NOTE Légaliser le cannabis - GenerationLibre...4 LE MOT DE GASPARD L a légalisation du cannabis...

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MAI 2O18 NOTE Légaliser le cannabis Arguments légaux et médicaux en faveur d’un changement de modèle. Par Me Francis Caballero et Pr. Amine Benyamina © LPETTET

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N O T E

Légaliser le cannabisArguments légaux et médicaux en faveur d’un changement de modèle. Par Me Francis Caballero et Pr. Amine Benyamina

© L

PETT

ET

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L É G A L I S E R L E C A N N A B I S

M e F R A N C I S C A B A L L E R O

Avocat et Professeur agrégé des Facultés de droit.

P r . A M I N E B E N Y A M I N A

Psychiatre, spécialiste des addictions et Professeur des universités.

PAR

Déclaration de responsabilité. Ce rapport est organisé en trois parties. Chaque auteur a contribué à une partie spécifique, dans son domaine de compétence. Son nom est indiqué en début de partie afin de distinguer le travail de chacun. GenerationLibre a piloté l’ensemble de ces contributions et mis en cohérence le texte final. Les auteurs ne sont pas réputés approuver l’ensemble des parties.

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L E M O T D E G A S P A R D

La légalisation du cannabis est d’abord une question de liberté individuelle. Je m’en tiens à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Ce qui est indubitablement le cas

de la consommation de drogues. Comment accepter qu’aujourd’hui encore des citoyens puissent finir derrière les barreaux simplement pour s’adonner à un plaisir personnel ?

Au-delà de cette question de valeurs, la légalisation se justifie du simple point de vue utilitariste de la santé publique. Elle permet d’éradiquer les trafics, de contrôler la qualité des produits, et d’améliorer les programmes de prévention, notamment en direction des mineurs - sans même mentionner les bénéfices économiques. C’est ce que j’ai pu voir au Colorado en interrogeant les acteurs du cannabis, des entrepreneurs jusqu’aux responsables publics. C’est également l’analyse que font les addictologues. Légaliser pleinement permet de réguler rigoureusement.

La légalisation du cannabis est en marche, des Etats-Unis à l’Europe en passant par l’Amérique latine. Il est temps que la France, qui compte environ 5 millions de consommateurs occasionnels, sorte de l’hypocrisie et rejoigne le mouvement de l’histoire.

« Légaliser pleinement pourréguler rigoureusement »

Gaspard Koenig PrésidentGénération Libre

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S O M M A I R E

Se repérer dans la note.

01 p. 6

L'essentiel

06 p. 54

Les auteurs05 p. 50

Annexes

Il était une fois la prohibition du cannabisPar Me Francis Caballero1.1. Témoignage d’un détenteur1.2. Témoignage d’un planteur1.3. Témoignage d’un consommateur

02 p. 8

Contribution 1

Légaliser pour mieux protégerPar le Pr. Amine Benyamina2.1. Cannabis : composition et consommation2.2. Usage du cannabis : état des lieux scientifique sur les risques réels 2.3. Arguments en faveur de la légalisation : encadrer et réguler

03 p. 18

Contribution 2

Comment légaliser le cannabis en France ?

Controverse autour de deux chemins de réformes possible : monopole d’État vs marché libre

Par Me Francis Caballero et Gaspard Koenig

04 p. 36

La controverse

08 p. 58

Le think tank07 p. 56

Combat d’idées

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Nos travauxen un coup d'oeil.

L ' E S S E N T I E L

Constat & analyse.

Troisième substance psychoactive la plus consommée au niveau mondial, juste après le tabac et l’alcool, le cannabis n’est pas un fait marginal ou sectoriel mais un phénomène de société. Face à des politiques répressives dont les faiblesses sont connues, de plus en plus d’États font le pari de la légalisation du cannabis. En France, le sujet tarde toujours à s’imposer.

Avec la contribution de deux experts, l’un avocat au Barreau de Paris, l’autre addictologue, GenerationLibre dresse dans un premier temps un constat critique de la situation judiciaire et de la politique de santé publique françaises en matière de cannabis et défend dans un second temps la légalisation du cannabis à des fins récréatives en France.

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1.Légaliser la production, la vente et la consommation de cannabis à des fins récréatives. Deux options de légalisation sont étudiées : l’instauration d’un monopole d’État et la création d’un marché, régulé et taxé par l’État.

2. Mettre en place une politique de santé publique efficace. Faire le point sur les risques réels liés au cannabis et mettre en place une politique de prévention ciblée pour protéger les populations les plus vulnérables.

Propositions.

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Les 3 chiffres à retenir.

C H I F F R E S C L É S

114 Le cannabis serait 114 fois moins mortel que l’alcool (Source : Scientific Reports, 2015).

C’est le nombre de Français, parmi les 11-75 ans, qui déclarent avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie.17 millions

C’est la probabilité de transition vers des troubles addictifs que représente la

consommation de cannabis, bien inférieure au tabac (67,5%), à l’alcool (22,7 %) et à la cocaïne

(20,9 %) (Source : Lopez-Quintero et al. 2011). 8,9%

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Il était une foisla prohibitiondu cannabis.

PA R T I E 1

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Par M e F r a n c i s C a b a l l e r o

La prohibition du cannabis est une vieille dame âgée de plus de cent ans. Elle est née en France avec la loi du 12 juillet 1816, la première à classer le haschich parmi les stupéfiants. Bien que personne ne sache vraiment ce que le terme « stupéfiant » veut dire, il fait peur aux hommes politiques. Ils vont donc voter des textes de plus en plus répressifs pour lutter contre le « le fléau » de la drogue qui « détruit notre jeunesse ». De loi en loi, de décret en décret, d’arrêté en arrêté, ils vont construire en un siècle une machine à prohiber très coercitive.

Le texte sur lequel se fonde la législation actuelle est la loi du 31 décembre 1970, qui fêtera bientôt ses cinquante ans. La loi distingue entre l’usager qu’elle considère comme moitié délinquant-moitié malade, et le trafiquant à l’égard duquel il convient de faire preuve de la plus grande sévérité. Soit dit en passant, traiter le fumeur de cannabis de délinquant ou de malade n’est pas vraiment représentatif des consommateurs. Tout en fumant de la marijuana, ils se considèrent comme normaux et en bonne santé. Les hommes politiques qui n’ont que la protection de la jeunesse à la bouche n’ont pas compris cette réalité fondamentale.

La répression s’accentue avec le Code pénal de 1992 qui criminalise le trafic de stupéfiants. Et ce ne sont pas des crimes ordinaires : ils sont jugés par des Cour d’assises spéciales composées de sept magistrats sans jurés pour résister aux menaces du crime organisé. D’autres mesures, comme la garde à vue de quatre jours avec un avocat au bout de trois jours, sont adoptées contre les détenteurs au nom de la « guerre contre la drogue ». Rappelons qu’un assassin violeur d’enfant fait une garde à vue de 24 heures, renouvelable une fois, avec un avocat dès la première heure.

Le résultat de cette course à la sévérité est vraiment stupéfiant. Le fumeur de cannabis est passible d’une peine d’un an d’emprisonnement, même s’il fume seul chez lui sans troubler l’ordre public. C’est déjà une grave atteinte à la liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Mais ce n’est pas la seule. La peine prévue pour

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deux jeunes qui se passent un joint est de dix ans de prison et de 7,5 millions d’euros d’amende, sanction manifestement disproportionnée dans une société démocratique. Et ce n’est cependant rien à côté de ce que risque celui qui cultive du cannabis dans son jardin : vingt ans de réclusion criminelle. Cette fois, même le Parquet ne peut plus suivre, comme on le verra plus loin.

Il est donc temps de conter les malheurs des personnes poursuivies pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Parmi les milliers d’affaires jugées sous les présidences de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, on en retiendra trois mettant en cause successivement un détenteur, un planteur et un consommateur.

« En France, le fumeur de cannabis est passible d’une peine d’un an d’emprisonnement, même s’il fume seul chez lui sans troubler l’ordre public ».

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Témoignage d’un détenteur

A f f a i r e J é r ô m e E .

Sous le mandat de Jacques Chirac (1995-2007), l’affaire de Jérôme E., détenteur de haschich, mérite le détour. Jérôme est un jeune homme de vingt-sept ans qui habite chez ses parents dans la banlieue lyonnaise. Tout en étant parfaitement intégré dans son milieu social et familial, il fume du cannabis dans des barbecues en compagnie d’une dizaine de copains. Comme il est le plus costaud et « le plus honnête », il est choisi par ses camarades pour faire des « achats groupés » de haschich.

Entre 1995 et 1998, il achète ainsi chaque quinzaine une savonnette de 250 grammes qu’il partage scrupuleusement avec ses amis. Soit 25 grammes pour chacun. Il est interpellé à la suite d’une dénonciation « d’une personne digne de foi désirant garder l’anonymat »1 . Rappelons en passant que plus de 70% des affaires de cannabis proviennent de la délation.

Jérôme reconnaît les faits, mais sa franchise va lui coûter cher. Les gendarmes sont en effet les rois de la multiplication. En multipliant 250 grammes par deux, puis par douze, puis par trois, ils vont établir que le jeune homme a détenu et revendu 18 kilos de drogue. Bien entendu, il n’a jamais détenu de pareilles quantités. Il n’est qu’un usager-partageur et non un trafiquant. Le tribunal de Villefranche-sur-Saône le condamne néanmoins à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis.

