Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

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Auteur : Phillipe Fermin / Bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Ville de Pointe-à-Pitre

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4 F E B R U A R Y 1 7 6 1 .

IV.

Dat alle die genen, wie het ook mogte wezen, verzoekende aan den Edele Hove de Vrijheid van eenige Slaaf zich zullen moeten verobligeren, om dezelve in de Christelijke Religie te doen onder-wijzen en opbrengen.

V.

Ook zullen de Gemanumitteerde onder zich of wel anderzins mogen trouwen, except met Perso­nen die in Slaveraij zijn.

VI.

Zoo zijn ook de Gemanumitteerden gehouden, hunnen Patronen mitsgaders derzelver Kinderen en verdere Decendenten, in armoede vervallen zijnde naar hun vermogen ende gelegenheid te allimenteren, namelijk onderhoud te verzorgen, ter taxatie van den Regter.

VII.

De Gemanumitteerde dezer Wereld overlijdendo, zullen haar wettige Lijfsgeboorte en verdere De­cendenten in infinitum, zoo eenige hebben, in alle

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4 FEBRUARY 1 7 6 1 .

IX.

Ook werden alle Gemanumitteerden gewaar-schouwt ende geïterdiceert, vooral zich niet te la­ten vinden bij het Balliaren van Slaven, op poene dat zij daar bij bevonden en geattrapeert wor­dende, voor de eerste reize de Executie van zoo-danige Slaaf of Slavinnen zullen moeten aanzien, en daarbij pesent zijn, en voor de tweede reize

derzelver nagelatene Goederen succederen, op den voet van het versterf Regt in Amsterdam gebrui-kelijk, doch geene kinderen, invoege voorsz. nala-tendc, gehouden zijn, hunne Patronen of derzelver Kinderen, te institueeren, in een geregte vierde part van derzelver Nalatenschap.

VIII.

Dat alle vrijgelatene Mulatten, Indianen, Negers en Negerinnen, die zich met Slaven ofte Slavinnen mogten komen te vermengen, en daar mede Kin­deren procreeren voor de eerste reize zullen wer­den gemulcteerd, met eene arbitraire pecuniele Boete, de helfte voor den Heer Raad Fiskaal, en de andere helfte voor het Hospitaal; de tweede reize met Corporele Correctie, en de derde reize in de vorige Slavernij geredigeert.

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4 FEBRUARY 1 7 6 1 .

En op dat niemand eenige Ingnorantie zoude hebben ofte kunnen pretenderen, zal deze alom-me werden gepubliceerd ende geaffigeerd, ter plaatsen daar gewoon is zoodanige Publicatie en affictie te doen.

geattrapeert wordende, ipso facto, in haar vorige Slavernij zullen vervallen ten behoeven van den Lande.

X .

Alle Gemanumitteerden of Vrijgemaakte Slaven zondor onderscheid, in wat tijd zij Gemanumit-teerd of Vrijgemaakt zijn, zullen zich zorgvuldig wagten, dat zij niet alleen geene de minste As­surantie, Insolentie, of eenige Feitelijkheden aan eenige Blanken zullen hebben te doen, noch ge-dogen dat door Slaven wordt gedaan, maar ter Contrarie, dat zij aan alle Blanken zonder onder­scheid, alle Respect en Eerbied zullen hebben te bewijzen, op poene van na bevinding van zaken, te worden gestraft. Werdende dezelven bij dezen indrukkelijk gewaarschouwt dat schoon zij Lieden in andere zaken egale Regten genieten met Vrij geborenen, zij echter in zulk geval geconsidereert zullen Averden, als zulken, die het onwaardeerlijk pand van Vrijheid aan Blanken verschuldigd zijn.

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4 F E B R U A R Y 1 7 6 1 .

Aldus Gedaan, Geresolveerd, Gearresteerd onze Vergadering gehouden alhier aan Paramo dezen 4 Februarij 1 7 6 1 .

(Was get.) W. CROMMELIN. (Onderstond) Ter Ordonnantie van den H

(en get.) F. E. BECKER.

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D E S C R I P T I O N G É N É R A L E , H I S T O R I Q U E ,

G É O G R A P H I Q U E E T P H Y S I Q U E

D E L A

COLONIE D E SURINAM. Contenant.

Ce qu'il y a de plus Curieux et de plus Remarquable, tou­chant fa Situation, les Rivieres, fes Fortereffes ; son Gouvernement et fa Police ; avec les mœurs et les ufa-gis des Habitants Naturels du Païs, et des Européens qui y font établis ; ainfi que des Eclairciffements fur l'œ-conomie générale des Efclaves Negres, fur les Planta­tions et leurs Produits, les Arbres Fruitiers, les Plan­tes Médécinales, et toutes les diverfes Efpeces d'animaux qu'on y trouve, &c.

Enrichie de F igu re s , & d'une C A R T E T O P O G R A P H I Q U E du Païs.

P A R

P H I L I P P E F E R M I N ,

Docteur en Médecine.

T O M E P R E M I E R .

A AMSTERDAM,

Chez E V A N H A R R E V E L T .

M D C С L X I X .

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A V E R T I S S E M E N T .

SI j'ai effuyé des reproches, tant de la part des

Naturaliftes, que de celle de quelques Journaliftes,

au fujet de mon Hiftoire Naturelle de la Hollan­

de Equinoxiale, imprimée en 1765, je ne fau­

rais me diffimuler, que je ne me les fois attirés à cer­

tains égards. Cependant la bonne opinion que j'ai­

de l'quité de mes Cenfeurs, dont je refpecte les lu­

mieres fupérieures, me fait efpérer qu'ils cefferont

de me blâmer, dès qu'ils feront informés que ce

n'a été qu'enfuite des preffantes follicitations de plu-

fteurs Curieux, que je me fuis précipité à leur don­

ner un Catalogue des plus rares productions de la

Nature dans ce Pais, uniquement pour leur en fa­

ciliter la Collection; et que dans cette vue, je l'ai

même augmenté de divers articles, que je favois ap-

partenir à d'autres Claffes, mais dont ils pouvoient

* 5

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X A V E R T I S S E M E N T .

également faire l'acquifition, et qui ne dévoient pas

moins fatisfaire la curiofité des Amateurs.

Je fens bien néanmoins, que, quelque foin que

j'euffe pris pour remplir mon but, et outre-paffer

même les bornes que je m'étois prefcrites, aimant

mieux pécher par le plus, que par le moins, le ti­

tre de l'Ouvrage en a impofé au Public, qui s'atten­

dait à y trouver une Defcription complette de ce

Continent, au lieu d'une fimple Nomenclature des

Productions naturelles, et même encore affez en

abrégé, comme j'en préviens dans ma préface.

Je fens qu'il ne méritoit tout au plus que le ti­

tre d'Effai, et ceft auffi celui que je lui avois d'a-

hord donné, mais que j'ai changé enfuite, cédant

à cet égard, aux fortes in fiances de mon Libraire

qui m'a fuggéré l'autre , par des raifons particulie­

res à fes interêts, et que j'ai eu la foibleffe de ne

pas combattre. J'efpere que l'on daignera me par­

donner cette condefcendance en faveur des efforts re­

doublés que fai faits depuis ma premiere Edition,

pour réparer ma faute, en en donnant une nouvelle

beaucoup plus ample que la premiere, et qui s'étend

particulièrement aux objets intéreffants que le Public

auroit fouhaité de voir mieux traités.

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EPITRE DÉDICATOIRE

A M E S S I E U R S L E S D I R E C T E U R S

D E L A S O C I É T É

D E S U R I N A M , &c.

MESSIEURS, MESSIEURS,

UN Ouvrage deftiné à illuftrer Vos Poffes-

fions dans le Nouveau Monde, femble en quel­

que façon leur appartenir; & fon auteur, ac-

coutume à vivre fous Vos L o i x , ainfi qu'à

jouïr de la Protection qu'elles accordent aux

* 3

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bons Habitans, croit encore Vous le devoir,

& à titre d'hommage, & à titre de reconnois-

fance.

Daignez donc, Meffieurs, agréer le Tribut

que j'ai l'honneur de Vous préfenter, dans cet-

te Defcription Générale, Hiftorique. Géographi­

que et Phyfique de la Colonie de Surinam, en

Vous priant de vouloir bien excufer fes imper-

feclions, en confidération des difficultés infépa-

rables de l'entreprife.

Ces défauts & ces obftacles, je l'avoue, au-

roient été moindres, & l'ouvrage feroit en

même temps plus digne de Vous être offert, fi

mes talents euffent mieux répondu à l'importan-

ce de l'objet, & à l'ardeur du zele qui animoic

ma plume.

Qu'il me foit cependant permis de tirer un

augure favorable de la fidélité fcrupuleufe que

j'ai apportée à repréfenter exactement ce que

j'ai vu de mes propres yeux, & ce dont un

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féjour de plufieurs années à Surinam, m'a pro­

curé des occafions fréquentes de m'inftruire.

Amateurs de la vérité, Juges éclairés fur cet­

te matière, c'eft: à Vous, Meffieurs , que j'ofe

adreffer mon Livre. C'eft à Vous de pronon­

cer fur le mérite des efforts que j'ai faits, pour

furpaffer tous les Ecrivains connus qui m'ont

précédé dans la même carrière; & c'eft de

vos Suffrages mêmes, que j'attends ceux du Pu­

blic curieux, comme un double prix des foins

& des travaux que j'ai confacrés à Vous plaire,

& à le fatisfaire.

Heureux, fi, en obtenant votre approbation,

Meffieurs, pour ce foible témoignage de mes

devoirs, je pouvois me flatter qu'un avenir fa­

vorable à mes défirs, me remît à portée de

Vous donner d'autres preuves de mon parfait

dévouement, & de Vous rendre de plus utiles

fervices dans ces Contrées, dont la prospérité

* 4

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formera toujours l'objet chéri de mes vœux

tendres & confta.

J'ai l'honneur d'être avec la plus profonde

Vénération,

MESSIEURS,

Amfterdam ce 15 de Mars 1769.

Votre très-humble & très-obéis-fant Serviteur

P H I L I P P E F E R M I N ,

Docteur en Médecine.

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A V E R T I S S E M E N T . X

Cependant, malgré toutes ces recherches, malgré

tous mes foins, et le n'ombre de Mémoires que j'ai

recueillis, je fuis bien éloigné de préfumer que j'aie

épuifé la matiere; mais du moins j'ai ouvert à d'au­

tres une carriere, où je ne fache pas que perfon-

ne fe foit engagé depuis mon premier ouvrage, tout

informe qu'il ait pu paroître : et fi je fuis tombé

dans quelques erreurs involontaires, je prie les per-

fonnes mieux inftruites, de vouloir bien me faire

part de leurs lumieres, dont je profiterai dans l'oc-

cafion, avec la plus vive reconnoiffance, pour m'ac­

quitter envers le Public de celle que je lui dois,

au fujet de l'accueil favorable qu'il a daigné faire à

d'autres Productions que je me fuis bafardé de lui

préfenter.

Cet Ouvrage renfermera actuellement une fidelle

Defcription Hiftorique du même Continent, des

mœurs et usages de fes Habitants, et en particulier

des Naturels du Pais, et de leur œconomie. J'ai

tâché de ne rien omettre, en un mot, de tout ce qui

pouvait exciter la curiofité du Public; et j'ofe me

flatter, que les éclairciffements qu'il y trouvera,

fuffiront pour lui faire connoître une des principales

Colonies Hollandoifes de l'Amérique, et à diffiper

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XI A V E R T I S S E M E N T .

Le Relieur eft prié de placer ci - après la Carte Topographique.

Expli-

les préjugés qu'on nourrît ici contre un Pais fi

digne d'attention à une infinité d'égards, mais fur-

tout par fa fertilité en Sucre, en Caffé, en Cacao

et en Coton, dont les produits font immen-

fes.

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Explication de quelques Articles inconnus,

relatifs à la Carte Topographique.

Tous les villages, qu'on voit marqués fur la

Carte, ont été brûlés & détruits par divers Dé-

tachemens de la Garnifon, que le Gouverne­

ment y a envoyés d'année en année, pour pren­

dre ou chaffer les Negres marons,.ou fugitifs,

qui les occupoient.

Le Chemin d'Orange forme une nouvelle pe­

tite ville, qui eft habitée par un petit nombre

de familles blanches, pour y former de nouvel­

les habitations, afin d'être plus à portée de veil­

ler aux ennemis de la Colonie, qui font les Ne­

gres fugitifs.

Les Poftes, fignifie où il y a une forte gar­

de de foldats, pour être à la pifte des enne­

mis.

Le Pofte d'avertiffement eft occupé par quel-

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quies foldats, pour veiller à l'arrivée des vais-

eaux, afin d'en avertir tout de fuite les For-

terefles voifines, par un coup de canon.

Savanes fignifie prairies ou plaines, qui

produifent de l'herbe pour la nourriture des

beftiaux.

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Lifte générale de tous les Plantages qui Je trou-

vent fur la Carte, par ordre et numérotés,

avec cette obfervation, que ceux qui ont une *,

n'ont point d'autre nom que celui du Propriétai­

re, et que ceux qui n'ont qu'un fimple numé­

ro , fans autre citation, font des Plantages

abandonnés ou incultes.

Noms des Plantages de la Riviere de Surinam,

à commencer de fon ex t rêmi té , jusqu'à

la Fortereffe d'Amfterdam. i

N . I -2 -3 -4 -5 -6 -7 -8 -9 -

10 — 11 — 12 — 13 -14 -

15 -16 — 17 -18 -19 -20 — 21 — 22 —

Néale *. Wilkens

Talbot* Carelswoud.* Bergendaal.

Beaumond. La Providence. Porto-bello. Florentia. Gloria. D'Appas. Steenenberg. Rama. Venetia. d'Otan.

N.23 -24 -25 -2б -

2 8 -29 —

31 -32 -33 -

34 -35 -36 -37 -38 -39 -40 -41 -

42 -

43

* * 2

Carmel. Cayan. Bonne Efpérance. Geurahr. Hébron. Abocharanfa. Wayamoe. Ryauerahr. Moria. Cadix. Abr. Brueno Bibar *. Accadeel. Inweya.

je prends. Porfio. L. d'Jacob * Auka.

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XVI N O M S D E S P L A N T A G E S .

N 4 4 4 5 -46 -4 7 -4 8 . 4 9 -50-51 -52 -53 -54-5 5 -56-57-58-59 -60-61 -62-63-64-6 5 -66-61-68-6 9 -70-7 1 -72-73-74-75-76-77-78-79-80-8r. 82-

- Retiro. - Quamaba. - La Diligence.

- Ayo Boven. - Ayo Beneeden.

- Surinamonbo. -Palmenifebo. - Mahanaem. - Florida.

- Abroer. - L'Efpérance.

-Klyn Amfterdam. - Sucoht.

- Waynpinica. - Bcríaba. - Pomibo.

- Guilgall. - Nahamoe.

- La Confiance. - Watervlied.

- Overburg. - Zandpunt. - Zurza.

- Bovifta. - La Simplicité. - Urapinica. - De Scanzo. - Licdenshock. - D'Ovale *. - Surigo. - De goede Fortuyn. - Roode Bank. - Strela Nova. - Goede Vreedc. - Cabo Verdo. - Gofen, - La Recuperada.

N . 83 — Cartago. 84 — Rak à Rak. 85 — De goede Buurt. 86 — De drie Gebroeders. 87 — Acaribo. 88 — Châtillon. 89 — Gelderland. 90 — Roorak. 91 — Waaterland. 92 — Klaverblad. 93 — St. Euftachius. 94 — Ste. Barbara. 95 — Merveille. 96 — Magdebourg. 97 — Laarwyk. 98 — Vreeland. 99 — La Rencontre.

100 — Dombourg. 101 — Boxel. 102 — Do. Phaff *. 103 — Edam. 104 — Liege. 105 — Géneve. 106 — Ornamibo, 107— La Liberté. 108 — Tout lui faut. 109 — Mopentibo. 110 — Pceperpot. 111 — Dykveld. 1 1 2 - Meerforg. 113 — Wout Vlied. 114 — Beekhuyfen. 115 — Jagt Luft. 116 — Dordrecht. 117 — Ruft en Luft. 118 — Bellewarde. 119 — Klevia. 12o - Sufanas Daal.

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N O M S DES P L A N T A G E S . XVII

Plantages de la Crique de Para.

N . I —Houtuyn. 2 — Vreedenburg. 3 — Altona. 4 — La bonne Amitié. 5 — Tortona. 6 — La Concorde. 7 — Nicuw Mocha. 8 — L'Efpérance. 9 — Spyt-je bakkes.

10 — Onverdagt. 11 — De Watering. 12 — Oneribo. 13 — Swermer. 14 — De Vryheid. 15 — Ofembo. 16 - Sorgvlied. 17 — Onverwagt, 18 — Mon Repos.

N.19 — Overtoom. 20 — Topibo. 21 — Vollenhoven. 22 — Nieuw Concordia. 23 — Loefbeck. 24 — Matavarica. 25 — Wangunft. 26 — Jagerburg. 27 — Copinawabo. 28 — Beaulieu. 29 — What je Call. 30 — Majacabo. 31 — Leevenberg. 32 - Socictyts Land. 33 34 — Sawacabo. 35 — De oude Hoop. 36 — Quakoc.

Plantages de la Crique de Corropine.

N. I — La Piquanterie. 2 — Bonne Aventure. 3 — Corpinibo. 4 — Societyts Land. 5 — L'Efpérancc., 6 - Tout lui faut. 7 — L'Inprévu. 8 - Tonpoko Atambo. 9 - J.V,Sandik*.

10 11 — 4de. -12 — 3de. -

N . 1 3 — 2de. -14 — Ifte. 15 — La Liberté. 16 - L'Harmonie. 1 7 — La Prospérité. 18 — Les 4 Enfans. 19 - Myn Hoop.

20 - Nicuw Bergerac, 21 - Zell.

22 — Bleckvlied. 23 24 -- .

** 3

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XVIII N O M S D E S P L A N T A G E S ,

Plantages de la Crique de Tavaricoeroe.

N . I - Vreeland. 2 — Mon Retour. 3 — Mon Gagne-pain. 4 - Mon Travail.

N . 5 - Gloria. 6 — Bruynsberg. 7 — Sonder Sorg. 8 — Le Défert.

Plantages de la Crique de Paulus.

A — Eyland. B — Putterforg. C - De Hoop. D - Aurora. E — Bleyendaal, F — Mon Repos.

G - Belafoir,

H - Zand-grond. I — La Paix.

K - Erv. Voltelen * L — Paracabo. M — Mev. Boreel.* N — Nieuw Wiergevond. O - Paracouba.

Plantages de la Crique de Pararac,

A. B. C , D . ....

Plantages de la Riviere de Commewyne.

A . I - Brcukelwaard, B . 2 — Schoon Oord. C . 3 — Hoovland. D. 4 — Voffenburg, E. 5 — Taverfielt. F. 6 — La Jaloufie. G . 7 — Myn hoop. H. 8 — Oftage. J. 9 — Schatfenburg. K. 10 — De Goud Myn.

II — Berlin, 12 — Roofenburg. 13 - Peuoribo.

14 — Cannawapibo, 15 — Siparipabo. 16 — Arent Luft. 17 — Nieuwen hoop, 18 — Curcabo. 19 - Blickveld. 2 0 — Wried teyk, 21 — Potribo. 22 — Macriabo. 23 — Mon Plaifir, 24 — Malabathrum, 25 — Bruynsburg, 26 - Ruftyeld.

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N O M S DES P L A N T A G E S . XIX

N.27 — Egmond. 28 - Utrecht, 29 - Concordia. 30 — Berkshoven, 31 — Ruftenburg, 32 — Bethlehera, 33 — Killefteyn Nova. 34 — Berg op Zoom. 35 — Hazard. 36 — Des Tombesberg. 37 — L'Efpérance. 38 — Roolenbeck. 39 — Vlamenberg. 40 — Fauquenborg. 41 — Appe Cappe. 42 — Wajampibo. 43 — Claarenbeek.

N.44 — Nimmerdoor. 45 — Crawaffibo. 46 — Blaak-kreek. 47 — Goed accoord. 48 — D. Knegt.* 49 — Inkernombo, 5O — Capibo.

51— Imotapi. 52 — Sirimotibo. 53 — Cucracabo. 54 — N. Ribanica, 55 — Sorg-hoven. 56 — Ornamibo. 57 — Groenveld. 58 — Verwagt. 59 — Den berg. 60 — Quaad gerugt.

Plantages de la Crique de la Cafswinika.

A. Knopomonbo. B. Erv. l'Efpinaffe. * C. Eenfamheyd. D . J. en J, J. Fafch, * E. Quapibo.

F . Waicoribo. G. Onobo. H. Wed. J. Marques. * I. Prado. * K, La jaille. *

Plantages de la Crique de Commetaivane.

A. Slootwyk. B. Saltzdaale, C. Fortuyn. D. Eendragt. E. Sinabo.

F . Nieuw Sorg, G. Welbedagt. H. La Solitude, I . Oofterhuyfen.

Plantages de la Riviere de Cottica.

N. I - Vloordinge. 2 - N. Akenoribo,

N. 3 — Nieuw Mocha. 4 — Twyffelagtig.

** 4

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XX N O M S DES P L A N T A G E S .

N.46-47-48-49-50-5 1 -52-53 -54-5 5 -56-5 7 -58-59-60-6 1 -

62-63-64-6 5 -66-67-68-69-70-7 1 -7 2 -7 3 -7 4 -7 5 -7 6 -7 8 -7 9 -80-8 1 -82-83-84-85,-

- Wildbaan. - Ysbrand. *, - M . Overfchilde. * - P. Grande. * - Alb. Lippert. * - De Vries. * - Wed. Dane. * - Glaperus. * - Erv. van Pifa. -H. Holleboom. * - Bokfteyn. - Lands Knegt. * - Prefentendes. - De Libanon. - De Zuynigheid. - Va comme je te pous-

fe, - Tweede Mocha. - Montferar. - De Vreede. - Elk het zyn. - Manheim. - Mon Tréfor. - Annesburg. - Elftenhage.

- Cuylenburg. - Seiden Ruft. - Contentement. - Vingt en trouw. - Arke. - Goed Succes. -Patience. - Brunswyk.

- Court vlugt. - Hambourg. - Saardam. - Lemmers. *

- N . Clarenbeck, - Pietersburg,

N . 5 — L'Avanture. 6 — Nieuw Levand. 7 La Metraye. 8 — De gekroonde Pauw. 9 — Moolenhoop.

10 — Beyenkorff. 11 — Leeverpool. 12 — Charlottenburg. 13 — Beekvliec, 14 — Rotterdam. 15 — Stuttenborg. 16 — Geertruydenberg. 17 — Euphrata. 18 — N. Eendragt. 19 — Bellevue. 20 — Munikkendam. 21 — Karrelsburg, 22 — De Alia. 23 — Kort grond 24 — Louifenburg. 25 — Bleyenhoop. 26 — Luft en Ruft. 27 — Lunenburg. 28 — Mocha. 29 — Marfeille. 30 — La Paix. 31 — 29. la Jaille. * 32 — Nieuw Java. 33 — 34 35 36 37 — Caffipore. 38 — Wildbaan. 39 — De Berg. 40 41 - ' 42 --43 — Vriendfchap. 44 - Suyd Duyn. 45 — Nes en Camp.

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N O M S DES P L A N T A G E S . XXI

Plantages de la Crique de Pirka.

A. -B. C. D . -E. -F. -G . -H . . I -K . -L . -

M.-N. 6

N. I.-2. •

A. — W . Caffeau. * B . — De 3 Gebioeders. C — Naaldwyk. D. — Java. E. — Queek Kouen.

F. — Mirandibo. G. — W. Viffer.*

- Sallem. - Concordia. - De Hoop.

- Rietwyk. - Soribo. - Nieuw Timotibo.

- Le Mat-Rouge. - Copoerica. - De Vreede. - Sapatone. - Korten duur. - Bel-Air. - Schoon Naauwe.

O. — Nieuwelyk. P. — Carafana. Q . — Wayanoe. R. — Langenhoop. S. — Amfterdam. T. — Den Haag. U. — Brouwershagen. V. — Eendragt. W La Solitude. X. — Waterwyk. Y . - Do. Klein.* Z. — Ruftenburg.

Plantages de la Crique de Paramarica.

- Wed. Woudenberg.* N.4. — Ulsman & Comp.* - Kleinhaufen. 5. — Paddenburg. - La Perfévérance.

Plantages du Mot Crique.

H. — Misgunft. I — Ooftwaarts. K. — Toevlugt. L . — Stolkenburg. M . — Ryswyk. N . — Nacracabo.

Plantages de la Crique de Hoer Helena.

Du cote de l'Eft. N . I . —

2. — La Favorita. 3. — 4. — Byval. 5 — Hoopwyk.

N.6 — Vrouwen Luft. 7 — Liefdens Hoop. 8 — Laus Aukoer. 9 — Paris.

10 — Tulpenburg, * * 5

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XXII N O M S DES P L A N T A G E S .

Du coté de l'Oueft. N.II — Perfévérance,

12 — Leever. * 13 — Blokkenbos. -14 — Рractiса. 15 — St. Germain. 16 — De Uitvlugt,

N. 17 — Kores-Oerg. 18 — Jans Luft. 19 — Vries Hoop. 20 — Stolkert.* 21 — Huys Luft.

Nouveaux Plantages de la Riviere de comme-wyne, à la droite, en descendant.

N. I — De Jonge Beyenkorf. 2 — Sporksgift. 3 — Klein Bellevue. 4 — Purmerend. 5 — Picardie. 6 — Idem. 7 — Van der Waayen.* 8 — Sorg en Hoop. 9 — La Singularité.

10 - Hegt en Sterk. 11 - La Croix.* 12 - Fredriksburg. 13 — Het Vertrouwen. 1 4 - Koksburg. 15 — Killesfteyn. 1 6 - Nut en Schadelyk.

N.17 — Brouwers Luft. 18 — Kronenburg. 19 — Sylershoop. 20 — Kerman en Son. * 21 — J. Schaap.* 22 — Js. Godefroy.* 23 — Marienburg. 24 - Guadaloupe. 25 — Augsburg. 26 — Fredriksdorp. 27 — Belgraade, 28 - Berlin. 29 - Maaftroom, 30 - Johannesburg. 31 — Ruften Werk.

Idem à la gauche..

N.I — Nieuw Roeland. 2 — L'Embarras. 3 — Beninehburg. 4 — De Nieuwe grond. 5 — Akkerborn. 6 — Wel te Vreedcn. 7 — Beekhorft. 8 — Tirone. 9 - Spiringshoek

N . 1o — Vriends belyd. 11 — Ouders Sorg. 12 — Weeder Sorg. 13 — Katwyk-14 — Welgeleegen. 15 - Mon Tréfor. 16 — Grand Plaifir. 17 — Alkmaar. 1 8 - S o r g Vlied..

Page 31: Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

N O M S DES P L A N T A G E S . XXIII

N.19 — Viffers Sorg. 20 — Leliendaal. 21 — Nooit Gedagt. 22 — Marienburg.

N.23 — Geertruydenberg. 24 — Smaldee. 25 — Zoelen.

Plantages qui fe trouvent au bas des Criques de Paramarica, Cabur, la Tocripata, Mapa-

tica et Warop.

N . I — St. Michel.* 2 — Dadina.* 3 — Steenge.* 4 — Strube.* 5 — Orrok.* 6 — Roux.* 7 — Steenberg.* 8 — Heyne.* 9 — Henftchel*

10 — Sommers.* 11 — Ingelhooge.* 12 — J. C. Veyra.* 13 — Boch.* 14 — De Jager.* 15 — Van Son.* 16 — Van der Gaagh.* 17 — Soting.* 18 — Spiring.* 19 — Commandeur.* 20 — Du Tri.* 21 - Pelkwyk.* 22 — Rees.* 23 — Van der Meer.* 24 — De Zonnebloem. 25 - J. Bock.* 26 — Grootveld.* 27 — Du Vignon.* 28 — Weftphalen.* 29— Diering.* 30 — Nepveu.*

N 3 1 -3 2 -3 3 -34-3 5 -30-37-38-39-40-41-42-43-44-45 46-47-48-49-

50-5 1 -52-53-54-55-56-57-58-59 60-

- Spiring.* Idem.* Losner.* Dolaas.* Grootveld.* Curtius.* Van Naffau.* Wiltens.*

- De Vries.* Polak.*

- Abbekerk.* P. Kock.* Wolf.*

- Meyer.* - Trantz.* - Krantz.* - J.A.André.* -J.Klein.* - C. W . Wittchouw.*

Spaan.* - Potter.* - Maron.* - Reneval.* - Rynsdorp.* - Cornelia.* - Rynsdorp.* - Prado.* - Jacobs.* -Reneval* =

Page 32: Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

XXIV N O M S DES P L A N T A G E S .

