Brochure Prix Inserm 2011 · phogénétiques» du Collège de France. Le neurobiologiste, adepte du...
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PRIX INSERM2011
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Direction éditorialeYANN CORNILLIER
Direction artistiqueMYRIEM BELKACEM
RédactionNICOLAS RIGAUD
PhotosPATRICE LATRON
Direction de la communicationCATHERINE D’ASTIER
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Depuis onze ans, l’Inserm honore les talents à l’origine de tra-vaux unaniment salués. Les Prix Inserm sont l’occasion demontrer la richesse des métiers de la recherche d’aujourd’hui,ainsi que la passion des femmes et des hommes qui la por-tent au quotidien. Chercheurs, ingénieurs ou techniciens sontainsi récompensés pour leur persévérance à faire progresserles connaissances en sciences de la vie et de la santé. Autravers de la trace laissée par un seul, c’est aussi le savoir-faire d’équipes entières qui est distingué.
Cette année encore, l’excellence des parcours de rechercheest reconnue. Lauréat du Grand Prix 2011, le passionné delittérature, Alain Prochiantz, scrute les processus de morpho-genèse neuronale. Prix d’Honneur, la chercheuse engagéeEthel Moustacchi a voué sa carrière aux effets de la radio-activité sur le vivant. L’Américaine férue de mathématiquesSusan Gasser, Prix International, observe les mouvementsintracellulaires grâce à des outils statistiques et informatiquesinnovants. Les deux Prix Recherche consacrent les progrèsdéterminants réalisés par Geneviève de Saint-Basile sur larégulation du système immunitaire, et par Pierre Léopold surla croissance, grâce à ses travaux sur la drosophile. Enfin, lesPrix Innovation récompensent deux spécialistes des techno-logies de pointe, Claude Delpuech du département de magnéto-encéphalographie au CERMEP* de Lyon, et Frédéric Fiorede la plateforme d’exploration des fonctions du système immu-nitaire de la souris (KO-KI Booster) à Marseille.
Ces lauréats montrent la voie et prouvent que le monde de larecherche scientifique est toujours à explorer. Si la tâche estsouvent ardue, elle n’en est que plus gratifiante lorsqu’elleporte ses fruits, au grand bénéfice de tous.
YANN CORNILLIER
● 3 Grand Prix
● 9 Prix d’Honneur
● 15 Prix International
● 21 Prix Recherche
● 33 Prix Innovation
Sommaire
* Centre d’étude et derecherche multimodalet pluridisciplinaire enimagerie du vivant
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Une petite table basse
entre deux fauteuils. On
pourrait y poser deux tasses
de café et un roman. Situé
au fond du bureau d’Alain
Prochiantz, ce petit salon est
un peu à l’écart des projets de
recherche, des équations et des
résultats qui s’affichent sur son ordi-
nateur. Car le neurobiologiste, écrivain à ses
heures, est attaché à cette manière de penser à côté,
sans jargon, l’esprit libre. Et puis, d’un geste de la main :
«Ce Prix me fait plaisir. Mais asseyez-vous... »
À son regard, on sent qu’Alain Prochiantz ne s’en laisse pas
compter. Cet athée affirmé ignore autant les dogmes que
les idoles. Il ne se vante pas non plus des titres obtenus :
ancien élève de l’École normale supérieure (1969), docteur
en biochimie (1976), directeur du département de bio-
logie de l’ENS jusqu’en 2006, membre de l’Académie des
sciences depuis 2003, titulaire de la chaire «processus mor-
phogénétiques» du Collège de France. Le neurobiologiste,
adepte du doute rationnel et de la méthode expérimentale,
accorde cependant une place prépondérante à l’imagination,
fenêtre de liberté ouverte par la littérature. « J’ai toujours
aimé réfléchir autrement», résume celui dont les ouvrages
littéraires sont de genres très variés : essais, traités, dialogues
inspirés du marquis de Sade, pièces de théâtre écrites avec
Jean-François Peyret1. Il y confronte ses recherches aux
conceptions d’auteurs qui l’ont précédé, interroge les enjeux
contemporains de la science et crée de nouvelles hypothèses
à partir d’une certaine compréhension du vivant. « La vie
est en effet créatrice de formes », fait-il dire au personnage de
la belle Léanore2 ; cette capacité du vivant à prendre forme
et à évoluer dans le temps – en chacun de ses organes,
3
Grand PrixALAIN PROCHIANTZ
LES VARIATIONSDU CERVEAU
1 Ex vivo / In vitro, auThéâtre de la Colline du17 novembre au17 décembre 20112 La biologie dans leboudoir, éditions OdileJacob, Paris, 1995, p. 25.
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cerveau compris – constitue la toile de fond des recherches
comme des écrits d’Alain Prochiantz.
Un départ salutaireLe chercheur aime prendre le recul nécessaire, le temps de
réfléchir sur des voies nouvelles. En 1985, alors directeur
de recherche CNRS dans le laboratoire de neuropharma-
cologie de Jacques Glowinski, il « s’échappe» aux États-Unis.
Il s’y passionne pour la morphogenèse, processus par lequel
les tissus et les organes prennent forme depuis les premières
divisions cellulaires jusqu’à l’âge adulte. Des découvertes
génétiques fondamentales étaient en cours : «Les premiers
gènes de développement de la famille des homéogènes, qui
encodent les homéoprotéines et déterminent la forme des
organes, venaient d’être clonés chez la mouche», se souvient-il.
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La lecture d’auteurs classiques comme D’Arcy Thompson,
Darwin, et Haeckel lui offre un éclairage historique sur
l’importance des homéogènes dans la compréhension de
l’évolution et du développement des formes vivantes. Au-
delà des premiers instants de la vie, l’organisme adulte sem-
ble le lieu d’une création continuée, d’une « embryogenèse
silencieuse»3. Un premier livre clarifie cette réflexion4 et, à
son retour en France, Alain Prochiantz attaque une double
question : les homéogènes déterminent-ils la forme des
neurones au cours du développement et ont-ils, chez
l’adulte, une fonction morphologique et physiologique ?
L’inattenduCes recherches produisent en 1991 un résultat inattendu :
« En vérifiant que des homéoprotéines régulent génétiquement
la forme de neurones isolés, détaille le morphogénéticien,
nous avons constaté in vitro, avec surprise, qu’elles sont aussi
des protéines messagères : ces facteurs de transcription sont
sécrétés et internalisés, ils passent d’une cellule à une autre !
Ce sont des morphogènes au sens de Turing5 : des protéines
qui transmettent une information de position. La cellule qui
reçoit “connaît” l’origine de celle qui envoie et répond de
façon appropriée à cette information. » Une telle communi-
cation semblait impossible. « Ce fut un bouleversement pour
moi, reconnaît-il. Signaler une position nécessite normale-
ment de synthétiser une molécule et de la sécréter pour qu’elle
se fixe à un récepteur cellulaire qui envoie un signal au noyau.
Ici, le noyau est directement atteint ! Ce caractère parcimo-
nieux me plaisait. Et puis, d’un point de vue évolutionniste,
il pouvait s’agir d’un mode primitif de signalisation chez les
premiers organismes pluricellulaires ! »
Quinze ans de recherche furent nécessaires pour démon-
trer in vivo ce transfert d’homéoprotéines. « Au fond de moi,
je sais bien que je travaille mû par quelque instinct qui me
pousse à essayer de découvrir la vérité », écrivait Darwin cité
par Alain Prochiantz6. Lui, de son côté, relativise : « J’aime
ce métier merveilleux : on fait des découvertes, on maintient
une activité cérébrale, on se donne des émotions – en même
temps ce n’est jamais aussi grave que d’oublier son bistouri
dans le ventre d’un malade ! » Ces années de difficultés
conceptuelles et techniques font pourtant comprendre que
la science est, comme la littérature, un métier à part, où le
chercheur obstiné se livre tout entier à la ténacité de son
objet : « La science comme une tauromachie », formule-t-il
en référence à Michel Leiris. « Nous avons été très lents et
nous avions des doutes, convient-il. Nous ne parvenions pas
à bloquer le passage des protéines sans annuler leur fonction
intracellulaire. Il est certes agréable de trouver quelque chose
de totalement inédit. Mais la communauté scientifique est
3 Claude Bernard.La révolution physiologique,éditions PUF Philosophies,1990.4 Les stratégies del’embryon, PUF, Paris, 1988.
5 « The chemical basis ofmorphogenesis », Philtrans B. vol 237 : 37-72,1952.6 Les Variations Darwin,éditions Odile Jacob,Paris, 2005, p. 21.