Trente mois de prison ferme pour ce qu’il a fait, c’est difficile à supporter. Il est effondré, sans parler de ses parents qui sont désespérés. Il a certes commis un délit, mais n’a pas fait de victimes. Il fait donc appel. Mal lui en prend car la Cour de Lyon aggrave sa peine en la portant à trois ans ferme. Commentaire de son Président à l’audience :

« La Cour fait preuve d’indulgence à votre égard. Elle pourrait vous infliger une peine de dix ans. Elle ne le fait pas ».

1. On trouve cette phrase dans tous les PV de police de dénonciation anonyme.

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Son pourvoi est en effet rejeté par la Cour de cassation qui affirme que « seules des peines d’emprisonnement sans sursis sont adaptées à la gravité de ces délits et sont de nature à limiter les ravages causés à la santé publique, le haschich n’étant souvent qu’une étape dans le processus conduisant à la consommation de substances encore plus dangereuses, voire mortelles ».

Condamné définitivement par la justice, il ne reste plus à Jérôme que la grâce du politique. D’où sa demande adressée au président Jacques Chirac en juillet 2001. Mais cette requête va connaître un sort curieux : elle reste sans réponse pendant neuf mois, puis est brusquement rejetée en avril 2002. Le premier tour de l’élection présidentielle est passé par là, plaçant Jean-Marie Le Pen devant Lionel Jospin. Ce n’est pas le moment de faire preuve de laxisme face à celui qui a proposé la peine de mort en correctionnelle contre les trafiquants.

Il ne reste plus à Jérôme qu’à purger sa peine. Les gendarmes viennent d’ailleurs le chercher pour le conduire à la prison Saint Paul à Lyon. Morale de l’histoire : la prohibition du cannabis est plus dangereuse pour la jeunesse que le cannabis lui-même.

Témoignage d’un planteur

A f f a i r e Z i p s t e i n .

Sous le mandat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), avec l’affaire Zipstein, on change complètement de décor. Pierre-Michel Zipstein, installé à Carlucet dans le Gers, est un planteur quinquagénaire et anti-prohibitionniste. Chaque année, il cultive une trentaine de plants de cannabis pour sa consommation personnelle et celle de ses amis.Chaque année, les gendarmes débarquent chez lui perquisitionnent son jardin, lui confisquent ses plants et transmettent le dossier au procureur de la République. C’est devenu un rite.

Le 27 août 2009, suite à une opération de surveillance réalisée en hélicoptère par la gendarmerie d’Aigleton qui permet la découverte

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d’une plantation de cannabis sur sa propriété, ses 29 plants sont arrachés et détruits. Interrogé en garde à vue, il déclare :

« Je fume du cannabis par plaisir depuis l’âge de 13 ans, cela fait 42 ans. C’est ma façon de me sentir bien… Cela correspond à mon style de vie. J’aime cultiver moi-même ce que je consomme de la plantation initiale jusqu’à la consommation… Depuis que je vis à Carlucet, je plante mon cannabis. À la cueillette fin octobre, je récupère sur chaque pied de 400 à 500 grammes de sommités vertes qui, une fois séchées, me donnent de 150 à 200 grammes de sommités sèches ».

M. Zipstein reconnaît clairement être un petit producteur de cannabis. Pour la justice, il est seulement un multirécidiviste déjà condamné à plusieurs reprises pour les mêmes faits. Son casier judiciaire pour usage, détention, transport, offre et cession de stupéfiant (condamnations en 1992, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2003 et 2007) est long comme le bras. Il a même déjà fait de la prison pour ça.

Il n’a évidemment pas envie d’y retourner et va se défendre comme un diable. Devant le tribunal correctionnel de Cahors, il soulève une exception d’incompétence originale. Son raisonnement est simple : la production de cannabis est un crime puni de vingt ans de réclusion devant des Cours d’assises spéciales. En tant que producteur, il ne devrait donc pas être jugé en correctionnelle. D’autant qu’en cas de concours entre un crime (production) et un délit (détention), le principe de la plus haute acception pénale exige que l’on juge le crime et non le délit.

Il veut donc être jugé en Cour d’assises. Il sait cependant qu’il s’agit d’une Cour d’assises spéciale, composée de sept magistrats sans jurés, incapable de juger les cent mille producteurs de l’Hexagone. Si son exception d’incompétence est accueillie, cela signifie en pratique la fin des poursuites contre les planteurs.

Le Parquet a cependant trouvé le moyen de contourner la difficulté : poursuivre les planteurs pour détention. Car qui cultive du cannabis en détient nécessairement. Le tribunal correctionnel est compétent

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pour juger ce délit. Celui de Cahors rejette l’exception d’incompétence et condamne le prévenu à un an d’emprisonnement dont six mois avec sursis et 10 000 euros d’amende. La Cour d’appel d’Agen confirme le jugement le 14 novembre 2011.

Pourtant, la Cour de cassation affirme avec constance que si un même fait peut revêtir une qualification criminelle et une qualification correctionnelle, il faut retenir la plus forte. L’exemple le plus connu est celui du viol (crime) en concours avec une agression sexuelle (délit) jugé en Cour d’assises si une partie le demande. Hélas, la Chambre criminelle change d’avis sans motif. Exit le principe de la plus haute acception pénale. Morale de l’histoire : pour assurer la répression des planteurs, la justice est prête à violer les principes généraux du droit. Preuve que le cadre législatif est inadapté.

Témoignage d’un consommateur

A f f a i r e F l o r i a n S .

Sous le mandat de François Hollande (2012-2017), l’affaire du jeune Florian S. montre que la prohibition se poursuit sans défaillance. Florian, âgé de vingt ans, est étudiant en droit franco-allemand à l’Université de Nanterre. Le 16 février 2013, il est interpellé après avoir acheté 2 grammes de MDMA (ecstasy). La perquisition à son domicile qui s’ensuit permet de saisir 1 gramme de kétamine plus un morceau de 9,3 grammes de résine (haschich).

Placé en garde à vue, il déclare consommer du cannabis depuis environ 4 ans. Il a acheté ses barrettes à un dealer dont il ne peut dire le nom. Pour le Parquet, il est donc à la fois usager et détenteur de stupéfiants : tout usager est nécessairement détenteur de ce qu’il consomme. Le raisonnement transforme donc tous les usagers en trafiquants, ce qui constitue un effet pervers redoutable de la prohibition. Florian est de ce fait condamné en 2014 à un mois

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d’emprisonnement avec sursis pour usage et trafic de stupéfiants.

Il conteste toutefois sa condamnation pour trafic. Il est étudiant, pas trafiquant. Il ne comprend pas pourquoi le juge ne distingue pas entre détention à des fins personnelles et détention à des fins de trafic. Il ne réalise pas qu’en passant d’usager à détenteur, il a changé de division. Alors que l’usager bénéficie d’un régime de faveur, le détenteur est un trafiquant de drogue. Sa peine dix fois plus longue reste inscrite sur son casier judiciaire pendant 20 ans. Voilà pourquoi Florian se demande aujourd’hui si cette condamnation ne va pas l’empêcher de s’inscrire au Barreau.

Il conteste également sa condamnation pour usage. Le Code de la santé prévoit en effet un abandon des poursuites au profit de celui qui se soumet volontairement à un traitement de désintoxication. Or c’est ce qu’a fait Florian en allant voir chaque semaine un psychiatre parisien spécialisé. Il compte donc bénéficier de la jurisprudence Keith Richard pour lequel ce traitement a pu avoir lieu dans une clinique suisse.

Hélas son pourvoi est sèchement rejeté. La Chambre criminelle affirme le 21 octobre 2015 que la thérapie suivie chez un psychiatre n’équivaut pas au traitement dans un dispensaire ou un établissement de santé. Fermez le ban. La possibilité d’avoir recours à la médecine de ville pour se soigner est exclue. Et avec elle la réduction du nombre des poursuites pour usage. Une petite ouverture dans le mur de la prohibition est désormais condamnée. Morale de l’histoire : c’est la prohibition du cannabis, circulez il n’y a rien à voir.

La loi - article 222-37 du Code pénal - transforme tout détenteur de quelques grammes de cannabis, donc tout usager, en trafiquant.

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Conclusion Té m o i g n a g e d e L o u i s B .

Après avoir étudié ces trois cas, il serait cependant malvenu de croire que la répression se limite au cadre de la justice. De très nombreuses interpellations sont diligentées sans donner lieu à une quelconque procédure. Tel est le cas des atteintes à la liberté subies par Louis B. qui raconte :

« En mars 2009, je rentre chez moi à Saint Germain vers 3 heures du matin quand je vois une voiture de police avec gyrophare roulant à contresens vers moi. Après m’avoir mis contre le mur les policiers me demandent : “Qu’est-ce que t’as sur toi ? ”. Réponse : j’ai un gramme d’herbe.

À partir de ce moment, la situation m’échappe. Je suis placé en garde à vue, menotté au radiateur, incarcéré dans une cellule puante et glauque pendant dix heures. On me prélève mon ADN. On détruit mon herbe dans les toilettes « où je n’irai pas la chercher ». Puis on me relâche après un rappel à la loi : “faut pas fumer, c’est mauvais pour la santé”. Ben voyons.

Un an plus tard, ça recommence. Je suis de nouveau arrêté en sortant de la forêt de Maisons Laffitte, lieu de deal connu pour fournir de la bonne herbe. J’ai acheté 5 grammes. Devant la station-service, un couple de policiers en civil me saute dessus et me pose la question traditionnelle : “Qu’est-ce que t’as sur toi ?”. Je leur donne mon herbe.

Et la galère commence : ils m’emmènent au commissariat, me placent en garde à vue, m’interrogent pour me relâcher quelques heures plus tard.

À nouveau, je subis mon lot de petites vexations, d’humiliations et de questions oiseuses. Qu’ils sachent une chose, cependant, ces pandores. Je n’ai pas l’intention d’arrêter de fumer… sauf si JE le veux. »

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« Ils sont des millions comme Louis, Jérôme, Pierre-Michel, Florian et d’autres pour lesquels la prohibition a fait la preuve de sa nocivité ».

