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Cet article examine l’influence relative des perceptions de justice distributive et de justice procédurale, d’exemplarité comportementale et d’exemplarité décisionnelle, sur la satisfaction et la volonté de coopérer des acteurs dans les fusions et acquisitions, spécifiquement chez Air France-KLM. Nos résultats indiquent que la justice distributive permet de satisfaire les salariés des deux compagnies aériennes. Mais pour gagner leur coopération, être personnellement exemplaire est aussi important pour les décideurs qu’être juste. Chez Air France-KLM, la justice procédurale et l’exemplarité décisionnelle ont une influence marginale dans les processus d’intégration. C omment gagner le soutien des salarié(e)s dans une période de changement souvent radical et substantiel, et susciter leur coopération pour qu’ils (elles) mettent en oeuvre les synergies et autres bénéfices attendus de la fusion et/ou de l’acquisition ? Voici deux questions brûlantes tant dans le champ du management stratégique que dans le champ du compor- tement organisationnel. Les attitudes des salarié(e)s, comme prédispositions générales, et leurs comporte- ments comme mise en action de ces prédispositions dans des contextes spécifiques, sont cruciaux pour l’applica- tion effective des stratégies rêvées par les dirigeants. Dans cet article, nous étudions les antécédents psycho- sociologiques de la satisfaction avec la fusion et de la volonté de coopérer comme variables intermédiaires de performance des fusions et acquisitions. Les chercheurs sur la justice organisationnelle et les chercheurs sur les fusions et acquisitions se sont rare- ment rencontrés (Meyer, 2001). De rares travaux, essen- tiellement qualitatifs ou anecdotiques, suggèrent que la justice organisationnelle, tant dans sa composante distri- butive que dans sa composante procédurale, a un impact positif sur la satisfaction et la volonté de coopérer (par FUSION PAR TESSA MELKONIAN, PHILIPPE MONIN, NIELS NOORDERHAVEN, AUDREY ROUZIES, ALMA TIMMERS Être juste, ou être exemplaire ? La fusion Air France-KLM à la loupe Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

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Cet article examine

l’influence relative des

perceptions de justice

distributive et de justice

procédurale, d’exemplarité

comportementale et

d’exemplarité décisionnelle,

sur la satisfaction et la

volonté de coopérer des

acteurs dans les fusions et

acquisitions, spécifiquement

chez Air France-KLM. Nos

résultats indiquent que la

justice distributive permet

de satisfaire les salariés des

deux compagnies aériennes.

Mais pour gagner leur

coopération, être

personnellement

exemplaire est aussi

important pour les

décideurs qu’être juste.

Chez Air France-KLM, la

justice procédurale et

l’exemplarité décisionnelle

ont une influence marginale

dans les processus

d’intégration.

Comment gagner le soutien des salarié(e)s dansune période de changement souvent radical etsubstantiel, et susciter leur coopération pour

qu’ils (elles) mettent en œuvre les synergies et autresbénéfices attendus de la fusion et/ou de l’acquisition ?Voici deux questions brûlantes tant dans le champ dumanagement stratégique que dans le champ du compor-tement organisationnel. Les attitudes des salarié(e)s,comme prédispositions générales, et leurs comporte-ments comme mise en action de ces prédispositions dansdes contextes spécifiques, sont cruciaux pour l’applica-tion effective des stratégies rêvées par les dirigeants.Dans cet article, nous étudions les antécédents psycho-sociologiques de la satisfaction avec la fusionet de lavolonté de coopérer comme variables intermédiaires deperformance des fusions et acquisitions.Les chercheurs sur la justice organisationnelle et leschercheurs sur les fusions et acquisitions se sont rare-ment rencontrés (Meyer, 2001). De rares travaux, essen-tiellement qualitatifs ou anecdotiques, suggèrent que lajustice organisationnelle, tant dans sa composante distri-butive que dans sa composante procédurale, a un impactpositif sur la satisfaction et la volonté de coopérer (par

F U S I O N

PAR TESSA MELKONIAN, PHILIPPE MONIN, NIELS NOORDERHAVEN, AUDREY ROUZIES, ALMA TIMMERS

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exemple Monin et al., 2005). Plus récem-ment, des chercheurs en comportementorganisationnel ont suggéré une nouvelledimension dont les effets renforcent ceuxde la justice : l’exemplarité organisation-nelle (Melkonian, 2005). L’exemplaritéorganisationnelle, comme la justice organi-sationnelle, présente deux composantesprincipales : l’exemplarité comportemen-tale, ou comportement-comme-modèle, etl’exemplarité décisionnelle, ou décisison-comme-modèled’une stratégie. L’exempla-rité permettrait de mieux expliquer la satis-faction et la coopération dans des contextesorganisationnels de changement. Nousaffirmons que l’exemplarité organisation-nelle est particulièrement pertinente dansles contextes d’intégration postfusionnels.Elle contribue positivement à la satisfactionet à la volonté de coopérer, car elle se sub-stitue ou complète comme source d’infor-mation proximale, les perceptions plus lointaines et distales de justice organisa-tionnelle.Dans la première section théorique, nousdéfinissons les quatre concepts, et contras-tons leurs dimensions, leurs antécédentspsychosociologiques et leurs temporalités.Dans la seconde section théorique, nousétudions leurs effets respectifs sur deuxvariables dépendantes : la satisfaction avecla fusion et la volonté de coopérer. Nousprésentons les éléments méthodologiques etempiriques dans la troisième section. Lesrésultats sont de deux ordres : 1) les ana-lyses en composantes principales validentla convergence et la discrimination entre lesquatre concepts et 2) les coefficients deséquations des régressions établissent leseffets contrastés de ces quatre concepts surles deux variables dépendantes. La compa-raison de la magnitude des effets positifs

entre variables explicatives significativesfournit une compréhension affinée de laperformance des fusions et acquisitions.Les perceptions de justice distributive ontune influence significative et de grandemagnitude sur la satisfaction et la volontéde coopérer. La justice procédurale etl’exemplarité comportementale ont uneinfluence significative mineure sur la satis-faction avec la fusion. L’exemplarité com-portementale a une influence significative,de même envergure que celle de la justicedistributive, sur la volonté de coopérer,mais les perceptions de justice procéduralen’impactent pas la volonté de coopérer.Enfin, l’exemplarité décisionnelle n’a d’in-fluence ni sur la satisfaction avec la fusion,ni sur la volonté de coopérer. Des testsadditionnels établissent que l’intensité del’intégration, c’est-à-dire la fréquence descontacts interorganisationnels, modère lesrelations positives entre justice distributiveet exemplarité comportementale, et volontéde coopérer.Les contributions de ce manuscrit sont doncmultiples. Dans le champ du comportementorganisationnel, ce manuscrit présente – ànotre connaissance – le premier examenempirique du concept d’exemplarité. Dansle champ plus restreint de la justice organi-sationnelle, cette recherche marque uneinflexion par rapport aux nombreux travauxqui, depuis 1986, soulignent le rôle prépon-dérant de la justice procédurale au détri-ment de la justice distributive. Nous suggé-rons que, dans le contexte de changementssubstantiels et radicaux comme les F&A, cerésultat ne constitue pas une surprise. Dansle champ des F&A, et dans le champ desrelations interorganisationnelles plus géné-ralement, cette recherche constitue proba-blement une première au niveau interna-

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tional, en étudiant les effets de la justiceorganisationnelle dans ses deux dimensionsprincipales – distributive et procédurale –,et les effets de l’exemplarité dans ses deuxdimensions – comportementale et décision-nelle – sur la satisfaction et la volonté decoopérer. Pour obtenir la satisfaction dessalarié(e)s, les dirigeants doivent veiller enpremier lieu à la justice de leurs décisions.Mais pour mériter leur engagement et leurcoopération, ils doivent également êtreexemplaires, et nos résultats empiriquesmontrent que leur exemplarité comporte-mentale a un effet aussi important que lajustice distributive résultant de la fusion.Finalement, au-delà des relations inter-organisationnelles, nous discutons l’impli-cation de nos résultats dans d’autres situa-tions de changement substantiel, telles lesréorganisations intra-organisationnelles(outsourcing, etc.) qui affectent les fron-tières de l’organisation.