Petits Terrains qui environnent la Ville de Pa­ramaribo,

N. I — Societyts Plantagie. 2 — Lands Grond. 3 - Pikorna.* 4 — Van der Werf.* 5 — Papot.* 6 - V. d. Velde.* 7 - Siefferd.* 8 9 - Mulder.*

10 — Himenes.* 11 - Non. 12 — Bretkom.* 13 - Chariot.* 14 — Bylevald. 15-Sief fe r t .* 16 — Bratkom.*

N . 17 — Roulleau.* 18 — La Blache.* 19 — Sauret.* 20 - Bley.* 21 — Haterman.* 22 — De Crépi.* 23 - Caftillo.* 24 — De Britto.* 25 — Roulleau.* 26 - Holting.* 27 - Adams Zoon .* 28 - Britto & Соmр.* 29 — Colbach.* 30 — Wolfgang.* 31 — De Meefter.*

D E S C R I P T I O N

Page 33: Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

D E S C R I P T I O N G E N E R A L E ,

HISTORIQUE, GÉOGRAPHIQUE

E T

P H Y S I Q U E

D E L A

C O L O N I E D E S U R I N A M .

C H A P I T R E I.

Defcription des Côtes de Surinam, de l'em-houchure de fa Riviere,et de toutes celles qui en dépendent.

LA premirre chofe que fait un Ingé-nieur, lorfqu'il s'agit de fortifier

une p lace , eft d'en dreffer un plan fidele, qu'il puiffe expofer à la

vue de ceux qu'il a deffein d'employer à ce t ravai l ; parce que toutes fes obfervations verbales ou par écrit ne fuffiroient pas fou-v e n t , même aux Ar t i f t e s , s'ils n 'avoient

Tome I. A

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2 D E S C R I P T I O N

inceffamment devant les yeux la place m ê m e , pour ainfi d i r e , pour les guider dans leurs ouvrages.

Il en doit être de m ê m e , ce me femble , de ceux qui ent reprennent de décrire un pays inconnu à beaucoup de perfonnes : & c'eft pour imiter une pareille condu i t e , que je mets à ]a tête de ce L i v r e , une Carte Topographique de celui dont j 'a i deffein de parler ; afin qu'en y je t tant les yeux on puiffe s ' inftruire, avec plus de ce r t i t ude , ou fe donner une jufte idée du Continent dont il eft: ici queftion. Mais avant que d 'entrer en ma t i e re , je crois qu'il n'eft pas hors de propos de faire remarquer , qu'il en a coûté beaucoup aux Hollandois pour s'en emparer , par les grands combats qu'ils ont été obligés de foutenir contre les natu­rels du p a y s , qui en étoient les premiers poffeffeurs ; ce qui les a comme forcés de contracter avec ce peuple une étroite liai-fon , pour s'en rendre maî t res , & pouvoir non feulement cultiver le pays , mais encore y établir un Commerce: ce à quoi ils on t très-parfaitement réuffi, comme on le verra dans la fuite.

Ce qu'il y a d'abord à remarquer de cette Colonie , c'eft qu'elle eft fituée fur la ri-viere de Sur inam, dans la partie du Conti-nent de l 'Amérique Méridionale en terre fer.

De la fituation de la Co­lonie, et à qui elle apparti­ent.

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DE S U R I N A M . 3

me, à fix degrés de latitude feptentrionale, & à dix-neuf degrés quinze minutes de longitude.

Ce Continent a été fucceffivement occupé autrefois par les François & par les Anglois ; mais enfuite abandonné des uns & des au­tres, parce qu'ils le reconnurent pour être très mal-fain.

Les premiers établiffemens Hollandois y furent formés par quelques habitans de Zee-lande, fous la protection des Etats de cette Province.

Les Etats de Zeelande céderent cette Colo­nie à la Compagnie des Indes Occidentales, & comme elle ne fe trouvoit pas en état d'y envoyer tous les fecours néceffaires pour continuer à défricher les terres marécageu-fes, & en former par conféquent une Colo­nie , elle en céda un tiers aux Magiftrats d'Amfterdam, un autre tiers à M. F. van Aarffen, Seigneur de Sommelsdyk, & ne s'en referva qu'un tiers. C'eft de-là qu'on a nommé cette Colonie la Société de Surinam, laquelle eft reftée jusqu'à préfent fous l'ad-miniftration de trois Co-Seigneurs, de la Com­pagnie des Indes Occidentales, de la Ville d'Amfterdam, & des Héritiers du feu M. F. van Aarffen, Seigneur de Sommelsdyk.

Les fuccès rapides de cette Colonie en­gagèrent les Etats Généraux à la favorifer,

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4 D E S C R I P T I O N

Ils lui accorderent en effet un 0CTRoi,con-tenant trente-deux Articles, tant en faveur de la Compagnie des Indes Occidentales, que pour la fûreté des habitans, qui y é-toient déja établis, ou de ceux qui s'y éta-bliroient.

Je crois que l'on ne fera pas fâché de trouver ici la lifte des Gouverneurs qui ont régi fucceffivement cette Colonie.

1. Dans l'année 1683. M. F. van Aars-fen. Seigneur de Sommelsdyk, en fut le pre­mier Gouverneur Général, mais il eut le malheur d'y être affaffiné par la Garnifon, dans l'année 1688.

2. Le 20 du mois de décembre de la mê­me année, fuccéda M. Jan van Scharpenbuy. fen, qui fut remercié dans l'année 1695 .

3. M. Paul van der Peen, qui fut auffi remercié l'année 1706.

4. Dans le mois d'octobre de la même année, M. Willem de Gruyter , qui mourut l'année fuivante.

5. M. Jean de Goyer, qui ne vécut auffi que jusqu'en l'année 1 7 1 5 .

6. M. Jean de Mahony, qui ne lui furvé-eut que d'une année.

7. Le 2 mars 1 7 1 8 . fut nommé M. Jean Coeter, qui mourut en 1 7 2 1 .

8. M. Henri Temming, qui mourut l'an­née 1 7 2 7 .

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D E S U R I N A M . 5

9. M. Charles-Emelius-Henri de Cheuffes,

lequel mourut en 1 7 3 4 .

10. M. Jacob-Alexandre-Henri de Cheuffes,

qui mourut au f f i l 'année fui van te. I I . M . Jean Ray, lequel ne vécut que

deux ans.

1 2 . Le I I feptembre 1 7 3 7 . fuccéda M . Girard van der Schepper, qui reçut fa dé-miffion en 1 7 4 1 .

1 3 . M. Jan-Jacob Mauritius le rem­placa le 7 février 1 7 4 2 , jusqu'en 1 7 5 3 . qu'i l reçut fa démiffion.

14 . En 1 7 5 4 . fuccéda M . P . A. van der

Meer, qui mourut en 1 7 5 6 , à la place du­quel fut nommé ad interim M. Jean Nep-

ven, premier Fiscal de la Colon ie , qui fut relevé cinq ou fix mois après par M. Wigbol

Crommelin, actuellement vivant & Gouver ­neur Général de la Colonie , comme Colo­nel en chef de toute la Garnifon : deforte que depuis l'établiffement de cette Colon ie , il y a eu quinze Gouverneurs Généraux ef-feólifs, y compris M. Crommelin.

L'embouchure de la riviere de Surinam

eft fituée entre Cayenne & la Colonie de Berbice, à une diftance de foixante milles de la p remiere , que l'on laiffe à gauche en ve-nant d 'Europe , & à environ trente-deux milles en deçà de la feconde, de maniere que toute l 'étendue des côtes peut aller au

A 3

De l'em-bouchure de la ri­viere de Surinam.

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6 D E S C R I P T I O N

delà de quatre-vingt-dix milles. L'ifle de Ca-yenne eft à cinq degrés cinquante-deux mi­nutes de latitude feptentr ionale , & à trois-cents vingt-trois degrés vingt-fept minutes de longitude ; & la rivière de Berbice à fix degrés vingt minutes de latitude fepten­t r iona le , & à trois cents dix-fept degrés dix minutes de longitude : en forte que la côte de Cayenne, vers Surinam, peut fe dire Oueft-Nord-Oueft, & de Surinam à Ber-

lice, Oueft.

Les bords feptentrionaux font couverts d 'une infinité de fort beaux a r b r e s , entre lefquels il y a beaucoup de marais.

Les principales rivieres du pays font la Marawyne, celle de Saramaca, celle de Su­

rinam , celle de Commewyne, & enfin celle de Cottica, lefquelles je vais décrire toutes féparément.

La riviere de Marawyne eft à une diftan-ce de vingt-quatre milles de l'ifle de Cayenne,

en allant à Surinam, ou au cinquieme de­gré cinquante-huit minutes de latitude feptentr ionale , & à trois cents vingt degrés quinze minutes de longitude. Elle eft fort dangereufe pour le paffage des vaiffeaux qui von t à Surinam, par fon extrême reffem-blance avec la véritable embouchure ; car tous ceux qui ont le malheur d'y e n t r e r , en fortent rarement , par rapport à la quan-

Des princi­pales ri­vières du pays.

De la riviere dе Ma-rawyne.

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DE S U R I N A M . 7

tité de bancs de fable & quelques rochers qu'on y rencontre. Le fond en eft d'ail­leurs fi bourbeux que les vaiffeaux s'y en-terrent, & , par conféquent, ne peuvent en fortir, fi l'on ne décharge ceux qui y ont échoué, par le moyen de petites barques, fans quoi ils refteroient enfablés pour tou­jours. Auffi a-t-on eu foin, pour prévenir de pareils accidens, deconftruire, à douze lieues de l'embouchure de la riviere de Su-rinam, une efpece de redoute ou de bat­terie munie de quelques pieces de canon, & occupée par un détachement de la garnifon, afin de veiller à l'arrivée des vaiffeaux, & de les avertir par un ou plufieurs coups de canon, en cas qu'ils fe trouvaffent dans l'incertitude de la hauteur où ils feroient. Car , fans cet avertiffement, 11 arriveroit indubitablement qu'ils pafferoient tellement l'embouchure, qu'ils ne pourroient y reve­nir (à caufe de la rapidité du courant de la riviere de Saramaca, qui les entraîneroit malgré toute l'habileté des Pilotes , ) à moins que de reprendre la route .d'Europe, jufqu'à une certaine hauteur, au long de la côte.

On nomme cette redoute Brand-Wacbt, & elle eft fituée à l'embouchure d'une peti-

te crique, qu'on appelle Mot-Kreek.

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8 D E S C R I P T I O N

La Saramaca eft une petite r iv i e re , qui fépare les Berbices de Surinam, & qui n'offre rien de remarquable que fon cou ran t , qui eft des plus rapides.

La riviere de Surinam eft certainement une des principales de toute la Colonie , puifqu'elle a , premiérement , d'un bord à l 'autre plus d'une demi-lieue, & qu'en ou­t re elle a fon écoulement ou defcendant dans la mer au Nord-Oueft, & fon mon­tant au Sud-Eft: ce qui forme alternative­ment toutes les fix heures fon flux & reflux.

Le flux & reflux fe fait al ternativement toutes les fix heu res , avec cette différence, qu'il y a chaque fois un intervalle de trois quarts d'heure ; de forte que cela varie tant pour le montant que pour le defcendant. Mais il faut remarquer que dans le plein de la l u n e , & à fon renouve l lement , la mer prend un tel accroiffement qu'elle fait regorger toutes les r ivieres: & c'eft ce qu'on appelle Spring- Vloed, ou haute-marée.

Lorfqu'elle eft à fon plus haut deg ré , non feulement elle facilite l 'entrée des gros vaiffeaux dans la riviere de Surinam, en couvrant plufieurs bancs de fable, qui fe t rouven t difperfés çà & là vers l 'embou­c h u r e , mais elle procure encore à beau­coup de, Plantations à fucre , particuliére-

De la riviere de Sara­maca.

De la riviere de Suri­nam.

Duflux et re-flux de la même riviere.

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DE S U R I N A M . 9

ment à celles qui font dans les criques, la facilité de faire agir leurs moulins à eau; ce qui rend cet accroiffement d'u­ne indifpenfable utilité pour, ces deux ufages.

A trois bonnes lieues & demie de la mer, ou de fon embouchure, elle fe divife en deux branches, dont l'une qui coule vers le Sud-Eft, eft nommée Commewyne, & l'autre , qui continue fon cours vers le Sud- Weft, conferve toujours" le même nom de Surinam. Cette derniere branche s'é­tend en longueur, ou profondeur, au de­là de trente milles; ayant à gauche dès le commencement de fa divifion des Planta­ges à caffé , à la diftance chacun d'une demi-heure, qui forment le plus beau coup d'œil du monde, & à la droite on ne voit que de forêts qui s'étendent jusqu'auprès de la Ville de Paramaribo.

Après avoir confidéré cette branche, ou riviere , depuis fon embouchure jufqu'à une petite demi-heure de la Vi l le , toujours en deçà, nous la confidérerons plus loin. En continuant donc de la monter, on voit nombre de criques, ou canaux, tant du côté de l'Oueft, que du Couchant ; com­me on peut le voir diftinctement fur la Car­t e , de même que tous les Plantages que ces mêmes criques renferment, & dont el-

A 5

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les portent le nom chacune en parti-culier.

Elle offre en outre un coup d'œil infi-niment plus beau qu'à fon commencement, par la quantité de Plantages, tant à caffé qu'à fucre, qu'on y voit de chaque côté de fes bords, à la diftance chacun d'u­ne, de deux & quelquefois de trois heu­res , dans les intervalles defquels on refpire un air frais, & une odeur agréable, que procure une fuperbe rangée d'arbres de di­verfes efpeces, que la feule Nature a pro­duits, qui ne fe deffechent jamais, & qui, par conféquent, forment au long des rives une perfpective de verdure perpétuelle. Mais en montant plus haut, on découvre un petit Bourg, nommé Torrarica, fitué fur la rive gauche, qui n'eft habité que par quelques Planteurs Juifs.

A huit lieues de-là fe trouve encore un Village Juif, dans lequel il y a une grande & très belle Synagogue; & à deux lieues plus haut on trouve une crique qui fe partage en deux branches, dont l'une va au Midi, & l'autre au Nord.

A peu près à fix lieues plus loin eft la fameufe montagne qui porte le nom de Blauw-Berg, ou montagne bleue, fur la­quelle il y a un corps-de-garde, pour loger quelques foldats qu'on y envoye pour veil-

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ler à la conduite des Indiens voifins. De­puis cette montagne, de laquelle on peut pénétrer jufqu'à la Cayenne, tout le refte du pays, tant en profondeur qu'en largeur, n'eft pareillement que montagnes, entre lef­quelles fe trouvent des rochers, formés de pierres bleues, comme auffi nombre de chû­tes d'eau.

Il eft impoffible d'ailleurs de déterminer la richeffe de ces montagnes; mais il eft néanmoins certain, que fur le rapport de quelques Mineurs qui y ont fait des recher­ches, on y trouveroit quantité de toutes fortes de minéraux, fi on vouloit faire les dépenfes néceffaires pour les en extraire; ce qui eft affez probable, ces mêmes mon­tagnes formant la côte des Indes Occiden­tales Efpagnoles.

Ce que je viens de dire de la riviere de Surinam, n'empêche pas que celle de Com-mewyne n'ait auffi fon mérite, par fa lar-geur.

Elle prend fa fource dans la précédente, -à une diftance de quatre lieues de la mer, & dirige fon cours au Sud-Sud-Eft : & fi elle n'offre pas tout-à-fait le même coup d'œil que la fufdite, il n'en eft pas moins beau, par celui que forment les Plantations à caffé, dont les Bâtimens font plus vaf-

De la riviere de Com-mewyne.

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tes & plus agréables à la vue que ceux 4 fucre.

Cet te riviere fe termine dans celle de Cot­tica.) dans laquelle elle perd fon n o m , laif-fant à droite & à gauche nombre de cr iques , les unes plus grandes que les au t r e s , & dont les rives font plus ou moins garnies de Planta t ions , tant à caffé qu'à fucre , qui por ten t chacune leur n o m , comme il eft marqué fur la Carte.

La riviere de Cottica, qui reçoit dans fon fein les eaux de celle de Commewyney prend elle-même fa fource dans cette mê­me r iv i e re , à une diftance de huit heures de la m e r ; & l'on t rouve à fon embou­chure une Foi teref fe , dont je réferverois à parler au fecond Chapi t re , où il femble que la defcription en feroit mieux p lacée , fi cela ne dérangoit l 'ordre que je me fuis prefcri t , qui eft plus intelligible, ce me fem­ble , comme on pourra le v o i r , que fi je retournois fur mes pas. C'eft pourquoi je traite ici de tout ce qui peut avoir rap­por t à cette r iv ie re , pour n 'y plus reve­nir .

Cet te Fortereffe tire fon nom de la rivie­re où elle eft fituée, & eft bâtie fur une élevation un peu marécageufe , entourée de foffés & de remparts fort élevés. Elle

De la riviere de Cotti-ca, et de fa for-tereffe.

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eft très bien pourvue, tant de munitions de guerre, que de toutes provifions né­ceffaires à l'entretien du détachement qu'on y tient pour la garder, de forte qu'elle eft en état de très bonne défenfe. On prétend qu'elle a été conftruite par les ordres de M . F. van Aarffen , Seigneur de Sommelsdyk, comme Gouverneur, duquel je parlerai dans un autre article; & qu'on n'a pas difconti-nué depuis de la fortifier , ce qui la rend égale en défenfe à celle de Zeelandia, qui couvre la Ville de Paramaribo, comme je le ferai connoître dans le Chapitre fui-vant.

A peu près vers le milieu de cette rivie­re , & de même à celle de Cmmewyne, il y a une Eglife, ou plutôt une grande maifon, dans laquelle on fait le fervice divin, tous les quinze jours, à caufe du grand éloigne-ment de la Ville ; de forte qu'il y a pour les habitans, qui font au long de chacune , un Miniftre fixé, qui a fon Presbytere près de chaque Eglife, à laquelle les propriétai­res des Plantages peuvent fe rendre aux jours marqués.

Elle offre, en furplus, un très beau coup d'œil par le nombre de Plantages qu'on y v o i t , tant d'un côté que de l'autre. Elle eft d'ailleurs fort fpacieufe, & fe divife en

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trois branches, dont la premiere confer­ve le nom de Cottica , la feconde prend ce­lui de Pirica, & la troifieme celui de Kruis-Kreek , toutes les trois entiérement bordées de Plantages , tant à caffé qu'à fu­cre , formant une vue des plus brillantes. On prétend que la riviere de Pirica eft la plus profonde de toutes les autres, & qu'elle a, par le moyen des divers détours qu'elle fait, au delà de vingt lieues de lon­gueur.

Je crois avoir affez amplement décrit, maintenant, toutes les côtes & les princi­pales rivieres de ce Continent, pour n'a­voir pas befoin de faire mention d'un nom­bre infini de criques ou canaux, que ces mêmes rivieres fourniffent; d'autant plus qu'on peut avoir recours à la Carte pour s'inftruire de ces petites particularités.

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C H A P I T R E I I .

D e f c r i p t i o n des Redoutes, de la Fortereffe nom-mée A m f t e r d a m , de celle de Z e e l a n d i a , et de la F i l l e de Paramaribo.

Adeux lieues de l 'embouchure de la rivie­re de S u r i n a m , il y a de chaque côté du

rivage une redoute , où l'on t ient plu­fieurs pieces de c a n o n , & autant d'hommes qu'il en faut pour difputer ce paffage en temps de guerre ; a t tendu qu'elles font face à tous les vaiffeaux qui doivent monter la r iviere : ce qui eft: d'un grand fecours pour la nouvelle Fortereffe , en ce qu'elle eft: avertie par elles de fe tenir fur fes gardes.

E n continuant de monter la r iv ie re , on apperçoit de loin la nouvelle Fortereffe nommée A m f t e r d a m , fituée à l 'embouchure de la r iviere de Commewyne, à la gauche , & en face des redoutes ci-deffus mention­nées . On a commencé à la conftruire dans l 'année 1 7 3 4 , & elle n'a été achevée qu'en 1 7 4 7 . Elle eft: bâtie fur une efpece de ro­c h e r , environnée de larges foffés, & très bien fortifiée d'ailleurs. Elle ne manque ,

Des deux redoutes qui dé­fendent l'entrée de la ri­viere de Surinam.

De la nouvelle Forteref-fe Am­fterdam.

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en dedans, d'aucun des magafins néceffaires, tant pour les munitions de guerre , que pour celles de bouche ; & l'on a même eu foin d'y faire conftruire, depuis fix ou fept ans, un moulin à vent , tout de pierres, pour moudre les grains de la garnifon. Elle pourroit, en temps de guerre, contenir au moins trois mille hommes; mais en temps de paix, il n'y en a gueres plus de cent , qui font fous les ordres d'un Capitaine d'ar­tillerie, lequel a le titre de Commendant, & qui font foutenus par une très forte artil-

^,lerie : de forte que pour peu qu'on voulût faire la moindre violence, après avoir paffé les redoutes, pour outre-paffer la Forteref­fe , on ne pourroit que courir grand rifque entre ces trois feux.

Il eft même d'ufage qu'un vaiffeau, lorf-qu'il entre dans la riviere, doit ancrer à une certaine hauteur, en arborant fon pavillon, & envoyer enfuite fon paffe-port au Com­mendant de la Fortereffe, en lui faifant de­mander la permiffion de pourfuivre fa rou­te ; fans quoi il reçoit un boulet, pour le­quel il doit payer quinze florins. Si le Capi­taine du vaiffeau s'obftine à avancer fans permiffion, il en reçoit jufqu'à trois, dont le prix double au fecond & triple au troifie­me : un plus long entêtement lui feroit rif-quer d'être coulé à fond. Il eft encore à

ob-

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D E S U R I N A M . 17

obferver , que dès que le vaiffeau fe trou­ve à la portée du canon de la Fortereffe, il do i t , avant de la paffer,la faluer par fept ou neuf coups de fon art i l lerie; & elle de fon côté arbore auffitôt fon pavil lon, & lui en rend trois autres pour le remer­cier.

A deux lieues de cette Fortereffe, tou­jours en montant la riviere, il y en a une

feconde qu'on appelle Zeelandia; laquelle, à ce qu'on r appo r t e , a été conftruite par les Por tugais , emportée enfuite de force par les Anglois , mais repr i fe , dans l 'année 1667, par les Zeelandois , fous la conduite du brave Amiral Krynzen & du Vice Ami ra l Culewaard, avec une Flot te de trois vaiffeaux de guerre & quelques bateaux p la t s , pour met t re à terre les foldats qui étoient au nombre de trois cents , commandés par le Général Ligtenberg, qui fut nommé Gou­verneur de la Colonie , lorfqu'elle fut rédui-te enfuite de la Fortereffe.

Cet te Fortereffe, qui t ient en quelque maniere lieu de Citadelle à la Ville de Pa­ramaribo, eft un pentagone maçonné , dont le polygone extérieur n'a gueres au delà de cent cinquante pieds : elle n'a point de pa­rape t s ; mais fes murailles font élevées au deffus du terre-plein d'environ cinq p ieds , & en ont bien fix d'épaiffeur.

Tome I. B

De la Forteref fe Zee­landia.

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Son intérieur eft extrêmement refferré par divers bâtimens qu'on y a conftruits, comme l'Arfenal, plufieurs Barraques & di­vers Magafins. C'eft auffi la place où l'on enterre les Gouverneurs & les Officiers; & c'eft l'endroit où l'on garde les efclaves cri­minels, ou qui font condamnés au fervice de la Société.

Tout autour de ce Fort , il y a une efpece de chemin-couvert, précédé du côté de la Ville d'un pont de bois, au bout duquel, avant que d'entrer dans la Citadelle, il y a une garde de foldats commandés par un officier. Au deffus du corps-de-garde eft la prifon, tant pour la garnifon, que pour les habitans. Ce pentagone a deux em-brafures à chaque face, & une à chaque flanc, garnies de leurs canons, dont on ne manque point dans la place ; de forte qu'el­le eft en état de défendre la Ville , tant par fa pofition, que par la forte artillerie dont elle eft pourvue, joint au fecours qu'elle peut tirer de la premiere, à laquelle elle fait face, fans qu'elles puiffent néanmoins fe voir , à caufe des finuofités de la riviere : & nul batiment, foit Hollandois ou An­glois, n'ofe paffer celle-ci après le foleil couché, fans une permiffion expreffe du Gouverneur; bien plus il eft obligé, dès

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qu'il fe t rouve à la portée du canon , d'ob-ferver la même cérémonie de celle de la Fortereffe d'Amfterdam.

Je ne dois pas omet t re non p lus , que dans un des baftions de la Fortereffe Zee­landia il y a une cloche fufpendue fous un t o î t , où toutes les heures un foldat mon­te par un petit efcalier, pour fonner l'heu­r e , tant le jour que la n u i t , et qu'il n 'y a point d'autre horloge pour la Ville.

Dès qu'on a paffé ce dernier F o r t , on découvre la Ville de Paramaribo, dont je ne parlerai qu'après avoir décrit quelques particularités de mon arrivée dans le pays ; ce qui donnera quelque idée de ceux qui l 'habitent.

Le premier objet qui me parut digne d'at-ten t iOn, en entrant dans la r iviere de Suri-nam, fut un pet i t canot de huit à neuf pieds de long , fur quatre de l a rge , dans le­quel il y avoit trois Negres p ê c h e u r s , qui v inrent à not re vaiffeau pour nous fouhai-ter la bien-venue. A peine en furent- ils p r o c h e , que l'un d'eux l'efcalada avec une telle agil i té , que je fus furpris de le voir à l'inftant fur le tillac. Ce Negre qui étoi t d'une beauté accomplie , avoit la tail­le au deffus de la médiocre , fans être néan­moins de la plus g rande , n'avoit que peu

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de ba rbe , avoit les yeux du plus beau noir , & les traits du vifage très réguliers & fort agréables, les dents plus blanches que l'i­v o i r e , & toute la peau d'un noir luifant , comme du jais. Son habillement étoit fi fimple , qu'il ne l ' incommodoit pas beau­c o u p , en égard à la grande chaleur , ne con­fiftant qu'en une piece de t o i l e , d 'environ fix aunes de longueur , fur huit ou dix pou­ces de la rgeur , laquelle après avoir fait quel­ques plis autour de fes re ins , lui repaffoit entre les jambes , pour couvrir les parties de la pudeur.

Il adreffa tout de fuite fon compliment d 'une maniere fort foumife au Capitaine J . L . qui nous commandoi t , & lui dit dans fon jargon ; audi maffeva, hou faffi you tan, wel-kom na diffi contri; ce qui fignifie: bon j o u r , ma î t r e , comment vous por tez-vous? foyez le b ien-venu dans cette contrée. Je n'eus pas beaucoup de peine à comprendre ce langage ; parce que je fçavois l 'Anglois , & qu'il y eft beaucoup analogue. Le Capi­t a i n e , après l'avoir remerc ié , lui fit donner une piece de viande falée, qui eft le mets le plus exquis de ces gens-là, & , par con­féquent , le plus beau préfent qu'on puiffe leur faire. Ce N e g r e , bien content de l'a­voir , ne tarda pas à s'en r e t o u r n e r , pour re-

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joindre fes deux camarades , qui l'atten-doient, & qui partirent avec lu i , bien char­més de la provifion qu'ils avoient.

Nous entrâmes, le même jour, dans la riviere de Surinam, & nous débarquâmes au For t , ou bien à la Ville de Paramaribo. Nous n'eûmes pas plutôt mis pied à terre, que nous fûmes environnés à l'inftant de plufieurs Négreffes , qui n'avoient pour tout vêtement qu'une jupe légere, qui leur defcendoit jusqu'au génouil , uniquement pour couvrir ce que la pudeur ne permet pas d'expofer à la vue , & le relie du corps tout nud, de même que les Negres que nous avions déja vus. Une de ces Négref-fes entre autres me frappa ; elle étoit d'une beauté achevée, ne le cédant en rien (à la couleur de la peau près, à laquelle il faut être accoutumé,) à la plus belle femme de notre hémisphere, ni pour les traits du vi­fage , ni pour la taille, qu'elle avoit faite au tour. Elle avoit le nez très bien fait, con­tre l'ordinaire des Negres qui l'ont épaté, une fort belle bouche, les yeux d'une vi­vacité peu commune , & , enfin, l'air fi aifé, dans fon mince habillement , qu'elle me rappella l'idée de l'enfance du monde & de nos premiers peres.

Dans les premiers jours de mon arrivée

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à Paramaribo, j'avois une prévention con­tre les gens de cette nation, que je combat­tis autant qu'il me fut poffible, fentant combien j'aurois befoin de leurs fecours, tant pour le fervice particulier de ma profeffion, que pour les recherches que je me propo-fois de faire dans ce riche pays. Mais avant que de rien entreprendre avec eux, il me fallut apprendre leur jargon, qui n'eft qu'un Anglois fort corrompu, mêlé de quelques mots Hollandois, comme on a pu le remar­quer dans le premier compliment du Ne­gre au Capitaine de notre vaiffeau ; & qu'il eft encore ficile d'en juger par les mots fui-vans , dont les premiers font leur Jargon, les feconds le véritable Anglois, & les troi-fiemes leur fignification en François. O goe­de Godi, O goed God , O bon Dieu. Forki, fork, une fourchette. Pleti, plate, une affiette. Bredi, bread, du pain. Boy, boy , un garçon. Give mi da bedi, give my hat, donnez-moi mon chapeau; & ainfi du refte.