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nécessairement conservatrice et nous étions un peu seuls dans
cette traversée du désert. Nous avons dû mieux nous armer
pour mieux convaincre. »
Un physiologiste convaincuDurant ces années d’incertitude, l’équipe
améliore sa compréhension du système.
Elle découvre les pénétratines, peptides
par lesquels les homéoprotéines par-
viennent à traverser la double couche
lipidique de la membrane cellulaire. Il
devient ainsi possible de transporter
une substance pharmaceutique dans
les cellules, leur cytoplasme et leur
noyau. C’est la naissance du champ,
aujourd’hui fructueux, de la vectorisa-
tion peptidique. « Tout cela était très bien,
admet Alain Prochiantz, mais ce n’était pas
ce que je cherchais : je voulais comprendre les
fonctions physiologiques de cette signalisation : à
quoi servait-elle ?»
Au moins 200 gènes codent pour ces homéoprotéines.
« Je pense qu’il s’agit d’une voie de signalisation essentielle à
la construction d’un organe ; et donc à sa destruction puisque
les deux sont commandées par la même physiologie »,
annonce le fervent lecteur de Claude Bernard. L’équipe
démontre7 que les homéoprotéines sont impliquées dans
le guidage axonal, fonction qui permet à un neurone
d’atteindre sa cible. Leur transport participerait aussi à la
formation des frontières au sein du neuroépithélium et la
formation précoce de compartiments au sein du cortex. Ces
aspects font l’objet de collaborations en Allemagne et au
Royaume-Uni. Qui plus est, ces facteurs de transcription
sont des facteurs de survie pour certains types cellulaires :
l’homéoprotéine Engrailed protège d’une mort spontanée
les neurones dopaminergiques, dont la dégénérescence
6
Un grand homme« Cette découverte d’un système de
signalisation aussi nouveau qu’inattendu estune grande prouesse des vingt dernièresannées, s’enthousiasme Andrew Lumsden,
neurobiologiste au King’s College de Londres.Alain a eu le courage de tenir bon face à
l’incrédulité, jusqu’à prouver qu’il avait raison.C’est la mesure d’un grand homme. »
7 Brunet, I., Weinl, C.,Piper, M., Trembleau, A.,Volovitch, M., Harris, W.,Prochiantz, A., et al. (2005).The transcription factorEngrailed-2 guides retinalaxons. Nature, 438(7064):94-8
On dit de lui...
Coupes de cerveaux desouris.
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conduit à la maladie de Parkinson8 ; Otx2 joue, quant à lui,
un rôle similaire à l’égard des neurones ganglionnaires
rétiniens impliqués dans le glaucome.
La plasticité du cerveauChacun aujourd’hui en convient, le cerveau n’est pas une
machine figée. Il ne cesse de se renouveler, d’adopter de
nouveaux équilibres neuronaux, mieux adaptés à son environ-
nement. Ces transformations n’ont pourtant pas toujours
lieu avec la même facilité. «Pour parler couramment une
langue ou jouer impeccablement du violon, mieux vaut com-
mencer jeune, confirme le chercheur en regardant ses mains.
Il existe une période critique, ou période de plasticité, pour
toutes nos modalités, qu’elles soient sensorielles, affectives ou
cognitives. Or si l’on bloque chez l’adulte le passage de cer-
taines homéoprotéines, on rouvre la plasticité du cortex ! Nous
avons ainsi montré avec Takao Hensch9 qu’une souris adulte
peut retrouver son acuité visuelle si l’on bloque l’inter-
nalisation du facteur Otx2 dans une classe de neurones du
cortex visuel10. » Ne pourrait-on interpréter certains trou-
bles psychiatriques comme des problèmes de période cri-
tique, marqués par une difficulté d’adaptation du cerveau
aux changements hormonaux et physiologiques de la
puberté ? «Cette question me fascine, confie-t-il, mais on ne
saurait l’aborder avec trop de prudence. »
8 Alvarez-Fisher, D.,Fuchs, J., Castagner, F.,Stettler, O., Massiani-Beaudoin, O., Moya, K.,Bouillot, C., et al. (2011).Engrailed protectsmouse midbrain dopami-nergic neurons againstmitochondrial complex Iinsults. Nature Neuro-science, in press9 Harvard Medical School10 Sugiyama, S., Di Nardo,A., Aizawa, S, Matsuo, I.Volovitch, M. Prochiantz, Aand Hensch, T. K. (2008).Experience-dependenttransfer of Otx2 homeo-protein into the visualcortex activates postnatalplasticity. Cell: 134, 369-77
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Ethel Moustacchi est
amusée de recevoir le Prix
d’Honneur de l’Inserm :
«Alors que je suis officielle-
ment à la retraite depuis 1998,
sourit-elle, deux récompenses
me sont décernées en cette fin
d’année. La catastrophe nucléaire de
Fukushima a sans doute mis en évidence
que nos recherches étaient nécessaires, dans
l’un des pays les plus nucléarisés au monde.
C’est une redécouverte, qui me surprend tout autant
qu’elle me réjouit !»
Le grand sautSeptembre 1951. Un bateau quitte l’Égypte. Il emporte la
jeune bachelière Ethel Moustacchi loin de son pays natal,
vers la France. «Ma décision n’était pas facile à prendre, se
souvient-elle, je quittais ma famille, pour partir seule. » Pour
autant, cette fille de parents grecs francophones se sent très
proche de la patrie de Descartes : « J’étais un pur produit de
la Mission laïque française. Mes professeurs nous avaient
appris à raisonner avec rigueur et logique, mais aussi à faire
preuve de créativité et de fantaisie intellectuelle. »
L’adolescente est résolue à devenir biologiste. Après une
année à Montpellier, elle s’inscrit en licence à la faculté des
sciences de Paris. « J’ai commencé à me passionner pour la
biologie vers 13 ans, raconte-t-elle. En convalescence d’une
diphtérie, je lisais des revues scientifiques. La distinction entre
un être vivant et un cristal de virus du tabac me captivait !»
Le décès de son père contraint l’étudiante en exil à choisir
un métier rapidement. Elle intègre ainsi l’École de chimie
de Paris, qui la fera vite entrer dans la vie active, mais poursuit
ses études de biologie en parallèle.
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Prix d’HonneurETHEL MOUSTACCHI
LE RAYONNEMENTD’UNE RADIOBIOLOGISTE
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En 1954, la jeune chimiste est recrutée comme stagiaire
dans la section de physique-chimie de l’Institut du radium.
«C’est ici que j’ai appris à manipuler des radioéléments,
indique-t-elle en pointant depuis sa fenêtre le bâtiment en
briques intégré à l’Institut Curie. Depuis le temps de
Marie Curie, des biologistes et des chimistes y ont étudié les
effets de la radioactivité sur le vivant.» La double formation
d’Ethel Moustacchi est donc un atout. Elle se spécialise en
génétique à la Sorbonne auprès de Boris Ephrussi. « Ce fut
pour moi une révélation, s’exclame-t-elle. Il revenait des
États-Unis avec des méthodes novatrices d’enseignement et
de recherche, très éloignées des cours magistraux ! » Une
bourse de la Ligue nationale de la lutte contre le cancer
puis, en 1959, son recrutement au CNRS lui permettent de
mener une thèse sur les facteurs de radiorésistance de la
levure, supervisée par Raymond Latarjet, directeur de la
section de biologie de l’Institut du radium. Forte de ce double
parrainage, elle rencontre d’autres figures de premier plan :
Jacques Monod, François Jacob, André Wolff, Salvador Luria.
Ces « magnifiques personnages » ne cessent de l’inspirer
depuis la soutenance de sa thèse en 1964.
Un esprit en mouvementEthel Moustacchi aime voyager et se confronter à de nou-
velles cultures. Les pierres de son bracelet chinois s’entre-
choquent tandis qu’elle évoque son post-doctorat dans le
département de génétique qui venait d’être créé à l’université
de Washington (Seattle) : « Ce furent des recherches passion-
nantes: nous avons été, avec Donald Williamson, parmi les
premiers à démontrer l’existence de l’ADN mitochondrial.
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Et le cadre était magnifique à bien des égards : des appareil-
lages scientifiques de pointe associés à une ambiance de Far
West ! » À son retour des États-Unis, la chercheuse du
CNRS, alors âgée de 33 ans, est chargée par Raymond
Latarjet de diriger un nouveau laboratoire de radiobiologie,
annexe de l’Institut du radium à la faculté d’Orsay. « C’était
un voyage, à l’époque, entre Paris et Orsay ! », plaisante-t-elle.
