveau régional commeun niveau structurant de l’organi-sation territoriale de l’État, dansl’esprit du projet de loi Joxe relative àl’Administration territoriale de la Répu-blique (ce projet donnait un rôle déter-minant à la région, préconisant notam-ment une autorité du préfet de régionsur ses collègues départementaux et larépartition des crédits de fonctionne-ment des services de l’État par le pré-fet de région). Il rappelait aussi que lavocation fondamentale de l’Équipe-ment – l’aménagement de l’espace –impliquait aussi d’autres structures d’É-tat (DATAR, Environnement, Tou-risme…) et qu’il aurait été logique queces différents secteurs d’administrationsoient regroupés en une seule entité.

Le rapport évoquait deux scénariosd’évolution des DRE :

– leur suppression pure et simple, dontil était démontré qu’elle était pos-sible et, dans une certaine mesure,cohérente avec le renforcement durôle des préfets et des SGAR,

– au contraire, leur renforcement par,d’une part, un double mouvementde décentration de fonctions tenuesjusqu’alors au niveau central (sansdoute peu nombreuses) et deremontée au niveau régional defonctions départementales, d’autrepart, un regroupement sur elles desfonctions interministérielles del’aménagement du territoire.

Ces questions seront tranchées en1992 par la Charte de la déconcen-tration51, qui répartit les rôles entre lesdifférents niveaux territoriaux et enorganise le fonctionnement :

– aux Administrations centrales, le rôlede conception, d’animation, d’orien-tation, d’évaluation et de contrôle,

– à l’échelon régional, la program-mation et la répartition des crédits,la mise en œuvre des politiquesnationale et communautaire dedéveloppement et d’aménagementdu territoire, l’animation et la coor-dination de politiques d’État, lacoordination des actions intéressantplusieurs départements,

– à l’échelon départemental, la res-ponsabilité territoriale de mise enœuvre des politiques nationale etcommunautaire.

La Charte prévoit, par ailleurs, unemise en cohérence “horizontale“ despolitiques sectorielles de l’État auxdeux échelons territoriaux de larégion et du département.

Le ministère de l’Équipement, poursa part, était déjà engagé dans desdémarches “POM“ (Plans ObjectifsMoyens), base de relations quasicontractuelles entre les servicesdéconcentrés et les services cen-traux. C’est ce dispositif qui estconsidéré, par le Comité Costet,comme le moyen principal de la dif-fusion des stratégies du ministèredans les services déconcentrés52.

Les principes posés par la Charte de ladéconcentration resteront la référencede base des années suivantes et serontréaffirmés par la circulaire de 199553.Celle-ci prévoit le transfert de toutes lesfonctions de mise en œuvre des poli-tiques dans les services déconcentrésou dans des établissements publics, le

49 “Rapport du Groupe de travail sur la situationactuelle et l’avenir des directions régionales de l’Équi-pement“ – CGPC – Rapporteur Hubert Gueret – sep-tembre 1990.50 “Note de réflexions sur les échelons régionaux duministère de l’Équipement, du Logement, des Transportset de la Mer“ – CGPC – Claude Robert – mars 1990.51 “Décret du 1er juillet 1992 portant Charte de ladéconcentration“.52 “Comité de réorganisation et de déconcentrationde l’Équipement“ – Synthèse des travaux du Comité –13 janvier 199453 “Circulaire du 26 juillet 1995 relative à la prépa-ration et à la mise en œuvre de la réforme de l’État etdes services publics.

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regroupement des services territoriauxde l’État et l’appel aux formulescontractuelles pour régler les rapportsentre l’État, les services opérateurs etles établissements publics.

Parallèlement, dans le cadre du GrandDébat, la redéfinition des rôles desdirections centrales est posée au seindu ministère de l’Équipement, aprèsune longue période qui avait été essen-tiellement consacrée à l’adaptationdes services déconcentrés. Une desquestions posées est celle de la cohé-rence des politiques au niveau central,car il apparaît alors clairement que leséchelons territoriaux sont désormaisdes lieux de mise en cohérence con-crète des différentes politiques définiespar l’État, et même, au-delà de cela,de mise en cohérence des politiquesd’État et des politiques territoriales descollectivités locales. Mais, par rapportà cela, l’Administration centrale qui setrouve centrée sur trois missions54 – mis-sion régalienne, mission de régulation(animation et contrôle), mission d’éva-luation – ne peut plus trouver, elle, sacohésion à partir de la logique territo-riale ; l’analyse montre que c’est dansla mise en rapport du conjoncturel etdu court terme, d’une part, du “futurincontournable et indispensable“,d’autre part, que peut se former le sys-tème de cohésion de l’Administrationcentrale.

Ces dernières années, l’attention s’estainsi portée sur la modernisation desdirections centrales d’autant que lesservices déconcentrés continuent àfaire état de façon récurrente de ladifficulté qu’ils ont à établir, sur le ter-rain, des cohérences qui n’ont pasété organisées au niveau central. Unrapport de 199855 fait encore état dece qu’“il n’est pas rare que certainesDDE se trouvent devant la nécessitéde tenter la synthèse interdirection-nelle ou interministérielle qui n’a pasété faite au niveau central. Ils recon-naissent y parvenir alors très rare-ment. En revanche, face à la multi-plication des sujets communs àplusieurs secteurs, à l’empilement descommandes et des urgences, l’Admi-nistration centrale du ministère appa-raît parfois désorientée, décalée“. Cerapport constate le creusement del’écart entre le monde de la Centrale

et celui des services déconcentrés etl’affaiblissement des articulationsentre les deux. Le développement desrapports contractuels – plus exacte-ment de rapports fondés sur desengagements non strictement juri-diques – ne paraît avoir été jusqu’àprésent un vecteur de cohérence, saufde la cohérence locale des échelonsdéconcentrés. Une analyse conduiteen 199656 montrait en effet que lacontractualisation n’avait été portéeréellement que par une seule direc-tion – la Direction du Personnel – cequi a facilité son rôle intégrateur vis-à-vis des unités déconcentrées, maissans qu’elle exerce un rôle de coor-dination spécifique à l’égard desautres directions centrales spéciali-sées : “Les directions centrales conti-nuent ponctuellement à exercerauprès des DDE leur rôle d’experts oude financeurs au cas par cas et enfonction des problèmes, donc endehors du contrat“.

4. L’ingénierie publiqueLa question des prestations d’ingénie-rie est l’une des celles qui ont été lesplus problématiques dans la conduitede l’évolution du ministère au momentde la décentralisation : elle constituaitune composante structurelle et histo-rique de l’activité des services décon-centrés et, d’une certaine façon, deleur identité. Composante aussi qui,historiquement, alimentait – par lemécanisme des honoraires – la rému-nération individuelle des agents. Parailleurs, cette question n’était pas lemonopole de l’Équipement, puisqued’autres Administrations (principale-ment l’Agriculture) intervenaient defaçon analogue : les transformationsdu dispositif pouvaient donc difficile-ment être spécifiques au seul ministèrede l’Équipement.

La première réforme significative, réa-lisée en 1979, a mis fin à l’intéresse-ment individuel pour supprimer l’inci-tation au “bétonnage“, en dissociantla relation directe qui existait aupara-vant entre la rémunération individuelleet le chiffre d’affaires réalisé en hono-raires par le service d’appartenance.Le nouveau dispositif prévoyait unecentralisation du produit des hono-raires dont le montant était redistribué,

54 “Grand Débat – Éléments pour un débat prospectifsur l’Administration centrale“ – Groupe transversal Admi-nistration centrale – note provisoire – 29 juin 1994.55 “L’amélioration du fonctionnement des Adminis-trations centrales – Rapport d’orientations et de pro-positions au ministre“ – Le Délégué à la Modernisationet à la Déconcentration – octobre 1998.56 “Les politiques de contractualisation entre centrali-sation et décentralisation“ – Renaud Berrivin et Chris-tine Musselin - Sociologie du travail n° 4 – 1996.

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par le biais de coefficients, en fonctionde l’importance des missions danschaque département. Ainsi, une dis-tanciation entre les intérêts personnelsdes agents et la politique de servicepublic de l’État était opérée. Pourautant, si l’intérêt était moins directe-ment individuel, les agents de l’Équi-pement restaient encore directementintéressés collectivement à la massed’honoraires réalisés dont le montanteffectif constituait la base à répartirentre eux.

Indépendamment de cet aspect parti-culier des honoraires, la décentralisa-tion, en provoquant la disparition dumonopole des DDE, a posé la ques-tion de la justification, de l’utilité etdes modalités des prestations appor-tées par les services de l’État, de deuxpoints de vue : d’une part, quant aurespect de l’autonomie des collectivi-tés locales (notamment pour les petitesqui ne disposent pas de servicespropres suffisants), d’autre part, quantà la position des services de l’Étatdans un système concurrentiel plusouvert.

La disparition du monopole a été l’undes grands sujets d’inquiétude de lapériode écoulée, dont la prise encompte a motivé, en partie, le Projetde Modernisation (cf. chapitre 3),dans le but d’accroître la compétitivitéprofessionnelle des services. La pres-sion de l’ouverture concurrentielle s’esttransformée en contrainte par le jeudes directives européennes qui obli-geaient à ramener les prestations desservices de l’État dans le champ dudroit commun, notamment par rapportaux règles nouvelles de mise enconcurrence du Code des Marchéspublics.

Enfin, dernière composante pesant surl’ingénierie publique, les réflexionsmenées quant à la position de l’État,à son rôle et aux priorités du minis-tère, ont fait progressivement ressortirle fait que – en simplifiant – les tra-vaux routiers ne correspondaient peutêtre pas à l’emploi le plus stratégiquedes moyens du ministère au servicedes enjeux qu’il avait à défendre.

En 1997, le besoin d’un pilotagerecentré d’une politique générale en

la matière applicable à tous les ser-vices, conduit à identifier l’ingénie-rie publique comme un axe straté-gique de l’évolution du ministère et àen déplacer, sur la proposition deGilbert Santel, la responsabilité dela DPS à la DGUHC.

Dans le cadre du Plan de Moderni-sation du ministère, une action spé-cifique “Modernisation de l’Ingénie-rie publique“ se met en place defaçon accélérée en raison d’un arrêtdu 20 mai 199857 qui, amorçant unejurisprudence, impose de réagirimmédiatement. Un groupe inter-directions est constitué et une équipespécifique – dont la responsabilité estconfiée à Claude Allet – est mise enplace. Pour contrôler provisoirementles risques juridiques, une instructiontransitoire (du 19 janvier 1999) inter-dit explicitement aux services deprendre des missions de maîtrised’œuvre au-dessus des seuils fixés auCode des Marchés publics. Le minis-tère de l’Agriculture diffuse en févrierune circulaire équivalente et, à l’au-tomne 1998, les travaux s’organisentde façon conjointe avec celui-ci. Uneinstance nationale interministérielleest installée en décembre 1999 com-prenant les ministères des Finances,de l’Intérieur, de l’Environnement, dela Réforme de l’État, de l’Agricultureet de l’Équipement.

La loi de finances 2000 met en placede façon opératoire une premièredisposition de la réforme structurelleen abrogeant les lois de 1948 et de1955 et en décidant l’inscription aubudget des sommes nécessaires aupaiement d’une nouvelle “indemnitéspécifique de service“, dispositif quiremplace par une dépense budgé-taire l’ancien système de redistribu-tion du produit des honoraires. Struc-turellement, les rémunérations sontainsi rendues indépendantes de lamasse des honoraires d’ingénierie.

La mise en conformité de l’ingénieriepublique avec les règles de l’ouver-ture à la concurrence aboutit fin 2001par le vote d’une loi58 qui fait rentrerles prestations des services d’État dansles règles ordinaires du Code desMarchés publics, tout en maintenantun régime particulier d’assistance

57 Arrêt “Communauté de Communes du Piémont deBarr“ du 20 mai 1998.58 “Loi du 20 novembre 2001 portant mesuresurgentes de réformes à caractère économique et finan-cier“ – Titre 1er : Marchés publics, ingénierie publiqueet commande publique.

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technique au bénéfice des communeset groupement de communes de petitetaille ou de faibles ressources.

Outre ces dispositions législatives,qui touchent l’ensemble des servicesde l’État, une réorientation straté-gique des activités d’ingénierie estdéfinie au sein du ministère de l’É-quipement, qui revêt schématique-ment trois dimensions :

– un recentrage des activités, sur lesdomaines d’intervention où l’Étatconsidère que les pouvoirs publics(collectivités locales) ont le plus deretard et de difficultés, dans le butde concentrer les moyens publics surles dynamiques de progrès plutôtque sur des prestations banales pourlesquelles une offre privée est dispo-nible. Ainsi, la réforme prévoit unrecentrage sur l’assistance auxmétiers de la maîtrise d’ouvrage et,plus généralement, aux réflexions enamont de la maîtrise d’œuvre. L’es-prit de la réforme est de faire évoluerdans le temps les priorités de l’ingé-nierie publique, au fur et à mesuredes progrès réalisés par les servicesinternes des collectivités territorialeset par les prestataires privés,

– une dynamique de professionnali-sation des agents pour garantir laqualité des prestations, y comprisdans une meilleure connaissancedes enjeux, des attentes, des capa-cités et des projets des acteurs auxniveaux local et national.

Un programme d’accompagnementde la réforme est mis en place àgrande échelle, portant sur : la défi-nition des missions et métiers, le déve-loppement d’outils d’aide à la déci-sion, l’ajustement opérationnel desdispositions juridiques et réglemen-taires, l’adaptation des règles de ges-tion, une politique de formation et degestion des ressources humaines, lapromotion de partenariat, le déve-loppement d’une démarche de qua-lité et un dispositif de pilotage auniveau central.

Il n’aura donc fallu, sur cette opéra-tion, qu’environ trois ans pour modi-fier structurellement – sous la pres-sion urgente de contraintes externes,il est vrai – un dispositif embléma-tique de l’histoire et de la culture desservices extérieurs, et ceci à uneéchelle réellement interministérielle.

III. LA “MODERNISATION“, MANAGEMENT DE L’ADAPTATION

De tous les bouleversements qui ontagité le ministère de l’Équipementdepuis 1980, c’est certainement ceuxqui touchaient à l’adaptation des com-portements de travail, du manage-ment et des objectifs professionnelsqui ont été le plus étroitement pilotésdans le cadre d’une stratégie expliciteet organisée. Cette conduite du chan-gement, initiée par Serge Vallemontsous l’intitulé de “Projet de progrès etde modernisation de l’Équipement“,a été engagée en 1985 comme unaxe essentiel de l’adaptation du minis-tère. Le contexte d’engagement decette action est analysé de la façonsuivante par Patrice Duran59 :

“Dans le contexte menaçant de ladécentralisation pour l’unité des ser-vices, il a fallu en fait que l’Adminis-tration se mobilise pour garder laconfiance d’élus disposant d’unemarge de manœuvre les rendantbeaucoup plus imprévisibles que parle passé. En particulier, ces derniers

ont maintenant la possibilité de définirleurs objectifs propres sans passer parl’administration. Dès lors, à défaut decontrôler les finalités de l’action, il nereste plus à l’administration qu’àconserver la maîtrise d’œuvre, maisbien sûr à condition de convaincre lesélus soudainement plus exigeants del’intérêt de sa prestation“.

Concrètement, la prise de consciencede l’ampleur de la reconfigurationnécessaire des pratiques de l’Équipe-ment – précisément de ses servicesextérieurs – s’est faite mi-1985, à lasignature du décret qui mettait enplace la nouvelle organisation desDDE et qui prévoyait les conventionsdépartementales. Il est apparu alorsclairement là que le décret ne seraitpas efficace et que les DDE neseraient donc garanties de leurpérennisation que si elles deve-naient des entités compétitives parrapport à un métier de prestatairede service.

59 “Moderniser l’État ou le service public, les chantiersde l’Équipement“ – Patrice Duran – mai 1992.

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1. Le passage d’une administrationde pouvoir à une administrationde service

La décision de créer le 15 mai 1985une Commission Nationale de Moder-nisation de l’Équipement, était ainsimotivée par la reconnaissance de lanécessité d’une sorte de révolution cul-turelle et de recomposition des pratiquespour passer d’une administration depouvoir à une administration de ser-vice. La conduite du changement quisera mise en place se caractérise :

– par une dynamique décentraliséeet pragmatique, mobilisant les ser-vices extérieurs, assortie d’une fortemobilisation des cadres dirigeantset d’une stratégie de maillage descompétences,

– par une cohérence d’ensemble etune animation assurée par un pilo-tage puissant du projet au niveaunational – confié à la DP – jouantde tout l’arsenal d’objectifs, d’ac-tions d’accompagnement, d’allo-cations de moyens, d’évaluationdes performances, d’actions decommunication.

L’ampleur du projet de modernisationpeut être appréciée à la hauteur deseffectifs concernés : à l’époque, l’ad-ministration de l’Équipement comptait110 000 agents dont 95 000 dansles Directions Départementales. L’unedes difficultés de la conduite du chan-gement viendra d’ailleurs de cequ’elle devra intégrer la gestion tech-nique et psychologique des réduc-tions d’effectifs significatives que leGouvernement imposera, annéeaprès année, en accompagnementde la déconcentration.

Pressée par l’urgence de calmer lesinquiétudes des agents et par les exi-gences de l’environnement local desDDE, consciente que la compétenceet la proximité territoriale des DDEconstituaient des atouts déterminants,la DP construit le “projet de progrèset de modernisation“ en lui donnantdélibérément la signification d’unprojet d’entreprise, au sens où ceterme est employé dans l’entrepriseprivée. Les fondements de ce projetétaient promus par trois mots clé :

– professionnalisme : profession-nels dotés d’une capacité techniquede haut niveau s’appuyant sur unréseau de compétences (directionscentrales, services techniques cen-traux, CETE…),

– efficacité : productrice de servicespublics, l’Administration se fixecomme objectif prioritaire larecherche d’économies et de gainsde productivité ; l’enjeu est d’avoir lacapacité d’offrir le meilleur serviceau meilleur coût,

– transparence : faire la clartédans la mise en œuvre desmoyens à la disposition des DDE,pouvoir rendre des comptes dansle contexte d’imbrication fonc-tionnelle des activités exercéespour le compte de différentsmaîtres d’ouvrage.

Trois volets structuraient le programmed’action correspondant : la formation,le contrôle de gestion, la valorisa-tion des ressources humaines, com-plétés par des axes concernant ledéveloppement de l’informatique et lacommunication. La mise en œuvres’appuyait sur le principe de la res-ponsabilisation des dirigeants et descadres des services concernés.

Le lancement de ce programme a étémobilisateur, marquant une reprised’initiative du ministère après plu-sieurs années d’incertitude ; il a étéparticulièrement innovant jusqu’en1989. Pendant cette premièrepériode, les DDE ont été le lieu d’uneévolution très significative vers lespratiques d’entreprises et vers la pra-tique du service, sous l’impulsion denombreuses prescriptions et grâce àla généralisation d’un certain nom-bre d’outils. Par ailleurs, ce pro-gramme a eu l’intérêt d’être mis enœuvre progressivement, toute initia-tive nouvelle faisant en général l’ob-jet d’expérimentations et d’évalua-tions collectives avant sagénéralisation. Les dispositifs opéra-tionnels sont multiples : schéma direc-teur de la formation continue,“CLAIRE“ (clarification des comptes),“CORAIL“ (indicateurs de gestion),“GÉODE“ (pilotage et gestion desactivités et moyens), etc.

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2. Une logique de gestion par objectif

Mais les dispositions les plus straté-giques sont celles qui vont modifierla logique managériale de l’ad-ministration. Elle se mettra progres-sivement en place à partir de 1989dans le cadre du “second plan demodernisation de l’Équipement“.Après la première phase destinée àmettre en mouvement et à orienter lesperspectives des services extérieurs,ce second plan aura l’ambition degénéraliser les démarches contrac-tuelles à l’ensemble des services : safinalité est d’ériger les services exté-rieurs en centres de responsabilité etd’inscrire dans le mode contractuelles relations entre le niveau local et leniveau central.

La logique est donc une logique degestion par objectif, qui se concréti-sera en particulier par deux types dedispositifs : les contrats de perfor-mances (établis entre les directeurs etla DP), puis les POM (Plans ObjectifMoyens), véritables plans de déve-loppement établis au niveau dechaque service déconcentré, en réfé-rence à un cadre global régulé par ladirection centrale.

Le cadrage général donné à ce plande modernisation – tant au niveaudes objectifs que des composantes del’action et des outillages mis enœuvre – restera la référence cons-tante de la politique de reconfigura-tion interne des services déconcentréspendant une dizaine d’années.Même si l’importance des effets pro-duits sur l’efficacité et la productivitédu ministère n’est pas évaluée defaçon précise, cet axe de l’adapta-tion aux évolutions est jugé en géné-ral positivement, tant dans les bilansinternes qui en ont été faits que par lafonction publique d’État, qui a consi-déré cette expérience conduite auministère de l’Équipement comme unmodèle de référence.

En 1997, le ministre crée la fonctionde Délégué de la Modernisation,manifestant ainsi l’actualité toujoursvive du besoin d’évolution du ministèreet confirmant la pertinence attribuéeaux adaptations du management60 ; le

Délégué aura pour mission de prépa-rer un nouveau programme de moder-nisation pour les trois années 1999-2001. L’esprit dans lequel ceprogramme est préparé montre despréoccupations nouvelles61. Tandisqu’il s’agissait jusqu’à présent essen-tiellement d’adapter les services exté-rieurs à un contexte d’économieouverte et à un besoin de profession-nalisation, les enjeux se portent main-tenant sur l’adaptation de l’en-semble du ministère pour enrepositionner le fonctionnement etles pratiques par rapport aux grandsenjeux auxquels il doit faire face,après une vingtaine d’années d’évo-lution de la société et d’émergence dela dimension mondiale. La deuxièmeorientation nouvelle est de traiter lanécessité d’amélioration du fonc-tionnement des Administrationscentrales, notamment sous l’angledes démarches stratégiques, de lacoordination entre les directions et dupilotage par projet.

Sur ces bases, le programme plu-riannuel de modernisation est pré-senté et engagé fin 1998, affichantl’objectif central d’accroître la réac-tivité du ministère aux changementset aux attentes de la société fran-çaise. Les axes qu’il développe pourcela sont prioritairement62 :

– améliorer l’appareil d’analyse et deconnaissance de la société fran-çaise dans son contexte européenet international : études prospec-tives, méthodes économiques, ana-lyse de risques, écoute des usagers,évaluation…

– à partir de ces éclairages, explici-ter les orientations stratégiques desdifférentes structures : obtenir unensemble cohérent et lisible desorientations et priorités du minis-tère, des DAC et des servicesdéconcentrés.

Plusieurs dimensions de mise enœuvre sont annoncées :

– de nouvelles approches sur lescompétences (nouveaux besoins,nouveaux métiers, pratiques),

– l’instauration d’une approche parl’organisation du travail en com-plément de l’approche par les orga-nigrammes, en particulier pour

60 La prise en compte de la modernisation commeune dimension permanente du management au seindu ministère trouve d’ailleurs son aboutissement dansla transformation de “la Direction du Personnel et desServices“ en “Direction du Personnel, des Services etde la Modernisation“, intervenue en décembre 2001.61 Cf. compte-rendu du “Comité Ministériel pour laModernisation“ – 27 novembre 1998.62 Cf. “Les grandes options du programme de moder-nisation du ministère de l’Équipement, des Transports etdu Logement pour 1999-2000“ – Note synthétique duDélégué à la Modernisation et à la Déconcentration –7 juillet 1999.

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rechercher le décloisonnement àtous les niveaux,

– des approches nouvelles de l’infor-mation : développement du dialoguesocial, management de la connais-sance, substitution de “l’information-pouvoir“ par “l’information-travail“.

Enfin, le programme se fixe l’ambi-tion de développer la mesure desrésultats (approche qualité, engage-ments, évaluation, contrôle de ges-tion) et de s’appuyer sur la mobilisa-tion des hommes par une associationde l’obligation (directives) et du volon-tariat (sensibilisation, explication,conviction).

Le bilan d’avancement effectué à mi-parcours63 montre que ce pro-gramme est considéré comme sus-ceptible “de donner du sens àl’action des services du ministère“. Ilest remarqué que “c’est sur le champdes démarches stratégiques que letravail a été le plus poussé, même sile ministère n’a pas encore franchi,dans ce domaine, le stade des déci-sions. Tout se passe comme si l’Admi-nistration centrale, entièrementabsorbée par l’élaboration des poli-tiques nouvelles et par leurs traduc-tions juridiques et budgétaires s’enremettait intégralement aux servicesdéconcentrés pour la mise en œuvredes politiques existantes, sans mêmechercher à acquérir une vision glo-bale de celle-ci et de ses faiblesses“.

L’année suivante, en 2001, VincentAmiot produisait un bilan général del’évolution du ministère64. Son rapport,remis au moment de la présentationdes conclusions de la CommissionMauroy sur l’avenir de la décentrali-sation65 s’intéresse principalement auxservices déconcentrés et rappelle –encore une fois – que “les directionsd’Administration centrale sont souventconsidérées comme trop tournées verselles-mêmes, peu au fait du quotidiendes services, et agissant avec desapproches trop sectorielles, avec deréelles difficultés à travailler de façon“réunies“. Il remarque aussi que “l’évo-lution positive du ministère au coursdes quinze dernières années a été sur-tout le fait des services déconcentrés,

mais que cette évolution s’est faite,pour l’essentiel, sous la doublecontrainte externe de la réductiondes moyens et de la décentralisa-tion. Il lui faut aujourd’hui démontrersa capacité à accélérer le pas duchangement en anticipant surl’évolution de l’environnement“.

En ce qui concerne l’organisation duministère, le rapport met en exerguedes axes de progrès récurrents :

– la coordination inter-ministérielle,en butte aux difficultés inhérentes àla coexistence de deux tutelles surles services déconcentrés (verticaleet horizontale),

– le renforcement du niveau régional,échelon d’intervention privilégiéede l’Europe et niveau adapté d’or-ganisation de la complémentaritéentre le réseau technique et leréseau territorial,

– une évolution au niveau central :décloisonnement inter DAC, arti-culation des DAC et de la DPS,aptitude des DAC à décliner lespolitiques nationales à partir d’unelecture des territoires,

– enfin, la construction d’une poly-valence réelle et généralisée duniveau infra-départemental.

En conclusion, le rapport évoquel’avenir de la mise à dispositionauprès des Conseils généraux ensignalant la tendance continue àl’augmentation du nombre de dépar-tements fonctionnant sous l’article 7de la loi de 1992. “Défendre l’unitédu service de la route présente pourle ministère l’avantage d’encouragerla mesure des résultats et lesdémarches qualité ; cette unité contri-bue aussi à ne pas accroître inutile-ment les dépenses fiscales globales.Mais si cette défense doit sans arrêtreconnaître ses défaites successives,peut-être faut-il modifier complètementl’analyse, considérer que le mouve-ment de partition va dans le sens iné-luctable de la décentralisation etrechercher alors comment il peutbénéficier à nos services pour l’exer-cice des missions du ministère, plutôtque d’être subi. Dans cette optique, lemoment d’une évaluation partagéeavec les départements est venu“.

63 “Le bilan d’engagement du programme de moder-nisation du ministère à mi-étape“ – Le Délégué à lamodernisation et à la déconcentration – juin 2000.64 “Traduction sur le terrain des grandes réformes“ –Rapport à M. le Directeur de Cabinet du ministre del’Équipement, des Transports et du Logement - VincentAmiot – mars 2001.65 “Refonder l’action publique locale – Rapport auPremier ministre“ – Pierre Mauroy – 2000.

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IV. LE MINISTÈRE À LA RECHERCHE D’ENJEUX ET DE STRATÉGIES

1. Le projet d’Edgar PisaniRemontant dans le passé, c’est auxannées 1966 à 1970 qu’on peutsituer l’élaboration d’un projet fonda-teur dont l’impulsion stratégique, don-née par Edgar Pisani, marque encoreles pratiques du ministère et qui est leproduit d’un effort de réflexion, de for-malisation et de synthèse qui n’a paseu son équivalent depuis.

Ce projet était construit sur un enjeuclairement affiché : celui d’accompa-gner, d’organiser et de maîtriser ledéveloppement urbain, perçu alorscomme un mécanisme puissant detransformation du territoire et de lasociété, et que les anciennes structuresde l’Administration de la Construction,d’une part, et de celle des TravauxPublics, d’autre part, ne permettaientpas de gérer de façon assez offensive.La création du ministère de l’Équipe-ment, intégrant les deux dimensions,en était résultée, mais le projet d’EdgarPisani portait un sens qui apparaîtaujourd’hui comme ayant eu unedimension prospective certaine :

“L’Administration doit animer plusque contrôler, faire faire plus quefaire par elle-même, déléguer ses res-ponsabilités aux citoyens plutôt quetout ramener à elle. S’agissant de l’ur-banisme, par exemple, le ministre del’Équipement (il s’agit d’E. Pisani)affirme une nette volonté de renforcerle rôle et les moyens des collectivitéslocales actuellement réduites à la por-tion congrue par une Administrationd’État omniprésente. Décentraliser,réorganiser le découpage politico-administratif de la France, créer desrégions fortes sont quelques-uns desleitmotives de la philosophie politiquedu ministre. (…) Dans une sociétédominée par des tendances techno-cratiques et bureaucratiques, l’urba-nisme peut être l’occasion d’une réin-sertion civique des citoyens dans lacité. (…) Le projet d’Edgar Pisanireprésente par ailleurs un des pre-miers efforts d’ensemble qui, depuisl’économie dirigée de la Libération,tente d’introduire un retour aux méca-nismes du marché. (...) Le profitdevient un mécanisme respectable

auquel il faut tenter de redonner saplace en ce qui concerne les investis-sements collectifs. (...) Edgar Pisanine s’érige pas en admirateur incon-ditionnel du néo-libéralisme et tem-père ses idées d’une volonté de“concertation“ organique entre lesgroupes sociaux et l’État.“66

La dynamique du nouveau ministèrede l’Équipement s’est mise en mou-vement sur ce projet, dans une ten-sion interne entre l’enjeu de l’urbainet la culture routière.

2. De la fin des années 70 au début 90 : l’adaptation à la décentralisation

La fin des années 70 s’ouvre sur denouveaux enjeux qui donnent plusde complexité au projet initial de maî-trise et de gestion du développementurbain : d’une part, les valeurs de l’en-vironnement commencent à émerger,d’autre part, l’aménagement des quar-tiers existants apparaît comme un pro-blème essentiel, tant dans les centresurbains dont la valeur patrimoniale estmenacée par la brutalité des rénova-tions urbaines que dans les quartierspériphériques récents (dont les formesseront condamnées en 1973 par lacirculaire ministérielle dite “ni tours, nibarres“) dont les difficultés sociales serévèlent.