Ce peu d'exemples prouve, qu'ils ont voulu apprendre la langue des Anglois, qui ont primitivement poffédé cette Colo-B i e ; mais fans y pouvoir réuiffr: ce qui a fait qu'ils l'ont eftropiée, en y mêlant divers mots de leur idiôme d'Afrique, par

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lesquels ils on t cru même la rendre plus élégante.

Enfuite ils fe font vu cont ra in ts , pour fe faire en t end re , d'y inférer plufieurs mots Hol landois , depuis que cette Nation les a conquis ; c a r , au lieu de dire à leurs maî­t r e s , maffera, comme du temps des An­glois , ils fe fervent p ré fen tement du ti­t r e de Mynbeer, qui fignifie Monfieur, &

de Mevrouw, pour Madame, en place de Miffi, qu'ils difoient pour miftriffe; t i t re que les Anglois donnent aux femmes bour-geoifes.

Revenons maintenant à la defcription de la Ville de Paramaribo, dont m'a détourné ma digreffion.

Ce que les habitans appellent le Fort,

eft proprement la Ville de Paramaribo, qui é to i t anciennement un Village habité par les Ind iens , & c 'ef t d'eux qu'elle a reçu fon nom. Elle eft; fife, en partie fur le bord de la r iv ie re , à une diftance d'environ fix lieues de la mer. Elle eft bâtie fur un roc fablonneux & gravel leux, de forte que le pavé n' incommode jamais dans les r u e s , qui font en affez grand nombre ; mais auffi dans les grandes chaleurs , le foleil eft fi brûlant que l'ardeur du fol pénetre les fou-l i e r s , même les plus épais.

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De la Ville de Parama-ribo.

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24 D E S C R I P T I O N

Tou te s les maifons qui font au nombre de huit cen t s , font très régulièremens bâ t i e s , & presque toutes fans fenê t res , à caufe de la grande chaleur , ayant presque chacune leur jardin particulier. Elles ne font que d e bo i s , à l 'exception de celles du G o u v e r -n e u r , & du Commandant , & coûtent né­anmoins , à commencer par la plus p e t i t e , depuis cinq jusqu'à vingt-cinq mille florins de Hollande , fuivant leur grandeur : ce qui paroît peut-être exorbitant-, mais fans parler de la main d 'œuvre , il faut confidé-rer l 'énorme cherté du bois dans ce p a y s , & le tranfport de quantité de matériaux que l'on eft obligé de faire venir d ' E u r o p e , & que l 'on paye au double pour le moins. Elles coûteroient bien davantage fi on les bâtiffoit de p ier res , n 'y en ayant point dans le pays , non plus que de chaux , ni rien enfin de tout ce qui eft: néceffaire à la con-Itruftion des bâtimens : d'ailleurs, toutes les maifons font bâties fur un pied de bri­ques de la hauteur de deux à trois pieds, & quelquefois plus. 11 eft encore à confidé-r e r , que fi les maifons étoient bâties de pier­r e s , elles ne feroient non plus fi faines, que celles de bo i s , par rapport à l 'extrême humidité du terroir , à laquelle celles de pierres feroient beaucoup plus expofées; ce

Du nom­bre des maifins de la Vil-le et de-leur con-ftruicti-on.

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D E S U R I N A M . 25

qui cauferoit plus ou moins d'incommodité

à ceux qui les habiteroient.

L e Gouvernement eft fitué fur la place

d 'armes, vis-à-vis de l 'endroit de la r ivie­

re où débarquent tous les Et rangers : il

eft même fort fpacieux & très-beau; & a

fur le derriere un fort beau jardin, par où

le Gouverneur peut fe rendre à la For te-

reffe Zeelandia. Ce qui fait voi r combien

cette Citadelle eft proche de la V i l l e ; com­

me je l'ai dit ci - deffus. C'eft auffi devant

le Gouvernement que la Parade s'affemble

tous les jours à huit heures du matin pour

monter la garde.

L a maifon du Commandant eft contigue

à celle du G o u v e r n e u r , & a de même un

for t beau jardin : ces deux Batimens appar­

tiennent à la Société.

Il y a dans presque toutes les rues , une

allée d'orangers devant toutes les maifons,

qui fleuriffent deux fois l ' année, & y répan­

den t , en tout t emps , une odeur des plus

fuaves.

L ' o n compte préfentement près de foi-

xante vaiffeaux Hollandois en R a d e , fans

les barques A n g l o i f e s , depuis le débarque­

ment jusqu'à une certaine hauteur ; &

vis-à-vis de cette Rade r e g n e , comme dans

les rues de la V i l l e , une furperbe allée d'o-

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Du Gou-renie­ment.

De la Rade.

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rangers , qui embaument une file de maifons placées de r r i è re , & forment le coup d'œil le plus riant que l'on puiffe imaginer. J e pourrois même a jouter , fans crainte d 'être con t r ed i t , qu'il n 'y a point dans tou te l 'Amérique Hollandoife & Françoife , de Rade qui approche de celle-ci, pour l'ai-fance que tous les vaiffeaux ont d'y charger les produits de cette Colonie ; mais ce qu'elle a de plus mauvais , ce font des vers qui percent les bâtimens aux endroits où la poix & le goudron laiffent le bois à découver t . Il eft aifé cependant de s'en garan t i r , en carenant bien le vaiffeau, en forte qu'il ne refte aucun endroi t qui ne foit couvert de goudron , &c.

La maifon de Ville eft fituée fur une très belle place ( tou te garnie pareillement d'o­rangers , ) où fe tient actuellement le marché des Esclaves , tant à la volaille , qu'aux f ru i t s , légumes, &c. Elle fervoit autrefois de cimetiere b a n n a l , mais comme on a craint que la quantité de cadavres qu'on y enter ro i t presque journe l lement , ne procu­rât beaucoup de maladies, par les mauvai-fes exhalaifons , le Gouvernement a pris une autre p lace , à l 'extrêmité de la V i l l e , & n'a réfervé le premier que pour les per­fonnes de diftinction, qui payent cinq cinq

De la maifon de Fille,

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florins pour y ê t re placées ; au lieu qu'il n 'en coûte que cinquante pour occuper le nouveau . Quoi qu'il en foi t , il en coûte toujours affez cher , comme on le v o i t , pour fe faire i nhumer , fans compter les au-ti'es frais funérai res , qui font encore très dispendieux.

Le haut de la maifon de Ville eft defti-né pour le fervice D i v i n , qui s'y fa i t , tous les Dimanches ma t in , en Hol landois , & l'après midi en François. Pour cet ef­fet il y a deux Miniftres Hollandois & u n Franço i s , qui ont chacun douze cents Li ­v r e s , argent courant de Hol lande , le lo­g e m e n t , en o u t r e , & trois Efclaves pour les fervir; ce qui peut encore fe monter au de-là de leur penfion.

Quoique les pauvres foient rares dans le p a y s , il ne laiffe pas que d'y avoir une Dia-c o n i e , où l 'on reçoit les orphelins indigens & les perfonnes âgées , qui n 'on t pas de quoi vivre ; & elle eft fi bien gouve rnée , qu 'on n ' e f t pas expofé, dans la Colon ie , à ê t re ac­cablé de pauvres dans les r u e s , comme cela fe voit dans les moindres Villes d 'Europe : bien loin de-là, car on n 'y en rencontre jamais.

Il y a auffi une fuperbe Eglife Luthér ien­n e , où l 'on prêche de même régulière­ment tous les dimanches deux fois ; quoi

Des Eglifes.

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qu'il n 'y ait qu'un Miniftre pour cet effet. Elle eft fituée fur le bord de la r iv ie re , & bâtie toute de pierres.

Les Ju i f s , dont le nombre eft fort con-fidérable, tant Portugais , qu' Allemands , on t auffi deux Synagogues. Celle des pre­miers eft fort bel le ; mais celle des Alle­mands ne l'eft pas tant à beaucoup près.

La garnifon eft compofée de deux Batail­l o n s , y compris l 'arti l lerie, qui doivent former le tout enfemble, le nombre de douze cents hommes , dont la moitié eft à la folde de la Socié té , & l 'autre à celle des habitans de la Colonie. Ces troupes font fous les ordres du Gouverneur qui en eft Colonel en chef, nommé par la Socié té , & breveté par leurs Hautes-Paiffances. L e Commandan t , qui eft auffi nommé par la Société & breveté de leurs Hautes-Puiffan-c e s , eft Colonel du fecond Bataillon.

Chaque Bataillon eft commandé par deux Lieutenants Colonels , quatre Capi taines , autant de L ieu tenan ts , Sous-Lieutenants , & Enfeignes : mais il n 'y a pour tous deux qu 'un F i sca l , ou auditeur mil i ta i re;un Com­mis en chef pour les Magafins des Vivres ; & un Teneur de l i v r e , qui font tous à la folde de la Société.

Il y a un Hôpital militaire pour les ma-lades ; pour le foin desquels il y a un Mé-

Des Sy nago-gues des

Juifs.

Du Gou­verne­ment mi-litaire.

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DE S U R I N A M . 2 9

dec in , & un Chirurgien-Major , qui font

payés par la Socié té .

E n outre des troupes réglées , les habi-

tans de la Vil le forment entre e u x trois

Compagnies de m i l i c e , d'environ deux

mille hommes en tout . Chacune de ces

Compagnies eft commandée par un Capitai­

n e , un Lieu tenant , un Sous-Lieutenant ,

& un Enfe igne; & tou tes , dans un be fo in ,

doivent, fe t rouver prêts à combattre l 'en­

nemi , parce que chaque habitant eft muni

d'un bon fufil, & de poudre & de p l o m b ,

autant qu'il lui en faut pour fe mettre en

défenfe : & c'eft auffi à quoi les Capitaines

ont foin de veiller fcrupuleufement, deux

fois par a n , par une vifite généra le , qui

doit fe faire fuivant les ordres du Gouver ­

nement.

Il en eft de même dans toutes les r ivie­

res où il y a des Plantations, car chacune

d'elles a plufieurs divifions, qui forment de

petites Compagnies. Entre les Directeurs

& les Ecr iva ins , qui habitent ces Plantati­

o n s , on compte en tout huit divif ions,

dont chacune a fon Capitaine, fon L ieu­

tenant , fon Sous-Lieutenant , & fon En-

fe igne , lesquels doivent fe rendre à leurs

départements, au premier coup de canon

qu'on tire en ligne d'allarme. Ils font

d'ailleurs auffi bien armés que la milice de

De la milice BOUT-

geoife.

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30 D E S C R I P T I O N

la Ville ; mais leur nombre ne fe monte en­viron qu'à mille perfonnes ; d'où il eft aifé de concevoir qu'il n 'y a , dans tou te la Colonie, qu 'environ quatre mille deux cents Blancs en état de por ter les a rmes , y com­pris la garnifon.

Dans les premiers t e m p s , le Gouverneur & quelques membres du Confeil jugoient en dernier reffort & fans appe l , tous les dif­férends qui naiffoient dans la Colonie : ce qui n 'étoi t pas alors fort difficile, parce qu'il n 'y avoit que peu de Co lons , & par confé-quent peu de conteftations ; mais le nom­bre s'en étant augmen té , les différends font devenus plus confidérables &plus fréquents. Comme les nouveaux venus d 'Europe n 'on t pas oublié , en paffant la m e r , l'a­mour des p r o c è s , ni la fubtilité de la chica­n e , il a fallu établir différents Confeils, pour les met t re à même d'appeller de leur pre­mier jugement à un Confeil Supér ieur , ou Souverain. On ne doit cependant pas s'at­tendre à t rouver dans aucun des membres de ces Confeils, de fameux Jurisconfultes verfés dans l 'étude des L o i x , mais des hom­mes fages, fort aifés, & par conféquent défintéreffés, & d'une fi grande probité que le bon fens & la droi ture dictent tous leurs arrêts : que peut-on exiger de plus ?

Le Gouverneur eft déc idé , par é t a t , Pré-

Du Gou-verne-ment Po­litique.

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D E S U R I N A M . 31

fident de tous les trois Confeils qu'il y a à Surinam.

Le premier de ces Corifeils, qui eft ap­

pellé Cour de Police & de criminelle Jufti-

c e , eft compofé de treize perfonnes , fçavoir

le G o u v e r n e u r , le Commandant , un Fis­

cal , un Secrétaire & neuf autres m e m b r e s ,

qui font choifis ent re les principaux habi­

t a n s , & nommés par e u x ; enfuite de la

voix desquels le Gouverneur a encore droit

de choix entre deux élus. Mais il eft à re­

marquer que perfonne ne peut aspirer à

ent rer dans ce Confeil , à moins qu'il n 'ait

des biens-fonds dans la Colonie , d'autant que

ce font des charges à v i e , qui ne rappor tent

que de l ' honneur , & aucun bénéfice. L 'on

ne traite dans cette Cour que des affaires

criminelles , & de celles qui concernent

l 'Economie de la Colonie.

L e fecond, qui por te le t i t re de Cour

de civile Juft ice, & dont les membres font

néanmoins élus par le premier Confei l , eft

compofé de douze per fonnes , y compris

le G o u v e r n e u r , un Secréta i re , & dix au­

tres membres. Celui-ci ne juge que des af­

faires civiles, lesquelles peuvent ê t re rappel-

lées en E u r o p e , au Confeil de leurs Hautes-

PuiflTances. Ce qui fait que cette Cour eft

abfolument indépendante de la premiere ;

De la Cour de Police.

De la Cour de

Juftice.

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32 D E S C R I P T I O N

auffi s'eft-elle arrogé le t i tre de Cour Souve . raine.

Le troifième Confeil n'eft u 'une pet i te Cour Commiffariale, compofée d'un Vice-Préfident qui remplace le Gouverneur , quand il ne juge pas à propos d'ufer de fon droit d'y préfider, d'un Secrétaire & de neuf autres membres , lesquels font é l u s , comme ceux du fecond, du premier Con­feil.

L 'on n 'y traite que des affaires pécuni­a i res , depuis la fomme de trois florins, jus­qu'à celle de deux cents cinquante florins ; & l'on en peut rappeller au Confeil Souve­rain dès que la fomme furpaffe les cent cin­quante florins.

Il eft à remarquer que les membres de ces deux derniers Confeils, font renouvel-lés tous les quatre a n s , à l 'exception des Secréta i res , qui font dans tous les ,trois ai Vitam.

T o u s les frais qui fe f o n t , par les lon­gues p rocédures , ou au t r emen t , ne regar­dent que les fufdits Secrétaires, fi ce n'eft dans les deux derniers Confeils, que les membres ont droit de fe faire payer leurs vacat ions , lors de la vente de quelques Plantages, ou d'autres venditions particu­lieres.

Il

Des Comis-

faires, ou troifie­me Con­feil.

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DE S U R I N A M . 33

Il eft encore à remarquer que tous les trois Confeils , dont je viens de parler , n 'on t que quatre féances régulieres par a n ; excepté le premier qui doit s'affembler lorfque le cas le r e q u i e r t , c'eft-à-dire , pour des affaires importantes qui regar­dent le bien-être de la Colonie.

Comme il y a quantité de procès dans ce pays , il eft aifé de juger qu'on ne fçauroit s'y paffer d'Avocats ni de Procu­reurs ; auffi y en a-t-il un affez bon nom­bre : car je fçais que des premiers il y en a fept ou h u i t , autant des feconds & cinq à fix Solliciteurs: ce qui e f t , j e penfe , fuffi. fant pour fatisfaire ceux qui aiment à plai­der.

Le Gouvernement a auffi établi une Chambre des Orphel ins , qui eft dirigée par deux Commiffaires, & un Secrétaire , afin de veiller aux perfonnes qui meurent ab-inteftat ; lefquels font obligés de les faire inhumer , pour peu que l'hoirie fiffife aux fraix des funérailles ; fi n o n , c'eft la Diaco-nie qui doit y fuppléer. Mais en cas que le décédé laiffe du b i en , pour-lors la Cham­bre eft obligée de citer les héritiers pré-fomptifs, pour leur rendre compte de l'hoi­rie du défunt & leur remettre les fonds , fur lefquels ils t i rent pour leur peine dix pour cent de provifion.

Tome I. C

De la Chambre des Or­phelins.

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Ce que j 'apelle Domaine , font les reve­nus que la Société retire de cette Colonie. Ils confiftent en plufieurs impôts que les habitans doivent payer à différens comp­to i r s , ou bureaux de r ece t t e s , qu'elle y a établis, pour en recevoir par conféquent les revenus.

Le premier de ces bureaux eft deftiné premiérement à percevoir les droits d'en­t rée & de fortie des denrées Angloifes.

Secondemen t , ceux impofés fur tou te la partie du Commerce tel que je l'ai décr i t , dont chaque article doit payer fuivant le tarif. Il y a même une taxe que les Capi­taines y doivent payer , pour chaque barque ou vaiffeau qui entre ou qui fo r t , fuivant leur grandeur.

Troifiémement, ceux desproduits des Plan­tages , qui fortent du pays , pour lefquels on paye à raifon de quinze fols par cent li-vres, pour le caffé, de trente-cinq fols pour autant pefant de c o t o n , & un florin par barrique de fucre. Le bois de char­pente , qui fe fait dans le pays , y eft auf f i redevable d'une certaine taxe.

La Garnifon eft payée de tous ces reve­nus , & le furplus eft remis à Meffieurs de la Société.

Le fecond comptoir eft celui de la capi­tation ordinaire , pour laquelle on paye

Des Do­maines de la So­ciété et du pays.

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D E S U R I N A M . 3 5

vingt-cinq fols par tête tous les a n s , tant pour les Blancs que pour les Efclaves, depuis l'âge de trois ans jufqu'à d o u z e , & cinquante fols depuis douze jusqu'à foixan-te . T o u s les Blancs qui ne font point nés dans le pays , font francs de ce d ro i t , pen­dant les dix premieres années de leur fé-jour dans le pays. T o u s les Planteurs à caffé doivent payer leur capitation en efpe­ces ; mais ceux qui font du fucre , ont le privilege de la payer en cette den rée , fur le pied d'un fols la l i v r e , dont le bureau tient compte à Meffieurs de la Société.

Le Gouverneur peut difpofer des recet­tes de ces deux bureaux , felon fon bon plai­fir, fans être obligé d'en rendre compte qu'à Meffieurs de la Société.

Quant au troifième, il regarde les ven­ditions , & tout vendeur eft tenu d'y payer un certain droit pour la vente qu'il veu t faire, & l'acheteur un fols par livre ; excepté dans l'achat des Efclaves, où il ne paye que deux & demi pour cent.

Le quatrieme eft celui où les habitans font obligés de déclarer fous ferment le gain clair qu'ils ont fait dans le courant de l 'année, & d'en payer un certain droit ; fans compter une feconde taxe de capita­tion extraordinaire , tant pour les Blancs

C 2

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З6 D E S C R I P T I O N

que pour les Efclaves, depuis l'âge de dou­ze ans.

Ces deux fortes de contributions regar­dent les artifans & tous ceux qui font ga­gés , comme les Planteurs. E t les revenus en font employés pour fubvenir aux fraix des détachemens qu'on fait pour aller con­tre les Negres marons , qui ne font plus à la vérité confidérables, depuis qu'on a fait la paix avec eux ; mais cela n'empêche pas que ce comptoir n'ait befoin de fonds fuf-fifants , pour fatisfaire aux préfens an­nuels qu'on eft obligé de leur faire.

Le cinquieme eft celui où fon paye le droit d'entrée des vins de toute efpece, de la b i e r e , du brandevin, du genevre , & enfin de toutes les liqueurs for tes , dont tous les Capitaines Hollandois & Anglois font obli­gés de déclarer fous ferment leurs cargai-fons , pour ne point frauder l 'entrée d'au­cun de ces articles; & fur lefquelles il y a une taxe fort modique.

La penfion des Miniftres, celle du Fiscal , & de quelques autres employés, font pa­yées des revenus de ce bureau : & ces deux derniers font du reffort du Gouvernement Polit ique.

Le fixieme & dernier comptoir eft ce­lui où l'on paye la taxe des maifons, des

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D E S U R I N A M . 37

C 3

équipages & des beftiaux , comme boeufs , vaches , &c. des revenus duquel on entre­t ient les chemins , les places publ iques, & les favannes où paiffent les beftiaux.

D e p l u s , l'Infpecteur de la Rade ret ire un droit de tous les vaiffeaux qui viennent y mouiller ; & ce bénéfice eft totalement" pour lui.

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38 D E S C R I P T I O N

C H A P I T R E I I I .

D u Climat, ou Température de l'air de Suri­

nam.

U N pays auff i vafte & arrofé d'un nom­bre infini de rivieres & de c r iques ,

couvert de quantité de forêts marécageufes comme celui-ci, ne peut manquer de cor­rompre extrêmement l 'air , & de contribuer à une variété prefque perpétuelle de fai-fons. L 'on en compte néanmoins qua t re , ou plutôt deux de féchéreffe, & deux de p lu i e , que l'on fubdivife ainfi: p remiérement , en temps de petites pluyes , auxquelles en fuccede un autre de féchéreffe, où la cha-leur commence à fe faire reffentir davanta­ge ; après quoi furviennent de grandes p l u -yes , qui font donner improprement à cet te faifon le nom d'hiver ; car il ne fait Jamais affez froid dans ce pays pour qu 'on foit obligé de s'y chauffeur ; puifqu'on n 'y fait jamais de feu que pour faire la cuifi-n e ; encore eft-elle féparée de la maifon , &; prefque contigue au jardin, pour n'en pas reffentir la chaleur ; & l'on n'y brûle que

Des fai fans qui regnent dans le pays,

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D E S U R I N A M . 3 9

du bois. Ce qu'on appel le , à plus jufte t i t r e , l ' é t é , font les chaleurs immodérées , qui prennent la place de ces continuelles & violentes p luyes; après quoi reparoiffent les petites ; & de même tous les a n s , aux varitations p r è s , dont je parlerai plus am-plement tout-à-l 'heure.

Il y regne en outre un équinoxe perpé­t u e l , le foleil s'y levant en tout temps à fix heures du mat in , & fe couchant préci-fement le foir à la même h e u r e , ce qui rend les foirées, comme les n u i t s , très pernicieufes à ceux qui s'expofent au fe-r i n , après les grandes chaleurs qu'ils ont effuyées dans le j o u r , furtout dans la der­niere faifon dont je viens de par ler , & quand il fait clair de l u n e ; parce qu'alors l 'air , qui eft toujours très vif après le fo­leil c o u c h é , & plus encore plus il a fait chaud , l'eft encore davantage quand le premier de ces aftres répand fes influences fur cette Région.

Ce que je viens d'annoncer de ce pays , ne doit pas le faire regarder comme fort fain, auffi ne l'eft-il pas : & je ne puis pas détruire cet te p réven t ion , fi c'eft-là celle qu 'on s'en eft faite. Car quelque bien que j 'aye à en dire d'ailleurs, j 'ai entrepris d'être véridique en tout ; & l'on s'en apperce-vra.

C 4

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40 D E S C R I P T I O N

Il n'y a point de d o u t e , premiérement , que lorfque le foleil est à l'on plus, haut d e g r é , l'air ne foit morbifique, & ne caufe une grande mortalité parmi les habi tants , & encore plus parmi les pauvres matelots qui refpirent un air encore moins pur dans les vaiffeaux, que fur terre ; parce que la cha­leur y eft fi étouffante, que l 'homme le plus robufte peut à peine fe foutenir , fur-tou t quand on y a chargé du fucre, lequel produit des vapeurs presqu'enflammées , qui interceptent prefque la refpiration : de for­te qu'il ne peut manquer d'en périr beau­coup , n 'y ayant pas même d'hôpital en Vil-le pour e u x , o ù l'on puiffe les tranfporter & leur donner les fecours que leur mal exigeroit. Outre cette caufe , il y en a une bien plus grande qui achevé d'entraîner ces pauvres miférables au tombeau. Ces gens-là font obligés d'aller de Plantage en Planta­g e , chercher les produits dont leurs vaif­feaux doivent être chargés. Ces voyages fe font pendant le jour & dans la plus gran­de ardeur du foleil ; il faut qu'ils ayent tou-Jours la rame à la main : exercice violent qui tout feul fuffiroit pour les échauffer ou­t re mefure. Dès qu'ils met tent pied à ter­re , ils boivent avec avidité & fans difcré-tion de l'eau froide, & enfuite du jus de canne à fucre ; ils y joignent des oranges ,

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D E S U R I N A M , 41

des. citrons. Ces fruits font fort froids

d'eux-mêmes : le plus fouvent ils les man­

gent ve rds , & dans cet état ils font en­

core plus propres à nuire à leur fan té ;

auffi contractent - ils des fievres violen­

tes , des coliques furieufes & des diffente-

ries dont on a bien de la peine à les guér i r ;

de forte que l 'on ne doit pas être furpris

fi j 'ai vu dans l'année 1 7 5 6 . jufqu'à huit

en te r remens , de ces pauvres malheureux ,

dans un jour de ces exceffives cha leurs ,

fans compter ceux des habitants de la

Ville.

Le moyen que cela puiffe être autre­

men t ! L'atmofphere eft fi embrafée dans

cette faifon, que fon ardeur produit dans

les humeurs une prompte diffolution, d'où

s'en fuit une tranfpiration fi abondante & fi

con t inue , que l'eau m ê m e , auffitôt qu'elle

eft b u e , paffe à travers les p o r e s , & qu'on

l'en voit fortir de MÊME que d'une éponge

mouillée que l 'on comprimeroit .

Joignez à cela l'inconftance du cl imat,

qui eft telle q u e , quoi qu'il y a i t , comme

je l'ai d i t , quatre faifons prefque décidées ,

elles fe fuccedent néanmoins fouvent toutes

quatre dans un même j o u r ; que les vents

y font en outre fréquents & impé tueux ,

les tonneres des plus v iolents ; & qu'enfin,

au milieu de la plus grande féréni té , l'on

C 5

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42 D E S C R I P T I O N

voit tout à coup prefque tous les météo­res réunis confpirer à la deftruction des habitants de cette Colonie.

Je doute fort cependant que la mortali­té en fût fi grande, fi l 'on abattoit & défri-choit les forêts marécageufes qui couvrent la Ville de Paramaribo, d'où il s'éleve con­tinuellement des vapeurs qui infectent l 'a ir , & qui ne peuvent qu'influer extraor-dinairement fur les humeurs , affecter les parties fibreufes du corps humain , en dé­truire l 'harmonie & caufer un affoibliffe-ment des plus confidérables ; d'où il refulte une infinité de maladies, plus dangereufes les unes que les au t res , dans lefquelles la putréfaction s'enfuit prefque toujours.

L'air t rop fec , quoique moins nuifible au corps que le t rop humide , produit néan-

. moins à peu près les mêmes effets ; par­ce qu'il refferre les canaux , & comprime f o r t e m e n t , en conféquence , les liquides qu'ils cont iennent : mais rien n'agit incon-teflablement plus fur les n e r f s , les fibres, les p o r e s , & finalement fur toute l 'écono­mie animale, que ces changements rapides dans l 'air , defquels j 'ai fait mention.

Il n 'y a qu'à confidérer les effets que produifent la chaleur & l'humidité fur les différentes efpeces de corps , même fur les plus du r s , comme le bois & les mé taux , qui

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D E S U R I N A M . 4 3

en font dilatés ou gonflés, p o u r concevoir tous ceux que ces deux agents peuvent p rodu i re , alternatifs ou réun is , fur les parties folides du corps humain , quand ils déploient fur elles toute leur activité.

Si donc la Ville étoit moins environnée de bo i s , elle feroit moins expofée à toute la malignité de ces diverfes influences; parce que l'air qu'on y refpireroit feroit plus pur & plus fain : les mauvaifes exhalaifons de ce t e r r o i r , s 'évaporant à mefure qu'elles s'éle-ve ro ien t , elles n'y pénétreroient pas im­médiatement ; & ce peuple feroit p r é f e rvé , fi non en tout du moins en par t i e , de cet­te légion de maux dont il eft accablé.

Ce qui me refte à faire obferver de ce terroir , avant que de parler des Naturels du pays , c'eft qu'il ne r a p p o r t e , à caufe de fon extrême humidi té , aucun des fruits que nous connoiffons en E u r o p e , comme Poi­res , Pommes , Cérifes , Grofeilles , Prunes , Pêches, Abricots, &c. Mais cela n 'empê­che pas , qu'il n 'y en ait une infinité d'au­tres qui les remplacent avantageufement, & dont je parlerai plus amplement à leur place.

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4 4 D E S C R I P T I O N

C H A P I T R E I V .

Des Indiens, ou Naturels du pays.