Elle y mènera jusqu’en 1985 des recherches innovantes sur
des mécanismes de production de lésion de l’ADN, leur ré-
paration et leur contrôle génétique, tissant de nombreux
liens avec des laboratoires européens et brésiliens. « J’ap-
partiens à une génération où il était possible d’être un peu ar-
tiste, de s’intéresser à des sujets divers, confesse-t-elle. Nous
nous amusions tout en travaillant beaucoup. Je déplore que
cette liberté disparaisse et que triomphe une logique techno-
cratique de construction de projets. »
La génotoxicologue n’aime pas plus l’inertie institution-
nelle que la spécialisation à outrance. Aussi participe-t-elle
activement aux mouvements de Mai 1968. « Ma motivation
n’était pas tant politique que scientifique et éducative, se
défend-elle. J’avais connu le pénible mandarinat de la
Sorbonne. Il fallait secouer ce cocotier pour apporter du
renouveau ! Ce fut une rupture formidable, jusque dans notre
façon de travailler : une parole bien plus libre a commencé à
émerger. Le travail scientifique, c’est aussi cela ! »
Une orientation médicaleÀ la suite d’une année passée dans le département de
pathologie de l’université de Stanford, Ethel Moustacchi est
invitée en 1985, à prendre en charge l’unité de recherche
de Raymond Latarjet à l’Institut Curie. « J’ai émigré une
dernière fois à Paris », résume-t-elle. Ce retour se double
d’un changement d’orientation décisif : ses recherches por-
tent désormais sur les cellules humaines en culture. « Nous
pouvions établir des ponts avec les radiothérapeutes de l’Institut
Curie, explique-t-elle. Il était temps que nos travaux sur la
mutagenèse et l’instabilité génétique soient utilisés pour les
patients ! »L’équipe étudie ainsi les facteurs génotoxicologiques
qui déterminent une prédisposition au cancer. Elle démontre
La mutation de protéinesimpliquées dans laréplication de l’ADN et laséparation deschromosomes constitueun élément majeurd’instabilité génomique,responsable de rarespathologies génétiquesde prédispositionaux cancers telles quela maladie de Fanconi(protéine FANC).
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notamment que l’apparition de cancers secondaires long-
temps après une radiothérapie d’un premier cancer peut
être due à une diminution de la capacité de réparation de
l’ADN. Surtout, elle consacre plus de dix ans à l’étude des
défauts de réparation moléculaire impliqués dans l’anémie de
Fanconi, une maladie génétique rare prédisposant au cancer.
Cet intérêt pour la santé humaine conduit le laboratoire à
déborder le cadre des rayonnements ionisants pour étudier
la génotoxicité des rayons ultraviolets et des agents
chimiques. Ethel Moustacchi joue alors un rôle de lanceur
d’alerte. Elle démontre la toxicité des psoralènes, agents uti-
lisés en dermatologie et cosmétologie. « Nous avons obtenu
qu’ils soient presque entièrement retirés des crèmes à bron-
zer, et les crèmes utilisées efficacement contre le psoria-
sis ont pu être mieux dosées. Ce fut une longue
bataille », déclare-t-elle avec fierté.
Conseiller scientifique auprès du Commis-
sariat à l’Énergie atomique depuis 1995,
Ethel Moustacchi ne cesse de s’intéres-
ser aux effets sanitaires des faibles
doses de rayonnement ionisant, qui
concerne aussi bien les travailleurs de
l’industrie nucléaire que les profes-
sionnels de santé. « Nous manquons
encore de connaissances suffisantes en
ce domaine, regrette-t-elle. C’est pour-
tant une question importante de santé
publique : nous sommes, en effet, de plus
en plus exposés à des doses faibles du fait des
développements variés de l’utilisation médicale
des radiations, y compris en prévention. La créa-
tion d’une nouvelle plateforme de recherche européenne
sur l’étude des faibles doses (Melodi1) est une excellence ini-
tiative. » Elle se réjouit également de la direction prise par
son ancienne unité de recherche : « Désormais, l’UMR 218
est orientée davantage vers l’épigénétique. Ce domaine, qui
permet l’étude de la modulation de l’expression des gènes par
l’environnement, est en parfaite continuité avec nos précédents
travaux ; en même temps... c’est l’avenir ! »
Un regard sur le mondeChevalier de la Légion d’honneur depuis 2000, Ethel Mous-
tacchi a le sens du contexte politique et social. Elle sait que,
particulièrement en matière de nucléaire, la recherche n’est
pas déconnectée de la société. « Déjà à Orsay, confirme-t-
elle, je faisais bien plus que de travailler sur des levures ! Mon
orientation scientifique participait d’une forme de conviction
idéologique : le nucléaire devait permettre à la France de trouver
son indépendance économique. Raymond Latarjet avait ainsi
Une vision dynamique« Par sa vision dynamique et originale,
souligne Geneviève Almouzni, directrice del’UMR 218 à l’Institut Curie, Ethel Moustacchi
a contribué à la compréhension des effetsmutagènes des radiations et agents chimiques,
des mécanismes de réparation et de leurcontrôle génétique, pour une meilleure
évaluation des risques. »
On dit d’elle...
1 MultidisciplinaryEuropean Low DoseInitiative.
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persuadé le Général de Gaulle que, si l’on voulait développer
correctement le nucléaire, avec les précautions nécessaires, il
fallait financer la recherche en radiobiologie. »
La chercheuse, qui était enfant lorsque la bombe atomique
fut lancée à Hiroshima, a longtemps cru en la capacité des
autorités réglementaires à contrôler la puissance nucléaire,
avec le soutien de la société civile : « Dans un État démo-
cratique comme la France, explique-t-elle, la compétence des
ingénieurs, que je connaissais, devait permettre de garantir
la sécurité des centrales, avec le rétrocontrôle de commissions
locales, d’associations et de syndicats bien informés. » Depuis
la catastrophe de Fukushima, ce modèle démocratique
lui semble ébranlé : « J’ai pris conscience des ravages que peut
produire la corruption humaine. Cela m’a fortement inter-
rogée. Il était naïf de croire au progrès sans considérer que,
dans toute société, le mal existe aussi, dans l’homme. » Elle en
sort alors plus lucide : « Durant les années à venir, en atten-
dant les énergies de substitution, il faudra veiller très stricte-
ment au contrôle démocratique du nucléaire. Toute la clé est
là, je crois : s’assurer que l’utilisation de cet outil fascinant
renforce notre liberté ! »
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L’abstract ion es t l e
domaine de prédilection
de Susan Gasser: elle aime
gravir des sommets, où la
vision devient globale, où
la logique du paysage prend
son sens. La biologiste, directrice
du prestigieux Institut Friedrich
Miescher de Bâle, se réjouit d’être la
lauréate du Prix International de l’Inserm.
Elle explique : « La France est une nation dont je
regarde de très près les découvertes scientifiques. J’y ai des
amis, des collaborateurs et... des concurrents ! »
La joie de Susan Gasser réchauffe l’atmosphère de cette salle
de réunion. De grande taille, la chercheuse se tient très
droite sur sa chaise, avec assurance. Elle ne tarit pas d’éloges
sur le dynamisme des équipes de recherche françaises.
Membre de l’Académie des sciences, elle se remémore, les
yeux mi-clos, le temps où, étudiante américaine, elle
séjourna un mois à Tourettes-sur-Loup près de Nice.
«Ce mois en France fut décisif, même si je n’y ai pas beaucoup
appris le français. J’hésitais entre continuer des études de phi-
losophie ou de biologie. Dans ce cadre idyllique, la lecture de
Qu’est-ce que la vie d’Erwin Schrödinger, j’ai décidé de de-
venir biologiste !»
Un esprit tourné vers l’avantCette vocation conduira Susan Margaret Gasser jusqu’en
Suisse. « J’ai grandi dans une petite ville de l’Oregon, aux
États-Unis, mais l’Europe me fascinait », confie-t-elle. Aussi
décide-t-elle de suivre son futur mari d’origine helvétique
à Bâle en 1979, après une licence de biophysique à l’uni-
versité de Chicago, pour y mener des recherches doctorales
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Prix InternationalSUSAN M. GASSER
MOUVEMENTS DANSL’ESPACE CELLULAIRE
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en biochimie jusqu’en 1982. Après un stage postdoctoral à
Genève, et la naissance de son fils, elle ouvre son labora-
toire à l’Institut suisse de recherche expérimentale sur le
cancer (ISREC) près de Lausanne. «À partir de là, j’ai été
prise à 200% par ma recherche et ma famille, reconnaît-elle.