I. – THÉORIE ET HYPOTHÈSES

1. Justice distributive et justiceprocédurale

Depuis les années 1950, la littérature sur lajustice organisationnelle s’est développéede manière spectaculaire : elle a en effetdémontré sa pertinence théorique et sacapacité à expliquer des phénomènes orga-nisationnels, au départ en conditions expé-rimentales de laboratoire puis plus tard enconditions réelles (pour une revue franco-phone récente, voir par exemple Monin,2002 ; pour une revue anglo-saxonnerécente, voir par exemple Greenberg et Colquitt, 2005). Les théoriciens distinguentdeux conceptualisations possibles de la jus-tice : les approches dites « distributives »

qui étudient le contenu des décisions de jus-tice (Kabanoff, 1991), et les approches dites« procédurales » qui traitent des processuspar lesquels les décisions sont prises(Greenberg et Folger, 1983). Bien quemoins familière aux théoriciens des organi-sations, la théorie de la justice procéduralea joué un grand rôle dans le développementrécent du courant de recherche sur la justiceorganisationnelle (Folger et Cropanzano,1998 ; Greenberg, 1996).Confrontés à un champ à maturité (Green-berg, 1990), les pionniers de la recherchesur la justice organisationnelle ouvrentaujourd’hui deux perspectives : d’une part,ils appellent de leurs vœux des travaux dansdes contextes réels, non expérimentaux, etnous n’avons pas connaissance de travauxempiriques quantitatifs qui distinguent jus-tice distributive et justice procédurale dansle champ des fusions et acquisitions,domaine dans lequel les perceptions de jus-tice sont pourtant cruciales (Haspeslagh etJemison, 1991 ; Söderberg et Vaara, 2003).Epars, seuls quelques travaux théoriqueset/ou qualitatifs explorent l’influence desperceptions de justice distributive (voirnotamment Meyer, 2001 ; Vaara et Tienari,2003 ; Monin et al., 2005). D’autre part,pour s’enrichir, le champ de la justice orga-nisationnelle s’est ouvert au champ ducomportement organisationnel, et certainsauteurs ont appelé à de nouvelles concep-tualisations afin de réinterpréter des résul-tats existants. Nous suivons cette secondevoie en mobilisant les concepts d’exempla-rité comportementale et d’exemplarité déci-sionnelle (Melkonian, 2005). Le tableau 1compare ces quatre concepts selon leursdimensions principales, leurs fondementspsychosociologiques, et leur temporalité.

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La justice distributiveest définie [ici]comme le degré selon lequel les décisions[liées à la fusion] sont perçues commejustes par les salarié(e)s. Bien que de nom-breuses normes de justice distributive exis-tent (le besoin, l’égalité, l’équité, etc.) (voirKellerhals Coenen-Huther, et Modak,1988 ; Kabanoff, 1991), la norme de pro-portionnalité tient une place prédominantedans les échanges économiques, et la pro-portionnalité entre les rétributions et lescontributions respectives des partenairesdans la fusion détermine le sentiment dejustice (injustice) distributive. Le dévelop-pement « primitif » des théories de la jus-tice distributive est contemporain des tra-vaux sur la comparaison sociale, ladissonance cognitive et l’équilibre (Festin-ger, 1954, 1957; Heider, 1958).La justice procéduraletraite des consé-quences psychosociologiques dues auxvariations des procédures de prise de déci-sion (Kim et Mauborgne, 1991 ; Lind etTyler, 1988). La justice procédurale estdéfinie [ici] comme le degré selon lequelles processus de décisions [relatifs à lamise œuvre de la fusion] sont perçuscomme justes par les salarié(e)s. Dansleurs recherches pionnières, Friedland,Thibaut, et Walker (1973, 1974) montrentque la justice des procédures employéesconduit à une plus grande conformation –respect, obéissance et observation – auxrègles et décisions qui lui sont associées.Leventhal (1980) définit six principescanoniques de justice procédurale : laconsistance, la précision ou exactitude del’information utilisée, la suppression desbiais, la représentation ou participationsymbolique, la possibilité de rectifier ou defaire appel de la décision, et le caractèreéthique de la décision. Dans une contribu-

tion importante, (Greenberg, 1986) déter-mine empiriquement cinq facteurs quiinfluencent les jugements de justice procé-durale : la sollicitation des avis, la commu-nication bilatérale, la possibilité de discuterou de réfuter les évaluations, la familiaritéavec le travail des individus, et l’applica-tion systématique de procédures. Ces prin-cipes ou facteurs sont mobilisés de manièresystématique dans de très nombreux tra-vaux empiriques (par exemple, Starlicki et al., 1999). Notre échelle de mesure de lajustice procédurale s’appuie sur ces tra-vaux fondateurs.Dans une recherche souvent citée, caracté-risée par la diversité et l’ampleur del’échantillon, Alexander et Ruderman(1987) étudient les conséquences des juge-ments de justice procédurale sur une grandevariété de variables organisationnelles. Ilsétablissent un résultat important : non seu-lement les jugements de justice ont uneinfluence nette sur la satisfaction au travail,l’évaluation des responsables hiérarchiquesdirects, l’harmonie sociale, la confiancedans la direction générale et l’intention dechanger d’entreprise (10 % à 21 % de lavariance des variables organisationnellesest entièrement attribuable à l’effet de lajustice), mais le jugement de justice procé-durale influence davantage ces variablesorganisationnelles que le jugement de jus-tice distributive, sauf pour la variable« intention de quitter l’entreprise ». En bref,la question des différences conceptuelles etempiriques entre les deux formes de justicea été largement discutée et débattue, mais laréponse n’est pas pour autant définitive-ment acquise (voir Ambrose et Arnaud,2005). Et dans le champ des fusions etacquisitions, la question n’a jamais vrai-ment été testée ni débattue.

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Cela dit, appliquer la théorie de la justiceorganisationnelle aux contextes de fusionset acquisitions soulève néanmoins une

question de fonds : la théorie de la justiceorganisationnelle est centrée sur des (pro-cessus de) décisions souvent invisibles. De

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Tableau 1DÉFINITION, ORIGINE, DIMENSIONS, MÉCANISMES

PSYCHOSOCIOLOGIQUES ET TEMPORALITÉ

Concepts

Définition

Origine

Dimensions

Mécanismespsycho-

sociologiquessous-jacents

Temporalité

Justicedistributive

Justice dans ladistribution des

ressources.

Résultat de ladécision.

Proportionnalitéperçue entre

rétributions etcontributions.

Théories de lacomparaison

sociale et de ladissonance

(Festinger, 1954) ;théorie del’équilibre

(Heider, 1958).

À l’annonce de la décision.

Justiceprocédurale

Justice dans lesprocédures de

décisions.

Processus dedécision.

Consistance ;exactitude ;

suppression desbiais ; possibilité

d’appel de ladécision ;

participation oureprésentationsymbolique ;

caractère éthique dela décision

(Leventhal, 1980).

Recherche sur lajustice et les

procédures (Walkeret al., 1974 ;

Thibaut et al., 1974 ; Thibaut et

Walker, 1975,1978).

Avant l’annonce de la décision.

Exemplaritécomportementale

Alignement perçuentre principes

organisationnels etcomportements des

acteurs-clés.

Alignement « réel»entre principes

organisationnels etcomportements des

acteurs-clés.

Les comportementsdistaux (cadresdirigeants) etproximaux(supérieur

hiérarchique) des acteurs-clés.

Théorie del’apprentissage

vicariant (Bandura,1986).

Après l’annonce de la décision.

Exemplaritédécisionnelle

Alignement perçuentre principes

organisationnels et décisions

organisationnelles.

Alignement « réel»entre principes

organisationnels et décisions

organisationnelles.

Les décisionsorganisationnelles,notamment RH. Par

exemple, lesdécisions de

sanction/récompenseou de promotion/

licenciement.

Théorie del’alignement des

systèmes RH (Kerr,1975 ; Ulrich 1997).

Après l’annonce de la décision.