I L eft inconteftable, que les premiers ha­bitants de cette Colonie ont été des In­

d iens , comme le font encore ceux des Ifles voifines, à la Cayenne, aux Berbices ,&c. oil ceux qui font difperfés çà & l à , dans les ter­res,forment plufieurs Bourgades ou Villages, dont je me propofe de parler. Mais il me fem­ble que le nom d'Amériquains leur con­vient beaucoup mieux que tout autre ; com­me celui d 'Européens convient aux peu­ples d ' E u r o p e ; celui d'Afiatiques à ceux d'Afie; & celui d'Afriquains à ceux d 'A­f r ique ; fauf à y ajoûter le nom particulier de leur Province , pour déterminer plus précifément d'où ils fortent. Ils vivent d'ailleurs en paix avec les habi tants , par les foins que le Gouvernement fe donne de leur rendre juftice & d'empêcher qu'ils ne foient moleftés par les habi tants , à qui d'ailleurs ils font d'un très grand fecours: on peut dire même qu'ils leur font abfo­lument néceffaires pour une infinité de cho-fes.

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D E S U R I N A M . 45

Ces peuples , tant ceux qui font nos plus proches voifins que ceux qui font ré ­pandus dans toute la Colonie , font tous d'une moyenne tai l le , bien prife & fans défaut. Il eft même inouï d'en voir de boi­teux , de boffus, de n o u é s , à moins que ce ne foit par accident. Ils font d'une couleur de canelle tirant fur le rouge. Cela n 'empê­che cependant pas qu'ils ne viennent au monde auffi blancs que nous ; mais leur couleur change en peu de jours.

Ces gens fçavent fe modérer dans le tra­va i l , & ils aiment le repos autant que gens qui foient au monde. Ils ont les cheveux noirs comme du geais, longs , épais, & ne blanchiffent que dans un âge fort avancé. Ils ont les yeux no i r s , allez bien fendus, & la vue très percante. La Nature ne leur a donné que peu ou point de ba rbe , & ils craignent tant d'en avoi r , qu'à peine leur croît-il un po i l , foit au vifage ou ai l leurs , qu'ils prennent un grand foin de l 'arracher , & cela par un principe de propreté : peu de gens au monde le font autant qu'eux ils fe baignent dès qu'ils font fortis de leurs l i t s , ou hang-mac ; leurs femmes les frot­tent enfuite avec du Rocou ( a ) détrempé

(a) Le Rocou eft un fruit d'une figure oblongue

ou ova l e , un peu applati fur les côtés , ayant à peu

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46 D E S C R I P T I O N

avec- de l'huile de Palma Chrifti, ou Kara pat ( b ) , ce qui les fait reffembler à des écréviffes cuites. Ils prétendent que ce baume conferve leur p e a u , l 'empêche de fe crévaffer, & l 'endurcit tellement qu'ils ne reffentent point la piquure des mofquites ou confins.

Prefque tous les, Caraïbes, (nom qu'on donne à tous les Indiens qui peuplent la

près la figure d'un mirabolan, long d'un doigt & d e m i ,

& couvert d 'une robe hériffée de pointes d'un rouge

foncé. Il croît fur un arbre d'une moyenne grandeur ,

& lorfqu'il eft mûr il devient rougeâtre , 5c s'ouvre

en deux part ies, qui renferment chacune une t ren­

taine ou environ de grains, dont on prépare une pâ t e ,

en les faifant macérer : les teinturiers s'en fervent, &

l'on en mêle auffi dans la c i re , pour lui donner une

couleur plus jaune & plus relevée. O n en fait deux

récoltes par an.

(b) O n donne le nom de Palma Chrifti à un petit

arbriffeau, qui produit un fruit difpofé en maniere de

grapes épineufes, rudes au toucher ; chacun de ces

fruits eft à trois côtes arrondies, & compofé de trois

capfules qui renferment chacune fa femence ovale ou

ob longue , affez grofie, de couleur l iv ide , 8c tâchée

en dehors , remplie d'une moelle blanche & tendre.

Quand ce f ru i t , que les Botaniftes reconnoiffent fous

le nom de Ricinus, eft bien m û r , il s'y fait de cre-

vaffes par où fes femences fortent avec impétuofité.

C'eft de ces grains de femence, qu 'on tire par expref-

fion l'huile de Karapat.

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D E S U R I N A M . 47

Colonie) vont tou t n u d s , fans autre chofe pour cacher leur nudité qu'un peti t mor­ceau de toile qui leur paffe entre les jambes. Mais ce que j 'ai admiré le plus parmi ce p e u p l e , c'eft l 'arrangement parfait & la blancheur de leurs d e n t s , qu'ils confervent faines jufqu'à l'âge le plus avancé; n 'ayant nulle connoiffance des maux que nous y reffentons en Europe . Lorfqu'ils font en gue r r e , ils fe font faire par leurs femmes plufieurs raies noires fur le co rps , avec du fuc ou jus de Genippa ( c ) , lefquelles ne peuvent être emportées par quelque chofe que ce foi t ; mais elles s'effacent d'elles-mêmes vers le huit ou neuvieme jour.

Les femmes Indiennes font à peu près de la taille des hommes. Elles ont les yeux

c (c) L 'arbre qui porte ce fruit eft fort g r and , & fes

feuilles ont un demi-pied de l o n g u e u r , & un tiers

moins de largeur. Son fruit eft de la groffeur d'un

œuf d'oie r o n d , couvert d'une écorce tendre & cen­

d r é e ; fa chair eft folide, j aunâ t re , vifqueufe, remplie

de fuc aigre , d'une odeur agréable. On trouve au mi­

lieu de ce fruit une cavité remplie de femences compri­

mées , plates, presqu'orbiculaires, entourées d'une pul­

pe molle ; il devient mou en mûriffant comme la nef-

fle, & alors il eft bon à manger , à ce qu 'on prétend.

C'eft de l'écorce de ce fruit que les Caraïbes tirent par

expreffion une l iqueur ,qu i d'abord eft claire comme de

l ' eau , mais qui devient enfuite fort noire.

Portrait des fem­mes In-dienne

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48 D E S C R I P T I O N

noirs & bien fendus , les traits du vifage bien propor t ionnés : elles ont les cheveux n o i r s , longs & en quantité. 11 ne leur manque que la couleur des Européennes pour être de très belles perfonnes : elles ne laiffent pas d'être fort robuftes , quoi qu'elles paroif-fent délicates; elles fe peignent le corps comme les hommes & font extrêmement propres ; elles cachent ce que la pudeur ne leur permet pas de laiffer v o i r , avec une Camifa, qui n'eft proprement qu'un mor­ceau de toile de coton ouvragé , ou brodé avec de petits grains de Raffade (d) férentes cou leurs , & garni par le bas a une frange auffi de Raffade, d'environ trois pou­ces de hau teu r , afin de lui donner une cer­taine pefanteur , qui empêche le vent de la foulever.

Chaque Nation a d'ailleurs fes diverfes manieres de fe p a r e r , ou plutôt de fe défi­gu re r , car il n 'y en a pas une qui ne leur donne un air de mafcarade. Il y en a qui fe font des bonnets & d'autres ajuftc-m e n s , avec les plus belles plumes des oi-fcaux du Cont inent : les femmes furtout ont de gros colliers de Raffade de différen­

tes

(d) Nom qu 'on donne à des efpeces de petites per­

les de verre ou d 'émail , dont on fait diverfes fortes

d'ornements.

Des di-verfes parures des In­diens,

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4 FEBRUARY 1761.

Wij W I G B O L D CROMMELIN, Gouverneur Generaal over de Colonie Suriname, Rivieren en Districten van dien, mits-gaders Kolonel over de Gezamentlijke Militie dezer Lande &c. &c. &c.

en de Raden van Politie en Criminele Justitie der voorsz. Colonie &e. &c.

Allen de genen die dezen zullen zien ofte hoo-ren lezen, SALUT! doen te weten: als dat bij ons in overweging genomen zijnde, het veelvuldige Vrijgeven van Slaven en Mulatten; het Accrosse-ren van dien, en de menigvuldige kwade gevol-gen, die veeltijds daar uit voort komen, aangezien dezelve gemanumitteerd zijnde, zich veeltijdsy ontzien om zich evenwel met dienstbarep mengen, door dronkenschap en kwade dezelve te debaucheren, tot groot nad genaren.

Zoo IS НЕТ: dat wij deze zaa overwogen hebbende, hebben go -volgende Reglement ten opzi Personen te Publiceren,

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4 FEBRUARY 1761.

I.

Niemand zal vermogen, het zij wie het ook wezen mogte, eenige Mulatten ofte Negers te Ma-numittcren, het zij bij Testament, ofte anderzints, zonder voorgaande Permissie en de goedkeuringe van den Edele Hove van Politie &c. En dewelke ook niet aangenomen zullen werden, bevorens de zelve in Staat zijn haar kost te kunnen ten einde zij bij faute van dien, niet komen te vervallen ten lasten van de Colonie.

I I .

Die uit hunne Slavernije Gemanumittee wor­den, blijven echter gehouden, gelijk mede hare Kinderen en Decendenten, hunne Patronen en

Vrouwen, mitsgaders derzelver Kinderen en De-Kenten, alle Eere, Respect ende Reverentie te

I I I .

as de Gemanumitteerde zijn Patroon komen te slaan, injurien ofte eenige

te doen, daar van valabele blij-x:i weder in Dienstbaarheid

n van zijn gewezene Pa-

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D E S U R I N A M . 49

tes cou leurs , & por tent aux poignets & au deffus des coudes , des bracelets de la même mat ie re , à fix ou fept rangs ; & pour chauffure, elles ont à mi-jambe des bro­dequins de coton qui leur defcendent jus­qu'à la cheville du pied. C'eft plutôt une to r tu re pour el les , comme pour leurs en-fans qui en por tent auffi, qu'un o rnemen t ; car elles les ferrent d'une force extraordi­naire pour avo i r , difent-elles,la jambe bien faite. E t les hommes ont en outre de la t o i l e , dont j 'ai par lé , une grande ceinture autour des re ins , pour tenir un grand cou­teau fans fourreau.

Les hommes , ainfi que les femmes, font généralement parlant , d'un naturel affez doux & t imide: ils font hofpitaliers, quoi qu'affez indifférens : ils ne donnent pas leurs fervices pour r i en , mais ils ne les met tent pas à un fort haut p r ix ; peu de chofe les contente parce qu'ils eftiment ce peu beaucoup. Par exemple , un coûteau , quelques hamecons , un fufi l , une hache eft un peti t tréfor pour eux. Avant qu'ils con-nuffent nos monnoyes , & la valeur de fo r & de l 'argent, ils auroient donné un fac plein d'or pour les articles ci-deffus mentionnés. Mais ils font mieux inftruits à préfent , & c'eft une très grande faute de la part des Euro­péens de leur en. avoir tant appris. Si

Tome I. D

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D E S C R I P T I O N

Les caraïbes por tent la jaloufie à un fi haut degré comme on les en accufe, il ne faut pas en être extrêmement furpris; car je

crois que nous le ferions autant q u ' e u x , fi on vouloit prendre avec nos femmes des

libertés à nous feuls refervées. C 'e f t donc une preuve qu'ils aiment véritablement leurs femmes & leurs enfans. On peut encore ajouter que malgré leur indifférence , ils aiment tous ceux qui fe font déclarés leurs amis & qui leur font quelque bien. Ils font tous menteurs , & c 'e f t un de leurs plus grands défauts ; au f f i ne s'en corrigent-ils jamais. E t quoiqu'ils paroiffent fort fimples, ils ne laiffent pas de connoître leurs intérêts & d'être fourbes & diffimulés. Ils font ftupi-des & adonnés à l ' ivrognerie , fans g o û t , fans politeffe, fans re l ig ion, & d'une in­dolence & d'une infenfibilité qui rend leur vie unie & languiffante, & ne fournit rien que d 'ennuyant : gens , en un m o t , qui font accoutumés à vivre à leur gré & à leur fantaifie.

50

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D E S U R I N A M . 51.

C H A P I T R E V.

Des différentes armes de ces Nations , de

leur ftructure, et l'adreffe finguliere

que ces peuples ont à s'en fervir.

L E U R S armes ne confiftent qu'en a rcs , flèches, maffues ou b o u t o n s , & un

couteau tout nud. Ce n ' e f t pas que l'ufa-

ge du fufil leur foit tout-à-fait inconnu,

puisqu'il y en a même qui t irent fort a-

droitement ; mais ils font rares : ils ne

pourroient pour la plûpart s'en fervir , fans

courir rifque de le faire crever en t re

leurs mains , parce qu'ils ignorent parfaite­

ment la force de la p o u d r e , & par confé­

quent la maniere de le charger.

Les arcs dont ils fe f e rven t , on t fix

pieds de long , & font d'un très beau bois

fouple , péfant , compacte & fort d u r , ap­

pellé bois de Le t t r e .

Ils ont deux efpeces ou fortes de fle­

ches , les unes de rofeau, de la longueur

de trois pieds & d e m i , y compris la poin-

te de fer qui y eft entée & fortement atta-

D 2

Des arcs.

De leurs fleches.

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52 D E S C R I P T I O N

chée avec du fil de coton. Le refte du ro ­feau eft tou t u n i , il y a feulement une en-tailiure au b o u t , afin d'empêcher qu'elle ne gliffe ou n'échappe de la corde quand on la tire. Ils les ornent très fouvent avec des plumes de perroquets refendues & col­lées à fix pouces près du bout . Lorfque ces fleches font une fois entrées dans le corps de l 'ennemi , il n 'y a plus moyen de les en re t i r e r , fans excorier ou déchirer les chairs.

Les autres qui font faites de bois de pal­mie r , ne font pas plus groffes qu'une très pet i te p l u m e , & ont exactement quator­ze pouces de long ; elles fe terminent en pointe au f f i affilée que la plus petite ai­guille.

: Ils ont coutume d'empoifonner les unes & les autres ; mais particulièrement ces der­nières , en en trempant l ' ext rêmité , à la hau­teur de deux pouces , dans le fuc extrait

(a) On donne ce nom à un arbre qui eft de ,la hau­

teur du plus grand noyer. Son bois eft très beau , d u r ,

compacte , marbré de veines noirâtes ; fes feuilles ref-

femblcnt à celles du poirier; elles font laiteufes en de­

dans ; fes fleurs ont la forme d'un épi long d'environ

quatre pouces, & font d'un fort beau rouge. A ces

fleurs fuccedent des fruits de la groffeur & de la figu­

re de nos pommes d 'ap i , qui ont une allez bonne o-

De leurs fleches emploi-

fonnses.

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D E S U R I N A M . 53

d'un arbre appelle Mancélinîer ( a ) , qui eft fo r t beau , mais bien dangereux. Auffitôt qu'on y fait une incifion, il en fort une fubftancc laiteufe & mordicante , remplie -de parties fi volat i les , que le poifon en eft des plus p r o m p t s , comme des plus vio­lents . Il fe conferve même fort long- temps, dans les fleches qui en font imprégnées , comme je l'ai éprouvé moi- même fur dif­férents amimaux que j 'ai tirés avec quel­ques-unes, (qu 'un de mes amis gardoit de­puis quatre ou cinq ans) & qui font tous morts une demi-heure après de leurs bief-fures. J'ai ces mêmes fleches encore chez m o i , & je ne doute nullement que le venin n 'y fubfifte encore dans pref­q u e toute fa force ; ce qui doit faire augu-re r combien il eft pernicieux quand il eft r e c e n t : ce que confirme l 'expérience fui-vante .

Pour en convaincre les Efpagnols, un Roi Indien bleffa très légèrement d'un coup de fleche empoifonnée, un enfant de dou-

deur : leur chair eft empreinte d'un fuc fort blanc, ,

femblable à celui de l'écorce & des feuilles. O n appel­

l e , à ce qu 'on pré tend , ces fruits, pommes de mance-

nilles, mais qui empoifonnent ceux qui ont le mal­

heur d'en m a n g e r : cet arbre croît au bord de la

mer.

D 3

Expé­rience funefte, du poifon de ces fleches.

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5 4 D E S C R I P T I O N

ze ans fort fain, à l 'extrêmité d'un doigt du p ied , & ordonna tou t de fuite aux Chirurgiens qu'il avoit eu foin d 'appeller , de lui amputer la jambe au deffus du ge­n o u : ce qui fut à peine fai t , que les En­voyés des Efpagnols virent expirer l'en­fant , non par les fuites de l 'opéra t ion, comme cela fût vérifié ; mais par l'effet du poifon qui s'étoit fubitement répandu dans la maffe du fang, & avoit rapidement ga-gné les parties nobles , avant qu'on eût pu y apporter aucun fecours.

Ces peuples font d'ailleurs d'une adreffe extrême à décocher leurs fleches, & vi-

-fent parfaitement à une diftance de plus de foixante pas ; auffi tou t leur divertiffe-ment confifte à s'y. exercer : mais ce qu'il y a de plus furprenant , ce font les en­fans qui s'y exercent de fort bonne h e u r e , & n 'ont point d'autre amufement dans leur plus tendre jeuneffe que de faire la chaffe aux petits oifeaux, fans prefque ja­mais en manquer un : de forte que tout pareffeux que je les ai dépeints , ils ne re­doutent nullement leurs ennemis , par la confiance qu'ils ont en leur propre dex­tér i té . Mais auffi ne font-ils nul quar-lier à ceux qui tombent entre leurs mains ; ils ne réfervent que les femmes & les en-

De l'a-dreffe de ces peu-ples à de-cocher leurs fle-cbes.

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D E S U R I N A M . 55

fans qu'ils vendent enfuite aux Européens comme des Efclaves. Ils boucannent & dévorent comme des bêtes féroces les corps de leurs ennemis.

Ils ne fe fervent point d ' a r c , pour ti­rer les petites fleches de bo i s ; mais d'une

farbacane , par le moyen de laquelle ils foufflient à plus de cent vingt pas. Cet inftrument eft fait d'un rofeau naturel & c r e u x , long de neuf à dix p ieds , de la groffeur d'un bon p o u c e ; & pour que la fleche puiffe atteindre à un fi grand éloi-g-nement,à caufe de fa grande légére té , ils en enveloppent le gros bout de co ton non filé , qui la fait entrer avec un peu de difficulté, dans, la farbacane; ce qui com­primant l'air la fait fortir en foufflant d'une rapidite furprenante , fans quoi il ne feroit pas poffible de faire traverfer un fi grand efpace.

Leurs maffues ou boutons font faites d 'un bois très-dur & fort pefant : elles ont près de deux pieds & demi de l o n g , font plates & épaiffes de trois pouces, ils y gravent différents deffeins très fin-guliers , qu'ils rempliffent de diverfes cou­leurs. Ils y attachent une corde de co­ton , pour y paffer la main , de peur qu'elle ne leur échappe dans le combat ;

De leur farba-cane.

Des maf-fues ou boutons.

D 4

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5 6 D E S C R I P T I O N

& il n 'y a certainement pas de coup de cet te a rme qui ne caffe un b ra s , ou n'en­fonce le crane ; auffi eft ce celle qu'ils re­fervent pour fe combattre corps à co rps , lorfqu'ils on t épuifé toutes leurs fleches: car ils ne fe fervent du cou teau , dont j 'a i pa r l é , que lorfqu'ils font i v re s , & qu'ils p rennent difpute entre eux.

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D E S U R I N A M . 5 7

C H A P I T R E V I .

Des habitations des Indiens, de leur difcipline

et de leur économie.

COMME je ne me fuis propofé de parler

que de ce qui concerne Surinam &

fes cô t e s , je me bornerai conféquemment à

ce que j'ai dit des Indiens ou Caraïbes en

généra l , pour me reftreindre à ce qui con-

cerne ceux avec lefquels nous entre te­

n o n s , comme je viens de le dire dans le

chapitre p r é c é d e n t , une parfaite harmo­

nie.

Ce peuple change fouvent de demeure ,

& ne paroît pas d'un efprit fort ftable à ce

fujet; j ' ignore cependant fi c'eft par in-

conflance ou par précaut ion; mais à peine

ont-ils formé leur bourg ou village dans un

endro i t , qu 'on les en voit fouvent partir

pour aller s'établir ailleurs.

A l'égard de leur difcipline, fi elle n'eft

pas la même que chez les Nations civili-

fées , on peut cependant dire qu'il y ré­

gne un ordre qu'on ne devroit pas en at­

tendre.

D 5

De leur difcipli­ne.

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58 D E S C R I P T I O N

Chaque bourgade (ou village) eft com­pofée de plufieurs familles, dont le nombre peut a l ler , tant en hommes qu'en fem­m e s , à vingt ou trente perfonnes fubor-données à un chef, appellé en leur langue Grandman, qu'elles reconnoiffent pour leur Capitaine; & aux ordres duquel , en cas d'allarme , tout le monde eft fur p ied ; ceux qui ne font point en état de por te r les armes , vont fe met t re en lieu de fu­re té .

Leur d e m e u r e , c o m m e je viens de le di­r e , eft fort incertaine. Tan tô t ils habitent les bo i s , tantôt les rivages de la m e r , tan­tô t dans les Plantages, & tantôt quelque crique. Leurs maifons qu'on appelle Car-

bets , ne coûtent pas beaucoup , parce qu'ils font eux-mêmes les architectes & les ouvriers . Elles font faites de plufieurs fourches plantées en ter re de diftance en diftance, d'un affez mauvais bo i s , fur lef­quelles on met les fablieres 6c le faîte ou fommet : on pofe enfuite les chevrons fur l e t o u t , & on y met pour lattes des ro-feaux ou des pieces de palmifte r e fendu , que l'on couvre de feuillages ou de têtes de rofeaux, fi près à près & fi ferrés que la pluie ne fauroit pénétrer . Ils y entrent par une petite ouver ture , qu'ils y on t ménagée : voilà tou te leur habitation qui

De leurs bourga­des.

De leurs habita­tions.

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D E S U R I N A M . 59

bien fouvent eft la maifon commune de tou te la communauté ; fa grandeur répond au nombre de perfonnes qui y doivent lo­g e r , & par conféquent y travailler.

Si c'eft dans les bois qu'ils ont deffein d'établir leur domicile , les hommes alors préparent un t e r r e in , pour y planter de la Caffave ou Manioc, des Patates & du Ma-his ou bled de T u r q u i e , autant qu'il en faut pour leur entret ien. Par intervalles ils von t à la chaffe & à la pêche , ils s'occu­pent auffi à faire des canots & des armes. Leur adreffe pour la pêche eft merveilleu-f e ; ils fe fervent de la fleche pour percer le poiffon quand les rivieres ne font pas t rop profondes , ou que le poiffon ne paroît qu'à un ou deux pieds fous la furface de l'eau ; ils pêchent auffi à la ligne dans la mer & dans les rivieres. Lorfqu'ils veulent faire de grandes pêches , ils environnent les cri­q u e s , & ils y prennent autant de poiffons qu'ils veu len t ; & voici leur méthode. Ils ont un certain - bois verd ( a ) qu'ils écra-fent en petits morceaux , & le je t tent dans

(a) O n appelle ce bois Aftragalus incanue frutecens,ve-nenatus, floribus purpureis, C'eft une petite plante qui

pouffe de petites t iges, fimples, creufes, rougeâtres ,

revêtues de petites feuilles cour tes , po in tues , velues

& fort ameres. Sa racine eft longue d'environ d 'un p ied ,

& auffi groffe que le poignet.

Des oc-cupatons des in­diens.

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60 D E S C R I P T I O N

l 'eau: l 'odeur en eft fi forte que dès que les poiffons la fen ten t , elle les enivre tel­lement qu'ils viennent fur l'eau tout étour­dis , fans ceffer cependant de frétiller: au contraire, il femble que cela les y excite da­vantage ; mais ils ne s'en laiffent pas moins prendre à la main.

Ils von t ordinairement à la pêche dans leurs p i rogues , qui eft un petit c a n o t , de neuf à dix pieds de l o n g , fimiffant en poin­te par les deux b o u t s , qui font plus élevés d 'environ quinze pouces que le mil ieu, qui a quatre pieds de large. La pirogue eft ordinairement garnie de neuf planches, en forme de bancs , diftantes l 'une de l'au­t re de huit pouces ; & de deux petits m â t s , ayant chacune leur voile quar-rée .

Quand ils reviennent de la pêche ils ne fongent qu'à fe repofer , ils paffent le temps couchés tranquillement dans leurs hamacs, avec du feu a u t o u r , tandis que les femmes font occupées à boucanner les poiffons & aux foins du ménage.

Les femmes de leur côté ne font pas fi pareffeufes que les hommes , car elles font toujours occupées aux foins du ménage , & à faire toutes fortes de petits ouvrages , comme des paniers de fins rofeaux , des

Des pi-ro¿ues.

Des oc-cupation des fem-mes.

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D E S U R I N A M . 61

pagaies, toutes fortes de vaiffelle de t e r r e , & enfin des branles ou hamacs.

Les paniers ou corbeilles que font ces f e m m e s , o n t toujours une longueur du dou-ble de leur largeur , quoique de diverfes fo rmes ; l 'emportent par la fineffe & par la propreté fur tous nos ouvrages de vanner ie ; & font deftinés à met t re leurs petits ouvrages ou leurs provifions de fruits.

Les pagaies font des, efpeces de man­n e s , faites d'un rofeau plus groffier que celui des corbeilles; elles ont pour l'ordi­naire depuis- trois jufqu'à cinq pieds de l o n g , fur deux de largeur , & autant de p r o f o n d e u r . On s'en fe r t , communémen t , en guife de coffre , lorfqu'on voyage , pour tranfporter un branle & quelques hardes ; & on peut les fermer avec un ca-denat. La vaiffelle chez e u x , confifte en tou tes fortes de p o t s , de plats & de jat­tes de t e r r e , prefque auffi durables que le cuivre , fabriqués de la façon fuivante. Les femmes (car comme j 'ai dit plus h a u t , c'eft leur occupa t ion , ) prennent une certai­ne quantité de cendres de l 'écorce d'un ar­b r e , connu dans cette contrée fous le nom de Kweepi, qu'elles paffent au travers d'un tamis bien fin, & qu'elles mêlent en-fuite avec de la bonne terre graffe, pour

Des pa-niers ou corbeil­

les.

Des pa­gaies.

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62 D E S C R I P T I O N

en former tous les uftenciles indiqués ci-deffus ; qu'elles font d'abord fécher à l 'air , après quoi elles les met ten t au four pour les cuire , & leur donnent un très beau vernis.

Les pots à l'eau qu'elles f o n t , font d'une grandeur prodigieufe , car il y en a qui contiennent entre les quatre à cinq ancres ; & il n 'y a pas de maifon en Vi l le , ni aux Plantages, où il n 'y en ait au moins trois ou q u a t r e , pour y conferver l'eau de pluie qu'on boit journel lement , qui s'y purifie & s'y maintient auffi fraîche que fi elle fortoit d'une glaciere.

Les hamacs , nom que tous les Indiens donnent à leurs lits , que nous appel­ions branles , font faits d'une piece de toi­le de c o t o n , qui a fix à fept pieds de l o n g , fur douze à quatorze de la rge , dont chaque bout eft partagé en cinquante parties & mê­me p lus , enfilées dans de petites cordes , pareillement de c o t o n , bien filées & bien to r fes , qui ont chacune deux pieds & de­mi de l ong , & qu'on appelle rabans. T o u ­tes ces petites cordes s'uniffent enfemble au bout de la piece , pour former une bou­cle , où l'on paffe une corde que l 'on atta­che à deux c rampons , fichés dans leurs carbets à deux po teaux , ou à des arbres fi leurs maifons ne font pas encore bâties,

Des pots à l'eau.

Des ba­macs.

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pour fufpendre le branle à une certaine élevation de te r re .

Ce qu'il y a de commode à ces fortes de l i t s , c'eft que leur peu de volume en rend le tranfport très facile ; qu'en out re on y dort plus au frais que dans les n ô t r e s , & qu'on n 'y a befoin ni de couver tu res , ni de l inceuls , ni de mate la ts , ni même d'o-reillets. On y eft au furplus à l'abri des puces & des punaifes. Il y en a , comme je viens de le d i r e , dans toutes les maifons des Européens habitués , qui les préferent à nos meilleurs l i t s , quand ils font accou­tumés d'y couche r ; & qui s'en muniffent quant ils vont à leurs Plantages. Mais quelque communs qu'ils fo ient , ils ne laif­fent pas de coûter depuis c inquante , qui font les moindres , jufqu'à cent t rente flo­rins de Hol lande; ce qui fait pour ces der­niers trois cents livres de France.

La maniere de bien étendre un b r an l e , eft d'éloigner les deux ext rêmi tés , l 'une de l ' au t re , de forte qu'avec fes cordages il faffe un demi-cercle , dont la diftance, d'un bout à l 'autre , foit le diamètre ; enfui­te on l'éleve de terre de maniere à s'y pouvoir affeoir, comme fur une chaife un peu hau te ; on fe jet te dedans, on s'y al­longe , & l'on eft couché comme dans le meilleur lit.

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La principale nourr i ture de cette Natif on confifte en gibier , poiffons frais & bot-cannés , en crabes, & en chair de tortue T o u s articles dont je traiterai féparé ment dans un autre endro i t , n'ayant de: fein de parler dans le Chapitre fuivant qu de ce qui leur tient lieu de pa in , comme de la caffave ou manioc, des patates, & mahis ou bled de Turquie, & enfin de leu boiffons ordinaires.

