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Les cahiers de l’IPSE Institut Prospective et Sécurité de l’Europe L’entretien de l’IPSE : Colomban LEBAS Repenser la lutte antiterroriste Le concept de sécurité humaine ENMOD : la convention méconnue Les élections en République démocratique du Congo : un test pour l’Union Européenne Le service civil citoyen en débat

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Les cahiers de l’IPSE

Institut Prospective et Sécurité de l’Europe

L’entretien de l’IPSE : Colomban LEBAS

Repenser la lutte antiterroriste

Le concept de sécurité humaineENMOD : la convention méconnue

Les élections en République démocratique du Congo : un test pour l’Union Européenne

Le service civil citoyen en débat

L’Europe de la défense : une réalité concrète

Le retour de la stratégie des moyens : la force de gendarmerie européenne

IPSEIPSE

OCTOBRE-NOVEMBRE-DECEMBRE 2006 - NUMERO 87

La rencontre IPSE de novembre

DINER – DEBAT

En partenariat avec l’IFAS

« Implications géopolitiques de la prolifération »

François GEREChargé de mission auprès du Directeur de l’IHEDN

Cercle Napoléon

Mercredi 8 novembre 2006

Revue trimestrielle éditée par l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe24, rue Jules Guesde75014 Paris - FranceTél : 33 (0)1 42 79 88 45E-mail : [email protected]é de rédaction :Jean-Pierre PETIT, Emmanuel DUPUY, Julie PARRIOT, Luc PICOTDirecteur de la publication :Julie PARRIOTRédacteur en chef :Luc PICOT

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L’IPSE n’entend donner ni approbation, ni improbation aux opinions émises dans la revue, celles-ci devant être considérées comme propres à leur auteur.Tous droits de reproduction, même partielle par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays.ISSN : 1638/4903

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Editorial

Les cahiers de l’IPSE changent

Toute l’équipe de l’IPSE a la joie de vous présenter les cahiers de l’IPSE. Cette nouvelle appellation de la lettre marque une mutation de la revue de l’IPSE. Ainsi, notre lettre devient une revue trimestrielle à caractère scientifique. Pour cela, l’IPSE s’est doté d’un comité de rédaction et peaufine la création d’un conseil scientifique.

Cette évolution de la revue de l’IPSE est rendu nécessaire par la qualité des articles et des notes de lectures qui nous sont soumis. Ainsi, nous nous devions de répondre aux attentes de nos auteurs et de nos lecteurs.

A nouvelle revue, nouvelle équipe.Nous avons l’honneur de succéder à Nicolas Lanonier et Ghislain Faulquier qui ont beaucoup œuvré au succès de la lettre. Aujourd’hui, nous vous présentons cette première mouture des cahiers de l’IPSE. Ceux-ci évolueront aux grés de vos suggestions et contributions.Cette revue est la votre.

Alors, à vos plumes…

Julie PARRIOT Luc PICOTDirecteur de la publication Rédacteur en chef

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Les cahiers de l’IPSE

Editorial 3

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Sommaire 4

L’entretien de l’IPSE avec Colomban LEBAS 7La prolifération nucléaire

Les TribunesRepenser la lutte antiterroriste

Chiche MAHOR et Michaël CHETRIT16

Sur le concept de sécurité humaine ENMOD : la convention méconnue

Ben CRAMER

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Les élections en République démocratique du CongoMathieu DAMIAN

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Le service citoyen et civil en débatJérôme MOURROUX

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L’Europe de la Défense : une réalité concrète ?Charles de MARCILLY

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Le retour de la stratégie des moyens : la force de gendarmerie européenne

Freddy NZE EKEKANG

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Les Notes de lecture-Vers un rapprochement doctrinal, André DUMOULIN 41-La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de l’atlantisme français, Jean-Sylvestre MONGRENIER

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-Israël- Palestine : une guerre de religions ? Elie BARNAVI 46-Du Jihad à la Fitna, Gilles KEPEL 46-La guerre en réseau au XXIème siècle, Jean-Pierre MAULNY

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-Les nouveaux visages de la guerre, Christian DELANGHE et Henri PARIS

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-Livre gris sur la sécurité et la défense, Loup FRANCART 51

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-Les défis d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne sous la direction, Erwan LANNON et Joël LEBULLENGER

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-Vers l’autonomie des capacités militaires de l’Union Européenne, Edouard PFLIMLIN

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- Pour une force européenne de protection civile : europe aid Rapport de Michel BARNIER

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-Algérie, Maghreb : le pari méditerranéen, sous la direction d’Abdi NOURREDINE

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-Les Révolutions de velours, Vlatcheslav AVIOUTSKII 62-La raison des nations, Réflexions sur la démocratie en Europe, Pierre MANENT

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-L’Iran et le nucléaire, les tourments perses, François GERE 68

Les Rencontres et partenariats

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-Dîner- Débat JEP - IPSE « Le Partenariat euro-méditerranéen : Ambitions, perspectives et réalités 10 ans après Barcelone »

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-Colloque IPSE – CIFER-Partenariat Euroafricain « Les PECO et l’Afrique »

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-Conférence-débat IPSE - IPAG « La Turquie, carrefour de l’Europe? »

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-Colloque JEP « La Bulgarie et la Roumanie dans l’UE » 84-Conférence IPSE - ACEDS « La Géorgie, un enjeu stratégique pour la politique de bon voisinage »

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-Dîner-Débat IPSE - Arabies « Le Pétrole dans les Relations Internationales »

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Bulletin d’adhésion 91

Présentation IPSE 93

OCTOBRE-NOVEMBRE-DECEMBRE 2006 - NUMERO 87

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Centre International d’Etudes Géopolitiques (C.I.E.G.)

Constitué en juin 2001, le Centre International d’Etudes Géopolitiques (C.I.E.G) s’est fixé pour objectif le renforcement de la stabilité et de la sécurité internationale par la promotion d’une meilleure compréhension des causes des tensions et situations conflictuelles. A cet effet, le C.I.E.G. se consacre à l’analyse et l’étude des questions liées à la géopolitique mondiale afin de rendre plus compréhensible l’évolution des relations internationales contemporaines.

Pour toutes demandes concernant l'ouvrage :C.I.E.G : Tél/Fax : +41 (0) 22-340.68.92 - Natel : +41 (0)76-509.17.63Courrier électronique: [email protected]: http://www.geopolitics.ch

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L’entretien de l’IPSE

Colomban LEBAS

Directeur de recherche au CEREMS (Centre d’Etudes et de Recherche de l’Enseignement Militaire Supérieur)Chercheur associé au Centre de géostratégie de l’Ecole Normale Supérieure (ENS)

Luc PICOT pour les Cahiers de l’IPSE : Quinze ans après la fin de la guerre froide, pourriez-vous nous faire un état des lieux quant à la prolifération nucléaire?

Colomban LEBAS : Il est en effet éclairant d'effectuer un rappel historique pour mieux comprendre les succès et échecs de la lutte contre la prolifération nucléaire. La prolifération a en réalité commencé dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et a abouti dès 1949 à la rupture du monopole nucléaire américain par l'URSS de Staline. Ce dernier avait très bien compris dès 1944 le grand intérêt qu'il y avait à posséder ce nouveau type d'arme mais en public feignait très astucieusement ne tenir celle-ci que pour une grosse bombe, un peu plus puissante que les autres. Il a en réalité mis de gros moyens sur le projet, et a abondamment utilisé l'espionnage pour économiser du temps et de l'argent. Cette stratégie s'est révélée payante.

Parallèlement, les Américains ont transféré certaines technologies nucléaires vers la Grande Bretagne qui a pu ainsi s'équiper, accédant à son tour au rang de puissance nucléaire. Les Etats-Unis ont également utilisé les facilités que leur offraient l'OTAN pour

pré positionner des armes et des vecteurs (bombardiers, puis missiles). La France s’est quant à elle dotée d’un armement autonome. Elle accède au club nucléaire en 1964 et devient puissance thermonucléaire en 1969. De son côté la Chine a bénéficié de transferts de technologie soviétique pendant la période d’amitié entre les deux pays. Mais c'est après la rupture sino-soviétique qu'elle devient puissance nucléaire (1964), puis thermonucléaire en 1968, un an avant la France !

Jusqu'à la fin des années soixante, il n'existait pas de textes juridiques de grande envergure et de portée internationale limitant ou prévenant la prolifération nucléaire.

C’est pour freiner la dynamique inquiétante de cette dissémination nucléaire que le Traité de Non-Prolifération (TNP) fut signé en 1968. Si l'on dresse un bilan de l'effet de ce traité, on ne peut que constater sa grande efficacité pendant la période1975-2000. Seuls des pays non-signataires ont pu développer à leur terme des armes nucléaires : Pakistan, Inde, Israël et Afrique du sud, unique cas de renonciation à une arme nucléaire de conception endogène.

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C'est pourquoi le cas Nord-Coréen constitue une première, même si - au passif du Traité - on ne peut passer sous silence le fait que de nombreux programmes clandestins ont pu exister parmi les pays signataires : en Iran, en Irak, en Lybie, par exemple...

La question de l'efficacité du TNP, avec le démantèlement partiel du réseau du docteur Khan, père de la bombe pakistanaise, et le défi iranien et le retrait Nord Coréen, se pose aujourd'hui avec une grande acuité. D'autant plus qu'il est vain de nier le caractère discriminatoire de ce texte (cinq pays ont le droit de se doter d'armes nucléaires) et son caractère insuffisant (il n'interdit pas l'enrichissement le l'uranium, « à des fins pacifiques ») ; D'où l'ajout d'un protocole additionnel qui n'a cependant pas été ratifié par des pays comme l'Iran.

Luc Picot : Quel est donc dans ce contexte de « dé-prolifération » que vous évoquiez précédemment, le risque d’une utilisation de l’arme nucléaire ?

Colomban Lebas : La prolifération a changé de nature et d'objectifs par rapport au temps de la guerre froide. Ce ne sont plus le même type de pays qui prolifèrent. Pour un Etat dont la stratégie est de défier l'ordre international, le nucléaire est un investissement dont le rendement n'est pas aussi mauvais que voudrait le faire croire l'administration Bush: Vertu égalisatrice de l'atome déjà soulignée en son temps par le général Gallois, question de prestige, monnaie d'échange pour acquérir d'autres technologies militaires – la technologie balistique pakistanaise par exemple (missiles Ghauri) est dérivée du No-Dong nord-coréen, tout comme celle du Shahab iranien). Ajoutons que la poursuite d'un programme nucléaire, tout comme la détention d'armes réelles,

permet également d'exercer un chantage sur la communauté internationale qui dans le cas de la Corée du Nord prolonge la survie du dernier régime stalinien de la planète, aujourd'hui aux abois.Autre motif de prolifération vers un autre Etat, Il n'est pas non plus bon d'être le dernier de la liste noire des pays proliférants : d'où l'intérêt certain du dernier Etat nucléarisé à exporter son savoir-faire, tant pour échapper à moyen-terme à l'ire de la communauté internationale que pour rentabiliser son « investissement » et financer la maintenance coûteuse du complexe nucléaire qu'il a développé.

Toutefois, à long terme, les motifs qui poussaient les pays à se doter de l'arme nucléaire sous la Guerre Froide pourraient bien resurgir. Ainsi on ne peut écarter que le développement de la multipolarité ne conduise, dans un « scénario pessimiste », à une confrontation entre plusieurs ensembles macro régionaux. L'émergence de la Chine et de l'Inde, le retour toujours possible de la Russie pourraient à long terme conduire à une alliance antiaméricaine ou antioccidentale qui redonnerait peut-être un rôle crucial à l'arme nucléaire comme élément majeur de régulation de l'ordre mondial.

Luc Picot : Le Traité de Non Prolifération (Ndlr : TNP, traité international conclu en 1968. Il vise à réduire le risque que l’arme nucléaire se répande à travers le monde, et son application est garantie par l'Agence internationale de l'énergie atomique - AIEA) est-il toujours opérant ?

Colomban Lebas : Le TNP reste utile car il a permis d’établir - à grand peine il est vrai - un consensus gelant la situation de fait qui régnait à la fin des années 60. Toutefois, le TNP reste peu opérant contre la prolifération verticale :

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les articles qui y font allusion restent vagues, et sur ce thème le traité prête le flanc à la critique des Etats non dotés. Ainsi les Etats-Unis travaillent sur des projets de bombes de très faibles puissances, munies de pénétrateurs et capables de résister à la formidable décélération induites par le choc avec l'écorce terrestre : celles-ci permettraient de menacer des dictateurs ou des terroristes ensevelis dans des bunkers ou des grottes placées à plusieurs dizaines de mètres au dessous du sol. Malgré le TNP, les puissances dotées - au sens de ce traité - améliorent qualitativement leur arsenal, mêmes si celles-ci ont consenties depuis la fin de la guerre froide à des réductions très significatives du nombre de têtes dont elles disposaient (sauf la Chine). Il faut bien comprendre que les accords de désarmement constituent souvent un moyen habile de concentrer son effort sur des armes à la pointe de la recherche scientifique sans s'encombrer des coûts de maintenance des armements anciens, tout en confortant son capital de légitimité. Pour prendre un exemple historique, les accords de SALT I – entre URSS et Etats-Unis illustrent bien ce type de stratégie. Aujourd'hui la très grande amélioration de la précision des vecteurs chez les grandes puissances militaires rend moins utile la détention en nombre important d'armes nucléaires de très grande puissance

A vrai dire le TNP est un traité relativement souple car il permet à un Etat de développer un programme nucléaire civil complet en toute quiétude: La phase d’enrichissement n’est pas interdite, à condition de ne pas être détournée à des fins militaires. C’est le protocole additionnel qui interdit l’enrichissement. Dans le cas de l’Iran, le protocole a été signé mais pas ratifié.

La position de l'Iran est donc au plan juridique particulièrement complexe. Si d'aventure, dans le contexte des expériences nucléaires nord-coréennes, l’Iran se retirait du Traité de Non-Prolifération, ce dernier verrait probablement sa crédibilité s'effondrer et d'autres Etats seraient tentés de se lancer dans l'aventure nucléaire. A la suite des gesticulations nord-coréennes, des entrechats de la diplomatie iranienne ainsi que du recul relatif des perspectives d'adhésion européenne de la Turquie, un débat renaît dans ce dernier pays sur le nucléaire militaire. De même l'Arabie Saoudite, qui dispose de connaissances sur ce sujet, pourrait profiter de la situation pour se doter de l'arme ultime.

Luc Picot : Quelles sont les raisons qui ont conduit les Etats à proliférer ?

Colomban Lebas : Analysons le mobile qui a été invoqué en premier lieu pour justifier les dernières grandes interventions américaines : En Irak, il s'agissait de la prétendue détention d'arme de destruction massive. En Afghanistan, pour répliquer dans de bonnes conditions à la menace Taliban les Etats-Unis ont dû baisser pavillon dans leur contentieux nucléaire avec le Pakistan et s'appuyer sur celui-ci pour réussir. Aujourd'hui pour équilibrer la relation avec le Pakistan et pour contre balancer le poids de la Chine dans le monde, les Etats-Unis se lancent dans une coopération nucléaire civile avec l'Inde puissance nucléaire non-adhérente au TNP. En revanche jusqu'à maintenant, les probabilités d'intervention en Corée du Nord – que l'on savait nucléarisée - étaient très faibles. Quelle leçon ont tiré de ces faits les Etats en marge de la communauté internationale ? Que les pays non dotés d'armes nucléaires mais entretenant des relations houleuses avec

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Washington devaient craindre des représailles militaires américaines alors que des Etats du même type, dotés d'armes atomiques rudimentaires, pouvaient se considérer comme sanctuarisés. C'est probablement le calcul iranien.

De plus, l’enlisement des Américains en Irak crée une fenêtre d’opportunité pour les Etats souhaitant proliférer. Ceux-ci profitent aujourd'hui du flottement de la politique américaine, de l'affaiblissement de sa légitimité, ainsi que du manque de disponibilité des troupes américaines pour accélérer leurs programmes. Dans ce contexte, le test nord-coréen et les initiatives hasardeuses de l'Iran s'expliquent aisément.

Il est enfin regrettable que les Etats historiquement détenteurs de l’arme nucléaire soient aussi les membres du Conseil de sécurité. Cette coïncidence malheureuse contribue à créer une funeste association d'idées entre détention d'armes nucléaire et puissance. De plus, d’autres facteurs plus contemporains viennent faciliter la prolifération. Au fond la prolifération nucléaire n'est qu'une conséquence de la « prolifération des savoirs » elle-même issue de l'élévation générale du niveau technologique mondial. On ne peut éviter cette prolifération des savoirs et elle est même souhaitable pour des raisons économiques évidentes. Mais la construction de bombes est aujourd'hui - intellectuellement parlant pratiquement parlant– à la portée de bien plus d'Etats qu'autrefois du fait de l'élévation du niveau de qualification de la main d'œuvre « technique » et sa plus grande habileté à s'insérer dans des processus industriels complexes. D'autre part la technologie actuelle permet de conduire un programme secret dans des conditions de furtivité

bien plus grande qu'autrefois : je pense par exemple à l'apparition des ultracentrifugeuses. La mondialisation financière induit enfin une privatisation et une diversification des réseaux d'approvisionnement en matériel ou en technologie qui rend ceux-ci plus discrets et plus efficaces, comme l'a montré l'enquête menée sur le réseau du docteur Khan, à la suite de l'abandon volontaire par la Libye de son programme nucléaire.

Luc Picot : L’Iran lance depuis quelques mois un véritable défi à la communauté internationale en développant son propre programme nucléaire civil, dont certains voient la préfiguration d’un programme à usage militaire. Dans ce contexte, la position des Occidentaux est-elle suffisamment forte face à cette potentielle menace ?

Colomban Lebas : Des positions fermes ont été prises. Celles-ci sont justifiées. L’Iran est une puissance régionale mais si cet Etat se dote de l’arme nucléaire, d’autres seront tentés de relancer leurs propres programmes (Arabie-Saoudite, etc.). Il y aura légitimation implicite de la prolifération. D'autant que la faiblesse relative des sanctions prises en guise de réplique au test nord-coréen vient – jusqu'à maintenant - conforter cette impression. En outre, je le rappelle, les Etats n’aiment pas être les derniers de la liste des possesseurs de l’arme nucléaire. C'est risqué et onéreux. Maintenir en état un arsenal nucléaire c'est, pour un Etat en difficulté financière, en quelque sorte « entretenir une danseuse » Le nucléaire militaire est un luxe coûteux, et les Etats qui s'y adonnent entendent ensuite rentabiliser cet investissement !

Luc Picot : Quelle issue voyez-vous dans ce rapport de force entre l’Iran et les puissances occidentales ?

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Colomban Lebas : Nous sommes face à l’épreuve de vérité. La double crise iranienne et nord-coréenne impose aux grands pays d'abattre leurs cartes. Les positions de la Russie et de la Chine seront déterminantes Ces puissances détiennent en effet les clés de l'accès à l'emploi de la force, via leur droit de veto, comme membre permanent du Conseil Sécurité. La Chine et la Russie regardaient jusqu'à maintenant avec une certaine bienveillance l’Iran et la Corée du Nord. L'Iran est bon client de la Russie en particulier dans le domaine des armements. L'Iran est une pièce maîtresse du dispositif d'approvisionnement en hydrocarbures de la Chine. De plus Corée du Nord et Iran constituaient jusqu'à maintenant un outil efficace de contrôle du niveau de tension internationale, visage noir de la diplomatie chinoise. Gageons que le test Nord-Coréen fera évoluer la position de la Chine face à son allié, qui reste toutefois, par sa configuration géographique et sa proximité de la Corée du Sud, une pièce maîtresse de son échiquier stratégique.

Luc Picot : Quelle évolution diplomatique croyez-vous possible d’attendre dans les prochaines semaines dans ce contexte ?

Colomban Lebas : Jusqu'à maintenant les Iraniens se sont montrés fins diplomates. Ils alternent les périodes de tension maximale avec des phases d'assouplissement et d'ouverture à la négociation, sans ne jamais renoncer à rien. Ainsi, peu à peu ils jouissent de plus en plus de marge de manœuvre, et ce qu'on leur refusait il y a peu nous semble progressivement acceptable. Cette évolution du seuil de tolérance des Occidentaux s'effectue « step by step ». Le jeu de ballet entre Européens et Iraniens autour de la proposition russe de fournir de l'uranium enrichi

constitue une belle illustration de cette tactique.

Luc Picot : Certains analystes français semblent pourtant « comprendre » la position iranienne. Partagez-vous ce sentiment ?

Colomban Lebas : En France, certains considéraient et considèrent encore que l’Iran aura de toute façon un jour l’arme nucléaire, et qu'avec le temps, le régime se modérera et se responsabilisera. Je m’élève contre cette vision qui me semble irénique. La re-radicalisation de l'Iran depuis que Amadinejad a été porté au pouvoir montre que des phases radicales peuvent succéder à des phases de modération, et ce avec l'assentiment populaire. La faction au pouvoir a joué sur la fibre sociale pour s'attirer les suffrages de masses, choquées d'assister impuissante à l'enrichissement d'une minorité faisant face à paupérisation des couches populaires.

Luc Picot : Ne peut-on pas considérer néanmoins que la possession de l’arme atomique par de plus en plus d’Etats, les inciteraient à plus de modération ?

Colomban Lebas : L’idée classique dans le débat nucléaire de la fin des années cinquante est que si tous les pays possèdent l’arme nucléaire, il se produit un phénomène d'inhibition mutuelle. Cette théorie est, à mon sens, au moins partiellement erronée, même au plan purement mathématique. Car dans les faits il existerait une longue période de transition où les pays dotés ne disposeraient pas d'une capacité de seconde frappe. D'où une situation hautement instable du fait de l'élévation du risque de frappe préventive de la part de ces Etats incomplètement nucléarisés. Sans parler de la multiplication des risques d'incompréhension mutuelle, d'accident,

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d'erreurs d'interprétation, de trafic terroriste.... A partir d'un certain seuil, plus il y a de pays détenteurs de l’arme atomique, plus le risque de déclenchement du feu nucléaire augmente.

Luc Picot : Dans un autre contexte, certes, que penser de la dangerosité liée à la possession avérée et revendiquée comme telle de l’arme nucléaire par la Corée du Nord ?

Colomban Lebas : Le premier tir de missile n’a pas constitué un risque. Le test n’était pas concluant. Le deuxième test servait de gesticulation de la part du régime nord-coréen. le test nucléaire a montré que la Corée disposait réellement de quelques armes atomiques rudimentaires, susceptibles d'exploser partiellement. La Corée exerce un chantage au nucléaire pour maintenir le régime et éviter une intervention occidentale. Mais le premier essai nucléaire n'a pas été un succès technique, et les missiles détenus ne constituent pas pour le moment des vecteurs fiables. En revanche en cas d'intervention armée, on ne peut évacuer totalement le scénario suicidaire de l'emploi de quelques uns des engins nucléaires dont dispose la Corée du Nord - engins qui pourraient au besoin être vectorisés par des moyens artisanaux.

Luc Picot : Y a-t-il en réaction un risque de nucléarisation du Japon à moyen terme du fait de la crise coréenne ?

Colomban Lebas : Le Japon n'est pas prêt psychologiquement à assumer la détention d'un arsenal nucléaire, pour des raisons historiques. Cependant le Japon est technologiquement capable d'assembler rapidement des bombes si une urgence vitale se faisait jour. Dans l'état actuel des choses, sa Constitution lui interdit de disposer d'un arsenal

nucléaire. En cas de menace avérée, le scénario le plus probable serait celui du resserrement de ses liens - déjà étroits - avec les Etats Unis.

Les puissances environnantes ont tendance à instrumentaliser la menace japonaise en se référant aux souvenirs de la deuxième guerre mondiale et en exploitant certaines démarches - il est vrai provocantes – des Japonais (sur les manuels d’enseignements et les visites intempestives de l'ancien premier ministre dans des mausolées où reposent d'anciens combattants). Mais en réalité ils n'ignorent pas que le Japon s'est profondément transformé depuis 1945 et ne constitue plus une menace militaire. A son passif, le Japon n'est pas engagé dans démarche de « repentance » avec ses puissances voisines, sans doute pour des raisons de fierté nationale…

Luc Picot : Ce scénario est-il envisageable également en ce qui concerne la Chine, puissance déjà nucléaire de longue date ?

Colomban Lebas : La principale vulnérabilité de la Chine, c'est sa dépendance énergétique. d'où par exemple la politique chinoise en Afrique.

L'une des stratégies américaines prônées par les partisans du containement de la Chine est d’empêcher celle-ci d'entretenir des relations trop étroites avec les Etats pétroliers du Moyen-Orient. Si les Occidentaux contrôlent les « robinets » qui approvisionnent le pays en hydrocarbures, ils disposent d'un moyen de régulation partiel sur le développement de son économie.En revanche, la Chine tient les Etats-Unis par le biais de l’outil monétaire, du fait des déséquilibres économiques

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considérables des échanges qui ont lieu entre ces pays.

De plus la Chine est membre permanent du Conseil de Sécurité. Or pour les Occidentaux, une intervention militaire effectuée sans l’aval du Conseil de sécurité est coûteuse en termes de légitimité politique, même si elle n'est évidement pas impossible. (cas du Kosovo, ou de l'Irak II par exemple...)

Luc Picot : Au final, quelles sont les solutions pour lutter contre la prolifération nucléaire ?

Colomban Lebas : Il faut absolument jouer le jeu du Conseil de Sécurité et du droit international. Il existe quelques solutions en vue de renforcer la non-prolifération nucléaire :

-Intégrer le TNP aux règles de l’ONU ;-Inclure les autres Etats nucléaires aux accords internationaux : Inde, Pakistan et Israël :-Développer les traités de dénucléarisation par région, ce qui complète et augmente la crédibilité du TNP.-Se doter d'une institution internationale centralisant et contrôlant rigoureusement la distribution de combustible fissile : plutonium, uranium faiblement enrichi, etc.-Renforcer les contrôles sur les échanges de biens à double usage tant au niveau des producteurs que des utilisateurs de ceux-ci

La lutte contre la dissémination nucléaire nécessite une réflexion plus globale sur l’emploi de la force armée et la gestion des crises. Il est nécessaire d’évaluer nos moyens et de définir clairement nos objectifs. Il faut analyser en amont les risques encourus pour le pays dans lequel on intervient. Il faut évaluer nos capacités à y assurer le

retour rapide à la paix et la reconstruction.

Ainsi, les Américains ont établi des plans pour frapper les points nodaux du système de prolifération iranien. Même chose en Corée du Nord. Toutefois, de telles interventions seraient extrêmement risquées politiquement et même techniquement : elles pourraient entraîner une contamination locale de type Tchernobyl, voire - à une très faible probabilité certes - des explosions sous-critiques d'engin nucléaires rudimentaires dont la sécurité ne serait pas assurée. Il serait donc nécessaire de disposer de renseignement très précis sur pour se concentrer sur les cibles non-dangereuses et pourtant essentielles du processus de prolifération.

On le voit, la solution politique est nettement préférable...Et c'est là dessus que tablent l'Iran et la Corée du Nord.

Luc Picot : Dans un autre registre, la protection anti-missile peut-elle constituer une réponse à la menace nucléaire ?

Colomban Lebas : Le bouclier anti-missile ne constituera jamais une parade sûre parce qu'il il ne protège pas d'une introduction non-conventionnelle d’arme de destruction massive. De plus il ne sera jamais étanche à 100%.

En revanche, dans le cadre d’une défense de théâtre, la protection anti-missile d’une aire plus restreinte pendant une intervention militaire constitue la voie la plus pertinente d'utilisation de ces nouvelles technologies. Les conséquences d'une éventuelle interception seraient par ailleurs plus tolérées sur un théâtre d'opération que sur un pays « en paix ».