La réforme de 1978 qui rassembledans un seul ministère de l’Environne-ment et du Cadre de vie les adminis-trations de l’Équipement, la Directionde l’Architecture, les Directions de l’Ur-banisme, du Logement et de l’Environ-nement, est la manifestation politiquede la reconnaissance d’un enjeu élargipar rapport à la dimension “aména-gement“ de l’urbain, en affichantl’ambition d’appréhender globale-ment la gestion du territoire sous sesdivers aspects : l’environnement, lecadre de vie, l’habitat. Cette réforme,qui mêle des cultures différentes, voireopposées, de secteurs de l’Adminis-tration d’État, ne sera qu’une tentativede peu de durée (le retour à une confi-guration ministérielle plus classique seproduira en 1984, par la création du

66 “La création des Directions départementales de l’É-quipement – Phénomènes de corps et réforme admi-nistrative“ p. 15 – J.-C. Thoenic et E. Fridberg – CNRS,1970.

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ministère de l’Urbanisme, du Logementet des Transports). Les lois de décen-tralisation seront intervenues dans l’in-tervalle, accroissant encore la déstabi-lisation du ministère et provoquant uneffacement des enjeux stratégiques :

“Un discours public écrasant a inter-prété la décentralisation comme effa-çant largement la légitimité et la pré-sence de l’État dans les problèmesterritoriaux. (…) La continuité de l’es-pace à l’échelle intercommunale desagglomérations urbaines s’est alorstrouvée largement niée par l’enferme-ment dans les périmètres clos des auto-nomies communales. Le capital deréflexion accumulé depuis quinze anspar les services de l’Équipement à ceséchelles s’est trouvé mis en sommeil(…) Pendant près de dix ans, l’essencemême de la réflexion collective àl’échelle pertinente de l’espace a éténiée… entraînant perte de mémoire,de continuité, de compétence, de pro-fessionnalisme, repoussant larecherche de solutions à des pro-blèmes urgents dès lors qu’elles doi-vent reposer sur des coopérationsentre plusieurs institutions“.67

On constate ainsi que, pendant lesannées 80, la perception des enjeuxpar le ministère (en tout cas pour lesparties les plus touchées par la décen-tralisation, les services décentralisés etceux de l’urbanisme) s’est fortementrefermée sur des enjeux internesd’adaptation et de réaction aux trans-formations institutionnelles, et en toutpremier lieu (de façon quasi exclu-sive ?) sur le sort des services “exté-rieurs“ directement mis en cause dansleurs activités d’administration et deproduction (urbanisme et entretien desroutes départementales). Pendant toutecette période, les analyses dont onretrouve trace font essentiellement étatde question de positionnement, d’or-ganisation, de mission, mais elles évo-quent très rarement de véritables enjeuxde société comme des références pos-sibles pour une “reconstruction“ duministère.

Ainsi, par exemple, les enjeux d’amé-lioration affichés en 1989 pour donnerdes perspectives aux organismes tech-niques centraux du ministère68 sont-ilssitués, certes, comme répondant à uneinadaptation aux nouveaux besoins,

mais en restant encore à l’intérieur deschamps les plus traditionnels du minis-tère : études prospectives de l’équipe-ment et de l’aménagement du terri-toire, conception générale du réseauroutier, gestion du trafic automobile,génie urbain, équipements de l’envi-ronnement urbain, pratiques de l’ur-banisme, maîtrise d’ouvrage, tech-nique des bâtiments publics, systèmesintermodaux de transports.

Ces affichages, qui confinent lesbesoins de progrès et d’innovation àl’intérieur des champs techniques,correspondent essentiellement à uneanalyse des “manques“ des pratiquesdu ministère, sans mettre en avant denouveaux enjeux de contenu. Ils sontd’ailleurs cités après un constat préa-lable qui calme les inquiétudes : “Ladécentralisation des compétences n’apas bouleversé globalement l’activitédes services de l’Équipement sur leterrain“. Cependant, une analyse dela politique de modernisation duministère69 mettait en relief que lesprogrès obtenus en ce domaine révè-lent ses limites : “Le principal pro-blème réside dans l’existence d’undécalage entre la mise en œuvre dela politique de modernisation et lesnouveaux enjeux auxquels se trouveconfronté le ministère“.

3. La préparation et l’organisationdu “Grand Débat” (1994)

Quels sont ces enjeux nouveaux ?comment le ministère les identifie-t-il ?

La prise de conscience – en interne –de la faiblesse et de l’obsolescencedes orientations stratégiques induit,tout début des années 90, une reprisedes réflexions qui monteront progres-sivement en puissance jusqu’à l’orga-nisation en 1994 du Grand Débat“Ensemble traçons notre avenir“.

En 1992, un “diagnostic prospec-tif“70 est proposé à un séminaire dedirecteurs à partir d’entretiens auprèsde personnalités. Ce diagnosticdétecte cinq axes forts :

– la nécessité d’un recentrage deschoix et de plus de clarté par rapportà la multiplication et l’articulation desrôles du ministère, notamment vis-à-

67 “Mission d’analyse et de proposition relative à laDirection de l’Architecture et de l’Urbanisme – Rap-port au ministre – P. Mayet – 18 avril 1995.68 “Rapport de la mission d’étude relative aux pers-pectives d’évolution des organismes techniques cen-traux du ministère“ – Conseil général des Ponts etChaussées – P. Mayet – 13 juin 1989.69 “Moderniser l’État ou le service public, les chantiersde l’Équipement“ – Patrice Duran – 1992.70 “Éléments de diagnostic prospectif“ – Séminairedes Directeurs – DAEI – 21 novembre 1992.

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71 “Groupe de réflexion des Directeurs – note deméthode aux animateurs des trois Groupes“ – DAEIMission Prospective - Josée Landrieu – 19 janvier 1993.72 “Synthèse des travaux des Groupes de réflexion –Séminaire des Directeurs“ – DAEI – février 1993.

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vis des enjeux et modalités de larégulation : rapports entre l’actionde l’État et les règles de marché,logique marchande et logique deservice public, polarisation de l’es-pace, ségrégation/intégration...

– la transformation de la culture del’Équipement pour mieux l’adapter àl’évolution de ses champs d’action :rapport entre technique/politi-que/débat public ; prise en comptedu champ social ; transversalité etgestion des interfaces ; expertisesocio-technique, analyse de systèmescomplexes, techniques de concerta-tion et de confrontation…

– la mise en articulation de la cons-truction européenne et le déve-loppement des réseaux sur le terri-toire, qui interrogent les logiquesd’intervention territoriale du ministère,

– le réinvestissement du ministère surle champ urbain, quasi cantonné àl’action sur les quartiers alors quela ville est au cœur des principalesdynamiques, financières, socialeset culturelles,

– la reconquête par le ministèred’une capacité d’analyse, d’inno-vation, d’anticipation et de mise enperspective en réaction à sonmanque d’ouverture, à son centragesur le court terme, à l’absence delieux de débat, à une faible valori-sation de la recherche.

Le Groupe de réflexion des directeursconduit un programme de travail parle biais de trois groupes thématique :le ministère face aux enjeux de lasociété, missions et organisations duministère face à la ville, enjeux etorganisation de la fonction transportau sein du ministère. Ces travauxsont structurés par une méthode pro-posée par la DAEI71 qui vise àprendre des distances par rapportaux compétences, au fonctionnementet à l’organisation actuelle du minis-tère et qui préconise de procéder parune démarche reliant : identificationdes attentes sociales, objectifs de l’É-tat par rapport à celles-ci, formes delégitimité…

L’année 1993 est marquée, en aval deces premières initiatives, par l’entre-croisement de démarches de réflexionstratégiques se référant de plus en plus

explicitement aux enjeux induits parl’évolution de la société, appréhendésdans des visions à long terme et pros-pectives. On peut constater l’impor-tance de ces travaux à travers plusieursdocuments de travail. On y lit d’abordles synthèses de travaux de groupes detravail72, présentées sous quatrethèmes : “droit à la ville, droit au loge-ment“, “environnement – qualité de lavie“, “risques sécurité et responsabilitépublique“, “transports“ ; ces synthèsessont accompagnées d’un diagnosticsur les faiblesses du ministère et d’hy-pothèses de cadrage sur l’évolution del’État. Des scénarios pour orienter lesévolutions du ministère sont envisagés,en contrepoint des diagnostics :

– trois axes de scénarios relatifs authème “droit à la ville, droit aulogement“ : • la même structure assure la

réponse aux besoins des défavo-risés, la réponse aux attentes descouches moyennes et la régulationde l’économie du logement,

• l’objectif du logement des “popu-lations critiques“ est intégré dansdes objectifs globaux (écono-miques et spatiaux) du ministèremais les structures de mise enœuvre sont spécialisées,

• le ministère se dessaisit du voletsocial qui est confié à une structurepublique plus appropriée ;

– en matière d’“environnement etde qualité de la vie“ : • une attitude dite “d’accommoda-

tion réparatrice“ selon laquellel’enjeu de l’équipement est deminimiser l’impact de son actionsur l’environnement,

• une attitude d’intégration norma-tive, qui place les critères de l’en-vironnement comme une compo-sante interne des règles de l’art,

• une attitude d’éco-développementoù le ministère se positionne encréateur de ressources par la qua-lité globale de l’écosystème glo-bal social et économique ;

– pour le thème “risques, sécurité etresponsabilité publique“, legroupe conclut à la responsabilité“éminente“ de l’État qu’il devra exer-cer, pour certains risques (qui sont àdéfinir clairement), en intervenant

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73 “Réflexion stratégique au ministère de l’Équipe-ment“ – SIC – 3 mai 1993.74 “Avenir du ministère“ – Note interne posant desobjectifs d’action à court terme – 1993.75 “Déconcentration et simplification des structuresadministratives“ – CGPC – Jacques Le Menestrel etHubert Roux – 4 février 1993.76 “Synthèse des travaux du Comité devant servir debase au rapport“ – Comité de Réorganisation et deDéconcentration de l’Équipement – Jean Costet – 13janvier 1993.77 “Le débat, pourquoi ?“ – Note interne de présen-tation – Dossier du Grand Débat.

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direct, pour d’autres en se plaçantcomme acteur dans des dispositifscollectifs mis en place par d’autresinstances ;

– quant aux “transports“, troisorientations sont envisagées : • l’amélioration simple de l’effica-

cité des services actuels, • l’équipement garde ses fonctions

de régulateur et les fonctionsd’opérateur sont “désétatisées“,

• un partage des rôles entre État etcollectivités locales, le premier seconcentrant sur les fonctions desubsidiarité et d’État d’exception etsur les arbitrages transterritoriaux.

Ces réflexions se poursuivent dans lecadre d’une commande du ministre73,selon une démarche qui cherche àsituer l’avenir du ministère à partir desréformes institutionnelles (décentralisa-tion, déconcentration, transformationde l’Europe) et de leurs conséquencessur les comportements d’acteurs, desréformes induites par la dérégulation etla déréglementation, de l’évolution dela notion de service public dans la rela-tion aux usagers, des transformationsde la société et des besoins de régu-lation. Dans ce cadre, plusieurs actionssont engagées à échéance de fin9374 : lettre d’orientations ministériellesfixant les politiques prioritaires duministère ; réflexion prospective, cen-trée sur l’usager, qui pourrait débou-cher sur un “Livre blanc” ; articulationentre les réflexions du ministère etcelles de la Commission Nationale duRenouveau du Service Public à l’Équi-pement (créée le 28 novembre 1990) ;organisation d’un séminaire “décen-tralisation, coopération et évolution del’utilité publique“ annoncé comme lepremier acte d’une structure pérennede réflexion (“l’université permanentede l’Équipement“) ; et enfin, la prépa-ration d’un plan d’action pour con-duire une réorganisation complète del’Administration centrale dans le cadrede la mise en place d’un Comité deRéorganisation et de Déconcentration.

Deux rapports, en particulier, fontl’analyse détaillée de la situation etdes évolutions souhaitables du minis-tère de l’Équipement en relation avecles différents aspects de la transfor-mation de son contexte institutionnel :

le rapport Le Menestrel et Roux75 et lerapport Costet76.

Dans cette même dynamique deréflexion, le ministre Bernard Bossondécide en 1994 de lancer le GrandDébat, “Ensemble, traçons notre ave-nir“, opération de réflexion ambi-tieuse qui mobilisera fortement l’en-semble du ministère pendant plusieursmois. L’objectif affiché est de “précisersur le long terme les missions des ser-vices, qui sont en forte évolution, etde réaffirmer l’identité du ministèrepour les vingt années à venir“. Cedébat doit s’inscrire dans le cadre “dela réflexion sur l’organisation de l’Étatinitiée par le Premier ministre, de lanécessaire adaptation des missionsliées aux fortes évolutions de lasociété ; il est par ailleurs complé-mentaire du débat sur l’aménagementdu territoire“77. Les attendus faisaientétat de la nécessité d’appréhender lesenjeux à partir de trois points de vue :

– les nouvelles attentes des cito-yens : problème de l’exclusion so-ciale, volonté d’expression dans leschoix publics, intégration de ladimension environnement, consé-quences de la construction euro-péenne, amélioration des missionsde sécurité,

– la réaffirmation des missions de l’É-tat sur le terrain, dans le cadre dela nouvelle répartition des pou-voirs : souci de se placer le plus enamont possible et volonté d’avoirune vision globale des territoires,

– la prise en compte des attentes dupersonnel soumis à une successiond’évolutions et de réformes qui ontdétruit la lisibilité sur le devenir duministère.

Le Débat s’est développé, sous laconduite d’une équipe constituée ex-près, par la mise en place de multi-ples groupes de travail, dansl’ensemble des services dépendantdu ministère et mobilisant aussi despersonnalités extérieures.

Cinq grandes questions stratégiquesstructuraient les thèmes de réflexion :

– “les rapports entre les pouvoirspublics,

– demain, l’Europe,

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– les moyens de financement desservices et des politiques publics,

– l’aménagement et la gestion desterritoires,

– l’innovation technique et sociale etsa diffusion“.

Le très grand nombre et la richesse descontributions au débat, croisant les dif-férents regards, constitue un matériaude travail très important, encore sansdoute largement actuel, dont le textedu “Livre bleu“ qui clôturait le débat nerend pas vraiment compte. Il n’est paspossible de prétendre en résumer iciles contenus. Nous retiendrons seule-ment deux éléments significatifs desconclusions du débat.

• En premier lieu, les “ambitions“ affi-chées78 pour le ministère, qui consti-tuent la lecture positive des enjeuxdont la prise en compte a étéconsidérée comme prioritaire,n’apporte pas de vision très nouvelledes enjeux de société qui aurait pufonder un nouveau projet et restentbeaucoup dans le champ des mis-sions techniques :

– développer une logique de serviceà l’usager et d’écoute des citoyens,en remplacement d’une conceptiond’un service public essentiellementproducteur d’équipements,

– affirmer et rendre lisible le rôle del’État et de ses services : renforce-ment des tâches de réflexiond’amont des Administrations cen-trales, clarification des priorités,rôle des services déconcentrés, trai-tement global des problèmes,

– renforcer le rôle économique etsocial du ministère, tant dans l’ac-tion auprès des entreprises quedans le développement local ou lacohésion sociale,

– porter les intérêts français auniveau européen et international :renforcement de la performancedans les négociations, soutien àl’ingénierie privée, meilleure maî-trise des mécanismes mis en œuvrepar les institutions communautaires,

– imaginer la territorialité de demainet les partenariats avec les collecti-vités locales : s’adapter à la diver-sité des territoires et à la variété desproblèmes, accompagner l’émer-

gence des territoires, apporter descompétences,

– affirmer le rôle de l’État dans l’amé-nagement et l’environnement : arti-culation des échelles supra-natio-nales, nationales et infra-nationales,articulation d’enjeux différents quidoivent être conciliés, rôle de média-tion, d’animateur, de catalyseur,

– renforcer notre présence au niveaurégional et en milieu urbain pour réa-liser les avancées nécessaires sur l’in-termodalité et celui de la planifica-tion stratégique, création de pôlesde compétences aménagement-trans-port, réinvestissement sur l’urbain,

– élaborer une politique globale destransports, où l’État doit coordonnerdes opérateurs de transport d’unetrès grande diversité, de façon à ceque l’usager dispose d’un serviceharmonisé aux meilleurs conditionsde qualité et de prix,

– développer la politique nationaledes routes : en énoncer d’abord lecontenu, pour l’ensemble du réseau,animer la communauté routière,rendre efficaces les rapports de par-tenariat avec les collectivités locales.

• En second lieu, trois éléments quiressortent, eux, des travaux, annon-cent une réorientation de la pers-pective stratégique du ministère :

– “l’évolution du ministère ne peutêtre “au fil de l’eau“ : trop de trans-formations radicales semblentnécessaires pour qu’elles puissentse produire “naturellement“ sansl’expression claire d’une volontépolitique, d’objectifs précis, de mis-sions prioritaires. Il faut donc explo-rer le futur à partir de ces choixstratégiques volontaristes“79,

– de plus en plus, les attentes et lesenjeux de société s’expriment sousla forme de préoccupations glo-bales : l’environnement, la qualitéde vie, la sécurité, par exemple, quiconcernent de multiples facettes del’action publique : dimensions mul-tiples, acteurs multiples, pouvoirsmultiples. Vis-à-vis des enjeux decette nature, la question essentielleest de savoir comment le ministèrepeut contribuer, dans ses domainesde compétence, à une actionpublique partenariale, plutôt que de

78 Cf. le “Livre Bleu – Ensemble, traçons notre avenir“ –1995.79 “Élaboration des scénarios, choix des thèmes descénarios“ – le Débat – DAEI – Josée Landrieu, 28 août1994.

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raisonner une nouvelle organisationlui permettant de maîtriser l’en-semble des dimensions impliquées,

– “l’attente porte de plus en plus sur dela régulation et des services alors queles réponses sont en termes “d’ob-jets“ : d’infrastructures, de construc-tion ou d’équipements“80. Dans tousles domaines relevant du ministère, ilest constaté un glissement des attentesvers le fonctionnement, l’exploitation,la gestion.

La concrétisation des conclusions dudébat a pris la forme d’un pro-gramme d’actions définies danscinq domaines : la politique globaledes transports, la politique nationaledes routes, l’action de l’État dans l’amé-nagement et l’environnement, l’Europe,l’international et les fonctions écono-miques et sociales, la territorialité etl’organisation des services.

4. La recherche d’une nouvellestratégie à la fin des années 90

Les progrès réalisés dans la construc-tion stratégique et la prise en comptedes enjeux sont évalués en 199781.Après avoir rappelé les grands chan-gements de société où se situe l’évolu-tion du ministère – la mondialisation del’économie, la construction de l’UnionEuropéenne, la décentralisation et lamontée en puissance des préoccupa-tions d’environnement et de dévelop-

pement durable – l’évaluation part duconstat initial que “chacune des unitésdu ministère, et notamment chacunedes composantes de l’Administrationcentrale, est bien consciente des évo-lutions et réagit en adaptant au mieuxles politiques qu’elle élabore et les déci-sions qu’elle doit prendre au jour lejour. Mais, à l’échelle de l’ensembledu ministère, l’inadaptation croissantedes structures ne permet pas d’appré-hender certains problèmes globaux etd’y apporter des réponses appro-priées. Elle ne permet pas de dévelop-per des synergies possibles, d’élabo-rer des stratégies pour le long terme“.

Ainsi, ce constat montre que la prisede conscience des enjeux, et mêmele choix d’objectifs prioritaires, nesuffisent pas pour construire desstratégies ; plusieurs décalages sontévoqués dont on voit qu’ils reprennent,en réalité, des thématiques identifiéesdans les grands enjeux :

– l’incapacité de concevoir, d’affi-cher de façon convaincante et depromouvoir une politique globaledes transports pour la France, dansle cadre européen,

– la faiblesse des positions du minis-tère dans le domaine de l’urbanismeet de l’aménagement,

– l’absence d’une redéfinition clairedes responsabilités du ministère etdes méthodes d’exercice de cesresponsabilités,

80 “Grand Débat – Groupe des sages – Les relationsentre les pouvoirs publics et la société“ – Séminaire desDirecteurs d’Administration centrale – juillet 1994.81 “Les fonctions stratégiques au ministère de l’Équipe-ment, des Transports et du Logement“ – CGPC – MichelRousselot, Michel Gérard, Bertrand Lévy – 9 juillet 1997.

Encart n° 1 : Un cadre de réflexion pour le Grand Débat : les scénarios stratégiques

• Scénario A La mission de “régulateur“ devient la mission principale, quasi exclusive, du ministère ; tout ce qui peut être transféré, délégué, privatisé, l’est.

• Scénario B Le ministère se dessaisit de la gestion, de l’organisation et de la production des infrastructures routières ; il est garant de la concurrence entre les différentsmodes de transport.

• Scénario C Le ministère se concentre sur ses missions de prestataire de services ; il répond par là aux demandes des citoyens et des collectivités territoriales.

• Scénario D Le ministère se tourne vers un rôle de politique industrielle dans une économieconcurrentielle et un marché mondial ; il met au service des entreprises une forced’innovation, de recherche et d’expérimentation.

• Scénario E La mission principale du ministère est celle de “développeur économique“(emploi, développement à finalité sociale) et d’incitateur à une économiehybride entre critères sociaux et critères économiques.

• Scénario F Le ministère, placé entre l’échelon communautaire et l’échelon local, reconquiertsa force de négociation européenne ; il poursuit ainsi un enjeu de compétitiviténationale et un enjeu d’adaptation de nos valeurs de “service public“.

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– les retards et insuffisances de réac-tions face à la montée des sensibili-tés et des préoccupations concernantl’environnement et à la demande dedialogue et de participation descitoyens aux grandes décisions quiles concernent,

– le manque d’imagination pourconcevoir des mécanismes finan-ciers originaux permettant de com-penser la paupérisation de l’État,

– les difficultés pour les structures duministère à participer efficacementà la construction européenne.

En réaction au constat de ces déca-lages, pour la plupart d’ailleurs depuislongtemps identifiés, ce rapport poseexplicitement la question de reconsti-tuer au ministère des fonctionsstratégiques actuellement insuffi-santes. Les fonctions identifiées à cetitre sont celles qui pourraient consti-tuer une “filière“ d’élaboration pro-gressive et de mise en œuvre de poli-tiques publiques traitant les grandsproblèmes dans leur globalité et s’ins-crivant dans la durée. Ces fonctionssont :

– l’information statistique,– l’information géographique et géo-

statistique, – la veille technologique et la recherche

scientifique et technique,– la prospective, – l’évaluation des politiques en cours, – les analyses et études préalables

aux décisions,– les synthèses budgétaires et financières, – l’articulation du ministère avec les

instances européennes.

Avec des propositions de renforce-ment, d’actualisation et d’élargissementde ces fonctions, les conclusions del’évaluation insistent fortement sur l’ar-ticulation nécessaire des directionssectorielles et des directions trans-versales : “Il est clair que les grandsenjeux ne peuvent être maîtrisés par lesseules structures sectorielles. Déjà, undécoupage excessif empêche de poserconcrètement certains problèmes. C’estévident pour l’approche intermodaledes transports, indispensable pour pla-nifier le long terme et traiter les pro-blèmes de l’aménagement du territoire,de l’environnement…“

5. Quels enjeux aujourd’hui ?Le travail sur la construction stratégiques’est développé ces dernières annéeset on peut évoquer à ce propos lesrésultats d’un séminaire tenu en199982. Le relevé qui y est fait des“enjeux externes“ confirme les ques-tionnements récurrents sur un certainnombre de thèmes :

– la question de l’Europe et du cadreinternational,

– le bien collectif : la sécurité, la pré-vention des risques, l’environnement,

– le secteur public,– la décentralisation,– les affaires sociales,– le juridique, – le ministère (organisation, missions,

effectifs).

Un rapport aux ministres proposantdes thèmes prioritaires83 décline desenjeux voisins, mais il préconise despoints de vue qui, bien que n’étant pasréellement nouveaux, n’ont pas encoremodifié les perspectives stratégiquesdu ministère. Ainsi, par exemple :

– l’intérêt de reconnaître – en matièrede transports – la nécessité de lamaîtrise de la mobilité, “comme aété reconnue dans le passé lanécessité d’une maîtrise de l’éner-gie“ (question évoquée dans ledocument de cadrage des Schémasde services),

– l’intérêt d’adopter une démarcheparticipative dès l’amont de laconception d’un projet (ce qui jus-tifierait une réforme de l’utilitépublique),

– la mise en exergue, pour toutes lesthématiques, de la qualité de servicepour l’usager, le raisonnement à par-tir des cycles de vie, des équipementset aménagements.

Qu’en est-il, aujourd’hui, de la per-ception des enjeux par le ministère ?Elle est encore assez diverse même siquelques thèmes sont évoqués defaçon générale et permanente. Onpeut appréhender la situation à traversquelques travaux récents.

D’abord, il est certain que les der-nières lois qui modifient la gestion

82 “Séminaire Stratégie – Compte rendu deséchanges“ – 25 et 26 juin 1999 – Délégué à laModernisation et à la Déconcentration (avec la parti-cipation du Cabinet IDRH).83 “Les thèmes prioritaires de politique publique“ –Rapport aux ministres – CGPC – Cahiers 2000.

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territoriale – lois Voynet, Chevène-ment, SRU et Démocratie de proxi-mité – créent un repositionnement ducontexte de travail du ministère del’Équipement, dont tous les effetsinduits ne sont pas encore complète-ment reconnus. Une note de réflexionqui tentait d’appréhender les consé-quences de l’interaction entre les troispremières84 fait ressortir, au-delà desajustements techniques nécessaires,deux éléments importants de réorien-tation stratégique :

– le nouveau contexte impose lanécessité, pour les services décon-centrés de l’État, de construireensemble ce qui doit devenir lepoint de vue unitaire de l’État sur telou tel territoire. Cela implique doncun renforcement de l’interministéria-lité territoriale, sous l’autorité despréfets, mais cela implique aussique les services déconcentrés reçoi-vent des messages clairs et harmo-nisés des directions centrales sur lecontenu des politiques à conduire etsur les priorités relatives ;

– le mode de travail des services del’État devient clairement celui d’unedémarche de projet partagée entreles acteurs locaux, ce qui constitueune reconversion par rapport auxpratiques habituelles de planificationou de gestion de procédures. Dansce cadre, le savoir-faire à dévelop-per est un savoir-faire de mise en rap-port, d’articulation entre différenteséchelles territoriales, entre différentespolitique sectorielles, entre les enjeuxenvironnementaux, économiques etsociaux, entre l’ensemble de ces élé-ments et les dispositifs de gestion del’espace.

Autre référence de l’actualité duministère : les Xèmes rencontres natio-nales de l’Équipement qui se sonttenues en janvier 2002 sur le thèmede “Équipement Citoyen“. Évène-ment important au sein du ministère,puisque 1 525 participants s’y sontinscrits, cette manifestation était orga-nisée autour d’échanges d’expé-riences alimentant 23 ateliers. Plusque d’exploration des grands enjeuxexternes, les rencontres étaient pla-cées globalement dans la logique demodernisation, en référence auxnécessaires adaptations du service

public. C’est dans cet esprit parexemple que les questions liées à laconcertation ou aux rapports à l’usa-ger ont été abordées. Mais pour l’es-sentiel, la tonalité est restée sur leregistre des pratiques techniques“nouvelles“ à développer au minis-tère dans la continuité des champstraditionnels du travail des services.

À peu près simultanément, le ministrepubliait la Directive nationaled’Orientation85 dans le but de reca-drer les perspectives du ministère. Ily rappelle les trois enjeux qu’il consi-dère comme prioritaires – le renfor-cement de la sécurité, le dévelop-pement durable et l’efficience duservice public – et les décline ensept objectifs qui impliquent pour laplupart de mobiliser des moyens defaçon intersectorielle :

– accroissement de la sécurité destransports et des déplacements,

– mise en œuvre plus globale et plussûre d’exploitation et d’entretien duréseau routier,

– promotion d’une politique globaledes transports et des déplacements,résolument plurimodale,

– soutien affirmé au développementéquilibré des territoires (agglomé-rations, logement social),

– renforcement de la lutte contre lesexclusions,

– développement d’une action éco-nomique et sociale performante,

– construction de l’ingénierie publiquede demain.

Enfin, une note de travail établie àpartir d’une consultation de respon-sables et de personnalités dresse untableau prospectif86 assez systéma-tique des enjeux auxquels le ministèrese trouve confronté.

Ce document rappelle d’abord que desquestions récurrentes restent actuelles :la redéfinition des missions du minis-tère, en référence notamment à ladécentralisation et au processus de pri-vatisation, et la configuration nouvelledu service public en référence à l’évo-lution des rôles de l’État (réduction deses fonctions de régulateur et d’opéra-teur, renforcement des fonctions degarant et d’intervention réactive, rôle

84 “Lois Voynet, Chevènement, SRU – Trois lois dedécentralisation qui renouvellent le rôle de l’État sur lesterritoires urbains“ – Note de réflexion – Comité desDirecteurs pour le Développement Urbain – juin 2001.85 “Directive nationale d’Orientation“ – ministre de l’É-quipement, des Transports et du Logement – 15 février2001.86 “Prospective et avenir de l’Équipement. Synthèse dela consultation lancée par la DRAST, François Perdri-zet, janvier 2002.

82

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83

En conclusion de ce panorama d’unevingtaine d’années, on peut tenter dedégager quelques remarques géné-rales sur la manière dont le ministèrea conduit sa propre évolution.

Il faut d’abord noter que, si la décen-tralisation a provoqué une rupturestructurelle d’avec la période précé-dente, elle n’a pas été le seul facteur detransformation. Cependant, durant ladécennie 1980, c’est l’adaptation aunouveau contexte de la décentralisa-tion et de la déconcentration associée

(comportant notamment la réductiondes effectifs) qui a été le moteur prin-cipal des transformations internes. Tou-chant essentiellement l’organisation etle fonctionnement des services décon-centrés, l’adaptation du ministère, por-tée par le projet de modernisation, aconsisté essentiellement en un change-ment de posture, d’une administrationde décision à des fonctions de presta-tion de service. En même temps, desmodifications de structure se sont pro-duites en réaction – surtout défen-sives – aux dispositions législatives et à

de partenaire). Il s’interroge sur la spé-cificité française qui associe servicepublic et prestation de service, fonctionrégalienne et fonction d’opérateur.