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C H A P I T R E V I I .

DE la Nourriture des Indiens en général.

L A maniere d'accommoder leurs viandes eft certainement la plus fimple & la

plus naturelle. L'ufage des épiceries, fi pernicieux aux E u r o p é e n s , ne s'eft point encore introduit chez ce peuple. Ils man­gent leurs viandes & les poiffons bouillis à l'eau. Ils les boucannent ou les font gril­l e r ; le plus fouvent ils étendent les viandes & le poiffon fur le charbon , les retour­n e n t , & ne les mangent point qu'elles ne foient bien cuites. Ils fe fervent pour íes boucanner d'une efpece de gril de bois éle­vé de deux p ieds , fous lequel on a fait un t rou en t e r r e , pour y faire un feu médio­c r e , qui deffeche infenfiblement la viande & la cuit lentement ; l 'odeur de fumée qu'el­le contracte , ne les incommode en aucune maniere.

Ils ne font gueres ufage de fel , mais ils ufent par-contre d'une quantité prodigieufe de poivre ou de piment. Cette maniere fimple de préparer les m e t s , me feroit croire fans me t r o m p e r , que c 'ef t à cette

Tome I. E

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vie fimple qu'ils font redevables de leur fanté robufte & de leur longue vie dont ils jouiffent.

L 'on peut dire que la caffave eft; dans ce pays la fource de la vie & de la m o r t , par-ce qu'il y en a de deux fortes; l 'une qui eft bonne à manger , & l'autre qui eft un poifon des plus mor te ls : deforte qu'il eft très important de les fçavoir bien diftin-guer.

Les Naturels du pays appellent la pre-miere caffava tout c o u r t , la feconde bit-ter caffava. On cultive la premiere dans pref-que toutes les Plantat ions, & elle fert de nourr i ture aux Efclaves noirs.

Les Directeurs des Plantages n'ofent point cultiver la feconde, fans la permis-fion de leurs maîtres qui font très refervés fur cet ar t ic le , à caufe du rifque qu'ils pourroient cour i r , lorfqu'ils achetent des Efclaves nouvellement arrivés Afrique ; lefquels étant très affamés pourroient en manger , faute de la conno î t r e , & en être empoifonnés , comme cela eft arrivé plus d'une fois.

La plante tant de l 'une que de l ' au t re , croît à la hauteur d'environ fix pieds , en forme d'arbriffeau , rempli de tiges rabo-teufes ; fes feuilles font larges & pyramida­les ; la tige principale eft un peu ugeâ t re ,

D e la caffave ou ma-nioc.

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D E S U R I N A M . 6 7

fa racine qui eft de la groffeur du poî-gnet, s'étend aux environs d'un pied ou UN

pied & demi. Ce qui diftingue la feconde efpece de la p remiere , c'eft que fa tige tire

beaucoup fur le cramoifi, & que fa racine eft d'un tiers, plus greffe; -mais ces indica-

tions peuvent induire à e r r eu r , d'autant plus qu'il arrive que la racine de l 'une & de l ' au t re , étant hors de t e r r e , fe reffemblent

fouvent en cou leur , groffeur & longueur ; & conféquemment ceux qui ne la connoif-fent pas par fa i tement ,peuvent y être trom-

pés. Il y en a une plus fûre & qui carac-térife indubitablement la b o n n e : la voici.

Celle que l'on fait rôtir dans les cendres chaudes, & que l'on mange avec du beur-r e , qui eft non feulement b o n n e , -mais ex-cellente & préférable au pain en ce qu'el­

le le a le véritable goût de la chataigne, a EN dedans, d'un bout à l ' au t re , un filament de la groffeur d'une p lume , que l 'on EN

extrait parce qu'il n'eft pas bon à manger : dans l 'autre on t rouve le même filament, mais il ne va pas à la moitié de la r ac ine , & n'excede pas un gros fil double : c'eft ce qui les diftingue , à ne pouvoir s'y mé-prendre ,& à quoi il faut véritablement

s'attacher. Quelque vénimeufe que foit cette DER­

n ie r e , les Créoles comme LES INDIENS, NE E 2

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68 D E S C R I P T I O N

laiffent pas d'en faire des galettes ou petit

gâ teaux, qu'ils préparent de la maniere fui

v a n t e , pour lui faire perdre fa mauvaife

qualité.

Ils rapent cette racine toute c r u ë , fuel

une grage ( a ) , & après en avoir expriman

le fuc qu'elle contient dans une couleuvre

Caraïbe ( b ) , ils l 'expofent au foleil pen

dant quelques heu res , puis ils en font de fa

galet tes , qu'ils font cuire ou rôtir fur de

platins de fer. Elles deviennent alors d'un

blancheur extraordinaire : on en mange a

deffert, & on les regarde comme un met

fort délicat.

Ce qu'il y a encore de plus furprenant

(a) La grage eft une planche de quelque racine o

cuiffe d'arbve, dans laquelle on a fiché de petit

éclats de cailloux fort a igus, qui forment une efpece

de rape.

(b) La couleuvre Caraïbe eft un inftrument cylindre

q u e , de quatre pieds de l o n g , quand il, eft vu ide ,

de quatre à cinq pouces de diametre. Il eft compofe

de pieces de rofeaux refendus, ou de lataniers, ¡mu

ou treffés en forme de chauffe. O n fou le , on preffe

le man ioc , à mefure qu 'on le fait entrer dans la cou

l e u v r e , ce qui augmente beaucoup fon diametre e

même temps que fa longueur diminue ; mais le poid

qu 'on attache à l ' ex t rêmi té , la fait allonger en di

minuant fon diametre. Ce qui ne peut arriver qu'en

exprimant, le fuc.

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D E S U R I N A M . 69

E 3

c ' e f t q u e , comme ces peuples cherchent à met t re tout à profit , ILS font du fuc même de cette pernicieufe plante une compofiti-on qu'ils appellent caffiripo , qui eft UNE

fuefpece d'extrait ou coul is , en y ajoutant une fuffifante quantite du poivre Indien que

nous appelions capifcum , pour l'épaif-ICNFIR; puis ils le mêlent dans toutes fortes de

fauces, pour donner du haut goût. Il n 'y a en effet rien de plus agréable & de plus un appétiffant que ce coulis. Sans doute que

dans la premiere opéra t ion , le foleil & le feu defféchant le fuc de la p l an te , en ret ire le venin qui y réfide ; & que dans la fe-conde , le poivre a la vertu de le détruire.

Quoi qu'il en foit , plufieurs de mes amis m'ayant affuré que ce coulis étoit d'un goût exquis , je voulus l 'éprouver ; mais

pec j 'en eus la bouche fi vivement affectée , pendant plus de deux heures , que l 'envie me paffa d'en faire ufage comme e u x : & quelque affurance que m'aient donné plu-fleurs vieux C o l o n s , qu'on pouvoit fans aucun danger manger de cette racine bien rôtie , jufqu'à entiere exfication, je n'ai point été tenté d'en faire l ' ép reuve , après celles que j 'ai faites de ce terrible poi-fon , tant en nature que diftillé : & que voici.

E 3

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I.

J'ai fait avaler à un chien de trois femai-n e s , une dragme, qui eft la huitieme partie d'une o n c e , du fuc récemment exprimé de la racine de cette caffave amere , & à peine l'eut-il dans le co rps , qu'il fit des efforts confidérables mais inutiles pour le rejet-t e r ; deux minutes après il ne fit que tourner de côté & d 'au t re , & fe trouva dans des angoiffes terr ibles, qui furent fui-vies de convulfions, dans lefquelles il ex­pira au bout de trente-deux minutes.

I I .

J'ai mis dans un vafe une demi-once du même fuc , & un jeune chat qui en but une partie enfla tout de fui te , fit à peu près les mêmes mouvemens du ch ien , & mourut en douze minutes.

I I I .

Un plus grand chat qui en avoit avalé cinq parties d'une once , fit inutilement tous les efforts poffibles pour le re je t ter ; trois minutes après les pattes de devant lui devinrent ro ides ; il commença à faliver , & les mouvemens convulfifs l 'emporterent en dix-huit minutes.

Expé-riences funes­tes du fur de la caf-

fave ame­re.

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D E S S U R I N A M . 71

I V .

En ayant fait p r e n d r e , par fo rce , à un

chien de b o u c h e r , une once & demie , il

tomba deux minutes après par t e r r e , fît

les hurlements les plus ter r ib les , accompa-

gnés d'efforts pour v o m i r , en vint effec-

t ivement à b o u t , & le t rouva par ce mo-

yen un peu foulagé; il fe r e l eva , comme

pour s 'échapper; mais à peine fut-il fur fes

quatre pattes , qu'il retomba tournant de

côté & d'autre & les yeux égarés & lar-

moyan ts : il commença enfuite à fa l iver , &

après de nouveaux hurlements , plufieurs

mouvements convulfifs, & une abondante

évacuation d'urine & de matiere fécale , il

mourut au bout de trente-deux minutes.

J 'ouvris chaque animal, l 'un après l'au-

t r e , & je leur trouvai dans l 'eftomac, la

même quantité de fuc qu'ils avoient p r i s ,

fans aucun changement de couleur.

Je n'appercus pas la moindre altération

dans les vifceres ; point de figne d'inflamma-

t i o n , ni aucune coagulation dans les vaif-

feaux languins : ce qui me convainqui t ,

qu'en général ce poifon n'agit que fur le

genre nerveux par fon extrême acrimonie ;

de forte que la mort eft inévi table , dès

qu'il eft une fois dans l 'eftomac; à moins

qu 'on n'ait recours au remede qui f u i t ,

E 4

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72 D E S C R I P T I O N

&. dont j 'ai fait l ' épreuve , comme on va le voir.

J'attachai un chat fort & robufte , & lui fis avaler par force une once & demie de ce même fuc; trois minutes après il eut des anxiétés terr ibies; à la quatrieme minu­te il fît nombre d'efforts pour vomi r , qui furent tous inuti les; & je m'appcrçus qu'il auroit pirouetté comme les autres , s'il n 'eût été ga r ro t t é ; fon eftomac enfla, & fes pattes de derriere devinrent roides , ce qui fut fuivi d'une forte falivation. Je lui fis alors avaler une once d'huile chaude de n a v e t t e , qu'il rejetta tout auffi-tôt avec une partie du fuc; fe t rouvant par-là foula­ge il repofa deux minu tes , & recommen­ça enfuite à vomir tout le fuc; ce qui fut fuivi d'une abondante évacuation d'excré­m e n t s : après quai je le détachai , & il le fauva à toures jambes.

Par cette expérience on voit qu'il eft aifé de fauver quelqu'un qui auroit mangé de cet­te racine. Mais ce qu'il y a de plus furpre nant c'eft que ce poifon n'agit point fur les v e r s ; car en faifant l 'ouverture du chien de bouche r , je trouvai dans fon eftomac deux grands vers qui nagoient dans ce fue. Je les en t i ra i , & les remis dans une plus grande quantité de tout récemment extrait; ils y vécu­rent jufqu'au fixieme jour , & même augmente-

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DE S U R I N A M . 7 3

rent de plus d'un tiers en grofleur; mais comme le fuc commença à fermenter au bout de ce t emps , & à devenir féreux, ils y périrent. Sans doute que fi je les en euffe fort is , pour les remet t re dans du nouveau , qu'ils auroient vécu davanta­g e ; & que loin de leur être pern ic ieux, il leur étoit falubre , puisqu'ils y avoient profité.

Voyant donc que ce fuc ne pouvoit pas fe conferver un plus long efpace de t emps , je portai mes expériences plus lo in ; & je formai le deffein d'en tirer un alkobol vola­til , par la voye de la diftillation. Je pris donc à cet effet cinquante livres de ce fuc récemment expr imé, que je mis diftil-1er dans un alambic pour en tirer l'efprit par gradation : la premiere opération ni fournit trois onces d'alkohol volatil ; je chan­geai alors de réc ip ien t , & j ' en tirai une quatrieme once moins forte ; puis en agis-fant encore de m ê m e , une cinquieme once qui fe t rouva fans odeur ; & je renouvellai mes épreuves.

Je fis avaler plein une cuiller à caffé, des trois premieres onces , à un chien d'un an , lequel tomba tout de fuite en fyncope, puis fit des hurlements affreux, & tomba dans les convulfions les plus terribles , accom­pagnées d'une abondante évacuation d'u-

E 5

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r i n e , & mourut en moins de cinq minutes.

J e voulus réiterer ou plutôt continuer

mes épreuves , mais ce que j 'avois tiré dans

la feconde & troifieme opération ne fe trou­

va nullement vénéfique: ce qui prouve

que le poifon n'exifte que dans les parties

volatiles du fuc de cette p lan te , lequel

étant donné à quelque animal que ce fo i t ,

agit fi rapidement & fi puiffamment fur les

parties nerveufes , qu'il en arrête fuccef-

fivement le mouvement &caufe la mort ,

Voici maintenant la culture de ces deux

-plantes. J'ai dit précédemment qu'elles

viennent en arbriffeaux; mais on ignore

qu'elles proviennent de bouture ; & voici

comme on s'y prend.

L'on fait une foffe d'environ un pied

& demi de l o n g , & de fix à fept pouces de

profondeur ; on y couche deux branches

ou deux morceaux de branches de l'arbrif-

feau , de dix-huit à vingt pouces de long ,

dont on laiffe un bout de l'une hors de ter­

r e , après quoi on les recouvre de la mê­

me terre qu'on a tirée de la foffe ; & au

bout de quatorze ou quinze mois la plante

eft, comme je l'ai o u ï - d i r e , dans toute fa

grandeur & fa maturité.

Les pattates font des fruits qui ont beau­

coup de reffemblance avec nos pommes de

ter re . Il y en a de trois efpeces ; de blan-

De la culture de la caffave

Des pat-tates.

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DE S U R I N A M . 75

chés , de rouges , & de jaunes , qui toutes font de différentes formes , rondes , ovales ou bicornues , & qui ont depuis deux jus­qu'à cinq pouces de diametre ; leur peau eft mince , u n i e , fans chevelure ou filaments. Les rouges ont le dedans, comme la p e a u , couleur de chair ; & les blanches, ainfi que les jaunes , ont la peau grife, & le dedans blanc ou jaune. C'eft la nourr i ture ordinaire des Neegres, qui en général eft fort légere , & par conféquent de facile digeftion, quoique très fubftantielle.

Ces trois efpeces fe multiplient ou de b o u t u r e , ou en mettant les fruits mêmes en terre dans un temps pluvieux, & le en recouvrant d'environ quatre pouces. Il leur faut depuis trois jufqu'à quatre mo i s , pour parvenir à parfaite matur i t é , & elles demandent une terre fort légere. On les fait ordinairement cuire avec dé la vian­de , & elles t iennent lieu de pain ; mais les Indiens & les Efclaves noirs les mangent le plus fouvent cuites à l'eau ou é tuvées , avec du poiffon boucanné , où ils ajoutent beaucoup du piment qui eft d'une force à enlever la bouche.

Le mahis ou. bled de Turquie, eft encore une très bonne nourr i ture pour ce peup l e , qui le cultive de la maniere fuivante.

Après qu'on a préparé la t e r r e , on fe

Du ma­his.

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conten te de faire des t r o u s , avec un pe Il b â t o n , & on laiffe tomber dans chaqu'un deux ou trois grains de mahis ou de mies ; (car ils le fement de même) enfuite ont remplit le trou de t e r r e , en comprimain celle qui eft à côte. Il eft furprenant c o o f f e bien les volailles qui font nourries de cet m graine font graffes, fermes & fucculente on en donne auf f i aux chevaux ; mais deviennent pouffifs. Ces peuples en rôtes fent les épis ent iers , quand il eft encore tendre & plein de la i t , & les mangent avec grande délicateffe. lis

Les Créoles blanches font de fa farine excellent tomton ou efpece de poud in , que , les Anglois appellent boudin; qu'elles foi enfuite cuire avec de la viande falée, de poiffons boucannés , à quoi elles ajoute

de l 'ocre (c) du piment en affez quantité , & autres drogues fembles puis ils !e mangent à la mode des Indiens des Efclaves. no i r s , fans cuiller ni fou c h e t t e , mais purement avec les doigts maniere q u i , felon e u x , le rend plus délica Cependant quelque bonté prétendue qui cela lui d o n n e , cette façon de le mange eft capable d'ôter l'envie d'être leur con menfal.

(c) Voyez ce que c'eft dans le Chapitre des plant

potageres.

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DE S U R I N A M . 77

Il eft vrai que les excès dans la boiffon toujours été en ufage chez ces peu-

e s ; ils boivent outre m e f u r e : quand ils ont m o r t s - i v r e s , ils s'excitent à r e n d r e ,

main de recommencer à nouveaux frais. La poiffon ordinaire des Indiens fe prépare de cet maniere fuivante. Ils met tent dans un

e ces grands p o t s , dont j 'ai pa r l é , plu-lis eurs galettes de caffave , des pattates & s oranges aigres , qu'ils laiffent fermenter avec une certaine quantité d'eau, pendant quelques j o u r s , & qu ' i l s paffent par un ta-

lis avant que d'en faire ufage. On m'a ffuré que cette boiffon, quoique fort agréa-

l e , eft affez forte pour enivrer.

De leur boiffon.

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78 D E S C R I P T I O N

C H A P I T R E V I I I .

De leur culte, de leurs mariages , de l' couchement des femmes , des médicame en ufage dans le pays, et de leurs o ques.

L A religion de ces peuples eft un mifte qu'il n'eft pas facile de péné t re r , fi

pofé même qu'ils en ayent u n e , ou p fleurs. Mais je fçais moralement qu'ils n'a m e t t e n t en général nul Chriftianifme : font tous idolâtres. La lune , le foleil, i é toi les , & toutes fortes d'animaux mêm font les objets de leur cu l t e : & qui que chofe qu'on ait pu faire pour leur culquer d'autres principes de religion , ra i fon temens , comme la fo rce , y ont choué.

La cérémonie de leurs mariages eft d plus fimples; car il fuffit que celui qui ve époufer une fille lui porte toute la chaf & la pêche qu'il a faite dans la j ou rnée ; elle reçoit ce p r é f e n t , c'eft une marqu qu'elle l'agrée pour fon m a r i : p o u r - l o elle a foin de lui préparer le foupé & de

De leur culte.

De leurs maria­ges.

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DE S U R I N A M , 79

apporter dans fon carbet ; après quoi fe retire chez elle : elle y re tourne ce-ant le lendemain pour fixer le temps

célébration de leur mariage. En at-ant le futur époux , avec fes parents ou

principaux amis , fait de grandes chaifes e grandes pêches. Le jour du mariage

v e n u , le futur époux va t rouver fa re époufe pour lui d i re : je vous ai fie pour ma femme ; cela fuffit pour l e le fuive tout auffitôt. E t c 'eft , je

par cette raifon, qu'ils prennent co-cment leur plus proche parente ,

-à-dire, leur coufine ou leur niece. Mais que peu de précaution qu'ils prennent

leur un ion , les femmes n'en font pas as affujetties à une obéiffance fervile. rs maris ont fur elles une autorité des-q u e , & elles ne font que leurs efcla-J ce qui eft fans doute une fuite de rit de liberté qui regne parmi ce peu-

lequel fouffre impatiemment qu 'on lle y donner la moindre atteinte. Auffi

amitié que les maris portent à leurs, m e s , rien ne difpenfe celles-ci du res-

que les premiers s 'a t t r ibuent; & elles ont pas plus de t ranquil l i té , de quel-maniere qu'elles s'acquittent de ces

endus devoi rs , expofées, comme elles ont journel lement , à tous les caprices

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80 D E S C R I P T I O N

de leurs é p o u x , q u i font , comme je l'a, nué plus h a u t , fort i n c o n f t a n t s , & qu le d ro i t , à la moindre phantaifie ou moindre foupçon d'infidélité, de les voyer ou même de les t u e r , fans pli formali té , ni fans appréhender d'en être pris ni châ t é s , Auffi la polygamie point connue chez e u x , par la liberté ont de fe féparer de leurs femmes q ils veu l en t , ou de s'en défaire & d'en dre d'autres à l'inftant. La feule ration qu'ils ont pour leurs femmes, de leur rapporter au re tour de leurs pagnes , les chevelures de ceux qu'ils tués , en marque de leurs viéloires, qu'elles s'en pa ren t , & publient par-là triomphes : ce qui tient plus de l'orguei de la vanité que de l 'amour.

Quelque amitié qu'un Indien ait pouj j f emme, elle n'a jamais la fatisfaftion de iijj, ger avec lui. Elle le fert au contraire va enfuite manger avec fes enfants. pendamment de ce que j'ai dit de la fa de manger des Indiens , qui n'eft pas des appétiffantes, il eft affez curieux de les v accroupis fur leur c u l , comme des finge, dans,leurs r epas , & manger très goulume fans fe dire un feul mot. Ils n 'ont po, d'ailleurs une heure fixée pour leurs repa

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DE S U R I N A M . 81

ils mangent quand ils ont faim, & boi quand ils ont foif.

Pour prouver encore davantage l 'état de vitude de ces pauvres femmes, & par féquent la vaine gloire de leurs maris,

eft à remarquer que lorfqu'une d'elles nt à accoucher, à peine a-t-elle mis au nde fon f rui t , qu'elle fe tranfporte à la iere ou à la crique la plus voifine pour laver ; & e l le-même s'y lave tout le s; pendant laquelle opération le pere

l'enfant fe met dans le hamac, qu'il y te pendant fix femaines pour fe repofer

peines qu'il s'eft données à procréer nouvel être ; & que pendant tout ce

nps , l'accouchée doit avoir tout le foin ménage. On le vifite pendant ce temps-& on lui témoigne qu'on prend beau-

ap de part à fes incommodités. Toutes femmes ont à vrai-dire une grande fa-té à accoucher; & pour peu qu'il fe pré-te la moindre difficulté , elles ont r e urs au fuc d'un certain arbre qu'elles noiffent, qui leur procure une h e u r e u f e prompte délivrance.

Elles allaitent leurs enfants jufqu'à l'â-de huit à dix mois , mais elles ne leí maillotent ni ne les bercent jamais; bien

de-là, car tandis qu'elles font occupées ménage, elles les mettent tout nuds par Tome I. F

De l'ac-couche-ment de leurs femmes.

De la fa-çon dont elles éle-vent eurs en-

'fants.

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De l'é­ducation des en­fants.

82 D E S C R I P T I O N

t e r r e , où ces petites créatures fe traînent & fe roulent à leur gré dans le fable ; a-yant pour principe que c ' e f t le vrai moyen de les accoutumer de bonne heure à la fa­tigue , & de leur procurer un tempérament robufte & femblable à celui de leur pere : & dès qu'ils peuvent tant foit peu fe fou­tenir , leurs meres les por ten t fur le d o s , où ils fe cramponnent à mervei l le , ou les por ten t fur un b ra s , jambe decà , jambe de­là. Outre le lait qu'elles leur d o n n e n t , elles leur donnent de tou t ce qu'elles man­gent elles-mêmes. Malgré ce peu de foin apparen t , ces enfants ne deviennent jamais boffus, ni de t r a v e r s , ni boiteux. E t je puis affirmer que pendant mon féjour à Surinam, je n'ai pas vu un Ind ien , mâle ni femelle , contrefait : ce qui prouve que ce t te maniere d'élever les enfants eft in­finiment préférable à celle d 'Europe , où l'on en voit une mul t i tude , ou difformes, ou mal bâ t i s , ou enfin qui ne peuvent pas fouffrir la moindre fatigue.

Quand ils font parvenus à un certain âge , on les éleve dans la même idolâtrie de leurs p e r e s , pour lefquels on leur in­cu lque , en même t emps , le refpect le plus profond, & d'être exacts & les fécourir & affifter dans leurs travaux,- devoirs dont ils s'acquittent tous très parfaitement.

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D E S U R I N A M . 83

Quoique nous regardions ces peuples comme des fauvages, il ne faut pas que nos idées nous les repréfentent comme des bêtes fans fociété & fans police. Ils font très libres à la vé r i t é , & ne craignent rien tant que la dépendance. La fervitude fous quelque afpeft qu'on puiffe la leur repré-fenter , leur eft en tous temps odieufe, n 'y ayant rien au monde qu'ils n 'entre­prennent pour s'en délivrer : mais ils ne lais-fent pas que de compofer des communau­tés libres ; & pour le bon ordre ils recon-noiifent des chefs , tel que je l'ai infinué plus haut.

La frugalité de ces peuples les met à l'a­bri de prefque toutes les incommodités que nous connoiffons, fi l'on en excepte la ca­ducité qui les oblige à refter dans leur ha-, mac; & s'il leur en furvient , ce qui eft fort ra re , i l s font leurs propres Médecins & Chirurgiens, & n 'ont pour tous remedes que quelques hui les , qu'ils prennent inté­r i eurement , & un excellent baume qu 'on appelle racaciri. Ce baume fort d'un arbre des environs de la riviere des Amazones : on le fait découler , dans une calebaffe,par des incifions qu'on a faites dans l 'arbre. C'eft un fouverain remede pour toutes plaies récentes , de même que pour les vieux u lceres , en l'appliquant en forme d'em-

F 2

De leurs médica­ments.

Du bau-me dera-caciri

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84 D E S C R I P T I O N

p lâ t r e , le plus chaudement qu'il eft poffi-

ble. Il eft encore fort falutaire pour la poi-

t r ine , & infaillible pour arrêter les fleurs

blanches & les vieilles gonorrhées.

La gomme copal eft encore chez eux

un remede fpécifique contre la diarrhée:

on fait découler cette gomme par incifion

du tronc d'un fort gros arbre que l'on ap­

pelle loms (a), dont les feuilles font lon­

gues , allez larges & poin tues , & qui por­

te un fruit qui reffemble fort à nos concom­

bres. Elle eft d u r e , j aune , luifante &

tranfparente; & rend fur le feu une odeur

approchante de celle de l'oliban ou de la

myr rhe : elle ramoll i t , elle ré fout , & l'on

s'en fert auffi comme d'un des meilleurs

vernis . Le bois de cet arbre eft emplo-

yé à toutes fortes de beaux meubles , com­

me tables , cabinets , buffets; mais il eft

fort cher.

La longue vie de ces peuples , & la fan-

té dont ils jouiffent jusqu'à la caducité ,

m'engage à rappeller ce que j 'ai dit dans

le Chapitre I I I , de l'utilité qu'il y auroit

d'élaguer les forêts des environs de la Ville

de Paramaribo; puisqu'il y a toute appa­

rence que l'inftabilité de leur demeure , dont

j 'ai parlé au Chapitre V I , y a rappor t ; &

me conduit infenfiblement à parler de

(a) O u coubrari l , bifolia pyramidata.

De la gomme copal.

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D E S U R I N A M . 85

de leurs obfeques, avant que d'entrer dans le détail de leurs voyages , de leurs guer­res , de leurs divertiffements & de leur commerce.

La mort d'un Indien met toute la com­munauté en deui l , auffi bien que celle de tous fes paren ts ; & leurs funérailles fe font fans beaucoup d'appareil & de cé rémonie , mais avec de grandes marques de douleur , ne faifant que crier & pouffer des hurle­ments les plus affreux. On commence l'enfevéliffement par laver tout le corps du cadavre; on le frotte enfuite avec une certaine hui le ; après quoi on lui a t t ache , avec une co rde , les bras entre les genoux , de maniere que la tête puiffe repofer fur les deux mains , qu'on attache une feconde fois enfemble : cela fait on le met dans un fac de toile tout neuf, & on l 'enterre dans le carbet où il eft mort . On a foin de met t re à côté de lui toutes fes armes de g u e r r e , parce qu'on s'imagine qu'il aura be-foin de toutes ces chofes dans l 'autre monde.

De leurs

obfeques.

F 3

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86 D E S C R I P T I O N

C H A P I T R E I X ,

De leurs voyages, tant fur mer que fur terre, de leurs guerres, de leurs danfes de leur commerce.

POUR peu qu'on fe rappelle ce que j 'ai dit dans le fixieme Chapi t re , fur l'incon-

fiance de cet te N a t i o n , on ne fera point furpris d'apprendre qu'elle aime beaucoup à voyager,

Comme la Colonie de Surinam a beau­coup de rivieres & furtout de cr iques, & qu'elle eft voifine de quantité d'ifles, com-me la Cayenna, les Berbices, le Bréfil, les côtes des Amazones & Efpagnoles, ces peu­ples ne peuvent point fe vifiter les uns les au t res , pour traiter enfemble, c'eft-à-dire pour faire commerce de leurs marchandi-fes , fans faire leurs voyages en pirogues ou canots. Ils ne manquent jamais de porter leurs hamacs avec e u x , ni leurs arcs & leurs fleches de chaffe & de pêche; car ils ne s'inquiettent jamais des befoins de la v i e , remettant à la Providence le foin de leur fournir des vivres; mais fi leurs voyages

De leurs voyages.

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DE S U R I N A M . 87

font de longue durée , pour - lors ils pren­

nent quelques viandes & du poiffon bou­

cannés , qu'ils mangent avec du p o i v r e , &

des galettes de la caffave en guife de

pain.