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Luc Picot : A la lumière des éléments évoqués, la menace terroriste utilisant comme vecteur une arme nucléaire est-elle aujourd’hui crédible ?

Colomban Lebas : Celle d'un attentat à la bombe sale est plus probable, il suffit de recueillir de la matière radioactive et de l'agencer autour d'un explosif.

Elle peut créer une psychose internationale à l’image de celle provoquée par l'envoi de courriers porteurs de spores d’anthrax. Il ne faut pas confondre les effets d’une bombe sale avec ceux d’une bombe atomique.

Le fait que la terminologie soit identique (utilisation du mot atomique ou nucléaire) crée en-soi une psychose qui peut avoir des effets paralysants sur la société. Cette hypothèse, si elle reste relativement peu probable, demeure néanmoins à la portée de groupes terroristes « professionnels ».

Notons aussi que des « pays déviants » ou se sentant « menacés » peuvent déléguer à un groupe ou un service de renseignement le soin d'utiliser une bombe sale à des fins de perturbation de la société internationale.

En revanche la construction d'une véritable arme nucléaire par un groupe terroriste apparaît très improbable. Il est déjà difficile pour les acteurs étatiques de développer un programme nucléaire : Pour les groupes non-étatiques, la réalisation d’une arme atomique semble simplement irréalisable. Il est plus probable que ceux-ci se tournent vers les armes chimiques, radiologiques ou biologiques.

En effet, la fabrication d'armes nucléaires nécessite des installations lourdes et une organisation industrielle complexe. Un groupe terroriste pourrait cependant acquérir de l’uranium enrichi vendu par un Etat déviant. Encore faudrait-il l'exploiter correctement ce qui est loin d'être évident.

En revanche on ne peut totalement exclure le scénario d'un transfert d'une bombe nucléaire rudimentaire par un Etat tel que la Corée du Nord à un groupe terroriste. D'où la pertinence de l'embargo partiel décidé par l'ONU. Celui-ci permet d'effectuer une surveillance des entrées et sorties de matériel sur le territoire Nord-Coréen.

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Mahor CHICHE1

Michaël CHETRIT2

Repenser la lutte antiterroriste

L'Europe fait face à une vaste campagne de prosélytisme de l'islamisme radical

En réaction aux attentats de Londres, Tony Blair a rappelé que la répression ne pouvait pas être la seule réponse au terrorisme. Cette volonté ne transparaît pas du plan de lutte contre le terrorisme élaboré par le Conseil des ministres de l'Union européenne le 13 juillet. «Il n'y a pas d'initiative vraiment nouvelle sur la table», indique-t-on à Bruxelles.

Dès lors, de quels autres moyens de lutte les démocraties disposent-elles ? A quel arsenal le premier ministre britannique faisait-il donc allusion ? L'Europe fait face à une vaste campagne de prosélytisme de l'islamisme radical.

En France, la participation de Français aux attentats du 11 septembre 2001, la constitution de filières afghanes ou irakiennes ou le fort rythme des conversions à l'islam politique, l'islam salafiste, mis en évidence dans un rapport de juin des renseignements généraux remis au ministre de l'Intérieur, établissent désormais sans ambiguïté le travail de sape de ces réseaux.

Si ce phénomène demeure minoritaire, il n'en est pas moins inquiétant. Les terroristes ne sont plus des éléments extérieurs à nos Etats, ce sont des enfants de l'Europe. Ce sont de jeunes Européens instruits à l'école de la République ou du Royaume-Uni qui décident de s'engager dans la lutte armée.

Le nombre de combattants étrangers en Afghanistan ou en Irak atteste de la réalité de cette «internationale djihadiste». On se souvient de Zacarias Moussaoui et des sept Français détenus dans la prison américaine de Guantanamo. Le djihadisme sème partout où existe de la frustration.

Une frange de notre jeunesse européenne est en train de se laisser séduire par les sirènes du martyr au service d'une nouvelle ère de lutte contre l'Occident. Ces jeunes sont ainsi conditionnés par des recruteurs qui leur font miroiter un destin héroïque. Mais quel facteur nouveau explique la réceptivité de cette jeunesse élevée à l'humanisme européen ?

La grande nouveauté au sein des populations immigrées depuis dix ans est l'essor des chaînes de télévision par satellite extra-européennes captées au moyen d'antennes paraboliques, implantées sur les toits et les balcons, et dont al-Jezira ou al-Manar sont les plus connues. Plus de 10 millions de personnes y

1 Conseiller du XIXe arrondissement de Paris.2 Membre du Bnai Brith, ONG représentée à l'ONU et au Conseil de l'Europe.

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ont accès en France, plus de 100 millions en Europe. Certaines populations immigrées ont ainsi trouvé un moyen de rester en contact avec leurs communautés d'origine, et en particulier de conserver des attaches linguistiques et culturelles. Néanmoins, au-delà de cet aspect positif, il s'avère qu'en pratique, certains programmes véhiculent des idées contraires aux idées démocratiques ou de tolérance, d'autant que certains, par rejet de la télévision «occidentale», voient leurs sources d'information réduites à ces seuls outils de propagande.

Lorsqu'on sait que les Européens regardent la télévision «en moyenne» trois heures par jour, cela permet de saisir l'énorme pouvoir de propagande que peuvent avoir ces chaînes de télévision, mais également les sites Internet. En effet, la problématique posée par l'Internet n'est pas fondamentalement différente.

S'affranchissant des frontières, l'Internet est devenu un vecteur de diffusion privilégié de matériels antidémocratiques, xénophobes, racistes et terroristes. Dès lors, si les échanges culturels et la liberté d'expression doivent certes être favorisés, il convient de limiter au maximum les abus qui pourraient en être faits. Il est plus qu'urgent d'agir.

Le paysage audiovisuel européen, devenu irresponsable car laissé à l'abandon, est devenu un terreau majeur du terrorisme et de la défiance à l'encontre de l'Occident. Ce laisser-faire entretient un climat qui nuit aux processus d'intégration et fait le lit des réseaux salafistes. On sait quels effets délétères peuvent avoir une seule émission de télévision.

Il appartient aux autorités de régulation de l'audiovisuel de contrôler le respect des droits fondamentaux des citoyens dans les contenus diffusés à la télévision. Mais ces autorités n'ont aujourd'hui qu'un champ d'intervention et des moyens limités au territoire national, ce qui s'avère être insuffisant pour réguler les télévisions en langues étrangères.

En l'état actuel de la réglementation européenne, une directive européenne de 1997 «Télévisions sans frontières» prévoit un mécanisme long et complexe lorsqu'un Etat entend faire cesser la diffusion sur son territoire d'une chaîne ressortissant d'un autre Etat membre. Ce processus est une usine à gaz qui n'a d'ailleurs jamais été mobilisé par un Etat membre, pas même pour la télévision al-Manar, récemment interdite par la France, qui diffusait impunément ses programmes dans toute l'Europe depuis 2000.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) attire depuis plusieurs années l'attention des autorités sur ces nouvelles formes de propagation du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie sur Internet. Afin de faire cesser la diffusion de chaînes étrangères appelant à la haine raciale et diffusant des images violentes, il convient d'instituer une Autorité européenne indépendante de régulation de l'audiovisuel (ARA).

Cette autorité connaîtrait des contenus de programmes diffusés sur toute l'Europe, quel que soit le média utilisé, qu'il s'agisse de la télévision ou de

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l'Internet. La compétence d'attribution de l'ARA, en coopération avec les autorités nationales, serait bien évidemment limitée aux cas d'appel à la haine et à la violence, ou d'atteinte à la dignité humaine.

Les autorités de régulation nationales de l'audiovisuel continueraient ainsi à être compétentes pour l'organisation et le contrôle de leur paysage audiovisuel national. L'ARA aurait également l'avantage de mettre en commun les moyens d'une veille télévisuelle, y compris dans des langues extra- communautaires, qui font aujourd'hui défaut à l'Europe.

Cela permettrait de mettre au point des parades efficaces sur l'ensemble du territoire européen. Pour autant, une telle volonté de régulation pourrait ne pas être limitée à l'Europe.

Les Etats-Unis avaient suivi l'exemple de la France en interdisant dans la foulée la chaîne al-Manar de la flotte américaine de satellites Intelsat. Aujourd'hui, la mise en place d'une autorité européenne de régulation de l'audiovisuel est une priorité pour défendre nos démocraties.

Peut-être cette instance était-elle l'un des moyens alternatifs à l'action policière envisagé par Tony Blair. Elle constitue en tout cas un outil primordial pour ne pas abandonner des pans entiers de nos communautés nationales à la propagande et à l'exclusion.

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Ben CRAMER1

Sur le concept de sécurité humaineGuerre et paix

ENMOD : la convention méconnue

NDLR : l’IPSE remercie la revue Valeurs Vertes (www.valeursvertes.com) dans lequel cet article est paru dans le numéro 78.

La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable, comme le précise le principe 24 de la Charte de Rio, une des principales lacunes dans nos connaissances sur l’environnement porte sur les liens entre environnements et conflits ; ce constat découle d’une enquête menée par le Programme des Nations-Unis pour l’Environnement, le PNUE.

Qui peut rester insensible aux caprices de la météo et à ses dégâts? Alors que 2005 a battu une série de records climatiques2, des guerres pour l’alimentation, l’eau et l’énergie dus aux désastres «naturels» devraient, dans les 20 prochaines années, entraîner des millions de morts. Que cette étude prospective émane de cercles militaires3 ne devrait pas surprendre.

Lors des opérations menées au Vietnam, le Pentagone a voulu rendre impraticable les voies de communication de l’adversaire, la fameuse piste Ho Chi Minh. Diverses substances chimiques ont alors été injectées dans les nuages qui surplombaient les zones ennemies. Objectif : accroître les précipitations, inonder les routes. Suite à ces révélations, le Sénat américain réagit ; de résolutions en tractations, la communauté internationale va finir par adopter, à la Conférence du Désarmement à Genève, une convention en vigueur depuis 1978, qui interdit purement et simplement de recourir à l’environnement comme «arme de guerre.»

Dans les années 80, la météo ou plutôt son dérèglement fait encore des siennes. Naturellement. A l’époque, l’armée soviétique semble concentrer ses efforts sur les armes tectoniques par l’intermédiaire d’explosions nucléaires plus ou moins maîtrisées4. Pendant ce temps, des chercheurs du MIT5 vont simuler les conséquences d’un affrontement qui engagerait 5000 à 7000 mégatonnes, soit le tiers des armes nucléaires inventoriées ; la psychose de cet «hiver nucléaire» — c’est son nom — va freiner la boulimie atomique des Deux Grands.

1 Journaliste (Association des journalistes de l’environnement)[email protected] Un coût de U$ 200 milliards, selon le PNUE3 The Pentagone tells Bush: climate change will destroy us, The Observer, février 2004.4 Cf. Boris Poutko, Les nouvelles armes de la fin du monde, éditions du Rocher, Paris 1996.22

Les années 90 démarrent avec des centaines de puits de pétrole en feu, lors la première guerre du Golfe1. Puis, avant même que soit évoqué le spectre du réchauffement climatique, une éventuelle guerre électronique ou «géophysique» vient hanter les stratèges. Un programme sur la ionosphère dénommé Haarp2, mené de concert par la Marine et l’armée de l’Air américaines, pose de sérieuses questions puisqu’il s’agirait d’amplifier les orages et de canaliser les vapeurs d’eau dans l’atmosphère terrestre en vue de produire des sécheresses et des inondations ciblées. Les politiques s’en mêlent : à Bruxelles, les parlementaires demandent à la Commission en janvier 99 d’examiner les « incidences du programme Haarp ».

Si nul ne se réfère alors à ENMOD3 le préambule de cette Convention méconnue stipule que les progrès de la science et de la technique peuvent ouvrir de nouvelles possibilités en ce qui concerne la modification de l’environnement.

Les experts français persistent à dire que tout ceci relève davantage du fantasme que de la science, mais le 6 novembre a été choisi par l’ONU pour célébrer la Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé4. En attendant, les activités militaires ne sont pas prises en compte par «la feuille de route» écologique de tous les Européens, le Protocole de Kyoto. 5

La Charte de Rio

Principe 24 La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement

durable. Les États doivent donc respecter le droit international relatif à la protection de l’environnement en temps de conflit armé et participer à son développement, selon que de besoin.

Principe 25 La paix, le développement et la protection de l’environnement sont

interdépendants et indissociables. Principe 26 Les États doivent résoudre pacifiquement tous leurs différends en matière

d’environnement, en employant des moyens appropriés conformément à la Charte des Nations Unies.

1 cf. Claude-Marie Vadrot, Guerres et environnement, Delachaux et Niestlé, Paris, 2005.2 Acronymes pour High Frequency Active Auroral Research Program. cf. Jeane Manning et Dr. Nick Begich, Les Anges ne jouent pas de cette Haarp ‘, édition Louise Courteau, Qué-bec, 2003.3 Tous les pays membres l’ont signée, excepté la France.4 htpp://www.un.org/depts/dh1/dh1f/environnement_war/index.html5 Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, dite convention ENMOD(Massachusetts Institute of Technologycf. Paul Ehrlich, Carl Sagan (...), The Cold and the Dark par WW Norton & Company, New York, 1984.

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Mathieu DAMIAN1

Les élections en République démocratique du Congo

Pour la première fois depuis plus de 40 ans, 70% des Congolais qui s’étaient fait enregistrer en novembre 2005 ont voté lors des élections présidentielles et législatives qui se sont tenues le 30 juillet dans tout le territoire de la République Démocratique du Congo, pays sept fois plus grand que l’Allemagne et peuplé de 55 millions d’habitants.

La tenue des élections a été relativement calme. Les résultats des élections législatives et du premier tour de la présidentielle en République Démocratique du Congo du 30 juillet ont été livrés le 20 août 2006. Des résultats plus complets et précis ont été donnés à nouveau le 7 septembre. Ils ne montrent, en ce qui concerne les élections parlementaires, aucune majorité nette pour l’un ou l’autre des partis. 69 formations politiques se partagent les 500 sièges du Parlement. 31 partis ont obtenu un siège, 12 en ont eu deux et seulement huit en ont au moins dix. Il faut également souligner que 42 femmes sur 500 sont des femmes, soit un peu moins de 9%.

La division des voix est à ce point importante que le premier parti de la capitale, le MLC, n’obtient que 8 des 58 sièges. Dans les trois régions dévastées par la guerre à l’est de la RDC, les gens ont plus voté selon des critères ethniques que pour des partis nationaux. Au Nord-Kivu, le fief des rebelles rwandais, Kabila a obtenu 15 des 48 sièges. Cependant, les personnes qui ont été choisies pour le reste appartiennent aux ethnies majoritaires. De tels résultats sont lourds de conséquences pour l’avenir si les politiques au pouvoir instrumentalisent leur origine ethnique. En outre, l’UPC (Union des Patriotes Congolais) a réussi à obtenir trois sièges en Ituri, malgré les nombreux massacres qu’il a commis pour « défendre » l’ethnie hema.

Le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, le PPRD du président Kabila, a obtenu 111 sièges. Le second parti est celui du Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba avec 64 sièges. L’opposant Antoine Gizenga du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) obtient trente-quatre sièges. La Coalition des Démocrates Congolais (Codeco), de Pierre Pay Pay, ancien gouverneur de la Banque centrale du Zaïre obtient une trentaine de sièges et arrive en quatrième position. Le fils de Mobutu, Nzanga, obtient avec son parti, l’Union des Mobutistes (Udemo), neuf sièges.

Le président Kabila avait souhaité obtenir la majorité en créant l’Alliance de la Majorité Présidentielle ou AMP. Or, cette alliance n’obtient « que » 234 mandats et

1 Chercheur réseau de recherche francophone sur les opérations de la paixwww.operationpaix.net24

il lui manque donc dix-sept voix pour parvenir à ses fins. Quant au Rassemblement des Nationalistes Congolais (Renaco), de Jean-Pierre Bemba, il obtient 116 sièges. Cependant, avec le ralliement à la fin septembre d’Antoine Gizenga et de Mobutu, l’AMP élargie compte plus de 280 sièges à l’Assemblée nationale, soit une majorité d’une trentaine de sièges. En outre, quelques indépendants sont courtisés aussi bien chez Kabila que chez Bemba afin qu’ils rejoignent leur camp. On rappelle en effet que ceux-ci sont au nombre de 63 sièges, soit plus de 12%1.

Le 22 septembre, la séance constitutive de ces représentants s’est tenue au Parlement du peuple. Les dernières élections législatives considérées comme libres et pluralistes s’étaient tenues en avril 1965.

Pour ce qui est des élections présidentielles, on rappellera tout d’abord que les compétences du président sont limitées à la défense et à la diplomatie, selon la constitution de décembre 2005. Il a également le pouvoir, en concertation avec l’Assemblée nationale, de nommer le Premier Ministre. Ce dernier s’occupe de tous les autres secteurs.

En ce qui concerne les résultats, Kabila a obtenu 44,8% des voix contre 20% pour Jean-Pierre Bemba. Antoine Gizenga est troisième avec 13%, François-Joseph Mobutu le suit avec 4,8% des voix, puis Oscar Kashala, 3,5%. Cinq des 32 candidats à la présidentielle ont déposé une plainte au tribunal supérieur pour cause de fraudes massives. Ce dernier n’a pas donné suite à ces accusations.

Antoine Gizenga et Nzanga Mobutu ont annoncé leur soutien à Joseph Kabila. Le ralliement de ce dernier a constitué une surprise puisque les familles Mobutu et Bemba sont amies. En outre, cet homme, originaire de l’Ouest du pays, va apporter une plus grande légitimité au président sortant, tant sa popularité dans cette région est moindre que dans la partie orientale. Le soutien de ces deux hommes permet également à Kabila de disposer de la majorité au Parlement.

L’entre-deux tour ponctué de tensions entre les deux candidats

Suite à la première annonce des résultats des élections présidentielles le 20 août, trois jours de violence ont eu lieu, principalement à Kinshasa, provoquant la mort de 23 personnes. Au moins 43 personnes ont été blessées et 23 tuées durant les trois jours de combat qui ont eu lieu à Kinshasa.

Sous les termes du cessez-le-feu qui a mis fin à ces affrontements, Kabila et Bemba se sont mis d’accord pour céder les parties de Kinshasa qu’ils contrôlent aux forces de la police nationale. Des équipes de vérification comprenant des représentants de la MONUC, de l’EUFOR, de la police, de l’armée et des gardes de Bemba et de Kabila ont été chargées de s’assurer du respect de cet arrêt des hostilités2.

1 JOHNSON Dominic, “Kongo schwächt seine stärken Männer“, Taz, 11 septembre 20062 DRC : Counting the casualties after Kinshasa battle », Irinnews, 25 août 2006

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La situation à Kinshasa s’est améliorée avec la première rencontre, le 29 août, entre des représentants du président et des délégués du vice-président, sous la médiation de la MONUC. La discussion a décidé de la création de deux commissions : la première qui d’enquête sur les événements des 20, 21 et 22 août dans la capitale congolaise ; la seconde qui fixe des règles à respecter pour le deuxième tour des élections le 29 octobre.

Les Nations unies et la communauté internationale ont évidemment tenté, au cours des semaines qui ont suivi les troubles à Kinshasa suite aux résultats préliminaires du premier tour, d’amener Bemba et Kabila à la table des négociations. Le 13 septembre a eu lieu la première entrevue de deux heures entre les deux prétendants à la présidentielle depuis les troubles. Thabo Mbeki et Javier Solana, Jan Egeland, Sous secrétaire des Nations Unies pour les questions humanitaires et Aldo Ajello, Représentant des Grands Lacs auprès de l’Union européenne, avaient essayé quelques jours avant, de les faire se rencontrer, mais sans succès.

Le rôle des médias ou l’explication des seconds troubles kinois.

L’accord de paix conclu à Sun City en 2003 a veillé à ce qu’un organisme indépendant, la Haute Autorité des Médias, s’assure de la bonne tenue de ceux-ci et du respect de la loi de 1996 sur la presse ainsi que du code de conduite des medias au cours des élections. Cette institution a d’ailleurs sanctionné quelques groupes de presse, parfois plusieurs fois pour des discours de haine.

A la fin août 2006, soit après la première passe d’armes entre pro-Kabila et pro-Bemba, 40 médias à Kinshasa ont signé un accord dans lequel ils indiquaient s’abstenir de toute diffamation et de discours de haine au cours du second tour des élections. Néanmoins, le scepticisme demeure sur l’efficacité d’une telle mesure puisqu’un accord similaire avait été signé au cours du premier tour et qu’il n’a pas été tenu.

La presse congolaise a constitué un facteur majeur contribuant à la dégradation de la sécurité dans le pays, et particulièrement à Kinshasa. En dépit des accords signés par les prétendants avant les élections, de nombreuses attaques ont été personnelles et parfois même dues à l’origine ethnique de tel ou tel candidat. La société congolaise a également eu droit à ses manipulations sur internet. En effet, avec les morts des résultats des élections, des images truquées ont été diffusées sur internet, rajoutant de l’huile sur le feu en faveur de Bemba, qui est préféré des Kinois. Certains craignent de ce fait un scénario à l’ivoirienne où les jeunes désœuvrés soient instrumentalisés et s’en prennent aux civils français mais aussi étrangers et acculent les soldats européens à tirer sur la foule. Comme Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, si Bemba veut faire descendre dans la rue tous ces jeunes qu’il peut employer pour très peu d’argent afin de garder le pouvoir dans la capitale, que pourra faire la communauté internationale ? En outre, d’autres craignent que l’EUFOR ne soit amené à se battre contre les 15.000 membres de la garde présidentielle1. 1 “Media Fanning Election Violence”, The East African, 26 septembre 2006SCHEEN Thomas, „Sterben für Kongo?“, Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 25 août 200626

Le 21 septembre 2006, a-t-on assisté à une répétition de ce qui pourrait se produire au mois de novembre, à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle ? En effet, un incendie a dévasté les deux télévisions que Jean-Pierre Bemba possède, la « CCTV » et « Canal Kin » mais aussi sa "Radio Liberté" située au milieu de Kinshasa. Cela faisait une semaine que les médias de Bemba avaient repris leur émission après trois semaines d’interdiction suite à des programmes d’incitation à la haine. Suite à cet incendie, des centaines de supporters de Jean-Pierre Bemba ont mené des protestations fortes dans la capitale. Ils ont monté des barricades avant de les brûler et ont envoyé des pierres sur les soldats de la paix de l’ONU.

Le match Bemba/Kabila décidé par Etienne Tshisekedi ?

La côte de popularité de Joseph Kabila a baissé depuis qu’il a fait tirer sur la résidence de Bemba le 21 août alors que quatorze ambassadeurs et le chef de la mission de l’ONU s’y trouvaient. Est-ce que Kabila a souhaité assassiner son rival, comme ce dernier l’a indiqué ? Ou était-ce destiné à ce que Bemba ne se déclare pas le vainqueur des élections ? En effet, comme l’indique Horst Bacia, même s’il n’a gagné que 20% des voix, il aurait pu néanmoins proclamer qu’il était chef à Kinshasa puisqu’il y a obtenu la majorité des suffrages. Est-ce encore une démonstration de force pour les Kinois afin qu’ils se rappellent qui est encore le président actuel quand la télévision de Bemba critique à longueur de journée son origine du Katanga ? Où est-ce plus simplement le fait que Kabila a été frustré par les résultats ? Dunja Speiser ajoute deux autres explications possibles : en attaquant la tour de télévision de Bemba, il montre à son adversaire sa force et affaiblit la capacité de nuisance de ses médias ; il montre qu’il n’est pas une marionnette de la communauté internationale puisqu’il attaque son adversaire au moment où de nombreux diplomates sont invités chez lui.

En outre, les diplomates avaient sous-estimé son manque de popularité à l’ouest où il est considéré comme un enfant du Katanga, riche province d’où il s’est rempli les poches sur le dos des pauvres du pays. Il est également vu par les Kinois comme l’homme de l’extérieur

Kabila a surtout gagné des voix dans l’Est du pays, celle où l’on parle le swahili et où il est loué pour avoir ramené la paix. Cependant, dans l’ouest, partie où l’on parle plutôt le lingala, la nationalité du président est mise en doute et le vote a

On rappellera que, de son côté, le président Kabila a la mainmise sur Digitalcongo, Radio Télévision Groupe l'Avenir et la télévision nationale et que ces organes ne sont pas à l’abri de tout reproche, loin de là.BACIA Horst, « Väterliche Gesten » , Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 14 septembre 2006SPEISER Dunja, « DR Kongo : Etappensieg », SWP-Aktuell, septembre 2006BÖHM Andrea, « Eisige Ruhe », http://blog.zeit.de/kongo/, 28 août 2006 BÖHM Andrea, « Bemba, Kabila und Jesus », http://blog.zeit.de/kongo/, 3 août 2006LEWIS David, « Congo’s Bemba finalises coalition, lacks key leader », Reuters, 24 septembre 2006MISSER François, « Ende der Illusionnen im Kongo », Die TAZ, 21 septembre 2006SCHEEN Thomas, „Sterben für Kongo?“, Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 25 août 2006 On rappellera que, de son côté, le président Kabila a la mainmise sur Digitalcongo, Radio Télévision Groupe l'Avenir et la télévision nationale et que ces organes ne sont pas à l’abri de tout reproche, loin de là.

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plutôt penché en faveur de Jean-Pierre Bemba. Enfin, si Bemba fait figure de millionnaire, Kabila n’est pas en reste puisqu’il a investi pour environ 50 millions de dollars dans ces élections contre 20 pour son principal rival, loin devant les autres candidats.

Bemba a toujours de sérieux soutiens du côté de Kampala quand Kabila est toujours soutenu par l’Angola, qui veut devenir une puissance régionale dans les années à venir. En effet, le gouvernement de Dos Santos voit la manne qu’il peut acquérir dans les ressources naturelles immenses de la RDC.

Bemba est accusé de nombreux crimes de guerre, mais il est parvenu à remporter de nombreux suffrages. D’après des enquêtes, la population qui a été loin de ces massacres constate que la guerre est la guerre et que de telles attitudes sont compréhensibles en ces temps troubles. De même s’il est indiqué que Bemba s’est enrichi sur le dos des Congolais, le reproche ne semble pas porter. Enfin, Bemba est un bon Congolais et non quelqu’un de l’Est.

Bemba a axé une grande partie de sa campagne sur le thème de la « congolité », ne cessant de souligner que son rival n’était non seulement pas Congolais, mais qu’en outre, il était une marionnette de la communauté internationale. Il n’a pas hésité à montrer sur le terrain, soit un manque de contrôle de ses troupes, soit une tentative délibérée de montrer sa capacité de nuisance : les journalistes étrangers qui ont cherché à couvrir les meetings de Bemba ont été attaqués par quelques-uns de ses gardes qui chantaient “Tuez les Blancs”.

Enfin, il faut signaler que, aussi bien du côté de Kabila que de Bemba, la partition Est/Ouest du Congo est combattue. Jean-Pierre Bemba cherche toujours à se rallier les voix d’Etienne Tshisekedi et de son parti, l’UDPS. Or, le secrétaire général du MLC, François Mwamba, a fondé il y a quelques années la section française de l’UDPS et provient du même village qu’Etienne Tshisekedi. Néanmoins, à la fin septembre 2006, ce dernier n’avait pas encore pris une décision en ce qui concerne le choix de son candidat.