Quant aux grands enjeux, il fautcompter avec la demande sociale quis’exprime en matière de sécurité danstous les domaines et avec le renforce-ment probable de la décentralisationet de la déconcentration. Mais les fac-teurs de transformation les plus struc-turels seront sans doute autres. Parexemple, pour l’avenir, la poursuitede la construction européenne et lamondialisation de l’économie sontporteurs de transformations plus déter-minantes que la poursuite de la décen-tralisation nationale. Par exempleencore, le courant qui s’est maintenantimposé sous la thématique du déve-loppement durable impliquera pour leministère de savoir sous quel angleaborder l’économique et surtout lesocial, de savoir en faire l’intégrationavec les approches aménagement etenvironnement, de modifier structurel-lement son rapport aux citoyens et auxpartenaires dans la concertation. D’autres types d’enjeux résultentd’une nouvelle problématique parrapport à des questions appréhen-dées depuis longtemps. L’exemplecaractéristique d’un tel repositionne-ment est l’identification de la gou-vernance comme un enjeu straté-gique, enjeu qui synthétise desmécanismes liés à la décentralisa-tion, à la concertation, aux rapportsà l’usager, à la logique de projet,etc. et qui peut permettre d’appré-hender la nouvelle position du minis-

tère de façon plus globale que parles seules adaptations sectorielles deses pratiques techniques.

Cette note de réflexion conclut que,par rapport à une vision prospectivedes enjeux, la logique de moderni-sation et d’adaptation ne sera sansdoute pas suffisante car certainesvaleurs culturelles de référence duministère ne sont plus adaptées.L’état de la démographie des agents,qui annonce un renouvellement signi-ficatif des effectifs, pourrait facilitercette transformation, si toutefois leministère rétablit son attractivité sur lemarché de l’emploi.

Pour résumer à grands traits lebalayage auquel on s’est livré desquestions et enjeux qui ont mobilisé leministère, on en a récapitulé les prin-cipaux thèmes dans le tableau de lapage suivante. On y distingue (avecbien sûr des catégories plus tranchéesque ne l’est la réalité), ce qui est le faitd’interrogations récurrentes, pour laplupart encore actuelles, et ce qui aémergé de façon plus récente. Sur lapremière ligne sont portés les enjeuxqui touchent aux positions de fond duministère, à des remises en cause parles grands courants de transformationde la société et des institutions ; ladeuxième ligne correspond à des tra-ductions faites au niveau d’objectifsde reconfiguration de l’action duministère ; la dernière ligne reprenddes formulations exprimant desenjeux d’adaptation dans le champde l’organisation et des conduitestechniques.

V. CONCLUSION

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• Légitimité, rôles de l’État • Nature du Service Public • Effacement de la séparation(à la française) de l’urbain et du rural

• Redéfinition • Europe • Gouvernancedes missions • Dérégulation, • Importance du fonctionnementdu ministère privatisation de la gestion, de l’exploitation de l’Équipement, • Mondialisation par rapport à l’investissementson “utilité“ • Prise en compte • Nouveaux rapportspublique des dimensions public/privé,

économiques et sociales l’économie hybride• Le service à l’usager (Développement durable)

comme référence

• Financement de l’action • Émergence • Débat public, publique et disponibilité des Territoires locaux démocratie de proximitédes moyens • Articulation • Maîtrise de la mobilité,

• Maintien de la compétence des échelles territoriales politique globale de transportstechnique • Intermodalité des transports • Le mode contractuel

• Valorisation de l’atout • Risque, sécurité, comme principe de la présence territoriale responsabilité pour l’action publique

• Prise en compte • La démarche participative,de l’environnement le partenariat

• Équilibre du territoire • Pertinence des champs • Lutte contre l’exclusion des compétences

et savoir faire traditionnels

• Compétitivité, performance • Interdirections, • Réflexion amont, professionnalisme, intersectorialité, prospective,

• Adaptation de l’Ingénierie interministérialité capacité stratégiquePublique • Concertation, • Démarche de projet

information, • Relance de la planificationécoute des citoyens • L’État territorial :

• Réinvestissement unicité de son point de vuedu champ urbain • Démographie

• Articulation entre services et renouvellementcentraux et services du personneldéconcentrés

Tableau n° 1 : Évolution et permanence des enjeux du ministère

QUESTIONS QUESTIONS QUESTIONSET ENJEUX RÉCURRENTS ET ENJEUX RÉCURRENTS ET ENJEUX

LIÉS À LA DÉCENTRALISATION LIÉS À D’AUTRES ÉVOLUTIONS PEU ABORDÉS OU ÉMERGENTS

Priorités

d’action

du

ministère

Modes

de

fonctionnement

et

outils

techniques

du ministère

Grands

principes

d’organisation

du

ministère

84

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85

la pression locale des collectivités. Uneconséquence importante par rapportà la culture antérieure du ministère aété d’opter pour une adaptation localede l’organisation des services décon-centrés, introduisant ainsi structurelle-ment la diversité territoriale.

Ainsi, au début des années 1990,“l’outil“ que constituaient les servicesdéconcentrés s’était globalementadapté, tant dans leur organisationque dans leur pratique profession-nelle. On peut d’ailleurs noter que, enfin de compte, les métiers et les valeursde référence ont pendant cettepériode conservé une assez grandestabilité, même si les conditions deleur exercice se sont beaucoup modi-fiées. Mais il est net que l’évolution decette première période a touché sur-tout les modalités opératoires plusqu’elle n’a modifié la position duministère par rapport aux enjeux desociété. C’est ce que remarque PatriceDuran87 : “… ce qui est caractéristiqueen fait est la faible capacité de l’É-quipement à maintenant peser sur sonenvironnement et à le structurer. Dece point de vue, les stratégies déve-loppées ont été essentiellement réac-tives, axées davantage sur larecherche d’une meilleure opération-nalisation des actions de base etd’une bonne adaptation à leurcontexte local que sur la rechercheactive de nouvelles compétences et denouvelles missions permettant unereconfiguration d’ensemble du servicepublic“.

Les services extérieurs se trouvantainsi, sinon dans la sérénité, du moinsdans des rapports à peu près régulésavec leur environnement local, ledébut des années 1990 va marquer ledébut d’une nouvelle quête du minis-tère, à un autre niveau, pour répondreà une incertitude et à une insatisfac-tion fortes quant aux enjeux à pour-suivre : donc plus des questions decontenu et de position dans le systèmepolitique et social que des questionsde performances ou de pratiques pro-fessionnelles ; du moins les secondesétaient analysées comme dépen-dantes des choix des premières. C’estaussi la période, dix ans après ladécentralisation, d’évènements quiprovoqueront des ébranlements très

importants ; 1992, c’est en effet l’an-née du Traité de Maastricht et celledu Sommet de la Terre sur l’Environ-nement et le Développement à Rio.Sur le plan interne, jusqu’en 1995, lesdémarches de réflexion vont se multi-plier pour chercher à appréhenderl’avenir du ministère.

Indépendamment des questions quirestructurent le paysage sur lequels’exercent les activités du ministère –développement durable, montée enpuissance des collectivités territo-riales, impact des décisions commu-nautaires, intensité des problèmessociaux et d’emploi, engagementdes élus dans des stratégies de déve-loppement… – celui-ci est directe-ment confronté à des remises encause de bases sur lesquelles il repo-sait. En effet, il est soumis :

– à la perte d’un monopole qu’ilavait de savoir-faire et, plus glo-balement, à une mise en cause dela primauté de la technique ainsiqu’à l’émergence de compétencesqui lui échappent pour intervenirdans ses domaines traditionnels,

– à la disparition de sa légitimité “dedroit“ qui était liée à ce qu’il repré-sentait l’intérêt général ; la force decelui-ci s’atténue, il se partage ende multiples intérêts publics ou col-lectifs qui se combinent dans lanégociation,

– à la transformation des pratiquesinstitutionnelles et sociales qui, pro-gressivement, imposent le portagecollectif des projets, mettant fin àla pertinence de la décision d’unseul acteur.

Parallèlement, sur le plan interne, ilapparaît que les rapports entre leniveau central et les services décon-centrés doivent changer de nature,car les rôles respectifs de l’un et desautres ne peuvent plus s’analyserdans un partage de la même mis-sion, et qu’ils s’insèrent désormaisdans des logiques spécifiques.

Toutes ces questions – déformationsdu contexte, émergence de nouveauxenjeux – ont été abondamment iden-tifiées et analysées au cours de ladécennie 1990 sans pour autantaboutir à des réajustements qui aient

87 “L’Équipement, une administration de gestion enrecherche de mission“ – Patrice Duran – Annales desPonts et Chaussées n° 99 – 2001.

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pu être considérés comme adéquats etsatisfaisants. Peut-être cette difficulté àdéboucher sur des solutions opéra-tionnelles, à “passer à l’acte“ enquelque sorte, est-elle venue – au-delàde la réelle complexité des choses –de ce que l’approche semble être res-tée sur le registre du “réactif“, de“l’adaptation“ alors que la nature etl’ampleur des transformations externes

mettaient en cause les logiques struc-turelles de l’établissement. En effet, laquestion est autant posée de modifierle mode de pensée et de savoir tra-vailler à travers les frontières (interneset externes) du ministère que de tra-duire dans les outils ou les logiquestechniques les exigences induites parles nouveaux enjeux.

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Partie III

QUELLES PERSPECTIVES DE RENFORCEMENT

DE LA DÉCENTRALISATION

Jean-Claude Nemery

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Définir les perspectives d’évolution dela décentralisation dans le contextedes nouveaux défis du XXIè siècle est unexercice pour lequel beaucoup decompétences intellectuelles, adminis-tratives, politiques, scientifiques se sontmobilisées, produisant des documentsd’analyse aussi riches que variés1. Lesbilans concernant les vingt annéesd’application de la réforme de ladécentralisation engagée par la loiDefferre du 2 mars 1982 ont étéautant d’occasions de se projeter dansl’avenir dans un contexte européen etmondial radicalement différent.

Deux importants rapports, l’un com-mandé par le gouvernement (rapportMauroy), l’autre par le Sénat (rap-port Delevoye-Mercier) ouvrent parun ensemble de propositions large etdiversifié le débat national sur l’ap-profondissement de la décentralisa-tion à l’échéance 2010-2020.Dans le court terme, un large train deréformes législatives engagées depuis1999 conduit à réviser en profondeurl’architecture organisationnelle du ter-ritoire français. L’ampleur de la miseen œuvre de ces réformes en grandepartie volontaristes, est une premièremesure du potentiel d’évolution de ladécentralisation.

Le vote par le Parlement en février2002 de la loi sur la démocratie deproximité témoigne de l’activité légis-lative du processus de décentralisation.Dans le contexte des échéances élec-torales présidentielles et législatives de2002, de nombreux ouvrages, pro-grammes politiques et projets diversont consacré une place importante àl’étude de l’approfondissement de ladécentralisation liée très souvent à la

réforme de l’État. Un regard sur cescontributions pourtant hétérogènes estriche d’enseignements.L’analyse de cet ensemble de maté-riaux nous conduit à dégager troisperspectives possibles d’évolution dela décentralisation au cours des deuxprochaines décennies2 :

– Une perspective basse : la décen-tralisation évolue vers l’applicationpure et simple des réformes légis-latives engagées.

– Une perspective d’approfondisse-ment de la décentralisation partransfert de nouvelles compétencesde l’État vers les collectivités terri-toriales mais sans remise en causedu modèle existant.

– Une perspective de mutation pro-fonde de l’architecture institution-nelle de la France avec un recen-trage fort des pouvoirs de décisionautour du macro-local, du macro-régional et de l’Union européenne.

Dans ces trois hypothèses, l’organi-sation de l’État, des administrationscentrales et déconcentrées est direc-tement concernée par le processusde décentralisation3.La place des grands corps de l’Étatdans l’action publique impose alorsun recentrage, la définition de nou-velles stratégies.Si l’État est appelé à déléguer unetrès large capacité de gouvernance,son rôle devient alors un rôle d’ac-compagnateur, de régulateur.

Dans ces trois perspectives envisa-geables, il s’agit autant d’uneréforme de la décentralisation qued’une réforme de l’État et des mis-sions des grands corps qui l’animent.

PARTIE III :QUELLES PERSPECTIVES DE RENFORCEMENT

DE LA DÉCENTRALISATION ?Jean-Claude Nemery

1 J.-C. Nemery (dir.), Quelle administration territo-riale pour le XXIème siècle en France dans l’Union euro-péenne ? Préf. F. Grosrichard, L’Harmattan, Coll.Administration et aménagement du territoire, mai2001, 311 p.– DATAR, Pour en finir avec la décentralisation,ouvrage collectif, ed. de l’Aube, 2002, 223 p.– DRAST.DATAR, Repenser le territoire, un diction-naire critique, Ed. de l’Aube, 2000, 285 p.2 Il s’agit dans la présente étude de dégager desimples perspectives tendancielles et non pas desschémas stratégiques au sens scientifique. Sur ce sujetvoir : M. Godet, Sept idées clés pour faire de la pros-pective. Guide DATAR, Prospective et territoire, 1992,p. 28. 3 Cf. DRAST “Prospective et Avenir de l’Équipement”,32 p. dact., janvier 2002.

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I. LES PERSPECTIVES DÉCENTRALISATRICES DANS LES RAPPORTS “MAUROY” ET “DELEVOYE-MERCIER”

1. Le rapport de la Commission Mauroy

Le rapport “Refonder l’actionpublique locale” établi par la Com-mission pour l’avenir de la décentra-lisation présidée par M. Pierre Mau-roy, fait partie de la lignée desrapports importants qui ont précédéet jalonné la mise en œuvre desréformes décentralisatrices4.Il faut citer le rapport “Peyrefitte” en19755, le rapport “Vivre ensemble”en 1976 de la Commission présidéepar O. Guichard6 et le rapport“Auber” en 1978 faisant suite à laconsultation des Maires de France7.De nombreux autres rapports, souventd’origine parlementaire, ont étépubliés à partir de 1982. Mais il fautattendre l’année 2000 pour voir pro-duire le grand rapport d’orientationde la Commission Mauroy.

C’est par une lettre de mission datéedu 19 octobre 1999 que le Premierministre, Lionel Jospin a confié àM. Pierre Mauroy, ancien Premierministre, alors sénateur-maire deLille, le soin de débattre “des pers-pectives nouvelles d’évolution de ladécentralisation”.

Le Premier ministre rappelle dans salettre les acquis législatifs de ladécentralisation en évoquant les loisde 1982-1983 présentées par Gas-ton Defferre et les lois toutes récentessur, d’une part, “l’aménagement etle développement durable du terri-toire” du 25 juin 1999 (Loi Voynet)et, d’autre part, sur “le renforcementde la coopération intercommunale”du 12 juillet 1999 présentée par leministre de l’Intérieur M. Jean-PierreChevènement.

Plus qu’un aboutissement, le Premierministre souligne que ces nouveauxtextes législatifs doivent inciter laNation à relever les défis concernantautant les collectivités locales que l’É-tat. Dans cette perspective, il a donc

décidé d’instituer une commission plu-raliste chargée dans un premiertemps d’établir un bilan de la décen-tralisation réalisée par les lois de1982-1983 et dans un second tempsde formuler des propositions pourrendre la décentralisation “plus légi-time, plus efficace, plus solidaire”, cequi implique pour le Premier ministreune participation accrue des citoyensà la démocratie locale, une plusgrande responsabilité des collectivi-tés locales en matière fiscale, une cla-rification des relations contractuellesentre l’État et les collectivités locales,le renforcement des coopérations, lamise en place de mécanisme de péré-quation pour éviter que la décentrali-sation ne conduise à un développe-ment inégal des territoires8.

La composition de la commission tra-duit la volonté du Premier ministre d’as-socier tous les courants politiques,toutes les principales associationsd’élus locaux et toutes les personnali-tés spécialisées sur les questions de ladécentralisation. Le rapporteur géné-ral, M. Rémy Schwartz, maître desrequêtes au Conseil d’État, a étéchargé de la synthèse des travaux dela Commission.

Les travaux de la Commission ontconduit à l’audition de nombreusespersonnalités.Le rapport a été adopté par la Com-mission le 11 octobre 2000 dans lerespect du calendrier fixé par le Pre-mier ministre. Il comprend une listede 154 propositions regroupéesautour de deux axes fondamentaux :

1. Réorganiser les territoires et les com-pétences au profit des citoyens ;

2. Assurer la qualité et la transparencede la décision locale.

Cet ensemble de propositions a sus-cité un important débat sur unedeuxième grande phase de décentra-lisation à engager à partir de 2001 etsur la redéfinition de l’organisationterritoriale de la France.

4 Rapport au Premier ministre de la Commission PierreMauroy “ Refonder l’action publique locale ”, Doc.Fr., novembre 2000.5 Rapports d’enquêtes de MM Crozier, Thœnig, O.Gélinier, E. Sultan présentés pour A. Peyrefitte “Décen-tralisation des responsabilités, pourquoi, comment ?”,Doc. Fr., 1976.6 Rapport “ Vivre ensemble ” de la Commission Gui-chard, Doc. Fr., 1976.7 Sur l’analyse de ces rapports cf. J.C. Nemery “De laliberté des communes dans l’aménagement du territoire”,LGDJ, Bibliothèque de droit public, 1981, 384 p.8 La loi du 28 février 2002 relative à la démocratie deproximité a rempli le premier objectif d’une participa-tion accrue du citoyen à la démocratie locale. Cf. J.-C.Hélin et R. Hostiou, Participation, décentralisation etdéconcentration : une nouvelle donne en matière degrands projets. AJDA, avril 2002, p. 291 et s.

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Réorganiser les territoires et les compétences au profit des citoyens

La première partie du rapport portesur la réorganisation des territoireset la clarification des compétencesau profit des citoyens.

• La réorganisation des territoiresLes auteurs des rapports soulignentla nécessité de réorganiser des terri-toires de telle sorte que ceux-ci soientplus dynamiques et plus pertinents.Ils soulignent leur volonté de dépas-ser “l’exception française” et depoursuivre la “révolution intercom-munale”. Autant d’expressions fortesutilisées pour réaffirmer les difficultésnées de l’émiettement communal etaccélérer la mise en place de struc-tures intercommunales fortes dotéesnotamment de la capacité de leverl’impôt local et de percevoir une taxeprofessionnelle unique.Cet engagement vers une réforme enprofondeur du rôle des communes,échelon de base de l’administration ter-ritoriale décentralisée française, s’ac-compagne d’une déclaration rassu-rante sur le maintien de l’existence deces dernières : “La Commission a mar-qué son attachement au modèle fran-çais d’organisation institutionnelle”.Ces objectifs contradictoires ne sontpas de nature à faire progresser defaçon ouverte et claire, la placeréelle que les communes devrontoccuper dans l’avenir au sein du sys-tème décentralisé français.

La commission constate avec justesseque la coopération intercommunaleest un mouvement ancien et continuqui vient de prendre une ampleurnouvelle avec les lois du 12 juillet1999 sur la simplification et le ren-forcement de la coopération inter-communale et du 25 juin 1999 surl’aménagement du territoire et ledéveloppement durable9.

La loi du 12 juillet 1999 a organisél’intercommunalité à fiscalité propreautour de trois formes : les commu-nautés de communes, les communautésd’agglomérations au-delà de 50 000habitants et les communautés urbainesau-delà de 500 000 habitants.Elle a favorisé la perception, par cesintercommunalités, d’une ressource

fiscale qui leur est exclusivementaffectée, la taxe professionnelle dontle taux est dès lors uniforme sur l’en-semble du territoire intercommunal.

Une première étude générale de l’ap-plication de cette réforme dans 18régions françaises a été réalisée parles équipes du GRALE à la demandedu ministère de l’Intérieur et de la Direc-tion générale des collectivités locales10.

Les résultats de cette étude corroborentles analyses de la commission Mauroyconcernant l’échelon communal. La loidu 12 juillet 1999 n’est certainementqu’une étape dans la restructurationprogressive du système communal fran-çais. En termes de perspectives, lacommission prévoit qu’à long terme(dix à quinze ans), la France, compo-sée à l’origine de plus de 36 000 com-munes, pourrait être organisée “autourde 3 500 communautés de communes,130 communautés d’agglomération et20 communautés urbaines”.

Les statistiques actuelles confirmentl’accélération du processus dedéveloppement de l’intercommu-nalité en milieu urbain. Plus de 90communautés d’agglomération ontété créées ou sont en cours de créa-tion ou de transformation depuisdeux années11. Ce qui signifie queles deux tiers des 140 aires urbainesfrançaises de plus de 50 000 habi-tants sont désormais organisées encommunautés d’agglomération.

De ce point de vue, le rapport Mauroyest plus un constat qu’une prospectived’avenir. Il laisse en suspens laquestion de l’avenir réel des com-munes au sein de ces nouvellesentités.Ainsi malgré la réaffirmation de l’atta-chement des Français à l’échelon com-munal rappelé par le Premier ministrelors du débat à l’Assemblée nationaledu 17 janvier 2001, aucune perspec-tive nouvelle ne pourrait être prise encompte pour définir le nouveau statutcommunal après cette rénovation desinstitutions locales.

Il est exact que cette nouvelle inter-communalité tant rurale qu’urbaineimplique des degrés d’intégration com-munale qui, pour l’instant, restent à défi-

9 Cf. Y. Jégouzo, Décentralisation : réforme en coursde la loi Chevènement à la loi de démocratie de proxi-mité. AJDA, avril 2002, p. 281 et s.10 ministère de l’Intérieur, Centre d’études et de pré-vision. Les premiers mois d’application de la loi du 12juillet 1999 sur l’intercommunalité. Paris juillet 2000 ;Groupement de recherches sur l’administration localeen Europe, GRALE-GIS CNRS.11 Cf. revue “Intercommunalités” n° 43 février 2001.

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nir quantitativement et qualitativement.Le droit à l’expérimentation a d’ailleursété présenté comme le meilleur moyende tester les délégations de compé-tences ainsi que les transferts de com-pétences.Après ces premières réflexions, lacommission présente plusieurs pro-positions. Parmi les plus significativesil faut noter :

– la généralisation de l’intercommu-nalité à fiscalité propre àl’échéance de 2007 ;

– la signature de contrats territoriauxd’application des contrats de planÉtats-régions aux intercommunalitésà fiscalité propre (il faut noter que lacommission ne mentionne pas à cestade le cas du “pays” pourtant iden-tifié comme tel dans la loi du 25 juin1999 sur l’aménagement du terri-toire et le développement durable) ;

– la simplification du paysage inter-communal par la disparition dessyndicats ;

– la création de syndicats mixtespour faciliter le pilotage des grandsprojets ;

– la reconnaissance de l’échelonintercommunal par le suffrage uni-versel en proposant en 2009 l’élec-tion des conseillers des intercom-munalités à fiscalité propre ausuffrage universel direct.

Nous reviendrons sur ces proposi-tions qui visent à rendre plus légitimela représentation des populations ausein des institutions intercommunales.

• En ce qui concerne le niveaudépartemental, la commission sou-ligne que le département “resteirremplaçable” en matière d’actionde proximité, notamment dans ledomaine social, culturel et des équi-pements, tout en proposant qu’il doitêtre réformé rapidement et fortementnotamment par une révision du moded’élection et de renouvellement desconseillers généraux.La suppression du département n’estpas demandée comme l’auraient sou-haité certains mais les propositionstendant à faire de la région un pôlemajeur de la décentralisation ont pourconséquences indirectes de minorerconsidérablement les pouvoirs de lacollectivité départementale.

“Faire émerger un pouvoir régionalfort” paraît être un des axes majeursdes conclusions du rapport Mauroy.

• La région pôle majeur de la décentralisation

Pour la commission, la réorganisationdes territoires passe par la nécessitéde faire émerger un pouvoir régionalfort : “contestée en 1982, entravéepar un mode de scrutin inadapté, larégion catalyse cependant les attentesdes citoyens”.Dans ce sens, la commission souhaitequ’un nouveau mode de scrutin régio-nal soit applicable dès 2002 pourpermettre l’apparition de majoritésrégionales plus claires.Les régions françaises souffrent d’undécoupage territorial qui doit plus,selon les rapporteurs, aux circons-tances historiques qu’à une véritablerationalité. L’idée de redéfinir des grandesrégions a suscité de longs débats ausein de la commission, sans qu’unemajorité de membres ne soit engagéedans une telle proposition.L’objectif a donc été de développerdes formules de coopérations interré-gionales plus fortes et plus vigoureuses.Ces propositions de réorganisationdes territoires sont complétées pardes propositions concernant la répar-tition des compétences entre l’État etles collectivités territoriales.

Des compétences clarifiéesLa commission souligne la nécessitéde mettre en œuvre avec conviction leprincipe de subsidiarité. À cette fin,elle propose de nouveaux transfertsde compétences :

– à la région la construction des uni-versités, la plénitude des moyensen matière de formation profes-sionnelle, les transports ferro-viaires, les aides au logement ter-ritorialisables, les aides aux petiteset moyennes entreprises :

– au département la santé, l’entretiende l’ensemble du réseau routier àl’exception des autoroutes.

– aux communes et aux intercommu-nalités des compétences chargées enmatière d’intervention économique,d’aide sociale et d’environnement.

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Sans que soit remise en cause l’inter-diction de principe de toute tutelle d’unecollectivité sur l’autre, la commissionpréconise de développer la notion de“collectivités, chefs de file” pour la miseen œuvre de projets précis.

Les possibilités de délégation parconvention des compétences d’unecollectivité à une autre devraient êtreélargies.

C’est donc vers une répartition soupledes pouvoirs que s’oriente la com-mission en confiant aux collectivitésterritoriales les compétences et les ser-vices publics de proximité et en spé-cialisant l’État dans ses missions réga-liennes et dans des compétences liéesaux impératifs de solidarité et decohérence nationales.

Le second axe majeur du rapport viseà assurer la qualité et la transparencede la décision locale.

Qualité et transparence de la décision localeLa qualité et la transparence de ladécision locale exigent pour la com-mission un renforcement de la démo-cratie de proximité, un meilleur accèsdes citoyens aux fonctions électives,une meilleure sécurité juridique etune adaptation de la fonctionpublique territoriale.

• Renforcer la démocratie de proximité

La commission souligne la nécessitéde repenser la participation ducitoyen dans la vie publique localeen fonction de l’émergence de nou-veaux territoires et de l’accroissementdes compétences des collectivités12.

Ainsi, toute une série de propositionsont pour objet d’améliorer la partici-pation des citoyens à la vie locale parune meilleure information des habi-tants et une plus grande concentrationsur les projets d’intérêt général. L’élar-gissement des règles de non cumul desmandats est présenté comme le moyende permettre une plus grande rotationdémocratique, la simplification et l’har-monisation des modes de scrutin,indispensables à la modernisation dela vie politique. La commission se pro-

nonce pour la réduction du mandatsénatorial de neuf à six ans et de l’élar-gissement du droit de vote aux habi-tants de nationalité étrangère dans lesélections locales.

• Démocratiser l’accès aux fonctions électives

La commission relève que l’ensembledes 512 324 élus locaux doiventêtre concernés par la redéfinitiond’un véritable statut de l’élu. Il nes’agit pas de professionnaliser la viepolitique, “mais de donner à plus decitoyens des moyens matériels etfinanciers d’exercer un mandatd’élu”. Dans ce contexte, il est éga-lement urgent de clarifier la respon-sabilité des élus et de mieux redéfinirles risques encourus.

Dans les collectivités d’une certaineimportance, il apparaît nécessaire demettre en place des “agents civiquesterritoriaux” rémunérés directementpar la collectivité et bénéficiant d’unrégime de retraite et d’un maintien deleur rémunération pendant six mois encas de perte de leur mandat électif.

• Adapter la fonction publiqueterritoriale aux exigences de la décentralisation

Adapter ou réformer la fonctionpublique territoriale pour donner auxcollectivités territoriales les moyenshumains nécessaires à une bonnegestion publique ?

Les deux termes sont utilisés dans lerapport, ce qui démontre les hésita-tions de la commission sur un sujetpourtant d’une extrême importancepour l’évolution de la décentralisation.Le recrutement de nouveaux person-nels, notamment des cadres, sera undéfi majeur dans l’avenir du faitd’une concurrence beaucoup plusmarquée avec le secteur privé :

– l’évolution des effectifs des person-nels territoriaux d’ici à 2020montre que les collectivités vont êtreconfrontées à des départs massifsà la retraite13.

– 45 % des fonctionnaires territoriauxcesseront leur activités d’ici 2015et 65 % d’ici 2020. Ces départsmassifs et nombreux affecteront enparticulier les fonctionnaires de res-ponsabilité de catégorie A et A+.

12 Cf. la loi du 28 février 2002 relative à la démo-cratie de proximité.13 C.N.F.P.T. Repère statistiques, évolution des effec-tifs de la territoriale d’ici 2020. Oct. 2000

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Cette perspective incontournable estd’autant plus inquiétante que les fonc-tionnaires des catégories A sont déjàtrop peu nombreux dans les collectivitésterritoriales14 .Pour améliorer les conditions de recru-tement des agents territoriaux, la com-mission propose plusieurs mesuresimportantes :

– organiser dans la mesure du pos-sible des concours sur titre et nonsur des épreuves écrites,

– mettre en place des concours sur titredans les filières techniques, socialeset culturelles lorsque la possessiond’un diplôme d’État permet déjà lareconnaissance des qualifications,

– organiser l’accès aux emplois decatégorie A par des troisièmes con-cours ouverts aux agents contrac-tuels de droit public justifiant d’uneexpérience confirmée, avec unreclassement correspondant,

– supprimer les seuils démogra-phiques pour le recrutement despersonnels.

La commission demande égalementque soient clarifiées les différentesmissions du CNFPT et que soit éva-luée avec précision la finalité des for-mations qu’il dispense. Cela signifieune séparation comptable des tâchesde gestion et de formation du CNFPT.

Sur cette question la commissionconclut sur la nécessité de poursuivrele rapprochement des formationsdes fonctionnaires d’État et desfonctionnaires territoriaux. Cetteconclusion apparaît en totale contra-diction avec l’affirmation affichéedans le rapport de développer lesspécificités de la fonction publiqueterritoriale. Comment en pratiquedévelopper cette spécificité si lesfonctionnaires territoriaux sont for-més dans les mêmes conditions queles fonctionnaires de l’État ?