Dès que le foleil eft couché ils met tent

pied à terre , & attachent leurs hamacs

à deux arbres , qu'ils couvrent de feuilla­

ges , pour fe repofer jufqu'au lendemain

au lever du folei l , qu'ils pourfuivent leur

rou te . Leurs femmes & leurs enfants les

accompagnent toujours dans leurs voyages ,

à moins qu'ils n 'ayent d'autres ménages dans

les lieux où ils doivent coucher ou paffer

la nuit .

Comme ces gens ignorent parfaitement

l 'ar i thmétique, des nœuds faits à une lon­

gue corde ou ficelle fervent à tous leurs

calculs.

Quelquefois cependant ils voyagent par

t e r r e , & alors le chef de la t roupe marche

toujours à la t ê t e , avec quelques ajufte-

ments qui le diftinguent des au t r e s ; &

quand c'eft par les bois qu'ils prennent leur

r o u t e , il a foin de faire avec un couteau

des marques fur les arbres auprès desquels

ils paffent, pour ne fe point t romper en

revenant . Il n 'y a pas d'ailleurs de gens

plus habiles qu'eux pour fuivire les traces

des gens qui ont paffés par des endroi ts , oh F 4

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88 D E S C R I P T I O N

d'autres qu'eux n'en remarqueroient pas la moindre.

Le langage de ce peuple eft fi différent dans chaque N a t i o n , que fouvent des In­diens voifins ne s 'entendent pas. On pré­tend néanmoins qu'ils ont quelque langue générale qu'ils comprennent presque t o u s , ou pour le moins le chef de chaque bour­gade ou communauté.

Lorfque le chef d'une communauté a quelques motifs de faire la guerre à une au­tre Na t ion , il allemble premiérement tous les Capitaines de la fienne. Il prépare pour cet effet un grand feftin, & après s'ê­tre tous bien enivrés, celui-ci déclare le fujet des plaintes qu'il a contre la Nat ion qu'il a deffein d'attaquer, Auffitôt que les conviés l 'ont app rouvé , ils fe noirciffent t ou t le corps avec du genipa, fe parent de plumes rouges de per roquets , dont ils fe font des couronnes & des ceintures; & dans cet équipage guerrier ils fe rendent à un endroit où ils font l'un après l ' au t re , avant que d'aller combat t re , leurs danfes de guerre. C'eft-là où ils chantent la gloi­re de leurs ancêtres & la leur. Ils vantent d'avance les belles actions qu'ils vont faire; ils déclament le tor t que leurs ennemis leur ont fait; & enfin ils s'écrient qu'ils font forcés à fe venger, Voici quelles font leurs danfes.

De leurs langues.

De leurs guerres.

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Ils n 'ont point d'autres inftruments que des flûtes & des grelots.

Les flûtes qui ont près de deux pieds & demi de longueur , n 'ont qu'un feul t r o u , & pour embouchure une anche comme les hautbois, ce qui fait que chacune n'a qu 'un ton .

Les grelots font faits des noyaux creufés d'un fruit appellé abouai, qu'ils attachent affez près l'un de l ' au t re , pour que cela faffe un certain bruit lorfqu'ils font agi­t é s , lequel reffemble à celui que feroient de petites fonnettes.

Leurs danfes ne fon t , à proprement par­l e r , que des marches, dans lefquelles ils bat tent des p ieds , en fe balançant de cô­té & d 'au t re , comme font les gens iv res : ce qui peut durer cinq ou fix heures de fuite ; de forte qu'il faut être Indien pour fupporter de pareilles fatigues.

Revenons maintenant à leur commerce , qui eft relatif à leur méchanique. Il con-fifte en hamacs , en vaiffelle de t e r r e , cor­beilles & pagaies, dans le débi t , pareil­l ement , de leurs a rmes , de toutes fortes d'animaux les plus r a re s , du baume de ra­caciri , & enfin dans celui de la t o r t u e , dont je vais par le r , à caufe de leur adreffe à la prendre. Ils font auff i des échanges avec les Européens de toutes ces marchan-

F 5

De leurs danfes.

De leur commer-ce.

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difes, contre tout ce dont ils peuvent avoir befoin ou qui peut être propre à leur ufa­ge pour leurs fabriques : & l'on fait fou-vent avec eux de très bons marchés , par­ce qu'ils ignoren t , la plupart du t emps , la valeur intrinfeque de leurs brocanta-ges.

N'ayant rien omis jufqu'ici de tout ce qui regarde ces peuples , je finirai ce Cha­pitre par ce que j 'ai promis de dire de la pêche de la tor tue verte de m e r ; & dans le fuivant je parlerai des Européens habi­tués dans la Colonie , avant que d'entrer dans le détail des Efclaves noirs.

Pour fe met t re au fait de la maniere dont les Indiens prennent la tor tue de m e r , il eft bon d'obferver qu'elle vient dépofer fes œufs für le fable. Ils la renverfent a-lors fur le d o s , bien fûrs qu'elle ne fe re­tournera pas ; car il y en a depuis deux juf­qu'à cinq pieds de long , fur deux & trois pieds de la rge , qui pefent jufqu'à quatre cents livres ; & d'ailleurs elles ont l'écaille du dos affez p la t e , & par conféquent peu propre à leur permettre de faire ce mouve­ment & d'y réuffir. Il n 'en eft pas de même du Care t , qui eft une autre efpece de t o r t u e , dont l'écaille eft précieufe, mais dont la chair eft de peu de valeur. Com­me il a le dos r o n d , & qu'il eil extrême-

De la maniere de pren­dre la tortue.

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DE S U R I N A M . 91

ment vif, il fe remue v io lemment , & fe re­met tout de fuite fur le ven t re .

Une de ces grandes t o r t u e s , dont je viens de par le r , pond jufqu'à trois cents œuf s , de la groffeur d'une balle de jeu de paume, & auffi ronds. Leur coque reffem­ble à un parchemin moui l lé ; l'on y remar­que toujours un petit vu ide , & le blanc ne fe durcit jamais bien : quant au j a u n e , il cuit & durcit comme celui des œufs de p o u l e , & eft très délicat.

C'eft la meilleure à manger ; mais fon écaille n'eft bonne à rien : elle paît l 'herbe fous l'eau où elle fait fa demeure ordinai­re , & n'a pas befoin de venir fur la te r re pour prendre fa nourr i ture . Elle la t rou­ve dans des prairies qui font au fond de la m e r , le long des ifles voifines de Surinam; & il y a fi peu de braffes d'eau fur ces fonds , que quand la mer eft calme & le temps ferein , on peut voir aifément ces tapis v e r d s , & les tortues s'y prome­ner.

U n e feule de ces tortues a tant de chair , qu'elle eft capable de nourrir près de qua­tre-vingt pe r fonnes ,& eft auffi délicate que le meilleur v e a u , pourvu qu'elle foit bien fraîche : elle eft entrelardée de graiffe, d'un jaune ve rdâ t re , quand elle eft cuite.

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Il n 'y a que quatre mois dans l'année pour la p r e n d r e , qui font ceux de févr ier , mars , avril & mai. Les Créoles blancs diftinguent deux chairs différentes dans cet animal, d'abord une groffiere, & une fine, qui eft en effet la plus délicate de tou te la b ê t e , qu'ils appellent Kalpé & qu'ils ap­prê tent comme il fuit.

Ils laiffent cet te fine chair fur l 'écail le, qu'ils font tremper , tou te la n u i t , dans du jus de l imon, afin de la rendre plus ferme ; puis ils la font cuire au f o u r , fans la fortir de l 'écaille, & y ajoutent une fauce faite des oeufs , de la graille, des boyaux de la b ê t e , & d'autres ingrédients que j ' i gno re , mais qui coutent beaucoup; & c'eft dans cette occafion qu'on peut vé­ritablement appliquer ce proverbe vulgai­re : que la fauce eft plus chere que le poiffon car un tel plat revient aux environs de vingt florins de Hollande.

Les Indiens vendent ordinairement cet­te tor tue aux b o u c h e r s , & s'adreffent, la plupart du t emps , pour cela aux inter­prêtes de ces derniers , qu'on appelle vul­gairement bokke-ruilers, ou en François Tro-queurs, parce que ce font des Blancs qui ont communément cet emploi.

Le Caret differe en tout de la précédente tor tue : la femelle ne dépofe pas fes

Du Kal­pe et de la manie­re de l'apprê-ter.

Du ca-ret.

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œufs fur le fable, mais dans le gravier , & où il y a le plus de petits cailloux. Sa chair n'eft pas à la vérité des plus agréables ; mais fes œufs font plus délicats que ceux de la précédente tor tue : & fon écaille eft extrêmement recherchée , parce qu 'outre qu'elle eft fuperbe par e l l e - m ê m e , on la peut façonner comme on v e u t , en l'amol-liiTant dans l'eau chaude, puis la mettant dans un mou le , dont on lui fait prendre exactement la forme & fur le champ; & qu'elle fe rendurcit tout de fuite.

T o u t ce qui me refte à dire préfente­ment des Ind iens , c'eft qu'ils femblent être nés dans l'eau & pour l 'eau, les femmes comme les hommes ; car lorf­qu'une pirogue t o u r n e , quand ils font en m e r , ce qui arrive quelquefois, fur-tout quand ils veulent forcer leurs voiles ou quand ils font i v re s , ils ne perdent rien de leur bagage ; & fçavent fi bien nager , que lés petits enfants que les femmes ont à la mammelle , ne courent aucun r ifque, tan--dis que les hommes font occupés de leur côté dans l'eau-, à redreffer le bâtiment & à vuider l'eau dont il eft rempli.

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C H A P I T R E X.

Des ufages communs aux Européens, habitués, à Paramaribo, et de leur commerce.

QU E L Q U E forcé qu'on foit à différents égards, de fe conformer à certains

ufages reçus dans un pays où l'on veut s 'habituer, il n 'y a point de doute qu'on ne conferve une affez forte prévention de la bonté des fiens, pour ne pas s'en dépar­tir totalement ; furtout quand on y eft maître : voilà l 'homme : il cherche , au con­t r a i r e , à fubjuguer p lu tô t , s'il p e u t , les goûts & les volontés de ceux à qui il s'al­lie ou qu'il foumet.

Sur ce pr inc ipe , on ne doit pas s'atten­dre à voir vivre à Surinam les Européens en Caraïbes; quoique les premiers de no­t re continent qui ont habité ce pays fe foient peut-être prêtés d'abord à la ruf-tique fimplicité de ces peuples , pour fe les concilier. E t c'eft fans contredit à tort que bien des gens s'imaginent qu'on y a le goût dépravé , tant pour la nourr i ture que pour les vêtements. T o u t ce qu'on en

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DE S U R I N A M . 9 5

peut d i r e , c'eft qu'il y regne uniquement une honnête liberté , que nous ignorons dans nos grandes villes; & qu'on n 'y eft pas tenu de s'adonifer depuis le matin jus­qu'au foir. Le bourgeois , comme le plan­teur ( a ) , obligé même de fe t rouver en compagnie, peut s'y rendre en vefte blan­c h e , un bonnet de coton fur la tête , & un chapeau par deffus. C'eft même fon ha­billement ordinaire , à moins qu'il ne forte pour une vifite de cé rémonie , ou qu'il n 'ail lé chez quelque perfonne de diftinc-t ion. L'ârtifan même en ufe de la même manieré , lorfqu'il eft appellé dans quelque maifon : & tout le monde y vit fans gêne ; fi ce n'eft les perfonnes du Sexe , que le plaifir de plaire prive des mêmes commodi­t é s ; mais cela leur eft pardonnable, & perfonne ne leur en fcait mauvais gre- El­les ne font pas même les feules à faifir les nouvelles modes d 'Europe qui parviennent dans ce pays , tant pour les hommes que pour les femmes, prefque auffitôt qu'elles font inventées ; & que, chacun, malgré tout ce que je viens de d i r e , met en ufage, félon fon g o û t , avec élégance & fomptuo-fité. Car on ne s'y fait pas gloire d'aller

(a) N o m qu'on donne à tous ceux qui ont des Plan-

tations.

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toujours en négligé : licence , en t o u t , ne fait pas loi.

La preuve qu'on s'y met pour le moins auffi bien qu'en E u r o p e , & que le luxe y regne au tan t , c'eft qu'il y a dans la Ville plufieurs boutiques & nombre de maga-fins très bien fournis en tout genre : le d r a p , le ve lours , les étoffes, les galons d'or & d 'argent , rien n 'y manque ; mais à fort haut p r i x , parce qu'il n 'y a point de manufaftures, & que le tout y eft apporté de dehors.

La bonne chere n 'y eft pas non plus ou­bliée , quoi qu'elle y foit fort difpendieufe en comparaifon de celle d ' E u r o p e , comme on n'en doutera pas par l 'énumération fui­vante . Mais comme chacun eft employé , dans ce pays , felon fes ta lents , les gains y font affez confidérables pour y rendre auffi la vie plus gracieufe.

On t rouve chez les bouchers , deux fois la femaine, du bœuf à dix fols la l iv re , du mouton à douze fols, & du cochon à fix; le veau y eft fort rare ; & la livre de pain fe vend cinq fols.

Le marché eft toujours affez bien garni de volailles, fuivant leurs faifons,& qui font meilleures qu'en aucun lieu du monde : les chapons , fur tou t , deviennent exceffivement gros dans ce p a y s , & coûtent ordinaire­

ment

Bu prix des vi-vres.

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DE S U R I N A M . 97

ment t rente fols la p iece , une poule quin­ze fols, un canard v ingt , un poulet d'Inde dix à douze florins, & ainfi du refte.

Les rivieres regorgent , pour ainfi d i r e , de poiffons de toute efpece, & exquis; mais comme il y a plufieurs particuliers dans la Ville qui t iennent des Negres pê­cheurs pour en faire commerce , cela les rend affez chers.

Quoiqu'on ne recueille point de vin dans le pays , on n'y en confomme pas moins , ni de moins bons de toute efpece. La dé­licateife des Colons n'eft pas moindre fur cet article que fur bien d'autres ; ils n'épar­gnent rien pour en avoir des meilleurs. E t fi on y ajoute tout ce qu'un Planteur ti­re de fa baffe-cour, qui eft toujours rem­plie de la meilleure volai l le , comme fes étables des meilleurs bef t iaux, l'on fera obligé de convenir qu'en ce pays , comme ailleurs, la cherté n'eft que pour les indi­gents. Car il a fous la main, fi j 'ofe ain­fi m'exprimer , de quoi fournir aux tables les plus abondantes & les plus délicates ; fans compter le fafte, avec lequel on eft fervi par nombre d'Efclaves; ce qui ache­ve de donner un air de feigneurs aux moin­dres particuliers: les Planteurs n 'é tant pas les feuls qui en o n t , cela ne va que du plus au moins.

Tome I. G

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De p lus , les blanchiffeufes, dont je par­lerai plus lo in , l 'emportant fur toutes cel-. les d ' E u r o p e , le l inge, foit de table ou de co rps , y eft d'un blanc à éblouir , & on eft à cet égard d'une curiofité qui va jufqu'au l u x e ; de forte qu'on ne peut rien reprocher aux habitans fur la propre té ,

Mais , pour en revenir à tou t ce qui concerne la t ab le , il ne faut pas oublier le gibier , qui ne manque pas fur celle des Planteurs , parce qu'il n 'y a qu'eux qui aient des chaffeurs à eux. S'il eft plus ra­re pour les bourgeois , ce n'eft pas que la chaffe ne foit abondante , ni qu'elle ne foit permife à tout le monde indifféremment ; mais comme elle eft t rop r u d e , elle ne convient qu'aux Negres & aux naturels du pays , de forte que l'on ne mange en Ville de la venaifon que lorfque par ha-fird des Indiens viennent en v e n d r e , ce qui n'eft par conféquent pas fréquent.

A l'égard des légumes, on ne doit pas met t re en doute que fous un climat tel que je l'ai dépeint chaud & humide , il n 'y en ait à profufion, & qu'on n'en ait des potagers toujours rempl is , & de toutes les for tes ; toutes les faifons y étant pro­pres à leur cu l tu re , comme à leur accrois-femcnt & à leur ma tu r i t é , pour peu de foin qu'on veuille fe donner ; & ayant de

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DE S U R I N A M . 99

plus des Efclaves propres aux travaux les plus rudes. Je réferve cependant à en par­ler plus amplement dans un autre ar t ic le , où j 'entrerai dans tous les détails du jardi­nage.

Quel heureux p a y s ! ne puis-je m'em-pêcher de m'écr ier , où l'on peut jouir tou­te l ' année , fans aucune in ter rupt ion , des précieux dons de Flore & de P o m o n e ; où la ne ige , la glace, & les frimats font inconnus ; & où l'on ignore la cruelle né-ceffité de fe rô t i r , pour fe rechauffer, com­me on fait dans une partie de l ' E u r o p e , plus de la moitié de l 'année ; & dans le­que l -une heureufe & délectable harmonie ne fe perd jamais de vue entre les concito­yens ! Pour la c imenter , comme il n 'y a que les artifans, les marchands, ou ceux qui ont des emplois , lefquels exigent une réfidence en Vi l le , qui y demeurent , & que les Planteurs habitent leurs Plantat ions, ceux qui font voifins font prefque tou­jours enfemble, fe régalent tour à t o u r , & vivent avec une cordialité fi digne d'en­v i e , qu'il eft à fouhaiter qu'elle fe fou-tienne jufqu'à la poftérité la plus reculée. Ajoutez qu'il y a même peu de perfonnes au m o n d e , qui pratiquent l'hofpitalité avec plus d'effufion de cœur & plus de gran­deur d'ame, que les Surinamois. E t pour G 2 G 2

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100 D E S C R I P T I O N

convaincre le lecteur de la vie gracieufe des perfonnes aifées, voici une efquifle de cel­le d'un Planteur.

Il fe l eve , comme c'eft affez l 'ufage, avec le foleil, c'eft-à-dire à fix heures. A peine eft il debou t , qu'il prend fon thé ou fon caffé, pendant que fes Efclaves ont foin de couvrir une table pour fervir le dé jeûné , qui fe fait dans presque toutes les maifons, avec du jambon, ou une piece de viande falée ou fumée, ou auffi avec de jeunes pi­geons à la crapaudine, accompagnés de b e u r r e , de fromage, de la caffave , & de bonne biere forte ou de vin de Made re , que f o n coupe avec de l'eau. Cette table refte ainfi dreffée jufqu'à près de neuf heu­r e s , pour tous les amis qui fe préfentent. Après ce déjeûner presque dînatoire , il s 'occupe des diverfes affaires de fa maifon, jusques vers les onze heures , temps auquel on fe rend à la bour fe , qui eft une auber­ge , où l'on boit du punch ou du fangris, qui eft un mêlange des deux t i e r s , foit de vin de Madere ou de vin rouge, avec un tiers d'eau , un peu de fucre & de mufca-d e , & u n e tranche de c i t ron , qu'on met dans une jatte de v e r r e ; & je ne connois rien de fi agréable que cette boiffon. Il y a auffi de la. limonade & de la biere pour ceux qui l 'aiment, & l'on s'y amufe jus-

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qu'à une heure après-midi, foit au billard, aux échecs ou aux dames ; après quoi cha­cun fe retire chez foi pour dîner. Au fortir de ce répas on fait la méridienne, ou comme on l'appelle en Efpagne la fiefte; c'eft-à-dire, que l 'on dort jusqu'à quatre h e u r e s , que l'on prend le t h é ; & à cinq on re tourne à la bourfe , ou l'on va à la p romenade , quand il fait beau ; parce qu'a­lors le foleil n'eft plus fi a rden t , qu'il l'eft ordinairement depuis les dix heures du matin jusqu'à trois heures après midi. D'ail­leurs , comme il n 'y a que le Gouverneur , le Commandant , & cinq ou fix principaux de la Ville qui aient équipage, qu'il n 'y a point de fiacres dans ce pays , & qu'il n 'y a que quelques particuliers qui aient des chaifes, uniquement pour les parties de plaifir, perfonne ne va dans les rues fans avoir un Negre - qui lui por te un parafol fur la tête , tant hommes que femmes : ces dernieres ont feulement quelques fuivantes de plus.

Comme les équipages ne fe font pas dans le pays , & qu'on les fait venir d 'Europe, à prix très cou t eux , on ne doit point être furpris qu'il y ait fi peu de perfonnes qui en aient ; quoique beaucoup foient fort à leur aife : d'autant plus qu'il faut payer pour le tranfport d'un cheval , de Hollande

Des équipa-

ges.

G 3

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102 D E S C R I P T I O N

à Surinam, cent florins, ou deux cents li­vres de F r a n c e , fans compter l'achat & nombre de petits fraix qui n'y font pas compris , & les autres rifques que l'on court ; ce pays ne produifant que très peu de chevaux, qui ne font même encore pas plus grands que des ânes , ce qui les r e n d , joint à leur vivaci té , peu propres à l'atte­lage. Ils font beaucoup plus ronds que les n ô t r e s , & néanmoins bien proport ionnés : c 'e f t dommage qu'ils foient fi petits. Mais cela n 'empêche pas qu'on ne les employe aux moulins à fucre , où ils font très uti­l e s , parce qu'ils font infatigables & d'une force au deffus de celle que l'on fembleroit en a t t endre : auffi les v e n d - o n , pour cet ufage , jufqu'à trois cents cinquante florins de Hollande. A l'égard de leur nourri tu­re , elle n'eft pas coûteufe (à l'avoine p r è s , qui ne croît point dans le pays , & qu'on eft obligé d'y faire tranfporter , ) parce qu'on a-là de l 'herbe toute l 'année.

Mais pour revenir aux aifances de la v i e , dont m'a détourné ma digreffion fur les équi­pages , j 'avouerai que ceux qui arrivent dans le pays , ne s'en apperçoivent pas d 'abord, parce qu'il n 'y a premiérement que quatre auberges, & qu'en outre on n'y t rouve point d'autres lits que des bangmac, qui

Des au­berges.

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ne font pas ordinairement du goût de ceux qui n'y font pas faits. Pour les repas ils font réglés à un florin par t ê t e , mais fans v i n , & la bouteille y coûte t rente fols ; ce qui n ' e f t pas flatteur pour ceux qui ne font pas encore accoutumés aux boiffons du pays.

Parlons maintenant du commerce qui eft-là, comme ailleurs, le premier m o b i l e de la vie , & qui fait fleurir tous les Etats bien policés. Il n ' e f t permis dans la Co­lonie qu'à ceux qui dépendent du Gouverne­ment de la Société de Surinam ; & cela va fi l o in , qu'il n ' e f t permis à aucun vaiffeau, de quelque Nation qu'il foit, d 'entrer dans le por t pour y trafiquer , pas même à ceux des autres Colonies Hollandoifes. Les Anglois feuls font exceptés de cette inter-d i a i o n , par les raifons que je déduirai , a-près avoir parlé des Hollandois.

Le commerce que les Capitaines Hollan-. dois , dépendants de la Socié té , font dans, ce pays , confifte en toutes fortes de vins & de liqueurs for tes ; en b ie re , b e u r r e , f romage, viandes falées & fumées , lan­gues four rées , & épiceries ; comme auffi en bas , fouliers , chapeaux , toiles blan­ches , & autres marchandifes de cette na­ture .

G 4

Du com­merce en général.

Du com-merce des Capitai­nes Hol-landois.

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L 'on fera fans doute furpris que l'on foit obligé d'avoir recours aux é t rangers , pour quantité de chofes qui devroient na­turellement fe t rouver dans le pays ; mais il eft bon d'être inftruit qu'il y manque d'artifans néceffaires ; car dans l 'année 1 7 6 2 il n 'y avoit encore que deux tailleurs à Pa­ramaribo, autant de cordonniers , autant de boulangers , autant de bouchers , & de charpent iers , un maçon & un maréchal: d'où il eft bien facile de juger , que ce nombre ne peut fuffire à l 'entretien de près de quatre mille habi tans, que l'on y comp­t e , tant dans la Ville que dans les Plan­tages , foit Européens ou Créoles (b) ; y compris la garnifon, qui peut aller à en­viron neuf cents hommes , dans toute l'é­tendue de ce Continent. Ce n'eft pas qu'il n 'y a i t , parmi les Efclaves, des gens de toutes fortes de mét iers , comme on le ver­ra dans leur art icle; mais comme ils ne peuvent être utiles qu'à leurs propres maî­t r e s , tous ceux qui ne font pas en état d'en avo i r , ou d'y mettre les prix conve-

(b) On donne à Surinam le nom de Créoles , à

tous ceux qui font nés- dans le p a y s , de pere & de

mere Européens. Ce nom eft auffi applicable aux

Efclaves n o i r s , qui defcendent de parents Afri­

cains.

Des ar-tifans.

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nables , font obligés de recourir au peu d'ouvriers qu'il y a en Ville. Enfin , il eft toujours conftant que cette difette dans la méchanique rend tout fort cher ; puisque l'on paye pour la façon d'un habit com­p l e t , vingt-cinq à t rente florins de Hollan­d e , les fournitures non comprifes; vingt-cinq florins pour une perruque ; & quatre à cinq pour une paire de fouliers. Mais fi les artifans, comme je viens de le faire v o i r , y font fi r a res , en récompenfe les Mé­decins , Chirurgiens & Apoticaires y font en fort grand nombre.

J 'en reviens maintenant au, commerce in-difpenfable qu'on y a avec les Anglois ; en-fuite de quoi je parlerai du principal nerf du commerce , c'eft-à dire des efpeces ; & c'eft par où je finirai ce Chapi t re , dont j ' au ra i , je crois , rempli l 'objet.

Les Anglois fourniffent à la Colonie la v iande , les harengs, & les maquereaux fa-l é s , ce qui eft de la derniere néceffité pour les Efclaves; de même que le tabac, en feuilles, qui eft meilleur que celui de Hol lande; des planches de fapin , de la far ine, de gros oignons fecs, des chandelles, de fpermaceti , du fucre raffiné en pain & autres denrées ; & cela uniquement en échan­ge du fyrop de fucre appellé malaffe, que

G 5

Du com­merce des Capitai-nes An­glais.

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leur l ivrent les P lan teurs , pour faire chez eux le rum ; ne leur étant pas permis de remporter autre chofe, C'eft-là l 'accord, pour lequel ils l ivrent encore des chevaux d 'Angle te r re , qui font auffi bons que ceux du pays pour les moulins à fucre , & dont on n'a pas , c'eft-à-dire de ces de rn ie r s ,une fuffifante quantité. Sans cette derniere condi t ion , qui eft effentielle, je ne fçais même fi l 'entrée du port ne leur feroit pas défendue comme aux autres. Mais le marché eft trop avantageux aux uns com­me aux au t res , pour qu'on fonge à le rom­pre d'aucun côté ; parce que les Planteurs ne fçauroient que faire de leur fyrop de fu­c r e , & que d'ailleurs tout ce que les An-gïois donnent en échange eft , comme on l'a pu v o i r , de la derniere utilité. Ceux-ci , pour leur p a r t , y t rouvent leur c o m p t e , par la facilité qu'ils ont de faire-là tout de fuite leur cargaifon de fyrop , dont ils ne peuvent fe paifer ; & tout le monde eft con­ten t .

Parlons maintenant des efpeces. Les feules qui ont cours dans ce pays font cel­les de la Républ ique, à la réferve d'une pe­tite piece de trois fols qui y a é té in t ro­duite par les Por tugais ; mais auffi n'y en a-t-il pas de mo indre , & l'on ne peut rien ,

Des efpe­ces qui ont cours dans le pays.

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acheter au deffous de cette valeur. Quoi­que "tous les comptes s'y faffent en florins, fols & deniers; les deux dernieres efpeces reffemblent à la piftole de F r a n c e , qui n ' e f t qu'imaginaire. Auffi faut-il obferver que la plupart des payements fe font en lettres de change fur la Hol lande , tirées à fix femaines de vue. A quoi il faut ajou-t e r , que fi le t i reur a le malheur qu'elles foient protef tées , faute d'avis , ou fans raifon plauflble, il eft obl igé, fuivant la l o i , de payer le rechange , qui eft fixé à vingt-cinq pour c e n t , non compris les au­tres fraix du pro tê t .

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108 D E S C R I P T I O N

C H A P I T R E X I .

De m'origine des Efclaves noirs à Surinam; s'il eft permis d'en avoir et de s'en fer-vir comme tels; du Commerce qu'on en fait en Afrique, et du nombre qu'il y en a dans la Colonie; des différentes efpeces d'Ef­claves ; et enfin des Negres marons ou fugitifs.

CE que j 'ai dit des chaleurs exceffives du payS , doit naturellement faire

préfumer qu'il a été phyfiquement impoffi-ble aux Européens qui font venus l'habi­t e r , de foutenir les fatigues, tant de la culture que de leur établiffement; & cette impoffibilité bien fen t ie , il en doit réful-ter pareillement qu'ils ont été forcés de chercher des perfonnes robuftes , & en état de leur rendre ces fervices importants . C'eft ce qu'ils ont fai t ; & ils n'en ont point t rouvé de plus propres à ce qu'ils dé-firoient, que les Afriquains, connus fous le nom de Negres ou Noirs.