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03

Légaliser pour mieuxprotéger.

PA R T I E 2

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Par P r . A m i n e B e n y a m i n a

Le cannabis est actuellement la troisième substance psychoactive la plus consommée dans le monde, après le tabac et l’alcool, et le premier produit illicite consommé par les jeunes en France. Dix-sept millions de Français (parmi les 11-75 ans) déclarent avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie2.

Loin d’être un phénomène anecdotique, la consommation de cannabis à des fins récréatives est un véritable sujet de société. Partout dans le monde, les politiques répressives, coûteuses et inefficaces, sont remises en question et de plus en plus d’États s’orientent vers une légalisation du cannabis, l’État de Californie étant le dernier en date.

En France, le sujet n’est toujours pas sérieusement débattu. Le dernier rapport d’information parlementaire relatif au cannabis se positionne à contre-courant de la tendance observée dans les grands pays d’Europe de l’ouest et aux États-Unis en écartant toute hypothèse de légalisation et concluant à un renforcement de la répression3. Outre le risque d’atteinte à l’ordre public lié au trafic illégal, ce sont les risques liés à la santé - notamment celle des jeunes - qui alimentent la méfiance chez les partisans de l’approche répressive.

Mais qu’en est-il réellement ? Adopter une politique plus souple à l’égard du cannabis se fait-il au détriment de la santé publique ?

En dressant un état des lieux scientifique sur la consommation de cannabis et les risques afférents, nous souhaitons ouvrir un débat apaisé sur la consommation du cannabis à des fins récréatives.

2. OFDT, Drogues, chiffres clés, 6e édition, juin 2015, https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/

dcc2015.pdf

3. Rapport d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants, rapporteurs : MM. Éric POULLIAT et Robin REDA, déposé le 25

janvier 2018

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À travers cette contribution, nous montrons dans un premier temps que les troubles de la santé liés à la consommation du cannabis constituent un risque modéré que l’État peut gérer et que la légalisation du cannabis n’augmente ni la consommation, ni l’addiction. Afin de mener une politique de santé publique efficace et capable de protéger les populations vulnérables, nous plaidons ensuite pour doter l’État des moyens de réguler un marché qui lui échappe. C’est dans cette logique que nous défendons une régulation du cannabis.

« Partout dans le monde, les politiques répressives, coûteuses et inefficaces, sont remises en question et de plus en plus d’États s’orientent vers une légalisation du cannabis ».

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Cannabis : composition et consommation

1. Éléments de définition : de quoi parle-t-on ? Le cannabis est une substance psychoative dont les principes actifs sont le tétrahydrocannabidiol (THC) et le cannabidiol (CBD). Les deux sont des cannabinoïdes dits « externes » parce que notre corps ne les produit pas naturellement. Le THC est la substance psychoactive principale du cannabis ; le CBD, quant à lui, contre-balance le potentiel effet psychotique du THC.

Les endocannabinoïdes endogènes sont des neuromédiateurs naturels, dont on ignorait l’existence jusque dans les années 1990, capable de modifier l’activité des neurones. Ces cannabinoïdes produits de façon endogène agissent sur des récepteurs cannabinoïdes impliqués dans les processus cognitifs comme l’apprentissage, la mémoire, ou la coordination des mouvements complexes. Le THC et le CBD agissent tous deux sur ces récepteurs cannabinoïdes : c’est la raison pour laquelle ils peuvent influer sur les processus cognitifs précédemment cités.

LES RÉCEPTEURS CANNABINOÏDES

Les principes actifs - tétrahydrocannbidiol (THC) et cannabidiol (CBD) - agissent sur les récepteurs spécifiques au niveau du système nerveux central : les récepteurs cannabinoïdes 1 (CB1). Il existe d’autres récepteurs localisés en périphérie, les récepteurs cannabinoïdes 2 (CB2).

À l’état physiologique, l’organisme fabrique ses propres modulateurs : les endocannabinoïdes. Ils sont des modulateurs ayant une action de courte durée, de l’ordre de quelques millisecondes, contrairement aux cannabinoïdes exogènes qui peuvent agir pendant des centaines de millisecondes.

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Le cannabis peut se consommer sous trois formes :

. L’herbe : les feuilles et les fleurs qui sont séchées puis fumées, infusées ou mangées ;

. La résine : la résine de la plante est séparée du matériel végétal puis compactée pour former une galette endurée. La résine ou le shit sont chauffés puis émiettés sur un papier de cigarette à rouler et mélangés au tabac pour former un joint ;

. Les concentrés du cannabis : - Une huile hautement concentrée en THC (jusqu’à 80% de THC) est obtenue par l’extraction des cannabinoïdes de la plante en utilisant du butane. Le produit obtenu possède la consistance malléable de la cire ou cassable du verre. Le produit peut être vaporisé sur une surface chaude ;

- Une huile qui ressemble aux huiles essentielles est extraite à l’aide du CO2 et peut être vaporisée dans les cigarettes électroniques (e-cigarettes) ou les vaporisateurs à basse température (« Vapobang »).

2. Une consommation conséquente et différenciée.

D’après les chiffres de l’UNODC4, 182,5 millions de personnes ont consommé du cannabis dans le monde en 2014. En Europe, 23,5 millions d’Européens ont consommé du cannabis en 2015, soit 7% des adultes (entre 15 et 64 ans). Chez les jeunes adultes (entre 15 et 34 ans), cela représente presque 14% de la population en 2015.

En France, un peu plus de 40% des adultes ont consommé du cannabis au moins une fois au cours de leur vie (expérimentation) et 22% au cours des 12 derniers mois. Les Français âgés de 15 à 34 ans ont la plus forte prévalence de consommation en Europe avec 22% qui ont fait usage du cannabis au cours de l’année écoulée5 (voir annexe 1).

4. United Nations Office on Drugs and Crime, World Drug Report, 2016 http://www.unodc.org/doc/

wdr2016/WORLD_DRUG_REPORT_2016_web.pdf

5. EMCDDA, European Drug Report, 2017 http://www.emcdda.europa.eu/system/files/publications/4541/

TDAT17001ENN.pdf

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La plus forte proportion des consommateurs se trouve parmi les jeunes adultes, puis cette proportion diminue chez les adultes plus âgés.

Le pourcentage de consommateurs en France est en augmentation permanente depuis 1992 (voir annexe 2). Ces chiffres témoignent d’une tendance significative et révèlent que l’usage du cannabis ne se cantonne pas aux « marges » de la société.

En termes d’usages, il est important de distinguer le « cannabis adulte »6 du « cannabis thérapeutique ». En France, le décret N°2013-473 du 5 juin 2013 a autorisé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à délivrer des autorisations de mise sur le marché aux « médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés ». Mais cet usage thérapeutique du cannabis demeure très limité : à ce jour, seul le Marinol (dronabinol) a reçu une autorisation de mise sur le marché et peut être utilisé dans le traitement des douleurs chroniques et cancéreuses.

Dans de nombreux pays, et notamment aux États-Unis, le cannabis est de plus en plus utilisé dans la prise en charge des douleurs chroniques. Des études7 montrent l’efficacité du cannabis dans le traitement des pathologies qui associent douleur et dépression ou anxiété, comme la sclérose en plaques. Une autre étude récente réalisée auprès d’enfants atteints d’une forme grave d’épilepsie (syndrome de Dravet) a montré une diminution de 50% du nombre de crises suite au traitement par le cannabidiol8.

La confusion dans le discours et l’appréhension du cannabis ne permet pas, actuellement, de construire une législation cohérente et cependant nécessaire.

La distinction entre « cannabis thérapeutique » et « cannabis adulte » est essentielle d’un point de vue médical. Dans cette

6. Par « cannabis adulte », il faut entendre la consommation de cannabis sans visée thérapeutique, pour une population de personnes majeures.

7 Fitzgibbon M, Finn DP et Roche M. High times for painful blues: the endocannabinoid system in pain-depression comorbidity. Int J Neuropsychopharmacol. 2015 Sep 5;19(3):pyv095. ; Feingold D, Rehm J et Lev-Ran S. Cannabis use and the course and outcome of major depressive

8. Devinsky et al, Trial of Cannabidiol for Drug-Resistant Seizures in the Dravet Syndrome, Cannabidiol in Dravet Syndrom Study Group 2017

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note, nous ne traitons pas de l’usage thérapeutique pour mieux nous concentrer sur l’usage récréatif. La distinction entre consommateur

« normal » et consommateur « à risque » est également primordiale. Le cannabis dit « adulte » ne doit pas être assimilé aux consommations problématiques, qui représentent environ 10% des cas9. C’est l’objet de cette seconde partie.

Usage du cannabis : état des lieux scientifique sur les risques réelsSi la consommation de cannabis n’est pas sans risque, de trop nombreuses idées reçues polluent le débat et restent scientifiquement infondées.

1. Des risques sur la santé mentale et physique réels mais isolés.

En ce qui concerne la santé physique, nous étudierons l’impact sur la santé pulmonaire et cardio-vasculaire.

Rappelons en premier lieu que le cannabis en lui-même, en tant que molécule, ne peut être incriminé dans les conséquences sur la santé physique. C’est la façon dont il est consommé qui peut conduire à en faire un produit dangereux. L’usage de cannabis fumé est le principal danger.