• Refondre les finances localesLe rapport s’achève sur le plaidoyerclassique en faveur de la moderni-sation des financements locaux. Lacommission unanime reconnaît queles finances locales présentent deplus en plus de défauts tant en termesde justice sociale qu’en termes decontrôle démocratique.

L’heure n’est plus, soulignent les rap-porteurs, à une correction marginaledu dispositif mais plutôt à “une remiseà plat totale” du mode de financementdes collectivités territoriales, articuléeautour de trois principes : autonomiefiscale, responsabilisation de l’élu vis-à-vis de l’électeur et régulation par l’Étatd’un système inégalitaire grâce à unepolitique de péréquation ambitieuse.

Le ministère de l’Équipementdans le rapport MauroyPlusieurs grands domaines d’inter-vention du ministère de l’Équipementfont l’objet de propositions de décen-tralisation accrue pour mieux identi-fier les responsabilités de chaqueacteur public et clarifier les compé-tences en matière de développementet d’infrastructure.

Ainsi les auteurs du rapport souli-gnent que les communes sont théori-quement compétentes en matièred’habitat social mais leur rôle estamputé, l’État gardant la maîtrisefinancière des aides au logement.

S’il est logique que les aides person-nalisées au logement ou les prêts àtaux zéro restent du ressort de l’État,les aides localisables (PLA, PALU-LOS, PLI) doivent par contre pouvoirêtre attribuées par la région aprèsconsultation des collectivités concer-nées. La commission souhaite aussireconnaître un rôle plus importantaux intercommunalités et transférerles contingents de logements sociauxdes préfets aux intercommunalités.

Dans le domaine des infrastructures,des régions seront investies totalementdes services de transport ferroviaireshors grandes lignes, des équipementsmultimodaux et aéroportuaires, desports non autonomes d’intérêt régional.Les ports de commerce d’intérêt localseront confiés aux départements et lesports de plaisance aux communes.

Le rapport propose une participationaccrue des collectivités territoriales àl’entretien du réseau routier. Il part duconstat du désengagement financier del’État dans le domaine routier. Leréseau national ne représente plus que4 % de la longueur totale du réseau

14 Cf. Rapport du Conseil économique et social pré-senté par M. Rognard : La Fonction publique territo-riale, acteur de la décentralisation, de l’aménagementdu territoire et du développement local. JO.29.12.2000 n°19.

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français. En conséquence, la com-mission propose un nouveau déclas-sement des routes nationales au profitdu réseau départemental. L’État neconserverait alors que la gestion duréseau autoroutier largement concédéerappelons-le.

Ce vaste transfert de l’aménage-ment et de l’entretien du réseauroutier national aux départementsdoit s’accompagner d’un transfertdes services de l’Équipement quidoivent pouvoir opter pour le statutde la fonction publique territoriale.

Pour la commission, la clarificationintervenue en matière de structureadministrative doit désormais s’ac-compagner d’une clarification enmatière de gestion des personnels.Une telle conception implique unemodification en profondeur du rôle duministère de l’Équipement et de ses ser-vices extérieurs. Ceux-ci perdraient, auprofit des collectivités territoriales, lamajeure partie de leurs missions opé-rationnelles. Le ministère, services cen-traux et services extérieurs, devrait alorsse positionner comme une autorité d’im-pulsion, de régulation laissant aux col-lectivités décentralisées et au secteurprivé le soin d’engager les missionsopérationnelles. Le corps des Ponts-et-Chaussées et les corps techniques nepourraient plus dans ce cas exister sousla forme de leur modèle traditionnel.

2) Le rapport Delevoye-Mercier(Sénat) et les perspectivesd’évolution de ladécentralisation

Moins connu que le rapport de la Com-mission Mauroy, le rapport d’informa-tion du Sénat chargé de dresser le bilande la décentralisation rédigé par unemission d’information présidée parJean-Paul Delevoye comprend, sous laplume de son rapporteur M. Mercier,une série de propositions de nature àfaciliter l’exercice des compétenceslocales15.

La mission d’information présente enintroduction de son imposant rapportplusieurs constats fondamentaux sou-lignant “les menaces qui planent surla décentralisation”.

La mission constate la complexité dupaysage institutionnel local “en par-ticulier parce que l’État n’a pasencore tiré toutes les conséquencesde la décentralisation”. L’organisa-tion administrative locale est cepen-dant en pleine évolution sous l’effetde la réforme de l’intercommunalité.

La mission constate également que lalogique initiale de la décentralisation,fondée sur une répartition des compé-tences par blocs a été perdue de vue.À la clarification des compétences s’estsubstituée une autre logique, celle dela cogestion avec pour conséquence lamultiplication des partenariats soustoutes les formes possibles.

La mission s’inquiète de l’inadéqua-tion des moyens à la disposition descollectivités locales notamment pourles moyens en personnel et les moyensfinanciers.

Ce triple constat conduit les auteursdu rapport à souhaiter construire uneRépublique territoriale rénovée.Cela passe pour eux :

• par la définition d’un nouveaucontrat de confiance avec l’État,

• par une clarification des compé-tences dans le sens d’une décen-tralisation renforcée,

• par des moyens humains mieuxadaptés et des marges demanœuvres financières préservées,le principe de la libre administra-tion des collectivités locales étantmieux garanti.

En conclusion principale, les sénateurssoulignent “qu’après l’étape qui a per-mis de passer de l’État jacobin à unÉtat décentralisé, doit émerger un Étatpartenarial dans le cadre d’uneRépublique territoriale fondée sur letriptyque liberté d’initiative – diver-sité – responsabilité des collectivitésterritoriales”.Le contenu du rapport reprend dansle détail les analyses concernant cesdifférents constats.L’État : un acteur essentiel qui n’a pasencore intégré la logique de la décen-tralisation. Son rôle reste ambigu caril est à la fois contrôleur et acteur dela vie locale. Il n’a pas adapté sonorganisation à la décentralisation.

15 Sénat, Rapport d’information fait au nom de la mis-sion commune d’information chargée de dresser lebilan de la décentralisation et de proposer des amé-liorations de nature à faciliter l’exercice des compé-tences locales, session 1999-2000, séance du 28 juin1999, M. Mercier, rapporteur, tome 1, 660 p.

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Le partage des services ne s’est pasopéré dans de bonnes conditionsnotamment en ce qui concerne les ser-vices techniques déconcentrés de l’É-quipement16. La non-partition des direc-tions départementales de l’Équipementconcentre, pour les auteurs, tous lesdéfauts. Elle permet à l’État de resteractivement présent sur l’ensemble duterritoire en contradiction avec l’espritde la loi du 7 janvier 1983.L’État a conservé les fonctionnairesaffectés à des compétences pourtanttransférées aux collectivités territo-riales. Aucune partition de service nesemble actuellement envisagée,regrettent les sénateurs. Les compé-tences transférées n’ont à ce jourdonné lieu à aucune réorganisationdes services de l’État.

En définitive, pour la commission duSénat, la politique de partition desservices est à la fois inefficace etinachevée.Quant à la déconcentration et larestructuration des administrations ter-ritoriales de l’État, elles sont toujoursen chantier. Le rapport propose d’al-léger l’organisation territoriale de l’É-tat. Chaque fois que des compé-tences sont décentralisées, il n’est pasconforme à l’impératif d’efficacité etde bonne gestion que l’État main-tienne des services d’exécution àl’échelon local.En matière d’équipement, il est pro-posé comme dans le rapport Mau-

roy de confier au département l’en-tretien des routes nationales ainsi queles moyens nécessaires pour accom-plir cette mission. La mission d’infor-mation établit une liste de proposi-tions pour établir une Républiqueterritoriale.Plusieurs autres mesures fondamen-tales sont développées dans le rap-port Mercier :

– assouplir les contraintes statutairesde la fonction publique territorialeet affirmer la spécificité des collec-tivités locales. Cela implique derespecter la liberté de recrutementet de gestion des employeurslocaux ;

– rénover la fiscalité locale par uneredéfinition des impôts locaux, unepéréquation renforcée, une nou-velle donne pour les concours del’État.

La mission d’information établit ainsi56 propositions devant alimenter lesperspectives nouvelles de la décen-tralisation.

En conclusion, le rapport Mercier seprésente comme une véritable évalua-tion des vingt années de décentralisa-tion depuis la loi du 2 mars 1982. Iltrace quelques perspectives d’évolutionpossible pour une deuxième phase dedécentralisation, il insiste avec fermetésur la nécessaire réforme de l’adminis-tration centrale et territoriale de l’État.

II. LES RÉFORMES LÉGISLATIVES ENGAGÉES ET LEURS LIMITES

Vingt ans après la grande réforme dela décentralisation engagée par la loidu mars 1982 sur les droits et liber-tés des communes, des départementset des régions, le Parlement vientd’adopter une loi relative à la démo-cratie de proximité considéréecomme le premier acte d’une nouvelleétape de la décentralisation. Ce textene retient pas le principe de l’électionau suffrage universel direct desmembres des organes délibérants desétablissements publics de coopéra-tion intercommunale. Quelle est doncson importance réelle au regard duprocessus de décentralisation ?

1. Le dispositif institutionnelavant 1990

Si l’on jette un regard rapide sur l’évo-lution de nos conceptions françaisesen matière de décentralisation, onconstate que le vaste train de réformesengagées dès 1982 concerne lescompétences, les moyens, lescontrôles des collectivités territorialesmais écarte soigneusement tout débatsur le redécoupage de ces dernières.L’explication en est fort simple : laFrance est traditionnellement rétive àune conception utilitariste de ses insti-tutions territoriales. Toutes les tenta-tives de soumettre les collectivités de16 Rapport Sénat, op. cit., p. 103 et s.

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base à la vérité de l’optimum dimen-sionnel ont échoué. Toute approchede redécoupage du territoire, à labase fondée sur des impératifs tech-niques et économiques, a été vouée àl’échec. La permanence des deman-des de “défusion” des communesfusionnées dans le cadre de la loiMarcellin du 16 juillet 1971, montreles fortes capacités de résistance descommunautés d’habitants en France.En 1982, le ministre de l’Intérieur,Gaston Defferre, avait compris cemessage. Depuis 1789, les com-munes ne sont pas définies à partird’un territoire. Ce sont des commu-nautés d’habitants. Elles constituentavant tout des groupes humains, desentités sociologiques que l’on orga-nise plus que l’on institue. Ces entitésapparaissent comme un élément de laNation. Ce sont les terminaisons ner-veuses de la Nation, véritables “êtrescollectifs“ qui la mettent en mouve-ment. Alexis de Tocqueville notait déjàque “c’est dans la commune queréside la force des peuples libres“.

2. Le nouveau dispositif législatifÀ partir de 1990, ce modèle de pen-sée a fortement évolué. La France achoisi sur ce terrain la voie de laréforme pour répondre aux nécessi-tés nouvelles de l’aménagementdurable du territoire et de l’insertionde nos collectivités dans le vastemaillage européen.

L’intercommunalité a été retenuecomme le moyen le plus efficaced’assurer une “révolution tranquille“de nos institutions territoriales.

• Par touches successives, la loi du 6février 1992 relative à l’administra-tion territoriale de la République, laloi du 4 février 1995 relative à l’amé-nagement et au développement du ter-ritoire, la loi du 25 juin 1999 relativeà l’aménagement et au développe-ment durable du territoire (loi Voynet)et la loi du 12 juillet 1999 relative aurenforcement et à la simplification dela coopération intercommunale (loiChevènement), ont successivementengagé un processus de recomposi-tion de l’administration territorialeautour de territoires plus vastes et pluspertinents. Le maillage en commu-

nautés d’agglomération, en commu-nautés de communes, en Pays, se ren-force de jour en jour.Compte tenu des résultats encoura-geants constatés dans les deux pre-mières années d’application de la loiChevènement17, on peut considérer quele mouvement en faveur de l’intercom-munalité va se poursuivre au cours desprochaines années. Au 1er janvier2002, on constate que l’intercommu-nalité se renforce et se simplifie.Les trois-quarts des communes sontmembres de l’une des 2 174 structuresde coopération intercommunale à fis-calité propre18. Celles-ci regroupent 45millions d’habitants, soit les trois-quartsde la population nationale. 120 com-munautés d’agglomération et 14 com-munautés urbaines ont été constituées.Au 31 décembre 2001, les districts etcommunautés de ville ont été transfor-més comme le prévoyait la loi.Le paysage de l’intercommunalité s’entrouve simplifié. Plus intéressantencore, 743 établissements publics decoopération intercommunale ontadopté le système de la taxe profes-sionnelle unique, véritable outil finan-cier de l’action intercommunale. Desdifficultés existent encore ici ou là pourorganiser les agglomérations en com-munautés d’agglomération (Reims,Toulon, Hyères, …) mais le mouvementse généralise plus rapidement queprévu. 30 communautés d’agglomé-ration se sont ajoutées au 90 existantesau 1er janvier 2001. 11 se sont crééesex nihilo, 7 par transformation de com-munautés de communes et 12 parmutation d’un district.Les communautés de communes,quant à elles, sont au nombre de2 032 ; près de 200 d’entre ellessont des créations ex nihilo. En tota-lité, elles concernent 22 millionsd’habitants.Les communautés urbaines sont aunombre de 14. En définitive, la moitié de la popula-tion des aires urbaines19 de plus de50 000 habitants est comprise dansune communauté d’agglomérationou une communauté urbaine.Sur 141 aires remplissant les condi-tions démographiques pour pouvoirêtre transformées en communautésd’agglomération ou communautésurbaines, 102 ont déjà choisi cetteforme d’intercommunalité20.

17 Centre d’études et de prévision du ministère de l’In-térieur, Les premiers mois d’application de la loi du 12juillet 1999 sur l’intercommunalité, Étude des équipesdu GRALE, 2000, p. 75 à 147.18 Source DGCL, Démocratie locale n° 42, avril2002.19 Aire urbaine : ensemble de communes d’un seultenant sans enclave constitué par un pôle urbain etune couronne périurbaine composée de communesrurales ou unités urbaines dont 40 % de la populationrésidente possédant un emploi travaille dans le restede l’aire urbaine (définition INSEE).20 Cf. G. Marcou, La réforme de l’intercommunalité :quelles perspectives pour les agglomérationsurbaines ? AJDA, avril 2002, p. 305 et s. ; DATAR, Lesagglomérations, Coll. Territoires, Doc. Fr., oct. 2001,92 p.

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Cette approche purement quantitativedu développement de l’intercommu-nalité ne saurait à elle seule traduirele succès de ces nouvelles institutions.Leurs compétences nouvelles et leurmise en œuvre réelle devront être éva-luées. Toutefois, le processus de réor-ganisation des collectivités de baseest bel et bien engagé avec leurpropre assentiment.

• Autre dispositif législatif fondamentalen cours d’application : la loi du 25juin 1999 relative à l’aménage-ment et au développement durabledu territoire. Les grands objectifs decette loi sont connus et ont été large-ment commentés. Il s’agit de mieuxorganiser le territoire autour des com-munautés géographiques que l’histoireet l’économie ont façonnées à traversla constitution ou le renforcement despays et des agglomérations, la régiondevant assurer le rôle de mobilisationdes acteurs locaux. Les pays élaborentdans une charte de territoire leur pro-jet de développement durable. Ils peu-vent contractualiser avec l’État et laRégion dans le cadre du volet territo-rial des contrats de plan État-Région.Les agglomérations peuvent participerégalement à la négociation descontrats de plan État-Région dès lorsqu’elles auront organisé un projet glo-bal de développement et seront struc-turées en communautés urbaines ou encommunautés d’agglomération.L’entrée de cette loi est donc priori-tairement géographique et urbaineavec un contenu opérationnel effec-tif par le biais des contrats de plan.Il s’agit bien de mettre en place unnouveau maillage du territoire21.Au stade actuel de ce processus,250 à 300 pays sont organisés ouen cours d’organisation. Les “Assisesdes pays”, réunies à Saint-Brieuc les10 et 11 octobre 2001, ont mis enévidence une considérable ébullitiond’idées, d’innovations, de projets,d’expérimentations. Les échéancesde 2008 ou 2010 permettront demieux évaluer une recomposition ter-ritoriale à la base et la vocationréelle que le pays peut prendre dansle nouveau paysage institutionnel22.

“Le succès quantitatif actuel rencontrépar l’intercommunalité ou par les paysne doit pas occulter les nombreuses

étapes encore à franchir avant de per-mettre à ce vaste mouvement d’orga-nisation de nos territoires de portertous ses fruits”, note Nicolas Portier enréponse à la question du géographeF. Giraut : “Va-t-on rater la troisièmerévolution territoriale ?”23

Les schémas de services collectifs des-tinés à mettre en œuvre les choix stra-tégiques de la politique d’aménage-ment et de développement durabledu territoire prévus par la loi du 25juin 1999 sont désormais approuvéset entrent en application24.

• La loi du 13 décembre 2000 sur la“solidarité et le renouvellementurbain” (loi SRU) constitue le troisièmevolet du vaste mouvement de réformeengagé par l’État sur le champ del’administration territoriale. Ce texterénove en profondeur l’urbanisme etla planification urbaine tels qu’ilsétaient conçus et mis en œuvre depuisla “loi d’orientation foncière“ du 30décembre 1967. Il intègre l’intercom-munalité comme un élément clé de larelance de l’urbanisme et met l’accentsur la définition de véritables “projetsurbains“. “Un renouveau de la plani-fication urbaine, de l’urbanisme inter-communal, des politiques localesd’aménagement naîtra de cetteréforme“, note M. S. Traoré dans unouvrage consacré aux schémas decohérence territoriale de la loi SRU25.

Les objectifs de la réforme sont, il estvrai, très ambitieux. L’exposé des motifsdu projet de loi le traduit parfaitement :“Il s’agit de construire les villes dedemain“ en renouvelant les outils juri-diques de l’urbanisme par des dispo-sitions qui visent à rendre les politiquesd’urbanisme plus claires et plus démo-cratiques, doter les agglomérationsd’un instrument pour mettre en cohé-rence l’ensemble des politiques secto-rielles en matière d’urbanisme (SCOT,PLU) d’habitat, de déplacements etd’équipements commerciaux26.

Avec cette grande loi, on a le senti-ment que l’État et le ministère de l’É-quipement reprennent la main sur levaste secteur endormi de l’urbanismeet ceci au moins pour les dix pro-chaines années à venir. “Si le déve-loppement général actuel de l’inter-communalité se poursuit et si les SCOT

21 Cf. J.-L. Guigou, Une ambition pour le territoire,aménager l’espace et le temps. Ed. de l’Aube, 1995.22 DATAR, Aménager la France en 2020, Mettre lesterritoires en mouvement, Doc. Fr., juillet 2000, 83 p.23 Cf. Territoires 2020, revue d’études et de pros-pective de la DATAR, La Documentation Française, 1er

semestre 2002, n° 5 p. 7 et s.24 Cf. décret n° 2002-560 du 18 avril 2002 approu-vant les schémas de services collectifs, JO 24 avril2002, p. 7316.25 S. Traoré, Les schémas de cohérence territoriale de laloi SRU du 13 décembre 2000, L’Harmattan, Administra-tion et aménagement du territoire, 2001, 153 p.26 Cf. Colloque du GRIDAUH, Orléans 25 et 26 jan-vier 2001, consacré à l’étude de la loi SRU.

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réussissent à bien s’amarrer à ce déve-loppement, alors la réussite viendraparce que la réforme aura trouvé sonassise politique” note J.-B. Auby27.

3. Des problèmes de cohérencenon résolus

Dans les perspectives de réussite de lamise en œuvre des trois grandes loisqui conditionnent la décentralisation etle développement du territoire, l’articu-lation et la cohérence entre ces textesconstituent le facteur déterminant.

Si cette cohérence ne s’établit pas defaçon effective, si l’action publiqueterritoriale est l’objet d’une concur-rence accrue entre les grands ser-vices de l’État et les acteurs locaux,l’impact décentralisateur de cestextes restera faible.Dans une interrogation sur unerelance de la décentralisation axéesur la région et l’intercommunalité,Y. Jégouzo décrit les deux maux prin-cipaux dont souffre le système actuelde la planification du territoire : lepremier réside dans ce que s’ignorentles deux dispositifs de planification,l’un dans le cadre de l’organisationintercommunale (SCOT, PLU), l’autredans la politique d’aménagement duterritoire qui se traduit par les sché-mas de services collectifs et les sché-mas régionaux de développement etd’aménagement du territoire(SRADT).Le second problème concerne la défi-nition du “bon territoire intercommu-nal”. De ce point de vue, la loi Voy-net du 25 juin 1999, la loiChevènement du 12 juillet 1999 et laloi SRU du 13 décembre 2000 ontchacune des nouveaux territoires surdes logiques politiques, techniqueset financières différentes28.Le risque est donc très grand derechercher le bon périmètre de laplanification territoriale à l’échelleintercommunale sans prendre enconsidération le nécessaire avène-ment d’une démocratie locale com-munautaire, élément essentiel d’unedécentralisation nouvelle29.

L’entrée trop géographique d’uneredéfinition des territoires occultele caractère politique des territoires

qu’implique la décentralisation.Une telle approche peut être un élé-ment de disqualification majeure dela recomposition des territoires commeétape nouvelle de la décentralisation.

• De ce point de vue, l’adoption le28 février de la loi sur la démocratiede proximité a souligné la difficultéd’établir un nouveau consensus surla légitimité intercommunale.La question de la légitimité des inter-communalités est facile à trancherdans la théorie mais très difficile àrégler dans le contexte historiquefrançais. En 2001, un consensussemble établi autour du principe sui-vant : en 2007, les organes des struc-tures intercommunales seront élus ausuffrage universel direct. Le rapportMauroy contient une proposition dereconnaissance de l’échelon inter-communal par le suffrage universelnotamment pour l’élection desconseillers des intercommunalités àfiscalité propre. Les arguments enfaveur de cette thèse sont largementconnus.

La loi du 28 février 2002 relative àla démocratie de proximité necontient aucune disposition surl’élection au suffrage universel directdes délégués intercommunaux. Unamendement a pourtant été déposéen ce sens au cours de la discussionparlementaire.

Faut-il analyser la position du Parle-ment comme une occasion manquée,un gel provisoire ou un blocage plusprofond ?30

Il était probablement illusoire d’intro-duire, par une voie indirecte, dans unprojet de loi au contenu hétérogène,une réforme aussi importante danslaquelle les maires ont ressenti commeune menace pour l’existence même descommunes. Il faut en conclure qu’unvéritable débat national doit êtreengagé sur ce sujet. Une clarifications’impose : sommes-nous prêts à trans-former les intercommunalités en col-lectivités territoriales à part entière ? Sila réponse est positive, quel est l’ave-nir de la commune ? Si la réponse estnégative, comment combler le déficitdémocratique existant du fait desmécanismes de représentation des

27 J.B. Auby, in préface de l’ouvrage de S. Traoré,précité.28 Y. Jégouzo, Planification de l’aménagement du ter-ritoire et relance de la décentralisation, in DATAR,ouvrage coll., Pour en finir avec la décentralisation, éd.de l’Aube, 2002, p. 143 et s.29 J. Caillosse, L’intercommunalité devant le suffrageuniversel, in DATAR, Pour en finir avec la dé-centrali-sation, op. cit. p. 121 et s. Cf. Ch. Lemaignan, Pers-pectives territoriales pour 2020. Coll. Administrationet aménagement du territoire, l’Harmattan, mars 2002,222 p.30 Cf. J.C. Némery, Le gel de l’élection au suffrageuniversel direct des délégués communautaires. LaGazette, 25 mars 2002, p. 69.

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populations par élection au seconddegré ? Quelles seraient les consé-quences pour les communes de lareconnaissance de l’échelon intercom-munal par le suffrage universel ?

La question de la légitimité de la gou-vernance territoriale concerne globa-lement le système démocratique de laFrance. Elle doit donc être appré-hendée avec une vue d’ensemble ducontrôle démocratique du citoyen surla vie publique. Néanmoins, pour lescommunes, compte tenu de leur placecomme point d’ancrage de laNation, tout transfert de légitimitéaboutissant à créer un système desupracommunalité modifierait le sys-tème en profondeur et conduirait, àterme, à leur dépérissement. Cetteligne de démarcation, que les éluslocaux ont refusé de franchir en 1971au moment de la loi Marcellin, seraitalors à nouveau franchie.

L’autre hypothèse conduirait àadmettre une double légitimité au plancommunal et au plan intercommunal.Le rapport Mauroy “refonder l’actionpublique locale”, préconise une tellesolution.Les débats parlementaires préalablesà l’adoption de la loi sur la démocra-tie de proximité en ont été l’écho. Plu-sieurs modes d’introduction du suffrageuniversel dans les intercommunalitésont été étudiés. Le choix peut porter sur l’élection ausuffrage universel de l’ensemble des“délégués communautaires” ; plus res-trictivement de l’exécutif de l’intercom-munalité ou, tout simplement, du pré-sident de l’intercommunalité. Quantaux modalités électorales, elles ontaussi été largement étudiées. Aucunede ces modalités n’a recueilli un assen-timent général même si elles étaientassorties de l’engagement d’une appli-cation différée dans le temps (2007).Malgré l’affichage d’un accord deprincipe sur l’élection au suffrage uni-versel direct des délégués communau-taires, on réaffirme que les intercom-munalités sont l’émanation descommunes ; leur personnalité n’existeque par la volonté des communes. Latransformation, à terme, des EPCI encollectivité territoriale, conséquenceprévisible de l’introduction du suffrageuniversel dans la désignation de leurs

représentants, devient alors incompa-tible pour beaucoup avec le maintiende la commune en tant que collectivitéterritoriale à part entière.

De ce point de vue, la consultationnationale engagée par l’Assembléedes communautés de France (ADCF)en octobre 2001 auprès des élus inter-communaux, donne des indicationstrès précieuses sur les perspectivesd’évolution du système local : ceux-cipensent qu’il faut achever la carte inter-communale, “la quasi totalité (83 %)d’entre eux estiment que les rapportsexistant entre leur communauté et leurscommunes membres reposent sur laconfiance”. Le couple communes-com-munauté doit être fondé sur cette com-plémentarité et cette confiance. Sur laquestion de la démocratie intercom-munale, les résultats de l’enquête “sontrévélateurs de la prudence des élus,voire d’une certaine forme d’immobi-lisme”. L’identité communale est jalou-sement défendue par un tiers des élusintercommunaux. Une moitié d’entreeux considère qu’il faut concilier légi-timité communale et intercommunale.Pour les auteurs de l’enquête, ces résul-tats traduisent sur cette question trèssensible et fondamentale un certainmalaise, une vraie difficulté à discernerl’avenir et à opérer des choix. On peutimaginer les résultats d’une telleenquête si elle avait concerné l’en-semble des élus communaux.

Sous certaines conditions, on peutpenser que les conceptions actuellespeuvent évoluer. Un véritable débaten profondeur devrait permettre dedéfinir les compétences minimalesque doivent conserver les communes(patrimoine communal, urbanisme,animation culturelle …). Trois prin-cipes devraient gouverner tout nou-veau projet de démocratisation desintercommunalités : le volontariat ;l’expérimentation (déjà pratiquéeavec les nouvelles dispositions de laloi sur la démocratie de proximité) ; laflexibilité institutionnelle, c’est-à-dire l’acceptation de modèles d’or-ganisation autonomes pouvant varierd’une communauté à l’autre.Ces facteurs de souplesse et d’adap-tabilité sont propres à garantir deschangements même si leur mise enœuvre peut apparaître complexe31.

31 Cf. J.C. Némery. Décentralisation et intercommu-nalité à fiscalité propre. Revue “Intercommunalités”,mars 2002.

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Nombreux sont d’ailleurs les ouvrages,études et analyses qui tentent de défi-nir de nouvelles perspectives pour une

“République territoriale” et une “gou-vernance nouvelle”.

32 Cf. P. Calame, Les principes de la gouvernance auXXIe siècle ; synthèse des travaux de la Fondation Léo-pold Mayer, 25 p. 11.09.2001. Voir aussi : E. Dufault,Gouvernance, Université du Québec à Montréal, avril2001.33 Cf. J.C. Nemery, La nouvelle gouvernance : quelledémocratie de délégation et de participation dans lanouvelle intercommunalité française ? Communicationau Forum européen de prospective régionale et locale,OIPR, Lille 18-19 décembre 2001.34 J.-P. Jambes, Territoires apprenants, Esquisses pourle développement local du XXIe siècle, L’harmattan,coll. Administration et aménagement du territoire, juin2001, 249 p.35 J.-P. Raffarin, Pour une nouvelle gouvernance, édi-tions de l’Archipel, janvier 2002, 167 p.

III. NOUVELLE GOUVERNANCE ET RÉPUBLIQUE TERRITORIALE : LES DÉBATS SUR LA DÉCENTRALISATION

Le thème de la nouvelle gouvernancecomprend très souvent des analysesprospectives sur l’évolution de laréforme de l’État et sur le dévelop-pement de la décentralisation.

1. Le concept de gouvernanceComment définir ce concept de gou-vernance ? “La gouvernance, c’est lacapacité des sociétés humaines à sedoter de systèmes de représentation,d’institutions, de règles, de procé-dures, de moyens de mesure, decorps sociaux capables de gérer lesinterdépendances de façon paci-fique“32. Cette définition établit le lienétroit entre “gouvernance“ et “démo-cratie représentative“. La démocratiereprésentative fixe les conditionsd’exercice et de contrôle du pouvoirpolitique ainsi que les règles d’ex-pression de la volonté générale. Ellese décline en démocratie de déléga-tion et démocratie de participation33.Ainsi, deux caractères essentiels de lagouvernance doivent être soulignés :

1 – La gouvernance repose sur l’effi-cacité des formes de managementpublic. Elle suppose une bonne orga-nisation territoriale apte à répondreaux besoins d’évolution des commu-nautés locales. Elle implique la maî-trise de stratégies à moyen et longterme en organisant les coopérationset les synergies entre acteurs. Celaimplique que l’action publique localesoit engagée dans des territoires per-tinents. La gouvernance est alors encorrélation avec la notion d’“optimumdimensionnel“. La recomposition desterritoires en Europe et le développe-ment de l’intercommunalité en Francerépondent à cette logique34.2 – Le second caractère de la gouver-nance est celui de la légitimité. Pourêtre efficace, la gouvernance doit aussireposer sur la légitimité. La légitimitésuppose le consentement à l’exercicedu pouvoir par le citoyen. Celui-ci estétabli par la mise en œuvre du suf-frage universel. P. Calame, dans le

rapport précité sur la gouvernance auXXIe siècle, distingue la gouvernance“légale“ de la gouvernance “légitime“.La première suppose que le pouvoirsur le plan local s’exerce dans unensemble de principes et règles issusde la constitution, des lois et de la juris-prudence. La démocratie de déléga-tion est assez proche de cette premièrevision. La gouvernance légitime sup-pose une adhésion plus large et pluspermanente du citoyen sur la façondont il est gouverné. Elle combine ainsila démocratie représentative à unedémocratie plus participative. Elle s’ac-commode assez mal d’une représen-tation au second degré des citoyensdans les instances territoriales.