Dans les faits, le président Kabila a déjà obtenu la majorité des voix à l’Assemblée nationale et Etienne Tshisekedi a trop tardé avant de se prononcer pour l’un ou l’autre. Il ne peut plus, au début octobre, qu’empêcher Bemba de se faire écraser trop fortement ou accroître encore la légitimité de Joseph Kabila. En ne se prononçant ni pour l’un, ni pour l’autre jusqu’au bout, il jouerait un jeu risqué mais non sans possibilité : en effet, il pourrait soit être considéré comme marginalisé si la situation s’améliore, soit apparaître comme un recours si les événements le nécessitent.

Quelle implication internationale à la fin de l’EUFOR ? La communauté internationale a joué un rôle considérable dans l’organisation de ces élections qui ont coûté plus de 450 millions d’euros. Au début septembre 2006, Louis Michel, le Commissaire européen au Développement et à l’aide humanitaire, a annoncé une contribution supplémentaire de 16 millions d’euro au processus électoral en cours actuellement en RDC. Si l’on y ajoute les 149 millions d’euros déjà versés, l’UE

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atteint les 165 millions, ce qui en fait le premier contributeur. En outre, pour 2006, son aide humanitaire dans le pays a atteint 50 millions d’euro.

En ce qui concerne son action militaire au sein de l’EUFOR, dans les quartiers pauvres de Kinshasa, où les partisans de Bemba sont nombreux, l’EUFOR est bien mieux considérée que dans les premières semaines où elle se faisait régulièrement caillasser.

Pour ce qui est de la fin du mandat de l’EUFOR, le porte parole de la CDU, Andreas Schockenhoff a indiqué à la fin août 2006 qu’il n’était pas d’accord avec son homologue de la politique étrangère, von Klaeden, selon lequel, à la fin de la mission de quatre mois de l’EUFOR, une nouvelle mission pourrait leur être confiée, bien que sous un nouveau mandat. En effet, il ne souhaite pas que la Bundeswehr assure la stabilisation du pays, ce qui est du ressort de la MONUC1.

Le commandant de la force européenne en RDC, le général français Christian Damay, a jugé le 26 septembre, que, du fait de l’instabilité de la situation à Kinshasa, une éventuelle prolongation de la mission de l’Eufor jusqu’au 10 décembre est envisageable. Cette déclaration contredit donc la position défendue le jour précédent par le ministre de la défense allemand, dans laquelle Franz Josef Jung réitère que la date de fin prévue de la mission le 30 novembre doit être tenue.

Un vrai problème de sécurité. Selon les accords de paix de 2002 et 2003, les quatre vice-présidents ont droit à 25 gardes alors que le président peut disposer d’une brigade. Toutefois, la grandeur de celle-ci n’était pas mentionnée. Or, lors de la rédaction de la loi sur l’armée en 2004, Kabila a souhaité avoir une garde 15000 hommes. Tous ses opposants ont alors manifesté et ont augmenté leurs troupes. Dans les rues de Kinshasa, les troupes de l’EUFOR, des Nations unies, de la police kinoise mais aussi la garde présidentielle de Kabila et les forces de Bemba patrouillent.

En outre, une unité de la police a été entraînée par l’Angola, dont le gouvernement est proche de Kabila. Or, cette unité a été impliquée dans le meurtre de plusieurs militants de l’UDPS, le 30 juin 2005, lorsque ceux-ci souhaitaient le report des élections. La police n’est donc pas considérée comme neutre.

Par conséquent, un certain nombre d’observateurs regrette que les deux grands rivaux aient été laissés avec autant d’armes avant la tenue des élections. Il aurait été plus sûr, de mieux démilitariser Kinshasa et de faire en sorte que les candidats à la présidentielle soient protégés par l’ONU et que l’intégration des groupes armés non étatiques dans une armée nationale soit menée jusqu’à son terme.

En outre, à la fin août, la MONUC et l’EUFOR ont confirmé qu’ils étaient à la recherche de sept camions de munitions qui seraient entrés à Kinshasa. On ne sait pas encore si ces balles alimentent le camp présidentiel ou celui de Bemba. Le

1 IP/06/1146 „Union streitet über Kongo-Einsatz“, Die Frankfurter Allgemeine Zeitung, 28 août 2006 Information lue sur www.operationspaix.net, le 29 septembre 2006. JOHNSON Dominic, “Gegen Privatarmeen”, Die Taz, 23 mai 2005

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ministre de la défense congolais, Adolphe Onusumba, a déclaré que ces munitions étaient destinées aux FARDC. La MONUC reste inquiète devant le nombre d’armes que l’on peut apercevoir dans les rues de Kinshasa.

Le Comité International Accompagnant la Transition (CIAT) a appelé le 10 septembre au confinement dans leur baraquement des forces des deux candidats. Leur rôle de protection doit être assumé par la MONUC et l’EUFOR jusqu’à la fin du processus de transition.

Conclusion

Il est reporté dans la presse congolaise que le vainqueur du second tour doit bâtir avec le perdant un gouvernement de coalition, pour de prétendues raisons de pacification. Pour la population locale, ce serait incompréhensible. En effet, le coût du second tour, soit 46 millions de dollars, aurait ainsi été dépensé en pure perte.

Les élections ne paraissent pas pouvoir se tenir dans un climat serein et apaisé. La façon avec laquelle les résultats ont été digérés de part et d’autre montre la tension qui règne entre les deux rivaux. Cependant, comme l’indique de façon optimiste Dunja Speiser, le second tour peut être l’occasion de corriger certains défauts constatés lors de la première campagne et ainsi de rehausser le prestige de la CEI. En outre, il constitue une occasion de redire aux votants la procédure et ainsi d’enraciner un peu plus la culture démocratique. Enfin, celui qui veut avoir plus de sièges possibles au parlement doit bâtir des alliances qui aillent bien au-delà des clivages ethniques.

Pour ce qui est de la sécurité, au-delà des mesures citées par la CIAT qui constituerait un premier pas conséquent dans la bonne direction : les nouvelles armes livrées à Kabila devraient être mises sous contrôle de la MONUC ; la garde présidentielle doit être réduite de façon substantielle ; la formation d’une armée nationale doit être parachevée. Quant au mandat de l’EUFOR, il devrait être prolongé au-delà de l’entrée en fonction du président, le 10 décembre 2006, pour atteindre la formation du nouveau gouvernement qui devrait être effective à la fin janvier 2007.1

1 - BÖHM Andreas « Ein UN-Protektorat für den Kongo », http://blog.zeit.de/kongo/, 14 septembre 2006 - « La MONUC enquête sur un transport de munitions », Le Monde, 29 août 2006- “Rival DR Congo armies ordered to barracks”, AFP, 11 septembre 2006- BÖHM Andreas « Ein UN-Protektorat für den Kongo », http://blog.zeit.de/kongo/, 14 septembre 2006- SPEISER Dunja, « DR Kongo : Etappensieg », SWP-Aktuell, septembre 2006- SPEISER Dunja, « DR Kongo : Etappensieg », SWP-Aktuell, septembre 2006.30

Jérôme MOURROUX1

Le service citoyen et civil en débat

Avec la mise en place d’une armée professionnelle, la participation des jeunes à la vie de la communauté nationale, est devenu un enjeu de cohésion sociale. Le service militaire, tel qu'il existait jusqu'en 1997, était devenu obsolète et inégalitaire, et la France devait se doter d'une armée de projection efficace. Mais il s'avère qu'aucun dispositif n'a désormais pour vocation de remplacer les fonctions sociales qu'assurait le service militaire.

C'est dans ce contexte que l’idée d’une nouvelle forme de service fait aujourd’hui débat, et est tout particulièrement revenue sur le devant de la scène avec les crises récentes dans les banlieues ou sur le CPE : service volontaire ou obligatoire, citoyen ou civil, comportant un volet militaire ou pas, de durée longue ou courte, etc. Les pays européens comme la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Espagne ont déjà accompagné la professionnalisation de leur défense par la création de formule de volontariat.

Depuis la suspension du service militaire actée par la loi du 28 octobre 1997, la loi a mis en place des parcours de la citoyenneté dans trois domaines : la défense et la sécurité, la cohésion sociale et la solidarité, et enfin l'action humanitaire. Les jeunes avaient la possibilité de se porter volontaires dans les armées ou dans la collectivité. Mais le dispositif s'est complexifié du fait d'une forte réglementation, comprenant une trentaine de décrets et arrêtés depuis la loi 2000-242 relatifs aux volontariats civils. Il en a résulté un système confus, qui a connu la concurrence des emplois jeunes venus se substituer aux volontariats.

Enfin les journées d'appel de préparation à la Défense (JAPD) peuvent aussi offrir des possibilités de formations d’animateurs ou de secouristes de type BAFA, BNSSA et CFAPSE considérées comme des stages. Les armées ont d'ailleurs vocation à s’impliquer par leurs structures autour de réalisations concrètes, donnant l’occasion aux jeunes de réaliser des projets citoyens par leur investissement dans des missions d'intérêt général en France et à l'étranger.

La loi sur l'égalité des chances : une première réponse au besoin de creuset social républicain

Suite aux annonces du Président de la République en décembre 2005, la loi sur l’égalité des chances a mis en place un dispositif basé sur le volontariat, qui s'ajoute à la règlementation antérieure sans s'y substituer. C’est un service civil volontaire regroupant des missions d'accueil de jeunes âgés de 16 à 25 ans dans un but d'intérêt général ou d'insertion professionnelle. Il s’agit donc d'acquérir une

1 Consultant en politiques publiques, Auditeur IHEDN (session jeune).31

formation civique et professionnelle ainsi qu'une première expérience. L’objectif est le renforcement d’une dynamique, initiée par le programme des cadets de la République ou bien encore par le plan « Défense deuxième chance » en faveur des quartiers défavorisés, des jeunes en rupture scolaire, et plus globalement de la lutte contre les discriminations.

L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ANCSEC), dont les missions ont été précisées par décret à la fin du mois de juillet 2006, doit conduire le dispositif. L’agence doit en effet mettre en œuvre le service civil volontaire dont elle assure le financement, l’animation et l’évaluation. Le budget de l’agence sera d’environ 500 millions d’euros en 2007. Ainsi l’ANCSEC a pour responsabilité d’agréer pour une durée de trois ans les associations et les collectivités territoriales qui proposeront aux jeunes des missions d’intérêt général dès lors qu’elles offriront des garanties suffisantes d’encadrement, de formation et d’accompagnement vers l’emploi des jeunes. L’ANCSEC a pour autres objectifs de mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire des actions visant à l’intégration des populations d’origine immigrée et doit financer les opérations en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Elle doit aussi contribuer à la lutte contre l’illettrisme.

Cette idée de service civil n'est pas neuve, elle renvoie aux différentes formes de service national qui sont apparues à partir de 1961. Il est ainsi possible de citer le service militaire adapté (SMA) dès 1961, puis les différents protocoles entre le ministère de le Défense et d'autres ministères (1978), jusqu'au service dans la police nationale (1985) et au service de sécurité civile (1992). Elle correspond aussi à l'esprit de l'Ordonnance de 1959 qui a redéfini la notion de défense pour l'appliquer à d'autres champs que les problématiques militaires.

Il n'est pas encore possible de dresser un premier bilan de la création de ce service civil volontaire, mais on peut estimer qu'environ 10 000 à 15 000 jeunes volontaires devraient être ainsi recrutés durant l'année 2007, alors que l'objectif affiché en novembre 2005 était de 30 000. L'information sur les modalités de ce service est en effet encore peu diffusée, et les collectivités ne sont pas toujours en capacité d'expliquer aux volontaires les démarches à effectuer.

De plus, la loi sur l’égalité des chances s’appuie principalement sur l’économie sociale et le milieu associatif pour atteindre ses objectifs. C'est l'une des principales difficultés pour le service volontaire, dans la mesure où la réussite de ce projet repose sur leur capacité à se mettre en situation, en quelques mois, d’accueillir des milliers de jeunes, de les encadrer, de les accompagner, et de leur proposer une expérience concrète et valorisante.

L'apport des expériences européennes de service civilIl est intéressant d'examiner les exemples européens, en observant les

différences entre les pays du nord, tels que l'Allemagne, et les pays du sud, tels que l'Italie. Avec la fin de la guerre froide, le système de la conscription, qui était en place dans plusieurs pays européens, a été progressivement abandonné pour être remplacé par différentes formes de service civil et citoyen, facultatif ou obligatoire.

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L'Italie

L'Italie a décidé en 2001 d'abandonner la conscription pour le remplacer sur un volontariat concernant les jeunes de 18 à 26 ans, dans de très nombreux domaines d'activités culturelles, sociales ou environnementales : ce système est proche des choix effectués en France. Une agence nationale pour le service civil, qui devrait rapidement se substituer au bureau national actuel, doit gérer les appels à candidature et les propositions de postes ouverts aux jeunes volontaires.

La Belgique

Avec la fin du service militaire, la Belgique s'interroge sur la mise en place d'un service civil. Depuis 1998, une loi a mis en place un service civil d'utilité collective (SUC) mais le texte n'a jamais été appliqué. Désormais, les responsables politiques s'interrogent sur le caractère civil ou obligatoire d'un tel dispositif autour de problématiques proches de celles qui agitent le débat public en France.

L'Allemagne

L'exemple du service civil allemand (zivildients) diffère à bien des égards des modèles précédents : il s'agit d'un service de neuf mois, qui s'accomplit à partir de 18 ans en alternative du service militaire. Même si la formule civile est très majoritairement choisie, elle connaît un moindre intérêt du fait des opérations extérieures de maintien de la paix effectuées en Bosnie ou au Kosovo, qui attirent de nouveaux jeunes vers le service militaire. Ce sont les länders qui gèrent ce dispositif, qui octroie aux jeunes un statut d'appelé comprenant un ensemble de droits et de devoirs, une formation initiale de quatre à cinq semaines, une protection sociale, etc. Le coût est limité dans la mesure où le jeune doit rechercher son emploi qu'il effectue en général à proximité de son domicile. Les deux tiers des jeunes allemands qui font le choix d'un service civil d'aide à la personne, et notamment au profit des personnes âgées ou en situation d'handicap.

Un projet de service civil européen (SCE)

A noter également que plusieurs associations militent pour, qu’au niveau européen, soit instauré un service civil (ou « european civilian service »). Ce service serait différent d’Erasmus, puisqu’il concerne tous les jeunes et pas uniquement ceux qui maîtrisent déjà au moins une autre langue. De plus, à la différence du service volontaire européen, le service civil européen ne devrait pas être un programme individuel mais un programme collectif : les jeunes travailleraient en groupe, apprenant à vivre et à oeuvrer avec des personnes de différentes cultures. Ce projet reposerait sur un programme commun à l’ensemble des jeunes européens, en alternative par exemple au service militaire.

L’objectif de ce programme serait d’offrir à un grand nombre de jeunes âgés de 18 à 30 ans une opportunité de participer à une expérience professionnelle dans un autre pays que leur pays d’origine. Le participant travaillerait pour une période de six mois à un an avec d’autres jeunes gens provenant de différents pays européens en vue de réaliser une mission commune : actions culturelles, protection

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de l’environnement, actions humanitaires en cas de catastrophes naturelles ou industrielles, actions de protection civile, facilitation de l’intégration sociale, cohésion entre les générations, etc. Afin d’être attractive, cette période donnerait lieu à une reconnaissance sur le plan académique (crédits), elle serait valorisable comme expérience professionnelle et elle donnerait lieu à une rétribution permettant à chacun de s’investir dans le programme.

Le débat en France sur le caractère volontaire ou obligatoire du service civil.

Le débat se poursuit aujourd'hui en France, avant même qu'ait été intégralement déployé le nouveau dispositif de service volontaire. D'une part ce dernier n'est pas perçu par tous comme un substitut suffisant à la conscription. D'autre part, le clivage entre service obligatoire et volontaire est réel, dépassant les clivages politiques.

Les constats d’une montée de l'individualisme, de la dilution du sentiment d'appartenance à la collectivité, ou bien encore de la confusion entre droits et devoirs, ont conduit des intellectuels et scientifiques a demandé des mesures d’une ampleur plus significative (exemple de l’appel lancé par l’hebdomadaire « La Vie » en novembre 2005, signé par plus de 440 parlementaires, de droite et de gauche, dix mille citoyens, et diverses personnalités comme l'abbé Pierre, le sociologue Edgar Morin ou l'écrivain Max Gallo). La crise des banlieues qui a agité "les quartiers" à l'automne 2005 a amené un questionnement sur la fin du service militaire, non sans une nostalgie relayée par les enquêtes d'opinion et les médias.

Il est vrai que les gisements d'activités pour un service obligatoire sont nombreux. Dans le domaine scolaire, l’engagement de jeunes effectuant leur service pourrait permettre de développer des actions de tutorat, notamment dans des opérations telles que celle de l’ESSEC "une prépa, une grande école, pourquoi pas moi ?". Les centres de secours font régulièrement appel au volontariat pour remédier à la pénurie des effectifs des sapeurs pompiers. Le vieillissement de la population permet d'envisager que l'aide à la personne sera un secteur prioritaire pour des activités bénévoles, comme c'est le cas en Allemagne.

Le milieu associatif offre dans son ensemble de nombreuses possibilités. Par ailleurs, en s'appuyant sur les JAPD, et surtout pour pallier au problème du manque de réservistes, une réflexion est menée pour que les responsables militaires soient associés à une formule de service citoyen au profit du secteur défense. Ces exemples montrent que le service peut jouer un rôle moteur en faveur de la cohésion sociale. Quant à la question du coût très élevé d'un dispositif obligatoire, doit-on plutôt considérer qu'il s'agit d'une charge ou d'un investissement ?

Les arguments avancés pour défendre le caractère obligatoire d'un service civil sont principalement :

- la nécessité d'un brassage social que l'école assure imparfaitement comme le souligne l'actuel débat autour de la carte scolaire ;

- la volonté de faire prendre conscience que la citoyenneté est un ensemble de droits et de devoirs.

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Mais il s'agit d'accueillir toute une classe d'âge, soit 800 000 jeunes (820 000 jeunes participaient en 2004 à la JAPD), et de leurs trouver une tâche utile et valorisante. L'initiative est estimée entre 3 et 9 milliards d'euros, et peut s'avérer très complexe du fait des infrastructures qu'il conviendrait de mettre en place. Pourtant d'autres pays européens ont réussi à mettre en œuvre un tel service.

Désormais porté par plusieurs candidats (ou candidats à la candidature) à la prochaine élection présidentielle, ce projet ne peut manquer de nous interroger. Comment accueillir et former des effectifs importants de jeunes ? Comment trouver des activités correspondant aux aspirations et à la qualification de toute une classe d'âge ? Quel coût ce projet peut il représenter ? Quels seront les gardes fous pour un dispositif qui doit se garder des erreurs du service militaire, critiqué pour les concessions faites à son caractère universel et les dérives des exemptions accordées ? Comment l'État parviendra à s'assurer que les jeunes de Neuilly feront du soutien scolaire dans les banlieues du 93, ou que les jeunes de Vaulx-en-Velin feront de l'humanitaire en Asie du sud ? Qui estimera que le jeune sera en capacité technique et humaine d'aider une personne âgée par exemple ? Les activités créées dans le cadre du volontariat ne viendront elles pas concurrencer l'emploi ? La crédibilité d'un nouveau projet ne risque t'elle pas de souffrir des errements de ces dix dernières années sur ce sujet ? Surtout comment s'assurer de l'adhésion de la jeunesse à un projet d'une telle envergure ?

Le débat qui s'ouvre est un enjeu de société…

Ce qui se dessine autour de ces débats sur l'action civile, c’est donc l’affirmation des valeurs d’une société en recréant des lieux de brassage et d’apprentissage. La mixité sociale et l'engagement ne peuvent que se renforcer si les pouvoirs publics, comme le secteur privé et les associations, répondent à de réels besoins sur la base d’un dispositif d’accompagnement et de valorisation des acquis. Le secteur de la défense doit d'ailleurs y trouver sa place, en mettant l’expérience de l’institution militaire au service des jeunes, en particulier de ceux qui sont en difficulté.

Au-delà des moyens et de l'organisation que nécessite un service civil, c'est surtout son acceptation sociale qui reste en débat. Le sentiment patriotique ne peut résulter de la seule contrainte, mais l'action civique doit rappeler, par l'échange, le sens de la fraternité et de la solidarité. Finalement, la jeunesse n'adhèrera à un projet aussi ambitieux qu'en retirant de telles expériences le sentiment d'avoir été utile et d'avoir appris.

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Charles de MARCILLY1

L’Europe de la Défense : une réalité concrète ? 

NDLR : L’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’IHEDN (ANAJ-IHEDN) et l’Association franco-allemande de l’IEP, ont organisé le 22 mai dernier à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, une conférence intitulée « l’Europe de la Défense : une réalité concrète ? ».

Les généraux Jean-Paul Perruche (ancien chef d’Etat-major de l’UE), Emmanuel Beth (Chef du Centre de planification et de contrôle des opérations du Ministère de la Défense) et Harald Quiel (attaché militaire allemand à Paris) ont ainsi fait partager quelques éléments de réflexions stratégiques devant un amphithéâtre de passionnés !

Pour ceux qui n’ont pu participer, l’IPSE se réjouit de pouvoir en offrir, ici, l’essentiel du compte rendu de ce passionnant colloque, à travers l’évocation détaillée que nous livre Charles de Marcilly, nouveau président de l’ANAJ-IHEDN

La dualité OTAN-Europe de la Défense est une problématique car l’OTAN s’est imposée comme la structure dominante. Certes, depuis 1998 et le sommet de Saint-Malo, il y a des avancées manifestes, mais il faut bien s’accorder sur le fait que l’Europe de la défense reste modeste dans ses ambitions : elle n’a pas pour objet de « défendre l’Europe » car il n’est pas question de concurrencer l’OTAN. Certains pays pensent que l’UE devrait jouer un rôle plus important (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg…), tandis que les autres pays sont plutôt atlantistes.

A l’heure actuelle, on constate une « progression pragmatique » démontrée par la concertation avec les Etats-Unis. Mais les volontés européennes perdurent à l’exemple du «sommet du chocolat » (Allemagne, France, Belgique, Luxembourg) de Tervuren (qui proposait une structure permanente de commandement de l’UE).

Il lui faut donc trouver une raison d’être !Comme l’a rappelé le Général Perruche, la mission principale de la PESD, dont

l’acte de naissance officiel est le traité de Nice de 2000, est la gestion de crise à l’extérieur des frontières de l’UE. Son rôle se limite donc au maintient de la paix et il n’y a pas de duplication avec l’OTAN. En effet, en décembre 2003, à Bruxelles, a été mise au point la Stratégie de Sécurité Européenne. Ce document fixe le niveau

1 Président ANAJ-IHEDNwww.anaj-ihedn.org

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d’ambition de l’Union européenne en tant qu’acteur global. Il énonce également les différentes menaces auxquelles l’Union doit faire face : lutte contre la prolifération des ADM, lutte contre le terrorisme (dans ce cas, extension du champ de compétence car le terrorisme ne s’arrête pas aux frontières, tout comme les réseaux mafieux et les crises extérieures d’où la nécessité d’une analyse plurinationale), et l’élaboration d’une « politique de voisinage de sécurité ».

L’atout principal de l’UE consiste donc en une approche globale avec une particularité : son organisation hybride. L’absence de chaîne de commandement opérationnel à titre permanent entraîne le recours à l’OTAN, aux cellules civilo- militaires, ou aux nations cadres1.

La force d’intervention se traduit par le fait que le Congo soit la 15ème opération de l'Union Européenne. Il y a eu 4 opérations militaires, les autres ont été civilo- militaires ou civiles (rule of law, monitoring, police…).

La notion de nation–cadre a également interpellé. Elle prend le leadership dans la mission afin d’assurer la coopération entre les participants. La mission Artémis était cornaquée par les français, la MONUC au Congo par l’Allemagne (la France est le deuxième pays représenté). A ce propos, la présence du général Quiel a permis de rappeler la place de l’Allemagne dans la défense européenne. En dépit des contraintes institutionnelles allemandes et la relative absence de « tradition coloniale » en Afrique, cette mission est considérée comme un test pour la PESD et le rôle du couple franco-allemand.

Le Général Quiel souligne que l’Allemagne a été une puissance militaire dès la création de la Bundeswehr et qu’elle avait des interventions humanitaires (par exemple en Afrique avec des logisticiens, des soldats du génie et plus généralement tout ce qui concernait l’aide au développement). Il note que cette volonté est également politique. Si la chancelière ne dispose d’aucun pouvoir quant à l’envoi des troupes allemandes car cela dépend du Parlement, il faut convenir que jusqu’à présent, ce dernier n’a jamais refusé une intervention.

Si l’Allemagne reste un fervent partisan de la PESD, il faut prendre en considération son attachement à l’OTAN « qui est l’alliance qui a préservé la paix ». Il n’est donc pas question de l’abandonner, d’autant plus dans l’hypothèse où l’une des deux structures « ne voudrait pas agir ».

Il est clair pour l’ensemble des intervenants que l’engagement européen est sous le prisme de la coopération franco-allemande. Pour illustrer ce propos, les cas concrets de l’intégration d’Allemands au CPCO (Centre de Préparation et de Conduite des Opérations) à Paris et de Français à Potsdam (Heeresführungskommando) sont significatifs. Il existe donc des contacts très réguliers à tous les niveaux hiérarchiques de la participation aux exercices européens. Aujourd’hui le travail en commun est donc une réalité.

1 Cinq Etats : France, UK, Allemagne, Italie et bientôt la Grèce qui se déclarent prêtes de multi-nationaliser leurs états-majors

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La perception de la PESC est donc globalement positive car les structures fonctionnent et évoluent favorablement. La capacité à fédérer différents acteurs est louée car l’OTAN ne le fait pas encore (capacité de financement, sécurité, assistance etc.). Mais les intervenants n’oublient pas de montrer que l’image n’est pas parfaite. Sa définition peut laisser des zones d’ombres…Vue « d’en bas » la difficile communication inter- piliers est perfectible.

L’Agence de défense européenne a pour conséquence une perte de puissance de l’UE due aux doublons (duplications). « On atteint à peine 40% des dépenses américaines mais si on obtenait ne serait-ce que 40 % de leur efficacité, ce serait un gain de puissance énorme ». Il est évident que l’on fait des économies au travers de programmes uniques. Il faut espérer également la rationalisation de la base industrielle et une recherche plus développée.

Un jeune de l’ANAJ pose néanmoins la question que tout le monde se pose : « pour parler d’Europe de la défense, 2 acteurs majeurs sur 25 états membres est-ce bien suffisant ? » A cette interrogation, le général Perruche répond : « Théoriquement, l’élargissement devrait permettre de se renforcer. En pratique il est à présent plus difficile de prendre des décisions.

Le problème consiste en l’intégration simultanée de 10 nouveaux membres dont la culture est légèrement différente en ce qui concerne le traitement des questions de sécurité et de défense. Mais après deux années de pratique, on peut affirmer que l’acculturation s’est bien faite dans l’ensemble. »

A la lumière du colloque, il apparaît que l’Europe de la défense est une réalité par le champ de ses interventions, mais que la dualité avec l’OTAN doit encore être définie.

Plus que concurrence, la notion de complémentarité souhaitée vient spontanément à l’esprit. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un avec l’autre. Cette relation est, sans aucun doute, encore à imaginer. De même que l’union européenne s’est façonnée à l’initiative de quelques membres fondateurs, il apparaît clair que l’Allemagne et la France jouent ce rôle moteur sur les questions de défense et de sécurité à l’heure actuelle. Sous nos yeux apparaissent les premières pierres de ce système de défense commun. Espérons qu’elles sauront être portées par la même vision d’avenir que celle qui avait motivé les fondateurs du traité de Rome.