Sur le plan pulmonaire, la consommation de cannabis fumé et mélangé au tabac peut avoir pour conséquence une irritation

9. OFDT, Drogues, chiffres clés, 6e édition, juin 2015, https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/

dcc2015.pdf

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des voies aériennes susceptible d’aboutir à une broncho-pneumopathique chronique obstructive (BPCO). Cette pathologie peut évoluer vers une insuffisance pulmonaire grave, voire un cancer pulmonaire (il peut également y avoir cancer sans BPCO).

La corrélation entre consommation de tabac et cancer n’est plus discutée : la combustion libère des substances nocives dont certaines sont cancérigènes. Il est en revanche essentiel de souligner qu’aucune étude n’a, à ce jour, mis en évidence une augmentation de BCPO ou de cancer du fait de la simple consommation de cannabis10. Il est donc très difficile de déterminer un éventuel risque supplémentaire lié au cannabis.

Sur le plan cardio-vasculaire, la consommation de cannabis a un effet direct sur la fréquence cardiaque : c’est l’effet psycho-actif du THC. Deux études récentes se sont attachées à comparer le risque de maladie cardio-vasculaire entre consommateurs de cannabis et non-consommateurs11. On constate une augmentation du risque d’infarctus dans l’heure qui suit la consommation du cannabis, mais ce risque diminue rapidement ensuite12. Il existe des preuves limités en faveur d’une association entre la consommation aiguë du cannabis et l’infarctus du myocarde aiguë. En revanche, il n’y a pas de preuves actuellement en faveur d’une association entre la consommation chronique du cannabis et le risque d’infarctus du myocarde. Les preuves en faveur d’une association entre l’usage du cannabis et le risque d’accident vasculaire cérébral ou hémorragique sont limitées13.

En ce qui concerne la santé mentale, il convient d’étudier l’impact sur le risque de psychose et sur les fonctions cognitives.

Si le cannabidiol agit comme un agent anti-antalgique et anti-psychotique, sans risque et largement utilisé à des fins thérapeutiques, le THC doit en revanche être considéré avec plus de précaution.

10. OFDT, Drogues, chiffres clés, 6e édition, juin 2015, https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/

dcc2015.pdf

11. Mittleman et al., Trigering myocardial infarction by marijuana, 2001 ; Yankey et al, Effect of marijuana

use on cardiovascular mortality : A study using the National Health and Nutrition Examination Survey

linked mortality file, 2017

12. Mittleman et al, 2001

13. Trois études croisées de qualité moyenne, une étude cas-contrôle.

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Principale substance psychoactive composant le cannabis, le THC est à l’origine du risque de psychose lié à la consommation de cannabis. Les études ont montré avec un niveau de preuve consistante que le ratio entre THC et CBD est un facteur déterminant du risque de psychose future : un déséquilibre entre les niveaux de ces substances (forte teneur en THC et faible teneur de CBD) augmente ce risque14.

14. Demirakca et al, 2011; Van Winkel et Keupper, 2014

15. Niesink R, van Laar M. Does cannabidiol protect against adverse psychological effects of THC? Front

Psychiatry 2013;4:130

L’IMPLICATION DES COMPOSANTES DU

CANNABIS DANS LA PSYCHOSE

Deux substances contenues dans le cannabis ont été examinées par rapport à leur implication dans la psychose :

- Le Δ9-tétrahydrocannabidiol (THC), qui est la substance psychoactive principale du cannabis. Il stimule le système endocannabinoïde et se trouve à l’origine des effets hallucinogènes et psychotomimétiques (D’Souza et al, 2004). Il a été impliqué dans le risque de la psychose chez les personnes vulnérables ;

- Le cannabidiol (CBD), qui est un cannabinoïde qui se trouve en quantités moins importantes dans le cannabis. Les études ont montré qu’il possède une activité anti-psychotique et qu’il aurait un effet plutôt protecteur sur le plan de la psychose.

Les produits proposés par les trafiquants ne respectent pas l’équilibre adéquat et se révèlent très fortement chargés en THC et plutôt faiblement en CBD. Cette dernière substance limitant les effets psychoactifs du THC, une augmentation du ratio THC/CBD ne ferait donc que renforcer la puissance de ces effets15.

Le développement de l’expérimentation génétique, des techniques de croisement et de culture sont à l’origine de la part croissante sur le marché de semences de cannabis à forte teneur en THC. Or,

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l’exposition à du cannabis fortement chargé en THC renforce le pouvoir addictogène du produit et peut donc avoir pour conséquence une majoration du risque de consommation problématique, et notamment le risque de psychose et celui de développer une conduite addictive.

Une analyse des échantillons de cannabis saisis aux États-Unis depuis 20 ans montre une augmentation importante du ratio THC/CBD entre 2009 et 2014 (voir annexe 3). Or, aujourd’hui, seuls les trafiquants ont la main sur la composition des substances qui circulent parmi les consommateurs. Une régulation de la production et de la vente de cannabis est le seul moyen de lutter efficacement contre cette mainmise des trafiquants.

En ce qui concerne les fonctions cognitives17, il a été montré cliniquement que l’usage du cannabis sur le court et le long terme peut modifier, de manière plus ou moins transitoire, la régulation des synapses qui régulent les processus d’apprentissage et de mémoire. L’usage du cannabis est ainsi associé à une moindre capacité attentionnelle et des modifications de la coordination motrice. Il n’est pas encore déterminé si l’ensemble de ces troubles s’amende avec l’abstinence16.

Grâce à une régulation efficace, la composition du produit pourrait être surveillée afin de minimiser les risques auxquels sont exposés les consommateurs.

En ce qui concerne le pouvoir addictogène liée à l’usage du cannabis, il est globalement inférieur à celui d’autres substances légales (tabac, alcool).

Une étude a comparé les addictions liées à différentes substances et le constat est sans appel : le cannabis affiche une probabilité de transition vers des troubles addictifs inférieure au tabac, à l’alcool et à la cocaïne18 (voir annexe 4) :

16. Broyd et al, Acute and chronic effects of cannabinoids on human cognition—A systematic review, Biological Psychiatry, 2016.

17. Broyd et al, 2016

18. Lopez-Quintero C, Perez de los Cobos J, Hasin DS, Okuda M, Wang S, Grant BF, Blanco C. Probability and predictors of transition from first use to dependence on nicotine, alcohol, cannabis and cocaine: Results from the National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions (NESARC). 2011 Drug Alcohol Depend. 115(1-2):120-130

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- 67,5% pour le tabac ;- 22,7% pour l’alcool ;- 20,9% pour la cocaïne ;- 8,9% pour le cannabis.

Des études ont démontré que l’addiction au tabac, à l’alcool ou à la cocaïne se manifeste plus rapidement chez les personnes et est bien plus forte que pour le cannabis19. Le cannabis est donc globalement moins addictif. Il ne faut cependant pas oublier que l’addiction est une pathologie tout à fait personnelle, qui est propre à chacun et se manifeste différemment selon les individus

En ce qui concerne le risque létal lié à l’usage du cannabis, il est quasi inexistant.

Une étude parue dans le journal Scientific Reports en 2015 s’est penchée sur le risque létal associé aux substances psychoactives en comparant de nombreuses substances. Selon les résultats de ce travail, le cannabis serait 114 fois moins mortel que l’alcool. Situé en bas du classement, le cannabis serait donc la substance la moins dangereuse parmi toutes celles étudiées20.

Les risques sur la santé physique existent donc indéniablement mais ils doivent être mis en perspective avec les risques liés à la consommation de produits en vente libre tel que le tabac et l’alcool.

2. Une population à risque : les jeunes.

Les Français âgés de 15 à 34 ans ont la plus forte prévalence de consommation de cannabis en Europe : 22% en ont consommé au cours de l’année 201621. On observe, par ailleurs, que la plus forte proportion des consommateurs se trouve parmi les jeunes adultes, puis cette proportion diminue chez les adultes plus âgés (voir annexe 1).

19. Bourgain C, Falissard B, Blecha L, Benyamina A, Karila L, Reynaud M. A damage/benefit evaluation of

addictive product use. Addiction. 2012 Feb;107(2):441–50.

20. Lachenmeier DW, Rehm J. Comparative risk assessment of alcohol, tobacco, cannabis and other illicit

drugs using the margin of exposure approach. Sci Rep 2015; 30:5:8126

21. EMCDDA, European Drug Report 2017

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Le fait de rencontrer un produit psychoactif jeune est l’un des principaux facteurs de risque d’évolution vers l’addiction au cannabis.

Aujourd’hui, l’interdiction du cannabis empêche de mener une politique de prévention et des campagnes d’information ciblées. Faire le choix de la légalisation permettrait, au contraire, de disposer des moyens de protéger les consommateurs potentiels les plus vulnérables en :

• Surveillant la composition du cannabis (équilibre entre THC et CBD), tout en permettant un usage libre, soumis à des indications et des règles ;

• Renforçant les mesures d’interdiction pour les jeunes dans le cadre d’une législation adaptée : il est impératif d’envisager une nouvelle façon de protéger les populations sensibles, au-delà de la seule répression, compte tenu des risques qui pèsent sur la formation du cortex cérébral avant l’âge adulte ;

• Prenant en compte les facteurs de vulnérabilité qui affectent une partie seulement des potentiels consommateurs : les antécédents familiaux et l’état de santé de certaines personnes sont à considérer pour comprendre les risques liés au cannabis. Une prohibition ou un système de sanctions sera d’autant plus efficace qu’il ciblera une population spécifique et non générale.

« Une légalisation du cannabis permettrait ainsi une meilleure régulation et un encadrement à même de pallier les risques existants ».

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Usage du cannabis : état des lieux scientifique sur les risques réels

1. État des lieux des systèmes légaux en vigueur

Aujourd’hui, la consommation de cannabis fait l’objet de trois choix différents de politiques publiques : la répression, la dépénalisation et la légalisation.