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multiples acteurs, notamment les salarié(e)sen bas de l’échelle, mais aussi les cadresopérationnels et intermédiaires qui mettentconcrètement en œuvre les rêves des diri-geants, n’ont pas toujours d’idées sur lecaractère juste des décisions prises, etencore moins sur la justice des procéduresemployées. Les multiples entretiensconduits chez Air France et KLM, auprèspar exemple de mécaniciens moteurs, d’hô-tesses ou de stewards, ou encore d’agentsd’enregistrement, suggèrent que les déci-sions et les procédures qui y conduisent leursont souvent inaccessibles. Par contre, ilsaffirment par exemple que le présidentJean-Cyril Spinetta est, ou n’est pas, exem-plaire dans ses comportements, et qu’ainsiil constitue, on non, un modèle, en d’autrestermes une cible d’identification par émula-tion (Kelman, 1961). Ils affirment aussi queles personnes qui adhèrent à la fusion sontdavantage promues depuis quelques mois.Ainsi, si le contenu des décisions et leurprocessus d’élaboration sont de toute pre-mière importance et donnent le ton à lafusion, les comportements des membres-clés de l’organisation et les décisionsconcrètes en rapport avec la fusion sontégalement observés avec attention.

2. Exemplarité comportementale et exemplarité décisionnelle

Melkonian (2005) définit l’exemplaritéorganisationnelle comme l’alignementperçu entre les principes organisationnelsénoncés que les membres de l’organisationdoivent appliquer, et les comportementsindividuels et/ou décisions organisation-nelles qui les traduisent. Dans le cas desfusions et acquisitions, l’exemplarité orga-nisationnelle reflète l’alignement perçuentre les principes annoncés de la fusion

(i.e. les comportements attendus de la partdes salariés dans le contexte de la fusion),et les comportements des acteurs-clés et lesprocessus organisationnels, notammentRH, qui en découlent. L’exemplarité adonc, comme la justice organisationnelle,deux composantes.L’exemplarité comportementalerenvoieaux comportements d’acteurs visibles et/ouemblématiques, proches et/ou éloignés, quimodèlentlittéralement les comportementsattendus dans le cadre de la fusion. Cesacteurs-clés, dont les comportements sontparticulièrement surveillés et analysés àl’aune des principes organisationnels de lafusion, incluent notamment 1) les dirigeantsde l’organisation, car ils incarnent le som-met l’organisation et leurs actes revêtentune dimension symbolique et généralisable,et 2) le supérieur hiérarchique, car sesactions constituent des indices locaux etvisibles, de proximité, qui signalent l’espritet/ou les valeurs de la fusion auprès de sala-rié(e)s, parfois profondément enfoui(e)sdans les unités et départements des organi-sations en fusion. Ces acteurs-clés fournis-sent des exemples-à-suivreet des exemples-à-ne-pas-suivreaux membres de l’orga-nisation qui cherchent quel comportementadopter dans le cadre de la fusion. De nom-breux travaux socio-cognitifs ont démontréque les individus choisissent leurs compor-tements et en apprennent de nouveaux enfonction des comportements qu’ils obser-vent dans leur environnement quotidien.Cet apprentissage vicariant (Bandura,1986) est d’autant plus nécessaire que lesmembres de l’organisation sont hyper-vigi-lants et de moins en moins enclins à « ache-ter » le discours organisationnel (i.e. lesprincipes et justifications de la fusion) sansconditions (Folger et Skarlicki, 1999;

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Janis, 1982). Cet apprentissage vicariant estd’autant plus probable et intense que l’envi-ronnement change radicalement et brutale-ment, et les fusions et acquisitions consti-tuent des cas extrêmes, s’il en est, dechangements brutaux et radicaux. En bref,les salarié(e)s hésitent sur les comporte-ments à adopter, et scrutent des exemples àsuivre dans leur environnement proximal(supérieur hiérarchique) ou distal (topmanagement). L’exemplarité décisionnellerenvoie auxdécisions qui renforcent ou sapent les prin-cipes associés à la fusion (Melkonian,2005). Ces processus décisionnels concer-nent principalement les systèmes RH depromotions/récompenses et de sanctions, etles mécanismes de recrutements/licencie-ments. Dans le cas des fusions et acquisi-tions, a fortiori au démarrage du processusde fusion, l’exemplarité décisionnelleconcerne plus particulièrement les systèmesde promotion/sanction car les systèmes derecrutements/licenciements peuvent êtremomentanément « gelés ». Les décisions depromotion/sanction ont une valeur symbo-lique puisqu’elles sont visibles pour l’en-semble du corps social, à la fois d’un pointde vue proximal (par exemple ce qui sepasse en termes de sanctions/récompensesdans mon département) et distal (parexemple ce qui se passe en termes de sanc-tions/récompenses au plus haut niveau del’organisation). Comme l’affirmait Kerr(1975) il y a 30 ans déjà, l’alignement dessystèmes RH est un élément fondamentaldu succès d’un changement pour deux rai-sons : certes, il crédibilise le discours orga-nisationnel, mais il permet surtout auxmembres de l’organisation d’avoir une idéeconcrète des conséquences (du type sanc-tion/récompense) des comportements qu’ils

choisiront d’adopter (Ulrich, 1997). Dansce manuscrit, nous souhaitons d’abord éta-blir la validité convergente et discriminanteentre ces quatre concepts, avant d’examinerleur influence sur la performance desfusions et acquisitions, d’où les quatrehypothèses suivantes :Hypothèse 1a.La justice distributive estconceptuellement distincte de la justiceprocédurale, de l’exemplarité comporte-mentale et de l’exemplarité décisionnelle.Hypothèse 1b.La justice procédurale estconceptuellement distincte de la justice dis-tributive de l’exemplarité comportementaleet de l’exemplarité décisionnelle.Hypothèse 1c. L’exemplarité comporte-mentale est conceptuellement distincte del’exemplarité décisionnelle, de la justicedistributive et de la justice procédurale.Hypothèse 1d.L’exemplarité décisionnelleest conceptuellement distincte de l’exem-plarité comportementale, de la justice dis-tributive et de la justice procédurale.

II. – JUSTICE, EXEMPLARITÉ ET PERFORMANCE POST-

FUSIONNELLE

La littérature abondante sur les fusions etacquisitions a largement développé la pro-blématique sociopolitique, en complémentdes problématiques culturelles et technico-économiques (voir Haspeslagh et Jemison,1991, pour une synthèse fondatrice parexemple ; Véry, 2002, pour une revue fran-cophone originale ; et Söderberg et Vaara,2003, pour une synthèse récente et illustréesur les dimensions essentiellement cultu-relles et sociopolitiques). À la suite des tra-vaux monographiques précurseurs deBuono et Bowditch (1989) et Buono, Bowditch et Lewis (1985), de nombreux

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travaux empiriques, souvent qualitatifs, ontétudié les multiples facettes des antécédentsculturels, politiques et psychosociolo-giques de l’intégration postacquisitoire ou postefusionnelle.Ils s’accordent sur l’exis-tence répandue et assez systématique deréactions négatives – tant attitudinales quecomportementales – chez les salarié(e)saffecté(e)s. Ces réactions incluent notam-ment le désengagement, la baisse de laloyauté et l’accroissement du turn-overnatu-rel, le déclin de la productivité relié aux pra-tiques de « politicking», voire des comporte-ments non éthiques (Citera et Rentsch, 1993).

1. Justice organisationnelle et performance postfusionnelle

De rares travaux, partiels, ont exploré l’in-fluence des perceptions de justice organisa-tionnelle sur la qualité de l’intégration postfusion. Citera et Rensh (1993), parexemple, soulignent que la prise en comptedes éléments de justice procédurale dans leprocessus de planification de la fusion per-met de réduire ces conséquences négatives.Monin et al. (2005) ont proposé un cas« extrême » dans lequel deux normes dejustice distributive : l’égalité et l’équité,entrent en conflit et conduisent à la sépara-tion de deux entreprises qui avaient pourtant fusionné 18 mois auparavant (BioMérieux-Pierre Fabre), mais lesauteurs n’évoquent pas directement la jus-tice procédurale. À l’inverse, Lipponen etal. (2004) étudient les impacts de la seulejustice procédurale sur les processus defusions. Globalement, ces travaux fournis-sent des résultats parcellaires et contrastés.Nous affirmons que les deux formes de jus-tice ont des effets positifs mais d’ampleurvariable selon que la variable dépendante

est attitudinale (satisfaction avec la fusion)ou comportementale (la volonté de coopé-rer dans le cadre de la fusion). D’une part, la justice distributive aurait uneffet positif et de grande ampleur sur lasatisfaction avec la fusion. Les salariés quiperçoivent un équilibre entre les contribu-tions de leur organisation d’origine, et lesrétributions, bénéfices, ou autres positionsqu’elle en retire après la fusion, seraientdavantage satisfaits. À l’inverse, touteforme de privation relative conduirait à ladis-satisfaction. D’autre part, la justice pro-cédurale aurait un effet positif mais defaible ampleur sur la satisfaction avec lafusion. En effet, nous suggérons que lesemployées et cadres opérationnels et inter-médiaires sont éloignés des processus dedécision stratégiques, notamment lorsque lesecret domine les négociations, et unensemble de contraintes, tant juridiques(droit d’alerte, délit d’entrave, etc.) questratégiques (se taire pour prévenir le départd’acteurs-clés et favoriser la rétention, etc.),empêchent la communication bilatérale, lasollicitation des avis, etc. et violent les prin-cipes de justice procédurale tels que définispar Leventhal (1980) ou Greenberg (1986).En bref : Hypothèse 2a.Les perceptions de justicedistributive sont positivement corrélées à lasatisfaction avec la fusion.Hypothèse 2b.Les perceptions de justiceprocédurale sont positivement corrélées à lasatisfaction avec la fusion.Hypothèse 2c.L’effet des perceptions dejustice distributive sur la satisfaction avecla fusion est supérieur à l’effet des percep-tions de justice procédurale sur la satisfac-tion avec la fusion.

