Lettre d’Isabelle Gaston

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  • 8/20/2019 Lettre d’Isabelle Gaston

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    Conséquences meurtres de mes enfants

    Monsieur le juge,

    J'ai hésité à me présenter devant vous. J'avais peur de ne pas être écoutée. On

    dirait que les victimes doivent toujours attendre leur tour. Ce qu'on a à dire est

    trop gros pour être écouté jusqu'au bout. pr!s ré"le#ion, j'ai choisi de venir 

    e#ercer mon droit de parole puisque vous n'êtes pas ces autres qui m'ont

    empêchée de dire ce que j'avais besoin de dire. J'ai enduré de di""iciles

    procédures, et pendant des années, ma place était au "ond d'une salle. J'ai subi.

     ujourd'hui, c'est avec courage, mais soulagement que je m'adresse à vous.

    $ous save%, outre de ne pas être écoutée, me tenir devant vous et dire tout hautce que j'ai enduré, perdu, ressenti, me semblait de prime abord incompatible

    avec mon désir d'oublier et mon e""ort constant pour reb&tir ce qu'il me reste de

    ma vie. Je suis ici pour moi, pour m'aider à avancer et "aire la pai# avec ce que je

    peu# changer et me donner la "orce de "aire "ace au "utur.

    Je suis debout. Je suis résiliente, mais j'esp!re qu'au moment o vous rendre%

    votre sentence, il ( aura ce bout de papier et l'écho de ma voi# qui vous

    rappelleront une partie de ce que j'ai enduré par la "aute de )u( *urcotte. Je

    veu# que vous vous rappelie% qu'il n'a rien "ait pour m'aider à rendre ma vie plus

    douce et plus simple apr!s la mort des en"ants.

    On reconna+t "acilement les conséquences de condamner un innocent, mais on

    banalise trop souvent les conséquences de ne pas obtenir justice.

    n tuant Olivier et nne-ophie, )u( *urcotte a brisé mon c/ur et une grande

    partie de ce que j'étais. 0l a anéanti le précieu# choi# de vie que j'avais "ait, soit

    celui d'être une maman. 1a "emme qui e#istait en 2334 n'e#iste plus et n'e#istera

    plus jamais. ocialement, ps(chologiquement, "inanci!rement et

    pro"essionnellement. Olivier était le plus merveilleu# des petits gar5ons et nne-

    ophie la plus e#traordinaire des petites "illes.

    6uand on est jeune, on rêve de ce qu'on veut quand on sera grand. On se

    projette dans l'avenir. Certains rêvent de gagner le gros lot, d'autres de devenir 

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    astronaute. Moi, je rêvais d'avoir des en"ants. 1e 23 "évrier au matin, j'avais deu#

    beau# en"ants et, en moins de 27 h, je n'en avais plus.

    J'étais encore en état de choc, à quelques jours des déc!s qu'on a cogné à ma

    porte avec une liste d'objets à récupérer a"in de pa(er les avocats de monsieur.On m'a causé de l'angoisse en mena5ant de vendre les jouets a(ant appartenu à

    mes en"ants. ucune réelle valeur sur le plan monétaire, mais s(mboliquement,

    pour moi, 5a valait tous les trésors du monde. On me causait encore du mal. J'ai

    d8 mandater une avocate, a"in que les choses de mes en"ants ne soient pas

    perdues à jamais.

    1a mort de mes en"ants m'obligera à travailler pour le restant de ma vie sur un

    deuil compliqué et un stress post-traumatique. J'apprends à dompter ma peine.

    9lusieurs journées de congé et temps libres ( sont consacrés et ( seront

    consacrés, et cela jusqu'à la "in de mes jours. :epuis le 23 "évrier, j'ai appris à

    sourire même quand j'ai mal et même quand je sou""re.