Chaque part iculier , dans les commence­m e n t s , a trafiqué pour fon compte avec ces

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DE S U R I N A M . 109

peuples barbares , fuivant l'ufage introduit depuis longtemps pour en avoir. Mais à mefure que la Colonie s'eft augmentée & fort i f iée, l'on a trouvé plus à propos d'é­tablir une Compagnie qui fe chargeât de ce foin : & c'eft aujourd'hui la Compagnie d 'Amfterdam, qui a différents comptoirs aux côtes de Guinée, pour y entretenir ce commerce qui fe fait par voie d'é­change.

Qu'il me foit permis , avant que de le détailler, de répondre à l 'objection de cer­tains Philofophes modernes , parmi lefquels il s'en t rouve d'une morale fi refferrée, qu'ils avancent qu'un pareil commerce eft non feulement contraire à la charité chré­tienne , qui nous oblige de regarder tous les hommes comme nos freres & nos égaux , mais à la loi de Dieu qui nous défend d'en faire des Efclaves. Rien n'eft fi aifé que de réfuter leur fentiment; & c'eft une di­greffion, dont ne me fçauront pas mau­vais g r é , je c ro i s , ceux à qui ces fombres moraliftes ont infpiré quelques fcrupules, contraires à leurs véritables intérêts.

Je dis d 'abord , qu'il y a quatre claffes de fervitude connues , autorifées, & même ordonnées par l 'Ecriture Sainte : & c'eft ce que je crois pouvoir prouver .

La premiere, de ceux qui font condam-

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nés pour crime à perdre leur l iber té ; la l econde , de ceux qui font faits prifonniers dans un comba t ; la troifieme, de ceux qui font vendus par leurs peres & meres , ou qui fe vendent eux-mêmes, comme c'eft l'ufage de plufieurs pays ; & la quatrie­me enfin, de ceux qui font nés dans l'ef-clavage.

Sans recourir aux loix actuelles que dis-penfent nos t r ibunaux, Noé nous donne un exemple de la premiere. Dès qu'il eut appris de quelle maniere fon fils Cham en avoit ufé envers lui pendant fon fommeil, il le maudit dans fa po l lé r i t é , & le con­damna à la fervi tude; comme on le peut voir dans ces paroles du Chapitre IX, vers. 25 & 27 du livre de la Genefe : „ C'eft ,, pourquoi il d i t : maudit Canaan; il fera „ ferviteur des ferviteurs de fes freres : „ que Dieu attire en douceur Japbet, & ,, qu'il loge dans les Tabernacles de Sem, „ & que Canaan leur foit fait ferviteur". Au Chapitre XX. vers. 3 de l 'Exode , la Loi de Dieu condamne un vo l eu r , qui ne peut pas reftituer ce qu'il a p r i s , par ces paroles : „ Si le foleil eft levé fur l u i , il „ fera coupable de meurt re . 11 fera donc „ une entiere reftitution ; & s'il n'a pas ,, de quo i , il fera vendu pour fon lar-„ cin".

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D E S U R I N A M . 111

On peut encore fe rappeller ic i , qu'il falloit qu'il fût d'ufage autrefois de faire vendre les débiteurs infolvables, puisqu'en Saint Mat th ieu , vers. 25 du Chapitre XVIII . Jéfus-Chrif t propofe ainfi la parabole d 'un r o i , qui faifant rendre compte à fes fervi-t e u r s , en trouva un infolvable de dix mil­le talents: „ E t parce qu'il n 'avoit pas de „ quoi payer , fon Seigneur commanda qu'il „ fût vendu , l u i , fa femme, & fes enfants , „ & tou t ce qu'il avo i t , & que la dette fût „ payée".

N'eft - ce pas encore de plus un ufage parmi nous de condamner tous les j o u r s , à la chaîne ou aux galeres perpétuel les , les criminels qui n 'ont pas tout-à-fait méri té la mort ? Servitude plus cruelle que celle des Negres qui font traités avec douceur , quand ils font leur devoir ; puisque ce n'eft en conféquénce d'aucun délit , du moins pour la p lupa r t , qu'ils font réduits en efclavage.

On t rouve encore dans l 'Exode , dans le Lévit ique & dans le D e u t é r o n o m e , nom­bre d'exemples touchant les efclavages , foit des Hébreux ou des Gent i l s , où il eft parlé de la durée de leur fe rv i tude , com­me de l 'autorité de leurs maîtres. E t en impoferois-je même en ajoutant qu'il é toi t d'ufage, en conféquence-, dans les premiers

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1 1 2 DESCRIPTION

fiecles de l 'Eglife, de voir des Chrétiens de tous é ta t s , avoir des Efclaves ,foit infideles ou de leur croyance. Pourquoi donc n'o-fer ions-nous , dans celui c i , nous prêter aux coutumes reçues chez ces peuples , & les acheter pour cultiver nos t e r re s , dès que nous en pouvons faire une acquifition légitime ?

L'exemple de Philémon (a) doit juftifier ce que je viens d 'avancer , & nous prou­ver que la Rel igion, ni la charité chrétien­ne ne nous défendent nullement d'avoir des Efclaves; mais , qu'au con t ra i re , elles nous

pres-

(a) Philémon étoit poëte G r e c , fils de Damon , &

contemporain de Ménand re , fur qui il l 'emporta fou-

vent par faveur, ce qui lui faifoit-dire par ce dernier:

N'avez-vous pas home de me vaincre?"

Ce même Ph i l émon , qui étoit ami de Saint P a u l ,

avoit un Efclave nommé Onéfyme , q u i , ennuyé de

la fe rv i tude , s'enfuit , & felon la coutume des

Efclaves fugitifs vola fon maître. Onéfyme fe réfugia

à R o m e , où par un effet de la miféricorde de Dieu ;

ayant appris que Saint Paul y étoit dans les fers pour

la prédication-de l 'Evangile, il l'alla voir. Cet Apôtre

l'accueillit avec b o n t é , l'inftruifit , le convert i t , le

baptifa, & le renvoya à. fon ma î t r e ; le chargeant

d 'une le t t re , dans laquelle il employe une éloquence

toute d iv ine , pour engager Philémon à pardonner

à Onéfyme la faute qu'il avoit commife , & à lui ren­

dre fes bonnes graces.

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prefcrivent les devoirs réciproques entre eux & n o u s ; qu'ils doivent nous obéir, & que nous les devons traiter humainement : voilà le précepte.

Serai-je auffi récufable, quand je dirai que ce n'eft qu'un jeu de mots de la part de ces meffieurs, lequel ne tombe que fur le terme d'efclavage; parce qu'il eft dit qu'il n 'y a point d'efclave fous la Loi de Grace ; mais qui ne fçait que c'eft dans un tout autre fens ? Le foldat ne vend-il pas fa l iber té , foit à fon Prince ou à d'au­tres puiffances, pour une fomme & pour un temps? Le domeftique moyennant les gages qu'on lui p r o m e t , n'eft-il pas dans le même cas ? & aucun d'eux peut-il difpofer de fes actions ou de fa per fonne , fans l'a­veu de fes maîtres ? T o u t e la différence ne gît donc qu'en ce qu'on achete, ceux-çi à vie ; mais auffi coûtent-ils davantage : & n'eft - ce pas d'ailleurs ou de leur confente-m e n t , ou tout au moins de la volonté de ceux qui ont le droit d'en difpofer? E t en nous conformant à leurs ufages, n ' e f t -ce pas un vrai bien pour eux, de les faire pas-fer dans une fervitude moins ba rba re . que celle qu'ils éprouveroient parmi des Na­tions infideles, & en outre utile à leur fa-

lut. Après cette digreffion que j 'ai cru né-

Tome I. H

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114 D E S C R I P T I O N

ceffaire , pour détruire les opinions de ceux qui blâment les Surinamois, par un zele indifcret, j ' en reviens au commerce des Negres ; mais avant que d'en pa r l e r , il eft bon de dire quelque chofe de leur pays , pour ceux qui ne le connoiffent pas.

Prefque perfonne n' ignore qu'ils font originaires de la Guinée; mais tout le mon­de ne fçait pas que c'eft un des plus grands pays de toute l 'Afrique. Il eft fitué au dix-feptieme degré de latitude feptentrionale ; il a près de fept cents lieues de cô t e s , & s'étend jufqu'au troifieme degré de latitude méridionale; il confine au nord & à l'eft à la Nigr i t ie , & eft b o r n é , au fud & à l 'oueft , par l 'océan.

Le climat de ce pays eft fort mal-fain pour les Eu ropéens , qui n 'y font p a s , en conféquence, un long féjour, & qui n'y vont que pour commercer avec les Princes Negres qui leur l i v ren t , en échange de ce qu'ils y appor ten t , de l ' o r , dont il y a beaucoup de mines , des N o i r s , des dents d 'é léphant , & de la maniguette, qui eft une efpece de po iv re , appellé graine de paradis ou cardamome.

Les vaiffeaux Hollandois qui y font en­voyés pour trafiquer, ne font chargés que de marchandifes utiles à cette N a t i o n , comme barres de f e r , fufils, p o u d r e , bal-

De la Guinée.

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D E S U R I N A M . 1 1 5

les , toutes fortes d'étoffes légeres , du ta-bac, des p ipes , du genièvre & des quin-quailleries fur lefquelles ils tr iplent au moins leur capital.

Dès qu'un Capitaine Hollandois a u n e certaine quantité d'Efclaves , dont le nom­bre furpaffe le plus fouvent trois c e n t s , il les tranfporte à Surinam, pour s'en- dé­fa i r e , foit en vendition publique ou à la main.

Mais il eft à remarquer qu'il y en a de différentes côtes , comme de difFérents-j prix , auxquels on donne les noms di-ftinctifs de Cormentin, Papa & Louango, leurs patries.

On prétend que les premiers font les Efclaves particuliers des Princes du pays, qu'ils vendent lorfque la fantaife leur en prend ; les feconds des prifonniers que les Princes font fur leurs voifins , quand ils font en guerre ; & les troifiemes des mal­faiteurs , qui ont prefque généralement mé-rite la mort dans leur pays ; & à qui les Princes font g race , en tranfmuant leur peine en un banniffement pe rpé tue l , & les vendant pour cet effet , au premier qui fe préfente. Auffi font-ce les plus mauvais , & ceux qu'on fait beaucoup de difficulté d'ache-ter à Surinam; à moins qu'ils ne foient jeu­nes, parce qu'alors on préfume qu'il fera plus

H 2

Des dif-férentes fortes d'Efcla-ves.

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facile de déraciner les vices auxquels ils font enclins : mais on les a toujours vingt pour cent de moins que les Cormentin & les Papa ; parce que ceux-ci font plus fideles, & plus vigilants qu'eux au tra­vail.

On me demandera peut-être à quoi l'on reconnoî t ces différentes fortes de N e g r e s , & s'il ne feroit pas poffible au Capitaine d'en impofer , & de vendre un Louango auffi cher qu'un Cormentin ou un Papa ? Je réponds à cet te queft ion, qu'on ne doute nullement que tous ces peuples ne fe con­noiffent, & qu'à peine l'Efclave feroit ache­t é , qu'il feroit déclaré pour ce qu'il e f t , par quelqu'un des au t r e s , ce qui feroit perdre le crédit au vendeur , & l'expofe-roit à reprendre fon Efclave, & à fe détrui­re dans le pays; qu'au con t ra i re , ils font très-exacts à déclarer de quelle Nation font ceux qu'ils expofent en v e n t e , & à profiter même, de la prédilection qu'ils fçavent , ou qu'ils remarquent que certains acheteurs ont pour une Nation plutôt que pour une autre.

Lorfqu'on les met en vendi t ion, on les fait monter l 'un après l 'autre fur une ta­ble , où un Chirurgien prépofé pour les examiner , les vifite fcrupuleufement, & après qu'il a affuré que celui qui eft à l'en-

De la vente des Efcla­ves , à Surinam.

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c h e r e , eft fain & faris défaut , chacun offre deffus ; & on les v e n d , depuis trois jufqu'à quatre c e n t s , même jufqu'à quatre cents cinquante florins de Hol lande , qui ne fe payent ordinairement qu'au bout de trois femaines: mais l 'acheteur n'a que vingt-quatre heures pour examiner fi le Negre n'a point de défaut ; s'il lui en t r o u v e , pendant ce t emps , il eft en droit de le ren­dre au Capitaine ; pourvu cependant qu'il ne l'ait pas encore marqué , car en ce cas il feroit t enu de le garder.

Pour comprendre ce que je veux dire par marquer, il faut fçavoir que chacun marque fes Efclaves, pour pouvoir les re-c o n n o î t r e , ce qui fe fait ainfi: on fait faire une lame d 'argent , fur laquelle on fait fouder les deux lettres capitales du nom de baptême & du nom propre du ma î t r e ; on ajoute à cette lame un man­che de bo i s , pour pouvoir la t en i r , puis on la fait chauffer, fans la laiffer-rougir ; & on applique cette marque a inf i chaude , qui refte empreinte fur la p e a u , qu'on a eu foin de frotter auparavant d'huile d'oli­ve . Les uns marquent leurs Efclaves fur le b r a s , & d'autres fur les mammelles. Sans cette p r écau t ion , perfonne ne pour-roit diftinguer ceux qui lui appartiennent dans le nombre prodigieux qu'il y en a dans

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De quelle maniere on mar­que les Efclaves, pour les reconnoî­tre.

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118 D E S C R I P T I O N

la Colonie , comme on le va voir tout-

à- l 'heure; d'autant plus que ce peuple n'a

point de phyfionomie affez diftinctive à nos

yeux.

Revenons à leur n o m b r e , fans y com­

prendre les Negres Marrons, par lesquels je

finirai ce Chapi t re , qui o n t été Efclaves

comme les autres ; mais qui s'étant fous-

t ra i t s , d'eux-mêmes à leur fervi tude, for­

ment aujourd'hui une efpece de peuple à

p a r t , avec lequel la Colonie a été obligée

de t r a i t e r , & qui peut fe monter à vingt-

cinq mille hommes, dans tout l ' intérieur

du pays ; indépendamment de ceux qui s'y

peuvent joindre tous les jours,

A commencer par la Ville de Paramari-bo,où il y a p r è s de huit cents maifons,

comme je l'ai dit au fecond Chapi t re , en

évaluant chacune à dix domeftiques, l 'une

dans l'autre , on t rouvera que pour le

nombre de deux mille & quelques cen­

taines d'habitans blancs , il y a huit mille

Efclaves, y compris les enfants , tant M U -Mtres , que Mouftiches & Cabougles. Je

pourrois même ajouter qu'il y en a p l u s ,

fans craindre d'en impofer , d'autant que

Je fçais nombre de maifons, qui ont entre

vingt à t rente domeftiques , c'eft-à-dire Ef­

claves. Auffi ne d o i t - o n pas être furpris

qu 'on foit fi bien fervi dans ce pays ; car

Du nom­bre des Efclaver qu'il y a à Para­maribo.

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D E S U R I N A M . 1 1 9

il s'en t rouve d'une très grande capaci té , tant pour l ' économie , que pour la mécha­nique. Il y a particuliérement des Négres-fes , qui font fi excellentes cuifinieres, fi parfaites couturieres en drap & en l inge , & fi habiles brocheufes de bonne t s , de gants & de bas , qu'aucune Européenne ne les peut égaler: elles lavent auffi, & repaffent on ne peut mieux. Parmi les N e g r e s , il y en a auffi de très-adroits , tant pour le fer­vice ordinaire de leurs maîtres que pour la table. Ceux qui ont appris à faire des tonneaux , la charpentenie & la maçonne­r i e , ne cédent en rien à ceux d 'Eu rope , à l 'exception des deux dernieres , car ils ne pos-fédent pas fi bien les regles de l 'Architectu-re que les nôtres ; mais cela n 'empêche pas qu'on n'apprécie un bon charpent ier , depuis deux mille jufqu'à deux mille cinq cents florins de Hol lande, un bon maçon deux mi l le , un tonnelier & un cuifinier dix-huit cents ; ce qui fait qu'il n 'y a que des Planteurs qui en a ient ; & c'eft ce qui fe rapporte à ce que j'ai dit dans le Chapi­t re précédent de la difette d'ouvriers dans la Ville.

Comme dans le compte que je viens de fa i re , je n'ai compris que ceux de la Vil­le , il s'agit de palier maintenant à ceux des Plantations.

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Dans l'année 1 7 6 2 , on m'a affuré qu'il y avoit quatre cents vingt-cinq Plantages , dans toute la Colonie ; dans chacun des­quels il y a , pour le moins , cent quatre-vingt Efclaves ; je dis pour le moins , car dans quelques-uns il y en a deux cen t s , je dis p l u s , jufqu'à trois & même jufqu'à quatre cents. Mais à ne les prendre enfin qu'à cent quatre-vingt dans chaque , le to­tal ne s'en montera pas moins à foixante & feize mille cinq c e n t s , q u i , joints aux huit mille de la Vi l le , & aux vingt-cinq mille Negres Marrons, feront en tout cent neuf mille & cinq cents de cette N a t i o n , con­tre environ quatre mille habitans blancs ; fans ce qui s'en augmente tous les jours par la voie de ¡a propagation. Heureufe-nient que le pays eft affez fertile pour les nourr i r t o u s , & que la chaffe & la pêche contribuent à mettre ce peuple dans l'abon­dance.

Comme il eft de la l o i , que l'enfant né fous l'efclavage de fon pere ou de fa mere eft efclave, tous ceux que j'ai ci-devant n o m m é s , Mulâtres , Mouftiches & Cabou-gles , font par conféquent de ce nom-bre . Il ne s'agit plus que de les faire con­noî t re .

On appelle M u l â t r e s , ceux qui provien­nent du commerce d'un Blanc avec une

Du nom­bre des Efclaves, qui font dans tou­te la Co­lonie,

Des Mu-lâtres,

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Négreffe, ou d'une Blanche avac un Né­gre : quoique cette derniere efpece de pro­pagation foit r a r e , elle n'eft pas fans ex­emple ; mais l 'autre eft plus commune ; & l'on n'imite en rien les Caraïbes.

Dans l'un ou l 'autre de ces deux cas , ces créatures font toujours des mieux confor­m é e s , n'ayant prefque aucuns traits de N e ­g r e s , & tenant plus de l'efpece. blanche que de la noire ; mais leur couleur eft né­anmoins bafanée. Peu de ceux-là reftent efclaves, furtout quand ils proviennent de Négreffes qui appartiennent en propre au p e r e ; parce qu'alors il peut les affranchir, & qu'il ne néglige rien enfuite pour leur donner de l 'éducation. Ils leur font ap­prendre la profeffion à laquelle ils les trou­vent encl ins , & dès qu'ils font en état de gagner leur vie , pour l'ordinaire ils ne s 'en embarraffent plus. Mais il n 'y a pas de Na­tion qui porte plus loin la reconnoiffance , jufques là qu'ils braveroient toutes, fortes de périls pour fauver la vie de leur Bienfaiteur, & qu'ils la défendroient aux dépens de la leur p r o p r e : outre cela, zélés pour les devoirs de la Religion C h r é t i e n n e , dès qu'on les en a inftruits, & poffédant toutes , fortes de bonnes qualités ; d'une grande fa­cilité à apprendre tout ce qu'on leur, enfei-g n e , & y devenant -plus habiles que les

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1 2 2 D E S C R I P T I O N

N o i r s : forts & vigoureux; d'ailleurs indu-f t r ieux , vigilants , laborieux ; d'une viva­cité & d'une hardieffe qui va jufqu'à la té­mérité.

On donne le nom de Mouftiches, aux en­fants qui réfultent du commerce d'un N e ­gre avec une Indienne ou naturelle du pays. Cette race eft d'une couleur brunâ­t re , tirant fur le n o i r , ayant les cheveux frifés & fort mous. Ils font naturelle­ment bien faits, & deviennent forts & ro-builes. Ceux-ci qui font en fort petit n o m b r e , ont la même facilité d'apprendre que les Mulâtres, & deviennent plus habi­les qu'eux. Je dirai ici en paffant, qu'il y a une autre efpece d 'Efclaves, qui pro-viennent du commerce d'un Blanc avec une naturelle du pays , ce qu'on ne peut con­noî t re qu'aux cheveux qui font du plus beau n o i r ; parce que ceux-ci , à cela p r è s , reffemblent aux Eu ropéens , foit pour la couleur ou pour les traits.

La derniere efpece d'Efclaves eft celle des Cabougles, qui proviennent du com­merce d'un Negre avec une Mulâtreffe. Cette race eft d'une nuance plus foncée en couleur que celle des Mouftiches, ayant fur la tê te une forte l a ine , en place de cheveux ; laquelle eft plus fine que celle des Negres. Il n 'y a pas non plus un fort.

Des Moufti­ches.

Des Ca-bougles.

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grand nombre de cette efpece, & ils ne cèdent point en capacité, aux autres Ef-claves dont j 'ai parlé.

Quelque prolixe que je croye avoir é t é , dans la defcription de ces divers Efclaves, il me relie encore à faire connoître le fi-gne affuré qui caractérife, à n'en point dou-t e r , la véritable pa te rn i té , dans les enfants n o u v e a u x - n é s qui en p rov iennen t : car il ne faut pas s'imaginer que ces Efclaves , de quelque efpece qu'ils foient , viennent au monde de la couleur qui leur doit ê t re naturelle : point d u t o u t . Ils naiffent t ou t auffi blancs que nous , & ne changent de couleur qu'après les premiers jours. Ce n'eft donc qu'aux parties naturelles ou de la génération qu'il faut s 'a t tacher, les­quelles dès l'inftant de leur naiffance font dans un fexe , comme dans l ' au t re , de la cou­leur dont tout le corps doit être par la fu i te , n o i r e s , tannées ou blanches.

Voilà tout ce que j 'ai pu recueillir de plus intéreffant au fujet des Efclaves, & de leur propagation. Il ne me refte plus qu'à parler de leur économie , que je ré­ferve pour le Chapitre f tuvant; afin d'en revenir aux Negres Marrons ou fugitifs, que je n'ai pas pu placer dans la même claffe, parce qu'ils fe font affranchis d 'eux-mêmes; rosis qui ne laiffent pas d'en faire toujours

DES FI-gnes qui caracté-rifent les enfants notive-aux-nés de ces di-verfes fortes d'Efcla-ves.

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pa r t i e , comme en fait foi la marque de leur dépendance, qu'ils ne peuvent effa­cer.

On appelle Marrons, les Negres fugitifs qui ont défer té , foit pour fe difpenfer du t ravai l , ou pour fe fouftraire aux châti­ments qu'ils on t mérités. Beaucoup même d'entre eux o n t maffacré leurs Maîtres ou leurs Directeurs ; de forte qu'il n 'y a rien qu'ils n'aient mis en ufage pour éviter d'être r ep r i s , & auffi en font- i ls venus à bout . I l s , fe font augmentés journelle­m e n t , & ont formé des bourgades dans les bois & les montagnes les plus éloi­gnées , d'où ils ne fortoient que la nuit (avant qu'on eût traité avec eux) pour vo­ler des vivres fur les Plantages voifins. Ceux qui en ont pu ra t t raper , ont eu une prime de cinquante florins pour chacun : ce qu'on donne encore aftuellement quand il s'en fauve , comme cela a r r ive ; mais pas fi fréquemment que par le paffé,

Il eft inénarrable ce qu'on a ,eu à fouf-f r i r , en cherchant ou à les détruire ou à les ravo i r ; combien il en a c o û t é , fans f ru i t , au Gouve rnemen t , & les pertes qu 'on a faites dans les divérfes guerres qu'on a eu à foutenir contre eux. Car premiére­m e n t , dès qu'on a voulu les pourfu ivre , ils s'en font vengé en débauchant de nou-

Des Ne-gres Marrons.

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veaux fujets , qu'ils engagoient à maffa-crer pareillement leurs fupérieurs. Enfui­te ils ont rompu & barré les chemins , par où l 'on pouvoit les jo indre , non fans diffi­culté cependant , car il y a nombre de ma­rais à t raverfer , où il y a de l'eau jufqu'à la ceinture : en outre il a fallu paffer des nuits entieres à la belle é to i le , dans des bois prefque impénétrables, où l'on étoi t dévoré d'infectes, qui font terribles & nom­breux dans ce pays : toutes fatigues , pres­que infoutenables à un Européen. Ce n'eft pas t o u t ; avertis par leurs fentinelles ils grimpoient fur les a rbres , d'où fans qu 'on pût les appercevoir , ils canardoient leurs ennemis à bout portant : enfin, rebuté par ces obftacles, on s'eft réfolu à traiter avec e u x , pour éviter de plus grands défaftres.

Ce fut au mois d'octobre 1 7 5 9 , qu 'on négocia la pa ix ; pour l 'avancement de la­quelle on envoya au mois de feptembre 1 7 6 0 , par un détachement de la Garnifon, les préfents convenables: de forte qu'elle fut lignée fur le Plantage Auka, par fix Confeillers & un Secrétaire , envoyés pour cet effet de la part de la Régence ; & du côté des Mar rons , par feize de leurs chefs , dont les Confeillers députés pr i rent avec eux fix en ô t age , lorfqu'ils s'en re tourne­rent ; lefquels f i x , après avoir féjourné

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quelque temps à Paramaribo, s'en re tour­nerent auprès de leurs compagnons , avec promeffe de revenir quelques femaines a-p r è s , avec leurs femmes & leurs enfan t s , pour fixer leur demeure dans la Ville, & répondre fur leur tête de la folidité de la paix qui venoit d'être conclue. On pro­mit à tous les Marrons de ne les plus in­quiéter ; & on leur permit auffi, de s'établir où ils voudroient . De leur côté ils s'enga­gerent à ne pas augmenter leur n o m b r e , mais au contraire à rendre les déferteurs qui voudroient fe joindre à eux moyennant u n e prime pour chaque : loi qu'ils n 'obfervent pas à la derniere rigueur ; mais à laquelle ils fe font cependant foumis, & paffable-ment conformés ; & en fus d'affifter la Co­lonie en guerre ou autrement. On leur a permis auffi de commercer avec les Blancs; & ils forment maintenant une Nation par­ticulière,, avec laquelle on efi; en paix.

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DE S U R I N A M . 127

C H A P I T R E X I I .

De l'économie des Efclaves en général.

PO U R peu qu'on réfléchiffe à la violente chaleur du pays d'où font les N e g r e s ,

& de celui où ils font comme tranfplantés dans la Colonie dont il eft quef t ion, on s'imaginera que la nudité des Efclaves doit être un obftacle à la propagation ; parce qu ' é t an t , par ce m o y e n , plus enclins à l 'amour & de meilleure heu re , l 'exces-five lafciveté qu'on doit leur fuppofer , & qui eft r ée l l e , eft felon le fentiment des meilleurs phyficiens contraire à la géné­ration.

Cependant ce fyftême qui peut être re-cevable dans notre hémifphere, n'a rien de réel pour eux. A u contraire , jamais population ne fut fi abondante, foit dans leur pays ou dans leur état d 'efclavage, ce à quoi donne lieu la polygamie qui eft por-tée à l 'excès tant par les Negres avec les Indiennes, que par les Blancs , par imitat ion, avec les Négreffes & Mulâtreffes ; lefquel­les ont un fi grand tempérament, qu'il eft

De la Polyga-mie.

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128 D E S C R I P T I O N

fort rare qu'un Européen qui dans ce pays-là fe livre à ce fexe, atteigne un âge fort avancé. Il eft bien plus c o m m u n , au con­t r a i r e , d'en voir expofés à nombre de ma­ladies du pays , qui jointes à d'autres excès , abregent pour le moins les deux tiers de leur carriere.

Ce qu'il y a de furprenant , c'eft que les maladies vénériennes ne foient caufe de ces morts anticipées. E t on doit l'attri­buer à l 'extrême attention qu'a ce peu­ple d'y vei l ler , par la plus grande pro­pre té .

Leur conftitution eft naturellement fi ro-buf te , que malgré la furabondante trans­piration dans laquelle ces Efclaves ne ces-fent d ' ê t re , depuis le lever du foleil jufqu'à fon coucher , on ne remarque en eux aucu­ne altération dans les fondions naturel les , qui foit capable d'occafionner ces maladies fréquentes & funeftes qui attaquent les Eu­ropéens. Ce dont ils font redevables, fans doute , à la maniere dure dont ils o n t été é levés , bien différente de la n ô t r e , qui nous empêche de réfifter aux moindres impreffions des changements qui fe font dans l'athmofphere ; ce qui prouve que no­tre molle complaifance nous eft plus funes­t e , que ne leur eft la dureté de leur édu­cation.