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Freddy NZE EKEKANG1

Le retour de la stratégie des moyens :La Force de gendarmerie européenne

Les espoirs portés par avancées institutionnelles prévues par le projet de traité se sont pour l’instant envolés après le « Non » des Français et des Néerlandais. Pourtant, malgré ce non au projet de constitution, l’Europe de la défense continue et doit continuer. C’est le sens de l’intervention de Michèle Alliot-Marie à Bruxelles au sommet de l’OTAN le 9 juin 2006. Dans les faits, la construction de l’Europe de la Défense se poursuit, cela sur la base du traité de Nice. Certes, Nice est considéré comme un traité imparfait, mais ce texte a au moins pour lui d’introduire un cadre minimum à l’exercice de l’Europe dans le domaine de la défense.

En marge du cadre institutionnel, c’est véritablement sur des résultats concrets que l’Europe de la défense progresse : l’Agence de l’Armement est effective, les Groupes tactiques 1500 et la Force de gendarmerie européenne (FGE) sont devenus des réalités, la montée en puissance de ces structures étant indépendante du projet de traité qui a été rejeté.

La FGE constitue une capacité toute nouvelle pour la PESD. Comme le détaille le Ministère de la défense, un premier exercice sur table s’est déroulé à Vicenza (Italie) en avril 2005 dans le but de familiariser l’état-major de la nouvelle force européenne de gendarmerie. Sa montée en puissance s’est effectuée lors d’un exercice organisé du 15 au 17 juin 2005 au centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier. Inspirée de l’Euroforce, elle met en place un état-major permanent dédié et des capacités tournantes entre les différents pays. Conduisant son propre entraînement, elle a vocation à être rapidement déployable. Le bon déroulement d’EGEX 06 a permis de déclarer la FGE en «pleine capacité opérationnelle » par le comité interministérielle de haut niveau (CIMIN) chargé de son pilotage. Cette déclaration est un préalable à un premier déploiement de la Force.

La création de cette force a été approuvée par la déclaration d’intention signée par les différents ministres de la Défense à NOORDWIJK (Pays Bas) le 17 septembre 2004. Elle réunit l’Espagne, l’Italie, les Pays Bas, le Portugal et la France, et pourra s’élargir à d’autres Etats européens. Le général de gendarmerie Gérard Deanaz a été nommé premier commandant de l’EUROGENDFOR à l’issue de la réunion du comité politico-militaire de la FGE le 21 janvier 2005.

L’EUROGENDFOR s’organise en quatre modules :

1 Consultant EUROCRISE-AISDiplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Internationales (Groupe CEDS)Ancien Chargé de mission auprès de la Commission défense de l’UEO.

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• L’Etat-major multinational, nécessaire à la planification amont, au déploiement et au commandement de la force de gendarmerie européenne ;

• un groupement opérationnel, composé d’escadrons de gendarmerie mobile ou d’unités équivalentes, orienté sur les missions de sécurité publique générale et de maintien de l’ordre public ;

• une compagnie de personnels spécialisés, dans les missions de police judiciaire, de lutte contre la criminalité organisée, de recherche et d’exploitation du renseignement, de protection de personnalités ou de témoins, de contrôle des flux de populations, de lutte antiterroriste et d’interventions spécialisées, travaillant en accompagnement des escadrons de gendarmerie mobile ;

• une compagnie logistique capable d’assurer le soutien de la force.

La FGE est susceptible d’intervenir à différentes phases de la crise :

• phase militaire de la crise : la FGE est engagée dans le sillage de la force militaire, elle assure des missions de sécurité publique générale et des actions de police judiciaire ;

• phase de transition - crise de moyenne intensité : la FGE poursuit sa mission tout en facilitant la coordination et la coopération avec des unités de police ;

• phase de théâtre stabilisé : la FGE sous autorité civile internationale, facilite le passage à des actions de coopération ou peut être désengagée ;

• engagement de la FGE à titre préventif : en l’absence de force militaire préalablement déployée, la FGE. est utilisée dans des cas particulièrement identifiés.

La FGE possède une capacité initiale de réaction rapide d’environ 800 personnes sous un délai de 30 jours. Elle doit pouvoir couvrir tous les aspects d´une opération de gestion de crise, principalement en mission de substitution. Elle est prioritairement mise à disposition de l’Union européenne, puis d’organisations internationales (O.N.U., O.T.A.N., O.S.C.E.), ou de coalitions ad hoc.

Le rapport intitulé « Le rôle de la Force de gendarmerie européenne », élaboré par la Commission de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), invite les Etats européens à prendre pleinement conscience « de la mise en place de la Force de gendarmerie européenne et de ses activités, et de son potentiel à jouer un rôle positif dans les opérations de gestion des crises».

Il est proposé dans ce rapport, que les déploiements de gendarmes soient suivis par les parlements nationaux et l’Assemblée de l’UEO et il est demandé de réfléchir à la mise en place d’un système de rotation afin de disposer en permanence de deux unités de gendarmerie intégrées (IGU) capables d’effectuer des missions de maîtrise de l’ordre public et autres missions de police.

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Anticipant les conflits futurs, l’Union européenne systématise et institutionnalise ce recours aux moyens civilo- militaires. Cette décision répond à un constat récurrent sur les nouveaux besoins en matière de gestion de crise. En Bosnie et en Haïti par exemple, les forces civiles de police avaient été intégrées dans des opérations militaires non seulement pour des fonctions de sécurité mais afin de rétablir la justice et les institutions dans les sociétés en plein dysfonctionnement, traumatisées par la violence et le chaos, où les institutions se sont effondrées.

Le rôle croissant de la police civile représente un aspect singulier des opérations de paix et correspond à un élément intégral de l'interaction complexe entre le maintien de la paix assuré par les forces armées, la reconstruction politique et l'assistance humanitaire. La FGE est, ainsi, conçue comme un outil policier intégré appréhendant ainsi la fonction policière de manière globale, regroupant l’ensemble des missions qui lui sont attachées (maintien de l’ordre, sécurité publique, police judiciaire, recherche et exploitation du renseignement).

Outil de transition de la gestion de crise, la FGE pourra dans ces conditions exercer l’ensemble de ses missions aussi bien sous commandement militaire, dans le sillage du dispositif de puissance lors d’un conflit de haute intensité, que lors de la mise en place d’un régime démocratique sous autorité civile.

Un continuum spatio-temporel entre forces militaires et policières est un gage de succès de ce nouvel outil de la PESD dans la gestion de crise. Le rôle militaire des États intervenants et des organisations internationales (OTAN, ONU, UE) se poursuit au-delà de la fin des hostilités qui ne représente que le début d'une transition vers la paix. Le désarmement immédiat des combattants par les forces armées, seul acteur capable d'initier une telle dynamique de nation-building dans un environnement post-conflictuel par le rétablissement préalable de l'ordre précède la prise de responsabilités et du contrôle par la force civile de police.

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France-Otan : vers un rapprochement doctrinal ?

André DUMOULIN (sous la dir. de)

Éditions Bruylant, collection Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques (RMES), 2006, 322 pages, 70 euros

Emmanuel DUPUY

Le Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques (RMES), sous l’égide de l’universitaire belge André Dumoulin, Maître de conférence à l’Université de Liège et à l’Université libre de Bruxelles par ailleurs attaché à l’Ecole Royale Militaire (Bruxelles), est un espace unique de débats et de synergies en matière de pensée et de recherche stratégiques, d’analyse des équilibres géopolitiques et des questions militaires.

Cet ouvrage collectif autour d’une douzaine de chercheurs et d’analystes de nationalités belge, vise à examiner les positions défendues et choix doctrinaux prônés par la France, à un moment charnière de l’histoire ô combien contrastée liant la France à l’OTAN.

Il est en effet particulièrement intrigant, quarante ans après la crise qui a vu la France du Général de Gaulle quitter, en juillet 1966, la structure militaire intégrée de l’Alliance Atlantique (avant de réintégrer le commandement militaire en 1995) de constater cet indéniable « rapprochement doctrinal » autant que technologique qui conditionne un lien transatlantique évolutif, évoqué tout au long de cet ouvrage.

Ce travail minutieux examine successivement les fondements de la politique de défense globale nationale, la « stratégie atlantique » de la France, les avancées et écueils quant au degré d’autonomisation de la politique de défense et sécurité européenne, ainsi que les visions quelque peu divergentes de la géopolitique selon que l’on se situe à Washington, à Paris, à Bruxelles ou à Mons, au SHAPE (commandement européen de l’OTAN)…

La seconde partie nous permet également de nous interroger sur la réalité de ce concept, en brossant un tableau des plus complets qui conditionne ce rapprochement autant qu’il légitime une certaine forme de répulsion et de méfiance, du moins, médiatiquement perceptible. Ce sont ainsi les domaines traditionnels de la souveraineté (nucléaire, industries de défense, lutte anti-terroriste, OPEX) qui sont passés au crible de cette relation duale, ou s’inscrivant dans un jeu à triple bandes, si l’on prend en compte l’élément de plus en plus structurant de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

Cette étude, tout en relevant un certain paradoxe, voire des contradictions évidentes entre l’entente opérationnelle sur le terrain et les discours politiques qui

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font de l’OTAN un repoussoir communément évoqué, en premier lieu duquel quant au retard à l’allumage de la PESD permets de se rendre compte combien la France, engagée concrètement dans l’OTAN, cherche à le faire savoir le moins possible, tout en cherchant à rattraper son retard et peser un temps soit peu quant à des décisions qui engagent ses forces armées sur le terrain…

Or, force est de constater une certaine cohérence malgré tout dans les choix français, comme le fait l’amiral Jean Dufourcq, responsable de la division recherche du Collège de défense de l’OTAN à Rome, pour qui « la France souhaite adopter la posture d’un pays qui veut aujourd’hui sous les couleurs tricolores ou européennes, jouer sa partition responsable au sein d’une Alliance qu’il a contribué à faire naître et qu’il voudra essayer de faire évoluer selon la vision qu’il a du devenir du monde occidental ». La lutte contre le terrorisme international est ainsi là pour nous rappeler combien sont liées les parades et moyens à mettre en œuvre collectivement contre ces menaces asymétriques, imposées par les attentats du 11 septembre, puis ceux de Londres et de Madrid. Si cela ne suffisait les formidables enjeux liés aux défis capacitaires sont là pour nous rappeler combien la coopération demeure vitale.

Ce réalisme géopolitique « à la carte », s’appuierait ainsi sur une vision d’intérêts nationaux assumés, tout en cherchant à inscrire son action dans le multilatéralisme actif contingent à l’émergence d’une stratégie autonome en matière de défense et de sécurité européenne, au moins depuis décembre 1998, justifie dès lors la nécessité de rattraper le retard subi par quarante années de mise à l’écart des prises de décisions au sen des instances bureaucratiques otaniennes et d’inscrire désormais son action en priorité en tant que « Nation-cadre » dans les missions multinationales de gestion de crise, autant que faire ce peut, légitimée par l’ONU…

Les riches contributions des chercheurs du réseau du RMES réussissent-elles ainsi le tour de force de dresser en 322 pages le bilan tout en nuance de cet inéluctable lien marqué par une relation « d’association-rivalité » entre l’Otan et la France, conditionnée tant par la prise en compte - somme toute tardive - en France du concept de Révolution dans les Affaires Militaires (RAM, datant pourtant de 1991, tendant à l’hyper-sophistication dans les moyens et réponses militaires) que par l’interopérabilité des doctrines et d’emploi des forces. Phénomènes intrinsèquement liés voire accélérés par le concept dit de "Berlin +" quant à la gestion des crises qui permet l’accès de l’Union européenne aux moyens et capacités collectives de l’Alliance.

D’ailleurs une des principales qualités des cet ouvrage, outre sa précision et la pédagogie de ses propos quant aux concepts évoqués, tient sans doute dans la démarche analytique rigoureuse expliquant parfaitement à la fois la justification de la singularité nationale et l’évidente convergence technologique, ne serais-ce qu’à travers les terrains d’opérations où se côtoient les forces en présence.

Plusieurs exemples récents et en cours conditionnent désormais cette relation ambivalente. Comme en témoigne les opérations extérieures passées sous pavillon PESD (opérations Artemis à Bunia en 2003 et Congo prochainement, EuFor au Kosovo, Altéa en Bosnie), celles sous pavillon OTAN (IFAS en

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Afghanistan, Mission Concordia en Macédoine) ou encore la « concurrence-complémentarité » existante tant en matière de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (Renforcement des Capacités de Maintien de la Paix – RECAMP lancé par la France en 1998 / Programme ACOTA African Contengency Training and Assistance depuis juillet 2003 sous l’égide des Américains).

Ses visions contradictoires quoique parfois complémentaires peuvent également légitimer d’un côté la nouvelle politique de bon voisinage de l’UE (notamment en direction de l'Europe du Sud-est du Caucase et des pays du pourtour de la mer Noire) en même temps que l’Otan privilégie la cadre de dialogue offert par le Partenariat pour la Paix (PpP, érigé en sas d’entrée à l’Otan depuis la dislocation de l’Empire soviétique et la disparition du pacte de Varsovie).

D’où la prégnance d’analyser les aspects particuliers liés à des visions géopolitiques régionales différentes, tant vis-à-vis des prochains élargissement de l’UE cadrant peu ou prou avec ceux des nouveaux et futurs promus au sein de l’OTAN (Slovénie, Roumanie, Bulgarie qui ont déjà poussé la porte de l’Alliance et ceux qui aspirent à entrer dans les deux organisations, Croatie et Macédoine demain, Ukraine et Monténégro après-demain…) que dans le cadre de la concurrence acharnée qui se livre dans l’espace euro-méditerranéen entre les différents espaces de dialogue (Dialogue 5+5, Processus de Barcelone, Dialogue méditerranéen de l’Otan depuis février 1995), mettant ainsi en relief la crise qui avait agité la France et l’Alliance au sujet des commandements régionaux et le contrôle de l’AFSOUTH en 1996-1997.

Ce panorama étoffé offre un cadre d'analyse pertinent quant à la « consolidation-autonomisation-approfondissement » du concept de PESD...en lien avec l’OTAN. Celui-ci s'exprime d’ailleurs de plus en plus dans un besoin d'exporter une vision propre de la sécurité en dehors de l'UE, apte à convaincre son « associé-rival » qu’est l’OTAN, entre autres, de la volonté européenne d'être un acteur global. Cette vision extérieure de l'Union cherche ainsi à s'inscrire constamment dans le cadre du multilatéralisme onusien, comme le révèle dans le même temps le nouveau concept de l’OTAN de 1999, rappelé lors du Sommet d’Istanbul en 2004.

Rappelons, à cet effet, que Javier Solona définissait, à travers l'élaboration de la Stratégie européenne de sécurité adoptée en décembre 2005, l'utilité de la PESC dans ces termes : « une sorte de philosophie générale de l’action dans le monde » assimilant implicitement le concept onusien de « responsabilité de protéger ». La sécurité européenne s'inscrirait ainsi désormais dans un nouveau modèle volontariste dès lors que l’ONU reste l’enceinte chargée de légitimer le recours à la force européenne.

Cependant, cette vision normative d’une « Europe puissance pluridimensionnelle» (basée sur des valeurs, une Constitution, des droits fondamentaux, des capacités d'action, une diplomatie volontariste…) semble tout de même teintée de gradualisme prudent comme l’indique André Dumoulin. La défense européenne, fortement marquée encore par Clausewitz devant plutôt « construire » de la coercition pour arracher des concessions, partant du

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diplomatique pour se terminer par le militaire en dernier recours. Bref, la guerre comme continuation de la politique avec l’intrusion de l’autorité politique, parfois, jusque dans l’action militaire tactico- opératoire.

C’est ce subtil équilibre de la Puissance qui est en jeu entre la France, grande puissance en passe de perdre ses atouts, l’OTAN, conditionnée encore mais pas seulement par la puissance américaine et une Union européenne aujourd’hui à 25, demain à plus de trente Etats membres qui à travers une PESC et une PESD encore hésitantes - se cherche encore une voie et une voix sur la scène internationale.

A cet égard le modèle d’armée 2015 évoqué à travers cet ouvrage, à savoir l’intégration du concept de gestion info-centrée des opérations militaires, tout en tenant compte des apports liés au savoir-faire nord-américain) rejoint-il l’excellente idée de la tentative de rédaction en 2004 d'un Livre blanc européen sur la sécurité et la défense européenne, entre autres grâce au dynamisme déployé par André Dumoulin, lorsque celui-ci évoquait comme dans cet ouvrage collectif l’indispensable prise en compte de la plasticité diplomatico- militaire, qui pourrait se caractériser par la « volonté de préserver les alliances, la nécessité de partager les coûts, de maintenir l’autonomie nationale de décision tout en prenant en compte la multinationalisation des opérations extérieures (…) ».

Il en va, en effet, de la capacité de la France à transformer l’OTAN, afin de faire mûrir la PESD, car après tout les Etats-Unis ne sauraient agir seuls partout, sans garde fou, comme le rappelait Condolezza Rice récemment.

La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de l’atlantisme français

Jean-Sylvestre MONGRENIER

Éditions UNICOM, collection Abécédaire Société - Défense Européenne-, 2006, 18 euros

Georges-Henri BRICET Des VALLONS

Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique, l’auteur affiche clairement dans cette étude son parti pris pour l’OTAN. Manifestement hostile à la politique d’autonomie stratégique gaullienne et à l’émergence d’une Europe de la défense dégagée de l’orbite américaine, l’auteur envisage l’alliance euro-américaine comme la seule réponse possible aux défis sécuritaires post-11 septembre. Sa proximité avec la pensée « réaliste » des néo-conservateurs américains est assez explicite. Il

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reprend d’ailleurs comme motif structurant le syllogisme du « fossé » budgétaire/capacitaire entre américains et européens développé par Robert Kagan dans son livre « La Puissance et la Faiblesse ». Le principal mérite de cet ouvrage est de rappeler – à rebours du simulacre de rupture qu’a représentée la prise de position chiraquienne à l’occasion de la guerre d’Irak – la remarquable continuité de la politique atlantiste de la France.

Disqualifiée par l’auteur comme faussement « héroïque », la décision du général de Gaulle de rompre avec l’OTAN constituerait la matrice d’une fantasmatique anti-américaine déconnectée des réalités stratégiques du contexte polémologique contemporain, chimère qui aurait tendance à distordre la perception de la force et de la constance du lien transatlantique. Il montre avec justesse à quel point les réticences gouvernementales à l’égard de l’OTAN, qualifiées de « dissonances cognitives », sont une façade qui relève avant tout de l’affichage politique et démagogique.

Si cette étude constitue indubitablement un solide outil documentaire pour qui veut avoir à sa disposition un panorama relativement exhaustif des problématiques atlantistes qui structurent le débat stratégique français, on peut lui reprocher son caractère par trop descriptif et formel. En effet la concaténation de réalités historiques et factuelles ne saurait à elle seule constituer un argumentaire tangible en faveur de la sécularisation otanienne de la politique de défense française. Sans doute l’ouvrage trouve-t-il là sa borne génétique : moins argumentaire que mise en scène d’une vérité de facto, le plaidoyer s’instruit de sa propre tautologie, comme si le constat de la pérennité de l’alliance euro-atlantique constituait à lui seul un dogme stratégique incontournable.

Nombre d’arguments développés par l’auteur sont d’ailleurs facilement réversibles, car n’est-ce pas justement la mainmise de l’OTAN sur les politiques de défense des Etats-membres de l’Union qui entrave le développement capacitaire d’une véritable Europe de la Défense, évolution évidemment crainte et retardée par les Etats-Unis ? Précieux donc par son détail documentaire, cet ouvrage reste problématique d’un point de vue idéologique. Des points d’achoppement majeurs, comme la guerre d’Irak ou la question de l’article 41 du défunt Traité de Constitution supranationale, sont ainsi relégués au rang de simples épiphénomènes.

La préface de Pierre Lellouche, thuriféraire bien connu de la solidarité transatlantique, qui tend à poser l’atlantisme dans une posture victimaire et marginale alors qu’i est majoritaire dans les sphères de décision gouvernementale et militaire, ne fait que rajouter à ce sentiment de malaise. Sans doute faudrait-il rappeler à Mongrenier cette phrase d’Alain Joxe : « En tant que modèle de technicité interarmées, interalliée, inter-agences et facteur de perfectionnement électronique, l’OTAN peut séduire des intérêts militaires professionnels, ou des dynamiques techniciennes d’entreprises, mais cela ne peut remplacer un accord stratégique et politique profond sur des raisons communes de s’allier dans des guerres. » En effet, la défense de l’alliance euro-américaine, surtout quand elle va à l’encontre des intérêts stratégiques nationaux et de la souveraineté populaire, n’est-elle pas un « chemin qui ne mène nulle part » ?

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Israël-Palestine, une guerre de religions ?

Elie BARNAVI

Collection Guerre et Religion, éditions Bayard-Bnf, Paris, 2006, 62 pages, 6,90 euros

Du Jihad à la Fitna

Gilles KEPEL

Collection Guerre et Religion, éditions Bayard-Bnf, Paris, 2006, 61 pages, 9 euros

Emmanuel DUPUY

Les éditions Bayard, la revue Histoire et la Bibliothèque Nationale de France ont eu l'excellente idée d'éditer les conférences de son cycle consacré au lien entre guerres et religions. Les deux ouvrages évoquent avec la même cohérence et le même optimisme le rapport entre religions et politique en général et des violences commises en son nom en particulier.

L'universitaire Gilles Kepel, Directeur de recherches au CNRS et le diplomate Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France, historien de formation, mus par le même discours marqué par la Raison, nous rappelle combien le sens des mots est essentiel pour mieux appréhender de thèmes qui relèvent de l’Universel. L'aspiration à la démocratie, qui existe bel et bien au Proche-Orient serait ainsi pris en tenaille par des conflits identitaires qui puisent dans des interprétations politiques et religieuses qui ne sont pas sans rappeler les guerres de religions qui ont secoué l'Europe au cours des siècles passés.

Le cœur du propos que l'on retrouve à travers ses pages des deux ouvrages richement documentées, à lire en écho l'un à l'autre, réside justement dans ce précieux éclairage qui permet de comprendre comment deux visions laïques du monde, le nationalisme arabe, tout comme le sionisme, ont pu céder le pas à de véritables guerres de religions.

Dès lors, s'agit-il de mieux comprendre à travers le monde arabo-musulman et l'histoire, la polysémie des deux termes structurants de la doctrine islamique, que sont le Jihad et la Fitna.

Au-delà de la seule notion de guerre sainte communément associée au Jihad, ce dernier relève également d'une vision positive, marquée par l'effort personnel à travers la religion musulmane. En même temps, la Fitna, synonyme de sédition et

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de destruction interne se révèle aussi être un puissant facteur de tempérance à l'égard du Jihad, justement.

Ces deux ouvrages rafraîchissent ainsi la compréhension de tout un chacun au regard d'un Islam complexe et multiforme et qui prend, en particulier, au Proche-Orient, où le sacré est pris en otage par les zélateurs, des allures de ce conflit des civilisations, pourtant récusé par beaucoup.

La lecture simultanée de ces deux opuscules offrira ainsi une meilleure compréhension des tenants et aboutissants d'une situation ô combien complexe, gage d'une connaissance réciproque, apte à contenir le fondamentalisme qui joue sur les peurs et la mystification.

La guerre en réseau au XXIème siècleInternet sur les champs de bataille

Jean-Pierre MAULNY

Collection “Echanges”, éditions du Félin, Paris 2006, 119 pages, 9,90 euros

Julie PARRIOT

Le thème développé dans l’ouvrage en question est l’émergence et le développement de la Network Centric Warfare (N.C.W.), soit la « guerre centrée sur l’information en réseau » dont l’origine est nord-américaine.

L’auteur, Jean-Pierre MAULNY est l’un des deux directeurs adjoints que compte l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (I.R.I.S.) ; il est responsable, au sein de cette organisation, des questions liées à l'industrie d'armement et aux ventes d'armes.

Ce travail bénéficie d’une préface prestigieuse, celle du Général PERRUCHE, directeur général de l’Etat-major de l’Union Européenne.

Les néophytes en matière d’informatique et de stratégie militaire pourraient appréhender une telle lecture, cependant l’auteur a le mérite d’établir un constat clair en la matière, à travers notamment un glossaire ainsi qu’un historique complet, et néanmoins simple, de l’Internet et des Nouvelles technologies qui en découlèrent. Notons à ce propos que la naissance d’Internet est due à la nécessité pour les savants nord-américains de communiquer entre eux. Internet n’est pas né d’un programme militaire mais est né au sein du monde militaire ; plus exactement internet fut financé et élaboré au sein de l’Agence de Recherche Militaire.

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Le concept de guerre en réseau résulte de ces nouvelles technologies ; il permet une « économie des forces », une « concentration des moyens », et « rend à priori disponible à tous les niveaux toute l’information possible ».

La N.W.C. est la capacité de relier les différentes armées et de récupérer des informations données par les drones ou les satellites afin de pouvoir les transmettre en temps réel dans le but de frapper plus vite et plus précisément.

Durant la première guerre du Golfe, une journée était nécessaire afin d’identifier une cible avec des photos satellites, programmer une mission et enfin détruire la cible ; cela prend désormais quelques minutes. La notion de temps réel est devenue une vérité pour l’action militaire, et la communication revêt, de fait, une importance primordiale.

Avec le NCW, les corps d’armée (marine, armées de terre et de l’air) sont indissociés. Les principales implications de la guerre en réseau sont tout d’abord l’organisation d’un network pour toutes les unités combattantes, puis le fait que la force ne soit plus tributaire du nombre et, enfin, une modification de la hiérarchie existante. Or un réseau ne s’avérera efficace qu’à condition qu’existent une réelle décentralisation ainsi qu’une inter- opérabilité, le tout accompagné du principe de subsidiarité. Le réseau ne peut accroître l’efficacité et la réactivité qu’à condition que les structures et le système décisionnels soient adaptés en conséquence.

Les Etats-Unis ont élaboré le N.C.W. afin de «garantir la sécurité absolue de leur territoire et de leurs intérêts par la voie militaire, ne plus dépendre du facteur diplomatique pour assurer leur sécurité ».

A l’origine, il s’agit d’un concept politique et militaire dont les limites sont néanmoins concrètes : le « N.C.W. tend à nier le facteur politique comme paramètre de la sécurité et de la résolution des conflits ».

Le N.C.W. américain ont comme singularité de s’appuyer sur la loi de Metcalfe (en résumé : la valeur de deux réseaux associés est plus grande que celle de chaque réseau pris à part) ; ceci nécessite un partage d’informations d’où un problème quand cela doit s’étendre au-delà du territoire américain.

Le développement du N.C.W. aux Etats-Unis justifia le gonflement du budget consacré à la Défense. Les Européens ne sont pas en retard au niveau technologique, seulement, ils n'ont pas les mêmes moyens financiers pour développer leur armement. Or la gestion d’une politique commune européenne n’est pas une évidence, les britanniques hésitant entre « tropisme US » et « réalité européenne ».

Le Royaume-Uni adhéra au concept de guerre en 2002 ; le N.E.C. (Network Enabled Capability) britannique sera axée sur l’accroissement de l’efficacité des armées. En ce qui concerne la France, il faut parler d’O.R.C. (Opérations Réseaux Centrés) et si le pragmatisme britannique est partagé par notre pays, l’enthousiasme est moins marqué. Cela tient notamment à l’analyse des difficultés

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engendrées par l’instauration d’une guerre en réseau : « son coût, sa complexité et sa vulnérabilité » (le dernier point concerne la dépendance par rapport à l’information d’origine technologique ainsi que son architecture).