Il est vrai que j’ai dû renoncer à certains loisirs mais au fond,
je n’ai pas beaucoup de regrets, ni professionnels ni person-
nels. Comme scientifique, on a plutôt tendance à regarder vers
l’avant !» Nommée en 2001 professeur de biologie molé-
culaire à l’université de Genève, Susan Margaret Gasser a
rejoint en 2004 l’université de Bâle et l’Institut Friedrich
Miescher pour la recherche biomédicale.
À la croisée des mathématiqueset de la biologieSusan Gasser a participé, de manière fondamentale, à l’élar-
gissement de la recherche sur le noyau cellulaire. Elle a
démontré l’intérêt d’adopter une vision globale, qui intègre la
dimension spatiale et dynamique du noyau. « J’étudie ce
globe mouvementé qu’est le noyau de la cellule, résume-t-
elle. J’ai montré que son organisation en trois dimensions a
une influence sur l’expression du génome et sur sa capacité
de réparation, ainsi que sur de nombreux changements tels que
la différenciation des cellules, leur développement et les mo-
difications génétiques induites par l’environnement. Nous étu-
dions la logique de cette situation dynamique. » La
chercheuse, qui aime séjourner dans l’air pur des mon-
tagnes, en est convaincue : « Pour comprendre la complexité
de la nature, il faut pouvoir la décrire en termes mathéma-
tiques. Sans quoi l’épanouissement d’une fleur serait toujours
un simple miracle. On y perd sans doute ce qui fait la chair des
êtres, ou le parfum des fleurs, mais cela permet de penser de
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façon plus large et de progresser, de libérer l’imagination.
L’abstraction, je trouve cela très excitant ! »
La danse des chromosomesQuelques pas de danse sous les lumières d’un microscope
ont renforcé cette conviction mathématique. En 2001, en
effet, un article fait sensation dans Science1 : l’équipe de
Susan Gasser, à l’université de Genève, est parvenue à filmer
et quantifier le mouvement des gènes dans le noyau d’une
cellule de levure. Avant 1997, aucun microscope n’avait une
assez haute résolution pour suivre le mouvement d’un seul
locus. «Nous y sommes parvenus grâce aux progrès de la tech-
nologie, que nous avons perfectionnée, analyse-t-elle. Cette
danse était fascinante, on aurait pu la regarder pendant des
heures! Pour sortir de la fascination et en tirer des connaissances,
1 P. Heun, T. Laroche,K. Shimada, P. Furrer,S. M. Gasser, Science(7 December 2001);Chromosome Dynamicsin the Yeast InterphaseNucleus, 2181-2186.
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nous avons voulu quantifier ces mouvements. Ce fut un
tournant décisif pour nos recherches. » L’équipe fait alors
appel, de manière croissante, aux compétences mathéma-
tiques de statisticiens, et d’experts en analyse et modélisa-
tion des images. Dans le cadre de ce projet, elle étudie
désormais les corrélations entre lésion et mouvement des
chromosomes. Des erreurs de positionnement chromoso-
mique peuvent accélérer le vieillissement ou induire une
évolution vers un cancer. « Ainsi, si je mène des recherches
uniques, propose-t-elle, c’est peut-être par cette façon de
combiner les technologies de la microscopie du vivant, de la
génétique et de l’étude mathématique du mouvement, pour
répondre à des questions d’organisation biologique fonda-
mentales sur la stabilité du génome ou la transcription. Je suis
très attachée à cette phrase d’André Gide : “On ne découvre
pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue,
d’abord et longtemps, tout rivage”.2 Autrement dit, il faut
oser dépasser ce qui est déjà connu !»
Au cœur du génomeLa stabilité du génome constitue, en effet, l’un des grands
champs d’investigation de l’équipe. La directrice de l’Institut
Friedrich Miescher s’interroge : « Que faut-il pour que
le génome soit répliqué sans erreur, et réparé si
besoin ? En cas de cassure d’ADN, la répara-
tion doit être orchestrée. Comment la lésion
est-elle indiquée et identifiée dans
l’espace? Quel itinéraire les protéines de
réparation prennent-elles pour redresser
la situation ? Quelles sont les répercus-
sions d’une perte d’organisation dans
l’espace du noyau ?»
La seconde interrogation principale
du laboratoire relève de l’épigéné-
tique, c’est-à-dire de l’influence de
facteurs qui contrôlent l’expression des
gènes : quels sont les schémas hérédi-
taires de cette expression ? Selon les tissus
cellulaires, les expériences et l’environnement
des cellules vivantes, certains nucléotides du
génome sont activés et d’autres non. Ces différentes
lectures d’un même code génétique tiennent à l’influence
de facteurs de transcription épigénétiques, qui peuvent
provenir de l’environnement (exposition à un produit
toxique, par exemple) ou avoir une cause interne et héré-
ditaire (telle que la structure des histones autour desquels
s’enroule la chromatine). Susan Gasser explique : «On sait
que la différenciation d’une cellule souche en différents types
de tissus a lieu à partir du même ADN, par l’inactivation de
Un style contagieux« Susan Gasser se distingue par son
excellence scientifique à tous lesniveaux !, souligne David Allis, spécialiste
de l’épigénétique (Rockfeller University,New York). Son style est contagieux.
Elle transmet son énergie et son enthousiasmeà tous ceux qui l’approchent. Scientifique
pleine de talents, personnalité remarquable,elle est vraiment à part. »
On dit d’elle...
2 Les Faux-monnayeurs,in Gide, André, romans ;Gallimard, Bibliothèquede la Pléiade, Ligugé,1958, p. 1214
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certains gènes. Comment ce processus s’opère-t-il et se pro-
page-t-il de cellule en cellule ? Quel est le rôle de l’organisa-
tion spatiale dans cette propagation ? » Les réponses à de
telles questions sont susceptibles de renforcer la compré-
hension du vieillissement et de la mort cellulaire.
Éloge de la libertéL’ancienne présidente de l’Organisation européenne de
biologie moléculaire (EMBO) a été membre fondateur du
premier réseau d’excellence européen sur l’épigénétique,
Epigenome. C’est dire si elle reconnaît que l’échange et le
travail en réseau sont indispensables : « La science ne peut
pas être confinée aux frontières nationales, elle gagne à être
mise en commun – ce que font les savants d’Europe depuis
des siècles. Elle peut aussi parfois traverser les domaines dis-
ciplinaires : dans le réseau suisse de biologie systémique Sys-
temsX, nous cherchons par exemple une logique commune à
toutes les différenciations cellulaires (sanguine, immunitaire,
nerveuse, tissulaire). Cette perspective est innovante, elle nous
permet de dépasser les détails de chaque spécialité ! »
À la tête de l’Institut Friedrich Miescher, Susan Gasser se
trouve confrontée au défi d’identifier les domaines de
recherche innovants qui peuvent servir le monde biomédi-
cal. L’Institut, fondé il y a quarante et un ans, est financé à
80 % par la Fondation Novartis. « La Fondation s’intéresse
beaucoup à l’innovation et à la découverte. Nous sommes
invités à envisager des possibilités d’application médicales et
pharmaceutiques, ce que je trouve très stimulant depuis mon
expérience à l’ISREC.Mais la Fondation a saisi que les vraies
découvertes médicales arrivent rarement là où on les attend.
C’est pourquoi la recherche fondamentale suit son chemin de
découverte, librement. Notre situation est malheureusement
rare, dans un monde où il est de plus en plus nécessaire de
renforcer l’investissement dans la recherche fondamentale. »
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«Pourquoi moi ?, s’inter-
roge Geneviève de Saint-
Basile. Beaucoup d’autres
chercheurs auraient mérité
ce prix.» La lauréate du Prix
Recherche se reprend : «Mais,
comme pour tout chercheur qui a
consacré sa carrière à la recherche, cette
forme de reconnaissance est agréable.»
Portrait d’une chercheuse aussi modeste que
remarquable, qui a choisi d’étudier le vivant pour
améliorer la qualité de vie des patients.
Vocation: chercheuseD’un tempérament réservé, Geneviève de Saint-Basile
s’exalte cependant dès qu’il s’agit de recherche. « J’ai tou-
jours voulu être chercheuse !», lance-t-elle. Cette passion, elle
l’a acquise au contact de la nature : «Vers 10 ans, confie-t-
elle, j’avais même construit un laboratoire ! Je passais mes va-
cances à collectionner et disséquer toutes sortes d’animaux :
têtards, papillons, etc. J’en ai encore des collections ! Je voulais
déjà comprendre les mécanismes complexes des êtres vivants,
si efficaces et harmonieux. Puis l’étude des pathologies
humaines m’a vite attirée.» Pour concrétiser ce rêve de labo-
ratoire, Geneviève de Saint-Basile a mené conjointement
des études de médecine et de sciences, jusqu’à soutenir
deux thèses à une année d’intervalle – en 1981 à la faculté
de médecine Paris-Descartes et en 1982 à la faculté des
sciences Paris-Diderot. Toutes deux portent déjà sur la
régulation du système immunitaire : exploration des méca-
nismes entraînant des anomalies au niveau des cellules
phagocytaires dans le syndrome Chediak-Higashi ; étude
du rôle des anticorps anti-idiotypiques, qui ont la capacité
de se diriger contre d’autres anticorps pour moduler la
réponse immunitaire.