2. Son application au plan territorialDans le modèle d’organisation terri-toriale français, les réformes de l’in-tercommunalité tendent à rendre lagouvernance plus efficace. Toutefois,la représentation au second degré desdélégués des structures intercommu-nales maintenue comme nous l’avonsvu précédemment malgré plusieursréformes législatives et notammentmalgré le vote de la loi du 28 février2002 sur la démocratie de proximité,affaiblit le caractère légitime de cettenouvelle gouvernance territoriale.

C’est pourquoi beaucoup d’auteursprésentent l’exigence d’une nouvellegouvernance comme une conditionprioritaire de la réforme de l’État etde l’approfondissement de la décen-tralisation. Ainsi, J.-P. Raffarin pré-sente 10 axes de réforme pour lagouvernance humaniste35.

• Ses propositions partent d’une redé-finition du rôle de l’État. “L’État n’estpas un projet, c’est une ressource”. Ildoit être le garant de l’épanouissementde la personne dans la société, il n’aplus le monopole de l’intérêt général.Il faut faire en sorte qu’il devienne unaccompagnateur et un régulateur. Ildoit apprendre à déléguer davantage,

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à partager les responsabilités et nonpas à organiser la partition des terri-toires. La région doit devenir unespace de délégation républicaine36.

Pour donner aux régions les moyensde leur politique, l’État doit accepter lepartage fiscal. Pour atteindre ce but,l’auteur propose avec l’Associationdes régions de France (ARF) que lesrégions fixent elles-mêmes un taux deTVA qui serait compris entre celui dela moyenne européenne (15,5 %) etle taux en vigueur en France (19,6 %)et qu’elles collectent elles-mêmes cettetaxe : leur capacité financière seraiten fonction de leur capacité écono-mique ; un fond de péréquation vien-drait réguler le système.À l’échelon infra régional, il est envi-sagé un dispositif qui rapprocheraitdépartements et régions sur lemodèle commune/communauté decommunes.Le niveau régional deviendrait leniveau de programmation. Leniveau départemental serait celui dela gestion et de la responsabilitéopérationnelle. Les mêmes élusreprésenteraient les deux instances.Ils seraient élus par district et parcirconscription de deux cantons.Chaque district élirait deux repré-sentants (un homme et une femme).Ces deux élus siégeraient au dépar-tement et la tête de liste siègeraitégalement à la Région. Ainsiseraient combinées les actions pros-pectives et de programmation à larégion et les actions opérationnellesau département.Il est donc proposé ici une divisionfonctionnelle des tâches entre régionet département et non plus une répar-tition de compétences comme dans lecadre actuel. Cette approcheimplique donc le maintien du dépar-tement en tant que collectivité localetout en permettant, selon l’auteur,d’augmenter l’efficacité des institutionset de limiter les dépenses en réalisantdes économies d’échelle.Dans cette construction, le Sénatpourrait disposer d’un pouvoir légis-latif total sur toutes les dispositionsintéressant les collectivités locales. Ladurée du mandat des sénateurs seraitramenée de neuf ans à six ans.Cette nouvelle architecture impliquela mise en œuvre de plusieurs pro-

positions concrètes pour relancer ladécentralisation :

– articulation région-département ausein d’un système simplifié dedécentralisation,

– nouveaux transferts de compétencesaux collectivités territoriales : culture,patrimoine, tourisme, économiesociale, PME, environnement…

– à l’exception des compétences réga-liennes, limiter à l’échelon régional leniveau de déconcentration de l’État,

– garantir l’autonomie fiscale desrégions par une part de TVA (oude la TIPP),

– rattacher une partie de la DATARau Sénat,

– rééquilibrer la politique d’aména-gement du territoire pour sortir dela logique du “tout agglo” en sou-tenant davantage les petites etmoyennes villes et les territoires deconvivialité à faible densité,

– confier aux régions un pouvoirréglementaire,

– lancer un programme national dedéveloppement ferroviaire.

Ces propositions concernant larelance de la décentralisation s’ins-crivent dans les dix axes de réformepour la gouvernance humaniste. C’estdonc une vision globale de la réformede la société que l’auteur soumet à laréflexion des lecteurs et des citoyenssans toutefois définir un échéancierde réalisation dans le temps.

• Parmi les autres contributions indi-viduelles actuelles sur l’avenir de ladécentralisation, il faut citer l’ouvragede Jean-Louis Borloo37. L’auteurénonce à sa manière la France dunouveau siècle et développe unesévère critique de l’État. Il voit dans laFrance actuelle une monarchie admi-nistrative centralisée, un “Technoland”qui étouffe et piège la réalité. Pour sor-tir de ce système, il faut “casser l’Étatcentral et transférer les compétencesopérationnelles aux provinces pourcertaines, aux villes et groupementsde villes pour les autres”38. L’État nedevrait conserver que la justice, lasécurité intérieure et extérieure, ladiplomatie, la collecte de l’impôt et saredistribution égalitaire, une partie dela recherche, l’espace, la construction

36 J.-P. Raffarin, op. cit., p. 145.37 J.-L. Borloo, Un homme en colère, éd. Ramsay,mars 2002, 169 p.38 Op. cit., p. 113.

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européenne, la solidarité entre ré-gions, la solidarité entre les généra-tions, la définition des normes…Pour ce faire, il faut développer deréels outils régionaux, issus de lafusion des départements et desrégions actuelles et définir le rôle spé-cifique des agglomérations. Le rec-teur peut devenir un fonctionnaire ter-ritorial sous la responsabilité duprésident de la région. Il en est demême pour le directeur départemen-tal de l’équipement ainsi que de sescollègues de l’agriculture, de la cul-ture, de la DDAS… En fait l’auteurpropose de mettre fin à la déconcen-tration des services de l’État et detransférer ces services à la collectivitérégionale. L’État doit rester fort et puis-sant dans ses missions régaliennesmais il doit partager le pouvoir avecles régions et les villes. L’échéancierest fixé : tout ceci est possible en unelégislature de cinq ans.

• Autre auteur à publier un ouvragesur la question : Jean Puech39, prési-dent de l’Assemblée des départe-ments de France. Pour lui, il fautreconnaître “l’exception française”de notre organisation territoriale et leretard pris chez nous par la décen-tralisation. L’État s’agite pour semer ledoute sur l’avenir d’une constructionséculaire de notre territoire, les com-munes, alors que les Français aucontraire plébiscitent la commune.

L’État invente des “pays” sans sub-stance. Il veut s’engager dans un pro-cessus qui mènera à la suppressiondes communes. “Le scénario est lesuivant : en faisant élire au suffrageuniversel les représentants des com-munes dans les structures intercom-munales, il tue l’intercommunalité.Celle-ci devient supracommunalité etgouverne”40.

Le département n’est pas mieux consi-déré. La loi fixant les conditions de lamise à disposition des départementsdes services déconcentrés du ministèrede l’Équipement (DDE) et la prise encharge des dépenses de ces services,est mal appliquée. L’importance desservices de l’Équipement a considéra-blement diminué en une dizaine d’an-nées au détriment du département.

L’acte II de la décentralisation ne peuts’envisager sans des évolutionsimportantes pour l’État. On ne peutse satisfaire d’orientations qui mettenten avant l’adaptation des préfectures,“la démarche de déconcentrationdans le cadre de la réforme de l’Étatest un alibi pour ceux qui ne veulentrien faire”41.Pour Jean Puech, l’État n’a pas lemonopole de l’intérêt général. Il fauts’attacher à le recentrer dans sesmissions de régulateur, de garantde la cohésion sociale et de l’unitéterritoriale républicaine.C’est un État stratège qui n’a pas àagir en opérateur. On constate sur leterrain que les services de l’État viventséparément la paupérisation de leursmoyens et l’absence d’orientationsclaires. Il faut casser ce modèle.

L’équilibre peut être trouvé par ledéveloppement de l’intercommuna-lité, de l’interdépartementalité et del’interrégionalité, par une répartitionplus claire des compétences entrecollectivités et par “un mieux d’État”.

Au-delà des contributions indivi-duelles, les élections présidentiellesd’avril-mai 2002 ont donné lieu à undébat collectif sur le thème du renfor-cement de la décentralisation. Bienque cette question ne soit pas apparuecomme une question centrale au coursde la campagne électorale, la plupartdes candidats ont développé sur cepoint des propositions de réforme.

• Jacques Chirac s’est engagé pourun modèle français de décentralisa-tion tel qu’il l’avait défini dans sondiscours de Rodez du 18 octobre2001, où il affirmait qu’“entre l’Étatjacobin et un fédéralisme importé,contraire à notre histoire, une nou-velle voie doit être inventée”. LionelJospin, pour sa part, a prôné une“nouvelle étape de la décentralisa-tion” dans ses dix engagements. Ils’agit de transmettre des compétencesde l’État vers les collectivités localesnotamment dans l’éducation natio-nale. Il propose de “garder le dépar-tement tel qu’il est mais en cherchantà renforcer les régions”. Il sera recher-ché une meilleure articulation entreles conseils généraux et les structuresintercommunales. Ces dernières

39 J. Puech, La démocratie confisquée, éd. L’Archipel,mars 2002, 161 p.40 Op. cit., p. 63.41 Op. cit., p. 102.

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seront dotées de compétences éten-dues et leurs organes de décisionseront élus en 2007 au suffrage uni-versel. L’effort de déconcentration desservices de l’État sera poursuivi.

• François Bayrou, quant à lui, veut“un vrai pouvoir local”. Il propose unrassemblement de la région et dudépartement en une seule collectivité.Cette communauté régionale nouvelleserait responsable de l’équipement,de l’aménagement du territoire et dela santé : l’État doit assurer l’orienta-tion de la politique du pays, l’évalua-tion des résultats et l’expression desgrands choix. Il doit redistribuer lesautres pouvoirs aux communes fédé-rées et aux régions. Pour Jean-PierreChevènement, le pays a besoin d’unedécentralisation solidaire mais il fautécarter les schémas préconçus et irréa-listes. Pour cela trois conditions : écar-ter l’Europe des régions ; maintenir uncadre unitaire ; s’assurer de la parti-cipation de tous les citoyens car ladécentralisation n’est pas la confisca-tion du pouvoir. Pour chaque compé-tence, la loi pourrait désigner un “chefde file” responsable des orientations.De nouveaux transferts pourraientêtre expérimentés en excluant toutedélégation du pouvoir législatifouvrant la voie à un fédéralisme à lacarte. En revanche, le développe-ment du pouvoir réglementaire localpeut être envisagé. La communedemeure un élément essentiel de ladémocratie, elle doit fournir le cadrenaturel de l’élection des membresdes conseils communautaires. Ledépartement conserve un avenir.Quant aux régions, elles pourraients’organiser en interrégions pour êtreplus efficaces.

3. Controverses sur la décentralisation

En deçà des débats politiques liés auxélections présidentielles, de nom-breuses revues ont consacré des numé-ros spéciaux au bilan de la décentrali-sation et à ses perspectives d’avenir.Dans la revue “Pouvoirs” consacrée àLa commune en France et en Europe,J. Ziller analyse les polémiques récur-rentes sur l’excès de niveaux d’admi-nistration en France par rapport auxautres états européens42. Il en déduit

que l’étude comparative des systèmescommunaux en Europe conduit à rela-tiviser considérablement le caractèreparticulier de la fragmentation com-munale française. G. Marcou, dansson approche comparative de l’auto-nomie communale, note que le renfor-cement des pouvoirs régionaux s’opèretrès souvent au détriment des com-munes. Plus que le volume de compé-tences, c’est l’étendue des marges demanœuvre qui est le véritable révéla-teur de la décentralisation43.

La revue “Sociétal” a consacré toutun dossier à l’étude de la “décentra-lisation inachevée”44. Dans la pré-sentation de ce dossier P. Richard,président de DEXIA, souligne l’im-portance stratégique du secteurpublic local qui est aujourd’hui plusque jamais une pièce maîtresse denotre compétitivité. Sur la base d’unrapport établi par l’Institut de l’entre-prise, il tire un bilan mitigé de ladécentralisation.Huit propositions de réformes sontavancées parmi lesquelles figurent ladétermination de territoires pertinentsajustés aux réalités socio-économiques,la mise en place d’organisations terri-toriales différenciées en harmonie avecla diversité du territoire45. Les régions etl’espace intercommunal (aggloméra-tions en milieu urbain, pays en milieurural) deviendraient les “espaces-pivotsde l’organisation du territoire”. C.Saint-Etienne, dans le même dossier,propose de limiter l’État, de renforcerles régions. “L’État-stratège doit obéirà un principe simple : faire faire plutôtque faire lui-même.” Une loi de régio-nalisation prévoirait la possibilité destatuts différenciés entre les régions afinque les plus innovantes ne soient pasfreinées par celles qui ne sont pas pré-parées à exercer pleinement leurs res-ponsabilités nouvelles.

L’Institut de la décentralisation aconsacré un de ces cahiers au thème :“État, organisation territoriale : de la“réforme” aux évolutions constitution-nelles”46. Dans ce cahier, J.-P. Balli-gand co-président de l’Institut de ladécentralisation, plaide pour donnerun fondement constitutionnel à ladécentralisation et une place impor-tante à l’expérimentation. La voie légis-lative est évidemment la voie la plus

42 J. Ziller, Fragmentation participation, Revue Pou-voirs n° 95, La commune en France et en Europe, nov.2000, p. 19 et s.43 G. Marcou, op. cit., p. 69.44 Sociétal, n° 27, décembre 1999, p. 58 et s.45 Sur ce point voir aussi, Inégalité et Intercommuna-lité en Ile-de-France, DRAST, revue 2001 plus n° 57,octobre 2001.46 Les cahiers de l’Institut de la décentralisation, État,organisation territoriale : de la réforme aux évolutionsconstitutionnelles, H. Portelli, n° 5, juin 2001, 45 p.

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simple pour mener à bien les nom-breuses réformes nécessaires pourtransformer notre pays en un véritableÉtat moderne mais peut-on engagerune grande réforme de la décentrali-sation sans modifier la constitution ?(art. 34, 37 et 72). H. Portelli, rap-porteur du groupe d’études constitué àce sujet, constate que la représenta-tion territoriale de l’État est demeuréeadministrativement rivée au cadredépartemental alors que les dyna-miques territoriales sont devenuesessentiellement régionales et urbaines.Si l’État affirme vouloir considérer lescollectivités locales comme des inter-locuteurs privilégiés, “il ne vise encorequ’une amélioration du statu quoadministratif dans un mélange de“déconcentralisation” auquel sembleaujourd’hui condamnée l’action pu-blique – mais qui est toujours un dénide décentralisation !”47.

Malgré ce constat pessimiste, cecahier comprend une série intéres-sante d’orientations et de propositionsorganisées autour de trois actes :

– réformer la décentralisation par lavoie législative,

– approfondir la décentralisation parle biais de l’expérimentation,

– donner un fondement constitutionnelà l’État moderne décentralisé.

En ce qui concerne la méthode, l’ex-périmentation apparaît comme lemoyen approprié pour relancer ladécentralisation. Une telle voie pré-sente l’avantage indéniable d’ouvrirla voie à des réformes de façon prag-matique. C’est donc un véritable droità l’expérimentation qu’il faut recon-naître aux collectivités locales dansun cadre de volontariat. Très concrè-tement, le cahier comprend en conclu-sion une proposition de loi constitu-tionnelle assortie d’un exposé desmotifs.

Les grandes associations regrou-pant les différents types de collectivi-tés ont également produit desréflexions sur ce que pourrait êtrecette seconde phase de la décentra-lisation. Nous avons déjà évoqué lecas des associations regroupant lesrégions d’une part, les départementsd’autre part.

L’Association des communautés deFrance (ADCF) a, par son présidentM. Censi, développé le thème de “laRépublique des territoires”. L’actionlocale doit être une “nouvelle fron-tière, une utopie, un motif d’engage-ment”. L’État doit désormais laisser laplace aux territoires. Les missions qu’ilpeine à assumer dans les domainesde l’éducation, de la culture, du déve-loppement économique, de l’aména-gement du territoire doivent l’être auniveau local. La mutation intercom-munale passe par une redéfinition durôle et de la place du département. Àl’échéance 2007, il faut achever lacarte de la France intercommunale,“au besoin en imposant ce choix auxdernières communes”. La liberté inter-communale doit être assortie d’unevéritable réforme financière et fiscaleet d’un renforcement de sa légitimité.Mais comment préserver la légitimitécommunale tout en instaurant une légi-timité intercommunale qui ne la sup-plante pas ? s’interroge M. Censi.Question épineuse que nous avonsdéjà évoquée.

L’Association des Maires deFrance (AMF) a elle-même envoyé unquestionnaire à tous les candidats àl’élection présidentielle pour recueillirleurs propositions en matière dedécentralisation. Les réponses auquestionnaire montrent qu’il n’existepas de clivage droite-gauche. “Maisl’audace des réformes proposées estd’autant plus grande que la chanced’être élu est faible”, note B. Jérôme48.L’AMF relève que tous les candidatsréaffirment le rôle prééminent de lacommune comme cellule de base dela démocratie. Aucun ne proposed’en réduire le nombre, ce qui a tou-jours été la position soutenue parl’AMF.

Les milieux économiques ont euxaussi apporté leur contribution audébat sur la poursuite de la décentra-lisation. Nous avons déjà évoqué lesthèses de P. Richard, président deDEXIA. Le Centre des jeunes diri-geants (CJD) a lui-aussi développéune série de propositions en s’ap-puyant sur les réponses à un sondageréalisé en novembre 2001 auprès de611 chefs d’entreprise. Le CJD réunidans l’association “Nouveaux terri-

47 H. Portelli, Les cahiers de l’Institut de la décentrali-sation, op. cit., p. 4.48 Cf. Le Monde, 6 avril 2002, Les candidats ne veu-lent pas bouleverser la vie locale.

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toires pour l’entreprise” avec le Comitédu Grand Lille, constate les dysfonc-tionnements actuels de la décentrali-sation : manque de lisibilité des éche-lons territoriaux, rythmes temporelsdifférents, inadaptation aux mutationséconomiques et sociales, déséquilibredans le traitement des dossiers, inéga-lités persistantes entre les territoires,nécessité de s’intégrer à l’Europe desrégions. Deux principes d’action doi-vent gouverner une réforme :

– renforcer les solidarités des terri-toires,

– engager la co-responsabilité detous les acteurs.

Douze propositions sont avancéespour atteindre ce que les auteursappellent le “co-développement desterritoires” parmi lesquelles se retrou-vent la clarification des compétences,le développement de l’expérimenta-tion et de visions stratégiques.

Une dernière proposition tend à repen-ser les échelons pour améliorer leurperformance autour de trois pôlesessentiels : les intercommunalités, larégion, l’Union européenne. Le regrou-pement des communes doit continuer àêtre encouragé “sans doute jusqu’àune véritable fusion dans des entitésplus larges qui en diminueraient lenombre”. À terme, les départementsdoivent être supprimés. Ne disposantpas de prérogatives importantes (saufen matière sociale), le département nesemble persister que pour des raisonspolitiques.

Comme on peut le constater, ces pro-positions du CJD constituent unschéma de rupture avec l’organisa-tion territoriale actuelle, une recom-position autour du macro-local (inter-communalité) des régions renforcéeset de l’Union européenne, ainsi quele développement d’un véritable par-tenariat entre les entreprises et les ter-ritoires.

IV. DÉCENTRALISATION, ACTE IIPour résumer ce tour d’horizon nonexhaustif des diverses possibilités d’ac-croître la décentralisation, on peutdégager trois hypothèses d’appro-fondissement de la décentralisation etde son corollaire la réforme de l’État49.

1) Première hypothèse : gel du modèle actuel et achèvement de la mise en œuvre des réformes législatives engagées

– constitution de communautés d’ag-glomérations et de communautésurbaines sur l’ensemble des agglo-mérations INSEE concernées (loiChevènement),

– élaboration de projets d’agglomé-ration et de contrat d’aggloméra-tion (loi Voynet),

– élaboration des SCOT (loi SRU),– constitution de nouvelles commu-

nautés de communes dans les ter-ritoires non encore organisés,

– développement de la mise en placedes pays (loi Voynet), 202 sont pas-sés en CRADT au 15 février 2002,

– élaboration des chartes de pays etdes contrats de pays,

– élaboration des PLU (loi SRU),– mise en place des conseils de quar-

tiers (loi Démocratie de proximité),– renforcement des compétences du

département en matière de sécuritécivile (loi DP),

– renforcement des compétences dela région en matière de transport(loi SRU), de tourisme (loi DP), degestion des ports maritimes natio-naux (loi DP), de développementdes aérodromes (loi DP), de l’ex-périmentation (loi DP),

– mise en place des contrats territo-riaux d’exploitation (LO agricole),

– déconcentration accrue des ser-vices de l’État.

2) Deuxième hypothèse : approfondissement de la décentralisation sans rupture avec le modèle existant

– élection au suffrage universel desdélégués des intercommunalités,

– transfert de compétences accru auxintercommunalités,

– maintien du département maisavec une redéfinition de son rôle :deux options – nouvelle répartitiondes rôles avec les intercommunali-tés – fonction de gestion et d’ap-plication des décisions de la région(projet Raffarin),

– transfert important de compétencesvers la région dans les domaines

49 Ces hypothèses ne peuvent être considérées enaucun cas comme des scenarios prospectifs maiscomme la simple constatation de tendances d’évolutionpossible de la décentralisation au cours des dix pro-chaines années.

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de l’Éducation, de la Santé, del’Economie… Rôle pivot de chef defile de compétences,

– renforcement de la légitimité desconseils régionaux,

– transfert de services extérieurs del’État vers les régions, Équipement(DDE-DRE) Éducation (Recteur)DDA…

– recentrage des services territoriauxde l’État vers des missions decontrôle et d’évaluation,

– recentrage des missions des admi-nistrations centrales autour de laconception d’un État régulateur,accompagnateur, qui n’a plus de mis-sion opérationnelle sur le territoire,

– réforme du rôle du Sénat et déve-loppement de son pouvoir législa-tif vers les collectivités locales,

– développement du droit à l’expéri-mentation,

– fonds européens gérés par laRégion,

– révision constitutionnelle,– transfert de ressources fiscales à la

Région (TVA…).

3) Troisième hypothèse : rupture avec le modèle de décentralisation existant

– le macro-local, le macro-régional,l’Europe deviennent les trois grandspivots de l’organisation territoriale,

– élection au suffrage universel des inter-communalités,

– généralisation des intercommuna-lités et évolution avec la supra-communalité,

– disparition progressive des com-munes,

– suppression des départements,– compétences maximales pour les

régions,– constitution d’inter régions fortes

voire de “grandes régions”,– absorption des services extérieurs de

l’État par les collectivités territorialesintercommunales et régionales,

– redéfinition complète du rôle del’État,

– redéploiement en profondeur desmoyens fiscaux,

– réforme de la constitution,– délégation du pouvoir réglemen-

taire/législatif/ aux régions.

V. QUELQUES QUESTIONS

POUR CONCLURECes trois hypothèses tendanciellesposent à des degrés différents d’autresquestions que des questions institu-tionnelles qui n’ont pas vraiment étéabordées dans le débat sur l’appro-fondissement de la décentralisation.Il apparaît clairement que l’acte II dela décentralisation est intimement lié àla réforme de l’État. La formulation dunouveau rôle possible de l’État est unÉtat régalien, régulateur, impulseur etcontrôleur. Il perd ses fonctions opé-rationnelles, celles du “faire” au pro-fit des collectivités locales. En théorie,cette conception nouvelle de l’État estparfaitement concevable. Mais il nefaut pas occulter les immenses muta-tions organisationnelles que cela sup-pose. Engager un grand processus deterritorialisation de l’action publiquesuppose que soit étudiée la coupureentre la Fonction publique d’État et laFonction publique territoriale. La flui-dité et la bonne circulation des per-sonnels est une condition première detout transfert d’envergure.

Au plan qualificatif, comment envisa-ger la mutation des grands corps d’in-génieurs d’État formés dans desécoles nationales, porteurs de valeursqui ne sont pas nécessairement lesmêmes que celles véhiculées dans lafonction publique territoriale ? Lesgrands corps ont-eux aussi des straté-gies dans la définition de l’actionpublique. Leur capacité de résistanceaux réformes risque d’être importante.

Au plan territorial, les collectivitéslocales développent depuis très long-temps une culture de faire-faire (parla concession, la délégation…) quiassocie beaucoup plus étroitement lesecteur privé à la réalisation opéra-tionnelle des actions. Les personnelsextérieurs de l’État concernés par ladécentralisation sont-ils en positiond’accepter cette nouvelle culture quimodifierait en profondeur leur rôle etleur statut ?

En fait, dans les trois modèles, ils’agit autant d’une réforme décen-tralisatrice que d’une réforme de l’É-tat et du rôle des grands corps quil’animent.

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La question de la légitimité est aussisous-évaluée. L’intérêt de la décentra-lisation par rapport à la déconcentra-tion est de renforcer la gouvernancedémocratique. Cet objectif n’est pasvraiment atteint si on maintient un sys-tème de représentation au seconddegré dans les intercommunalités.

Dans ce schéma, le modèle de ladéconcentration reprend de l’intérêtcar lui aussi a vocation à rapprocherla décision et son exécution ducitoyen avec le maintien de l’exper-tise forte des grands corps de l’État.

– La place du secteur privé dansl’exécution des fonctions territo-riales classiques est une sourced’interrogations. Est-il pertinent sur

des missions essentielles (commu-nication, routes, chemin de fer, ser-vice de base de l’éducation, pres-tation de services essentiels, eau,assainissement) de faire ou de fairefaire ?

– Tout accroissement de la décentra-lisation sans recomposition de lafonction publique territoriale pour-rait aboutir de fait à confier l’exé-cution des missions transférées ausecteur privé.

Le renforcement de la décentrali-sation est lié à une réforme de l’É-tat mais aussi à une redéfinition dela place de l’action publique parrapport à la société civile et aupouvoir des citoyens au travers deleurs institutions territoriales50.

50 J. Beauchard, Penser l’unité politique entre fonde-ments, turbulences et mondialisation, ed. l’Harmattan,coll. Administration et aménagement du territoire,2001, 150 p.

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Partie IV

DEUX CONTRIBUTIONS D’EXPERTS

Daniel Behar & Gilles Jeannot

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Cette brève note ne prétend pas ana-lyser de façon exhaustive les rapportsentre le ministère de l’Équipement etles élus locaux. Il s’agit seulementdans un premier temps de soulignerles principales tendances de larecomposition géopolitique actuelledu local.Cette évocation permet dans unsecond temps d’examiner commentcette recomposition fait évoluer lesattentes vis-à-vis de l’Équipement etbouscule les relations que ce ministère

entretient avec le local, basées sur unedistinction nette entre l’urbain et lerural et sur une différenciation dediverses “postures” (producteur depolitiques publiques, prestataire,garant des fonctions régaliennes del’État…).Enfin, dans une dernière partie, onesquissera les voies d’un reposition-nement possible autour d’une fonctiond’“intercession” davantage inscritedans le territoire.

LES ÉLUS LOCAUX ET LE MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT

Daniel Behar

1. Vers une homogénéisation géopolitique du territoire ?

Centré sur une fonction d’aménage-ment et d’équipement “équitable” duterritoire, le ministère de l’Équipe-ment est amené à différencier sesfonctions, ses relations au local selonla nature des enjeux à traiter et l’étatde l’organisation des acteurs locaux.Cela l’a conduit – à mesure de lamontée en puissance du local – à dis-tinguer de façon assez radicale lerural et l’urbain.Or, parce que cette affirmation dulocal est en grande partie acquise, ilapparaît aujourd’hui que la distinc-tion urbain/rural tend, d’un point devue géopolitique, à s’estomper.

a) Le rural combleprogressivement son déficitd’organisation

A l’instar de l’ensemble du territoire,le rural voit aujourd’hui se multiplierles intercommunalités sous une formeinstitutionnelle (communautés de com-munes) ou de façon plus informelle(pays).

C’est donc bien tendanciellement unchangement global d’échelle d’orga-nisation territoriale auquel on assiste.Ce changement, explicite sur le planpolitique, a ou aura des répercussionsmajeures sur le plan technique au tra-vers d’une montée en puissance de l’in-génierie locale à laquelle incite vive-ment l’intervention tant des politiqueseuropéennes (fonds structurels, pro-gramme Leader…) que des niveauxintermédiaires (contractualisation desrégions et départements).

b) Une sociologie politique de moins en moins différenciée

Il est acquis qu’en matière de modesde vie, la distinction urbain/rural estde moins en moins opérante, qu’onassiste à une homogénéisation – d’unpoint de vue territorial – des pratiquessociales.Cette mutation de fond tend aujourd’huià se répercuter sur le plan politique : lasociologie des élus ruraux rejoint celledes élus urbains. Ces élus sont de moinsen moins des “notables locaux” ; ils serapprochent à la fois de la sociologiede leur électorat (résidents du rural

I. LES TRANSFORMATIONS DU POUVOIR LOCAL

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vivant de l’économie urbaine) et decelle de la classe politique dans sonensemble.En dépit des lieux communs, l’évolu-tion de la sociologie des conseils géné-raux est à cet égard remarquable.Ceux-ci expriment moins en réalitéaujourd’hui, dans leurs relations plusou moins défensive à la ville, le pointde vue du rural, que du “péri-urbain”.

c) Une même évolution des cadres territoriaux de l’action publique

L’urbain et le rural se retrouvent doncautour d’une même sociologie poli-tique et d’un changement d’échelleparallèle à leur organisation institu-tionnelle. Mais surtout, vingt ans aprèsla décentralisation, il semble que l’onassiste à un processus généralisé derecomposition de la structure mêmedu pouvoir local.En effet, la montée en puissance del’intercommunalité n’a pas fait dispa-raître la commune, dans une logiquede translation à l’identique du niveaugéographique du pouvoir local. Ilsemble plutôt qu’elle induise davan-tage un processus d’éclatement de cequi constituait jusqu’alors un “État enmodèle réduit” : la commune agré-geant toutes les fonctions politiques dereprésentation élective, de délibérationet d’action (délivrance des prestations).Sont à la fois remis en cause lemodèle de régulation tayloriste héritéde la décentralisation – chaque insti-tution territoriale, installée ou émer-gente, s’affranchit de la spécialisationfonctionnelle par blocs de compé-tences et revendique la globalité del’action territoriale – et le modèle“monocratique” communal hérité dela Révolution française.On passerait ainsi progressivementd’une architecture du pouvoir localau sein de laquelle quelques institu-tions (communes/départements) agrè-gent chacune toutes les fonctions poli-tiques et se partagent entre elles lesdifférentes compétences sectorielles,à une organisation où se multiplientdes instances territoriales se répartis-sant de fait des fonctions politiquesdistinctes tout en investissant chacunela globalité de l’action territoriale.Pour illustrer le propos, au risque deschématisme, autour de l’intercom-munalité (communautés de communes

ou d’agglomérations) assurant lafonction politique de “représentation”de l’identité locale, se positionnent,d’un côté les communes en charge,au travers de la mise en œuvre desactions et prestations, de fabriquer enpermanence “l’intérêt général local”,et de l’autre des instances plus infor-melles (pays, conférences territo-riales…), espaces de la “délibéra-tion”, de l’énonciation du cadre deréférence de l’action publique.Autrement dit, on observerait ainsi àla fois un processus de réduction del’émiettement géographique (les36 000 mairies) et sectoriel (les blocsde compétences) du pouvoir local etune dynamique de fragmentationpolitique entre des instances assurantdes fonctions à la fois différenciées etinterdépendantes. Fait remarquable,ce processus de recomposition dupouvoir local touche tout autant lesmilieux urbains et ruraux.