Ainsi, la France parle plutôt de «Soldier Centric Network», et selon le précédent C.E.M.A.T. (Chef d’Etat Major de l’Armée de Terre), le général Bernard Thorette, «Les enseignements des opérations récentes montrent qu'il est sage de s'en tenir à une «numérisation raisonnable du champ de bataille». L'homme reste ainsi au centre du dispositif.

Les opérations militaires sont, dans leur grande majorité, menées dans un cadre multinational ; il est de fait évident que les architectures nationales de guerre en réseau devront s’harmoniser, la question étant quel modèle choisir : celui de l’OTAN, de l’Union Européenne et celui des Etats-Unis ?

Le NCW n'est pas seulement une doctrine militaire de plus, «il est le reflet des évolutions technologiques, mais aussi celui du modèle économique américain».

La guerre en réseau fut inaugurée par les Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, et le succès relativisé : elle ne permet pas en effet de gagner la « guerre de la paix ».

L’ultime paradoxe réside dans l’application civile : le réseau serait « aussi utile pour gagner une guerre que pour prévenir la destruction de notre planète ».

Cet ouvrage passionnera ceux qui s'intéressent aux nouvelles technologies, à la stratégie militaire et à leurs implications géopolitiques et économiques.

Les nouveaux visages de la guerre

Christian DELANGHE, Henri PARIS

Pharos - Jacques-Marie Laffont éditeur, mars 2006, 377 pages, 23 euros

Emmanuel DUPUY

Quand deux généraux, ayant occupé de hautes responsabilités militaires, des commandements symboliques et dotés d'un solide sens de la prospective ainsi qu'une connaissance approfondie de la géopolitique se mettent à écrire, inutile de préciser que la langue de bois et la rhétorique sont bannies.

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Christian Delangue, général de corps d'armée (c.r), Directeur de recherche à l'Us-Crest (Center for Research and Education and Technology) et Henri Paris, général de division (c.r), Président de l'association Démocraties, ont plusieurs points communs, notamment d'avoir commandé tous deux la prestigieuse deuxième Division Blindée, passée dans la postérité par un de leurs illustres prédécesseurs, le maréchal Leclerc.

Placé sous l'égide de l'histoire lointaine et immédiate, de la polémologie et de la réflexion stratégique d'avenir, cet ouvrage reflète parfaitement cet « art de la guerre », inspiré par le stratège chinois Sun Tze, il y a plus de deux millénaires déjà.

Ces nouveaux visages de la guerre moderne peuvent se caractériser, entre autres, par une nette tendance au réalisme en ce concerne l’analyse des moyens capables d'être mis en œuvre dans la conduite de la guerre, haïe, mais pourtant bien présente encore à l'aube du XXIème siècle.

Le constat dressé par les deux hommes est alarmant, entre légitimes critiques quant aux promesses non tenues des responsables politiques en matière de capacités militaires, d'emploi raisonné de la coercition - qui reste un moyen efficace d'équilibre du jeu international - et juste charge contre la perception fallacieuse selon la guerre serait devenue anachronique.

Les deux hommes en dressant ainsi un réquisitoire implacable contre l'attentisme et les discours convenus tendant à maquiller la réalité des moyens stratégiques nécessaires et disponibles sur des champs de bataille futurs, hélas ! toujours d'une brûlante actualité, placent résolument leurs propos dans la nécessité d'un nouveau modèle de sécurité et de défense à définir en commun avec nos partenaires, dans le cadre d'un multilatéralisme à renforcer.

Face aux défis nombreux et fortement évolutifs de la « révolution dans les affaires militaires » qui guident désormais la doctrine et l'emploi des forces armées, encore faut-il avoir une connaissance approfondie des moyens et parades à mettre en œuvre pour répondre ou mieux anticiper les menaces réelles et qui conditionnent désormais les relations internationales.

Les facteurs belligènes, tant symétriques externes et d'ordre internes (qu’ils soient diplomatiques et liées à la souveraineté ainsi que ceux principalement de nature institutionnels, économiques, démocratiques et environnementaux, implicites aux déséquilibres nés de la mondialisation) qu'asymétriques (en premier lieu desquels le terrorisme international, les pandémies et les proliférations, notamment nucléaire) pèsent, en effet, durablement sur la sécurité et la stabilité internationale.

Plus que cela, cet ouvrage détaille aussi les vrais visages des outils de la guerre qui sont d'ores et déjà opérants et auxquels nous pourrions avoir à faire face sur de futurs champs de batailles traditionnels ou plus révolutionnaires, des sables du Darfour, aux routes de l'information et de la communication ; à moins que notre

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intelligence collective nous permette à l’avenir de résoudre systématiquement en amont crises et conflits.

C'est cette ambitieuse réflexion globale qui guidera le lecteur à travers cet ouvrage attendu et hautement détonnant.

Livre gris sur la sécurité et la défense

Général (2S) Loup FRANCART

Stratégies et doctrines – Economica. – 27 euros

Thierry COSTEDOAT1

L’actualité toute récente tant en Europe qu’au Proche Orient et les enseignements stratégiques et tactiques conséquents à ceux-ci donnent une acuité toute particulière à la publication du « livre gris sur la sécurité et la défense » rédigé par le Général (2S) Loup FRANCART.

D’une lecture aisée car ne s’enfermant pas dans un style dont l’aridité des termes le disputerait à une phraséologie initiatique, le « livre gris sur la sécurité et la défense » est un document facile à lire, très pédagogique de part sa « richesse » tant en ce qui concerne ses apports documentaires que la démarche retenue pour les présenter. De plus, le choix fait par l’auteur de structurer son propos en sept grands chapitres principaux qui sont autant de grands thèmes en souligne également la pertinence et le grand intérêt mais en facilite également d’autant la lisibilité, la compréhension et l’exploitation.

L’un des mérites majeurs de cet ouvrage est, sans nul doute possible, de représenter une source importante d’informations de tous types toujours proposées au lecteur de façon claire et très exhaustive. Le rappel et la présentation d’extraits de textes tirés de rapports ou de déclarations d’organismes ou d’instances officiels en renforce d’autant l’intérêt et en accroît le caractère pédagogique la démarche.

La première partie du livre que l’on pourrait physiquement caractériser par les trois premiers chapitres permettent, de façon très exhaustive, de mieux découvrir la perception que l’auteur se fait de la réalité du moment plus particulièrement en ce qui concerne les trois thèmes majeurs que sont les évolutions géostratégiques du moment, l’évolution des menaces et des risques et les dispositifs de défense et de sécurité tels qu’ils sont pensés et mis en œuvre à ce jour. Cette démarche est engagée de manière très précise voire analytique, ce qui permet de mieux percevoir les attentes, les contraintes et les objectifs des principaux « acteurs »

1 Directeur Général du CI2Swww.CI2S.org

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mondiaux, cette approche étant notamment renforcée par une analyse spécifique succincte s’intéressant à chacun de ceux-ci.

C’est ainsi qu’est présentée, de façon très pertinente, la différence dans l’approche géostratégique entres les Etats – Unis d’Amérique et les pays de la « vieille Europe ». La puissance « blessée » de l’Amérique, les « tâtonnements » géostratégiques de l’Europe toujours prise « en tenaille » entre sa volonté de construire une politique propre sans toutefois distendre le lien partenarial avec nos grands alliés américains. C’est aussi l’approche différente des une et des autres : lien entre sécurité et autonomie de la nation pour les Etats – Unis alors qu’elle repose plus spécifiquement sur une capacité à nouer des liens communautaires pour les Européens afin de prévenir toute tentation de repli sur soi et d’exacerbation des tendances nationalistes Toutes ces données sont ici présentés avec une attention certaine que l’on retrouve également dans l’approche « individualisée » des autres pays comme c’est le cas pour la Russie tiraillée entre sa volonté de renforcer son influence sur les pays du défunt « empire soviétique » mais aussi celle de garder son statut de grande puissance, la Chine à la croissance économique phénoménale mais qui devra, tôt ou tard, faire face à des « dysfonctionnements » intérieurs susceptibles de l’handicaper très sérieusement, l’Inde , pays de haute technologie mais aussi pays d’analphabétisme de masse, ….

Les paragraphes concernant les relations entre l’Islam et l’Occident au travers d’un rêve islamiste mais aussi l’approche concernant la France et cette « absence de rêve français »n’en donne que plus de crédit au propos de l’auteur. De plus, ils s’inscrivent tout à fait dans l’actualité « brûlante » du moment.

En un second temps, l’auteur nous permet de participer à son analyse par une approche très pertinente du concept de sécurité nationale tant en terme conceptuel qu’organisationnel ; une approche plus pragmatique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et, enfin tout naturellement pour ce Général, par une réflexion plus spécifique sur le rôle et la mission des forces armées dans le cadre de cette démarche.

Le Général Loup FRANCART, notamment tout au long d’un chapitre spécifique, tente de rapprocher les concepts de « sécurité » et de « défense » pour essayer d’esquisser un nouveau concept autour de la « sécurité nationale » s’appuyant sur une définition moins restrictive et plus élargie que ce qui n’existe pour l’heure. Au travers d’un exposé structuré et de schémas spécifiques, il présente notamment les trois « piliers » de ce qui pourrait devenir le socle d’une telle démarche mais aussi les trois grands axes stratégiques qui pourraient participer de sa mise en œuvre. En ce qui concerne le domaine spécifique du terrorisme, il propose un chapitre très documenté faisant notamment référence à un certain nombre de textes existants et en présentant quatre options « graduées » (de se protéger à l’extinction du terrorisme). De plus, sa réflexion sur le volet militaire s’inscrit tout à fait dans cette démarche au vue de l’évolution de la menace et de concepts différents en ce qui concerne l’approche des différents alliés du camp occidental quant à leur perception stratégique face à celle – ci.

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Le « Livre gris sur la sécurité et la défense » par l’approche spécifique qu’a développée le Général (2S) Loup FRANCART devrait, n’en doutons pas, susciter l’intérêt chez de nombreux lecteurs sensibles à cette problématique.

Les défis d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne

Sous la direction de Erwan LANNON et Joël LEBULLENGER

Collection “Rencontre Européennes”, Editions Bruylant, Bruxelles, 2006, 349 pages, 65 euros

Julie PARRIOT

L’accord d’Ankara entra en vigueur en 1964 mais la Turquie attendit 1987 pour proposer sa candidature à la Communauté Economique Européenne (C.E.E.). Elle obtient le statut de pays candidat en 1999 et c’est en 2005 que s’est ouvert le véritable débat sur son adhésion.

L’ouvrage dont il est question dans cette note propose une analyse à la fois juridique, économique et politique des relations entre l’Europe et la Turquie ; le résultat est une collaboration de plusieurs auteurs, le tout sous la direction d’Erwann LANNON professeur à l’Université de Gand et de Joël LEBULLENGER Professeur à l’Université de Rennes I (Chaire Européenne Jean MONNET), ancien professeur au Collège d’Europe de Bruges.

Cette étude est orientée sous trois angles : les défis géopolitiques et institutionnels d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne (U.E.), les défis humains et sociaux et enfin les défis économiques et commerciaux.

Les “réseaux énergétiques autour de la Turquie constituaient un intérêt stratégique prioritaire pour l’U.E.” et sa situation géographique fait d’elle le “carrefour des deux périphéries actuelles de l’U.E.”. Ainsi, des problèmes liés au domaine “Justice et Affaires Intérieures” (J.A.I.) et à l’Espace de Liberté de Sécurité et de Justice (E.L.S.J.) apparaissent ; ceci constitue la “soft security” ou “facteurs transnationaux de déstabilisation” (tels que les migrations illégales, le trafic d’êtres humains et de stupéfiants).

Dans l’optique d’appartenance à l’espace Schengen, la Turquie se verra aidée financièrement par l’U.E. afin de pouvoir adopter les standards communautaires (administratifs et matériels) en matière de flux migratoires. Une “association” entre l’U.E. et la Turquie, au sein de grands accords de coopération par exemple, pourrait être envisagée mais uniquement dans un réel esprit de partenariat. A noter 56

que le manque de coordination de la lutte antidrogue est un point majeur en défaveur de la Turquie.

La deuxième partie entend nous éclairer quant à l’image qu’ont les Turcs de l’Europe, de ce qui pourrait rapprocher les deux populations ou les éloigner (n’oublions pas que les Turcs se sont sentis blessés par le rejet des européens). Traditionnellement la “vieille” Europe valorisera les droits de l’individu alors que la Turquie tendra vers la notion de “famille” et plus largement d’Etat. Les textes législatifs furent l’objet de réformes en la matière, réformes qui tardent pourtant à être appliquées à propos des actes de torture, de gestion des manifestations … (mais toujours rien en faveur des femmes ou des kurdes).

Réduire la libre circulation à la suite d’une adhésion de la Turquie à l’U.E. est une considération qui a retenu l’attention et beaucoup inquiété. Intégrer progressivement la population du nouvel adhérent ne serait plus envisagé, il s’agirait dès lors de définir un statut particulier : celui d’un Etat membre à “droits réduits” (intégration limitée en permanence).

Enfin, l’intégration économique est observée à travers ses avantages et ses inconvénients : si l’économie turque atteint un niveau comparable à celui de l’U.E., saura-t-elle s’insérer au sein de l’union douanière ? En effet, l’union douanière se traduirait par une coopération internationale et l’application des instruments de défense commerciale. Or l’Union douanière est ambiguë : elle vise un partenariat rapproché tout en instaurant nombre de dérogations, et en ce qui concerne la Turquie, elle est ainsi passée de l’association à la demande d’adhésion.

Gardons en mémoire que la question de l’adhésion de la Turquie fut une des causes de refus du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. De plus, certains Français ne peuvent passer outre l’aspect religieux et “l’héritage Chrétien” de la construction européenne. Le développement économique qui attire les Turcs devra s’accompagner d’une « occidentalisation » et l’Etat Turc tend à multiplier les réformes afin d’accéder aux critères de Copenhague ; c’est alors que les thèses religieuses et culturelles resurgissent. Or la Turquie offre une image de “bon voisinage” avec son islamisation modérée et serait un tremplin pour le Caucase et l’Asie Centrale.

Les spécialistes de la politique vont montrer qu’en la matière “la question fondamentale demeure celle de la légitimité populaire des choix effectués par les élites”. D’aucuns noteront que “la charge financière de l’adhésion turque pour l’U.E. correspond au montant de l’excédent commercial que cette dernière enregistre dans ses échanges avec la Turquie.”

Et de nombreux turcs sont réticents à l’adhésion de leur pays à l’U.E. de peur de voir leur développement économique ralenti du fait d’une “application intégrale des normes européennes”. Les partisans de l’adhésion arguent que tout élargissement aura un effet stabilisateur sur les frontières européennes. Les politiques inflexibles quant à la non- adhésion de la Turquie (les fédéralistes ainsi que es souverainistes) vont eux démontrer le contraire : cela ne ferait que développer l’extrême- droite.

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Si la Turquie devait adhérer à l’U.E. cela s’avérerait impossible avant 2014, date d’ailleurs jugée politique puisque techniquement cinq années seraient suffisantes.

Les conclusions du Conseil Européen de décembre 2004 axent sur le développement du processus de démocratisation (diminuer l’influence des militaires en politique, lever l’embargo sur tout pavillon chypriote...). Reste encore la solution proposée par certains politiques français et allemands : le statut de partenaire privilégié dû au nombre élevé d’habitants turcs.

Dans ce recueil, la conclusion de Constantin STEPHANOU est la suivante : ““Le plus grand défi sera (…) de convaincre les opinions publiques, car celles-ci

n’ont pas été préparées à la perspective d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne”.

Vers l’autonomie des capacités militaires de l’Union européenne

Edouard PFLIMLIN

Collection Fondation Robert Schuman, 2006, 10 euros

Jean-Michel FLOC’HLAY1

Alors que la création d'une Défense européenne est un des souhaits des citoyens de l'Union le plus souvent relevés dans les sondages, l'ouvrage d'Edouard Pflimlin intitulé "Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne" et publié par la Fondation Robert Schuman, permet de faire le point sur l'avancée de ce concept qui a mis du temps à se concrétiser après l'échec, en 1954, de la Communauté européenne de défense (CED). Si depuis 1998, la Défense européenne connaît une nouvelle impulsion, Edouard Pflimlin ne manque pas de mettre en évidence les lacunes qui freinent encore sa progression.

Une défense européenne difficile à mettre en placeL’idée d’une défense européenne remonte aux premiers traités défensifs en

Europe de l’Ouest au lendemain de la seconde guerre mondiale. La guerre de Corée et la nécessité du réarmement allemand face à la grandissante menace soviétique conduisirent à l’idée d’une Communauté européenne de défense, organisée sur des bases supranationales. Cependant la France rejeta la CED en 1954 au profit de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), instrument d’un pacte

1 Président de Fenêtre sur l’Europe.http://www.fenetreeurope.com

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défensif entre Européens. Mais l’OTAN, instituée en 1951, disposait des moyens militaires, aussi l’UEO n’eut qu’un rôle très secondaire sur les questions de défense européenne.

C’est seulement dans les années 1980 que resurgit l’idée d’une défense européenne. Au début des années 1990, le traité de Maastricht, instituant l’UE, envisagea une politique de défense commune pouvant conduire à terme à une défense commune. Des forces militaires furent alors mises à la disposition de l’UEO, « bras armé » de l’UE. Mais l’UEO n’eut qu’un rôle très limité lors des grandes crises internationales, notamment en Yougoslavie. Cette faiblesse de l’UE et de l’UEO conduisit deux Etats, la France et la Grande-Bretagne, à penser qu’il fallait relancer l’idée de moyens conséquents au service de l’action en matière de défense de l’UE.

Le tournant de Saint-MaloAu sommet de Saint-Malo de 1998, ils décidèrent que l’UE devait disposer d’une

capacité autonome d’action en matière de défense. Cette idée eut l’assentiment des autres membres de l’UE et au Conseil européen d’Helsinki en 1999 l’objectif fut fixé d’avoir d’ici 2003 une force d’intervention de 60 000 hommes pour remplir les missions dites de « Petersberg ». L’opérationnalité de cette nouvelle politique européenne de sécurité et de défense fut reconnue en 2003 et des opérations militaires de l’UE furent menées cette même année.

Des lacunes persistantes.Cependant de nombreuses lacunes obèrent encore l’action de l’UE dans un

environnement international en pleine mutation. En effet, l’UE doit faire face à de nouvelles menaces, qui vont de la prolifération des armes de destruction massive à la déliquescence des Etats, trouble à la stabilité régionale, identifiées dans une stratégie européenne de sécurité adoptée par l’UE en décembre 2003. Ces menaces nécessitent des actions préventives, en tout cas à l’extérieur des limites de l’UE.

Mais cette dernière connaît des lacunes stratégiques, en particulier en termes de disponibilité et de déployabilité des forces réduites, au regard des effectifs militaires importants dont disposent les Etats, mais aussi de mobilité des forces, limites qui rendent difficiles des opérations d’envergure où l’OTAN reste incontournable. La raison est largement imputable à la faiblesse relative des budgets de défense des pays de l’UE qui dépensent deux fois moins que le grand frère américain. Cependant l’UE continue d’évoluer consciente de ses lacunes et des nouvelles menaces.

Elle a identifié de nouveaux objectifs pour 2010. Il s’agit de développer un embryon de quartier général européen qui donnera une plus grande liberté stratégique à l’UE, mais aussi une agence européenne de défense, instituée en 2004, qui doit notamment promouvoir la coopération en matière de programmes d’armement. Par ailleurs, face aux nouvelles menaces, l’objectif est de développer des capacités d’intervention très rapides en mettant en place des groupements tactiques de 1500 hommes très réactifs. Ces évolutions nécessitent cependant la poursuite du plan de comblement de lacunes capacitaires, adopté en 2001 à

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Laeken. Enfin, l’UE monte en puissance en matière opérationnelle en prenant notamment le relais de l’OTAN en Bosnie fin 2004.

Mais un effort nouveau doit être réalisé sur le plan budgétaire pour développer les capacités de défense. Cependant dans un contexte de restriction budgétaire dans de nombreux pays, il est également nécessaire de mieux utiliser les moyens disponibles. L’offre et la demande d’armements doivent aussi être aussi rationalisées pour développer des synergies entre les pays européens et réaliser des économies d’échelle

A l’issue de ces nouvelles évolutions, l’UE aura fait un nouveau pas vers l’autonomie en matière de défense, même si l’OTAN continue de jouer un rôle clé pour des opérations importantes. C’est aux décideurs politiques de faire preuve d’audace pour atteindre une autonomie plus complète. Ils peuvent s’appuyer sur une opinion européenne sensible à l’idée de défense européenne.

Pour une force européenne de protection civile : europe aid

Rapport de Michel Barnier

Mai 2006

Jean THYRARD1

« L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes – créant d’abord une solidarité de fait. » Robert Schuman, 9 mai 1950.

Le 26 décembre 2004, au large de l’île indonésienne de Sumatra, un séisme de magnitude 9,0 sur l’échelle ouverte de Richter déclenche un des tremblements les plus violents jamais enregistrés dans le monde et provoque un raz-de-marée qui frappe l'Indonésie, les côtes du Sri Lanka et du sud de l'Inde, le sud de la Thaïlande et l'île de Phuket. Six mois plus tard, le bilan officiel fait état de plus de deux cent mille morts et disparus.

C’est dans ce contexte que le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso et le Président du Conseil de l’Union européenne, Wolfgang Schüssel, demandent à Michel Barnier d’établir un rapport sur la réponse de l’Union européenne aux grandes crises transnationales. Ce rapport est rendu au conseil en mai 2006.1 ITAVITA-CI2Swww.itavita.com

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En une soixantaine de pages, annexes et cartes comprises, le rapport de Michel Barnier s’articule en deux grandes parties. La première décrit les douze propositions (Cf. encart) pour améliorer la réponse de l’Union européenne aux crises et leur calendrier de mise en œuvre, la seconde est un rapport technique sur l’état des lieux et l’analyse des besoins futurs.

Dans son introduction, Michel Barnier part de deux postulats :- ponctuellement, en matière de gestion de crise, l’addition des réponses

individuelles organisées dans l’urgence n’est pas équivalente à une réponse européenne (collective),

- plus généralement, la protection des institutions démocratiques et la population civile (attaque terroriste, prolifération, conflits régionaux, catastrophe naturelle, risques écologiques, etc.) incite les États membres à la volonté d’agir ensemble au plus tôt.

Cette introduction est un plaidoyer pour le Traité établissant une Constitution pour l’Europe qui, insiste Michel Barnier, apporte des innovations en ce domaine (- ministre européen des Affaires étrangères, - clause de solidarité, - politique européenne pour la prévention des catastrophes naturelles, - action de l’Union pour l’aide humanitaire, 5 - politique de santé publique et - coopérations renforcées).

Certes, insiste Michel Barnier, l’Europe ne part pas de zéro. Depuis la création de l’Office d’aide humanitaire (ECHO) en 1992, la Commission est déjà très active, par exemple dans le cadre du Good Humanitarian Donorship Initiative, mais force est de constater qu’aujourd’hui la solidarité ne s’exprime qu’au cas par cas et si l’Europe cherche à consolider et à accompagner dans le temps sa réponse à l’urgence, il paraissait nécessaire de répondre aux préoccupations suivantes :

- améliorer l’efficacité de l’aide humanitaire et de la protection civile,- mieux protéger et assister les citoyens européens,- renforcer la cohésion d’ensemble.

Sans vouloir remettre en cause l’ordre dans lequel Michel Barnier présente son rapport, vous me permettrez ici d’évoquer d’abord la seconde partie (état des lieux et analyse des besoins futurs) avant d’aborder les propositions qui sont faites (dans la prochaine lettre) 1.

Depuis 1992 (création de ECHO), l’Union européenne a apporté une aide humanitaire dans environ 85 pays dans le monde. 17% de son budget sont consacrés aux désastres naturels (inondations, sécheresse, tremblements de terre, épidémies). Elle intervient également dans le cadre de crises humanitaires complexes, dans l’urgence ou dans la durée par une présence dans des crises oubliées par les médias et la Communauté internationale. Elle intervient enfin dans certains conflits. En effet, 249 conflits ont été recensés dans le monde en 2005, parmi lesquels quatorze d’une rare violence en Afrique, au Moyen-Orient et en

1 Il est à noter que le rapport demandé porte sur les crises importantes en dehors de l’Union européenne.ECHO : Direction générale de l’aide humanitaire de la Commission européenne.GMES : Global Monitoring for Environment and Security.GDACS : Global Disaster Alert and Coordination System.

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Asie, régions, comme le précise l’auteur, avec lesquelles l’Union européenne entretient des relations politiques et économiques importantes. Aujourd’hui, l’Europe dispose de moyens permettant d’anticiper les réponses aux crises, de répondre dans l’urgence et de préparer l’action à long terme.

- Anticiper la réponse à la crise, c’est surveiller l’environnement.La mise en œuvre du système GMES opéré par l’Agence Spatiale Européenne

permettra à horizon 2008 de fournir les services de surveillance des terres, des espaces maritimes et d’intervention d’urgence.

- Anticiper la réponse à la crise, c’est prévenir les catastrophes naturelles.

L’union européenne participe à cette prévention à travers le système mondial d’alerte et de coordination en cas de catastrophe (GDACS), le programme de réponse aux désastres naturels d’ECHO (DIPECHO) et le Mécanisme Communautaire de Protection Civile qui permet de préparer les réponses éventuelles aux désastres, dont le cœur est le Centre de Suivi et d’information (MIC). A noter également la mise en œuvre d’un système commun d’information et de communication d’urgence (CECIS) qui assure un partage de l’information entre les points de contact nationaux et le MIC.

- Anticiper la réponse à la crise, c’est préparer une crise de santé publique.Il s’agit pour l’Union européenne d’avoir une vue d’ensemble des phénomènes

de pandémies et d’épidémies et de fournir des informations et des données. C’est le rôle dévolu au Centre opérationnel de gestion des crises sanitaires (HEOF) qui, en 2006, a bénéficié d’un budget spécifique pour étendre le périmètre de sa mission.

- Anticiper la réponse à la crise, c’est prévenir les conflits en prenant par exemple toutes les mesures pour empêcher l’utilisation de ressources naturelles pour financer des conflits. Dans ce cadre, il convient pour l’Union européenne de relever sa contribution au Processus de Kimberley, initiative multilatérale de lutte contre les diamants des conflits.

- Répondre dans l’urgence, c’est alléger la souffrance humaine.L’urgence (aide alimentaire, accès à l’eau, fourniture d’hôpitaux, de tentes pour

les réfugiés, mise à disposition de médecins) n’est pas restreinte aux catastrophes naturelles, celles-ci pouvant survenir dans un contexte de crise prolongée.

Cette mission de réponse dans l’urgence est confiée tout d’abord à ECHO qui, d’après le rapport, a mis en place des mécanismes de réponse aux désastres qui ont fait leur preuve dans de nombreuses occasions (l’Iran en décembre 2003, le Maroc en février 2004, l’Algérie en mai 2004, le Pakistan en octobre 2005).

La réponse dans l’urgence est aussi l’affaire du Mécanisme Communautaire de Protection Civile (établi en 2001), mécanisme « simple dans son fonctionnement » qui permet de mettre en commun les ressources et les moyens disponibles des États membres dans le cas de désastres majeurs. Ce fut notamment le cas lorsque, le 29 août 2005, l’ouragan Katrina a touché la Louisiane provoquant d’importants dommages à travers La Nouvelle Orléans et quelques milliers de sans abris.

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- Les instruments de l’Union européenne sont également conçus pour préparer l’action à long terme. Il s’agit ici de ce que Michel Barnier appelle la réponse de « consolidation » qui permet de renforcer la phase d’urgence « tant sur le plan économique que politique afin de préparer la reconstruction ».