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Nous suggérons que les effets de la justicedistributive et de la justice procédurale sontégalement positifs sur la variable intermé-diaire de comportement : volonté de coopé-rer. Pour les raisons évoquées précédem-ment, l’effet des perceptions de justicedistributive sur la volonté de coopérerdevrait être supérieur à l’effet des percep-tions de justice procédurale sur la volontéde coopérer. Mais nous pensons que leseffets de la justice organisationnelledevraient être de moindre ampleur sur lavariable intermédiaire de comportement :volonté de coopérer, que sur la variableintermédiaire d’attitude : satisfaction avecla fusion. En effet, autant la satisfaction parrapport à la fusion est une attitude essen-tiellement liée aux perceptions par rapport àla fusion, autant la volonté de coopérer avecle partenaire, par des comportements etactions concrètes, relève aussi d’autres fac-teurs locaux et incitations non directementliées à la fusion, comme par exemple lesconditions de travail qui président auxinteractions entre organisations en fusion.En bref :Hypothèse 3a.Les perceptions de justicedistributive sont positivement corrélées à lavolonté de coopérer.Hypothèse 3b.Les perceptions de justiceprocédurale sont positivement corrélées à lavolonté de coopérer.Hypothèse 3c.L’effet des perceptions dejustice distributive sur la volonté de coopé-rer est supérieur à l’effet des perceptions de justice procédurale sur la volonté decoopérer.Hypothèse 3d.Les effets des perceptionsde justice distributive et procédurale sur lasatisfaction avec la fusion sont supérieursaux effets des perceptions de justice distri-

butive et procédurale sur la volonté decoopérer.

2. Exemplarité organisationnelle et performance postfusionnelle

L’exemplarité des comportements d’ac-teurs-clés proximaux (supérieur hiérar-chique) ou distaux (président, directeurgénéral, cadres dirigeants exposés publi-quement, experts) fournit aux salarié(e)sdes exemples ou modèles concrets de com-portements-à-suivre et de comportements-à-ne-pas-suivre. En période de changementincertain et de grande ampleur, tel celuid’une FA, les salarié(e)s scrutent les com-portements adoptés dans leur environne-ment proche pour, à leur tour, adopter uncomportement répondant aux demandesorganisationnelles (Bandura, 1986). Cessalariés qui cherchent à se positionner sontparticulièrement attentifs aux comporte-ments des représentants officiels de l’orga-nisation, car ces acteurs-clés (qu’ils soientsupérieur hiérarchique ou dirigeants) sontdes cibles privilégiées d’observation(Jones, 1995) et des cibles pertinentesd’émulation (Kelman, 1961). De nom-breuses études empiriques ont démontrél’influence des comportements des acteurs-clés de l’organisation sur les attitudes et lescomportements des autres membres de l’or-ganisation, dans un contexte déterminé dechangement (voir par exemple Armenakiset al., 1995 ; Mathieu et Zajac, 1990). Enconséquence :Hypothèse 4a.Les perceptions d’exempla-rité comportementale sont positivementcorrélées à la satisfaction avec la fusion.Hypothèse 4b.Les perceptions d’exempla-rité comportementale sont positivementcorrélées à la volonté de coopérer.

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L’exemplarité décisionnelle crédibilise lafusion (pour une réflexion sur la crédibilité,voir Simons, 2002) dans la mesure où ellefournit aux salarié(e)s d’autres signaux derenforcement quant aux comportements àsuivre et à ne pas suivre. Parmi ces signauxde renforcement, l’alignement des systèmesde récompense (Kerr, 1975 ; Ulrich, 1997)a un double impact. Il permet de rassurerles salariés sceptiques quant aux véritablesintentions de leur organisation dans lecontexte de la fusion, en leur fournissant lapreuve que leur organisation engage unminimum de moyens pour s’assurer del’atteinte des objectifs annoncés. Il permetégalement à l’organisation de montrer auxsalariés quelles seront les conséquences deleurs comportements, selon qu’ils optentpour des comportements-à-suivre ou pourdes comportements-à-ne-pas-suivre face àla demande de changement qu’elle leuradresse. En conséquence :Hypothèse 5a.Les perceptions d’exempla-rité décisionnelle sont positivement corré-lées à la satisfaction avec la fusion.Hypothèse 5b.Les perceptions d’exempla-rité décisionnelle sont positivement corré-lées à la volonté de coopérer.Enfin, les quatre phénomènes différentselon leur temporalité (voir tableau 1). Lesperceptions de justice distributive et procé-durale sont les premières à être potentielle-ment perceptibles dans le temps par lesmembres du corps social, puisqu’elles pren-nent corps respectivement au moment et enamont de la prise de décision, et peuventdonc jouer un rôle prépondérant dans la for-mation des premières réactions à l’annoncede la fusion, dont le degré de satisfaction.Les perceptions d’exemplarité comporte-mentale et décisionnelle ne prennent corps

qu’après la décision de fusion, c’est-à-direà partir du moment où des premiers com-portements ou décisions RH en lien avec lafusion peuvent être observés par le corpssocial, et jouent peut-être un rôle secon-daire dans la formation initiale des réac-tions à l’annonce de la fusion.À l’inverse, les mécanismes psycholo-giques sous-jacents relatifs à l’exemplaritécomportementale (apprentissage vicariant)et décisionnelle (renforcement via l’aligne-ment des systèmes RH) ont un impact directsur le choix des salariés en termes de com-portements, dont la volonté de coopérer.Ceux-ci peuvent se sentir contraintsd’adopter un comportement (pour fairepareil que les autres ou pour éviter dessanctions) sans pour autant être satisfaits dela fusion. Ces arguments conduisent auxdeux hypothèses suivantes :Hypothèse 6a.Les perceptions de justicedistributive et procédurale ont plus d’im-pact sur la satisfaction avec la fusion queles perceptions d’exemplarité comporte-mentale et décisionnelle.Hypothèse 6b.Les perceptions d’exempla-rité comportementale et décisionnelle ontplus d’impact sur la volonté de coopérerque les perceptions de justice distributive etprocédurale.

III. – CONTEXTE DE RECHERCHEET MÉTHODE

1. Air France-KLM

La recherche se déroule au sein du groupeaérien Air France-KLM. Air France, compa-gnie nationale française, a fusionné officiel-lement en septembre 2004 avec sa consœurnéerlandaise KLM, pour constituer aujour-d’hui le leader mondial du transport aérien

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en chiffre d’affaire et voyageurs/kilomètrestransportés. Les premiers résultats semes-triels, publiés le 19 novembre 2005, men-tionnent des résultats supérieurs aux attenteset une avance sur le plan de synergies. Puis-qu’une fusion est un processus continu, aucours duquel des décisions sont prises etmises en œuvre régulièrement, puisque lescomportements des acteurs-clés embléma-tiques et des managers hiérarchiques peu-vent être observés pratiquement au quoti-dien, nous avons construit un design derecherche longitudinal pour contrôler l’évo-lution des perceptions de justice organisa-tionnelle et d’exemplarité organisationnelledans le temps, selon la séquence propre dedéveloppement de chaque concept (Miller etFriesen, 1982).Le contrat de recherche établi entre AirFrance, KLM et les chercheurs a permis deconduire une centaine d’entretiens qualita-tifs avec divers acteurs des deux compa-gnies au cours de l’année 2004-2005, et unquestionnaire a été construit en troislangues (français, néerlandais et anglais), etadministré à deux reprises en novembre2004 et mai 2005, auprès de deux échan-tillons aléatoires stratifiés indépendants.Dans ce manuscrit, seules les donnéesquantitatives sont exploitées.