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Prix Recherche
GENEVIÈVE DE SAINT-BASILEUNE IMMUNOLOGISTE
AU SERVICE DES PATIENTS
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Au cours de ces années de formation, la chercheuse a sur-
tout acquis une conviction : «La recherche doit être au ser-
vice des patients et proche d’eux. » Elle se souvient : « J’étais
déjà externe ici, dans l’unité d’immunologie pédiatrique de
l’hôpital Necker. Claude Griscelli, directeur du service cli-
nique, était très attaché à ce que la clinique et la recherche
fondamentale soient constamment associées. Alain Fischer,
à sa suite, a prolongé et énormément amplifié cette
vision.» Geneviève de Saint-Basile restera fidèle
à cette unité de l’hôpital Necker-Enfants
malades : « Cette façon de travailler est assez
unique en France et à l’étranger. Elle me
plaît et elle m’anime ! Car être à l’inter-
face de la recherche et des malades, c’est
à la fois utile et fructueux : l’étude des
pathologies permet de poser des questions
fondamentales puis de revenir à
l’application médicale grâce aux notions
acquises. »
Des recherches pionnièresGeneviève de Saint-Basile a été recrutée en
1983 dans l’unité Inserm «Développement
normal et pathologique du système immunitaire »
(unité Inserm 768), que dirige actuellement Alain
Fischer. Elle est alors l’une des premières chercheuses de
l’unité à utiliser les outils naissants de la génétique. «Nos
recherches ont d’abord porté sur les déficits immunitaires liés
au chromosome X. C’était plus simple : nous savions au moins
sur quel chromosome chercher », plaisante-t-elle. En dix ans,
son équipe localise plusieurs gènes impliqués dans ces
déficits et en caractérise un, associé au syndrome d’hyper-IgM
lié à l’X, une pathologie rare affectant la production d’im-
munoglobines, essentielle à la réponse des anticorps1.
Mais sa principale contribution concerne l’étude des syn-
dromes hémophagocytaires, tels que le syndrome Chediak-
Higashi ou de Griscelli. Cette famille de maladies est
marquée par une dérégulation du système immunitaire.
«Au début, nous ne comprenions vraiment rien à ces syn-
dromes, reconnaît-elle. Le système immunitaire réagit de
façon excessive et inappropriée, au point de détruire les
cellules produites par la moelle osseuse, jusqu’au décès des
enfants s’ils ne reçoivent pas une greffe à temps.» Douze ans
d’acharnement ont permis de faire progresser les connais-
sances, au-delà même du cadre de ces maladies rares :
«Nous avons finalement réussi à montrer2 que l’excès de
réponse immunitaire est causé par un défaut de la fonction
cytotoxique des lymphocytes. Nous savions que ces cellules
“tuaient” les cellules tumorales ou infectées par un virus
Un modèle pour les jeunesPour l’immunologiste Alain Fischer,
« Geneviève de Saint-Basile est unechercheuse remarquable, d’une grande
rigueur. Ses travaux, mondialement reconnus,reposent sur une vision globale de
la recherche. Elle a su utiliser les maladies pourune découverte fondamentale qui a un intérêt
médical ! C’est un modèle merveilleuxpour les jeunes. »
1 DiSanto JP, BonnefoyJY, Gauchat JF, FischerA, de Saint-Basile G.CD40 ligand mutations inx-linked immunodeficiencywith hyper-IgM. (1993)Nature11;361(6412):541-32 Pachlopnik Schmid J,Ho CH, Chrétien F,Lefebvre JM, Pivert G,Kosco-Vilbois M, FerlinW, Geissmann F, FischerA, de Saint-Basile G.(2009)Neutralization of IFNgdefeatshaemophagocytosis inLCMV-infected perforin-and Rab27a-deficientmice. EMBO MolMed;1(2):112-24
On dit d’elle...
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ayant pénétré dans l’organisme. Mais personne n’avait ima-
giné que cette fonction jouait aussi un rôle essentiel dans la
régulation du système immunitaire !» L’étude moléculaire
de ces pathologies a ensuite permis de décrypter les méca-
nismes fins de cette fonction cytotoxique3 : «Chacune des
molécules identifiées est responsable d’une étape précise du
fonctionnement de la machinerie des granules cytotoxiques –
ces boulets de canon que projettent les lymphocytes pour per-
forer la cellule cible et la faire mourir. On le voit, l’étude des
maladies apporte beaucoup à la recherche fondamentale :
dans le cas d’une pathologie, une étape physiologique clé est
bloquée, ce qui nous permet de l’analyser.»
L’étude de ces mécanismes de sécrétion cytotoxique a éga-
lement bénéficié de comparaisons avec la sécrétion des
neuromédiateurs au niveau de la synapse neurologique :
«On apprend beaucoup en rapprochant les thématiques,
reconnaît la chercheuse. Immunologie, biologie moléculaire
et cellulaire, neurologie : la recherche, cela fait voyager !»
Aider les famillesLes connaissances acquises par l’équipe de Geneviève de
Saint-Basile ont été très vite dirigées en retour vers les patients.
«C’est un aspect à la fois indispensable pour les familles et
Cheveu de sujet atteintde maladie de Griscelliou albinisme-déficitimmunitaire.G. de Saint-Basile©Inserm
3 De Saint-Basile G,Ménasché G, Fischer A.Molecular mechanisms ofbiogenesis and exocytosisof cytotoxic granules. NatRev Immunol.(2010);10(8):568-79.
Cellules cytotoxiques(rouge) dirigeant leursgranules lytiques (vert)vers les cellules cibles àleur contact (noyaubleu).G. de Saint-Basile©Inserm
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très valorisant», confirme-t-elle. Ainsi, dès 1987, quand les
premiers gènes de déficits immunitaires liés à l’X sont iden-
tifiés, la chercheuse crée un service de diagnostic et de
conseil génétiques au sein même du laboratoire d’immu-
nologie pédiatrique. «Ce service de l’hôpital était géogra-
phiquement intégré dans l’unité de l’Inserm, ce qui permettait
de basculer immédiatement les résultats de la recherche vers
le diagnostic, explique-t-elle, assise entre son ordinateur de
recherche et un autre relié aux dossiers de l’hôpital. Nous
continuons à proposer ce service, pour toutes les pathologies
dont nous identifions les gènes.»
Ce souci des malades la conduit à envisager de meilleures
stratégies thérapeutiques. Ainsi, raconte-t-elle, «nous savions
que l’interféron Gamma (IFγ) est un facteur de l’immunité
qui joue un rôle très important dans le développement d’un
syndrome hémophagocytaire. Par un modèle murin, nous
avons montré que beaucoup de symptômes disparaissent
lorsque sa production est neutralisée. » Cette découverte
exceptionnelle4 suscite l’espoir : inhiber cet interféron pour-
rait suffire à traiter les formes acquises, non récidivantes de
la maladie, ou servir de préalable à la greffe dans les formes
héréditaires. « À l’heure actuelle, résume-t-elle, il faut
détruire tous les lymphocytes du patient avant la greffe, ce qui
crée un risque d’infections opportunistes. On pourrait peut-
être remplacer cette phase par une molécule inhibant l’action
de l’IFγ ! Nous envisageons la possibilité d’un essai clinique.»
Geneviève de Saint-Basile est une chercheuse à plein temps :
«La recherche, analyse-t-elle, ce n’est pas vraiment un mé-
tier ; c’est une attitude, un peu comme l’art. On reste cher-
cheur à tout instant.» Pour se ressourcer, elle retrouve ses
4 Pachlopnik Schmid J,Côte M, Ménager MM,Burgess A, Nehme N,Ménasché G, Fischer A,de Saint-Basile G. (2010)Inherited defects inlymphocyte cytotoxicactivity. ImmunolRev.;235(1):10-23
Méduse d’ADN isolé àpartir d’un échantillon desang de patient.
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passions de jeunesse dans le Pays d’Auge, en Normandie :
« Ce sont mes racines, même si je suis née à Paris, confesse-
t-elle. Le lien avec la nature est toujours pour moi une source
inépuisable d’enseignement. »
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Le Prix Recherche réjouit
Pierre Léopold mais l’em-
barrasse un peu: «Je suis très
sensible à la reconnaissance
des pairs : elle est ce que nous
pouvons revendiquer de mieux.