Dans cette perspective, le Mécanisme de Réaction Rapide, créé en 2001, a permis de répondre rapidement aux besoins de pays traversant une grande instabilité politique ou souffrant des effets d’un désastres. Ce mécanisme est mis en œuvre lorsque la réponse à la crise comporte un objectif de politique étrangère et que l’Union européenne apporte une réponse dans le cas de la PESD civile (mission de police de l’UE en Bosnie en janvier 2003, par exemple).

La Facilité de Paix pour l’Afrique, établie en mai 2004, représente quant à elle un des instruments les plus innovants de l’Union européenne pour l’action extérieure. Créée à la demande de leaders africains, La Facilité de Paix a ainsi soutenu deux opérations en République centrafricaine (FOMUC) et trois opérations successives au Darfour et au Soudan (AMIS).

Le rapport de Michel Barnier relate que « l’action de l’Union européenne à Aceh est un exemple de continuité et de cohérence de l’action de l’Union entre les phases successives d’une crise (urgence, gestion de crise, reconstruction) et qu’elle illustre également le fort potentiel des instruments à disposition de l’Union dans le domaine de la gestion de crise et de résolution des conflits ».Fort de ce constat, Michel Barnier estime qu’à l’avenir il faut mieux évaluer les besoins et s’interroge sur l’amélioration à apporter à la qualité de la réponse de l’Union européenne aux crises et aux besoins nécessaires dans la réponse de la protection civile et la réponse humanitaire.

Pour l’auteur l’amélioration de la qualité de la réponse passe par un travail à l’intérieur de l’Union européenne et si l’analyse méthodologique est en cours, si des réponses concrètes ont déjà été apportées, il semble nécessaire de fournir une évaluation complète des besoins qui, estime t-il, permettrait aux Nations Unies qui coordonnent la réponse humanitaire de connaître précisément les capacités européennes et de ce fait compléter leurs propres capacités. Pour ce qui concerne la réponse de la protection civile, Michel Barnier constate l’absence d’une mutualisation permanente des ressources et propose la mise en place d’unités interopérables, prêtes à se déployer à tout moment, rapidement et en toute autonomie. Bénéficiant d’une formation et d’exercices communs, ces unités constitueraient le noyau de la force européenne de protection civile. Bien sûr en cas d’insuffisance, des unités plus lourdes (avions, hôpitaux, pompes, etc.) seraient mise en œuvre pour renforcer la capacité européenne.

Michel Barnier insiste sur le fait que la constitution de ces premières unités permettrait à l’Union européenne de réagir en tout temps à une demande d’assistante, ce qui, dit-il, ne peut être garanti par les États membres agissant individuellement. Esprit de solidarité, assistance mutuelle, mobilisation, réaction rapide et économie sont les maîtres mots des propositions faites par l’auteur qui considère que dans les scénarios élaborés d’après l’expérience du Mécanisme de Protection Civile (inondations, feux de forêt, tremblements de terre, accidents

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industriels, attaques NRBC, accident de pollution marine) ces équipes auraient une véritable valeur ajoutée.

Fort du constat effectué et des améliorations pressenties, Michel Barnier annonce donc les douze propositions qui doivent améliorer la réponse de l’Union aux crises et que j’exposerai dans la prochaine lettre en demandant, si possible, l’avis de premiers lecteurs « autorisés ».Les douze propositions pour améliorer la réponse de l’Union aux crises :

1 Une force européenne de protection civile : « europe aid »,2 L’appui de cette force sur les sept régions ultrapériphériques de l’Union

européenne,3 La création d’un Conseil de Sécurité Civile et un renforcement du rôle du

Conseil Affaires Générales et Relations Extérieures,4 Un « guichet unique » de la réponse humanitaire,5 Une « approche européenne intégrée » pour anticiper les crises,6 La spécialisation de six délégations régionales de l’Union européenne dans la

gestion des crises,7 Un système d’information clair pour le citoyen européen,8 Une mutualisation des ressources consulaires,9 La création d’équipes consulaires volantes,10 La mise en place de « consulats européens » dans quatre zones

expérimentales,11 L’élaboration d’un code consulaire européen,12 La spécialisation de laboratoires contre le bioterrorisme et pour l’identification

des victimes.

Algérie, Maghreb. Le pari méditerranéen

Abdi NOURREDINE (sous la dir. de)

Éditions Paris-Méditerranée, 2006, 322 pages, 25 euros

Emmanuel DUPUY

2003 marquait l'année de l'Algérie en France. 2005, le dixième anniversaire du Processus euro-méditerranéen dit de Barcelone, tandis que 2006 semblait confirmer un net refroidissement des relations diplomatiques entre Paris et Alger.

C'est un peu de tout cela dont il est question dans cet ouvrage, qui reprend les débats d'un colloque tenu à l'Institut du Monde Arabe, au cours duquel la relation historique, culturelle, économique tout autant que passionnelle unissant les deux rives de la Méditerranée, en particulier dans sa dimension maghrébine, a été

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auscultée. Relation stratégique majeure, que justifie le positionnement recherché par l'Algérie qui ambitionne de se faire reconnaître comme pivot géopolitique de l'aire de la Méditerranée occidentale. Cette spécificité volontairement distinguée de l'approche communément vantée de l'unité du bassin méditerranéen est marquée notamment par une relation Nord-Sud exigeante impliquant ainsi plus spécifiquement les pays de l'Arc latin (Italie, Espagne et France) et les trois Etats du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie).

Méditerranée occidentale qui peine cependant à s'organiser de manière horizontale et dans une démarche multilatérale, compte-tenu de relations de voisinages fluctuantes et pesant, hélas !, durablement sur l'unité pérenne du Sud ; ce qui explique bien des atermoiements à concrétiser l'intégration régionale et transnationale, rendue pourtant nécessaire par une mondialisation déboussolée, prompte à gommer cet « universalité du régional », comme le rappelle l'universitaire Nourredine Abdi qui coordonne cet ouvrage.

L'échec patent de l'Union du Monde Arabe (UMA), pourtant lancée en grande pompe à Marrakech en février 1989 est là pour témoigner des obstacles à créer cet indispensable « marché commun du Levant ». C'est ainsi dans cette démarche résolument volontariste que les auteurs de cet ouvrage se situent, appelant de leurs vœux une prise en compte urgente de la dimension méridionale de la construction européenne, compte tenu de son importance stratégique.

L'actualité des dernières semaines, rend urgent, en effet, une gestion concertée des principaux dossiers qui enveniment durablement la relation euromaghrébine, en premier lieu desquels l'épineux dossier de l'immigration clandestine. Cet ouvrage se veut ainsi un vibrant plaidoyer pour cette relation à mieux équilibrer, qui doit être basée sur la notion de co-développement, gage d'une histoire partagée et assumée de part et d'autre de cette Mare Nostrum vantée par Braudel, qui unit plus qu'elle ne nous divise.

Plus qu'une évocation de cette communauté d'intérêts de part et d'autres des rivages de la mer Méditerranée, il est ici question de la mise en valeur d'une civilisation commune et sa nécessaire assimilation selon que l'on se situe à Alger ou à Paris et à fortiori à Bruxelles. Comme il est rappelé, au fil des pages, à force de ne pas voir les maux qui nous menacent collectivement, la démocratie risque de s'échouer définitivement sur les rives de la Méditerranée qui pourtant l'a vue naître.

Les Révolutions de velours

Viatcheslav AVIOUTSKII

Armand Colin, Paris, 2006, 239 pages, 21,50 euros

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Matthieu ARMET1

Les « révolutions de velours » : des réussites…et des revers plus discrets.Après nous avoir fait découvrir les subtilités de la géopolitique caucasienne, le

géo politologue Viatcheslav AVIOUTKII se penche sur un thème à la teneur stratégique difficilement surestimable : les « révolutions de velours » dans l’espace postsoviétique. L’ambition de l’auteur est salutaire : « l’analyse des épisodes de chacune de ces « révolutions de velours » nous permettra de comprendre les géopolitiques postcommunistes, souvent opaques et inintelligibles pour un observateur occidental. » (P.12)

Les réussites comme les échecs sont ainsi passés en revue. Les « révolutions de velours » ont partie liée avec la quatrième vague de

démocratisation qu’a connu le monde. Cette quatrième vague a démarré en Roumanie (1996) et en Bulgarie (1997), s’est poursuivie en Croatie (2000) et en Serbie (2000). Elle est passée par la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizstan (2005). Elle a aussi marquée le Liban en 2005, entraînant le départ des troupes syriennes.

Viatcheslav AVIOUTSKII étudie ainsi certaines « réussites » célèbres : la « révolution de velours » slovaque qui a mis fin au régime MERCIAR, la chute de S. MILOSEVIC en Serbie, la « révolution de la rose » en Géorgie, la « révolution orange » en Ukraine et la « révolution des tulipes » au Kirghizstan.

L’auteur s’attache ensuite à faire ressortir les « dénominateurs communs » à toutes ces « révolutions ». Il s’agit d’une méthode de combat, la lutte non-violente telle que théorisée par le politologue américain Gene SHARP ; le soutien financier d’ONG le plus souvent américaines (dans l’optique de former les cadres et d’acheter du matériel de propagande) et du Congrès américain ; des mouvements de jeunesse sur lesquels reposent une bonne partie de la réussite des « révolutions de velours » et qui sont en charge de mettre en œuvre cette stratégie non-violente.

La volonté de rejoindre à terme l’Union européenne et de se rapprocher des Etats-Unis anime ces mouvements. Une des grandes forces du livre de M. AVIOUTKII est d’attirer notre attention sur des phénomènes politiques beaucoup moins connus : les révolutions de velours ayant échouées pour une raison ou une autre2.

1 Etudiant Chercheur au CEDS2 Viatcheslav AVIOUTSKII, Géopolitique du Caucase, Armand Colin, 2005Après une première vague s’étendant de 1828 à 1926, une deuxième vague (1943-1962) marquée par la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie, a eu lieu une troisième vague commencée par la « révolution des œillets » au Portugal et se terminant par la fin du régime d’apartheid en 1991 et les dislocations de l’URSS et de la Yougoslavie.L’auteur note fort justement à ce propos que « le financement des « révolutions de velours » de Prague à Bichkek reste une question particulièrement sensible et opaque ». (P.15)66

L’auteur revient notamment sur les « évènements » d’Andijan dans la vallée de la Ferghana en Ouzbékistan. Ceux-ci ont occasionné entre 170 et 1000 morts. Bien loin de constituer une « révolution démocratique » visant à renverser le régime du Président Islam KARIMOV (à l’instar de la « révolution des tulipes » dans le Kirghizstan voisin), comme l’ont affirmé de nombreux observateurs américains et européens, le mouvement semble avoir été impulsé par une secte islamiste violente, « Akromaïa ». Les évènements d’Andijan s’insèrent donc dans la lutte menée par un Islam combattant contre le régime d’Islam KARIMOV et contre le gouvernement du Tadjikistan voisin.

Les échecs de véritables « révolutions de velours » dans certains pays de l’espace postsoviétique sont aussi analysés. A chaque fois, le constat est le même. On remarque une opposition fragmentée et désorganisée, des médias indépendants quasi-inexistants et un désintérêt pour un changement de régime de la part de la Russie et parfois des Etats-Unis.

La Biélorussie, « la dernière dictature en Europe » selon le Président G.W.BUSH, a été clairement désignée comme le prochain pays à « démocratiser ». Ce pays est dirigé d’une « main de fer » depuis 1994 par l’ancien président de sovkhoze, soutenu par la Russie, Alexandre LOUKACHENKO. La population du pays, « protégée » des conséquences les plus fâcheuses de l’effondrement de l’URSS, semble en définitive s’accommoder du régime actuel.

En Azerbaïdjan, l’opposition peine à renverser le régime de la famille ALIEV au pouvoir depuis 1993 (le fils a succédé au père à sa mort en 2003). Le pouvoir bénéficie de la situation tendue liée à la guerre au Nagorny Karabakh et du soutien des Américains et des Russes. Il en est de même dans l’Arménie voisine du président Robert KOT-CHARIAN.

Le Turkménistan est dirigé depuis 1985 par Saparmourad NIIAZOV. Celui-ci, adepte du culte de la personnalité, pourrait constitutionnellement être président à vie. Pour le moment, ni la Russie ni les Etats-Unis ne désirent la fin du régime. Au Tadjikistan, pays meurtri par une guerre civile (1992-1996), le Président au pouvoir depuis 1992, prétextant de lutter contre l’islamisme, a fortement réduit la liberté de parole.

Le Président du Kazakhstan dirige le pays depuis 1990. De façon originale, c’est ici la forte croissance économique que connaît le pays qui empêche la population de se révolter. Le Président bénéficie par ailleurs du soutien de la Russie.

La Moldavie a elle aussi peu de chance de connaître pour le moment une « révolution de velours ». Le Président de ce pays très pauvre, le leader du parti communiste Vladimir VORONINE, au pouvoir depuis 1993 a en effet effectué un virage pro-occidental « salutaire » en 2003.

Un transfert d’expérience a lieu entre mouvements de nationalités différentes sous forme de séminaires de formation ou/et de conseils sur « le terrain ». Une « Internationale de velours » reliant tous ces mouvements semble en passe de se constituer.

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La Russie. Si au niveau national (fédéral), la Russie semble peu concernée dans l’immédiat par une éventuelle « révolution de velours », certains évènements ayant eu lieu au niveau régional, au Bachkortostan, en Karatchaevo-Tcherkessie et en Ingouchie tendent à s’inscrire dans la quatrième vague démocratique. Située au sud de l’Oural en Russie, le Bachkortostan est une mosaïque ethnique dont la situation politique est « verrouillée » depuis 1990 par Mourtaza RAKHIMOV. Celui-ci semble se maintenir au pouvoir grâce au Kremlin qui ne souhaite pas la réussite d’une opposition « ethnique » (tatare).

L’opposition menace d’organiser une « révolution selon le scénario Kirghize » et de s’emparer du palais présidentiel. En face, M. RAKHIMOV et le Kremlin prétendent être en train de repousser pour la première fois la « révolution orange » visant à « [déstabiliser] la situation dans toute la Russie » ourdie par l’Occident et les oligarques pro-occidentaux.

En Karatchaevo-Tcherkessie, située dans le Nord-Caucase, d’importantes manifestations de protestation ont eu lieu en novembre 2005 suite à l’exécution de sept hommes d’affaires dans la maison de campagne et sur ordre du gendre du président. L’administration de la République a été prise d’assaut, contraignant le Président Moustafa BATDYEV à la fuite, laissant le pouvoir vacant pendant 24 heures. Cette crise a-t-elle été préparée par des forces extérieures ou par un rival du Président BATDYEV ?

En Ingouchie, une autre république nord caucasienne, l’opposition a essayé, en avril 2005, de renverser le président Mourat ZIA-ZIKOV en utilisant des méthodes « orange ». Cet ancien général du KGB soutenu par Moscou est toujours au pouvoir.

En conclusion, l’auteur soulève deux points d’une importance capitale pour l’avenir de l’Europe :

1)- Il se demande d’abord si le réveil du sentiment national dans ces pays ex-soviétiques ne va pas déboucher sur des nationalismes agressifs1.

2)- Il enjoint, par ailleurs, aux Européens de définir la démocratisation de l’Europe de l’Est comme un objectif majeur et en ce sens de travailler en coopération avec le soft power américain comme l’ont fait les Polonais et les Lituaniens lors de la gestion de la crise ukrainienne. L’auteur nous met en garde : « Sans cela, l’émergence de l’Union européenne en tant qu’acteur crédible sur la scène internationale restera compromise, voire impossible. En renonçant à jouer un rôle actif dans la démocratisation, y compris dans la vague de « révolutions de velours », l’Europe risque de sortir de l’Histoire […] ». (P.227)

En somme, on retiendra de ce travail très intéressant une première vue d’ensemble approfondie sur un phénomène qui a et aura des répercussions

1 Une démocratisation qui irait de paire avec un affaiblissement de l’influence de la Russie dans les Pays d’Europe de l’Est.Pierre BIARNES, Pour l’empire du monde : les Américains aux frontières de la Russie et de la Chine, Ellipses, 2003Zbigniew BRZEZINSKI, Le Grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde, Bayard, 1997Robert KAGAN, « Embraceable E.U. », Washington Post, 5 décembre 2004.68

majeures sur l’avenir de l’Europe. L’auteur fait œuvre d’une pédagogie salutaire. L’observateur d’Europe occidentale, qui bien souvent n’a qu’une vision parcellaire de l’évolution des pays de « l’Est », aura donc tout intérêt à se plonger dans la lecture de cet ouvrage.

Se détournant de certains écueils et de la facilité telle que la narration purement factuelle ou la « théorie du complot », Viatcheslav AVIOUSKII est parvenu à nous livrer un tableau raisonné d’un monde en mouvement. Peut-être pourra-t-on compléter cette approche par la « Paix démocratique » en la reliant à une analyse plus « réaliste » laissant plus de place aux intérêts froids des puissances à un niveau plus global comme le fait Pierre BIARNES. Le « jeu » entre les Etats-Unis et une Russie qu’ils refoulent et une Chine qu’ils endiguent est en effet fondamental pour comprendre une bonne part de l’actualité géopolitique et notamment les « révolutions de velours ». Par exemple, le stratège américain et ancien conseiller du président CARTER, Zbigniew BRZEZINSKI, ne propose-t-il pas d’instrumenter la démocratie pour pérenniser l’hégémonie américaine ?

L’auteur ne minore pas le rôle joué par l’Europe dans les différentes crises comme l’ont fait de nombreux commentateurs. Toutefois, on ne peut s’empêcher de rapprocher son appel à l’Europe en vue de la démocratisation de l’Europe de l’Est de l’« Union européenne profitable » chère à l’éditorialiste néoconservateur américain Robert KAGAN. Ce dernier prescrivait lui aussi aux Européens d’utiliser leur soft power afin de démocratiser les pays voisins (avec une visée impériale américaine bien comprise).

Il nous faut méditer sur ce point. Cela étant dit, il est néanmoins évident que les Européens ont le devoir de s’impliquer. Nous ne pouvons pas laisser l’espace postsoviétique dans cet état.

La raison des nationsRéflexions sur la démocratie en Europe

Pierre MANENT

Gallimard, Paris, 2006, 11 euros

Jérôme BALOGE1

« Faire l’Europe », c’est d’abord la défaire. Si l’apogée du continent a aussi été le moment de sa diversification politique, la nouvelle Europe issue du traumatisme

1 Président de Jeune Francophoniewww.francophonie-presidentielles2007.fr

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d’une guerre de trente ans (1914-1945) se singularise par la recherche d’une plus grande convergence. Récemment encore le ministre des Affaires européennes, Catherine Colonna, regrettait le manque d’intégration et d’harmonisation au sein de l’Union européenne consécutif au « non » français du 29 mai 2005.

Pierre Manent, dans un court mais riche essai, revient sur ce paradoxe européen et l’éclaire en prolongeant le questionnement tocquevillien sur l’évolution de la démocratie vers une égalité toujours plus grande des conditions. Mais cette « démocratie » peut-elle évoluer hors du cadre national sans attenter un jour à la liberté de chacun ?

Alors que l’Etat-nation a été la forme accomplie de la constitution de l’Europe, que la nation démocratique a été « la médiation des médiations » liant la communion au consentement des populations, l’auteur pointe une dérive de l’idée démocratique en Europe emportée par sa « passion de la ressemblance ». Pour en rendre compte, Manent prend soin de distinguer deux versions de ce qu’il désigne comme deux « empires démocratiques ».

De part et d’autre de l’Atlantique, la démocratie est subjuguée par un nouvel universalisme dont l’ambition est de régler la question de l’ordre humain et de procéder à l’unification de l’humanité ici et maintenant. Quand la version américaine s’accommode du maintien des nations autour d’une nation centrale, la version européenne consacre « une démocratie sans peuple, c’est-à-dire une gouvernance démocratique très respectueuse des droits de l’homme mais détachée de toute délibération collective ». Une telle démocratie est non nationale, débarrassée de toute dimension temporelle qui donne un sens à la vie collective.

Si la construction européenne a été dans un premier temps, la réponse des vieilles nations démocratiques au risque de la guerre et du déclin, elle a depuis sensiblement changé de nature. Maastricht et la création de l’Union européenne sont ainsi une étape marquante : « l’instrument se détacha des corps politiques nationaux. L’artifice pris une vie propre. « L’Europe » cristallisa en une Idée dotée d’une légitimité supérieure à toute autre ». « L’Europe » se retourne alors contre elle-même. Elle donne forme à une nouvelle aspiration « démocratique » qui porte ses charges contre l’Etat, dénoncé comme ultime obstacle à l’empire du semblable, parce qu’éminent, parce qu’institution, parce qu’historique.

La démocratie est appelée à sortir du « paganisme national », à s’étendre sans fin dans l’ignorance de l’identité de l’Europe et de ses limites, à construire toujours plus haut cette nouvelle Europe : mais par quelle communion, quel consentement, quelle légitimité à tout cela ? Devenu destituant, le mouvement « démocratique » n’est pour autant jamais parvenu à être constituant. Le peut-il ainsi défait de ce qui lui donnait corps ?

Cette transformation « impériale » du cadre démocratique affecte les deux modèles mais des deux, le plus malade est-il celui le plus souvent soumis à la vindicte parce que recourant à des actes de pleine souveraineté et n’ayant pas renoncé à la puissance ? Manent ne traite pas cette question mais sa lecture la suscite. Les maux dont souffrent l’Europe apparaissent plus profonds : « En

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dépouillant la nation de sa légitimité, le mouvement démocratique ramène au jour les communions d’avant la démocratie. Comment pourrons-nous vivre sans cette médiation ? », s’interroge-t-il.

A la différence de l’Europe, les Etats-Unis considèrent toujours l’Etat-nation comme une institution indispensable ; la menace terroriste n’a pu que renforcer cette disposition. Le 11 septembre 2001 apparaît en effet comme un événement déterminant, moins par la dimension de l’acte terroriste que par la révélation qu’il contenait : « l’humanité présente est marquée par1 des séparations bien plus profondes, bien plus intraitables que nous le pensions ». Une réalité politique face à laquelle l’Europe a choisi d’être aveugle. Pour combien de temps encore ?

Dans la perspective dégagée par Manent, le non français gagne une intelligence que peu ont encore voulu lui reconnaître. Sonne-t-il pour autant le réveil de l’Europe ? Annonce-t-il le retour de l’Etat contre l’Empire ? Per-met-il de reconnaître l’impossible unification de l’humanité ? Qui peut encore le dire ? Pourtant « cette heureuse impuissance est la condition de la liberté et de la diversité humaine » convient Pierre Manent : « la cité et l’Etat-nation sont les deux seules formes politiques qui ont été capables de réaliser, du moins dans leur phase démocratique, l’union intime de la civilisation et de la liberté. Il y eut de grands empires civilisés : même dans leurs jours les plus doux, ils ignorèrent la liberté. »

L'Iran et le nucléaire, les tourments perses

François GERE

Editions Lignes de repères, 2006, 172 pages, 16 euros

Emmanuel DUPUY

Au moment où l'on se perd en conjectures sur l'issue du différend opposant l'Iran à la Communauté internationale au sujet de la reprise en 2002, de son programme d'enrichissement d'uranium, l'ouvrage de François Géré, Président de l'Institut Français d'Analyse Stratégique (IFAS) vient clarifier la question. Débat stratégique s'il en est, eu égard à la menace sérieuse sur la sécurité internationale que les positions arrêtées des uns et des autres laissent planer.

Qu'en est-il, en effet, de cette crise annoncée et pourtant redoutée par tous les protagonistes ? Quels sont les fondements stratégiques qui peuvent l'expliquer et

1 « Catherine Colonna s’alarme des dérives de l’Union européenne », Henri de Bresson, Le Monde, 29 août 2006.

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surtout quelles seraient les pistes à explorer afin que la négociation et la diplomatie l'emportent sur le jusqu'au-boutisme va-t-en guerre des Faucons campés dans chaque camp ?

Comme l'auteur en avertit son lecteur, ce livre s'adresse à l'idéal de tous ceux qui privilégie « la résolution des affrontements par l'explication fondée et la communication maintenue entre adversaires, qui se sont placés en situation de rupture de sens ». L'auteur revient à ce propos avec justesse sur l'histoire du programme nucléaire iranien, en gestation depuis les années du Shah, qui s'explique aussi par les ambitions clairement affichées par Téhéran en tant que puissance régionale.

Cette analyse géopolitique, nourrie d'entretiens au plus niveau du pouvoir et fort d'une connaissance in situ, offre ainsi une grille de lecture plus conforme aux composantes réelles et complexes de la société iranienne.

Comprendre les « tourments » sociétaux, économiques, institutionnels et politiques sur lesquels se base une incompréhension notoire vis-à-vis de l'Iran d'aujourd'hui n'est pas le moindre des mérites du patient travail mené par François Géré au cours des derniers mois et qui ont donné naissance à cet ouvrage.

Ce dernier illumine d'un regard objectif une crise dont le dénouement révélera aussi une nouvelle ère des relations internationales, marquée par la remise en cause d'un ordre mondial, dans lequel la crédibilité des organisations internationales est en jeu et par laquelle une certaine forme de Realpolitik regagnera peut-être ses lettres de noblesse.

A force de schématiser ce débat - sans doute par commodité intellectuelle - et que d'aucuns voudraient manichéen, l'on en viendrait presque à oublier la phrase, pourtant si juste de Palmerston, qui vient nous rappeler que les « Nations n'ont pas d'amis, elles n'ont que des intérêts ».

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Diner-débat JEP- IPSE15 mars 2006

Le partenariat euro-méditerranéen :Ambitions, perspectives et réalités 10 ans après Barcelone

Philippe BERREEEmmanuel DUPUY

Dîner-débat organisé par les Jeunes – Européens Professionnels le mercredi 15 mars 2006.Avec Philippe BERREE, Membre des Jeunes européens – Professionnels (JEP http://www.jeunes-européens-pro.org/) et Emmanuel DUPUY, Secrétaire général de l’IPSE.

Malika KACIMResponsable du Groupe Euro-Reflex

www.euro-reflex.com

Les trois objectifs affichés du Processus de Barcelone en 1995 étaient :

- la poursuite de la paix dans un esprit de dialogue politique et un environnement sécurisé ;

- le développement économique dans une zone de prospérité partagée ;

- l’instauration d’un véritable partenariat social, culturel et humain.

L’enjeu actuel est que la politique extérieure de l’Union européenne (UE) opère un rééquilibrage vers la Méditerranée par rapport aux pays de l’Est qui ont bénéficié de la plus grande partie des aides financières avant l’adhésion d’une majorité d’entre eux en 2004.

Les Etats concernés par le Partenariat euro méditerranéen sont au nombre de 10 : Algérie, Autorité palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie,

Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie, cette dernière bénéficiant d’une union douanière avec l’UE ; Chypre et Malte qui en faisaient partie ont depuis 2004 adhéré à l’UE. A noter enfin que la Libye a un statut d’observateur depuis 1999 et que la Mauritanie s’est portée candidate.

Les instruments mis en place dans le cadre du Partenariat consistent en :

- des accords d’association dont l’objet est d’homogénéiser les législations dans les domaines des règles de concurrence, des mouvements de capitaux et de renforcer la coopération économique, d’améliorer les chiffres du déficit public, de la dette extérieure et des taux d’inflation des pays méditerranéens ; le dernier entré en vigueur en octobre 2005 étant ce lui avec l’Algérie. Ces accords sont suivis de plans d’action contenant un calendrier de réformes à court, moyen

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et long terme, et des indicateurs de résultats, signés pour 5 Etats à l’heure actuelle ;

- des accords de libre échange bilatéraux, avec l’objectif de créer une zone de libre échange à l’horizon 2010 ;

- une assistance financière par l’intermédiaire d’une part, du programme MEDA (3,4 Mds € de 1995 à 1999 et 5,3 Mds € de 2000 à 2006), et d’autre part, des prêts de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) (2,3 Mds € de 1997 à 2000 et 6,4 Mds € de 2000 à 2006). La politique de prêts suit 3 axes : le développement du secteur privé et le renforcement sur secteur financier local, la création d’infrastructures de base et le soutien de projets de dimension régionale.