>> En France, l’usage est une infraction pénale, punie d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et d’une amende selon la loi du 31 décembre 1970. La détention, l’acquisition, le transport du cannabis, si celui-ci est destiné à un usage personnel sont également considérés comme des formes d’usage.

La répression du trafic de cannabis varie quant à elle en fonction des actes commis : fabrication, production, importation, exportation, direction d’un groupement sont punies de peines criminelles. Les autres actes, tels que le partage et l’achat en groupe notamment sont considérés comme étant des délits et non des crimes.

En France, au regard des chiffres sur la consommation de cannabis, la loi répressive semble avoir un effet que très marginalement désincitatif sur l’usage du cannabis. Il est temps de remettre en cause la loi comme outil de prévention de cette substance.

>> La dépénalisation du cannabis concerne trente pays et quatre autres pays de façon partielle. La dépénalisation est une solution modérée par laquelle la consommation et/ou la culture demeurent illégales mais tolérées et passibles de peines bien moins lourdes que dans le cas de la seule répression. Cette alternative permet dans la majorité des pays concernés la consommation personnelle de drogue en petites quantités.

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Au Portugal, la dépénalisation a concerné l’ensemble des drogues à des fins récréatives avec des résultats très encourageants (diminution de l’ensemble de la consommation, diminution du taux d’agression). Souvent, la dépénalisation constitue une première étape vers la légalisation, comme cela a été le cas pour plusieurs États américains.

Pour David Weinberger, sociologue à l’Institut National des Hautes Études de la sécurité et de la Justice (INHESJ), la dépénalisation permettrait uniquement de « désengorger les services de police et de justice mais n’aurait pas d’impact » sur le fait de réintégrer l’argent dans le circuit légal22, ce dont seule la légalisation est capable. Selon lui, la prohibition agit uniquement sur la dissuasion de consommer, la dépénalisation impacte l’engorgement de l’administration répressive et la légalisation permet de réduire le niveau de criminalité.

>> Actuellement, le cannabis médical et récréatif est légal uniquement dans un seul pays du monde : l’Uruguay. Les États-Unis, l’Inde, le Népal et le Canada ont quant à eux établi une légalisation partielle du cannabis. Aux États-Unis, huit États ont autorisé la consommation de cannabis à des fins récréatives et médicales (Californie, Washington, Oregon, Nevada, Colorado, Massachussetts, Maine, Alaska et le district de Columbia). Au Canada, la légalisation du cannabis à des fins récréatives est prévue pour juillet 2018.

Les études américaines comparant les données entre les États ayant autorisé le cannabis médical et les autres ne montrent pas d’augmentation significative des consommations de cannabis chez les adolescents. Les données concernant les États ayant légalisé le cannabis pour un usage personnel montrent un usage en légère hausse dans l’État de Washington et aucune différence significative au Colorado23.

Ces chiffres sont à manier avec précaution puisque doit être pris en compte le nombre de personnes qui consommaient par le passé dans l’illégalité et qui ont par la suite continué à consommer mais dans le circuit désormais légal.

22. https://www.ladepeche.fr/article/2017/12/19/2707408-david-weinberger-charge-recherche-institut-

national-hautes-etudes-securite-justice.html

23. Hasin, 2017

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2. Réguler pour mieux encadrer les risques liés à la consommation du cannabis

Comme évoqué précédemment, la composition du cannabis est un facteur essentiel dans l’apparition d’une addiction – lequel dépend aujourd’hui exclusivement des trafiquants – et l’usage de ce produit peut causer des troubles pour certaines populations à risque, ce qui nécessite un traitement différencié en termes de prévention et d’accès à l’information.

Une fois ces constats établis, les principaux risques liés au cannabis concernent aujourd’hui : sa composition, le risque de l’addiction et le manque d’information. Tous ces éléments pourront être régulés dans l’hypothèse d’une modification de la législation actuelle.

LES OUTILS DE TRAÇABILITÉ AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS

Au Canada, où la légalisation est prévue pour juillet 2018, le gouvernement du Québec prévoit de mettre en place un système de traçabilité fiable. Il a été suggéré d’attribuer ce rôle à Agri-Traçabilité Québec, un organisme sans but lucratif créé en 2001 pour la traçabilité dans les secteurs bovin, ovin et porcin.

Dans différents États américains (Colorado, Alaska, Californie, Maryland, Michigan, Montana, Nevada, Ohio, Oregon), la traçabilité repose sur un système de conformité règlementaire, appelé Metrc (pour « Marijuana Enforcement Tracking Reporting Compliance »). Il s’agit d’un système de suivi de l’inventaire de la marijuana grâce à des données récoltées depuis la plantation jusqu’à la vente en passant par le transport ou la transformation du produit.

Dans l’hypothèse d’une légalisation du cannabis en France, le système qui sera établi devra garantir la circulation sur le marché de produits de qualité pour les consommateurs.

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>> La composition pourra être suivie, grâce à un système de traçabilité des produits. Actuellement le système de prohibition ne permet aucune visibilité sur la composition des produits et n’assure aucune prévention ou protection pour les personnes qui consomment dans l’illégalité. Un programme de traçabilité approprié devra être mis en œuvre à l’échelle de l’État français, en parallèle de la légalisation. Il est essentiel de garantir un cannabis de bonne qualité pour les consommateurs adultes, tout en protégeant les jeunes.

>> L’accès à l’information sera garanti par le déploiement d’une politique de prévention ciblée destinée à protéger les populations les plus vulnérables. Des campagnes de prévention à l’échelle nationale, l’inclusion de ce sujet dans les programmes scolaires de l’enseignement moral et civique (EMC) à l’école primaire et au collège, des interventions dans les lycées et universités, sont autant de pistes de réflexion concrètes et facile à mettre en œuvre. Au préalable, un vrai travail de pédagogie envers la population générale devra être mené afin de permettre une mise en place cohérente et efficace de la nouvelle législation.

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ConclusionTous les pays ayant légalisé le cannabis ont mis en place un modèle qui leur est propre, en fonction de leur histoire, de leur population, de leur culture et de l’état du trafic. Il est donc essentiel de nous inspirer des solutions pertinentes développées dans ces pays tout en l’adaptant aux spécificités propres à la France et à ses particularités.

La France doit construire son propre modèle. La législation sur le cannabis doit être cohérente face à une société ayant accès à de nombreux produits sans difficulté et où la législation répressive n’est pas une solution efficace, ni appropriée. Dans ce contexte, nous formulons les propositions suivantes à destination des pouvoirs exécutif et législatif :

1. Légaliser la production, la vente et la consommation de cannabis. Nous voulons sortir de l’hypocrisie du modèle actuel afin de bâtir une régulation au service d’une politique de santé publique efficace.

2. Mettre en place un système de traçabilité à l’échelle nationale. La légalisation du cannabis permettra à l’État d’en réguler la composition et d’imposer des standards compatibles avec nos objectifs de santé publique.

3. Transférer les budgets liés à la répression vers la prévention. Une politique de prévention ciblée est essentielle afin de protéger les populations les plus vulnérables face à la consommation de cannabis.

4. Développer l’usage thérapeutique du cannabis. Les bienfaits du cannabis pour lutter contre certaines symptômes ou maladies ont été largement reconnus. Il est temps que la France rattrape son retard sur ce terrain.

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Légaliser le cannabis en France : monopole d’Etat ou marché libre ?

L A C O N T R O V E R S E

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De nombreux rapports font déjà état des avantages de la légalisation du cannabis, sur le plan des libertés individuelles mais aussi, d’un point de vue utilitariste, du bien-être social : diminution de la criminalité, hausse des rentrées fiscales, généralisation des instruments de prévention, régulation du produit… Cette légalisation ne s’étendrait bien sûr pas aux mineurs, pour qui les mesures d’interdiction pourraient même être renforcées.

Prenant acte de cette littérature déjà substantielle, Francis Caballero et Gaspard Koenig se sont entretenus plus spécifiquement des moyens devant être mis en œuvre en vue d’une telle légalisation. Francis Caballero, avocat et agrégé des facultés de droit, défend cette cause depuis de nombreuses années : il est l’auteur d’un Droit de la drogue (Dalloz, 1989) et plus récemment de Legalize It ! (L’esprit Frappeur, 2012). Gaspard Koenig, philosophe et professeur associé à Sciences-Po, a effectué un reportage au Colorado pour Le Point, repris et commenté dans les Voyages d’un philosophe aux pays des libertés (Éditions de L’Observatoire, février 2018).

Les deux auteurs défendent deux approches différentes : celle d’une légalisation contrôlée par un monopole d’État de production et de distribution du cannabis, par Francis Caballero ; et celle d’une légalisation par le marché, par Gaspard Koenig.

Par G a s p a r d K o e n i g e t M e F r a n c i s C a b a l l e r o

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Le Colorado, l’Uruguay, bientôt le Canada et la Californie… la légalisation du cannabis est-elle en train de se généraliser ?

Francis Caballero : Il est difficile de prévoir quand la légalisation du cannabis interviendra en France, mais il est clair que la prohibition qui sévit depuis plus de 70 ans vit ses derniers jours. L’ONU, qui en est le pilier international, y a déjà plus ou moins renoncé en reconnaissant que la « guerre à la drogue » est un échec historique. Il existe cependant plusieurs moyens de légaliser depuis le monopole d’État jusqu’au marché libre, et c’est la raison d’être de la proposition d’un organe public de contrôle de ce nouveau marché, la Française du cannabis.