Mais ce prix, orienté sur ma per-
sonne, ne doit pas occulter l’essentiel :
la recherche, c’est une aventure collective ! »
L’esprit d’équipePierre Léopold arpente les allées du parc Valrose où est im-
plantée l’UFR Sciences de l’université Nice Sophia-
Antipolis. Il jette un regard à l’imposant château du baron Von
Derwies. «Le parc a été créé par cet ami du tsar Alexandre II,
raconte-t-il. Il s’y est retiré à 45 ans, après avoir fait fortune
grâce au Transsibérien.» Le directeur de recherche Inserm
s’assied non loin d’une statue de Diane chasseresse, qui
semble tendre l’oreille. Il vient de sortir de son laboratoire,
situé au sein de l’Institut de biologie du développement et
cancer (IBDC).
« Je ne recherche ni l’argent ni le pouvoir, lance-t-il, et ne
pense pas avoir un ego surdimensionné, mais l’indépendance
de mon équipe me tient à cœur et je souhaite avant tout que
nos projets puissent se réaliser.» Le spécialiste de la crois-
sance des insectes est surtout heureux d’avoir réuni une
équipe de recherche soudée par ce qu’il appelle une « com-
munauté d’esprit». Il en avait connu le manque en 1993, à
son retour d’un post-doctorat à San Francisco, alors qu’il
démarrait des recherches dans la station marine de Ville-
franche-sur-Mer. « J’étais rentré plein d’énergie mais un peu
naïf, pensant pouvoir introduire à moi tout seul le modèle
drosophile à Nice, se souvient-il. J’avais sous-estimé la
nécessité de travailler avec d’autres. Ce furent des années de
doute et de frustration. » Il ne l’oubliera pas.
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Prix Recherche
PIERRE LÉOPOLD
UN BIOLOGISTEEN CROISSANCE
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Lorsqu’il rejoint en 1998 l’université de Nice, c’est pour
participer à la mise en place d’un pôle de recherche sur la
drosophile, devenu aujourd’hui incontournable. « Cinq
équipes travaillent sur ce modèle, avec de nombreuses inter-
actions et des réunions régulières, décrit-il. C’est très stimulant !
Nous constituons une masse critique de connaissances qui
nous rend très visibles en France et à l’étranger. » Les collines
de Nice offrent de sublimes panoramas. Pierre Léopold
habite sur l’une d’elles. « Ici, les pentes sont raides, je me
déplace à vélo... électrique ! », sourit-il.
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Volontaire et passionnéLe Conseil de la recherche européen (ERC) finance, pour
cinq ans, le projet original de Pierre Léopold sur l’identifi-
cation des mécanismes génétiques et physiologiques
contrôlant la croissance chez la drosophile. La compétition
fut rude mais le chercheur a toujours eu le sens des défis.
«Même si j’ai l’air détendu, remarque-t-il, je peux déployer
une énergie considérable pour atteindre un objectif. » Il se
souvient : «Mes parents m’ont appris à aimer la montagne,
parmi tant d’autres choses. Jeune, j’aimais bien me dépasser,
arriver en haut. J’ai tenté moi-même de transmettre le sens de
l’effort à mes enfants par la fréquentation de la montagne. »
Des années plus tard, cette volonté de fer permet à l’étu-
diant d’intégrer l’École normale supérieure de Saint-Cloud.
«C’était une erreur d’orientation, proteste-t-il. Je voulais
devenir médecin, et je pensais qu’une classe préparatoire m’y
aiderait.»
Ces deux années au lycée Saint-Louis sont pourtant
l’occasion d’une rencontre décisive : « Je dois une grande
part de ma formation d’esprit à un fantastique professeur de
biologie, André Darchis. Il m’a appris, avec beaucoup
d’enthousiasme, à poser une question. Le sens biologique est
là : il ne s’agit pas de produire à la chaîne des résultats techni-
quement utilisables, mais avant tout de poser la bonne ques-
tion dont la réponse permettra nécessairement d’améliorer la
compréhension d’un système.» Fort de cette conviction, le
jeune normalien fait partie des « premiers dissidents » qui ne
veulent pas passer l’agrégation. « Je ne me posais aucune
question matérielle, s’amuse-t-il. Je voulais faire de la
recherche, à tout prix.»
Un biologiste à sensibilité médicaleLa pluie commence à tomber sans que Pierre Léopold n’y
prête attention. « Bien souvent, poursuit-il, les meilleures
questions sont les plus simples – et les plus simples sont aussi
les plus difficiles ! Par exemple, pourquoi mes deux bras sont-
ils de cette longueur ? » Le chercheur du laboratoire de
génétique et physiologie de la croissance chez la drosophile
explique : « La taille moyenne d’une espèce est contrôlée par
son patrimoine génétique, mais la taille réelle d’un individu
dépend de sa perception de l’environnement. Comment s’effectue
le couplage entre génétique et environnement ? »
En situation de carence nutritionnelle, les organismes
n’atteignent pas leur taille cible. Par quels mécanismes par-
viennent-ils à moduler leur croissance ? « Nous avons montré,
se réjouit-il, qu’un organe de la drosophile, nommé le
corps gras, joue un rôle de “sentinelle” capable de ressentir la
carence et d’empêcher l’émission d’hormones de croissance
par le cerveau. » Chez les mammifères, le foie et le tissu
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adipeux pourraient jouer un rôle analogue. Le laboratoire
consacre une grande partie de son activité à étudier ces mé-
canismes de communication entre tissus. Par l’ensemble de
ces travaux, le chercheur est un relais dans la communauté
scientifique : « C’est l’intérêt de travailler sur les drosophiles,
dit-il. Il y est plus aisé de défricher de nouveaux
mécanismes qui peuvent être ensuite validés dans
des modèles biologiques plus complexes. »
Le laboratoire a fait récemment l’acquisi-
tion d’une collection de 11 000 souches
de drosophiles, permettant chacune
l’inactivation d’un des gènes de l’in-
secte. L’utilisation de ces souches
permettra d’analyser les mécanismes
qui déterminent la taille cible d’un
organisme : « Si un tissu est lésé ou
croît moins vite, il parvient à ralentir
la croissance de l’organisme tout en-
tier, indique le chercheur. Quel signal ce
tissu envoie-t-il pour synchroniser la crois-
sance de tous les autres ? C’est ce que nous ai-
merions connaître. » Parallèlement, enfin,
l’équipe étudie les mécanismes impliqués dans le
contrôle de la prise alimentaire : « C’est un projet très ex-
citant qui ne fait sans doute que commencer, se délecte le bio-
logiste. La mouche possède des atouts et des outils
fantastiques pour étudier ces questions nouvelles. »
Pierre Léopold ne souhaite plus devenir médecin. Il croit en
la nécessaire indépendance de la recherche fondamentale,
même si une forte sensibilité médicale perce tout de même
au travers de ses projets. Il l’avoue : « Je trouve extrêmement
gratifiant que la recherche puisse trouver une application bio-
médicale. C’est une satisfaction qui s’ajoute à celle de la seule
compréhension des mécanismes biologiques, à laquelle nous
sommes tous sensibles au sein de l’équipe. »
Un mariage heureuxLe généticien Stéphane Noselli côtoie
chaque jour Pierre Léopold à l’IBDC.Il le décrit avec lyrisme :
« Pierre Léopold ? Un mariage heureux avec la reine drosophile,
un esprit créatif, des découvertes majeureset une présence internationale,
un regard malicieux et attentif aux autres,un exemple et une fierté pour notre Institut. »
On dit de lui...
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Depuis la plus haute tour
de Lyon, le lauréat du Prix
de l’Innovation a les yeux
rivés sur une mer de toits
rouges. Passionné de voile, il
déroule en rêve les étapes d’un
voyage idéal autour du monde.
« Je ne suis pas fait pour la compéti-
tion : j’aime naviguer la nuit, découvrir
des paysages et des horizons ouverts, avancer
au rythme du vent, partager », lance Claude
Delpuech. Puis il regagne son département de recherche,
pour un voyage magnétique au cœur de l’activité cérébrale.