    J'ai d8 apprendre à vivre avec la peur puisque certaines personnes m'ont traitée

    de pute, de salope, de conne et j'en passe. J'ai re5u des lettres me méprisant et

    me donnant des reproches. J'ai même d8 me rendre à la police, car on m'a

    envo(é des lettres à mon travail qui me causaient de la peur. J'ai ressenti

    énormément de culpabilité puisque certains me disaient responsable de la mort

    de mes en"ants. J'ai longuement pensé que je n'étais pas digne de vivre et

    même d'être aimée. )u( *urcotte ne s'est jamais responsabilisé de ses gestes, il

    s'est plut;t présenté en victime, me traitant indirectement d'être la responsable

    de ce qu'il a "ait.

    Chaque jour qui passe, j'ai peur que ma mémoire e""ace les souvenirs jo(eu#

    qu'il me reste de mes en"ants. J'ai peur d'oublier les visages et la voi# de mes

    en"ants. Je m'ennuie d'eu#.

    J'envie les parents qui ont encore la chance d'avoir, à leurs c;tés, leurs en"ants.

    Cela rend mes amitiés et ma vie "amiliale douloureuses. J'ai les mêmes amies

    depuis tr!s longtemps et toutes ont des en"ants du même &ge que les miens.

    Même si j'ai des projets, quand tu n'as pas d'en"ant, et que 5a "ait < ans que les

    procédures judiciaires durent, on dirait que tu n'as rien à jaser. 1e sujet principal

    est toujours la procédure à venir tant que ce n'est pas terminé. 1es en"ants de

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    mes amis m'ont posé des questions. J'ai d8 apprendre à mentir, n'a(ant pas de

    bonnes "a5ons d'e#pliquer l'ine#plicable.

    J'ai été re"usée pour une assurance-vie puisque la compagnie d'assurance

    estimait que mon risque de suicide était trop grand, même si je n'avais jamais "aitde tentative et que je n'avais jamais eu de maladie ps(chiatrique. On m'a signi"ié

    que bien des parents en deuil ne survivent pas au déc!s de leurs en"ants. Je ne

    peu# boni"ier ma protection en assurance invalidité et puisque nous avions

    ma#imisé celle de monsieur *urcotte et minimisé la mienne, je ne serai jamais

    bien protégée en cas de maladie, du moins à mo(en terme.

    On a vidé mon compte conjoint, me causant un stress important puisque je me

    cro(ais victime d'un = vol d'identité >. On a "ait 7 transactions, sur deu# jours

    di""érents. J'ai perdu des jours de travail et des "rais d'avocats pour récupérer 

    l'argent pris. On a aussi usurpé mon identité pour obtenir des in"ormations me

    concernant à ma compagnie d'assurance.

    J'ai renoncé à mon travail de coroner puisque les nombreuses démarches

     judiciaires me rendaient moins disponible pour prendre de nouveau# dossiers.

    ?a m'a pris des années avant d'obtenir ce travail, et j'avais "ranchi toutes les

    étapes nécessaires ( menant. J'ai d8 ( renoncer, apr!s deu# ans, non sans

    tristesse puisque pour moi, c'était un travail que je convoitais depuis mon entrée

    en médecine.

    J'ai cessé de travailler à l'urgence. C'était un travail que j'adorais et que je

    pratiquais à temps plein depuis presque @2 ans. J'ai réalisé qu'en sevrage de

    sommeil, et avec un horaire variable, j'étais davantage triste et incapable de

    gérer les "lashs d'horreur endurés par mes en"ants. J'avais peur de "iger. C'est

    aussi 5a le stress post-traumatique. C'est une réaction ps(chologique qui arrive

    quand on subit une atteinte à notre intégrité ps(chologique et ph(sique. *out ce

    qui nous le rappelle peut déclencher bien des malaises. 9eut-être que vousn'ave% pas vu toutes les photos, mais moi, j'ai vu mes en"ants avec toutes leurs

    blessures à quelques jours de leur déc!s. Je les ai bercés. Mes en"ants sont

    morts = seuls > dans leur lit. C'est inconcevable. 1'attaque est venue de

    l'intérieur, de celui en qui j'avais con"iance, mais surtout en qui Olivier et nne-

    ophie avaient con"iance. Je n'arrive pas à m'imaginer, outre la douleur 

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    ph(sique, tout ce qu'ils ont eu à penser dans leurs têtes. *outes ces images

    d'horreur, je les ai vécues non pas qu'une seule "ois, mais à plusieurs reprises à

    cause des nombreuses procédures judiciaires. Je ne compte plus mes nuits

    d'insomnie.