L’instauration d’un monopole est habituellement contraire au droit européen, sauf dans un cas précis, déterminé par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne : lorsqu’il assure et sert l’intérêt général. Ce sera le cas de ce dispositif, destiné à lutter contre le crime organisé, à assurer la protection de la santé publique et l’information des consommateurs sur les risques du cannabis à l’aide d’une prévention renforcée. En clair le

but de la légalisation contrôlée est de remplacer le trafic illicite de stupéfiants par un circuit licite qui profitera à la collectivité.

Il faut cependant préciser que la Française du cannabis n’est qu’un élément du dispositif. La légalisation exige des modifications du Code pénal, du Code de la santé, du Code de la route, du Code des impôts, etc. C’est donc une réforme assez complexe qui se distingue clairement de la réduction des risques, de la dépénalisation et de la contraventionnalisation envisagée par le gouvernement. Disons que, même si c’est un pas dans la bonne direction en réduisant le nombre de garde à vue des usagers détenteurs, il ne s’agit que d’une réformette.

Gaspard Koenig : après avoir encouragé la prohibition à l’échelle mondiale, ce sont paradoxalement les États-Unis qui initient un mouvement de légalisation du cannabis, État après État. Si l’ancien président Barack Obama ne l’a pas réalisé au niveau fédéral, il a malgré tout laissé les États décider de leur propre politique sur ce sujet. Cela reste précaire mais c’est encourageant.

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Si la France paraît en retard, on

observe indéniablement une tolérance de la police française envers la consommation de cannabis, à la différence des attitudes répressives et disproportionnées aux États-Unis.

Le projet du gouvernement visant à contraventionnaliser l’usage et la possession de cannabis risque hélas de s’avérer contre-productif, en sanctionnant par l’amende des comportements qui étaient dans la pratique tolérés. La répression n’en sera que renforcée. Alors même que le président de la République, en déplacement en Guyane, semblait assez à l’aise avec le produit (« il y en a qui ne fument pas que des cigarettes… j’ai encore du nez » a-t-il déclaré devant de jeunes fumeurs). Cessons cette hypocrisie !

Vous êtes tous les deux favorables à la légalisation du cannabis : quelles seraient les modalités de sa production ?

Francis Caballero : Le cannabis est un produit agricole. La plante de cannabis est d’ailleurs cultivée en France sur 7 000 hectares par le syndicat des chanvriers. À ceci près qu’il s’agit de cannabis « à fibre » sans effet psychoactif, car il ne peut contenir plus de 0,2% de THC (tétrahydrocannabinol). Il ne procure aucun effet psychotrope et c’est pourquoi cette culture est subventionnée par la politique agricole commune. En revanche, le cannabis « à drogue » contenant plus de 0,2% de THC est interdit de culture en Europe et en France.

La Française du cannabis ne cultivera pas de chanvre, elle contrôlera seulement que la production se fait dans de bonnes conditions. Elle délivrera au nom de l’État des permis de culture aux « cannabiculteurs » comme au Colorado. Il existe cependant une grande différence entre le modèle français et le modèle américain. La culture ne se fera pas « indoors » sur des surfaces réduites à l’électricité et avec des engrais (40% du coût de production), mais en plein champs, « outdoors », de

« L’ONU a d’ores et déjà renoncé à la prohibition du cannabis reconnaissant que la guerre à la drogue est un échec historique. »F. Caballero

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façon naturelle et écologique. Il est probable que ce sera une culture sous serre plus proche de l’horticulture que de l’agriculture productiviste.

Titulaire d’un monopole de production, l’État pourra choisir les meilleures terres, les meilleures graines, les meilleures variétés et les meilleurs cultivateurs. Soit dit en passant, la France dispose sur ce terrain d’un avantage considérable grâce à ses territoires d’outre-mer. Le pakalolo de Tahiti, le zamal de la Réunion, la ganga des Antilles et la marihuana de Guyane sont déjà prêtes à produire de l’herbe et à prendre la relève des marocains producteurs de haschich. Il est vrai que nos dirigeants ne comprennent pas pour l’instant que cette culture est un véritable « or vert » pour ces territoires. On ne peut que le déplorer.

Le principal problème à résoudre pour le monopole est l’existence de « l’autoproduction » qui serait pratiquée par plusieurs centaines de milliers de personnes. Plusieurs systèmes de contrôle sont possibles, de l’interdiction totale à la déclaration de quelques plants avec ou sans paiement d’une redevance, et il appartiendra au législateur de trancher.

En dehors de la réglementation, il existe une autre donnée très importante à la disposition du monopole : le prix. Selon une étude commandée par la « Start up du chanvre », qui table sur une production française de mille tonnes, le coût de production d’un gramme d‘herbe serait de 0,19 à 0,50 euros, ce qui laisse une grande marge pour rémunérer correctement les planteurs. Le nombre d’emplois créés par cette nouvelle filière agricole très rémunératrice serait de 1 400 à

10 000 selon les zones de production et les prix pratiqués avant transformation.

Gaspard Koenig : La légalisation doit naturellement être régulée, mais cela peut se faire dans le cadre d’une commercialisation privée. Au Colorado par exemple, l’État attribue des licences sur la base de conditions strictes d’hygiène et de sécurité pour autoriser les cultivateurs à produire du cannabis. Au-delà de la cultivation et de la récolte, il est aussi question des méthodes de transformation, comme le dépouillage des feuilles et l’effeuillage. Il existe par ailleurs un système de traçabilité avec, par exemple, l’étiquetage requis pour les plantes et la mesure stricte du taux de THC (tétrahydrocannabinol).

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C’est toute la mission de la Marijuana Enforcement Division qui établit les normes et les dosages, contrôle les produits, attribue les licences.

Le marché est, de fait, indissociable de la régulation. Il n’a pas lieu, par conséquent, d’opposer le marché à l’État. Dans un contexte de marché, l’État assure le respect des principes de la concurrence, en empêchant la formation d’oligopoles et en sanctionnant les abus de position dominante. À l’inverse, il est nécessaire pour un producteur de conformer son activité aux normes sanitaires et de respecter un exigeant cahier des charges, pour que le consommateur soit respecté et informé. Ce système me semble être un satisfaisant compromis pour un nouveau marché comme celui-ci.

La plus grande faiblesse de la réglementation au Colorado est relative à l’interdiction d’établir une entreprise liée au cannabis pour tout individu ayant fait l’objet d’une condamnation pénale. Les producteurs de cannabis qui réussissent et restent compétitifs sont donc issus des grandes universités et disposent d’un capital économique et un capital culturel élevés. De mon point de

vue, les antécédents judiciaires ne devraient pas constituer un critère d’attribution d’une licence. Lever cette barrière à l’entrée de ce marché offrirait des opportunités de reconversion légale aux petits dealers. Cela leur permettrait de devenir des entrepreneurs à part entière. C’est d’ailleurs la voie qu’a choisie la Californie qui étudie la mise en place d’un système de

« microlicences ».

Francis Caballero : La légalisation

contrôlée à la française s’inscrit justement à rebours de cette légalisation à l’américaine qui relève du « business as usual ». Cette dernière a déjà entraîné un phénomène de concentration industrielle et une production intensive « indoors » généralisée au détriment d’une exigence qualitative et écologique vis-à-vis du produit vendu. Le modèle de monopole d’État se donne pour but d’écarter la perspective d’une production industrielle, verticale, assurée par une seule entreprise ou par un oligopole.

Si l’on suppose la création d’un oligopole comme pour le tabac où le marché est partagé entre quelques entreprises, il est clair que l’intérêt général (un gros mot pour les libertaires) ne sera pas prioritaire. Par définition, une

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entreprise privée ne recherche que le profit. Elle est prête à violer la loi pour y parvenir comme le fait l’industrie du tabac (ententes pour se partager le marché, vente aux mineurs, publicité illégale...). Ce n’est pas critiquable en soi pour un produit ordinaire, mais le cannabis reste une drogue dangereuse quand on en abuse. Un oligopole concurrentiel a par nature pour but d’augmenter sa consommation.

Or, la protection de la santé publique et de la sécurité publique est essentielle pour que la légalisation fonctionne sans provoquer de réaction hostile. Selon un sondage effectué par la « Start up du chanvre », une majorité des Français (54%) se déclare favorable à ce que l’État prenne le contrôle de la production et de la consommation de cannabis. Un monopole à dimension nationale, locale et agricole permet (malgré ses inconvénients) d’être mieux accepté par l’opinion publique. C’est ce qui rend cette proposition réaliste et faisable politiquement. On admet toutefois que le modèle de La Française du cannabis puisse n’être que transitoire pour accompagner au mieux les débuts de la légalisation. Il n’est pas exclu qu’à long terme ce soit un autre modèle qui s’impose.

Gaspard Koenig : Je reconnais que le choix de cette légalisation par monopole est probablement plus facile à appliquer et à se faire accepter en France que la légalisation par le marché. Elle est conforme à la tradition colbertiste de notre pays. En revanche, ce monopole d’État, comme tous les autres, amène avec lui ses dérives et ses effets pervers.

Il conduira d’abord à une forte désincitation à l’innovation chez les producteurs car le choix d’acheter ou de refuser leurs produits dépendra du bon vouloir de l’administration selon des critères forcément bureaucratiques. Le monopole tirera la qualité vers le bas. Il peinera en effet à différencier, de manière administrative, les tarifs de chacun des produits. Une part des consommateurs qui était prête à consacrer plus de revenus pour acheter des produits meilleurs ou plus innovants sera, de toute évidence, frustrée. Cette limitation de l’innovation se produit bien au détriment du consommateur qui voit ses choix de consommation restreints. Il n’y aura finalement plus que quelques produits standardisés qui seront destinés au plus grand nombre.