2. Vers une fragmentation du pouvoir local ?

Cette dynamique de transformationconduit à l’émergence d’un pouvoirlocal “pluriel”, et ce à double titre.D’une part, comme on vient de l’es-quisser, il éclate entre les différentsniveaux et instances évoqués précé-demment. D’autre part, la nouvelle ins-titution territoriale pivot, l’intercommu-nalité, ne vient pas intégrer la globalitéd’un bassin de vie (ici l’aire urbaine,là le pays), elle se démultiplie pourrefléter les spécialisations socioécono-miques au sein d’un territoire.Ainsi, sur une même aire urbaine,comme à Marseille, Lille, Toulouse ouGrenoble, on trouve deux, trois ouquatre institutions intercommunales,expression politique d’identités terri-toriales distinctes. Autrement dit, lepouvoir local, en apparence se glo-balise (les intercommunalités) et enréalité se fragmente doublement :– verticalement, entre des niveaux

territoriaux (la commune, l’inter-communalité, le pays) spécialisésdu point de vue de leurs fonction-nalités politiques ;

– horizontalement, entre des “ blocsintercommunaux ”, expression poli-tique des spécialisations sociales etéconomiques au sein d’un mêmebassin de vie.

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Comment peut-on analyser l’écho decette nouvelle donne géopolitique surl’évolution des attentes du local vis-à-

vis du ministère de l’Équipement et surles différentes postures de ce dernier ?

II. L’IMPACT SUR LES RELATIONS DU MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT AU LOCAL

1. L’épuisement de la dualité de la demande, entre l’urbainet le rural

Contrecoup de la décentralisationcar passant en seconde ligne, l’Étata progressivement abandonné sonapproche exhaustive du territoire.Avec la DATAR et la DIV, il s’est long-temps limité aux territoires en crise(reconversion économique, quartiersdégradés). Le ministère de l’Équipe-ment a de façon pragmatique distin-gué en écho aux expressions contras-tées de la demande locale, le rural etl’urbain, pour se cantonner de faitdans un rôle “résiduel” sur l’urbain etpersister dans une approche qui seveut plus globale sur le rural. Cettedistinction se reflète sur l’ensembledes registres des relations construitespar le ministère de l’Équipementavec le pouvoir local.Les intentions politiques diffèrent : soli-darité pour l’urbain, équipement etdéveloppement pour le rural. Lesmodes d’intervention sont distincts :plutôt une déclinaison des politiquesde l’État (politique de la ville, logementdes plus démunis…) pour l’urbain, etune fonction de production des pres-tations et de conseil réglementairepour le rural.Les niveaux géographiques du dia-logue sont contrastés : pour l’urbain,l’Équipement a traité jusqu’à présentplutôt des enjeux “intra-urbains”, endeçà du niveau de la collectivité terri-toriale. À l’inverse, en milieu rural, iloccupe davantage une position sur-plombante “au-delà” de l’émiettementcommunal. À l’évidence les interlocu-teurs diffèrent. L’Équipement dialogueen direct avec les élus locaux en milieurural, sa relation est médiatisée parles techniciens en milieu urbain.Rappelons enfin que c’est cette dis-tinction qui plus ou moins explicitementet à des degrés divers selon les DDE,fonde la division du travail au sein decelles-ci entre les services centraux etles subdivisions.

Or cette structure duale de la rela-tion de l’Équipement au pouvoir localparaît largement déstabilisée.La montée en capacité, politique ettechnique, du pouvoir local en milieurural percute directement le moded’investissement privilégié de l’Équi-pement dans cette direction. Autre-ment dit, la pratique de l’Équipementdistinguant l’urbain du rural pourtenir une position plus globale vis-à-vis de ce dernier apparaît rétrospec-tivement comme un “ moment ” dansla dynamique de recompositioninduite par la décentralisation. Ellene peut plus constituer un facteurdurable de définition de la relationde l’Équipement au local.

2. Une logique de projets de plus en plus indifférente à l’État

Mais derrière ce processus connu de“résorption de son handicap” par lemilieu rural et donc de maturationgénéralisée du pouvoir local, deprise de distance vis-à-vis des ser-vices de l’État local, se profile uneautre dynamique, plus discrète. Eneffet, en prenant ses distances àl’égard de l’État, le pouvoir local nepasse pas véritablement d’une“logique de guichet à une logiquede projet” comme on l’affirme tropfacilement. S’il s’éloigne d’unelogique de guichet, de dépendanceenvers l’État, c’est moins pour tenirun projet global que pour multiplierdes projets de territoire.En effet, si l’on suit l’analyse desrecompositions en cours énoncéeprécédemment, on n’assiste pas à lasubstitution à l’émiettement commu-nal d’un “Gargantua” intercommu-nal qui viendrait dialoguer d’égal àégal avec l’État local, en inversant lesens de la régulation (ascendant vsdescendant).On observe plutôt la structuration d’unpouvoir local à la fois renforcé et orga-nisé selon des “polarisations” mul-tiples, sur un registre plus politique quetechnique.

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On tire donc ici de cette analyse deuxhypothèses conclusives quant à “lademande locale” vis-à-vis de l’Équi-pement. Tout d’abord l’attitude dumilieu rural à l’égard de l’État – et plusprécisément de l’Équipement – tend àrejoindre celle du milieu urbain. Maisplus encore le pouvoir local se consti-tue moins en interlocuteur global “enattente” vis-à-vis de l’État qu’en un sys-tème d’acteurs complexe au seinduquel les concurrences se multiplient.Globalement, ce système d’acteurs estdavantage préoccupé par ces concur-rences que par son rapport à l’État.D’une certaine façon, on peut dire quela multiplication des projets de terri-toire induit la montée d’une certaineindifférence envers l’État.

3. Une déstabilisation des postures de l’Équipement

Sans décrire l’ensemble des registresde l’expression de l’Équipement versle local, on peut estimer que trois pos-tures dominantes les organisent :

• une posture de production de poli-tiques publiques,

• une posture de prestataire,• une posture d’expert réglementaire.

a) La production de politiquespubliques

Il s’agit d’une posture que le minis-tère de l’Équipement développe plutôten direction du milieu urbain, autourde la LOV, de la loi Besson, de lapolitique de la Ville, aujourd’hui de laloi SRU…Cette posture consiste à s’adresser aumilieu local sur deux registres juxta-posés, mais plutôt disjoints ; d’un côtéle rappel des grands objectifs – ouplutôt “valeurs” – exprimés par les lois(la mixité urbaine, la cohésion sociale,le développement durable, la solida-rité…) ; de l’autre l’offre de dispositifsou de procédures, à dimension peuou prou contractuelle : le PLH, lecontrat de ville, le SCOT… Ces deuxregistres sont considérés comme dis-joints du point de vue de l’Équipe-ment, en ce qu’il revient à la collecti-vité locale de les articuler autour de ladéfinition d’une stratégie de mise enœuvre dont elle a la responsabilité.En regard de cette attitude du minis-tère de l’Équipement, on peut estimer

que la logique actuelle du pouvoirlocal consiste à mobiliser les dispo-sitifs et procédures proposés au pro-fit des “blocs intercommunaux” spé-cialisés qui se multiplient et de leursprojets.Le ministère de l’Équipement risquealors d’être contraint “au grandécart”. D’un côté, relais des politiquesnationales, il affiche des intentions quise réfèrent à l’idéal d’un pouvoir localglobal, d’un optimum dimensionnel.De l’autre, interlocuteur des pouvoirslocaux, il est conduit à accepter l’ins-trumentalisation de ses procédures auservice des tensions ou concurrencesqui traversent le local.Cette évolution est d’ores et déjà àl’œuvre : pour illustrer ce propos, laloi SRU affirme la volonté de garan-tir la cohésion sociale et territoriale àl’échelle du bassin de vie et se traduitlocalement par la mise en œuvre dedeux ou trois SCOT sur une mêmeaire urbaine…

b) La prestation

Posture traditionnelle vis-à-vis du milieurural, la prestation de services renduspar l’Équipement s’inscrit aujourd’huidans un contexte d’une part d’ouver-ture à la concurrence en matière d’in-génierie publique, d’autre part demontée en compétence des collectivi-tés locales, de plus en plus en mesured’assumer des fonctions d’“ensemblierde projet”.On peut imaginer alors que l’attentelocale à l’égard de l’Équipement soità la fois plus fragmentée et plus tech-nique. Le risque alors pour le minis-tère de l’Équipement – s’il souhaitepersister dans cette fonction – seraitcelui d’une hyper-spécialisation tech-nicienne, avec en perspective uneperte en compétence professionnelle.

c) L’expertise réglementaire

Il s’agit d’une posture de l’Équipe-ment qui traverse les territoiresurbains et ruraux. À mesure que lafonction “régalienne” de l’État enmatière d’aménagement du territoireest limitée vers l’aval, du côté de l’éla-boration de projets et de leur mise enœuvre, elle évolue vers le registre del’expertise réglementaire au servicede la maîtrise d’ouvrage locale.Cette posture correspond à uneattente locale probablement crois-

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sante en raison de l’amplification dela demande de sécurité juridique. Sicette attente à l’égard du ministère del’Équipement croît, le risque est grandqu’elle constitue un “piège” pour sesservices : plus le ministère est sollicitécomme expert en amont de la déci-

sion locale, plus il est contesté en avalcomme producteur de règles, le pou-voir local se rangeant aux côtés deses administrés pour dénoncer le“technocratisme” de ceux qui l’ontassisté précédemment.

III. QUELLE PERSPECTIVE DE REPOSITIONNEMENT ?

Que conclure de ce rapide tour d’ho-rizon ? Éclatement “schizophrène” dela posture de production de politiquespubliques, affadissement de la pos-ture de prestation, “manipulation” dela posture d’expertise réglementaire :chacun de ces risques peut être sansdoute évité – ou au moins réduit – aucas par cas, en situation.Considérés globalement, ils pointentles limites d’une position de l’Équipe-ment en extériorité au local, princi-palement adossée à des prérogativesclassiques ou antérieures de l’État(l’expertise réglementaire, la techni-cité de ses prestations, la mise enœuvre des politiques territoriales…).

1. S’inscrire davantage dans le territoire

Si l’Équipement souhaite renouveler saposition vis-à-vis du local, il lui faut sansdoute construire une posture davan-tage inscrite dans le territoire, c’est-à-dire plus proche des enjeux contem-porains de l’action publiqueterritoriale. Parce que le pouvoir localse recompose, se fragmente, en suivantles processus de spécialisation des ter-ritoires, on peut considérer qu’il existe,si ce n’est une demande, à tout lemoins, un besoin de régulation, d’in-tercession entre les différentes instancesqui composent le pouvoir local. Il nousparaît qu’il y a là une piste de reposi-tionnement possible pour l’Équipement.Pour assurer cette fonction de régula-tion au sein du système territorial, uncertain nombre de lignes de transfor-mation de la posture de l’Équipementdoivent être envisagées.

2. Construire une position interscalaire

Inscrits aux différents échelons territo-riaux, les services de l’Équipement

spécialisent leurs interventions selonces niveaux. Tendanciellement, lessubdivisions interviennent sur le milieurural, les DDE tentent de traiter la ques-tion urbaine, tandis que les DRE can-tonnent leurs fonctions d’observationet d’allocation des crédits au niveaurégional stricto sensu, c’est-à-direconsidéré comme un échelon d’agré-gation des interventions locales. Si l’É-quipement veut assurer une fonctiond’intercession territoriale, il lui faut àl’inverse rompre avec cette logique despécialisation des niveaux pour tirerparti de sa spécificité, de sa capacitéà combiner les différents échelons ter-ritoriaux auxquels il intervient.Il lui faut donc construire une posi-tion interscalaire, mobiliser conjoin-tement subdivision, DDE et DRE, àpartir de fonctions différenciées,mais autour d’une même posture vis-à-vis du local.

3. Se constituer en interlocuteur des instances politiques

L’Équipement a établi ces dernièresannées, sa relation au local autourd’une dualité d’interlocuteurs : éluspour le rural, techniciens pour l’urbain.Cette distinction tend à s’estomperlorsque l’on observe l’identité des“acteurs-clés” des dynamiqueslocales. Mais surtout la recompositionen cours du pouvoir local fait appa-raître une diversité d’instances poli-tiques de natures hétérogènes. Ainsiautour des pays, des conférences ter-ritoriales, des conseils de développe-ment se constituent des instances poli-tiques inédites, intégrant notammentdes acteurs issus de la société civile(chefs d’entreprises, universitaires…).Bien souvent, les services de l’Équi-pement ignorent de telles instances. Illeur faut donc réviser leur grille de lec-ture des acteurs locaux, ne pas s’entenir à la distinction élus/techniciens

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et s’adresser à la diversité des ins-tances politiques qui constituent lepouvoir local.

4. Fabriquer une représentation géopolitique du local

Pour agir non plus en extériorité auterritoire, mais dans une positiond’entre-deux, dedans et dehors, l’É-quipement doit aussi renouveler sagrille de lecture des enjeux territo-riaux. Il lui faut bien évidemment– comme cela est souvent rappelé –développer une approche davantageintersectorielle et prendre en comptedes dimensions aujourd’hui trop négli-gées, en particulier l’économie et l’en-vironnement.Mais il lui faut surtout construire unevéritable analyse géopolitique du ter-ritoire. Aujourd’hui ce n’est plus le sta-tut d’une institution qui détermine lafonction réelle. Quelle est, parexemple, la fonction effective duConseil Général dans le jeu local ?De quelle stratégie de cohésion terri-toriale est porteuse telle ou telle inter-communalité ? Sans s’arrêter à desjugements de valeur, quel est le res-sort territorial de telle ou telle prise deposition politique ?Il y a là un champ d’expertise consi-dérable pour les services de l’Équi-pement : articuler leur connaissancedes enjeux territoriaux au “point devue” propre à l’État.

5. Mobiliser les leviers à même de constituer des scènes de régulation

Pour assurer cette fonction d’interces-sion entre acteurs territoriaux, l’Équi-pement est en mesure d’organiser des“scènes de régulation”.

Il lui faut pour cela mobiliser commesupports les leviers dont il dispose.On peut lister ces leviers mobilisablesautour de trois registres :

a) Les grands projets de l’État

Ceux-ci (infrastructures – équipements),pensés comme leviers de développe-ment territorial, peuvent constituer desopportunités pour mettre à jour desgrands enjeux territoriaux et susciterdes agencements inter-institutionnels.

b) L’offre procédurale

D’ores et déjà et de la mêmemanière, c’est bien souvent autourd’une procédure initiée par l’État, iciun PLH, là un SCOT, ailleurs uneconvention dans le cadre du contratde Plan, que se sont constituées desscènes de régulation locale inédites.Les services de l’Équipement disposentlà d’un atout majeur, à condition dene pas s’en tenir à la finalité affichéede ces procédures et de s’attacher àleur fonction “méthodologique” autantqu’à leur contenu substantiel.

c) Des objets techniques transitionnels

Enfin, dans le champ d’intervention del’Équipement, il existe de nombreuxobjets qui constituent à la fois desenjeux forts pour les acteurs locaux etdes opportunités pour constituer desscènes de régulation de portée plusgénérale.Ainsi à titre d’exemples, les projets detransports collectifs (tram/train…) oules enjeux de gestion de la ressourceen eau sont ainsi d’excellents “objetstechniques transitionnels”.Ils exigent la mise en relation d’éche-lons institutionnels divers et suscitentl’attention de la plupart des instancespolitiques locales.

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Si le terme “légitimité” a été le maîtremot des années de l’après décentra-lisation, celui de “compétence” pour-rait devenir celui des années à venir.On a vécu une période durantlaquelle les DDE, pour se trouver uneraison d’être, voyaient des clientspartout. Puis on a connu un retour debâton avec des postures de “statuedu Commandeur” régalien. Sanscompter les scénarios de régulationqui transformaient le ministère en unesalle des commandes rassemblantquelques dizaines de haut-fonction-naires en blouse blanche manœu-vrant savamment quelques manettesjuridico-économiques. Mais progres-sivement après des périodes dedoute radical se dessinent desdomaines pour lesquels un serviceterritorial technique d’État (ce qui estbien le cœur du ministère de l’Équi-pement en sa configuration présente)apparaît vraiment pertinent. Mais laquestion aujourd’hui est de savoir siles compétences présentes actuelle-ment au sein du ministère permettentd’y répondre de manière effective.

I. Des fonctions légitimesLe terme “compétence” s’entend endeux sens. Selon le sens juridique etadministratif, la compétence désigneun domaine de responsabilité attribuéà une autorité publique. Selon le senscommun, la compétence désigne unecapacité effective à faire. Ce n’estque dans les esprits des juristes queles deux se rejoignent, que la simpleattribution par la loi d’une responsa-bilité entraîne de facto la capacité àtraiter de manière efficace les pro-blèmes liés au domaine attribué del’action publique.

Les lois de décentralisation ont étéconstruites autour de l’idée de “blocde compétence”, c’est-à-dire l’attribu-tion des responsabilités par thème àdifférentes niveaux territoriaux (lelogement à l’État, la formation conti-nue à la région, le social au départe-ment, l’urbanisme aux villes...). Le faitque la décentralisation ait d’abord étéune départementalisation s’expliquehistoriquement par une volonté defaire sortir de l’ornière un projet dedécentralisation qui était dans les car-tons depuis des décennies et en l’oc-currence de lever la difficulté liée auprincipe constitutionnel de libre admi-nistration des collectivités territoriales.

Près de vingt ans après, on peut dres-ser un bilan controversé de ce partid’organisation de l’interventionpublique. En effet, les lectures sem-blent différentes dans les trois sphèresconstitutives de l’action publique terri-toriale, celle des élus, celle des pro-fessionnels et celle des habitants. Sion suit les conclusions du rapportMauroy, qui reflète plutôt ce qui estpartagé dans la première sphère, ilsemble que ce principe soit clairementplébiscité. En effet, ce rapport envi-sage la suite de la décentralisationdans les mêmes termes que son ori-gine, c’est-à-dire comme une exten-sion des redistributions de compé-tences. En revanche, du côté desprofessionnels, de nombreuses voix sesont élevées pour mettre en cause lapertinence de ces découpages et mon-trer qu’en pratique les domaines sontéclatés ou partagés, que les interven-tions sont toujours partenariales,contractuelles, cofinancées... Quant àla position des habitants, certainssignes sont cependant intéressants à

LES COMPÉTENCES COMPOSITESGilles Jeannot

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noter. Il est évident que la moindreenquête révélerait une incapacité àproposer un tableau précis des com-pétences respectives des collectivitésterritoriales. Mais certains réflexessemblent par ailleurs fortement ancrés.Le public et la presse interpellent natu-rellement l’État dès qu’il s’agit de situa-tions extrêmes (inondations, risques,exclusion extrême, insécurité) ets’adressent tout naturellement à lamairie pour ce qui relève de la viequotidienne. Si l’on veut bien intellec-tualiser ce qui relève de réactionsimmédiates, on pourrait dire que lepublic a spontanément une approchefonctionnelle et non thématique dupartage des compétences entre lescollectivités territoriales.

C’est dans ces écarts avec la défini-tion juridique des compétences quel’on a pu trouver progressivement desvoies pour dépasser les doutes de légi-timité des services déconcentrés duministère. En effet, les lois de décen-tralisation avaient mis les services del’Équipement dans une posture déli-cate. Contrairement aux services desDDASS auxquels on avait retiré à lafois compétences et personnels, les ser-vices de l’Équipement se voyaientmaintenus en personnel avec des com-pétences fragiles. Les routes nationalesconstituaient un “pré carré” trop limitépour être viables et supposaient d’yjoindre une intervention sur les routesdépartementales. Le logement étaitbien une compétence État, mais auniveau local le pouvoir des collectivitéslocales sur les HLM est plus que pré-gnant. Enfin, la culture aménagementdes DDE était prise de front par letransfert de la compétence urbanismeaux communes. Les services de l’Équi-pement vont cependant se refuser àl’inaction et chercher à tâtons (oscillantentre prestations de service, fonctionsde conseil, actions de mise en oeuvrede politiques publiques nationales ouactions régaliennes à construire) unepertinence à ce qu’ils sont : un servicetechnique territorial d’État.

Il se dessine alors une définition dudomaine pertinent d’intervention quiressortit plus de la logique fonction-nelle spontanément prise par le publicque du partage thématique consacrépar les lois de décentralisation1. Cette

décantation est loin d’être achevée eton ne saurait ici dresser un tableau deces fonctions. On se contentera d’in-diquer pour illustration l’une d’entreelles : la capacité à “articuler deséchelles”.

Si les élus sont par les lois de décen-tralisation porteurs de compétencesthématiques, ils sont plus intimementencore, du fait de leur mode d’élec-tion, attachés à un territoire clairementborné. Or, la pollution, le développe-ment économique, les populations enmouvement, se laissent rarementréduire à des territoires aussi précis. Ilsse déplacent d’un territoire politique àun autre, leur traitement suppose aussiun traitement simultané à plusieurséchelles. Certains ont pensé résoudreles plus importantes difficultés à tra-vers un redécoupage des territoiresd’intervention, mais l’observationréelle de la loi Chevènement montreque l’on n’est pas tiré d’affairepuisque dans la plupart des cas, lesintercommunalités définies ne recou-vrent pas les bassins de vie. Les ser-vices de l’Équipement sont, en tantque services de l’État, porteurs dupoint de vue du territoire national(l’Hexagone). C’est le cas lorsqu’ils’agit de trouver un troisième aéroportpour la capitale, ou lorsque l’on éla-bore certaines DTA. Mais cette pos-ture ne les occupe finalement qu’as-sez peu. Dans la plupart des cas,l’État n’a pas de parti fort sur les choixterritoriaux : qu’il y ait du développe-ment économique à Plouhelmel plutôtqu’à Ploulaval lui est relativement indif-férent, pour autant qu’il y ait du déve-loppement économique dans les envi-rons. Ce qui fait alors la légitimité del’intervention des services de l’Équi-pement, c’est justement leur indiffé-rence ou pour le dire de manière plusnoble, leur indépendance vis-à-vis deces partis pris territoriaux (au demeu-rant tout à fait légitimes pour ceux quien sont porteurs), c’est leur capacité àcirculer entre les différentes échelleset à servir de médiateur. Les actionsmenées à l’encontre d’une vaineconcurrence entre zones d’activitésillustrent par exemple cette posture. Ilen va de même d’un certain nombrede “porter à connaissance” quiallaient bien au-delà de la fonctionréglementaire de cette procédure2.

1 Il va de soi dans cette perspective que le non rap-prochement des services d'ingénierie des DDE et desDDA qui font le même type de prestation est plutôtdommageable.2 A contrario on peut indiquer une autre fonctionna-lité à laquelle le ministère s'est appliqué sans pouvoirstabiliser une offre vraiment convaincante, celle du ser-vice aux usagers. Il faut saluer ici l'enthousiasme deceux qui on voulu refonder la légitimité de l'interven-tion du ministère sur le service aux usagers, cela adébouché en particulier sur des journées de l'Équipe-ment consacrées aux engagements de service. Mais ilfaut aussi reconnaître que l'on bute sur de sérieuses dif-ficultés. Dans le domaine routier, lorsque l'on a voulumettre en oeuvre des engagements de service, on a vitecompris que, pour l'usager, les routes nationales nepouvaient être distinguées des routes départementaleset qu'un engagement qui ne serait pas à la fois natio-nal et recouvrant ces deux domaines n'aurait pasgrand sens, ce qui supposait de contractualiser avectous les départements. Et dans d'autres secteurs commel'aménagement ou l'urbanisme, la notion d'usager doitrapidement laisser place à celle de bénéficiaire ou decitoyen. Ceci ne signifie pas bien sûr qu'aucune pres-tation de service ayant des usagers n'existe ni qu'il nefaille pas améliorer les relations avec les administrés,mais plutôt qu'il apparaît difficile de faire de la fonc-tionnalité du service à l'usager une source de légitimitéforte.

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II. Des compétences à conforterMais une fois appréhendées des fonc-tionnalités dans lesquelles les servicesterritoriaux du ministère de l’Équipe-ment peuvent trouver une véritableplus-value dans le contexte actuel et àvenir, se pose une autre question decompétences. Cette fois-ci au secondsens du terme. Les services territoriauxde l’Équipement sont-ils à même derépondre effectivement à ces ques-tions, d’investir ces domaines ? Y-a-t-ilune capacité à prendre en charges lesproblèmes ? On le voit bien dans cer-tains cas, les ressources humainescapables de répondre à certains défissont limitées. Pour prendre l’exempledu contrôle de délégation de servicepublic, qui est extrême, il faut bienreconnaître la difficulté à maintenir enDDE une expertise suffisante sur cessujets, alors qu’en l’absence d’une tra-dition d’ingénierie privée indépen-dante des grands groupes, les servicesde l’État seraient tout à fait légitimes àsoutenir les collectivités locales. Maismême dans des domaines dans les-quels le ministère a une plus forte tra-dition, des manques sont parfois à rele-ver : c’est le cas par exemple autourdes diagnostics territoriaux.

Le besoin de faire des diagnostics ter-ritoriaux s’est fait ressentir à la mêmeépoque à différentes échelles territo-riales : diagnostics en subdivisions des-tinés à préparer une déclinaison despolitiques d’État au niveau infra dépar-temental, diagnostics d’aggloméra-tion, diagnostics au niveau départe-mental, parfois associés aux projetsterritoriaux de l’État. Les diagnosticspeuvent avoir des finalités différentes,ils peuvent être conçus dans une viséede projection des finalités de l’État :où faut-il protéger et où faut-il déve-lopper ou faut-il accompagner une ten-dance existante et où faut-il mettre sesmoyens pour résister ? Ils peuvent êtreconçus dans une visée de coordina-tion des acteurs locaux autour d’unmême problème à résoudre. Les dia-gnostics de sécurité ont été parmi lespremiers de ces diagnostics, on enretrouve autour des enjeux de politiquedes transports urbains, de logementsocial ou de politique de la ville. Lalégitimité des services de l’Équipementpour la première catégorie est très

forte. En effet, au sein des services del’État, si tous les services agissent sur leterritoire, les services de l’Équipementsont ceux qui ont le plus la culture duterritoire. Et c’est naturellement verseux que le préfet se tournera. Pour lesdiagnostics qui visent la coordinationde tous les acteurs locaux, les servicesde l’Équipement ne sauraient intervenirseuls, mais ils ont un regard sur le ter-ritoire différent de celui des collectivi-tés locales et de leurs services et à cetitre susceptible d’apporter une pierrede valeur à la construction commune.

Ce constat de légitimité a priori effec-tué, il faut évoquer ce que l’on ren-contre sur le terrain. D’une part, il y ades expériences qui confirment cettehypothèse de légitimité et les multiplespossibilités de traiter des données ter-ritoriales en leur donnant un sens fortdans la perspective de la définition del’action publique. Ces sont ces expé-riences qui l’on retrouvera volontiersdans les colloques et groupesd’échanges professionnels. Mais der-rière ces bonnes pratiques, il faut bienreconnaître que dans bien des DDE,les moyens d’études générales sonttrès limités et que bien des diagnosticsterritoriaux produits collectent desinformations sans vraiment pouvoirmettre en évidence des enjeux pourl’action publique.

Pourtant, on ne peut nier tout l’effortréalisé dans ce ministère pour le déve-loppement d’outils et d’expertise tech-nique en particulier autour des sys-tèmes d’information géographique.Mais on touche là du doigt une carac-téristique des compétences néces-saires à l’action publique contempo-raine : elles ne se ramènent pas à unemobilisation d’outils sophistiqués etd’expertise. Ce qui fait la différenceentre un diagnostic utile et un dia-gnostic inutile, ce n’est pas la finessedu traitement des données mais labonne adéquation entre le traitementde données et un domaine d’inter-vention publique. Lorsque le sous-pré-fet de Lille traite des données de santépublique territorialisées (consomma-tion de médicament, consultation psy-chiatriques et alcool) et qu’il montreque la carte de la misère ou de lasanté ne recouvre pas celle des aidessociales (RMI…), il pose là des ques-

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tions qui interpellent directement ladéfinition de la politique de la Ville.

La compétence à faire des diagnos-tics territoriaux se trouve alors à lajonction entre l’équipe de directionqui oriente l’action et ceux qui traite-ront des données. Cette capacité àfaire est composite. On développeracet aspect à partir d’un autre exempledans le domaine de l’environnement.

III. Des compétences composites :l’exemple des services depolice de l’eau

La loi sur l’eau de 1992 renverse lalogique d’intervention publique enpartant de la visée du niveau de qua-lité finale des rivières plutôt que d’uneoffre d’infrastructures de collecte etde traitement des rejets calée sur lataille de la population.