2. Échantillonnage et taux de réponse

Les échantillons constitués sont aléatoireset stratifiés, c’est-à-dire qu’ils représententla structure de l’effectif de Air France etKLM selon l’ancienneté, le niveau hiérar-chique et les métiers : personnel au sol surle hub, personnel navigant commercial (lespersonnels navigants techniques, essentiel-lement les pilotes, sont exclus de l’échan-tillon), personnel siège et supports, AirFrance Industrie (ingénierie et mainte-

nance) et délégations étrangères. Ces cinqcatégories de personnel ne sont pas expo-sées selon la même intensité et la mêmeacuité à la fusion. L’activité cargo, déjàintégrée entre Air France et KLM avant lafusion, et qui présente une logique straté-gique tout à fait différente, n’entre pas dansle périmètre de la recherche.Chaque salarié(e) de l’échantillon reçoit àson domicile un questionnaire, accompagnéd’une lettre du président (soit de AirFrance, soit de KLM) qui sollicite sa coopé-ration, d’une seconde lettre qui explique lesobjectifs de la recherche et assure uneconfidentialité et un anonymat entiers, etd’une enveloppe réponse prépayée. Suite àla première série d’envois postaux justeaprès l’officialisation de la fusion, 604questionnaires retournés (38 %) sontexploitables (289 d’une organisation et 315de l’autre). Après la seconde série d’envoispostaux, juste après l’officialisation de lafusion, 1029 questionnaires retournés(35%) sont exploitables (525 d’une organi-sation et 504 de l’autre). Aucune différencesignificative n’est observée entre les com-pagnies et les séries d’envois relativementaux variables démographiques de contrôle :âge, ancienneté, genre et niveau hiérar-chique des répondants.

3. Variables dépendantes

Des contraintes de taille du questionnairenous ont conduit à utiliser des mesures à unseul item pour nos deux variables dépen-dantes. Les employés répondent sur uneéchelle de Likert à 5 niveaux aux deuxaffirmations suivantes : «Tout compte fait,je suis satisfait du rapprochement AirFrance-KLM.» et «Je suis ouvert pourcoopérer avec mes collègues de (KLM) AirFrance si nécessaire.»

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4. Variables de contrôle

Nous contrôlons les effets liées à la période(variable binaire 0-1), la compagnie(variable binaire 0-1), l’ancienneté (enannées), le genre (variable binaire 0-1), leniveau de supervision(variable binaire 0-1selon que le répondant encadre ou non), etle niveau d’intégrationdes activités entreAir France et KLM (0-1-2). Dans deuxmétiers : le personnel au sol sur le hub et lepersonnel navigant commercial (hôtesses etstewards), l’intensité des contacts entrecompagnie est marginale, sinon inexistante,et ces catégories sont codées 0. À la main-tenance et au siège, la fréquence des inter-actions est moyenne, avec une grandevariété selon les fonctions (élevée au Yieldand Revenue Managementet faible dansl’équipe RH par exemple), et ces catégoriessont codées 1. Quant aux délégations euro-péennes, les équipes de plus petites taillesont déjà pour la plupart d’entre elles démé-nagé pour partager les mêmes sites de tra-vail et opérer leurs vols et les services d’es-cale ensemble. L’intensité d’intégration estélevée et permanente, et nous codons 2cette catégorie de personnel dans les délé-gations. Nous contrôlons en fin la variableâge (en années), mais elle est fortementcorrélée par construction à l’ancienneté, etnous ne l’incluons pas dans les modèlesprésentés.

5. Variables explicatives

Nous utilisons une échelle à quatre itemsbasée sur des mesures antérieures publiées(Folger et Konovsky, 1989) pour mesurer lajustice distributive.Les affirmations sontles suivantes : 1) «Les décisions prises dansle cadre du rapprochement ne lèsent aucunedes deux compagnies», 2) «Globalement,les décisions prises par la direction générale

dans le cadre du rapprochement et quiimpactent votre entité sont justes», 3) «Lesdécisions prises dans le cadre du rapproche-ment favorisent (KLM) Air France» et 4)« Globalement, l’accord Air France-KLMest juste». Ces items sont mesurés sur uneéchelle de Likert à cinq modalités, variantde « pas du tout d’accord» à « tout à faitd’accord».Nous utilisons une échelle à quatre itemsbasée sur des mesures antérieures publiées(par exemple Kim et Mauborgne, 1993)pour mesurer la justice procédurale.Lesaffirmations sont les suivantes : 1) « Pourautant que vous le sachiez, la direction devotre entité a eu la possibilité de communi-quer directement avec la direction généraleau sujet des décisions liées au rapproche-ment Air France-KLM», 2) « Les décisionsprises dans le cadre du rapprochement AirFrance-KLM tiennent compte des spécifici-tés de votre entité», 3) «Dans le cadre durapprochement Air France-KLM, votreentité a été bien informée des décisions laconcernant» et 4) « Pour autant que vous lesachiez, la direction de votre entité a eu lapossibilité de critiquer les décisions prisesdans le cadre du rapprochement Air France-KLM». Ces items sont mesurés sur uneéchelle de Likert à cinq modalités, variantde «pas du tout d’accord» à « tout à faitd’accord».Pour mesurer l’exemplarité,nous dévelop-pons notre propre échelle à six items, fon-dée sur les travaux de (Melkonian, 2005).Voici les six affirmations : 1) « Les com-portements de la direction générale sontconformes à l’accord Air France-KLM» ;2) « Les comportements des responsablesde mon entité sont conformes à l’accord AirFrance-KLM », 3) « Chez (KLM) AirFrance, on sanctionne les comportements

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contraires à l’accord Air France-KLM», 4)« Dans mon entité, on sanctionne les com-portements contraires à l’accord AirFrance-KLM », 5) « Chez (KLM) AirFrance, on valorise les comportementsconformes à l’accord Air France-KLM» et6) « Dans mon entité, on valorise les com-portements conformes à l’accord AirFrance-KLM». Ces six affirmations sontévaluées sur la même échelle de Likert àcinq modalités.

IV. – RÉSULTATS

1. Validité convergente et discriminantedes variables explicatives

Tester les hypothèses 1a, 1b, 1c et 1dconsiste à établir la validité convergente etla validité discriminante des quatrevariables explicatives. La validité conver-gente, c’est-à-dire le degré selon lequel dif-férentes tentatives de mesurer un mêmeconcept convergent, c’est-à-dire s’accor-dent, peut s’évaluer par les coefficients (oupoids ou « loadings ») des facteurs ou com-posantes. La validité discriminante estacquise lorsque les items convergent vers lacomposante théoriquement attendue, et demanière dominante. Une analyse factorielleexploratoire à partir des 14 items présentésci-dessus aboutit à l’obtention de quatrecomposantes dont les valeurs propres sontsupérieures au seuil de 1 (5.114 ; 2.118 ;1.106 et 1.039), et qui expliquent 66,98 %de la variance.La matrice des composantes après rotationVarimax et normalisation de Kaiser sup-porte la validité convergente et discrimi-nante : chaque coefficient est significative-ment relié à la composante sous-jacente ettous les coefficients standardisés sont large-

ment au-delà du seuil de 0,50. Pour la jus-tice distributive, les coefficients s’élèvent à71 ; 58 ; 81 et 69). Pour la justice procédu-rale, les coefficients s’élèvent à 77 ; 69 ; 66et 77). L’exemplarité comportementaleregroupe, comme prévu, les deux items sui-vants : « Les dirigeants de (KLM) AirFrance se comportent en accord avec le rap-prochement Air France-KLM», et « Lesmanagers de mon département France secomportent en accord avec le rapproche-ment Air France-KLM» (83 et 79). Enfin,l’exemplarité comportementale regroupeles quatre derniers items et les coefficientss’élèvent à 83 ; 86 ; 73 et 71. Les coeffi-cients Alpha de Crombach (respectivement764 ; 781 ; 809 et 830) renforcent la validitéconvergente et discriminante. In fine, cesanalyses descriptives suggèrent que lesvariables explicatives constituent autant dedimensions indépendantes et valident leshypothèses 1a, 1b, 1c et 1d. Des analysesinférentielles de régression, conduites surSTATA 8.0, permettent de tester les hypo-thèses suivantes.