Je pense aussi à un autre risque propre à tout monopole, celui du détournement et de

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l’instrumentalisation politique. L’absence de concurrence entraîne inévitablement une ossification de la structure administrative et l’émergence de phénomènes de clientélisme politique. Ainsi, La Française du cannabis que vous proposez pourrait facilement devenir la victime de logiques d’appareil, recyclant les plus proches du pouvoir. Le concept assez malléable et vague d’ « intérêt général » derrière ce monopole facilite cette instrumentalisation à des fins particulières. Ce ne serait pas le moindre des paradoxes que le cannabis alimente une nouvelle rente publique…

À l’inverse, le modèle du marché permet d’anticiper les besoins de chaque consommateur et de répondre à la diversité des modes

de consommation. Cela conduit à une production de cannabis diverse et plurielle, fondée sur plusieurs modèles, que ce soit une production locale biologique avec des appellations d’origine ou au contraire une production plus intensive. C’est ce que j’ai pu constater à l’occasion du salon professionnel Seed to Sale Show de Denver, au Colorado, organisé par la National Cannabis Industry Association.

On trouvera donc à la fois, suivant les évolutions du marché, des champs ouverts et des structures fermées hors sol. Au Colorado, la dynamique tend d’ailleurs à s’inverser au profit de la culture en champ. Les prix baissent progressivement grâce aux mécanismes de la concurrence. À terme, il deviendra donc plus rentable de produire une culture en champ avec un rythme de récoltes moins soutenu, un peu comme du blé... C’est la logique même du développement d’un marché spontané avec une différenciation des prix accompagnée d’un processus d’innovation. Le traditionnel joint est aujourd’hui concurrencé par des e-cigarettes, et le « space cake » artisanal par des confiseries haut de gamme.

« Le monopole d’État conduira à une forte désincitation à l’innovation chez les producteurs. Le choix d’acheter ou de refuser leurs produits dépendra du bon vouloir de l’administration selon des critères bureaucratiques. »G. Koenig

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Comment s’organiserait la distribution de ce nouveau produit légalisé ?

Francis Caballero : Comme pour la production, la Française du cannabis ne distribuera pas elle-même le cannabis légal. Elle fera appel à des distributeurs agréés auxquels elle délivrera des licences comme l’administration le fait déjà pour les débits de boissons ou les bureaux de tabac. Ceux-ci devront se soumettre à des règles de fonctionnement définies dans leur contrat tant ce qui concerne les produits vendus que les taxes perçues à cette occasion. Ils se procureront leur marchandise auprès de la Française du cannabis qui jouera le rôle de transformateur des produits de l’agriculture et de répartiteur des commandes des distributeurs.

Dans le système que je défends, la distribution se fera dans un circuit séparé des circuits existants de l’alcool, du tabac ou des produits pharmaceutiques. Dans ce circuit, il y aura deux catégories de débits, selon qu’il s’agit de débits à emporter ou à consommer sur place. On propose d’appeler « cannaboutiques » ceux qui donnent seulement la possibilité d’acheter le produit et « cannabistrots » ceux qui permettent aux fumeurs de consommer ensemble pour se retrouver. Sur le modèle des coffee shops hollandais où toute vente d’alcool est interdite, mais où on peut fumer un joint en mangeant des glaces.

Le nombre et la répartition des débits restent à préciser, mais du fait de l’existence du monopole de distribution, la concurrence entre débits sera limitée. Une fois agréé par la Française du cannabis, le débitant aura un territoire protégé, un peu comme les pharmacies. Cela relève du bon sens dans la mesure où le nombre de points de vente dépend de l’ampleur du marché. Le débitant restera toutefois sous le contrôle du monopole qui pourra lui retirer son agrément s’il ne respecte pas les règles fondamentales de ce commerce, comme par exemple une interdiction de toute publicité

« La Française du cannabis ne distribuera pas elle-même le cannabis légal. Elle fera appel à des distributeurs agréés auxquels elle délivrera des licences comme l’administration le fait déjà pour les débits de boissons »F. Caballero

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commerciale sur les lieux de vente. La Française du cannabis fixera des prix minimums par variété, étant précisé que les prix peuvent varier en fonction de la qualité des produits et de leur circuit de distribution, selon qu’il est court ou long. Les producteurs pourront vendre en effet une partie de leur production directement au public. Au total selon l’étude du marché de la « Start up du chanvre » (Geoffard, « Les aspects économiques et fiscaux de la légalisation du cannabis », novembre 2017), le nombre d’emplois dans la distribution devrait se situer pour 5 000 débits entre 15 000 et 20 000 personnes.

Au total, même s’il faut prendre avec circonspection les calculs des économistes, la légalisation du cannabis contrôlée par l’État est susceptible de créer entre 23 000 et 55 000 emplois directs auxquels il faut ajouter entre 5 300 et 12 600 emplois indirects et 4 600 à 11 000 emplois induits (rapport Geoffard p.25 et 26). Au total, ce serait entre 33 000 et 79 000 emplois qui seraient créés dans l’économie française. Il est tout de même stupéfiant de voir que les politiciens français qui parlent sans arrêt de l’emploi des jeunes ne s’intéressent pas à cette nouvelle source d’emplois marchands au profit de la jeunesse !

Autre avantage de la légalisation contrôlée, elle ne se borne pas à créer des emplois, elle fournit des ressources fiscales et sociales à l’État. Dans l’hypothèse proposée par la « Start up du chanvre » d’une consommation de mille tonnes d’herbe, si l’on fixe le prix moyen de production et de distribution à deux euros (ce qui est volontairement bas) avec taxe au col d’un euro le gramme (25% du prix de vente) et une TVA de 25%, rapporterait à la collectivité environ deux milliards d’euros. Un milliard pour l’État et un milliard pour la Sécurité sociale. Une véritable manne tombée du ciel car cette taxe est indolore puisqu’elle est payée par les seuls consommateurs. À noter que, dans l’hypothèse retenue, on aboutit à un taux d’imposition sur le cannabis de 50% alors que le taux appliqué au tabac est de plus de 80%.

« Un monopole d’État, jugé à tort « intelligent»

voire « omniscient » ne sera jamais qu’un substitut imparfait et

défaillant par rapport au marché. »

G. Koenig

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Gaspard Koenig : Sur ce dernier point, je suis, comme Francis Caballero, favorable à l’instauration d’une taxe sur les produits à base de cannabis. Ces nouvelles recettes fiscales pourraient financer la recherche et la prévention. Au Colorado, ce type de recettes fiscales, qui s’élèvent aujourd’hui à plus de 150 millions de dollars par an, permet de financer la construction d’écoles et la recherche publique sur le cannabis.

Sur le reste, ce que j’ai dit pour la phase de production vaut tout autant pour celle de la distribution.

Un monopole d’État, jugé à tort

« intelligent » voire « omniscient » ne sera jamais qu’un substitut imparfait et défaillant par rapport au marché. Je rappelle que l’une des valeurs essentielles du marché selon Hayek, c’est la transmission de l’information. De manière spontanée, le marché aligne l’information pour faire correspondre des intérêts convergents. Ainsi, les producteurs et consommateurs souhaitant investir davantage pour un produit amélioré, ou à l’inverse pour un produit basique aux coûts de production plus faibles, sont libres de réaliser ces choix et ces arbitrages. Le

marché prend en compte les différences de coût de production et d’acheminement mais aussi de la qualité des différents produits. Il élimine, de fait, par les mécanismes de l’offre et la demande, les plus impopulaires. À l’inverse, la fixation des prix par un monopole d’État engendre souvent des pénuries en décourageant la production. Enfin, qui dit monopole d’État dit quota de licences, avec les effets de rente déjà connus et constatés dans d’autres professions.

Concernant l’usage du cannabis, comment s’organiserait sa consommation ?

Francis Caballero : Concernant l’usage du cannabis, il convient d’adopter dans la loi des contraintes relatives à l’usage public. Toute consommation devrait être interdite dans les lieux publics pour ne pas constituer une gêne pour autrui. L’odeur du cannabis est en effet susceptible d’incommoder de nombreuses personnes. Il n’y a aucune raison de leur donner tort face à une pollution de l’air d’origine humaine. Mieux vaut prévenir que guérir. Il reste que l’usage privé, seul ou avec des amis, est admis

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sans problème pour un majeur de dix-huit ans, ce qui constitue dans tous les cas une révolution par rapport au droit antérieur. Qu’il soit le fait d’un monopole d’État ou d’un marché libre, le résultat pour les millions de fumeurs de joints sera pratiquement le même. Seul le prix et les conditions de vente seront différents. En particulier, une information objective sur les dangers (et les avantages) du cannabis, trop longtemps diabolisé, sera fournie par le monopole sur les emballages des produits. Et ce ne sera pas du luxe compte tenu des préjugés et l’ignorance qui règnent en la matière.

Gaspard Koenig : Je suis, sans surprise, favorable à la possibilité de consommer du cannabis dans les lieux publics, contrairement à ce que vous prônez et à ce qu’a mis en place le Colorado en la matière. Pour ma part, je fais davantage confiance aux mécanismes de contrôle social à ce sujet, à une régulation efficace fondée sur les interactions civiles et privées, constitutives de la morale collective. Ce n’est pas parce qu’on a le droit de se promener en caleçon dans la rue qu’on voit beaucoup de gens le faire.

Au sujet de la sensibilisation, comme je l’ai abordé précédemment, les nouvelles recettes fiscales liées à l’activité du cannabis pourront financer des organismes d’État consacrés aux campagnes de réhabilitation et aux campagnes de prévention ciblées notamment sur les catégories de population les plus vulnérables sur cette question, comme les femmes enceintes et les adolescents.