A noter que la Facilité euro méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP) créée en 2002 vise également à encourager l’investissement en faveur du secteur privé qui souffre de moyens financiers publics limités.

Un bilan mitigé de la décennie :

Concernant le premier chapitre, on peut se féliciter de l’organisation de réunions régulières et de séminaires diplomatiques dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que de la création d’une Assemblée parlementaire euro méditerranéenne en 2003.

Le problème majeur demeure la difficulté à réunir le consensus autour de la notion de terrorisme, particulièrement dans le contexte du processus de paix au Proche Orient qui exprime la faiblesse de l’Union européenne en tant qu’acteur diplomatique à l’échelle mondiale. A noter néanmoins la création

d’un Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT) basé à Alger.

Concernant le deuxième chapitre, même si les dix ans du Processus de Barcelone ont permis à l’UE de devenir le premier donateur, le premier investisseur au niveau des IDE (36%) et le premier partenaire commercial, même si les exportations des pays du Sud vers l’UE ont progressé moins vite que vers le reste du monde, on peut néanmoins affirmer que le volet économique pêche par ambition.

Sur la période 1995-2000 : Quatre pays ont signés un accord de libre échange : la Palestine, le Maroc, et Israël. Malgré une aide financière non négligeable on peut regretter un taux de décaissement très faible (29%) essentiellement du fait de la lenteur des procédures, de l’absence de dynamisme des marchés régionaux sud-sud, de la difficulté de mise en place des investissements directs à l’étranger (IDE). Le programme de réforme structurel que l’on tente de mettre en place demeure insuffisant à dynamiser les investissements.

Sur la période 2000-2005 : Trois nouveaux accords d’association avec : la Jordanie, l’Egypte et l’Algérie. Egalement signature d’accords de libre échange avec le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie qui auraient dû entrer en vigueur en 2005 mais qui subissent un certain retard. On note une meilleure intégration des pays du sud.

La BEI constitue le véritable fer de lance du renouveau du Partenariat Euro méditerranéen en ayant alloué 13 Mds € sur la période 1995-2005, elle surpasse le programme MEDA. En outre, un accord a été signé avec la Banque Mondiale.

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Concernant le troisième chapitre, il est difficile de mesurer ou quantifier les résultats quant au partenariat humain, l’objectif encore une fois répété lors du Congrès d’Alger sur le dialogue Sud-Nord de la Méditerranée de mars 2006, est de rompre avec les aprioris et les préjugés mutuels entre le nord et le sud ce que tend à faire la Fondation Anna Lindh créée en 2005. Il existe néanmoins des instruments spécifiques tels Euromed Heritage qui participe à la préservation et au développement du patrimoine culturel, Euromed Jeunesse dont l’objet est l’établissement d’une plate-forme d’associations jeunesse et Euromed audiovisuel qui promeut la coopération dans le secteur audiovisuel.

Il n’en demeure pas moins que ce troisième volet demeure le maillon faible du Partenariat particulièrement depuis la mise en place en 2004 de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) qui tend à annuler la spécificité du Partenariat euro méditerranéen avec les 2/3 du volet financier consacrés au développement de projets structurels en Méditerranée.

Les causes d’un « quasi échec » :

Le Processus de Barcelone a souffert au tout premier plan d’un manque de volonté d’engagement de chacun des partenaires qu’ils soient du Nord ou du Sud, même si le Nord a tenu son rôle au plan financier, certains déplorent la faiblesse des investissements par rapport aux pays de l’Est.

De même, la multiplication des initiatives en Méditerranée, tel le Dialogue 5+5 crée en 1990, réunissant 5 pays du Nord (Espagne, France, Italie, Malte, Portugal) et 5 pays du Sud (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie,

Tunisie) qui constitue une enceinte informelle de dialogue, et le Forum méditerranéen crée en 1994 qui constitue un laboratoire d’idées également informel, empêche une réelle visibilité à ces espaces de dialogue.

Au plan fonctionnel ensuite, le défaut de hiérarchisation des trois objectifs définis, le manque de préparation des programmes de mise en œuvre et l’absence de mécanismes de suivi et d’évaluation.

Sur le premier volet et l’objectif de paix dans la région, on a pu déplorer une instrumentalisation économique et politique du problème avec pour objectifs principaux, la lutte contre le terrorisme et la coordination des pays du Nord et du Sud sur les problèmes d’immigration. Concernant précisément la question du conflit israélo-palestinien, à noter que le Processus de Barcelone a été mis en œuvre un mois après la signature des Accords d’Oslo II, une multiplication des processus qui a pu causer des difficultés supplémentaires pour le règlement de la question et a poussé à une forme de privatisation de la concertation et du dialogue par le Pacte de Genève ou encore le Groupe d’Aix constitué d’universitaires.

Les enjeux à venir :

Au plan économique, entre 1995 à 2005 le PIB dans les pays du Sud a stagné ce qui impose la nécessité d’avoir une croissance de 7% jusqu’en 2015 pour pouvoir espérer atteindre un niveau conforme aux exigences du marché mondial.

L’un des problèmes majeurs est le chômage (13% en 2000 et 19% prévus en 2015), la création de 35 millions d’emplois d’ici 2015 constitue un enjeu considérable. La lutte contre une

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économie informelle développée et une évasion fiscale grandissante doit devenir une priorité pour les Etats du Sud. Les pays méditerranéens souffrent d’un secteur bancaire public improductif, et d’un environnement institutionnel et juridique pas assez sécurisé pour encourager les investissements étrangers.

Au plan politique, les litiges frontaliers entre Etats méditerranéens (Algérie-Maroc, Tunisie-Lybie, Grèce-Turquie) doivent impérativement être résolus pour pouvoir atteindre l’objectif de paix auquel on aspire. On constate également une certaine islamisation de la politique (élection des

Frères Musulmans en Egypte, du Hezbollah au Liban, du Hamas en Palestine, ainsi que la Réconciliation nationale en Algérie qui efface les crimes perpétrés pendant les dix années de terrorisme dont ont souffert les Algériens). Ceci peut constituer un problème majeur dans les relations diplomatiques entre le Nord et le Sud.

Au niveau de l’UE les problèmes existent également, il est fondamental que les pays de l’Est nouvellement membres se joignent aux ambitions communes pour la Méditerranée.

Au plan démographique et social, dans les pays du Sud de la Méditerranée, 1/3 de la population a moins de 15 ans, une véritable pépinière d’investissement, au plan éducatif particulièrement, qui constitue un formidable avantage par rapport à une UE de plus en plus vieillissante. Un risque de pression migratoire venant du Sahel est évident, on le constate déjà aux frontières entre l’Espagne et le Maroc avec les conséquences dramatiques au plan humain que cela implique.

Les pistes de réflexion et d’action :

Au plan économique, une lacune importante réside dans le fait que les investissements européens se limitent à la sous-traitance ; une diversification économique devient impérative surtout au niveau des services. Il est nécessaire de favoriser la création d’entreprise par l’investissement.

L’appel à la création d’une Agence en faveur de la garantie des investissements, destinée à limiter les risques tant au niveau politique qu’au niveau commercial ainsi que d’une Banque centrale méditerranéenne permettant la mise en commun des réserves de change, constitue une piste intéressante. Une manne pourrait être constituée par les transferts financiers des immigrés méditerranéens des pays d’Europe vers leur pays d’origine qui s’élèvent à 14 Mds € directement reçus par la population sans transiter par les banques et qui ne profitent donc ni à l’aide au développement ni aux IDE. Une bancarisation de ces transferts doit être mise en place. Il est impératif d’encourager l’intégration économique Sud-Sud en favorisant la mise en place d’une zone de libre échange.

Au plan politique, l’émergence de nouveaux acteurs tels l’Union Africaine qui souhaitent agir en symbiose avec l’UE permettrait une réelle ouverture du processus qui prendrait une outre la dimension régionale qu’il a déjà, une véritable dimension transcontinentale.

L’idée d’un Secrétariat des pays riverains de la Méditerranée, une organisation intergouvernementale des pays concernés chargée d’enregistrer et valoriser les initiatives bi ou multilatérales des riverains sur des problèmes identifiés comme étant communs à l’ensemble des pays

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membres, avec pour autorité de tutelle politique un Conseil chargé d’émettre des résolutions sur les solutions adoptées. Dans le même ordre d’idée, le souhait de création d’un Comité de représentants permanents (COREPER) chaque Etat de la région nommant un ambassadeur.

Il est fondamental que l’UE puisse jouer pleinement le rôle qui est le sien dans le règlement du conflit israélo-palestinien par l’entremise du Partenariat euro méditerranéen qui constitue aujourd’hui la seule institution au sein de laquelle Israël et l’Autorité palestinienne, mais également tous les Etats concernés directement ou indirectement par ce conflit, sont réunis autour de la même table dans un climat de confiance réciproque.

Au plan social, culturel et humain, la volonté affichée de la future Présidence finlandaise de l’UE de considérer le Dialogue entre les cultures comme une

priorité de son programme est plutôt réjouissant et laisse augurer un avenir meilleur pour le Partenariat euro méditerranéen.

Conclusion :

Une décennie après son lancement, le bilan du Processus de Barcelone reste mitigé mais présente néanmoins des aspects positifs. Certes, la Déclaration de Barcelone n’a pas encore été intégralement mise en application, mais l’acquis réel est important même s’il demeure méconnu.

Reste à entretenir l’espoir que les pays des deux rives parviennent à surmonter leurs divergences et réunissent leurs efforts pour réamorcer un dialogue constructif qui puisse rayonner sur le volet sécuritaire et économique, et réaliser finalement les objectifs définis il y a dix ans.

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Colloque IPSE – CIFER – Partenariat Euroafricain4 mai 2006

Les PECO et l’Afrique

Ce colloque, qui s’est tenu le 4 mai 2006 à l’Ambassade de Roumanie à Paris, a été organisé par le Centre International Francophone d’Echanges et de Réflexion (CIFER), en collaboration avec le Partenariat Eurafricain et l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE).

Conscients de l’importance de ce colloque à l’avant-veille du XIème Sommet de la Francophonie dont les assises se tiennent l’automne prochain à Bucarest en Roumanie et soucieux de valoriser les résultats de la rencontre, les organisateurs ont invité des intervenants issus d’Afrique, des pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO), intégrés dans l’Union européenne, le 1er mai 2004 et ceux qui aspirent à l’être le 1er janvier 2007 (Roumanie et Bulgarie) de haut niveau, riches de leurs expériences respectives afin de dialoguer entre eux et avec un auditoire composé de diverses personnalités provenant des milieux diplomatiques, administratifs, du monde associatif ainsi que des représentants des médias venus couvrir cette rencontre hautement symbolique et prospective.

Aussi, des débats francs et ouverts ont-ils pu avoir lieu d’abord sur les relations historiques complexes entre les pays de l’Europe Centrale et Orientale et ceux de l’Afrique en général et francophone en particulier, et ensuite sur la façon de concevoir de nouvelles synergies entre ces deux groupes de partenaires.

A l’ouverture de la séance Sabin Pop, Ambassadeur de Roumanie en France après avoir souhaité la bienvenue aux participants a rappelé les raisons de cette initiative, non sans avoir souhaité ses meilleurs vœux de succès pour les travaux et préconisations que ce colloque s’est donné comme ambition de faire connaître.

L’Ambassadeur honoraire du Sénégal Henri Senghor, Président du CIFER remercie au nom de son association et celui du Partenariat africain et de son Secrétaire général, Joël Broquet, la Mission roumaine d’avoir accepté d’accueillir cette rencontre et situe la problématique des débats, en instant plus particulièrement sur la situation difficile du continent africain avant d’examiner brièvement les questions qui lui paraissent les plus importantes et susceptible de faire l’objets de débats, notamment quant aux perspectives nouvelles ouvertes, issues d’une longue expérience des échanges diplomatiques, économiques et universitaires à travers un dialogue direct et dans le cadre de la politique de développement de l’UE, entre l’Europe centrale et orientale et le continent africain.

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La parole est ensuite donnée à Emmanuel Dupuy, Secrétaire général de l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE), et par ailleurs journaliste au mensuel francophone Arabies, qui est chargé d’introduire les débats, de présider la séance et de présenter les différents intervenants du colloque à travers deux séquences ; la première ayant trait à l’évocation historique partagée du lien entre Europe, PECO et Afrique ; la seconde s’appuyant à esquisser de nouvelles perspectives et synergies possibles, tant du point de vue des nouveaux Etats membres de l’UE que des futurs et des pays africains, bien évidemment…

En présentant les différentes personnalités qui vont prendre la parole, il met ainsi en perspective la pérennité d’un lien particulier entre les deux espaces en discussion, fortement liés par l’histoire de la dernière moitié du XXème siècle, qui avait fait du continent africain comme de l’Europe de l’Est des acteurs majeurs des relations internationales marquées par la confrontation idéologique et stratégique Est-Ouest.

La relation historique complexe liant les PECO et l’Afrique prend ainsi une tournure fondatrice pour le colloque autour de la fin des années 1980, au moment de la chute du mur de Berlin, de la dislocation de l’emprise soviétique sur les pays d’Europe de l’Est et par contagion le phénomène des Conférences nationales, qui viennent au début de la décennie suivante, dresser un nouveau visage de la démocratie et de l’Etat de droit en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, il ne faut nullement minorer le fait que les pays africains aient perçu comme une menace l’engouement politique et financier de l’Union européenne pour les candidats de l’Est, qui risquait de se

faire au détriment du partenariat euro-africain.

C’est ce « vent de l’Est » précisément, avec ses espoirs déçus et ses réalisations concrètes, notamment en matière de pluralisme et d’émergence d’une société civile jeune et décidée à créer les conditions d’un véritable co-développement Nord-Sud et de convergences africaines et européennes vers la démocratie que Joël Broquet, fondateur du centre de Formation des Elus Locaux, Président du Carrefour des Acteurs Sociaux, également Secrétaire général du Mouvement Fédéraliste Français (La Fédération) décrit, en ayant pris soin d’évoquer préalablement la longue route historique de l’Empire des Habsbourg à l’Afrique « rouge », basé sur l’implantation du marxisme, à partir des années 1960-1970, reliant l’Afrique à l’Europe centrale et orientale. Ces conséquences inévitables pour la Francophonie, la place de la France comme médiateur entre les deux continents sont ainsi passées au crible d’une certaine forme de désengagement bilatéral et de nécessaire réinvestissement au niveau multilatéral.

Ainsi, les effets de l’élargissement de l’Union Européenne en mai 2004 sur les relations entre l’Afrique et les pays de l’Europe Centrale et Orientale(PECO) ont-elles de l’avis général et en particulier de celui de Victor-Emmanuel Djomatchoua Toko, Ancien Ambassadeur-Secrétaire Exécutif de l’Union Africaine auprès de l’Union Européenne à Bruxelles et Représentant spécial à Bruxelles du Cabinet d’Ingénierie Stratégique pour la Sécurité (CI2S), des conséquences sur la nécessité d’une vision à long terme plus globale et inclusive des relations Europe-Afrique, à travers une interrogation quant aux effets réels liés

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à l’élargissement pour l’Afrique, ainsi qu’à une meilleure prise en compte de l'irruption des PECO dans la relation eurafricaine.

L’illustration apportée à travers le Fonds Européen de Développement (FED) qui constitue le principal instrument d’aide de l’UE à l’Afrique, permet de s’interroger sur les effets positifs comme négatifs de l’élargissement tant pour l’Afrique que pour les PECO, nouveaux membres de l’UE, désormais acteurs dans les secteurs clés du développement de l’Afrique, au moment où l’Union européenne, appelée à s’agrandir encore, doit relever le double défi, de faire en sorte que son élargissement, sans être tous azimuts, apporte à l’Europe, aux PECO et à l’Afrique des progrès partagés.

C’est en substance cette interrogation pour l’avenir, qui a conditionné, l’institutionnalisation d’un nouveau cadre du Dialogue Europe-Afrique, dont le deuxième Sommet, initialement prometteur et prévu à Lisbonne en 2003, n’a pu encore se tenir 6 ans après celui du Caire, d’avril 2000, nourrissant ainsi une attente impatiente de la part des sociétés civiles, dont se fait l’écho Christophe Jussac, Secrétaire confédéral d’une importante centrale syndicale, notamment en charge des affaires européennes, membre de la Confédération européenne des Syndicats (CES) et Président de la « Communauté franco-polonaise » et correspondant de nombreux journaux polonais en France.

Ce lien nouveau se construit ainsi sur une mise en évidence des liens historiques, qui à travers la coopération syndicale et associative euro-africaine et entre l’Afrique et les PECO, relève de la même exigence démocratique et de

développement durable et équilibré. Les conférences nationales de 1990 ont ainsi mis en exergue le formidable potentiel démographique et intellectuel sur lequel devrait se construire cette relation à rééquilibrer entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest. L’ingénierie administrative, le retour d’expérience entre acteurs sociaux prouve, par exemple à travers le suivi « associatif » du projet du Nouveau Programme pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), ou encore à travers le dossier de la reconnaissance de la diversité culturelle, gagné de haute lutte en octobre dernier à l’Unesco, que la société civile et les acteurs non étatiques réagissent sans doute plus rapidement que les institutions le font...

Aurélien Le Chevallier, Chef du Bureau des questions européennes à la Direction des politiques de développement du ministère des Affaires étrangères centre son propos sur la stratégie de l’Union européenne à l’égard de l’Afrique, adoptée par le Conseil européen des 15 et 16 décembre dernier et destinée à définir une stratégie commune entre l’UE et l’Union africaine, susceptible d’être adoptée par le second sommet UE-Afrique (dont la date n’a pas encore été arrêtée).

Cette stratégie comporte six chapitres ayant vocation à structurer le dialogue euro-africain (paix et sécurité, droits de l’Homme et gouvernance, aide au développement, croissance économique et commerce, développement humain, évaluation et suivi).

A la question l’Afrique intéresse-t-elle les nouveaux Etats membres (NEM) il se montre prudent. Il rappelle d’abord combien le début des années 90, pris tout entier par les chantiers de la transition politique et économique des

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PECO, a mis sous le boisseau les relations avec le continent africain, conduisant inexorablement à une faible présence de ces pays en Afrique, marqué par la fermeture de postes diplomatiques et consulaires, le déclin des études africaines, la quasi-inexistence de relations commerciales PECO-Afrique, ainsi que le faible usage de la langue française comme frein au dialogue.

Et de s’interroger ensuite sur l’utilité à l’Afrique de l’expérience de transition des NEM. Il souligne à cet égard que l’expérience des NEM (contrairement à celle des pays asiatiques) est difficilement transposable. Quelles perspectives pour l’Afrique, se demande-t-il, pourrait mobiliser l’énergie et justifier les sacrifices inhérents à toute transition ?

Enfin, la démocratie est-elle un préalable à toute transition ? et de constater alors que la nécessité pour l’UE de mieux se coordonner avec les initiatives prises dans le cadre de l’ONU n’est pas tranchée. Au final, le futur de la politique européenne de développement serait dessiné par l’intensité de l’implication des Etats membres dans la procédure des « 3 C » (complémentarité, coordination, cohésion) et dans la poursuite des objectifs du millénaire pour le développement. Et de conclure : les nouveaux Etats membre n’hésitent plus à plaider en faveur d’une politique déterminée de l’Europe envers l’Afrique dans un esprit de partenariat.

La nécessaire mise en perspective revient-elle ainsi aux différents intervenants de la deuxième table-ronde, qui évoquent les différents points de vue en présence, qu’il s’agisse des propositions roumaines, bulgares, polonaises, burkinabaise – prises

comme un exemple parmi bien d’autres émanent du continent africain et de celles venant de la Francophonie, à l’orée du Sommet de Bucarest.

Un même volontarisme caractérise les prises de paroles de cette deuxième table-ronde. Ainsi, Codrina Vierita, Directrice générale du Commissariat général pour la Francophonie du ministère roumain des Affaires étrangères, venue de Bucarest pour la tenue de ce colloque évoque les ambitions clairement affichées de son pays, en matière de sécurité humaine, de développement économique, de dialogue sociale et de partenariats culturels, au moment où un Sommet de la Francophonie réunit du 24 au 27 septembre prochains, pour la première fois les représentants de 63 Etats en Europe centrale et orientale.

L’importance de la formation initiale comme continue, le partage des savoirs faire au-delà du simple lien économique, la proximité intellectuelle, nourrie par de fructueux échanges universitaires, sont les expressions de ce dialogue et de cet attachement francophone - marqué non seulement par la langue mais aussi par une même vision humaniste des relations internationales dans la mondialisation, qui s’est fructifié depuis l’adhésion des NEM à l’UE, il y a deux ans, comme le rappellent également Jan Wdowik, Ministre-Conseiller de l’Ambassade de Pologne à Paris et son collègue Volodya Bojkov, Premier Secrétaire de l’Ambassade de Bulgarie en France, qui intervient au nom de Madame Irina Bokova, Ambassadeur de Bulgarie en France.

Ces deux points de vue d’un pays nouvellement membre et celui d’un autre ayant vocation à intégrer prochainement l’UE pointent du doigt la nécessité d’une prise en compte

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collective des apports réciproques des PECO dans l’UE, dans la politique de bon voisinage récemment mise en place, la Politique Extérieure de Sécurité Commune (PESC) et le souci d’accroître substantiellement l’aide au développement.

De la même manière l’Ambassadeur du Burkina-Faso, Filippe Savadogo rappelle les liens intenses et pérennes qui unissent son pays aux PECO. Il se fait ainsi l’avocat d’un « afro-optimisme » qu’il aimerait entendre plus souvent de la part des pays européens, unit à 25 pour agir dans le monde et plus particulièrement sur le continent africain où les maux qui le touchent (captation des richesses, guerres civiles, pandémies…) devraient constituer le levier à une nouvelle politique de développement.

Il est ainsi indéniable que la préoccupation de plus en plus marquée de l’UE pour la politique européenne de développement est un signe des plus encourageants. Il inscrit également ses propos dans les conclusions importantes du dernier Sommet de la Francophonie, tenu à Ouagadougou, au Burkina Faso, les 26 et 27 novembre 2004. Ses quatre missions principales dans lesquelles la Francophonie peut et doit jouer un rôle majeur, sont, comme le souligne également Maria Niculescu, Directrice du développement durable et de la solidarité (a.i) de l’Organisation

Internationale de la Francophonie (OIF, réformée depuis le 1er janvier 2006) :

-La promotion de la langue française et de la diversité culturelle et linguistique ;-La promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme ;-L’appui à l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche ;-Le développement de la coopération au service du développement durable et de la solidarité.

C’est ainsi dans l’optique du cadre stratégique décennal de l’OIF évoqué et censé définir les grandes orientations à long terme de la Francophonie, que la résolution des conflits, le renforcement des capacités africaines de maintien de l’ordre, la promotion de la démocratie, une meilleure connaissance de la culture entrepreneuriale, le souci de développer équitablement les TIC et la défense acharnée de la diversité culturelle prennent tout leur sens.

C’est en substance ce qu’indiquent les conclusions et ambitieuses préconisations proposés par l’Ambassadeur Jean-Pierre Vettovaglia, Représentant personnel du Président de la Confédération suisse pour la Francophonie en guise de poursuite de ce très riche débat dégagé à travers cette après-midi.

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Conférence-débat IPSE-IPAG*12 mai 2006

La Turquie, carrefour de l’Europe?

Didier BILLONSylvie GOULARD

Cette conférence a été rendu possible grâce à l’initiative des étudiants de l’IPAG, Umit ALLARD, Laura LAPASCUA et Sarra MIDASSI. Cette soirée a été modérée par Mme Brigitte VERSTRAETEN, Professeur à l’IPAG, (*www.ipag.fr).

Didier BILLION, Directeur adjoint de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Auteur de « L’enjeu turc » éditions Armand Colin, juin 2006

Sylvie GOULARD, Chercheur au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI), professeur au Collège d'Europe de Bruges et à Sciences Po, IEP de Paris et ancienne conseillère de Romano Prodi. Auteur de « Le grand Turc et la République de Venise » - éditions Fayard, 2004, réédition 2005 et « EU Türkei : eine Zwangsheirat ? » Berliner Wissenschafts- Verlag 2006

Sept ans après la candidature de la Turquie à l’UE et plus d’un an après le vote sur la Constitution européenne, la question autour de la possible adhésion de la Turquie dans l’Union est toujours au cœur des débats. Suite à la réalisation d’un projet élèves, l’IPSE en partenariat avec l’IPAG, école de commerce, ont organisé en commun une conférence sur ce thème. Dans l’optique de présenter un débat enrichissant et d’explorer les différents points de vue suscités par ce sujet polémique, deux intervenants, Didier Billion et Sylvie Goulard, sont venus développer leurs théories dans le cadre de la sortie de leurs nouveaux ouvrages respectifs.

La conférence, réunissant près d’une centaine de personnes, s’est déroulée dans les locaux de l’IPAG, situés dans le quartier de Saint Germain des Prés, en plein cœur de Paris.

L’IPSE et l’IPAG ont souhaité évoquer ce thème pour de nombreuses raisons. En effet, c’est un sujet qui a longuement été discuté dans les médias et par les politiques. Différents arguments ont été développés ce qui a suscité des affrontements notamment au sein d’un même parti politique.

Cette conférence a eu pour principal objectif de faire découvrir et de comprendre les enjeux de chaque acteur, la position de la Turquie aujourd’hui et les perspectives futures. Dans un premier temps, chaque intervenant a présenté ses idées; puis, dans un deuxième temps, le public a posé quelques questions aux deux invités.

Sylvie Goulard, favorable à la Constitution européenne et partisane d’une Europe forte et unie, s’oppose à

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l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Différents thèmes ont été abordés : la démocratie, les conséquences de l’adhésion de la Turquie dans l’UE, la question de l’identité de l’Europe.

Depuis plusieurs années, de multiples promesses ont été formulées à l’égard de la Turquie au sujet de sa possible adhésion à l’Union.

De la signature d’un accord instituant une forme d’association entre les deux entités de 1963 aux négociations d’entrée de la Turquie dans l’Union de fin 2004, aucun débat national n’eut réellement lieu. Et Sylvie Goulard s’oppose à tout référendum au sujet de l’élargissement de l’UE.

De plus, les raisons qui expliquent le refus de Mme Goulard de l’entrée de la Turquie dans l’UE tournent autour de la remise en cause des institutions européennes elles-mêmes. Actuellement, l’Union n’est pas dans sa période la plus prospère. Cependant, Mme Goulard a souligné le fait que cette situation est temporaire et qu’il ne s’agit en rien de la fin de l’UE. La crise politico-économique que traverse en ce moment l’UE rend impossible tout élargissement, à fortiori celui d’un pays comme la Turquie. En effet, selon Sylvie Goulard, l’UE doit tout d’abord résoudre ses dissolutions et dysfonctionnements politiques internes.

En outre, l’arrivée des derniers états membres a suscité quelques questions au niveau de la capacité de l’Union à intégrer sans travers plusieurs pays possédant des niveaux de PIB et des situations politiques et économiques distincts.