2. Statistiques descriptives et modèles de régressions

Le tableau 2 reporte la valeur minimale,maximale, moyenne, l’écart type et lamatrice des corrélations pour toutes lesvariables du modèle. Un coefficient decorrélation est élevé par construction(entre âge et ancienneté), et six coeffi-cients de corrélation sont élevés par théo-rie (entre les deux variables dépendantes :satisfaction et volonté de coopérer; entrejustice distributive et justice procédurale;entre exemplarité comportementale et lesdeux dimensions de la distributive organi-sationnelle ; et entre satisfaction et les

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deux dimensions de la distributive organi-sationnelle). Pour évaluer les risques demulticollinéarité, nous avons calculé lesfacteurs d’inflation de la variance (VIFs :variance inflation factors) pour les équa-tions et pour chaque variable. En confor-mité avec les seuils acceptables, aucunecombinaison de variables introduites dansle modèle ne présente un VIF supérieur à3, et aucune variable individuelle ne pré-sente un VIF supérieur à 10 (VIF moyende 1,24 et VIF maximal de 1,69 pour cha-cun des deux modèles complets de régres-sion). Les tableaux 3 et 4 reportent les ana-

lyses de régression pour chacune desvariables dépendantes.

3. Antécédents de la satisfaction avec la fusion

Ainsi que le modèle 1 le suggère, l’une descompagnies est significativement moinssatisfaite de la fusion que l’autre (-,20***),et les hiérarchiques qui supervisent des col-laborateurs sont plus satisfaits que les sala-rié(e)s de premier niveau (0,19***). Lesautres variables de contrôle sont marginale-ment significatives au seuil de 0,10, et laqualité explicative du modèle est faible (R2

Être juste, ou être exemplaire ? 243

Tableau 3RÉGRESSIONS OLS-ML – SATISFACTION AVEC LA FUSION AIR FRANCE-KLM

Satisfaction Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4

Période 0,09+ (0,05) 0,07+(0,03) 0,08+ (0,04) 0,07+ (0,04)

Compagnie -0,20*** (0,05) -0,07+ (0,03) -0,12*** (0,04) -0,06+ (0,03)

Intégration 0,06+ (0,03) -0,006 (0,02) -0,02 (0,03) -0,02 (0,02)

Genre -0,09+ (0,05) -0,07+ (0,04) -0,135** (0,05) -0,07+ (0,04)

Ancienneté -0,003 (0,002) -0,003* (0,002) -0,004+ (0,002) -0,003+ (0,002)

Supervision 0,19*** (0,05) 0,06 (0,04) 0,15** (0,05) 0,06 (0,04)

Justice distributive 0,76*** (0,03) 0,73*** (0,03)

Justice procédurale 0,14*** (0,02) 0,10*-** (0,03)

Exemplarité décis. 0,102**(0,03) 0,02 (0,02)

Exemplarité comp. 0,44*** (0,003) 0,08** (0,03)

Constante 3,42*** 0,73*** 1,72*** 0,55***

N 1455 1407 1402 1382

F Test 6,08*** 153,10*** 35,99*** 119,89***

Degrés de liberté 6 8 8 10

R2 ajusté 0,02*** 0,46*** 0,16*** 0,46**

∆R2 ajusté 0,44*** 0,14*** 0,44***

Entre parenthèses, les écarts types ; *** p <.001, ** p <.01, * p <.05, + p <.10. Tests symétriques ; les variationsde R2 ajusté (∆R2 ajusté) sont calculées à partir du modèle de base avec variables de contrôle.

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ajusté de 0,02***). Le modèle 2 suggèreque les perceptions de justice tant distribu-tive que procédurale sont très explicativesde la satisfaction avec la fusion. La qualitéexplicative du modèle s’accroît de manièrespectaculaire (R2 ajusté = 0,46***, ∆R2

ajusté = 0,44***), mais la variable supervi-sion devient non significative. Un test decomparaison des coefficients de la justicedistributive (0,76***) et de la justice procé-durale (,14***) montre que l’effet des per-ceptions de justice distributive sur la satis-faction avec la fusion est très supérieur àl’effet des perceptions de justice procédu-rale sur la satisfaction avec la fusion (F test(1,1371) = 145,21***). Les hypothèses 2a,2b et 2c sont validées.Le modèle 3 suggère que l’exemplaritédécisionnelle et l’exemplarité comporte-mentale sont positivement corrélées à lasatisfaction avec la fusion. Le modèle 3 estbeaucoup plus explicatif que le modèle debase (R2 ajusté = 0,16***, ∆R2 ajusté =0,14***), mais l’exemplarité organisation-nelle reste moins explicative que la justiceorganisationnelle (modèle 3 versus modèle2). Le modèle 4, complet, présente lesquatre variables explicatives, et l’exempla-rité décisionnelle n’est plus significativelorsque la justice organisationnelle est priseen compte. Ainsi, l’hypothèse 4a est validéeet l’hypothèse 5a rejetée.Un test de comparaison des coefficients dela justice procédurale (,10***) et del’exemplarité comportementale (0,08**)ne montre pas de différence significative demagnitude entre coefficients (F test(1,1371) = 0,16). En bref, l’hypothèse 6a :« les perceptions de justice distributive etprocédurale ont plus d’impact sur la satis-faction avec la fusion que les perceptionsd’exemplarité comportementale et déci-

sionnelle », n’est que partiellement validée.Les contributions respectives des quatrevariables offrent une image plus subtile dela satisfaction postfusionnelle : sur uneéchelle de 1 à 5, la justice distributive a unrôle prépondérant (un accroissement de 1point de la perception de la justice distribu-tive accroît de 0,73 point la satisfactionavec la fusion), la justice procédurale etl’exemplarité comportementale ont un rôlemineur et globalement équivalent (unaccroissement de 1 point de la perceptionde la justice procédurale et de l’exemplaritécomportementale accroissent de 0,10 et0,08 point la satisfaction avec la fusion), etl’exemplarité décisionnelle n’a pas d’in-fluence claire sur la satisfaction avec lafusion.

4. Antécédents de la volonté de coopérer

Le modèle 5 suggère que les salarié(e)s del’une des compagnies sont significative-ment moins enclins à coopérer (-,14***),mais que les hiérarchiques qui supervisentdes collaborateurs sont plus enclins àcoopérer que les salarié(e)s de premierniveau (0,10***), et les salarié(e)s quisont plus fréquemment et intensémentexposé(e)s à leurs homologues sont égale-ment plus enclins à coopérer (0,20***).L’ancienneté, le genre et la période nesont pas explicatifs de la volonté decoopérer. Globalement, la qualité explica-tive du modèle reste faible (R2 ajusté de0,05***). À ce niveau, il est intéressant derelever une différence entre les deuxmodèles de base pour les deux variablesdépendantes : la satisfaction avec lafusion est indépendante, mais la volontéde coopérer est fortement et positivementaffectée par le degré d’intégration interorganisationnelle.