Sur la question de la publicité, je serai plus mesuré. Je suis favorable à la publicité évitable, celle qu’on peut éviter de voir (en tournant la page du magazine ou en changeant de page web) mais contre la publicité dite « unavoidable » (un panneau d’affichage dans la rue) du fait de son caractère attentatoire aux libertés.

S’agissant de la consommation en elle-même, dans la mesure où les produits à base de cannabis vendus répondraient, grâce au système des licences, à des conditions strictes d’hygiène et d’étiquetage, le consommateur sera capable de s’autoréguler : les Américains appellent ce phénomène la « self-titration ». L’immense majorité des consommateurs ne sont pas des accrocs (le taux d’addiction n’a d’ailleurs pas augmenté au Colorado depuis la légalisation).

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Par exemple, ceux qui ont des problèmes de sommeil peuvent avantageusement remplacer les somnifères par un petit « puff » tiré sur une e-cigarette cannabis.

En revanche, dans le cas des pâtisseries à base de cannabis, les « edibles », les effets sont différés puisqu’il faut attendre la digestion avant que la THC passe dans le sang. Cela peut pousser à une consommation excessive et donc dangereuse. Le régulateur a donc exigé que les « edibles » soient décomposés en unités de 10 mg de THC, pour que le consommateur puisse mieux mesurer les doses qu’il ingère.

Par ailleurs, parmi les différents modes de consommation du cannabis, il ne faut pas oublier son usage thérapeutique, compte tenu de ses vertus médicinales (par exemple pour redonner l’appétit aux patients subissant une chimiothérapie). La recherche sur le sujet est en pleine expansion. À titre anecdotique, les danseuses de l’Opéra de Portland utilisent une crème au cannabis pour masser leurs muscles…

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Annexes

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ANNEXE 1 : Expérimentation et usage actuel de cannabis en 2016, selon l’âge et le sexe (%)

ANNEXE 2 : Evolution entre 1992 et 2016 de l’usage actuel de cannabis, selon le sexe (%)

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ANNEXE 3 : Graphique de l’évolution du ratio des teneurs en THC et CBD des résines saisies entre 1993 et 2008 (Mehmedic et al, 2010)

ANNEXE 4 : Tableau de Lopez-Quintero et al. (2011) sur la probabilité de transition vers la dépendance par substanceLe cannabis affiche une probabilité de transition vers des troubles addictifs inférieure au tabac, à l’alcool et à la cocaïne.

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Francis CABALLEROL E S A U T E U R S

Bibliographie :

• Essai sur la notion juridique de nuisance, LGDJ, 1981

• Droit de la drogue, Dalloz, 1989, réédité avec Yann Bisiou en 2000

• Nuit gravement au tabac, Favre, 2002

• Droit du sexe, LGDJ, 2010

• Legalize it !, L’Esprit frappeur, 2012

Avocat et Professeur agrégé des Facultés de droit

B I O G R A P H I E

Francis Caballero est avocat au Barreau de Paris, Professeur agrégé des Facultés de droit et Master of laws de l’Université d’Harvard.

Depuis plus de 30 ans, Francis Caballero est engagé en faveur de la légalisation du cannabis. Il a publié en 1989 un Droit de la drogue, réédité en 2000 avec la collaboration de Yann Bisiou. Président du Mouvement de légalisation contrôlée (MLC) depuis 1993, auteur d’un ouvrage sur le cannabis (Legalize it !) en 2012, avocat des personnes poursuivies pour infraction à la législation sur les stupéfiants, il n’a cessé de combattre la « guerre contre la drogue », qu’il considère comme un échec historique majeur.

Professeur à l’université Paris X-Nanterre, Francis Caballero a enseigné le droit pénal et la procédure pénale jusqu’en 2008. Il est, par ailleurs, connu pour ses positions de militant anti-tabac, notamment à travers la défense des victimes de cette industrie.

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Psychiatre, spécialiste des addictions et Professeur des universités

B I O G R A P H I E

Amine Benyamina est psychiatre, professeur de psychiatrie et chef du département de Psychiatrie et Addictologie à l’hôpital Paul Brousse - APHP à Villejuif.

Il est également Professeur des universités - praticien hospitalier (PUPH) à l’université Paris-Sud et président de la Fédération Française d’Addictologie (FFA) depuis 2015.

Amine Benyamina intervient régulièrement dans les médias en faveur de la légalisation du cannabis et est l’auteur de plusieurs ouvrages.

Amine BENYAMINA

Bibliographie :

• Addiction au cannabis, Médecine Sciences Publications ( coll.), 2009

• Alcool et troubles mentaux : De la compréhension à la prise en charge du double diagnostic, ( coll.), Elsevier Masson, 2013

• Addictions et comorbidités ( dir.), Dunod, 2014

• Avec SAMITIER Marie-Pierre, Comment l’alcool détruit la jeunesse, Albin Michel, 2017

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Toi aussi, engage-toi dans le débat public !

C O M B A T D ’ I D É E S

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Ils ont souhaité soutenir ce rapportMarc-Antoine A. (Seine-Saint-Denis) ; Etienne P. (Nord) ; Alice L. (Paris) ; Laurent G. (Hauts-de-Seine) ; Maxime M. (Allemagne) ; Christophe L. (Hérault) ; Nicolas D. (Nord) ; Gauthier P. (Bruxelles) ; Julien D. (Paris) ; Fabien S. (Paris) ; Alexandre O. (Seine-et-Marne) ; Hermann H. (Ille-et-Vilaine) ; Pierre C. (Haute-Vienne) ; Victor F. (Paris) ; Thomas S. (Hauts-de-Seine) ; Michel P. (Corse) ; Thierry M. (Charente-Maritime) ; Florent B. (Gironde) ; Alexandra T. (Suisse) ; Philippe P. (Puy-de-Dôme) ; Naïko L. (Hérault) ; Adriano T. (Haut-Rhin) ; Francis R. (Alpes-Maritimes) ; Jonathan N. (Essonne) ; Emmanuel de M. (Hauts-de-Seine) ; François R. (Mayenne) ; Alexy B. (Bouches-du-Rhône) ; Maxime V. (Val d’Oise) ; Henri C. (Paris) ; Constance P. (Paris) ; JXO (Hauts-de-Seine) ; Gauvain L. (Gers) ; Delphine G. (Hérault) ; Samuel B. (Ain) ; Jac J. (Deux-Sèvres) ; Hélène B. (Yvelines) ; Alonso J-L. (Bouches-du-Rhône) ; Victor C. (Haute-Garonne) ;

Je choisis mon combat sur :

Je m’engage comme

« Activiste »

« Militant(e) »

« Enragé(e) »Je suis associé(e)

aux travaux du think tank en lien avec mon combat

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Avec Combat d’idées, la

plateforme de crowdfunding

du think tank GenerationLibre,

projetez vos idées dans le débat

et devenez un militant de la liberté.

Clément B. (Paris) ; Franck L. (Hérault) ; Yannick F. (Haut-Rhin) ; Constance P. (Yvelines) ; Christophe S. (Rhône) ; Louis S. (New-York) ; Lucas L. (Paris) ; Rafaël A. (Seine-et-Marne) ; Marie-Claude P. (Yvelines) ; Vincent. A (Seine-Saint-Denis).

Je deviens acteur

et porte moi même les travaux auprès

....

...des journalistes

de ma région

...de mon

entourage

...des parlementaires

de mon département

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La raison d’être du think tank.

G E N E R A T I O N L I B R E

Tocqueville déplorait déjà, dans L’Ancien Régime et la Révolution, « l’effrayant spectacle » des philosophes français, coupés du reste de leurs semblables, ignorants de la vie de la Cité, aveugles au reste du monde. « Même attrait pour les théories générales, les systèmes complets de législation et l’exacte symétrie dans les lois ; même mépris des faits existants ; même confiance dans la théorie. »

A l’inverse, les politiques restent bien souvent détachés de toute réflexion philosophique, en se reposant trop exclusivement sur l’administration pour imaginer les projets de réformes.

« C’est donc à mieux marier théorie et pratique, principes philosophiques et action politique, que doivent travailler les think tanks »

Sur le fondement d’une doctrine claire, ils rassemblent les compétences d’experts pour décliner des idées parfois inhabituelles en politiques publiques précises et chiffrées. S’agissant du revenu universel par exemple, GenerationLibre s’est emparé d’un concept puissant mais très abstrait pour élaborer une proposition économiquement viable sous la forme d’un impôt négatif.

Il est heureux que les think tanks jouent un rôle croissant sur la scène publique française. Au-delà des convictions de chacun, c’est la garantie d’un débat riche et informé sur les grands sujets de notre temps.

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Notre combat quotidien.

A C T I O N S

1. Vivre et laisser vivre, pour permettre à chacun de définir ses propres valeurs dans une société ouverte.

2. Briser les rentes, parce que la libre concurrence des échanges comme des idées est le meilleur moyen de contester l’ordre établi.

3. Penser le progrès, pour que les innovations technolo-giques demeurent au service de l’individu.

Nos objectifs.

Nos dernières publications.• « Redéfinir le contrat de travail : de la subordination à la coopération », janvier 2017 ;

• « LIBER, une proposition réaliste, tome II », janvier 2017 ;

• « Le sexe et l’Etat : de l’indisponibilité à la libre détermination », juin 2017 ;

• « Retrouver l’Europe, pour un Etat minimal européen », chapitre I, avril 2017 ;

• « Schumpeter et les robots, le cas de la France », novembre 2017.

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www.generationlibre.eu

N O U S S O U T E N I R

GenerationLibre est un think tank fondé en 2013 par le philosophe Gaspard Koenig. Son financement repose exclusivement sur la générosité de ses membres, seule garantie de sa liberté de ton et de son indépendance. Il refuse toute subvention publique et n’effectue aucune activité de conseil.

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