Sylvie Goulard a réfuté par la même, les nombreux arguments lancés par les

politiques à l’égard de ce possible élargissement turc: identité de l’Europe bafouée, notamment au niveau de la religion (quels Christianismes face à quels Islams ?) ; économiques et sociaux, en relevant de gros déséquilibres de développement entre les grandes villes et l’arrière pays. D’autre part, Sylvie Goulard refuse une adhésion hypocrite qui priverait par exemple les turcs d’une des quatre libertés de l’UE qui est au cœur du Traité de Rome: la libre circulation des personnes, et ce à titre définitif.

Sylvie Goulard dénonce la relation souvent formulée entre la Turquie et l’Islam.

En résumé, Sylvie Goulard refuse l’entrée de la Turquie plus à cause de la situation de crise que connaît l’UE que pour la situation turque. Elle indique tout de même que l’entrée de la Turquie aurait des conséquences néfastes sur l’Union et qu’il ne faut pas penser qu’un « problème supplémentaire » n’aurait qu’un effet limité vu la situation. Il faut, selon elle, avant tout souder une Europe aujourd’hui en crise politique et économique.

Didier Billion est, quant à lui, favorable à une entrée à terme de la Turquie dans l’UE. Selon lui, la Turquie est un sujet récurrent dans les débats européens notamment en France mais elle est posée de manière maladroite. Le débat sur la Turquie est un débat complexe qui ne devrait pas être un débat médiocre mais qui est, pourtant, perçu ainsi. Le dossier turc agit comme un « miroir ». En effet, ce qui est finalement mis en scène est la « plomberie institutionnelle ». Selon Didier Billion, il serait plus important d’évoquer davantage la notion de « projet politique ». Par ailleurs, la question sur les valeurs et l’identité européenne est posée en mauvais termes, trop

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caricaturaux. En dépit de la mondialisation, la Turquie est aujourd’hui encore mal connue. Les objections pour avoir un véritable débat sont d’ordre politique, économique, démographique, géographique et culturel.

Les sièges au Parlement européen, dans le cas d’une entrée de la Turquie, seraient à 15 ou 16% occupés par des turcs, et cela inquiète beaucoup de personnes (monde). Selon M(r) Billion, il faut relativiser car la Turquie compte un paysage politique très hétérogène et de nombreux courants politiques, qui formeraient non pas un « bloc turc » mais des voix disparates allant dans le sens de leur courant politique.

La Turquie se positionne actuellement au 7ème rang mondial et 2ème rang dans les pays de l’OCDE au niveau de la croissance économique (PIB). Elle est certes en retard, mais il faut remarquer qu’elle rattrape progressivement ce retard. La Turquie compte de nombreux hommes d’affaires très compétents et impliqués dans le développement de leur pays et de leur économie. L’éducation en Turquie permet, chaque année, de former des élites performantes et prêtes à relever n’importe quel défi de développement et de croissance économique.

Au niveau démographique, l’idée du déferlement « d’un bloc turc » est une illusion. Par ailleurs, la Turquie est en train de connaître la fin de sa transition démographique, soit environ 2,2, rappelons-nous qu’au moment de son entrée dans l’UE, le taux de natalité de l’Espagne était de 2,9. En ce qui concerne l’objection géographique, la Turquie est certes éloignée du centre de l’UE mais encore une fois comparons : les pays au nord des Balkans

(Kazakhstan, Géorgie, ..) font partie du Conseil de sécurité de l’Europe, alors qu’ils sont tout aussi éloignés de l’Europe (et qu’ils n’ont aucun lien direct avec l’Europe). D’autre part, la Turquie se trouve être située à un point géostratégique très important ; sa situation au Moyen-Orient pourrait permettre à l’UE d’intervenir pour « calmer » les tensions qui y règnent.

A propos de l’objection culturelle, il n’y a pas un Islam, mais des Islams, et il n’y a pas un Christianisme, mais des Christianismes. Par ailleurs, la guerre que se sont menés les différents Christianismes ressemble à celle menée entre Chrétiens et Musulmans. De plus, aujourd’hui, l’Europe abrite des millions de Musulmans.

Il existe aujourd’hui des défis communs à la Turquie et à l’UE qui sont ceux de la laïcité, des minorités, la question militaire, la place des femmes dans la société, la politique extérieure notamment remise en cause lors de la position tenue par chaque acteur au sujet de l’intervention militaire américaine en Irak.

En résumé, la Turquie par ce qu’elle représente est un atout pour l’UE afin notamment de mieux peser dans les relations diplomatiques de la région. Malgré des points de vue distincts au sujet de la position de la Turquie dans l’UE, les avis des deux intervenants convergent quant à la remise en cause des institutions politiques européennes. En outre, les conférenciers insistent sur le fait qu’il ne faut pas croire que l’adhésion de la Turquie serait un pont avec l’Islam, car l’Islam n’est pas la Turquie et la Turquie n’est pas l’Islam ; en somme il ne faut pas faire d’amalgame.

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Colloque Jeunes-européens professionnels – IPSE31 mai – 1er juin 2006

La Bulgarie et la Roumanie dans l’UE : un défi et une chance » du 31 mai et 1er juin 2006

Suite à l’élargissement de l’Union européenne au dix pays d’Europe centrale et orientale, les Jeunes-européens professionnels d’Ile-de-France ont souhaité informer les citoyens et les responsables politiques sur le prochain élargissement de l’Union européenne.

Réuni à la Maison de l’Europe pour débattre de l’adhésion prochaine de la Roumanie et de la Bulgarie, les Jeunes-européens Professionnels ont organisé ce colloque en partenariat avec l’Institut de Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE), le Mouvement Européen-France, la Maison de l’Europe de Paris, les Ambassades de Bulgarie et de Roumanie en France, les associations : Jean Monnet, Notre Europe, et l’Association Réalités et Relations Internationales (ARRI)

Ainsi, le colloque qui s’est déroulé le 31 mai et 1er juin a eu pour ambition de présenter au public français et européen les réalités et les ambitions de la Bulgarie et de la Roumanie à travers différentes thématiques.

Celles-ci portaient à la fois sur les questions d’identité européenne, de témoignages d’associations, sur les relations économiques entre la France et les deux pays, et enfin, sur les atouts géostratégiques des nouveaux entrants. Cette dernière table ronde fut animée

par Emmanuel Dupuy (secrétaire général de l’IPSE).

Les travaux du colloque ont eu pour volonté de valoriser les deux nouveaux pays et de présenter leurs réalités à travers les témoignages et les réflexions d’acteurs bulgares et roumains ainsi que des personnalités de l’Union européenne. La variété des thèmes abordés, la diversité des témoignages ont contribué à faire de cet événement un moment important dans le cadre des manifestations prévues pour fêter l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’UE.

Afin de présenter un grand nombre d’intervenant et de mobiliser le public, le colloque s’était déroulé sur deux après-midis et soirées, et s’articulait autour de quatre tables rondes thématiques suivi d’une conférence de clôture. Cette rencontre était complétée par une exposition sur les deux pays et d’une dégustation des spécialités culinaires.

Pour ceux qui souhaiteraient avoir accès aux actes du colloque, l’intégralité des manifestations et interventions ont été filmées et enregistrées. Un DVD est en cours de finalisation par les Jeunes-européens Professionnels avant d’être diffusé aux différents partenaires.

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Conférence – IPSE – ACEDS*30 juin 2006

La Géorgie, un enjeu stratégique pour la politique de bon voisinage

Gocha LORDKIPANIDZE

La conférence s’est déroulée le vendredi 30 juin 2006 en la présence de M. Gocha LORDKIPANIDZE, conseiller diplomatique du Premier Ministre de la République de Géorgie. Introduction par M. Thornike GORDADZE, chercheur au Centre d'Etudes et de Recherches Internationales (CERI-IEP). La soirée était placée sous le parrainage de M. André BOYER, Sénateur du Lot, Vice-président de la Commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat.

L’objectif stratégique de la Géorgie est la construction d’un Etat démocratique membre de la communauté euro- atlantique. L’atteinte de cet objectif nécessite, en premier lieu, la poursuite des réformes qui permettrait au pays d’évoluer d’une démocratie « électorale » en une démocratie « institutionnelle ». Or l’institutionnalisation de la démocratie prévoit l’intégralité des réformes des systèmes juridiques, de l’éducation ainsi que de l’administration locale.

De plus, l’intégration de la Géorgie dans la communauté euro-atlantique se conçoit dans le cadre d’un approfondissement des relations avec l’O.T.A.N. et l’Union européenne. Après la mise en place réussie du Plan d’Action de Partenariat Individuel (IPAP-Individual Partnership Action Plan), la Géorgie espère poursuivre dans ce sens, à savoir une intensification du dialogue sur les questions liées à l’adhésion et aux réformes connexes. En ce qui concerne les relations entre la Géorgie et l’Union Européenne (UE), les efforts portent plus précisément sur l’aboutissement des négociations avec la commission européenne autour du Plan d’Action de la Nouvelle politique de voisinage (N.V.P.) et sur sa mise en place complète et effective. La Géorgie tient à ce que le plan d’action de la N.V.P. prévoie le développement des liens entre l’UE et la

Géorgie à travers une implication plus active de l’Europe dans le processus du règlement des conflits sur le territoire géorgien.

Certes l’Etat géorgien pourra bénéficier de la sécurité engendrée par l’espace euro-atlantique mais également y contribuer ; c’est d’ailleurs déjà le cas à travers ses actions au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. De fait, la sécurité de l’Europe passera nécessairement par la concrétisation des points suivants :

-la consolidation de la démocratie en Géorgie et dans le Caucase du Sud ;

-le développement de la Coopération dans le cadre de la « communauté du choix démocratique ».

La nouvelle forme de coopération adoptée entre les pays baltes, l’Europe de l’Est, les Balkans, la mer Noire et le Caucase entend renforcer la coopération régionale, promouvoir la démocratie et défendre les droits de l’Homme. La Caspienne dispose de vastes ressources en gaz et en pétrole et la Géorgie, grâce à sa situation géographique, est un pays clé dans le transit des carburants. Cette situation renforce l’importance de cet Etat dans la tentative entreprise par l’UE de diversifier ses importations.

*Adresse internet : www.aceds.fr.

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Diner-débat – IPSE – Arabies12 juillet 2006

Le pétrole dans les relations Internationales

Philippe SEBILLE-LOPEZ

L’I.P.S.E. et le mensuel francophone Arabies (www.arabies.com) ont organisé le 12 juillet dernier un dîner-débat portant sur « Le pétrole dans les Relations Internationales ». L’intervenant, Philippe SEBILLE-LOPEZ (diplômé de l’Institut Français de Géopolitique et Consultant Fondateur du Cabinet Conseil Géopolia – www.geopolia.com) a étudié, au cours de cette soirée, les nombreux éléments constituant la thèse selon laquelle il existerait réellement une ou des géopolitiques du pétrole.

A cet égard, la Lettre de l’IPSE, dans son numéro 86, s’est livrée à l’analyse critique du dernier ouvrage de l’intervenant (Géopolitiques du pétrole, éditions Armand Colin, 2006), dont l’I.P.S.E. ne saurait trop vous conseiller la lecture. « Rapports de force et interdépendances autour du pétrole au Venezuela ».

La hausse du prix du baril et les multiples problématiques d’accès aux réserves pétrolières dans plusieurs pays (Arabie saoudite, Koweït, Mexique, Russie, Iran, Irak), soit presque 60% des réserves mondiales prouvées de pétrole conventionnel, rendent désormais les énormes gisements d’huile extra lourde du Venezuela très attractifs. Avec un coût de production de 16$ par baril, contre un coût moyen du baril au plan mondial autour de 8$, le brut non conventionnel de l’Orénoque reste rentable à partir d’un prix du baril à 22$.

Le Venezuela, 5ème exportateur mondial, détiendrait 235 milliards de barils estimés récupérables de cette huile extra lourde, qui s’ajoute aux 77 milliards de baril de réserves prouvées conventionnelles, les plus importantes hors du Moyen-Orient. Il se place donc en théorie devant l’Arabie saoudite au plan des réserves.

Bien conscient de ce potentiel largement ouvert à la trentaine de compagnies étrangères intéressées, le président Chavez a décidé début 2006, d’appliquer et de durcir encore les conditions financières prévues dans la nouvelle loi pétrolière de 2001.

Tous les anciens contrats seront désormais convertis en une quinzaine de joint-ventures sur la base de 60 % pour PDVSA, la compagnie nationale vénézuélienne, et 40 % pour les compagnies étrangères. Hausse également des taxes et royalties, notamment sur les huiles extra lourdes de l’Orénoque. Ces conditions n’ont toutefois rien d’exorbitant.

Au Nigeria, les 6 majors en joint-venture avec la compagnie nationale nigériane NNPC ont un ratio identique. Cette refonte des contrats perturbe surtout les stratégies de grandes

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compagnies privées, qui ne peuvent pourtant faire l’impasse sur cet énorme potentiel.

Seule Exxon Mobil, la major la plus puissante et la plus diversifiée au plan mondial, a décidé de partir en cédant ses actifs vénézuéliens à la compagnie hispano-argentine Repsol YPF. Chevron Texaco et Conocco Phillips, respectivement 2ème et 3ème compagnies états-uniennes, ont décidé de rester. L’italienne ENI et Total réservent leur réponse mais devraient suivre.

Si ces modifications contractuelles ont un impact sur certains indicateurs des compagnies privées prisés des analystes financiers, elles permettent aussi de faire monter les enchères entre les compagnies nationales déjà présentes pour lesquelles de moindres performances financières restent conciliables avec des objectifs plus stratégiques, comme pour Petrobras (Brésil), CNPC (Chine), Loukoïl et Gazprom (Russie), ONGC (Inde) ou Petropars (Iran).

Car dès son arrivée au pouvoir Hugo Chavez a développé sa pétro-diplomatie tous azimuts à la fois en direction de futurs grands pays consommateurs notamment en Asie et de grands pays producteurs. Argentine, Brésil, Chine, Inde, Iran, Libye, Nigeria, Qatar, Russie : la liste est longue des pays avec lesquels il a signé des accords cadres de coopération, enrichis selon les cas de projets de coopération économique et commerciale.

Après une visite du président Jiang Zeming à Caracas en avril 2001, Hugo Chavez effectuait en décembre 2004, sa 3ème visite officielle en Chine, une fréquence de contacts là aussi éloquente. Le pétrole figure désormais

en bonne place dans les relations bilatérales avec de nouveaux projets d’investissements chinois au Venezuela.

En mars 2005, pour la première visite d’un président vénézuélien en Inde, 6 contrats pétroliers et parapétroliers ont été signés, notamment entre PDVSA et ONGC Videsh.

Le président Chavez a aussi resserré les liens politiques avec plusieurs pays de l’Opep. En août 2000 déjà, avant d’accueillir le sommet de l’Opep à Caracas, et après une visite en Libye et en Iran, Hugo Chavez avait été le premier chef d’état à rendre visite à Saddam Hussein depuis la fin de la Guerre du golfe de 1991.

Plus récemment, en mai 2006 et avant d’accueillir un nouveau sommet de l’Opep à Caracas, il s’est rendu en Libye (la 4ème visite depuis 2000) et en Algérie. Mais si la politique d’Hugo Chavez en faveur d’une réduction des quotas de production de l’Opep avait fonctionné en 2000, avec l’invasion de l’Irak en 2003 et le nouveau contexte pétrolier mondial, c’est aujourd’hui différent.

L’un des objectifs de Washington en Irak, outre ses buts politiques, était de stimuler l’offre pétrolière mondiale pour répondre à la forte hausse attendue de la demande. Si l’incapacité des Etats-Unis à gérer l’après guerre a fait échoué ce projet en Irak même, l’objectif a été atteint en Libye après la volte-face du colonel Kadhafi et l’ouverture du secteur pétrolier libyen, qui a conduit l’Algérie voisine, par crainte de la concurrence, à assouplir largement les conditions d’accès à ses hydrocarbures.

Car avec un baril à 70$ et très peu de surcapacités de production au plan mondial, tous les pays producteurs

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cherchent à produire au maximum pour encaisser toujours plus de pétrodollars et accroître leur part d’un marché toujours en expansion. Une baisse des quotas de production au sein de l’Opep n’est donc plus opportune même si l’intérêt pour le Venezuela, qui n’honore plus le sien depuis fin 2002, peut se comprendre.

La production vénézuélienne, après avoir culminée à 3,5 millions de barils par jour (mb/j) en 1998, s’est effondrée à 2,6 mb/j en 2003, après la crise politique de décembre 2002 qui a durement frappé PDVSA. Cette crise, qui s’est poursuivie en 2003, résulte directement des rivalités, tensions et divergences d’intérêts internes à la société vénézuélienne.

Aujourd’hui, alors que la production serait remontée à 3,1 mb/j pour l’ensemble des liquides, PDVSA aurait pourtant acheté en avril, pour 2 milliards de dollars, 100.000 b/j à la Russie jusqu’à la fin 2006, afin d’honorer ses engagements à l’exportation et ne pas payer de pénalités.

Car Hugo Chavez a aussi ses contraintes et il n’a pas encore tous les moyens de ses ambitions à l’intérieur comme à l’extérieur du Venezuela. Il a besoin des compétences techniques des majors occidentales pour la transformation des huiles extra lourdes en brut synthétique. Il lui faudra aussi très rapidement 70 milliards de $ d’investissements, pour atteindre l’objectif très ambitieux d’une production de 5,8 Mb/j en 2012.

PDVSA s’apprêterait déjà à lancer un emprunt de 20 milliards de $ pour honorer sa cote part dans les joint-ventures. Mais il faudra beaucoup plus ensuite, notamment pour la transformation des huiles lourdes, d’où

l’importance des investissements des compagnies étrangères, d’ores et déjà essentiels au maintien du niveau actuel de la production de brut conventionnel autour de 2,5 mb/j.

Car une part croissante des recettes pétrolières est consacrée à la révolution bolivarienne. Le pétrole représente aujourd’hui environ 40 % du PIB, 80 % des recettes d’exportation et 50 % des recettes fiscales de l’état. Il finance les projets de développement dont le pays a bien besoin avec une économie informelle qui continue d’employer 50 % de la population active. Un meilleur usage de la rente pétrolière est donc bel et bien indispensable. Seul l’avenir dira si son utilisation sera plus judicieuse que dogmatique et clientéliste et donc réellement porteuse de développement social à terme.

Quant au pétrole vendu à prix préférentiel à 11 pays pauvres d’Amérique centrale et des Caraïbes, il coûte déjà 1,6 milliard de dollars par an à PDVSA et ce système doit être étendu à certains pays d’Afrique. L’essence vendue au Venezuela à 3 centimes d’euros le litre a aussi un coût pour PDVSA, qui devrait néanmoins réaliser en 2006 un chiffre d’affaire de 85 milliards de dollars, dont 45 milliards au Venezuela. Les capacités d’investissement de PDVSA, au gré des engagements politiques du président Chavez, chez lui et au dehors, restent donc aléatoires pour l’avenir.

La relation américano-vénézuélienne illustre aussi d’autres interdépendances, par delà les très médiatiques attaques verbales mutuelles. Si les exportations de brut vénézuélien vers les USA ont certes baissé (1,2 mb/j en 2006, soit 10 % des importations américaines, contre 1,6 mb/j en 2002), c’est sensiblement dans la même proportion que la

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production du pays. De plus, PDVSA via Citgo, contrôle plusieurs raffineries aux Etats-Unis, qui traitent 750.000 b/j de brut conventionnel vénézuélien pour le marché américain. Mais très peu de raffineries au monde sont pour le moment capables de fournir une alternative à ce brut lourd. Il y a peut-être dans les trois projets de raffineries au Venezuela annoncés en juin 2006, pour une capacité de raffinage de 700.000 b/j, une stratégie de sortie de cette dépendance, qui préfigurerait à terme la revente des actifs de PDVSA aux Etats-Unis.

Cette question avait déjà opposé le président Chavez et l’ancienne direction de PDVSA en 2002. L’annonce récente d’une possible revente des 20 % d’actifs de CITIGO dans plusieurs pipelines aux Etats-Unis, dont le fameux Colonial pipeline, pourrait aussi s’inscrire dans cette logique de désengagement à terme.

Pour l’heure, le pouvoir de nuisance d’Hugo Chavez envers les USA, s’il est bien réel, serait aussi dans l’immédiat très coûteux pour PDVSA et l’Etat vénézuélien. La volonté de calmer le jeu apparue ces derniers temps à Washington semble confirmer l’acceptation de cette interdépendance et le souci de l’administration Bush de ne pas pousser davantage le président Chavez vers les intérêts russes, chinois, ou iraniens.

Mais fort d’un soutien populaire indéfectible et sauf entreprise de déstabilisation, la probable réélection d’Hugo Chavez pour un nouveau mandat de six ans, à la présidentielle de fin 2006, avec ou sans boycott de l’opposition, inscrit le président dans la durée. Si donc le président Chavez n’a pas encore totalement les moyens de sa politique, il y travaille : un message clair pour tous les acteurs.

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Et je joins ma cotisation pour l’année 2006 (2).

Date et signature.

(1) à remplir- Bienfaiteur : 100 euros.- Sociétaire membre : 60 euros.- Membre actif : quarante euros.- Etudiant : 20 euros

(2) Les chèques sont à libeller à l’ordre de l’IPSE et à retourner à :IPSE - 24, rue Jules Guesde 75014 PARIS.

Tél. : 01 42 79 88 45 Email : [email protected]

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Composition du bureau de l’IPSE

Président : Directeur de la publication :Jean-Pierre PETIT Julie PARRIOT

Vice-présidents : Rédacteur en chef :Pierre GILLES Luc PICOTMaurice GAUTIER

Secrétaire Général : Membres du bureau :Emmanuel DUPUY Jean-Pierre GAULT

Nicolas LANONIERTrésorier : Eric LEGERMarie-Christine JAMELIN

Le numéro 88 des cahiers de l’IPSE

Les Tribunes :

-« NATO, ESDP and the Riga Summit : No Transformation Without Re-Equilibration » par Sven BISCOP;-« La défense japonaise à l’heure du nucléaire nord-coréen » par Emmanuel LEMPERT ;-« A qui l'essai nucléaire nord-coréen profite-t-il ?  » par Raphaël HUN-« La nouvelle donne stratégique et la nécessité d'un « troisième pied du tabouret » par Eric de La MAISONNEUVE.

Les rencontres et partenariats de l’IPSE :

-« Pour démystifier le concept de l'intelligence économique », petit-déjeuner autour de Bernard BESSON, vendredi 22 septembre 2006 ;-« La Chine s'est éveillée : vers une triarchie du système international (UE, USA, Chine) ? », dîner-débat avec Eric de La MAISONNEUVE, lundi 16 octobre 2006 ;-« L'Europe et les crises au Moyen-Orient », colloque international organisé par l'Institut International d'Etudes Stratégiques, vendredi 20 septembre. Synthèse et mise en perspectives par Emmanuel DUPUY.

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L’IPSE

Un monde plus complexe

L’Europe en ce début de XXIème siècle connaît un contexte géostratégique et géopolitique mouvant. A la menace clairement définie, massive et de nature territoriale à laquelle elle a été confrontée durant le siècle dernier, succèdent une multitude de risques, dont notamment le terrorisme. Si la guerre entendue au sens classique n’a pas totalement déserté certaines franges de l’Europe, elle ne la menace plus directement et globalement. La distinction entre ordre interne et ordre international, entre violence publique et violence privée semble désormais plus difficile à établir qu’autrefois. Des risques sans cesse plus nombreux préoccupent aujourd’hui les citoyens : ils sont liés aux questions d’environnement, d’alimentation, de santé, de la violence quotidienne, de l’incivilité, etc...

L’idée d’Europe, un modèle

L’Europe, bien qu’elle soit un symbole de paix et de stabilité depuis 50 ans, reste en construction lorsqu’il s’agit de formuler un projet de destin commun pour des Etats plusieurs fois millénaires et souverains, forts de leurs richesses culturelle et sociale. Les intérêts communs doivent l’emporter finalement sur ceux particuliers en donnant la priorité au dialogue et à l’échange, contribuant ainsi à prévenir les situations conflictuelles.

Rôle de l’I.P.S.E. : préparer l’avenir

Si le bilan européen est largement positif, il n’en existe pas moins un déficit de communication qui n’a pas permis de valoriser les réalisations aux yeux des concitoyens.

Dans ce cadre, depuis 1988, l’I.P.S.E. s’est fixé pour rôle de sensibiliser et rassembler les Français qui souhaitent participer à la préservation de la paix en Europe. Il veut également rapprocher autant que faire se peut les citoyens européens afin de trouver les réponses collectives aux nouveaux défis. Il essaie enfin de mobiliser les énergies en vue de réaffirmer les valeurs européennes et susciter la réflexion sur des thèmes de dimension communautaire et de sécurité internationale.

L’I.P.S.E. organise des conférences en collaboration avec des associations européennes ayant des objectifs communs et complémentaires, publie des article dans des revues spécialisées et la presse à grande diffusion, édite une lettre d’information (Cahiers) destinée au monde politique, diplomatique, économique, universitaire...

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Les cahiers de l’IPSE

Editorial 3L’entretien de l’IPSE avec Colomban LEBAS 7

La prolifération nucléaireLes TribunesRepenser la lutte antiterroriste

Chiche MAHOR et Michaël CHETRIT16

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Sur le concept de sécurité humaine ENMOD : la convention méconnueBen CRAMER

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Les élections en République démocratique du CongoMathieu DAMIAN

21

Le service citoyen et civil en débatJérôme MOURROUX

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L’Europe de la Défense : une réalité concrète ?Charles de MARCILLY

33

Le retour de la stratégie des moyens : la force de gendarmerie européenne

Freddy NZE EKEKANG

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Les Notes de lecture-Vers un rapprochement doctrinal, André DUMOULIN 41-La France, l’Europe, l’OTAN : une approche géopolitique de l’atlantisme français, Jean-Sylvestre MONGRENIER

44

-Israël- Palestine : une guerre de religions ? Elie BARNAVI 46-Du Jihad à la Fitna, Gilles KEPEL 46-La guerre en réseau au XXIème siècle, Jean-Pierre MAULNY 47-Les nouveaux visages de la guerre, Christian DELANGHE et Henri PARIS

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-Livre gris sur la sécurité et la défense, Loup FRANCART 51-Les défis d’une adhésion de la Turquie à l’Union Européenne sous la direction, Erwan LANNON et Joël LEBULLENGER

53

-Vers l’autonomie des capacités militaires de l’Union Européenne, Edouard PFLIMLIN

55

- Pour une force européenne de protection civile : europe aidRapport de Michel BARNIER

57

-Algérie, Maghreb : le pari méditerranéen, sous la direction d’Abdi NOURREDINE

61

-Les Révolutions de velours, Vlatcheslav AVIOUTSKII 62-La raison des nations, Réflexions sur la démocratie en Europe, Pierre MANENT

66

-L’Iran et le nucléaire, les tourments perses, François GERE 68Les Rencontres et partenariats-Dîner- Débat JEP - IPSE « Le Partenariat euro-méditerranéen : Ambitions, perspectives et réalités 10 ans après Barcelone »

71

-Colloque IPSE – CIFER-Partenariat Euroafricain « Les PECO et l’Afrique » 76-Conférence-débat IPSE - IPAG « La Turquie, carrefour de l’Europe? » 81-Colloque JEP « La Bulgarie et la Roumanie dans l’UE » 84-Conférence IPSE - ACEDS « La Géorgie, un enjeu stratégique pour la politique de bon voisinage »

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-Dîner-Débat IPSE - Arabies « Le Pétrole dans les Relations Internationales » 86

OCTOBRE-NOVEMBRE-DECEMBRE 2006 - NUMERO 87 - 6 EUROS

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