Elle ne transforme pas fondamentale-ment le travail d’ingénierie associé àla construction des réseaux d’égoutset des stations d’épuration. Le travailtourne alors autour de l’ajustement del’offre d’infrastructure aux singularitésdu territoire communal et autour de lagarantie de bonne fin des différentstravaux engagés.

Il n’en va pas de même pour l’activitédans les services de police de l’eau,chargés du respect de la loi. Ces ser-vices, autrefois passablement mépri-sés, se trouvent en effet à un nœudimportant de l’application de la loi.Les agents doivent associer la maî-trise d’une connaissance scientifiquedu milieu et de celle des instrumentsdu droit. On peut alors observer plu-sieurs manières d’aborder ces objetsd’intervention à travers les exemplescontrastés de trois DDE3.

Dans l’une des directions départe-mentale de l’équipement étudiée, celaa conduit à composer des liens origi-naux entre ces deux dimensions. Lamaîtrise des données sur la biologiepermet dans un premier temps decibler les enjeux principaux tant entermes de sources d’émission de pol-lution que de sites particulièrement fra-giles. Quelle est la part de la pollutionissue des mondes agricole, domes-

tique et industriel ? Quels sont les sitesles plus fragiles ? Quels sont les effetsde mécanismes biologiques ou méca-niques complexes, comme l’évolutiondes conditions d’eutrophisation selonles saisons, les effets des remontéesdes marées dans les fleuves ou les pro-blèmes associés aux rejets en périoded’étiage ? Cela permet ensuite d’orien-ter les conditions d’interprétation desautorisations incluses dans la loi surl’eau, de suivre de manière fine cer-taines pollutions ou de proposer desméthodes de gestion comme l’utilisa-tion des barrages en période d’étiagepour limiter l’eutrophisation ou le rejetdes effluents à certaines heures de lajournée dans les zones concernées parles remontées des marées. Mais cetteconnaissance des enjeux permet aussid’engager une politique répressiveorganisée. Ceci suppose à la fois dedéfinir les dérives que l’on chercheprioritairement à réduire et de s’en-tendre avec le procureur de la Répu-blique pour que les procès-verbaux nerestent pas sans suite. Ici encore, c’estdans les services de cette DDE que l’ontrouve l’exemple le plus développé decette pratique avec par exemple larecherche et la poursuite de lotisse-ments qui ont été réalisés sansdemande d’autorisation de rejets deseaux pluviales ou avec des actionsorientées sur des sites particulièrementfragiles.

On ne retrouve pas, dans les servicesde police de l’eau des deux autresdépartements étudiés, des liens aussiserrés entre la maîtrise scientifique et lamaîtrise juridique. Dans le deuxièmedépartement, le chef d’unité et le chefde service s’accordent à reconnaîtreun déficit important en ce qui concernela mobilisation des données. Un pôlede l’eau assez peu structuré et deséchanges limités entre les administra-tions ne permettent pas de rassemblerles données concernant l’état desrivières. Il en résulte une gestion moinsintégrée de ces questions. La personnechargée de l’instruction des autorisa-tions reconnaît d’ailleurs le caractèreéclaté et bureaucratique de ses inter-ventions. De son côté, le chef d’unités’est investi principalement sur le sec-teur juridique en approfondissant lesdifférentes composantes du droit, c’est-à-dire non seulement la loi sur l’eau

3 Ceci s'appuie sur une enquête réalisée pour lecompte du CIFP de Nantes, et je remercie Paul Kélifapour avoir suscité cette commande.

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mais aussi le code rural et les régle-mentations liées à la navigation. Desagents ont été assermentés pour laverbalisation et formés à la rédactionde procès verbaux conformes auxrègles. Mais cette action ne s’inscritpas dans une stratégie concertée derésorption de points noirs spécifiés.

Dans le troisième département, lemanque est symétrique. Il y a dans leservice police de l’eau un agent spé-cialiste de l’observation scientifiquedes rejets et de leur impact en milieumarin. Cet agent contractuel est pré-sent sur ce secteur depuis plus de dixans et tout le monde reconnaît le hautniveau de son expertise. La difficultédans ce cas là est de maintenir le lienavec les autres composantes du ser-vice. Ce contractuel travaille en effeten réseau avec d’autres observatoirescomparables et ses connaissances nesont pas toujours suffisamment exploi-tées par le service en charge de l’ap-plication de la loi sur l’eau. Parailleurs, à l’autre bout de la chaîne, laDDE n’a pas engagé de politiquerépressive.

La confrontation de l’activité du servicedu premier département à celle desdeux autres départements révèle parcontraste le caractère essentiel de cettepratique : la capacité à intervenir demanière corrélée dans deux secteursqui ne sont pas indépendants.

Dans le dernier cité, on a produit unecompréhension extrêmement précisedes mécanismes de la nature mais leservice n’est pas capable de la mobi-liser. Ces connaissances sont accumu-lées, échangées entre spécialistes sansêtre utilisées par ceux qui peuventpeser sur l’évolution des pollutions.Dans le second, on trouve une appli-cation routinière du droit, qui cumuledes interventions ponctuelles non coor-données et qui laisse de nombreuxtrous. En effet les mailles de ce filet juri-dique sont bien lâches, on impose lesmêmes niveaux de normes là où lesenjeux sont importants et là où ils ne lesont pas. Au final, les interventions sontplutôt menées de manière aléatoire.

Ce n’est donc que dans le premierexemple que l’on observe cette com-pétence composite, cette capacité à

relier de manière efficace différentesdimensions de l’action publique.

IV. La compétence composite n’estni la technicité ni le management

Derrière l’exemple précédent se joueautre chose que le besoin de mobili-ser des connaissances nouvelles (bio-logie) pour investir un domaine nou-veau (l’environnement) : il y a unemise en cause de fait de la manièredont on définit traditionnellement lacompétence.

Tant que l’action du ministère de l’É-quipement se définissait principale-ment comme la production d’équipe-ments pour répondre à des besoins, ilétait tout à fait performant de créerune division du travail entre les diffé-rents segments de cette production. Achaque segment correspondait la maî-trise d’un domaine de la technique.La capacité à faire était alors définietout naturellement comme la “techni-cité”. Le noyau de base de la techni-cité se trouve alors dans les méthodesde dimensionnement des équipementsproposés. Comment par exempleconcevoir et dimensionner un carre-four ou une station d’épuration ? Aquoi s’ajoutent diverses capacitésannexes permettant leur insertion dansle milieu (administratif, politique etsocial).

Lorsque l’action publique est définiecomme la résolution de problèmes, lesdivisions du travail deviennent alorsplus difficiles, voire contre-productives,et c’est justement de la capacité à sedéplacer entre plusieurs domainesque peut naître l’efficacité globale del’intervention. Il ne faut pas d’un côtéun juriste et de l’autre un expert despollutions mais quelqu’un capable demettre en relation en pratique cesdeux domaines pour agir et non subir.

Cette compétence n’est pas non plussimplement “managériale”. On a eneffet privilégié, par une très fortemobilité fonctionnelle des cadres lacapacité à diriger des équipes dansdes contextes variés ainsi que celle àpositionner un service dans uncontexte politique et administratif.On regroupe ces compétences der-rière le terme un peu réducteur de

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compétences managériales. Mais ilne suffit pas pour être efficace d’êtreun bon “chef” qui supervisera uneéquipe incluant un juriste et un bio-logiste, il faut pouvoir entrer demanière effective dans le contenu desdossiers pour maîtriser véritablementune intervention et peser sur desacteurs externes.

V. Produire les compétences composites : essai de prospective

Si on prend au sérieux les hypo-thèses précédentes, la question descompétences composites n’est pasqu’un chapitre particulier, la GRH,mais est directement liée à la capa-cité de positionnement des servicesde l’Équipement. On peut esquisser àtitre prospectif quelques orientations.

• Gestion du personnel

Produire les compétences compositessuppose de faire évoluer les modes degestion des personnels pour faciliterleur accumulation au cours du temps.La prospective n’est pas loin icipuisque la Direction du personnel desservices et de la modernisation disposedans ses cartons4 d’un projet qui vadans ce sens pour les ingénieurs destravaux publics de l’État.

L’exemple des ingénieurs des travauxpublics de l’État est intéressant à undouble titre : d’une part du fait de laposition centrale prise par ce corps(la majorité des DDE sont dirigées pardes agents étant passés par ce corps :en 1999, 48 % issus de TPE, contre40 % issus de Polytechnique) ; d’autrepart, du fait que celle-ci depuis long-temps et contrairement à d’autrescorps ne se réduit pas à une promo-tion à l’ancienneté. La gestion ducorps a été dominée par une gestiondes compétences. Ce que l’on mesuredans la promotion pour le secondniveau de grade, c’est en priorité unecapacité à faire. Mais la capacitévisée est d’abord une capacité mana-gériale. Une tentative d’atténuer cettetendance à été trouvée à travers lacréation de comités de filières qui seconforment au modèle de la gestionde la recherche avec un jugement parles pairs. Ce modèle alternatifconvient tout à fait pour la gestion des

spécialistes et experts. Et il apparaîtaujourd’hui que ceux-ci ne sont pasplus mal lotis que ceux qui ont fait lechoix de développer un profil degénéraliste manager.

Mais aucun de ces deux modèles nepermet de faciliter l’émergence descompétences composites évoquéesprécédemment. D’où l’idée d’une troi-sième voie de promotion pour des“généralistes de domaine”. Il s’agitalors de dessiner des parcours de car-rière qui permettent d’appréhendersuccessivement différentes compo-santes d’un même domaine en enri-chissant progressivement les points devue sur un même objet. Ainsi dans lesecteur de l’eau, on peut envisager unparcours commençant par un posteconduisant à faire de la maîtrised’œuvre dans le domaine de l’assai-nissement, suivi d’un poste permettantde faire de l’assistance à maîtrise d’ou-vrage dans le même domaine puis unposte dans la police des eaux avantd’être promu pour occuper un postede chef d’arrondissement-environne-ment puis éventuellement d’ouvrir lacarrière dans un domaine différentcomme les constructions publiques quimobilisent des compétences éventuel-lement similaires. Il va de soi que tousles ingénieurs ne souhaitent pas de telsparcours, mais il est important de lesfaciliter pour ceux qui le souhaitent.

L’énoncé de ce projet ne suffit cepen-dant pas. Il faut d’abord qu’il seconcrétise. Mais il faut aussi que desprincipes comparables soient éten-dus aux autres corps et aux différentsniveaux hiérarchiques.

• Réseau scientifique et technique

Si on suit les mêmes hypothèses, demême que l’on est conduit à s’inter-roger en termes de gestion de car-rières sur les limites du couple (mana-ger/spécialiste), on peut en termed’architecture organisationnelle reve-nir sur la question du partage entreles DDE et les services techniques ettout particulièrement DDE/CETE.

Le réseau scientifique et technique ettout particulièrement les CETE ont étépensés à l’époque où l’action publiqueétait conçue comme la productiond’équipements répondant à des

4 Ceci est évoqué en particulier dans le rapport deGeorges Dobias sur la gestion des carrières et des comi-tés de filières et celui d'Alain Decroix sur l'impact duplan de modernisation de l'ingénierie publique sur lagestion prévisionnelle des emplois et des compétencesde janvier 2002.

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besoins. Une des caractéristiques fortede ce modèle d’action publique étaitla capacité à diviser le travail. La divi-sion du travail suivait plusieursmodèles. Dans certains cas, il s’agit toutsimplement de tâches techniques iso-lables (c’est le cas pour une partie desprestations des laboratoires mais aussipour certains types d’études). À cestâches isolées, par exemple d’études,les CETE ont souvent ajouté des fonc-tions d’aide à la formulation de la com-mande. Dans d’autres cas, les relationsétablies reposaient sur un modèle d’ex-pertise, de conseils apportés demanière ponctuelle à un service deDDE qui a la charge d’un dossier. Onvoit aussi se développer des fonctionsde production d’outils (logiciels, guides)mis à disposition des services. Cemodèle est encore valable, on l’a vu,dans bien des secteurs d’interventiondu ministère.

Mais dans les domaines qui ont étépointés ici, la division du travaildevient contre-productive, il faut quece soit dans le même individu oudans une organisation compacte quese condensent les différentes compo-santes de ces compétences compo-sites. Dans l’exemple évoqué dans ledomaine de l’eau, on n’imagine pasce qu’aurait pu apporter une “étude”isolée. De même, la figure du spé-cialiste externe susceptible d’appor-ter un éclairage “pointu” sur unequestion précise se trouve aussi bous-culée. Les questions essentielles sonten effet de moins en moins précises etde plus en plus transversales. Com-ment alors découper une demanded’intervention ? Les savoir essentielsne peuvent plus prendre la formed’une expertise isolable. Il en va demême de la propension à générerdes “outils”. Si on revient à l’exempledes diagnostics territoriaux, on adéveloppé des instruments sophisti-qués de systèmes d’information géo-graphique, et des logiciels de traite-ment des données géographiques ontété mis à la disposition des services.Cela ne suffit pas nécessairement àproduire la compétence composite

propre à la définition d’un diagnosticterritorial porteur de sens.

La question ici n’est pas de “nouveauxdomaines” qui appelleraient de nou-veaux investissements des servicestechniques spécialisés mais de nou-velles formes de compétences quiappellent de nouvelles formes d’orga-nisation du travail. Y-a-t-il de nouvellesformes de divisions du travail à recher-cher entre spécialistes et agents desservices territoriaux ? Ou faut-il recher-cher d’autres facteurs organisationnelsde promotion de ces compétencescomposites (pôles de compétence,réseaux et clubs…) ?

• Faire et “faire faire”

Difficile de finir sans revenir sur cedébat récurrent au sein du ministèrede l’Équipement à propos des com-pétences. Il a été de bon ton durantun certain nombre d’années deremettre en cause cet adage de ter-rain que l’on ne pouvait pas fairefaire si on ne connaissait pas lecontenu même des pratiques que l’ondirige et si l’on n’a pas à un certainmoment fait soi-même. Depuis, onn’a pas vu émerger de manièreconvaincante des pratiques purementjuridiques ou économiques permet-tant une régulation sans rentrer dansle contenu de la prestation. L’hypo-thèse des compétences compositesest plutôt du côté de cet adage deterrain.

Faut-il pour autant en déduire qu’ilfaille maintenir une part de produc-tion dans des domaines que l’on sou-haite contrôler ? Pas forcément. Il esten effet possible de composer danscertains secteurs des compétences enfacilitant le passage de personnelsissus des collectivités locales. Pourrevenir sur l’exemple du contrôle dedélégation de service public, desparcours permettant à des agentsayant travaillé dans des régies com-munales d’intégrer des services decontrôle d’État, participeraient sansaucun doute du bien public.

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Partie V

À PROPOS DE LA DÉCENTRALISATION ET DE L’AVENIR DU MINISTÈRE

DE L’ÉQUIPEMENT L’AU-DELÀ DU VISIBLE

François Perdrizet

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Dans les échanges de “l’atelier de pros-pective”, nous avons peu parlé des per-sonnels de travaux et de leur avenir.Ils représentent pourtant plus de 40 %des agents du ministère. Ils incarnentune tradition forte et ancienne du ser-vice public ; et ils manifestent de façonconcrète l’ancrage, la présence denotre ministère dans le territoire (leshommes “orange”).

Ce silence relatif me pesait : ce sont lesagents de travaux et les conducteursqui m’ont appris ce qu’étaient le ser-vice public et le dévouement. Le déneigement du col du Rousset dansla Drôme, vous connaissez ? Lisezalors l’article d’Équipement Magazinede mars 20004.

Dans ce silence, il y a eu néanmoinsune éclaircie, quand l’un des partici-

PARTIE V : À PROPOS DE LA DÉCENTRALISATION

ET DE L’AVENIR DU MINISTÈRE DE L’ÉQUIPEMENT L’AU-DELÀ DU VISIBLE

François Perdrizet*

* Directeur de la DRAST.1 Juin 2002. Atelier de prospective sur la décentrali-sation et l’avenir de l’Équipement, organisé par laDRAST.2 Et son personnel d’encadrement.3 Ce terme recouvre également l’entretien des routes4 DDE de la Drôme, c’est ainsi qu’on déneigeait …

I. DE NOTRE SYMBIOSE AVEC LES AGENTS DE TRAVAUX2 ET L’EXPLOITATION3 DES ROUTES

INTRODUCTION

Dans son discours de politique géné-rale du 3 juillet 2002, le Premierministre, Jean-Pierre Raffarin an-nonce une étape innovante de ladécentralisation fondée sur unedouble exigence de cohérence et deproximité.

Cette étape va nous concerner, nousministère de l’Équipement, notam-ment en raison de l’éventualité d’untransfert de l’aménagement et del’exploitation des routes nationalesaux régions (ou aux départements),et de celui des aides localisables à laconstruction (prêts à la construction,à la réhabilitation des logementssociaux, …) aux régions.

Que penser de ces évolutions annon-cées qui peuvent avoir une incidenceimportante sur l’organisation de notreministère et sur la vie professionnellede nombre de ses fonctionnaires ?

Dans le texte qui suit, je vais essayerà titre personnel d’apporter des élé-ments de réponse à cette question en

essayant de mieux comprendre lapart cachée, invisible, qui se situe au-delà des idées soulignées de façonhabituelle dans les propos sur ladécentralisation.

Je suis conscient que parler de cethème de la décentralisation au seinde notre ministère et de l’État est dif-ficile pour deux raisons au moins. Cela ressemble d’abord au fameuxkoan zen, où le maître armé d’unbâton, dit à son disciple : “Si tu parles,je te frappe ; si tu ne parles pas, je tefrappe ? Que peut faire le disciple ?”Cela exige ensuite de retrouver uneinnocence clairvoyante qui tienne àdistance aussi bien la nostalgie dupassé que le conformisme d’autoritéou de modernité.

Et pourtant, suite à un récent atelierde prospective1, j’ai l’impression qu’ilest temps pour chacun de nous de par-ler de ce thème, avec courage, dansle souci de l’avenir de notre ministèreet de l’action publique.

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5 Le réformisme pervers. Le cas des sapeurs-pompiers(PUF 2002).6 Voir par exemple la brochure de novembre 91 dela DDE de la Moselle “Le métier d’agents de travaux”.7 Source : “La société du risque et le ministère de l’É-quipement post-moderne”. Jean-Yves Padioleau.

pants a déclaré tout de go : l’avenirdu service d’exploitation des routes,“comme opérateur de services, c’estle département ; comme intervenantdans les crises, c’est l’État”.

En effet, il mettait ainsi le doigt surdes questions ayant trait à la naturedes activités et au sens que leurdonne la conscience collective de lasociété.

Deux réflexions avant d’aller plusen avant avec le métier d’agent detravaux :

– tenir un guichet de poste dans unquartier défavorisé ou dans uncentre ville sont deux activités diffé-rentes. Dans le premier cas, celarelève d’un service public-solidaritéoù il s’agit souvent d’être disponibleet d’aider des gens en difficulté,sans compter son temps ; dansl’autre cas, cela a trait au servicepublic-efficience, avec un usagerqui ressemble à un client porteurd’exigences.

– Comme le montre l’analyse intéres-sante de J. Padioleau5 concernantla réforme des services d’incendieet de secours, les réformes ont sou-vent recours à un modèle implicitequi privilégie l’instrumental et l’utili-taire au détriment des valeurs et destraditions, autrement dit une formede choix qui met l’accent sur l’or-ganisation avec sa référence d’effi-cience, plutôt que l’institution avecson ressort d’engagement.

Cette façon de mener des réformesferme la porte à l’exploration de voiesnouvelles et comporte des effets indé-sirables. Dans le cas des sapeurs-pom-piers, c’était mettre l’accent sur le côté“secours” de la société du risque (plu-tôt que sur la prévention) ; c’étaitremettre en cause le positionnement duvolontariat et aussi s’engager dans unprocessus de croissance des coûts.

1. Le métier d’agent de travauxLa description du métier d’agent detravaux6 est difficile, car celui-ci faitappel à des compétences diverses(mécanicien, conducteur d’engins,jardinier, maçon, soudeur …), avecdes natures d’activité qui dépendent

des lieux et des territoires (de l’auto-route urbaine à la petite route decampagne …)

De façon schématique, leur missionest de rendre la route plus agréable etsûre pour tous, ce qui fait des agentsdes jardiniers et des “saints-bernards”.

• Des jardiniers : cela comporte destâches mécanisées, comme le fau-chage et le débroussaillage des acco-tements, l’élagage des haies, lecurage des fossés, aussi bien que destravaux “artisanaux” : la création desaignées ou le nettoyage des petitsouvrages hydrauliques, la peinturedes gardes corps, des activités demaçonnerie …

• Des “saints-bernards” : ce sontd’abord des interventions d’urgence,en cas d’accidents, de tempêtes ou depollutions et bien sûr le service hiver-nal avec le salage et le déneigement.C’est aussi tout un aspect de préven-tion, le maintien en état de la signali-sation verticale, le bouchage des nidsde poule ou les réparations localiséesdes chaussées …

Les activités correspondantes plani-fiées au quotidien ou à la semainepar des conducteurs de travaux etdes chefs d’équipe font largementappel à l’autonomie des agents quitravaillent souvent en binôme.

C’est donc un métier très varié du faitde la diversité des activités en fonc-tion notamment du rythme des sai-sons. C’est également un métier diffi-cile avec la pression impromptue desévènements, le danger de certainessituations, parfois le manque de res-pect des automobilistes et avec destâches ingrates du style “poubelle”. Un métier qui allie tradition etmodernisme.

Au niveau des directions départe-mentales de l’Équipement, le réseaudes entités de base où s’exerce cemétier (c’est-à-dire les centres d’ex-ploitations et les subdivisions) est unacteur collectif qui relève à la fois del’organisation et de l’institution7.

– Comme organisation, cet acteurcollectif ressemble pour partie àune entreprise, attentive aux critères

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8 Cette fierté relève clairement de la logique de l’honneur.

d’efficacité, d’efficience et d’éco-nomie. Ce caractère est plus parti-culièrement affirmé dans le rôle dujardinier où la fierté8 du travail bienfait pour le bien commun joue ungrand rôle. La dimension de lapolyvalence des activités et l’exi-gence de disponibilité introduisentpar ailleurs des spécificités auxmodalités d’intervention de cetteentreprise.

– Comme institution, cet acteur col-lectif, porteur de valeurs et héritierd’une longue tradition, est marquépar les situations difficiles auquel ilest confronté et qui mettent en jeusouvent la sécurité des personnes.

Ces situations comme aventures col-lectives, donnent de la grandeur aumétier et appellent la reconnaissancedes tiers. La valeur de référence estle dévouement au service public.

Toujours à propos de ce réseau desubdivisions et de centres d’exploi-tation, mentionnons encore qu’ilintervient au-delà du domaine desroutes, car son ancrage territorial luipermet de connaître et d’agir locale-ment pour la puissance publique. Jepense, par exemple, à l’enlèvementdes poissons morts sur une rivière encas de pollution ou aux visites sur leterrain avant de délivrer les permisde construire ou autres autorisations.

Après cette approche du métierd’agent de travaux et une mention àl’acteur collectif qui en représenteune traduction, il nous faut mainte-nant aborder des étonnements, desinterrogations et des suggestions quiconcernent l’avenir.

2. De l’exploitation de la route et de la puissance publique

L’existence d’un réseau routier a pourfinalité principale de permettre leséchanges économiques et d’assurerla liberté de déplacements des per-sonnes, et ce dans les meilleurs condi-tions possibles, notamment de sécu-rité. Cette finalité se décline à deséchelles différentes de territoires etcorrespond à des déplacements trèsvariables en nature et en intensité.L’exploitation de ce réseau fait appel

à la notion d’itinéraires ou de maillagede réseaux. Plusieurs acteurs publics ycontribuent et doivent coopérer entreeux. La nécessité d’intervenir sur lesréseaux exige d’avoir des installationspermanentes à moins d’une heure detrajet l’une de l’autre.

Faisons maintenant trois ou quatreremarques plus précises.

– L’État devrait semble-t-il être respon-sable de la création et de l’exploi-tation des liaisons à grande portée :autoroutes interurbaines et voiesrapides liées à l’aménagement duterritoire. De fait, dans notre pays, laplus part des autoroutes en rasecampagne font l’objet d’un péage etleur exploitation est confiée à dessociétés concessionnaires.

Est-ce une situation durable à vingtou trente ans ? D’autant que les évé-nements qui se déroulent sur cesautoroutes (congestion, aléas clima-tiques, accidents, …) appellent l’Étaten responsabilité.Est-il envisageable que l’État se retirecomplètement de l’exploitationdirecte du réseau routier avec desautoroutes confiées à des sociétés, etles autres routes nationales remisesaux collectivités locales ?

– Les logiques de répartition des routesentre l’État, les départements et lescommunes, présentent une certainecomplexité notamment au voisinagedes agglomérations.

Lors du déclassement de certainesroutes nationales vers les départementsdans les années 50, quelques principesavaient guidé le partage État/Dépar-tement. Doubler les autoroutes àpéage, participer au maillage routierprincipal entre départements, assurerla continuité des itinéraires dans leszones urbaines, furent ainsi les raisonsprincipales pour conserver certainesroutes dans le domaine national.Si l’on envisage de redéfinir ce par-tage entre l’État et les collectivitéslocales, il faut de façon certaine faireintervenir les régions pour assurer lacohérence du maillage routier desroutes départementales.De plus, l’existence d’itinéraires rou-tiers (hors autoroute), communs à plu-

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9 S’inspire de l’article “La société du risque et le minis-tère de l’Équipement Post-moderne” Padioleau 2002.10 Positionnement, automatisation, informatique, com-munication.

sieurs régions, nécessitera une ins-tance de coordination entre ces der-nières avec la participation de l’État.

– L’usager bien sûr est indifférent à cesrégulations entre acteurs publics. Ilne peut que constater que des routesnationales étroites et saturées voisi-nent à côté de routes à 2x2 voiesdépartementales, avec un traficfaible, ou bien que l’entretien deroutes de montagne laisse à désirer.

Enfin, en tout état de cause, quand ily a catastrophe d’importance, l’usa-ger ne connaît qu’un acteur : l’État etses services (police, gendarmerie,équipement …). Et en tout état decause, ce dernier est directementconcerné par l’insécurité routière, sesmorts, ses blessés et ses handicapés.

3. De la société du risqueet du développement durable9

Essayons d’esquisser une autre visionde la place de l’État local, non plusà partir de l’exploitation de la route,mais en se fondant sur les notions desûreté (mettre à l’abri) environne-mentale et de sécurité des citoyens.Cette démarche implique que l’ons’intéresse aux risques, non seule-ment négatifs (dangers, dommages,catastrophes …) avec des exigencesd’interventions d’urgence, mais aussiaux risques positifs (prise de risque)avec des aspects de prévoyance, derégulation, de développement localet d’aménagement … Les services ter-ritoriaux de l’Agriculture et de l’É-quipement connaissent bien cedouble aspect du risque à doubleface (Janusien).Cela veut dire que l’on prend encompte les routes et d’autres réseauxcomme les cours d’eau, les couloirsd’avalanche, les zones de glissementsde terrains …, les côtes fragiles, lesvoies de déplacement indispensablesà la biodiversité et ce dans l’optiqued’éviter des dégradations irréver-sibles. Cette approche a déjà connuun début de mise en œuvre dans leTerritoire de Belfort avec le conceptd’“infrastructure verte et bleue”.Elle implique la mise en place de sys-tème d’observations et le recours àdes régulations qui associent écono-mie et environnement. Ainsi le péage

sur les autoroutes prend en compte lacontribution des véhicules à l’effet deserre et aux diverses pollutions.Enfin, cette démarche suppose uneorganisation de l’État local quifédère les services de l’Environne-ment, de l’Agriculture ou de l’Équi-pement et peut-être de l’Industrie. Enparticulier tous les agents qui sont enrelation directe avec le terrain agis-sent en synergie.Et les agents de travaux voient leurrôle de jardinier enrichi par des pré-occupations de sûreté et d’environ-nement plus larges.

4. De quelques évolutions possibles et de leur impact sur les métiers de l’exploitation

En amont de la vision précédente,mentionnons d’autres évolutions pré-visibles.

L’aspect “prévention” et ses consé-quences au niveau de l’observation,vont sans doute se renforcer que cesoit pour la sécurité routière ou latenue des ouvrages. En particulier,les aléas climatiques peuvent fragili-ser les routes, les ponts et leursabords, tout comme les changementsde régime hydraulique (relèvementdes nappes, inondations …).

Les progrès en matière de “techno-logies intelligentes”10 laissent entre-voir que les véhicules aussi bien queles routes peuvent devenir intelli-gentes. Cette évolution peut s’avérerindispensable pour traiter la conges-tion ou optimiser l’écoulement desflux de véhicules (camions parexemple), pour sécuriser certainspassages critiques (tunnels parexemple) ou encore renforcer la sécu-rité de conduite des automobiles ouréguler les flux des nuisances …D’ores et déjà, la question des inter-ventions sous forte circulation représenteun défi à l’exploitation et appelle dessolutions technologiques innovantes.Cette introduction croissante de “l’in-telligence” dans l’exploitation desroutes nécessitera à l’évidence denouvelles compétences “pointues” àtous les niveaux des métiers de l’ex-ploitation, y compris celui d’agentsde travaux.

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11 Par opposition à l’autorité aristocratique ou à l’autorité cléricale.12 Référence implicite à l’ONF.

Il est possible de distinguer deuxaspects dans les activités du jardi-nier, celui qui correspond à destâches de rendements et l’autre quirelève de l’artisanat ; en bref, d’uncôté le tracteur-tondeuse et de l’autrel’entretien des fleurs. Ce doubleaspect du métier s’applique à celuid’agent de travaux.Vouloir fragmenter son rôle de jardi-nier pour des raisons d’efficacité etd’économie semblerait dans de nom-breux cas une double erreur.En effet, la remise en cause de sa poly-valence et de son association avec lerôle de saint-bernard paraît plutôtgénérateur de coûts supplémentaires.D’autre part, sur le plan humain, lemétier se réduirait à des petits tra-vaux et à une fonction d’éboueur –ce qui le rendrait peu valorisant.

Le comportement des usagers vis-à-visdu bien commun qu’est la route, n’évo-lue guère vers le respect des personnesqui y travaillent (des gêneurs …) ou lemaintien naturel de la propreté deslieux (abondon de déchets, dégrada-tion des aires de repos …).

Cela signifie sans doute qu’il faudra àl’instar des gardiens de parcs doter lesgestionnaires de base d’une fonctiond’autorité.