Une machine à partLorsqu’il ne «brave» pas la Méditerranée sur un catamaran
avec ses petites-filles, Claude Delpuech est à la barre d’un
surprenant vaisseau, le magnétoencéphalographe. Celui-ci
emmène l’ingénieur de recherche classe exceptionnelle
(unité Inserm 1028 «Dynamique cérébrale et cognition»)
au plus près des zones activées par le cerveau. Technique
récente d’imagerie cérébrale, la magnétoencéphalographie
(MEG) permet d’observer, à la milliseconde près, le champ
magnétique créé par l’action combinée d’un ensemble (ou
cluster) composé d’environ 50000 neurones. Les sujets sont
assis ou allongés, la tête entourée de capteurs et enserrée
dans une monumentale pile blanche. «C’est une cuve d’hé-
lium liquide à -269 °C dans laquelle sont immergés des cap-
teurs de champ magnétique ultra-sensibles », indique le
responsable du département MEG au CERMEP Imagerie
du vivant1 de Lyon. Implantée dans le parc de l’hôpital du
Vinatier, la machine est isolée du reste du bâtiment par
neuf tonnes de blindage. «Cette belle situation nous met à
l’abri de beaucoup de perturbations urbaines électriques, drama-
tiques pour nos mesures.Nous devons aussi éviter tout métal
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Prix Innovation
CLAUDE DELPUECH
LE MAGNÉTISMECÉRÉBRAL
1 Centre d’étude et derecherche multimodal etpluridisciplinaire enimagerie du vivant
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dans la chambre blindée. Nous fabriquons donc tout nous-
mêmes, de l’électronique spéciale au dispositif expérimental.
C’est assez artisanal », s’amuse ce fils d’ébéniste du faubourg
Saint-Antoine.
Un ingénieur pluridisciplinaireEn 2001, seul l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris dispo-
sait d’un magnétoencéphalographe. Claude Delpuech fut
sollicité par François Mauguière et Jacques Pernier pour
étudier l’implantation de ce type d’instrument à Lyon.
L’électrotechnicien de formation2 a en effet acquis des com-
pétences exceptionnelles en physique des champs magné-
tiques. Il a notamment obtenu un DEA sur les fusions
provoquées par induction électromagnétique dans les ma-
tériaux multicouches et un doctorat au CEA sur la transi-
tion superfluide de l’hélium liquide par désaimantation de
terres rares (Russell B. Scott Memorial Award). Au sein de
l’unité Inserm 280 à Lyon, il se consacrait depuis quinze
ans à des questions d’électrophysiologie : étude de l’apnée
du sommeil et développement de dispositifs de diagnostic
commercialisés sous licence Inserm, puis recherche sur la
perception des voix familières au niveau cérébral chez les
patients en état de coma. Dès 2001, il participe ainsi à toutes
les décisions concernant l’introduction de la MEG à Lyon :
faisabilité, choix du site, achat, intégration dans la plate-
forme technique d’imagerie du vivant GIE CERMEP.
« Depuis, je suis dans la MEG jusqu’au cou», s’amuse-t-il
avec un brin d’autodérision.
2 BTS, cours du soir auCNAM, où il enseignemaintenant le traitementdu signal, et écoled’ingénieur à Grenoble.
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Un mélomane faceaux processus mentauxClaude Delpuech est mélomane. Il aime écouter et décou-
vrir, d’Othello à Jerho... et interpréter les champs magné-
tiques. « Comme un chef à l’écoute de son orchestre, nous
essayons de comprendre ce que fait chaque groupe de neu-
rones et comment ceux-ci interagissent. Tout cela avec beau-
coup de physique et de statistiques, dans des domaines de
recherche très divers, et grâce à de nombreux échanges avec
mes amis des autres centres MEG. »
Le département MEG a ainsi participé, de la bibliographie
jusqu’à la rédaction d’articles, à des recherches sur la prise
de décision au volant3, l’intentionnalité de la parole4, la
détection des variations de hauteur tonale des sons5.
Domaines de pointe, la MEG « temps réel », les interfaces
cerveau-machine et les études de connectivité dans les
réseaux neuronaux font l’objet d’études en cours, que ce
soit pour moduler des paradigmes expérimentaux, piloter
des robots ou imaginer une rééducation motrice virtuelle pré-
opératoire à destination de personnes tétraplégiques.
«L’objectif est d’apprendre à refaire un mouvement naturel à
partir d’un nouveau réseau neuronal », explique Claude
Delpuech.
Une sensibilité médicaleOutre la fibre musicale, l’ingénieur de recherche a aussi la
fibre médicale. Aussi n’avait-il pas hésité en 1981 à répon-
dre à une petite annonce de recrutement de l’Inserm :
« J’avais étudié les écoulements d’air dans les souffleries
supersoniques de l’Office national d’études et de recherches
aérospatiales (ONERA), et l’on me proposait de modéliser des
3 ISH & INRETS. Fort A.et al. Attentional demandand processing ofrelevant visual informationduring simlated driving:a MEG study Brain Res.2010.4 ISC. Carota F. et al.Neural dynamics ofintention to speak Cereb.Cortex 2010.5 Inserm, U821. Foxton J.et al. The neural basesunderlying pitchprocessing difficultiesNeuroimage 2009.
Enregistrement dedonnées MEG avec testde vidéo projection.
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mécanismes d’écoulement et d’expiration
forcée dans la trachée ! Ce fut un change-
ment radical d’échelle, avec des mesures très
délicates sur des trachées excisées. Mais la fina-
lité clinique me tenait très fortement à cœur. » Il se
réjouit ainsi que la MEG puisse désormais servir à la
prise en charge de l’épilepsie : « Depuis un an, nous menons
dans ce domaine des examens indispensables, pour des pa-
tients envoyés par l’hôpital neurologique de Lyon. Ce n’est
plus seulement de la recherche. » Parmi 20% de patients
pharmaco-résistants, environ la moitié peut subir une inter-
vention chirurgicale du cerveau. « Nous localisons les foyers
neuronaux des crises, par l’étude des pointes intercritiques,
c’est-à-dire l’activation neuronale haute fréquence de groupes
de neurones qui seraient à l’origine des crises », précise-t-il.
Si un seul foyer est identifié par la MEG, la plupart du
temps validé par d’autres techniques (IRM, Pet-Scan, vidéo
EEG) et confirmé par l’implantation d’électrodes profondes,
l’intervention chirurgicale peut être envisagée.
Pôle d’excellence en neurosciences, la ville de Lyon dispose
ainsi d’une expertise particulière en matière d’épilepsie.
Celle-ci sera bientôt renforcée par la création d’un centre
de référence pour les enfants épileptiques sur le site de l’hô-
pital neurologique de Lyon. « Qui plus est, à long terme,
espère l’ingénieur, l’identification des signaux précurseurs des
Il ne recule jamaisJacques Pernier, ancien directeur de
l’unité Inserm 280 à Lyon, l’affirme :« Claude Delpuech possède des compétences
techniques dans de nombreux domaines.Outre un excellent sens de l’organisation et dela gestion, il ne recule devant aucune difficultéet fait preuve de beaucoup d’initiatives utiles
pour notre communauté scientifique. »
On dit de lui...
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pointes permettra peut-être d’améliorer la chirurgie ou la sti-
mulation par électrode profonde. » Claude Delpuech appa-
raît confiant : il sait que le temps peut apporter du neuf.
« En quelques années, révèle-t-il, j’ai appris la sculpture sur
marbre, après la terre et le plâtre. La création, comme l’inno-
vation, s’inscrit dans une temporalité longue où seule compte
l’exigence de qualité ! »
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«Notre plateforme offre
un service très complet de
construction de souris »,
annonce Frédéric Fiore. La
formulation pourrait faire
sourire mais elle est choisie
avec un grand souci d’honnêteté.
Car le Marseillais Frédéric Fiore
n’aime pas exagérer. Tout à sa mission,
le lauréat du Prix Innovation se livre à demi-
mots, un regard vers le nouveau bâtiment qui
abritera bientôt son équipe.
«Nous sommes prestataires de services, analyse Frédéric Fiore.
Le cœur de notre métier consiste à produire à façon des souris
génétiquement modifiées, selon la demande de nos clients.
Nous les aidons si besoin à définir leur projet puis nous prenons
tout en charge jusqu’à la livraison des souris 12 à 18 mois plus
tard.» Plus que tout, le responsable technique de la plate-
forme d’exploration des fonctions du système immunitaire
de la souris (KO-KI Booster) apprécie le caractère complet
de cette mission. «Cela implique plusieurs métiers, tous pas-
sionnants ! reconnaît-il. Je dois étudier la pertinence straté-
gique des projets avec nos clients, vérifier que nous pouvons
techniquement réaliser le modèle, coordonner l’équipe,
accompagner le travail en laboratoire et analyser les résultats.
S’y ajoutent tous les aspects liés au management d’une plate-
forme.»