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Le modèle 6 indique que les perceptions dejustice tant distributive que procéduralesont très explicatives de la volonté decoopérer. La qualité explicative du modèles’accroît (R2 ajusté = 0,19***, ∆R2 ajusté= 0,14***), et la variable supervisiondevient non significative. Un test de com-paraison des coefficients de la justice dis-tributive (0,27***) et de la justice procédu-rale (0,09***) montre que l’effet desperceptions de justice distributive sur la

volonté de coopérer est très supérieur àl’effet des perceptions de justice procédu-rale (F test (1,1400) = 154.30***). Leshypothèses 2a, 2b et 2c sont validées.Enfin, les effets de la justice distributive etde la justice procédurale sont significative-ment plus élevés sur la satisfaction avec lafusion que sur la volonté de coopérer. Leshypothèses 3a, 3b, 3c et 3d sont donc vali-dées. Le modèle 7 inclut l’exemplaritédécisionnelle et l’exemplarité comporte-

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Tableau 4RÉGRESSIONS OLS-ML – VOLONTÉ DE COOPÉRER

Coopération Modèle 5 Modèle 6 Modèle 7 Modèle 8 Modèle 9 Modèle 10

Round -0,05 (0,03) -0,06+(0,03) -0,06+(0,03) -0,06+(0,03) -0,05(0,03) -0,05(0,03)

Compagnie -0,14***(0,03) -0,09***(0,03) -0,09**(0,03) -0,08**(0,03) -0,09**(0,03) -0,08**(0,03)

Intégration 0,20*** (0,02) 0,17***(0,03) 0,13***(0,02) 0,13***(0,02) 0,43***(0,10) 0,31*(0,12)

Genre 0,02 (0,03) 0,01(0,03) -0,00(0,03) 0,01(0,03) 0,02(0,03) 0,00(0,03)

Ancienneté -0,00 (0,00) -0,00(0,00) -0,00(0,00) -0,00(0,00) -0,00(0,00) -0,00(0,00)

Supervision 0,102** (0,03) 0,04(0,03) 0,05(0,04) 0,03(0,03) 0,04(0,03) 0,06+(0,03)

Justice distrib. 0,27***(0,02) 0,21***(0,02) 0,47***(0,08)

JD * Intégration -0,11**(0,04)

Justice procédurale 0,09***(0,02) 0,02(0,02) 0,05(0,07)

JP * intégration 0,02(0,03)

Exemplarité décis. 0,02 (0,02) 0,02(0,02) -0,07(0,06)

Ex. décis. * intég. 0,05(0,03)

Ex. comp. 0,322***(0,02) 0,21***(0,02) 0,49***(0,06)

Ex. Comp. * intég. -0,09**(0,03)

Constante 4,22*** 3,16*** 3,18*** 2,86*** 2,67*** 2,84***

N 1458 1409 1405 1385 1409 1405

F Test 14,82*** 42,60*** 39,83*** 41,94*** 35,15*** 35,15***

Degrés de liberté 6 8 8 10 10 10

R2 ajusté 0,05*** 0,19*** 0,18*** 0,23*** 0,20*** 0,19***

∆R2 ajusté ∆0,14*** ∆0,13*** ∆0,18*** ∆0,15*** ∆0,14***

Entre parenthèses, les écarts types ; *** p <.001, ** p <.01, * p <.05, + p<.10. Tests symétriques ; les variationsde R2 ajusté (∆R2 ajusté) sont calculées à partir du modèle de base avec variables de contrôle.

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mentale. Seule l’exemplarité comporte-mentale est positivement et significative-ment corrélée à la volonté de coopérer (,32***). L’hypothèse 4b est validée maisl’hypothèse 5b est rejetée.Enfin, le modèle 8, complet, inclut lesquatre variables explicatives, et la justiceprocédurale n’est plus significative. Nousconduisons un test de comparaison pourévaluer la magnitude relative des effets de la justice distributive et de l’exem-plarité comportementale, et rejetons l’hypo-thèse de différence les coefficients(F(1,1374) = 0,01). En bref, l’hypothèse6b : les perceptions d’exemplarité compor-tementale et décisionnelle ont plus d’im-pact sur la volonté de coopérer que les per-ceptions de justice distributive etprocédurale, est rejetée. Les coefficientsrespectifs des quatre variables offrent uneimage plus subtile de la volonté de coopé-rer : sur une échelle de 1 à 5, la justice dis-tributive et l’exemplarité comportementaleont un rôle prépondérant et de mêmemagnitude (un accroissement de 1 point dela perception de la justice distributive ou del’exemplarité comportementale accroissentde 0,21 point la volonté de coopérer), et lajustice procédurale et l’exemplarité déci-sionnelle n’ont un pas d’influence claire surla volonté de coopérer.

5. Tests additionnels de robustesse

Pour valider nos résultats, nous avonsconduit un ensemble de tests additionnels.Notamment, nous avons reproduit l’en-semble des modèles 2 à 4 et 5 à 8 en

incluant des variables d’interaction entreles quatre variables explicatives et lapériode, l’ancienneté, le genre et le niveaude supervision. Nous n’avons observéaucun effet significatif des variables d’in-teraction, et les modèles présentent lemême pattern au niveau des coefficients desvariables explicatives. Par contre, le carac-tère très significatif et élevé (,20*** dans lemodèle de base 5) de la variable decontrôle : intensité de l’intégrationnousconduit à étudier les effets de l’interactionde cette variable avec les antécédents expli-catifs de la volonté de coopérer : la justicedistributive et l’exemplarité comportemen-tale. Les modèles 9 et 10 présentent lesrésultats1. Les variables d’interaction sug-gèrent des effets modérateurs très significa-tifs : l’intensité de l’intégration modèrenégativement les relations positives entreperceptions de justice distributive, exem-plarité comportementale, et volonté decoopérer. En d’autres termes, les effets de lajustice distributive et de l’exemplarité com-portementale sont d’autant plus marquésque l’on n’est pas soi-même impliqué dansdes contacts inter organisationnels fré-quents, voire quotidiens. Ce résultat n’estpas surprenant : en cas d’interactions répé-tées, les individus mobilisent des sourcesd’information plus proches et surtout pluspersonnelles. La justice distributive etl’exemplarité comportementale s’estom-pent alors derrière les expériences enfouiesdans les unités organisationnelles, au fur età mesure que les histoires individuelles dela fusion se développent.

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1 On observe un effet classique d’instabilité des coefficients des variables qui entrent dans l’interaction (intégra-tion et justice distributive ; intégration et exemplarité comportementale), et dans notre cas, l’intercept (ou constante)réduit autant que les coefficients des variables directes augmentent. Par souci de simplification et de brièveté, nousne reportons pas les tests usuels de contrôle de mutlicollinéarité par réduction-centrage des variables incriminées.

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V. – DISCUSSION

1. Contributions des concepts de justiceet d’exemplarité organisationnelle

Bien que de nombreux chercheurs aientévoqué le rôle des perceptions de justiceorganisationnelle dans la performance postfusionnelle ou postacquisitoire, raressont les travaux empiriques robustes exis-tants. La justice distributive, ou perceptionde proportionnalité entre rétributions etcontributions, détermine en grande partie lasatisfaction des membres de l’organisation.La justice procédurale ou l’exemplarité desacteurs-clés ne jouent alors qu’un rôle mar-ginal de faible magnitude. Mais le senti-ment de justice distributive est insuffisantpour gagner le soutien concret des acteurs,c’est-à-dire leur volonté de coopérer auquotidien, et l’exemplarité des acteursemblématiques de la fusion ou de l’acquisi-tion devient critique : être juste permet desatisfaire, mais être exemplaire permet demobiliser. Les dirigeants – qui formulent etdécident des fusions et acquisition – etpeut-être encore plus les managers opéra-tionnels et intermédiaires – qui déploient,animent, coordonnent, motivent, bref met-tent de l’huile dans les rouages – apprécie-ront la nuance. Nuance d’autant plus signi-ficative que la justice organisationnelle etl’exemplarité organisationnelle s’appuientsur des mécanismes sous-jacents distincts(voir notre première section et les analysesen composantes principales).Ce résultat fait écho aux nombreuses anec-dotes qui relatent les faits et gestes des diri-geants dans la presse économique et finan-cière, et notamment les écarts entre lediscours et la pratique (voir par exemple lescommentaires sur les attitudes et comporte-ments de Jürgen Schremp, président de

Daimler-Benz suite à l’acquisition deChrysler), ou à l’inverse l’alignement entrediscours et pratique (voir par exemple lescommentaires sur le président de Renault,Louis Schweitzer, dans la conduite du rap-prochement entre Renault et Nissan). Dansun contexte d’hyper-scepticisme quant à lavie des affaires, le corps social subit sou-vent les fusions et acquisitions avec inquié-tude et appréhension et l’exemplarité agitalors comme un rempart. L’exemplaritéapparaît comme un antidote aux excès dumanagérialisme dans les fusions et acquisi-tions, c’est-à-dire la tentation des dirigeantsde placer leurs objectifs et idées au-dessusde tout (Seth, Song et Pettit, 2002 ; voiraussi Haunschild, Davis-Blake et Fichman,1994), et comme un antidote à la« construction d’empire » (« empire-buil-ding », Trautwein, 1990), c’est-à-dire lapoursuite par les dirigeants, consciemmentou non, de la croissance et de l’expansionau détriment des actionnaires ou partiesprenantes (Trautwein, 1990, pour une revuede la littérature sur les explications desF&A). Le rôle de l’exemplarité comporte-mentale dans la volonté des individus decoopérer, quels que soient leur niveau hié-rarchique et leur degré d’interaction avec lepartenaire, ne fait que souligner l’intérêtqu’auraient les chercheurs en fusions etacquisitions à mobiliser de manière plussystématique les travaux récents en com-portement organisationnel, notamment surla crédibilité, l’intégrité et l’hypocrisie(voir Simons, 1999, 2002).Dans un article dont l’impact serait consi-dérable : « Looking Fair versus Being Fair :Managing Impressions of OrganizationalJustice », J. Greenberg (1990) s’interrogeaitsur la sincérité des impressions de justiceorganisationnelle. Les sentiments de justice