    J'ai voulu avoir d'autres en"ants et ce n'est pas un secret pour personne. J'ai subi

    au moins @3 ponctions ovariennes. On vous rentre dans le ventre une énorme

    aiguille. Combien j'ai pleuré à l'idée que mes en"ants avaient enduré bien pire

    supplice. nesthésies, sédations conscientes, administration de nombreu#

    médicaments au# e""ets secondaires désagréables, ectopique, "ausses couches,

    curetage et j'en passe. ujourd'hui, je dois réaliser que je ne serai peut-être

     jamais maman à nouveau. J'ai cessé d'espérer.

    ?a aura pris < ans, deu# proc!s, des appels, un appel de l'appel, les procédures

    au tribunal administrati", mais en"in, le A décembre 23@B, il ( a eu justice. J'ai

    sacri"ié ma vie privée, non par choi#, mais par obligation. Je n'aurais pas pu

    continuer à vivre en me regardant dans le miroir quand j'avais la conviction

    pro"onde que ce qui venait de se passer était une grave erreur. Je ne pouvais,

    malgré ma détresse et mon épreuve, endurer le calvaire des procédures sans

    me lever pour dénoncer alors que j'en avais la capacité et la certitude. ncore

    aujourd'hui, malgré le verdict, je demeure am!re. Je ne comprends pas pourquoi

    on n'agit pas plus rapidement. Monsieur le Juge, au début de mon combat, onm'a dit = oublie 5a, tu ne parviendras jamais à changer les mentalités et à

    changer les choses >. J'ai trouvé des "ailles dans le s(st!me. 9endant des

    années, on n'a "ait aucun contr;le de la qualité de la médecine qui se pratique au

    niveau des proc!s criminels. Je veu# que vous sachie% que j'ai sacri"ié ma

    propre santé et mes projets de vie pour cette lutte que je crois "ondamentale

    pour tous. 9our moi, en septembre 23@A ce sera l'aboutissement de plus de B

    ans de travail acharné.

    Je ressens encore une certaine "rustration à l'égard du s(st!me gouvernementalqui ne reconna+t pas une personne comme moi, qui se "ait tuer ses en"ants,

    comme une victime à part enti!re. Je ne comprends pas qu'on ne change pas la

    loi de l'0$C à cet égard. On est si peu nombreu#.

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    J'esp!re toujours qu'un ministre ou un "onctionnaire m'appelle et me dise = oui,

    on changera la loi pour les parents qui se "ont tuer leurs en"ants >. J'ai

    l'impression que 5a protégera les en"ants, car au moins l'agresseur n'aurait pas

    le bonheur de mettre à la rue les parents qui n'ont pas ma chance.

    n terminant, je veu# que tu saches )u( *urcotte, que tu as atteint ton objecti".

    *u m'as brisé à jamais le c/ur. 9ar contre, malgré tous les préjudices que j'ai

    encaissés à cause de toi, je veu# que tu saches que tu n'as pas tué ma

    résilience, tu n'as pas tué ma capacité à m'émerveiller et ma capacité d'aimer.

    Même brisé, mon c/ur battra toujours tr!s "ort pour Olivier et nne-ophie.

    )r&ce à eu#, je suis une meilleure personne. vec ce verdict, je me repose en"in.

    Je suis jo(euse. J'attends la neige pour "aire un bonhomme de neige, et quand le

    printemps prochain arrivera, je regarderai les tulipes "leurir. Je savoure ma

    nouvelle vie et ma liberté.

    0sabelle )aston