Un professionnel du knock-outC’est que Frédéric Fiore, 40 ans, ingénieur de recherche
Inserm, a acquis des compétences exceptionnelles en matière
de génie génétique. En 1993, un BTS de biotechnologie
en poche, il entre dans l’équipe de Daniel Birnbaum
comme technicien Inserm au Centre de recherche en
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Prix Innovation
FRÉDÉRIC FIORE
DES MODÈLES ANIMAUXDANS LES CALANQUES
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cancérologie de Marseille (CRCM) pour concevoir des souris
knock-out. Il explique : « Le Prix Nobel Mario Capecchi avait
décrit en 1987 cette méthode de création de souris génétique-
ment modifiées1 visant à modifier ou « invalider » certaines
séquences génétiques afin de décrypter la fonction des gènes.
Il s’agit d’opérer, dans le génome des cellules souches embryon-
naires de souris, des modifications géniques – un seul codon,
parfois ! Ces cellules souches porteuses de la mutation sou-
haitée sont alors injectées dans un embryon de souris pour
donner ce que nous appelons une souris chimère. » Il déve-
loppe ainsi des modèles animaux destinés à la cancérologie
par knock-out, par remplacement d’un gène par un autre
(knock-in) ou par addition d’un gène provenant d’un autre
animal (transgenèse). « Au bout de cinq ans, dit-il, voyant de
nombreux étudiants en DEA travailler autour de moi, j’ai
demandé à mon directeur, Claude Mawas, l’autorisation de
poursuivre mes études en parallèle. Et je suis parvenu
jusqu’au doctorat, en 2002 ! » Une année de post-doc à
l’hôpital de la Salpêtrière (IFR 70) achèvera sa formation :
il y apprend à utiliser des équipements que le CRCM
souhaite acquérir pour étudier l’évolution d’une tumeur
in vivo chez le petit animal.
Fort de ces expériences, cet homme tranquille au phrasé
très posé a conscience des enjeux éthiques que soulève
l’utilisation d’animaux pour la recherche : «Lorsque l’on
travaille sur des modèles animaux, on doit être attaché au res-
pect de règles éthiques très strictes, souligne-t-il. La recherche
in vivo est nécessaire : les cellules d’un organisme interagis-
sent souvent de façon surprenante par rapport aux résultats
d’une étude in vitro. C’est pourquoi la création de modèles
animaux est indispensable à la compréhension des méca-
nismes et des interactions moléculaires complexes –donc au
progrès de la recherche médicale.»
La science au soleilLa plateforme KO-KI Booster est située derrière les calanques de
Marseille et de Cassis, sur le site du Centre d’immunologie
Marseille-Luminy (CIML). Lorsque le poste de responsable
1 Thomas KR, CapecchiMR. Site-directedmutagenesis by genetargeting in mouseembryo-derived stemcells. Cell. 1987 Nov6;51(3):503-12.
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technique s’ouvre à la mobilité en 2007, Frédéric Fiore
n’hésite pas : «L’ampleur du projet m’intéressait énormé-
ment : la plateforme mutualise des outils technologiques de
pointe et regroupe des compétences de haut niveau. Qui plus
est, Bernard Malissen, notre directeur, est un des précurseurs
dans la construction de souris génétiquement modifiées. Ce
poste, sur un campus universitaire très agréable, a été un
véritable virage dans ma vie.»
Pour s’y rendre, Frédéric Fiore chevauche un roadster de
marque japonaise : «La moto, c’est un rêve d’enfant, confie-
t-il en embrassant du regard les collines de pins et de maquis.
J’aime ce moyen de transport : j’aime sentir le vent et les
parfums de la nature en venant travailler chaque jour.»
Et même les labels d’excellence de la plateforme ont un air
ensoleillé : Rio2créé en 2002, puis Ibisa3en 2006. Ce dernier
marque une forte ouverture au monde académique et
industriel, s’accompagnant d’une gestion qui garantit la
qualité des prestations et la pérennité de la performance
technologique. «Sur environ trente projets par an, estime
Frédéric Fiore, la grande majorité répond à des demandes
d’équipes de recherche académiques, parfois liées au milieu
associatif de la lutte contre les myopathies ou les anomalies
génétiques rares chez l’enfant.»
Un soutien de grande envergureDepuis sa fenêtre, l’ingénieur observe la construction du
bâtiment voisin, le futur Centre d’immunophénomique
(Ciphe-US012). Il en attend avec impatience l’inaugura-
tion début 2012. Le plan d’architecte de ses 3 000 m2 est
déroulé sur son bureau. « Avec ce déménagement, se réjouit-il,
nous aurons les moyens techniques et humains de répondre à
une hausse de la demande. » D’importants consortiums
2 Réseau inter-organismes.3 Infrastructure enbiologie santé etagronomie.
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Un très proche collaborateurPour Bernard Malissen, directeur
scientifique de la plateforme KO-KI Booster,« Frédéric possède toutes les qualités
attendues d’un très proche collaborateur :fiabilité dans les projets, désir constant
d’innover, ténacité et optimisme, une grandeattention pour ceux qu’il dirige et une forte
adhésion aux missions de l’Inserm. »
On dit de lui...
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européens et nord-américains s’appuieront ainsi dès 2013
sur Frédéric Fiore et son équipe : «Ces consortiums produi-
sent à haut débit des vecteurs permettant d’invalider un
maximum des 30 000 gènes de la souris, détaille-t-il. Avec
d’autres partenaires, nous serons chargés des dernières étapes,
depuis l’injection des cellules sélectionnées jusqu’à la nais-
sance et l’analyse de l’animal. L’implication du CIPHE dans
les consortiums internationaux est très stimulante. »
Exalté par ce renforcement des responsabilités confiées à la
plateforme, Frédéric Fiore annonce que celle-ci proposera
un nouveau service, l’analyse du comportement phénoty-
pique que les modifications génétiques induisent chez la
souris : « Les chercheurs pourront passer une commande glo-
bale, incluant non seulement la production de souris généti-
quement modifiées mais aussi l’analyse des marqueurs
immunologiques liés à cette modification. Cette analyse multi-
paramétrique de plus de 300 marqueurs du système immu-
nitaire de la souris sera unique en France.» Si Frédéric Fiore
coordonne un réseau national de transgenèse et s’implique
dans de nombreux réseaux internationaux, c’est toujours
pour garantir une expertise de pointe : «C’est passionnant,
avoue-t-il enfin, de pouvoir contribuer aussi globalement à
l’avancée des connaissances, par cette mutualisation de fortes
compétences technologiques. Certains modèles animaux
seront sans doute à l’origine de nouvelles applications médicales.
C’est une motivation supplémentaire à notre travail !»
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DIDIER RAOULT
pour ses travaux sur les agents pathogènes etsa découverte des virus géants
YEHEZKEL BEN-ARIpour ses travaux sur l’épilepsie et la maturation cérébrale
ALAIN FISCHER
pour ses travaux de thérapie génique de certains déficitsimmunitaires
CHRISTINE PETIT
pour ses travaux sur les gènes impliqués dans la surdité,la pathogénie de ces atteintes et la physiologiemoléculaire du système auditif
PIERRE CORVOL
pour ses travaux sur la compréhension de l’hypertensionartérielle et des pathologies vasculaires
BERNARD MALISSEN
pour ses travaux sur les molécules impliquées dansla reconnaissance des antigènes par les lymphocytes T
JEAN-MARC EGLYpour ses travaux sur le facteur TFIIH impliqué dans latranscription et la réparation de l’ADN
MIROSLAV RADMAN
pour ses travaux sur la réparation de l’ADN,la mutagenèse et l’évolution des espèces
MONIQUE CAPRON
pour ses travaux en immunoparasitologie et enallergologie
YVES AGID
pour ses travaux sur les mécanismes etles conséquences de la neurodégénérescence
ARNOLD MUNNICH
pour ses travaux sur les maladies génétiques de l’enfant
2010
2009
2008
2007
2006
2004
2005
2003
2002
2001
2000
Lauréats duGrand Prix
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L’Institut national de la santéet de la recherche médicale (Inserm)
est un organisme dédié à la recherchebiologique, médicale et en santé
des populations.Il se positionne sur l’ensemble
du parcours allant du laboratoirede recherche au lit du patient.
Il est membre fondateur d’Aviesan,l’Alliance nationale pour les sciences
de la vie et de la santé.
Inserm, la recherche en sciences
de la vie et de la santé
Cré
atio
n et
mis
e en
pag
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yrie
m B
elka
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serm
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men
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2011
Département de l’information scientifiqueet de la communication
101, rue de Tolbiac75654 Paris Cedex 13
Tél. 01 44 23 60 84Fax 01 44 23 60 68
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