Signalons enfin les conflits d’intérêtliés aux abords des routes : la des-serte des constructions, la présencedes arbres et des obstacles, le rôleécologique des accotements et desfossés … Ce sont autant de sujets quidemandent des médiations publiquesavec des interférences de niveau.

5. De l’exercice futur du métier et de son ancrage local

“Qui paie commande”, voilà un pro-pos utilisé parfois par certains prési-dents de conseils généraux dansleurs rapports avec les directionsdépartementales de l’Équipement etdont l’écho se retrouve en filigranedans l’argumentaire en faveur dutransfert des agents de travaux versles départements.Un propos un peu grinçant pour ceuxqui aspirent à un service public avecdes valeurs affirmées, car il fait réfé-rence implicite à l’“autorité servile”11.

Il ne doit cependant pas nous faireoublier l’effort important de la majo-rité des conseils généraux pour four-nir des conditions de travail satisfai-santes aux équipes d’exploitation dela route mises à leur disposition.

Même s’il recueillait l’adhésion despersonnels, un ancrage complet auniveau des départements de cemétier présenterait à mon avis desinconvénients importants :

– en matière de responsabilité d’ex-ploitation.

Les régions et l’État auraient du mal àfaire prévaloir leur souci de cohé-rence du réseau supra-départementalet leur leadership face aux situationsde crise ;

– en matière d’ouverture et de dyna-misme du métier.

Cela figerait sans doute l’évolutiondu champ d’intervention du métier :cela rendrait plus difficiles l’innova-tion et son transfert ainsi que lerenouvellement des compétences parla formation. Enfin, la mobilité pro-fessionnelle, notamment celle qui estliée à des parcours de promotion,serait probablement réduite ;

– en matière de service public. L’exploitation de la route deviendraitun service public localisé, avec desdisparités plus fortes entre départe-ments (riches ou pauvres), avec unelente disparition des valeurs d’institu-tion de portée nationale et d’une iden-tité reconnue par nos concitoyens (leshommes oranges).

Les considérations précédentesseraient sans doute à approfondir et àcritiquer. En tout cas, si le maintien dela situation actuelle ne paraît pas com-patible avec les intérêts ou les prioritésde l’État, ces dernières militent aumoins en faveur de la création auniveau des régions, d’“offices régio-naux d’exploitation”12, où seraientreprésentés la région, l’État et lesdépartements.Ces offices joueraient un rôle essentielpour définir les priorités du métier,organiser la gestion des parcours pro-fessionnels, promouvoir les démarchesinnovantes, coordonner les pro-grammes opérationnels d’intervention.Dans ce schéma, les départements

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Sous ce titre, il est possible13 de distin-guer trois niveaux : les questions orga-nisationnelles, les ordres institutionnels(et la décentralisation) et la transfor-mation de l’action publique pour com-prendre toute réforme de l’État14.

1. Faut-il poursuivre la décentralisation ? Pourquoi ?

Quand on lit les textes récents15 sur lapoursuite de décentralisation, il estdifficile de comprendre les raisonsde fond qui en explicitent la nécessitéou l’intérêt.Prenons par exemple le rapport Mau-roy avec ses 2 axes fondamentaux :

– réorganiser les territoires et lescompétences,

– assurer la qualité et la transpa-rence de la décision locale.

Dans le premier axe sont rappeléesles difficultés liées à l’émiettementcommunal et l’intérêt d’accélérer lamise en place de structures inter-communales fortes.L’avenir réel des communes au sein deces nouvelles entités est laissé en sus-pens. Par ailleurs, le département estjugé comme “irremplaçable” enmatière de proximité et “il est souhaitéfaire émerger un pouvoir régional fort”.Suit une liste de propositions de nou-veaux transferts de compétences aunom du principe de subsidiarité avecune spécialisation de l’État dans sesmissions régaliennes et dans descompétences liées aux impératifs desolidarité et de cohérence nationale.

Pour le second axe, il est proposé unrenforcement de la démocratie deproximité, un meilleur accès auxfonctions électives, une adaptationde la fonction publique territorialeaux exigences de la décentralisation,une refonte des finances locales.

Par ailleurs, en ce qui concerne lesdomaines d’intervention du ministèrede l’Équipement, le rapport Mauroyaffirme et recommande :

– le rôle des communes en matièred’habitat social est amputé, du faitque l’État garde la maîtrise finan-cière des aides au logement. Lesaides localisables doivent pouvoirêtre attribuées après consultationdes collectivités locales concernées ;

– l’État est désengagé dans ledomaine routier car le réseau natio-nal ne représente plus que 4 % dela longueur totale du réseau. Il estdonc proposé un nouveau déclas-sement au profit du réseau dépar-temental et un transfert de gestiondes services de l’Équipement parsouci de clarification.

Sans vouloir juger sur le fond ces consi-dérations relatives à la décentralisa-tion, je ne peux m’empêcher de pen-ser qu’elles reflètent plutôt des rapportsde pouvoir au sein de l’ordre institu-tionnel des responsables des collecti-vités locales, et témoignent de l’ab-sence d’une volonté de l’État et d’uneexpression directe des citoyens.

L’expression de ces positions prendappui souvent sur des formulationsabstraites qui s’apparentent à des“hypothèses transcendantes nonquestionnées”16. À la réflexion, cen’est pas étonnant car ces prises deposition intéressent une partie duniveau 2 (les ordres institutionnels),sans réflexion spécifique sur les deuxautres niveaux (les questions organi-sationnelles et la transformation del’action publique)17.Plus simplement, il est possible de com-mencer par deux interrogations naïvesqui devraient permettre de com-prendre les raisons d’une évolution dela décentralisation.

13 Voir annexe.14 Cf l’article “Quelle réforme de l’État en France Rou-ban – Futuribles mars 2002.15 Cf une vision de synthèse “Quelles perspectives derenforcement de la décentralisation”. Nemery 2002.16 Selon l’expression d’un préfet.17 Cf l’introduction du paragraphe.

II. À PROPOS DE LA DÉCENTRALISATION ET DE LA RÉFORME DE L’ÉTAT

conserveraient une part significatived’initiative mais apparaîtraient commedes instances de proximité.

En conclusion de ce paragraphe, jevoudrais faire état d’une convictionprofonde.

La noblesse et la grandeur de ce métierd’agent de travaux constituent desvaleurs qu’il convient de respecter danstoute évolution et ce non pas seulementcomme un témoignage d’une traditionestimable, mais parce qu’elles portentdes potentiels d’adaptation indispen-sable à un service public du futur.

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18 Je ne connais pas d’ouvrages y faisant mention defaçon approfondie – voir néanmoins la revue Sociétal,12/99.19 Cf Montesquieu et Tocqueville.

– Quel bilan peut-on faire de ladécentralisation ?– Quelles seront à l’avenir les poli-tiques publiques prioritaires ?

2. Un bilan de la décentralisation

De façon générale, l’évaluation despolitiques publiques et leurs effets surle tissu social n’ont pas réellement étépris en compte dans la dernièredécennie. Il en va de même pourl’évaluation de la décentralisation18.Certes, diverses enquêtes ont étéfaites au niveau des élus, mais lescitoyens n’ont pas été concernés pardes démarches évaluatives sur ladécentralisation.Contentons-nous donc, faute demieux pour un bilan, de repérerquelques traits significatifs, en parti-culier au niveau des départements :

– la décentralisation a permis d’élar-gir l’espace de choix des collectivi-tés locales (cf l’urbanisme et le droitdu sol …) et de libérer les initiatives(cf des programmes publics, desopérations nouvelles …).

– Elle s’est accompagnée souventd’un effort de gestion remarquable(cf l’action sociale, les collèges oules lycées …) et d’une clarificationde leur interventions (cf le départe-ment et ses subventions …).

– Nous en connaissons mal les effetsen terme d’inégalités entre terri-toires ou entre citoyens, fautenotamment d’indicateurs pertinents.

– La décentralisation de compétencesayant pour corrolaire une fortedemande politique et sociale d’éga-lité a amené l’État à réinventer despolitiques publiques (d’État ou à ges-tion partagée). C’est l’exemple del’action sociale, pour laquelle encomplément de la focalisation desdépartements sur des populationsciblées, l’État a réinventé des pro-grammes et des dispositifs commeles programmes pauvreté-précarité,le RMI, les fonds d’urgence ou laCMU (couverture médicale univer-selle). C’est encore le cas avec laformation professionnelle et larégion, du fait de la priorité natio-nale de l’emploi et du rôle de l’État.

– Les tentatives de l’État d’associer lescollectivités locales à certains

domaines dont il est responsable ontparfois connu un succès très relatif.Je pense par exemple aux plansdivers sur le logement et l’habitat(défavorisés, plans locaux, …) oubien encore à la politique de la ville.

Certes la complexité des questions enjeu avec leur viscosité sociétaleexplique des avancées modestes.Mais il y a eu aussi une synergie insuf-fisante entre acteurs publics comme siles orientations nationales “ver-tueuses” n’étaient pas partagées sur leplan local (une forme de découplage).

– Le contrôle-régulation de la décen-tralisation a été assuré tant par l’in-sertion des élus locaux dans la classepolitique nationale que par l’instau-ration de processus judiciaires admi-nistratifs (chambres régionales descomptes, contrôle de légalité du pré-fet …). Sachant que notre pays secaractérise par une hiérarchie decommunautés et une tradition peurespectueuse de la loi19, deux inter-rogations me viennent à l’esprit :

La décentralisation ne s’est-elle pasaccompagnée d’une certaine dérivetendant à s’accommoder vers plusd’accommodement des lois ?La déconcentration renforcée auniveau des préfets n’est-elle pas unevoie naturelle pour intervenir danscette hiérarchie de communautés ?

– Enfin, un bilan de la décentralisa-tion ne peut avoir de sens que s’ilest mis en perspective avec lesenjeux auxquels a été confronté l’É-tat pendant ces vingt dernièresannées. L’État a eu en particulier, àgérer des politiques difficiles àmener comme la santé, l’environ-nement ou l’emploi.

3. Quel avenir pour les politiquespubliques prioritaires ?

En ce qui concerne la seconde inter-rogation sur les politiques publiquesprioritaires, il convient tout d’abord derelever quelques éléments marquantsde ces deux dernières décennies :

C’est d’abord l’intégration euro-péenne, avec son processus législatifet normatif. C’est encore, l’ouverturedu local vers le mondial qui remet en

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20 Voir l’analyse de Behar “Élus locaux et ministère del’Équipement” – avril 2002.21 Voir référence 20.

cause la notion du territoire : “territo-rialiser” l’action publique devient plusdifficile.C’est ensuite l’émergence et l’institu-tionnalisation de nouveaux groupesd’intérêt, publics ou privés, qui inter-viennent autant sur l’espace public(défendre les sans-abri, l’alimentationbiologique, ou renforcer le contrôledes circulations, les intérêts indus-triels à Bruxelles …) que dans les pro-cédures de création de normes. Cetteémergence interroge la pertinencede notre démocratie délégative tra-ditionnelle.C’est enfin plus récemment la montéeen puissance de l’intercommunalitéavec une recomposition de la structuredu pouvoir local qui prend ses dis-tances à la fois vis-à-vis du modèle desblocs de compétences et du modèle“monocratique” communal hérité dela Révolution française : réduction del’émiettement communal et dynamiquede fragmentation politique entre desinstances avec des fonctions différen-ciées et interdépendantes20.

– L’État reste le grand responsable del’action publique, comme on peut leconstater lors des catastrophes, natu-relles ou non, et il paraît vraisem-blable que la demande d’“imputa-tion” ne s’atténuera pas de sitôt.

Aussi une gouvernance où l’État secontenterait de faire faire par d’autresque lui-même et d’être un aiguilleurdu social apparaît comme une voietout à fait étroite.Par exemple, face à une série d’ac-cidents graves des ascenseurs dansles bâtiments, ou devant le constatde nombreux logements indignes denos concitoyens, à qui l’État peut-ils’adresser pour organiser les actionsqui portent remède : à des agencesspécialisées de type anglo-saxon ?ou à d’autres collectivités locales ?ou simplement à ses services ?(quand il en dispose ?)

4. Quels modes d’interventionfuturs de l’État ?

Il paraît donc difficile que l’État sedébarrasse de la substance des poli-tiques publiques. Il aura alors lechoix entre deux attitudes :

– concentrer ses efforts sur quelquespolitiques publiques d’ampleur,comme la société du risque ou lalutte contre la précarité et se donnerles moyens indispensables pour lesmettre en œuvre ;

– construire une coopération, un par-tenariat avec les régions sur desdomaines de politiques publiquesterritoriales plus larges. Cela sup-pose l’établissement de relations deconfiance par le partage devaleurs communes, ce qui va bienau-delà de la notion de contrat.

Quant aux modalités d’intervention,il faut remarquer des scènes de régu-lation où se réalisent des fonctionsd’intercession entre partenaires.Citons à titre d’exemples les grandsprojets, l’offre procédurale (contratsde ville, agences foncières, …) ou lesobjets techniques transitionnels (trans-port collectif, ressources en eau …).

Se posera en tout état de cause la ques-tion des ressources. Comment parexemple réduire les effectifs quand lademande de service ne cesse de croîtreet de se complexifier.Pour l’État, il paraît difficile à la fois deréduire les effectifs de certains minis-tères et d’augmenter ceux de la policeet de la justice, tout en envisageantde remettre dans le cadre d’unedécentralisation à venir les effectifsd’agents de travaux aux départementspar exemple (ce qui revient en toutejustice à en figer le nombre).D’une certaine façon, décentraliser,revient pour l’État à réduire sesmarges de manœuvre.Dans le cas cité des agents de tra-vaux, il ne paraît pas possible demettre en avant des efforts de pro-ductivité significatifs à l’avenir en rai-son de l’ampleur de la modernisationdes services de l’Équipement réaliséces vingt dernières années.

Terminons avec des recommanda-tions intéressantes pour le ministèrede l’Équipement21 :

– dépasser les postures dominantesactuelles : à savoir, une posture deproduction de politiques publiques,de prestataire, ou d’expert réglemen-taire.

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Chacun s’accorde à reconnaître quela complexité croissante de l’actionpublique et de ses projets22 entraînedes interférences fortes entre la sphèredu “politique” et celle du “technique”voire des imbrications étroites.

1. Intéractions entre le politiqueet le technique dans l’actionpublique

Derrière le terme “politique”, il y anon seulement la référence à un pro-cessus de décision/orientation, met-tant en jeu des ressources publiques,mais aussi des démarches de média-tion entre de nombreux acteurs etintérêts, et également des responsa-bilités assumées de façon publiquevis-à-vis de la société.Avec la notion “technique”, nousentendons aussi bien la mise en œuvrede compétences scientifiques ou tech-niques que l’aptitude à organiser desprocessus de conception/réalisationou encore à proposer des objets nou-veaux acceptables par l’ensemble desparties concernées.

Cette hybridation des sphères s’ac-compagne d’une remise en cause23 dudouble partage traditionnel de lascience/technique d’un côté et de ladémocratie de l’autre. Plus précisé-ment, la technique n’est plus l’apanagede quelques “sachants” ; l’expertisescientifique se multiplie au sein degroupes sociaux et suscite des contro-verses publiques. De l’autre côté, ladémocratie délégative habituelle estinterpellée par des groupes de citoyensporteurs d’intérêts spécifiques qui veu-lent participer à l’action publique.Ainsi la science/technique devientouverte, et la démocratie participative.

Au sein même des institutionspubliques, la nécessité de produiredes interférences créatrices de valeurentre les deux sphères précédentes,

conduit à s’interroger sur la qualitédes relations et la synergie des inter-ventions qui doivent prévaloir entre lesélus et les fonctionnaires.

Un contre-exemple pour rendreconcrète cette question : en matièrede prospective territoriale, un consul-tant déplorait récemment le silence detechniciens compétents des collectivi-tés locales qui ne jugeaient pas légi-times pour se prononcer sur l’avenird’un territoire.À l’inverse, la recherche de cette qua-lité et de cette synergie explique pourune partie la tendance à la politisa-tion de la fonction publique car il estnaturel, face à des politiquespubliques difficiles à contrôler parsuite de la complexité technique etsociale, de déléguer à des partenairespartageant les mêmes convictions.

Au-delà de cette forme de réponseen terme de confiance, interperson-nelle, nous retrouvons un problème-clef de l’action publique : la nécessitédu couplage, c’est-à-dire celle d’éta-blir des rapports pratiques entrecentre/périphérie, entre services demême niveau, entre protagonistes etproducteurs, afin de réaliser les butscollectifs attendus d’une politiquepublique.

Une réflexion très intéressante estpoursuivies sur ce thème24 parJ. Padioleau, à partir notamment del’exemple des Plans de Prévention desRisques liés aux inondations (PPRI).Il met l’accent sur la “pragmatique pro-cessuelle de l’action publique”, unemanière de voir, de penser et d’agirsoucieuse de mettre à jour les dérou-lements, les déploiements des proces-sus de transformations grâce auxquelsl’action se concrétise. Au contraired’autres approches25, il ne privilégiepas les interventions sur les structures,mais s’intéresse à la transformation desprocessus au cœur du “comment” de

22 À titre d’exemples, citons dans le champ de notreministère, les grands projets d’infrastructure, les enjeuxtechniques de normalisation au niveau européen, laréduction des nuisances aux abords des aéroports, latransformation des quartiers sensibles, les plans de pré-vention des risques … ou le projet européen GALILEOde positionnement par satellite.23 Cf l’ouvrage de Callon, Lascoumes, Barthe : “Agirdans un monde incertain”, Seuil, 2001.24 Une pragmatique processuelle de l’action publique –mai 2002.25 Par exemple le “nouveau management public”.

III. DE L’ARTICULATION ENTRE LE POLITIQUE ET LE TECHNIQUE, L’ÉVOLUTION DU RÉSEAU SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE DE L’ÉQUIPEMENT

– Mieux satisfaire les besoins de régu-lation et d’intercession entre acteurspublics, construire une position quiarticule les diverses échelles (de lasubdivision à la région), se consti-

tuer comme un interlocuteur des ins-tances où se construit l’actionpublique locale (avec la complexitédes réseaux d’acteurs).

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26 Exemple l’ingénierie, la médecine, …27 Selon une expression de B. Latour.28 Citons le LCPC (Laboratoire des Ponts et Chaus-sées), l’INRETS (Institut National de Recherche enTransport et Sécurité), le CSTB (Centre Scientifique duBâtiment), Météo-France, l’IGN, …29 Comme l’ENPC (Ponts et Chaussées), l’ENTPE (Tra-vaux Publics de l’État), l’ENAC (aviation civile) ou lesENTE (techniciens de l’État).30 PREDIT : Programme de Recherche et d’Innovationen Transport ; RGCU : Réseau du Génie Civil Urbain.

l’agir collectif, tout au long de sondéploiement (ex-ante, pendant, …).Cela lui permet de dégager desformes/repères qui concernent une for-mule-mère de représentations du com-ment (activités, réalisations, résultats,jugements), les divers découplages,des cadres généraux de modèles demise en œuvre de politiquespubliques, des problèmes pivots types(division du travail, horizon temporel,adaptation et apprentissage).Il souligne également l’importance et ladiversité des attentes des acteurs, cellesqui débordent largement les objectifsexplicites et s’expriment ou se révèlenttout au long du processus de l’action.

En bref, cette réflexion permet de lirela question des interférences entre lasphère “publique” et la sphère “tech-nique” à partir du “comment” del’action publique et de l’un de sesenjeux essentiels : surmonter les dif-ficultés croissantes à établir des cou-plages réussis entre les “centres” etles “périphéries”.

2. L’avenir du réseau scientifiqueet technique de l’Équipement

Avant d’en venir au réseau scienti-fique et technique de l’Équipement,disons quelques mots en général sur lanotion de réseau collectif technique.

Il s’agit d’un collectif d’acteurs26 dontles activités poursuivent des finalitésidentiques. Ce collectif interagit etprend appui sur un mode de “quasi-objets”27, c’est-à-dire un ensembled’outils, de processus, d’opérationstechniques, de transmission de don-nées, de documents de référence.L’appartenance à ce réseau supposeun apprentissage de compétences,de savoir-faire et des lieux ou destemps de formation.C’est un maillage vivant, avec des sec-teurs qui secrètent des innovations etdes champs nouveaux, alors qued’autres stagnent voire connaissent desdégénérescences. Il présente parfoisdes lacunes ou des recouvrements.

Le réseau scientifique et technique del’Équipement est un collectif d’un peuplus de 15 000 personnes qui œuvrentdans les domaines d’intervention denotre ministère, à savoir le transport,

l’aménagement et l’urbanisme, le géniecivil, la construction et l’habitat.C’est donc l’armature technique etscientifique de référence pour déve-lopper et valoriser notre patrimoinecollectif, participer à l’aménagementdu territoire, mettre en œuvre les poli-tiques publiques, conduire la tech-nologie et la science vers l’intérêtgénéral … et ainsi offrir des servicesqui satisfont nos concitoyens en étantattentifs aux plus exposés.Plus précisément, le réseau scientifiqueet technique de l’Équipement com-prend une trentaine d’organismes quisont présents dans une chaîne d’in-terventions : études, expertises, métho-dologie, recherches et expérimenta-tions. Citons les sept centres d’étudestechniques de l’Équipement (CETE)interrégionaux (3 800 personnes), dixservices techniques centraux (2 000personnes), les organismes scienti-fiques et techniques (10 000 per-sonnes)28 ainsi qu’une dizained’écoles nationales d’ingénieurs ou detechniciens29.Les échanges entre les acteurs de ceréseaux sont de nature et de densitétrès diverses. Ils peuvent porter sur lafertilisation des démarches, la coopé-ration en matière de projets, la mobi-lité des personnes ou l’élaborationde formations. Ils permettent notam-ment des interactions fructueusesdans les deux sens entre la rechercheet le terrain, notamment en matièred’ouvrages publics.

Ce réseau fait partie d’un maillageplus vaste avec d’autres mondes tech-niques : par exemple, les servicesdéconcentrés de l’Équipement (DDE,DRE), les services techniques des col-lectivités locales, le monde universi-taire ou les grands établissementspublics de recherche (comme leCNRS), les équipes techniques ouscientifiques du monde professionnel(BTP, construction, secteur des trans-ports et de l’automobile …)Les échanges dans ce maillage sontd’intensité variable avec bien sûr desrelations privilégiées entres les CETE etles services déconcentrés. L’existencede grands programmes de recherchecomme le PREDIT ou le RGCU30 sontdes facteurs tout à fait favorables pouren renforcer les synergies.

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31 En particulier la création de pôles de compétencesdans certaines villes.32 De ce point de vue, un rapprochement entrel’ENTPE et l’EIVP (École des ingénieurs de la Ville deParis) serait tout à fait pertinent.33 Service d’Etudes Techniques des Routes et Autou-routes.34 Exemple juriste, expert en pollution.

Une évolution vers plus de décentra-lisation amènera à s’interroger sur lerenforcement des liens entre le réseauscientifique et technique de l’Équipe-ment et les services techniques descollectivités locales.

Pour l’instant ces liens sont princi-palement des prestations des CETEpour les collectivités locales, des par-ticipations à des projets … ou desrencontres à l’initiative de servicestechniques centraux. À titre d’exemple, citons la coopéra-tion tout à fait remarquable entre notreministère et les collectivités locales auniveau du CERTU (Centre d’Etudes etde Recherche sur le Transport Urbain).Cet organisme, qui comprend 170personnes, intervient en matière deméthodologie, d’échanges d’expé-riences, d’études ou d’expertises dansles domaines du transport et de l’ur-bain, et ses productions font référenceau niveau national, en particulier à par-tir de ses publications. La moitié de sesprestations sont réalisées par les CETE. Son conseil d’orientation est tout à faitouvert aux partenaires extérieurs etnotamment aux diverses associationsdes collectivités locales, et les débatsau sein de ce conseil sont animés etfructueux. Cette réussite fait contraste avec les dif-ficultés insurmontables qu’ont connuesles collectivités locales à faire vivre l’IN-GUL (l’Institut National du Génie Ur-bain à Lyon), puis l’Agence des Villes,et ce malgré des orientation intéres-santes31. Elle montre que l’État peutapporter une contribution significativeà la confortation du réseau techniquedes villes.

Dans l’hypothèse d’une décentrali-sation renforcée, l’exercice de latechnique, liée directement à desactivités opérationnelles serait enpartie transféré aux collectivitéslocales, notamment aux régions.

Dans cette perspective, il convient àmon sens d’étendre le champ d’inter-vention du réseau scientifique et tech-nique de l’Équipement, et d’en faireun outil largement partagé entre l’Étatet les collectivités locales. C’est eneffet, un réseau qui permet de dyna-miser les compétences techniques,d’encourager les innovations et de

continuer à donner à la technique fran-çaise une place reconnue en Europe.

Plus précisément :

– En matière de formation, les écolesd’État peuvent former une partiedes ingénieurs et des techniciensdes collectivités locales32.

Cela permettra en particulier deconforter les liens du réseau tech-nique des collectivités locales avecle système des grandes écoles.De plus, des synergies sont à recher-cher pour la formation continue entrel’État et ces centres (écoles, CIFP, …)et les collectivités locales avec sesécoles nationales d’application pourles cadres territoriaux (ENACT).

– En matière d’élaboration de métho-dologies de capitalisation de com-pétences ou de prestations à fortevaleur ajoutée technique, les CETEpeuvent devenir des outils com-muns État-collectivités locales.

Cela suppose l’enrichissement desdomaines d’activités de ces derniersavec comme pour l’État la mise à dis-position de personnel des collectivitéslocales en échange de prestations deservice.En même temps, les services tech-niques centraux s’ouvriraient davan-tage aux instances des collectivitéslocales sur le modèle du CERTU oudu club des routes départementalesavec le SETRA33.

Tout ce qui précède implique que soitréétudiée la coupure entre la fonc-tion publique d’État et la fonctionpublique territoriale et que soient misen œuvre des processus permettantde la surmonter.

En effet, la fluidité et la bonne circu-lation des acteurs techniques sontune condition première non seule-ment de la vitalité du réseau scienti-fique et technique, mais égalementde l’introduction de tout transfertd’envergure.

Une remarque importante : Quandl’action publique se définit commerésolution de problèmes, les divi-sions du travail entre les domainesde technicité34 deviennent difficilesvoire contre- productives car c’estjustement de la capacité à se dépla-

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Niveau Thèmes

Questions organisationnelles – modernisation du service public– simplifier les processus– qualité et demande de service public– rapport à l’usager

Ordres institutionnels – décentralisation et arbitrage (normes juridiques et sociales) des conflits, contrôlequi déterminent le fonctionnement – équilibre, efficacité économique des institutions politico-administratives) et égalité des citoyens

– modes de régulation des services publics …

Transformation de l’action publique – évaluation des politiques publiques

– place des groupes d’intérêt (publics ou privés) dans le processus normatif

– rapport entre classe politique et administration publique

Tableau n°1 : L’avenir de l’action publique : quels enjeux majeurs ?

cer entre plusieurs domaines quepeut naître l’efficacité globale del’intervention.

Cette aptitude ou compétence n’estpas simplement “manageriale”, car ilfaut pouvoir entrer de façon effectivedans le contenu, en particulier tech-nique des dossiers. Appelons-là avecJeannot35 la compétence composite.Une voie pour développer ces types decompétence est de dessiner des par-cours de carrière qui permettent d’ap-préhender successivement différentescomposantes d’un même domaine enenrichissant progressivement les pointsde vue sur un même objet.

Et les parcours correspondants doivents’affranchir de clivages administratifscomme celui de la fonction publiqueterritoriale et de la fonction publiqued’État.

Dans cette perspective, la mobilité despersonnes entre ces deux fonctionspubliques n’est plus seulement unequestion d’attrait des métiers pour lespersonnes mais aussi une questionessentielle d’efficacité de l’actionpublique qui doit jouer en même tempssur les claviers scientifiques, techniqueset managériaux.

35 “Les compétences composites” Jeannot (LATTS-ENPC).

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Série Équipement

N°1La recherche dans le champÉquipement - logement - transports - tourisme, état des lieux et enjeuxJacques Theys

N°2Question sur l’état producteurGilles Jeannot

N°3La politique de recherche et de développement européenne dans le domaine des transports, son évolution et ses effets à venir sur la recherche publique en FranceJean-Marc Salmon

N°4Éléments pour une prospective de la sécuritéJean-Pierre Galland

N°5Les territoires de la prospectiveSerge Wachter

N°6Véhicules électriques et véhicules hybrides, quelles perspectives pour le futur ?Yves Tugayé

N°7La prospective et la ville : un état des lieuxThérèse Spector

N°8Les politiques territoriales en questionSerge Wachter

N°9Transports et pollution de l’air : une question controverséeJean-Pierre Giblin

N°10Les risques du ministère de l’équipement, des transports et du logementJean-Pierre Galland

N°11Les recherches stratégiques sur les transports terrestres : enjeux et dynamique d’évolution (1996-2000)André Pény

N°12L’évolution du marché des études dans le domaine de l’aménagementPierre Dubus en collaboration avec Pierre Pelliard et Serge Wachter

N°13Développement durable villes et territoires : innover et décloisonner pour anticiper les rupturesJacques Theys

N°14Normalisation, construction de l’Europe et mondialisation, éléments de réflexionJean-Pierre Galland

N°15Les mutations de l’accessibilité : risques et chances pour les politiques d’aménagementSerge Wachter

N°16Mobilité urbaine : cinq scénarios pour un débatYves Crozet, Jean-Pierre Orfeuil, Marie-Hélène Massot et le “Groupe de Batz”

NOTES CPVS DÉJÀ PARUES

Série EnvironnementN° 1

Société immatérielle et mutationdes valeurs vers de nouvelles

représentations de l’environnement

et du territoireJacques Theys

N° 2L’expert contre le citoyen ? :

le cas de l’environnementJacques Theys

Hors-sérieL’environnement au XXIe siècle

continuité ou rupture ?Réflexion sur la ‘ gouvernance”

Jacques Theys

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Directeur de la publication :Jacques Theys : responsable du Centre de prospective et de Veille Scientifique

Rédaction :Jacques Theys, François Perdrizet, Jean-Pierre Galland,Claude Spohr, Serge Wachter,

Yves Janvier, Jean-Claude Nemery, Daniel Behar et Gilles Jeannot Secrétariat de rédaction :

Jérôme Morneau, CPVSDiffusion :

Bénédicte Bianay

Impression :Le Clavier, ISSN 1263-2325

Achevé d’imprimer - Novembre 2002Dépôt légal n° 490

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