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ont une influence positive sur une grandevariété de résultats organisationnels, àcondition que les éléments organisationnelsqui servent de base aux sentiments de jus-tice apparaissent sincères, non manipula-toires. L’exemplarité comportementale,parce qu’elle traduit cet alignement entreles «beaux» discours et les comportementsde ceux qui les prononcent, contribue à lasincérité. Plus généralement, le sentimentd’exemplarité comportementale rendrait àl’organisation une dimension éthique dansun univers économique particulièrementquestionné.Les concepts d’exemplarité et de justiceorganisationnelle enrichissent la littératureexistante sur les F&A, notamment les nom-breux travaux sur le rôle des différenceset/ou préférences culturelles (nationaleset/ou organisationnelles) dans les processusd’intégration (Voir Véry, 2002 pour unesynthèse). Une approche naïve par les diffé-rences culturelles, tant nationales (Franceversus Japon) que culturelle (Renault ver-sus Nissan), ne peut rendre compte de laréussite de Renault-Nissan. Et uneapproche plus subtile par le degré de com-patibilité culturelle, ou complémentaritédes héritages administratifs des deux orga-nisations (Véry et al., 1997), n’est guèreplus explicative. Des mécanismes plus pro-fonds, que certains ont théorisé à partird’une grille Maussienne de «don-contredon » (Masclef, 2004), rendent mieuxcompte du phénomène. Nos résultats per-mettraient de faire l’hypothèse que 1) lesmécanismes de justice organisationnelle, et2) l’exemplarité des dirigeants et des déci-sions organisationnelles RH, sont plusexplicatifs du résultat spectaculaire deRenault-Nissan que d’autres concepts plus«classiques».

2. Conditions de validité et périmètre de généralisation des résultats obtenus

Dans ce manuscrit, nous étudions spécifi-quement un cas de fusion, terme «officiel»depuis le 19 novembre 2005 et l’annoncedes résultats semestriels Air France-KLM (auparavant, ce terme était banni dela communication institutionnelle officielleet le terme de rapprochement – combina-tion – prévalait). Mais nos résultats s’éten-dent sous conditions aux acquisitions ami-cales, a fortiori hostiles, et aux alliancesstratégiques domestiques et internationales(pour une revue des contributions théo-riques et empiriques sur le rôle de la justiceorganisationnelle dans les alliances straté-giques, voir Monin, 2002). À de multiplestitres, les problématiques d’intégration seressemblent dans ces différents contextes :équilibre entre rétributions et contributionsdes partenaires, rôle du discours pour justi-fier l’opération interorganisationnelle, etcaractère saillant des comportements desacteurs-clés. Nul doute que toutes cesformes de relations interorganisationnelles,parce qu’elles constituent des empiriesréelles et non des empiries expérimentalescomme dans tant de travaux dans le champdu comportement organisationnel, sontadaptées au plus haut point à l’explorationdes phénomènes de justice et d’exemplaritéorganisationnelle. Plus généralement, une fusion constitue uncas particulier de changement 1) de grandeampleur, 2) qui modifie les frontières del’organisation, et 3) menace l’identité de soiet le sentiment d’appartenance au groupe(Turner, 1987 ; Ring et Van de Ven, 1994).Nous suggérons que la justice organisation-nelle et l’exemplarité organisationnelledevraient jouer un rôle majeur dans les

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contextes de changement non strictementinterorganisationnels qui relèvent de cestrois dimensions. Ces contextes «parents»pourraient notamment inclure les opéra-tions de réduction du périmètre organisa-tionnel (externalisation d’activités, etc.).Encore plus généralement, le bon sens sug-gérerait que la justice organisationnelle etl’exemplarité organisationnelle ne pour-raient être que bénéfiques dans toutes lessituations de changement organisationnel(réorganisation, etc.), même si le bénéficeest mineur. Outre le caractère tautologiquede cette généralisation excessive, nous pen-sons que l’existence de certaines conditionsest impérative pour déclencher et activerchez les acteurs organisationnels les méca-nismes psychosociologiques sous-jacents àl’émergence de sentiments de justice etd’exemplarité. Par exemple, le sentiment dejustice distributive, fondé sur les processusde comparaisons sociale et d’équilibre, nes’exprimera pas dans un contexte de chan-gement organisationnel qui n’affecte pas demanière évidente le rapport entre contribu-tions et rétributions. In fine, nous suggéronstrois conditions – à valider dans de futurstravaux – pour généraliser les résultats decette recherche à des contextes autres qu’in-ter organisationnels : l’ampleur du change-ment, la modification des frontières organi-sationnelles, et la remise en cause del’identité de soi et de l’appartenance augroupe.

3. Limites méthodologiques

Cette recherche présente un certain nombrede limites méthodologiques, notammentcelle du biais lié à l’emploi d’un instrumentunique de collecte des données, à la sourceà la fois des variables indépendantes etdépendantes. Nous n’avons pas évoqué la

centaine d’entretiens qualitatifs conduitsentre septembre 2004 et juin 2005 dans cemanuscrit, mais ils permettraient d’étayerqualitativement nos résultats, et nul douteque des designs de recherche qui combi-nent approches qualitatives et quantitativessont prometteurs. La fusion que nous étu-dions, bien que de grande ampleur et forte-ment médiatisée, était à peine engagéelorsque nous collections les premières don-nées, et cela explique peut-être que l’exem-plarité décisionnelle n’apparaissent pascomme significative. Peut-être n’y a-t-ilpas encore eu suffisamment de décisionsRH de promotion/sanction et recrute-ment/licenciement pour que celles-ci puis-sent fournir aux acteurs des signaux quipuissent construire leur attitude (satisfac-tion) par rapport à la fusion, et guider leurscomportements (volonté de coopérer). À cetitre, la possibilité de collecter à nouveaudes données au cours d’une troisièmevague d’enquêtes permettrait de tirer desconclusions affinées.

CONCLUSION

Être juste, ou être exemplaire ? Pour obte-nir la satisfaction de leurs salarié(e)s, lesdirigeants de Air France-KLM doiventveiller en premier lieu à la justice de leursdécisions. Mais pour mériter leur engage-ment et leur coopération, ils doivent égale-ment être exemplaires : nos résultats empi-riques montrent que leur exemplaritécomportementale a un effet aussi importantsur la volonté de coopérer des salariés, quela justice distributive résultant de la fusion.Dans le champ du comportement organisa-tionnel, cette recherche présente – à notreconnaissance – le premier examen empi-rique du concept d’exemplarité. Dans le

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champ de la justice organisationnelle, cetterecherche marque une inflexion profondepar rapport aux nombreux travaux qui,depuis 1986, soulignent le rôle prépondé-rant de la justice procédurale au détrimentde la justice distributive. Nous suggéronsque, dans le contexte de changements sub-stantiels et radicaux comme les F&A, cerésultat ne constitue pas une surprise. Dansle champ des F&A, et dans le champ desrelations inter organisationnelles plusgénéralement, cette recherche constitueprobablement une première au niveau inter-national, en étudiant les effets de la justice

organisationnelle dans ses deux dimensionsprincipales – distributive et procédurale –,et les effets de l’exemplarité dans ses deuxdimensions – comportementale et décision-nelle – sur la satisfaction et la volonté decoopérer. Enfin, au-delà des relations inter-organisationnelles, nos résultats sont proba-blement généralisables à d’autres situationsde changement substantiel, telles les réor-ganisations intra-organisationnellesquiaffectent les frontières de l’organisation etquestionnent l’identité et le sentiment d’ap-partenance des acteurs affectés par le chan-gement.

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