II

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Il y a des Auteurs fyftématiques qui a-vancent que les Efclaves fe frottent avec de certains fucs, qui forment une efpeca de ve rn i s , capable de les garantir des im-preiîions de l 'air; mais comme je fuis fûr du contraire, qu'il me foit permis de ré-futer cette opinion, qui n'eft fondée que fur des ouï-dire , & d'en faire connoître le faux. La preuve de ce que j 'avance eft, que leur infenfibilité par rapport aux in­jures de l 'air , n'eft qu 'habituel le , puisque dès qu'ils fe fentent piqués par les mos-k i t e s , ou autres infectes ven imeux, ils fe por tent des coups fur la partie piquée^ comme des muficiens qui battroient la mê^ fure ; ce que leur éviteroit le vernis en queft ion, s'il leur endurciffoit la peau au po in t de la priver de fentiment. Ceci re­garde en général leur tempérament com­mun tant aux hommes qu'aux femmes : mais comme les accouchements , plus ou moins difficultueux, dépendent de celui qui eft particulier au fexe; c'eft dequoi je Vaiä t ra i te r , pour ne rien omettre .

La groffeffe de toutes ces femmes, de quelque efpece qu'elles foient , c'eft-à-dire Négreffes, Mulâtreffes, Mouftiches ou Ca-houglesi eft fi confidérable en comparaifon de celle des Européennes , qu'on les croi-to i t enceintes de deux ou trois enfants,

De la groffeffe

des fem-mes, et de leurs accou-

chement

Tome I. I

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130 D E S C R I P T I O N

quoiqu'il foit très-rare qu'elles en por ten t plus d'un à la fois. Mais ce qu'il y a de plus remarquable parmi elles c 'eft , q u e , quoiqu'elles foient obligées de travailler à des ouvrages r u d e s , jufqu'au moment de leur dél ivrance, elles ne font jamais in­commodées , & qu'il ne leur arrive aucun des accidents fi communs en Europe . J 'ai VU même une Négreffe q u i , pour avoir com­mis une faute puniffable, reçut cinq ou fix heures avant fon accouchement , plus de cinquante coups de fouet fur les feffes; ce qu'affurement nous regarderions comme contraire à toutes les loix de l 'humanité ; & n 'en accoucha pas moins heureufe-ment .

C ' e f t une chofe é tonnan te , que la faci-Hté qu 'ont ces femmes à fe débaraffer d'un fardeau qui caufe de fi mortelles allarmes aux n ô t r e s , & qui leur eft fi funefte auffi quelquefois. Celles-là, au contraire, n 'ont pas même befoin de matrones fort habiles; car elles n 'on t recours uniquement à une autre Négreffe mariée que pour rece­voir l ' enfant , dont elles fe délivrent feu­les & fans pe ine , & pour lui couper le cor­don umbilical.

Cet te opération f a i t e , la nouvelle ac­

couchée lave elle-même fon enfant , &

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D E S U R I N A M . 131

I 2

après l'avoir couver t d 'une pagne ( a ) , elle fe met dans une cuve d'eau t iede , pour fe laver pareillement. Quelques heures a-près elle donne le fein à fon enfan t , & au bout de fix à fept jours elle eft obligée de retourner à fes travaux.

Elles en ufent avec ces petits innocents comme les Caraïbes, & ne les emmaillo-tent jamais, regardant cet te méthode comme me la plus funefte à l' humanité ; parce qu'el­le eft , difent-elles, la fource de tous les accidents qui arrivent à nos enfants ; la t rop grande compreffion du bandage intercep-t a n t , felon el les, la circulation du fang, qui doit être le fuc nourricier de leurs petits membres ; qu'en outre la tête qui eft tou-jours penchée par ce m o y e n , doit néceffai-rement recevoir une plus grande quanti té d'humeurs qu'en reftant dans une fitua-tion naturelle. Ce qui me paroît fi p h y f i -quement fondé , que je ne puis m'empê-

(a) On donne ce nom à un morceau de toile de deux aunes & demie de long, fur une aune de lar-ge, dont les femmes s'enveloppent le corps, au dé­faut des aiffelles; qui fait ordinairement deux tours, & dont les bouts qui fe croifent, fe replient en de-dans pour le tenir ferme. Ce pagne defcend pour l'ordinaire jusqu'au milieu des jambes, afin de cou-vrir ce que la pudeur ne permet pas d'expofer à la vue.

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cher de l 'admettre comme une vérité con­fiante.

Tro i s ou quatre jours après fes couches , la mere vient elle-même préfenter l 'enfant pour être nommé,obfe rvan t q u e , fi c 'ef t un garçon, elle s'adreffe au ma î t r e , & que fi c ' e f t une fille, c 'e f t à la maîtreffe. Cet­te cérémonie ayant été fcrupuleufement obfervée , elle s'en re tourne fort con­ten te .

Au temps v e n u , où elle doit fe remet­tre à fon travail ordinaire , elle y retour-n e , après avoir mis fon enfant dans un l inge , qu'elle attache & qu'elle porte der­riere fon d o s , de maniere qu'il y eft tou t courbé & en peloton. Il eft inouï q u e , malgré ce peu de foin qu'elles ont de leurs enfan t s ,ne pouvant faire au t r emen t , on en ait jamais vu de boffus, boiteux ou aveu­gles , à moins que ce ne foit par quel­ques accidents imprévus , mais qui n 'on t nul rapport à la maniere dont ils font éle­vés.

Ces femmes toutes Efclaves qu'elles f o n t , n'en ont pas moins de fentiments auffi juftes que généreux , & q u i , fi je l'ofe d i r e , feroient fouvent honte à plufieurs d'entre celles des pays les plus civilifés; c a r , de quelque lubricité que je les aye dé-_ pe in tes , en quoi je n 'en ai point impofé ,

De la cétémo-nie du Baptême de leurs enfants.

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cependant dès. qu'une mere a commencé à donner le fein à fon enfant , elle s'interdit tou t commerce avec fon mari , comme avec tout a u t r e , jufqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de fept à huit mois ; perfuadées qu'el­les f o n t , que leur lait ne pourroi t plus ê t re fi pur fi elles fe permettoient la moindre l iber té , & que l'enfant en devien-droit malade ou mal fain. D e forte qu'el­les ont affez d'empire fur elles dans ce t e m p s , pour n'avoir rien à fe repro­cher.

L'amitié de nos meres atteint-elle à ce degré de perfection ? E t ne préferent-elles, pas leur fatisfaction à la douceur d'avoir des enfants purs & fains ? Puisque nous en vo­yons r a r emen t , qui les allaitent jufqu'à l'âge de fix mois , fans avoir déja fenti quel­ques fymptômes de groffeffe; & que bien fouvent elles ne fevrent leurs e n f a n t s , qu'après s'être bien affurées qu'elles font enceintes , depuis trois ou quatre mois. D'autres m ê m e , & c 'e f t le plus grand nom­b r e , ne livrent-elles pas les leurs entre les mains d 'é trangers , fans fe mettre en peine fi elles rompent par-là les principaux liens qui établiffent la matern i té , comme la filia­tion ; & fi leurs enfants contractent les vi­ces du fang ou de l ' ame, de celles à qui el­les les confient ? Cette oppofition d'ufages,

I 3

De l'a-mitié des meres.

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pu de mœurs , ne doit que nous défabufer de la prévention où nous fommes de re­garder ces peuples comme des Barbares , puisqu'ils rempliffent fi fcrupuleufement ces premiers devoirs de la Religion, com­me de l 'humanité. Mais pour en revenir à ce peu de foin apparent qu'elles en o n t , il faut qu'il foit bien fondé en principes; puisque j'ai v u , non fans une extrême fur-pr i fe , que leurs enfants , dès l'âge de neuf à dix mois , commencent déja à marcher , ou plutôt à fe traîner tout nuds fur le fa­b l e , en marmottant quelques mots entre leurs dents.

Les premieres paroles qu'une mere ap-prend à fon enfant , font : audi Maffera , ce qui fignifie, comme on l'a vu plus haut : bon jour , maître. E t le premier devoir qu'elle lui infpire , c'eft de refpecter fon maî t re , de l'aimer , & de lui être fidele, même au pé­ril de fa vie. Auffi font-ils presque t o u s , comme je l'ai d i t , d'une fidélité fans ex­e m p l e , pour peu qu'on les traite avec hu-Bianité. Mais elle ne fe p re f fe pas de mê-me de lui inculquer aucun principe de Re­ligion : c ' e f t le dernier des devoi rs , qu'elle lui met devant les yeux , qui ne confifte qu'à reçonnoître qu'il y a un D i e u , que ces peuples appellent en leur langue, com-

me en Anglais, God, Paffé c e l a , ils fon t

De l'édu-cation de leurs en-fants.

De leur Reli-gion

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en général tous i do l â t r e s , ne pouvant fe défifter de rendre un culte particulier à quelque animal , dont leurs pa ren t s , de pe­re en fils , ont fait choix. Si le p e r e , par exemple , adore un cerf, le fils l'imitera ; & fi la mere rend fon culte à un ferpent , la fille en fera de m ê m e , de forte que chaque famille a , pour ainfi d i r e , fon animal qu'el­le révere ; & que rien n'eft capable de les empêcher d'avoir leurs efpeces de Pénates. L'idée que ce peuple s'eft formée de ce c u l t e , eft t rop finguliere, pour ne pas la rappor­ter ici.

Ils croient fermement qu'en adorant l'animal qu'ils ont en vénéra t ion , il ne leur fera jamais de m a l , ni à eux ni à leurs enfants : ce qui doit faire préfumer que la crainte ou l'antipathie a donné lieu à cet te fuperftition. E t comme le choix ne vient pas d ' e u x , mais de leurs a n c ê t r e s , ils fe t iennent indispenfablement obligés de fe foumettre à cette L o i , & feroient dévo­rés de remords s'ils y manquoient ; fe for­tifiant, par cet te déférence pour leurs aïeux , dans celle qu'ils fçavent être obli­gés d'avoir pour leurs patrons : dogme , que les meres ne ceffent d'inculquer, à leurs enfants ; & qui eft pour eux un éternel fouvenir de la baffeffe de leur ex t rac t ion ,&

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la fource immanquable de la fidélité dont j'ai parlé.

Ce culte cependant n'a plus lieu parmi ceux qui ont le bonheur d'être inftruits dans la Religion Chré t ienne , & d'être bap-tvifés; parce qu'alors ils ne reconnoiffent plus que l 'Etre S u p r ê m e , & que d'ailleurs le baptême les affranchiffant, ils perdent tou te idée de fervitude & d'idolâtrie.

Le nombre de ces chrétiens n ' e f t pas fort confidérable, par le nombre de diffi-cultes qui fe rencontrent à leur donner la liberté. P remiérement , fi un maître veu t affranchir fon Efclave, il eft obl igé, ou­tre la perte qu'il fait de ce qu'il lui a coû-t é , de lui acheter des lettres de franchife, qui coûtent aux environs de deux cents florins; car fans elles l'Efclave ne peut être inftruit ni baptifé. Cet inconvénient ne feroit encore r i e n , à moins que le maî­t re ne fût de la plus fordide avarice; mais il faut encore que l 'Efclave, tel qu'il fo i t , ait non feulement appris une profeffion, mais qu'il foit en out re en état de gagner fa v i e , fans quoi le maître eft obligé de le nourr i r & de l ' en t re ten i r , de crainte qu'il ne foit à charge à d 'aut res , ou qu'il n'aug­mente les ennemis de la Colonie,

Les N e g r e s , en g é n é r a l , font fi fideles entre eux à l'amitié , qu'ils fouffriroient

De la difficulté d'affran-chir les Efclaves à Suri-nam.

Du ca-

ractere

des Ne-

gres.

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plutôt les plus rudes châtiments que de fe nu i re , jusques - là que fi quelqu'un de leurs amis devient m a r r o n , c'eft-à d i r e , qu'il a-bandonne fon maître-, ils le ret irent dans leur cafe ou maifon, & périroient plutôt que de le déceler : malheur auffi à celui qui les accuferoit. Mais s'il leur furvient quel­que dispute parmi e u x , ils fe méconnois-fent au point de ne rien épargner pour fe venger ; & ils font fi vindicatifs qu'il n 'y a pas moyen d'en venir à aucune mé­diat ion, s'ils ont été jusqu'à fe bat t re .

Ils font en outre plus jaloux de leurs femmes qu'un I ta l ien , & ils les empoi-fonnent dès qu'ils s 'apperçoivent de la moin­dre liaifon , foit avec un autre Negre ou avec un Indien ; mais ce qu'il y a de fingu-l i e r , c'eft qu'ils ceffent de penfer de la forte lorsque c'eft avec un Blanc, qu'ils s'en font g loi re , au contraire , & qu'ils n'en ont pas le moindre reffentiment.

Tous les Negres parviennent à un âge fort avancé , & n 'ont presque jamais d'au-très infirmités que la caducité ; fembla-bles en cela aux Indiens dont j 'ai par lé : j ' ignore fi cela eft annexé aux uns comme aux au t res , ou fi c ' e f t un effet du climat du pays de Surinam. Quoi qu'il en fo i t , perfonne n'a plus de refpect pour les vieil­lards que les jeunes gens de cette Nation ; I 5

Des fui­tes de la jaloufie des Ne-gres.

I 5

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ils ne les appellent jamais autrement que Tata , qui fignifie p e r e , & ont pour eux toute la foumiffion imaginable. Ceux-ci , de leur c ô t é , ne ceffent de les exhorter à remplir leurs devoirs envers leurs maî­t r e s , afin d'en être bien t ra i t és , & d'en recevoir par la fuite les récompenfes qu'ils pour ron t avoir méritées. E t il eft con-ilant que pour peu que l 'humanité nous prescrive d'en ufer avec douceur envers e u x , nous ne pouvons que nous at tendre à en être bien fervis : ce qui me ferable auffi être un moyen plus efficace que ce­lui de la t rop grande févér i té , qui n'eft que t rop fouvent la caufe du défespoir dans lequel ils fe p longen t , plutôt à not re préjudice qu'à leur détriment.

Les mariages de ces peuples font beau­coup plus folides que ceux des Indiens ou naturels du pays , quoiqu'ils n'exigent pas beaucoup plus de préparatifs. Si , par ex­emple , un Negre & une Négreffe font d'ac­cord de fe mar ier , & qu'ils appartiennent à différents maî t res , le Negre alors en fait la de­mande à la maîtreffe à qui appartient fa pré­tendue , avec p romef fe qu'il en aura foin ; & la Négreffe, de fon c ô t é , s'adreffe à fa maîtres-f e , pour lui faire part de fes in ten t ions , & lui demander fon confentement : lequel accordé , ils fe donnent la ma in , & célebrent le même

DE leurs maria­ges.

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jour leurs noces. Si c'eft un Negre un peu confidéré, il invite plufieurs de fes amis à paffer la foirée enfemble, & ils font un pet i t fouper qui eft ordinairement fuivi d 'un ba l , où ils fe divertiffent quelque­fois toute la nuit. Le lendemain matin le nouveau marié re tourne chez fon ma î t r e , & ne fe re t rouve avec fa femme que les foirs. Les enfants qui réfultent de ce ma­riage , appartiennent au maître de la Né-greffe , & non à celui du Negre .

La danfe eft une des plus grandes pas­sons de ce peup le ; & il n 'y a perfonne au monde qui y foit plus attaché. Il y en a même qui danfent un menuet auffi pro­prement qu'un Blanc ; mais ce n'eft pas la danfe qui les amufe le plus. Ce qui flatte le plus leur g o û t , c'eft de faire toutes for­tes de poftures & de mouvements , rem-plis d ' indécence, dans lefquels la cadence eft néanmoins rigoureufement obfervée ; car ils ont beaucoup d'oreille.

Les danfeurs,par, exemple , fon t dispofés fur deux lignes , les uns devant les au t r e s , les hommes d'un c ô t é , & les femmes de l ' au t re : ceux qui font déja fatigués de la danfe, ainfi que les fpectateurs, forment un cercle autour des danfeurs & de ceux qui jouent des inftruments. Quand la dan­fe doit commencer , le plus habile chante

De leurs danfes.

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un air ou une chanfon, fur tel fujet qu'il le juge à p ropos , dont le refrein fe répete par tous les fpectateurs, pour que les mu­ficiens puiffent le j o u e r , & que les danfeurs puiffent s'y conformer.

C'eft une chofe finguliere que de voir tous les tours & les virevoltes qu'ils font : ils s 'approchent à deux ou trois p ieds , les uns des au t res , & fe reculent en cadence , jufqu'à ce que le fon de leur tambour les avertiffe de fe joindre , c'eft-à-dire , les hommes contre les femmes. A les voir on diroit que ce font des coups de ventre ; -quoi qu'il n 'y ait cependant que les cuiffes qui s 'approchent. Ils fe ret irent enfuite en p i roue t tan t , pour recommencer les mê­mes mouvemen t s , avec des gestes tout-à-fait lascifs , autant de fois que le tam­bour en donne le fignal, ce qu'il fait or­dinairement plufieurs fois de fuite : & de temps en temps ils s 'entrelacent les b r a s , & font deux ou trois tours en fe frappant toujours les cuiffes , & fe baifant. T o u s les N e g r e s , en un m o t , ne font point de pas en danfant , que chaque membre de leur co rps , chaque articulation, la tête mê-m e , ne marquent tous en même temps un mouvement différent , & toujours en obfervant la cadence, quelque précipitée qu'elle foit. C'eft dans la jufteffe de ce

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nombre infini de mouvements que confifte principalement chez eux l'art de la dan­fe. Il faudroit être né avec une fouples-fe pareille à la leur pour pouvoir les imiter.

Ils ne connoiffent que trois fortes d'in-ftruments, qu'ils appellent t a m b o u r , tam-bourinet & guitare.

Le tambour eft fait d'un morceau de t ronc d ' a rb re , inégalement c reufé , ouver t par un des b o u t s , & couver t par l ' au t r e , d'une peau de chevre ou de breb is , dont on a gratté le po i l , & rendue comme un parchemin. Il y en a depuis trois jusqu'à quatre pieds de longueur , fur quinze à dix-huit pouces de diametre. Ceux qui s'en fer­vent , le paffent entre leurs j ambes , & le tou­chent du plat des quatre doigts de chaque ma in , en obfervant parfaitement la mefure.

Le tambourinet eft une petite planche-, pofée fur un p ied , & fur laquelle on frappe en mefure , avec deux petites baguettes.

La guitare eft faite d'une moitié de ca­lebaffe, à laquelle ils ajoutent un manche affez long ; ils la couvrent d'une p e a u , femblable à celle du t ambour , fur laquelle ils mettent quatre cordes de foie , ou de boyaux d'oifeaux féchés, & enfuite prépa­rés avec de l'huile de dates : & ces quatre cordes font foutenues par un chevalet. Ils jouent de cet inftrument en pinçant &

De leurs inftru­ments.

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en ba t t an t , & le confiderent comme une efpece de violon : ils l 'appellent en leur lan-gage Bagna.

Ils ont tous leurs petites maifons, con-ilruites à part de celles de leurs maîtres. Chaque cafe, comme ils les appel lent , eft de la hauteur de huit à neuf pieds , n'a-yant qu'un rès de chauffée; & elles ont depuis dix jufqu'à douze pieds de circon­férence. Il n 'y a pour tou te ouver ture qu 'une feule petite por te qua r r ée , encore eft-elle fort baffe: & tous leurs meubles confiftent en un ou deux l i t s , pour tou te la famille, compofés fimplement d'une claie pofée fur des traverfes , foutenues par de petites fourches à un pied de terre ; ils étendent une na t te deffus qui leur tient lieu de paillaffe, de mate la ts , & pour l 'ordi­naire de draps & de couvertures ; pour d'o­reillers ils s'en paffent, n'en connoiffant point l'ufage. A l'égard de leur vaiffelle, elle fe borne à quelques pots de terre , des calebaffes, des febilles, & autres chofes de peu de valeur. Ce qui en t o u t , tant meu­bles que vaiffelle, n'occafionne pas l 'extrê­me at tention qu'ils ont de tenir pendant la nuit la porte de leur cafe exactement fe rmée ; la feule raifon qui les engage à ce foin, c'eft le froid qui eft t rès-piquant , comme je l'ai d i t , dans ce p a y s , dès que le

De leurs maifons.

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foleil eft couché ; & qu'ils y font très-fen-fibles. Ce qui fait môme qu'ils entretien­nent du feu pendant la n u i t , fans s'era-barraffer de la fumée , dont ils font pres­que fuffoqués, & dont ils contractent telle­ment l 'odeur qu'ils fentent toujours la fuye.

Ils font tous grands fumeurs , tant hom­mes que femmes, & ils aimeroient mieux fe paffer de dîner que de fe priver d 'une pipe de t abac , ce qui fait que leurs maî­tres leur en donnent autant qu'ils en peu­vent défirer. Cette libéralité ne regarde toutefois que les Planteurs qui cherchent à les encourager par-là d'autant plus au travail.

La nourr i ture de ce peuple confifte en différents légumes, tels que les Bananes, les Bacaves , les Ignanes ou Teies, les Pi-ftaches, le Chou palmifte,les Patates, le Ma-his & le Manioc.

Comme j 'ai déja parlé des trois derniers dans le Chapitre V I . je ne ferai connoî t re que les autres.

Le Bananier (b) eft une efpece d'arbre, ou pour mieux d i r e , une plante qui croît à la hauteur d'un a r b r e , dont la tige ne peut fe comparer qu'à un gros rouleau de feuilles q u i , fe recouvrant les unes & les au-

(b) En Latin Mufa.

De leur nourritu-re.

Des Ba-nanes.

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t r e s , forment comme des écailles, par la façon dont elles font rangées -, les extrêmi­tés des unes fervant d'écorce ou d'envelop­pe à celles qu'elles renferment. Les fupé­rieures font fi longues & fi larges, qu'une feule eft presque capable d'envelopper une perfonne. Leur couleur eft d'un fort beau verd fatiné. D u fommet de cette plante fort & s'éleve un rameau qu'on appelle Régime, qui eft de la groffeur du b r a s , & reffemble à l'épi du bled de T u r ­quie ou à une pomme de pin. Il por te des fleurs rouges , auxquelles fuccedent des fruits qui deviennent de la groffeur & de la forme de nos concombres , en grandiffant, & au nombre de deux ou trois cents. Ils font ve rds , avant que d'avoir atteint tou­te leur perfection, & on t la peau fort liffe; mais fls jauniffent en meuriffant comme les oranges , & renferment une fubftance moël-l eufe , pleine d'un fuc humectant , d'un goût très-agréable, que je ne fçaurois mieux comparer qu'à celui de la poire ou du coing : & c'eft une des meilleures nour­ritures pour les Efclaves. Une grande preuve de fon extrême b o n t é , c'eft que tous les animaux frugivores en font très-friands.

L'arbre ou la plante dont je pa r l e , ne fe plante ni ne fe replante jamais, & ne

por-

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porte qu'une fois ; après quo i , foit qu'on le coupe ou n o n , il décline peu à p e u , fe flétrit, fe feche & t o m b e ; mais fa raci­ne qui eft greffe, ronde & bulbeufe , ne meur t po in t , & a bientôt pouffé d'autres rejet tons q u i , à neuf mois , ont toute leur g randeur , & qui ont pour - lo r s dis à dou­ze pouces de diametre : groffeur qui ne les rend pas plus durs , ni plus difficiles à c o u p e r , par la raifon qu'ils n ' o n t , comme on l'a v u , ni écorce ni bois.

Sa culture demande un terroir humide , gras & profond; car il lui faut beaucoup de nour r i t u re , & pour peu que cela lui manque , il ne profite pas & ne produit que des fruits avortés.

Les pêcheurs & autres gens qui fré­quentent les bords de la m e r , en mangent les f rui ts , avant qu'ils foient m û r s , e n -guife de navets & de carottes ; & les Efcla­ves les font cuire dans l ' eau , avec de la viande falée ou du poiffon boucanné , ou fimplement avec du poivre Indien. On fait encore rôtir la Banane fur les char­bons , & on la mange après en avoir lavé la peau , ou on la fait é tuver avec du vin & du fucre en guife de compote. On t rouve des Bananiers non feulement dans tou te l 'Amér ique , mais encore en Afrique & en Afie.

Tome I. K

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146 DESCRIPTION

La Bacove eft une efpece de Banane mineu re , c'eft-à-dire plus pe t i t e , ne paffant gueres fix à fept pouces de longueur , fur huit à dix lignes de diametre , & dont la chair , qui eft incomparablement plus dé­l ica te , a une petite odeur mufquée t r è s -agréable. La plante qui la por te , ne dif­fere en rien de celle du Bananier, ni dans la figure, ni dans la cu l tu re , ni dans l'ufage que l'on fait de fon f r u i t , de forte qu'elles font toutes d e u x , tant la Banane que la Bacove , une excellente nour­ri ture pour les Efclaves.

Le Palmifte qui eft u n arbre fort com­mun à S u r i n a m , vient droit comme u n e fleche, & haut allez fouvent de plus de t rente pieds, n'ayant qu'une feule racine pr incipale , de médiocre groffeur, qui s'en­fonce perpendiculairement en t e r r e , & qui ne feroit pas capable de le foutenir , fi elle n 'étoi t aidée par une infinité de petits rameaux ronds & fouples q u i , s 'entremê-lant les uns dans les au t res , l ' enveloppent , & viennent raiz terre former une affez groffe touffe autour du pied de l'arbre , ce qui l'affermit parfaitement & lui fournit tou te la nourr i ture néceffaire.

L'ufage qu'on fait du Palmifte, eft de l ' a b a t t r e , p u i s d'en C o u p e r le f o r a m e t à

deux pieds ou deux pieds & demi de l 'en-

De la Bacove.

DU Choux Palmifte.

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droit où les feuilles prennent naiffance, & après qu'on a levé l 'extér ieur , on trou-ve vers le cœur de l 'arbre une efpece de bouquet de feuilles repliées en éventail f e r m é , & ferrées les unes contre les au,-t r e s , blanches, t endres , délicates, & d'un goût approchant de celui des culs d'arti­chauts , qu'on appel le , en cet é t a t , Choux Palmifies : les Créoles & les Negres les nomment Cabifch. On les met dans l'eau f ra îche , & on les mange en falade, ou bien on les fait bouillir dans l'eau avec du fe l , & après qu'ils font égou t t é s , on les mange à la fauffe blanche avec de la mufcade, comme les cardons ou les falfi-fis: ils donnent auffi un très-bon goût au potage ; enfin de quelque maniere qu'on les accommode , ils font t rès-bons , fort dél icats , & font une nourr i ture très-légere & de facile digeftion ; de forte qu'on peut les appeller la manne du pays. J'oubliois qu'on les met auffi confire dans le v inaigre , comme les cornichons.

Cet arbre produit encore des vers (que l 'on mange , & que les Créoles appellent Cabifch-Worm ) à l'aide de certaines mou-ches qui en aiment beaucoup la moelle : & & voici comment. Quand l'arbre eft a-b a t t u , & qu'on ne veut pas fe fervir de

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Des vers de Choux Palmifte,

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fon t r o n c , on y fait plufieurs entailles tout du l ong , jufques au cœur , pour que ces mouches puiffent y pénétrer & en manger la moël le , ce qu'elles font : après quoi elles ne manquent pas d'y dépofer , à la p lace , des œufs qui donnent naiffance aux vers en queftion, lefquels font de la gros-feur d'un p o u c e , & longs environ de deux. Je ne puis mieux les comparer qu'à un peloton de graiffe, enveloppé d'une péli-cule fort tendre & fort t ransparente. On ne remarque dans cet animal, du moins à la v u e , ni inteftins ni aucune partie de la générat ion; je dis à la v u e , car avec la loupe on apperçoi t , quand on a fendu l'a­nimal en deux par t ies , quelque chofe d'ap­prochant des parties i n t e rnes , mais qu 'on ne peut cependant encore bien définir. Sa tê te qui eft noire tient au corps , fans aucune diftinction de col.

La maniere de les apprêter eft de les en-filer dans une brochette de bois , pour les tourner devant le feu comme des a loue t t e s , ou bien de les faire frire à la poële. L'on pré­tend que c'eft un excellent ragoût & très-dél ica t : je veux le croire tel pour ceux qui peuvent vaincre la répugnance qu'on a de manger des vers ; mais quant à m o i , la figure qu'ils ont d'une groffe cheni l le ,

Maniere d'apprê­ter les vers du Palmifte.

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fuffiroit pour m'en dégoûter , quand je n'au-rois pas mangé de huit jours.

L'Igname eft une rac ine , qu'on appelle dans le pays Teie. C'eft une efpece de bette­rave qui demande une bonne terre f o r t e , graffe & profonde , & qui devient par con­féquent groffe à proport ion de la bonté du terroir où on la feme. Sa peau eft affez épaiffe, r u d e , inégale , couverte de beaucoup de chevelure ou filaments, & d'un violet t irant far le noir. Le dedans , foit qu'elle foit cuite ou crue , eft d'un blanc fale , qui tire quelquefois fur la cou­leur de chair ; fes feuilles font fort longues , larges, & fe terminent en pointe. C'eft à elles que l'on connoît quand le f ru i t , ou pour mieux dire cette rac ine , eft dans tou te fa ma tu r i t é , & qu'elle a acquis tou­te la groffeur qu'elle doit avoi r ; parce qu'alors elles fe flétriffent. On la tire de ter re à cette marque , & on la laiffe au fo­leil pour fe reffuyer, & enfuite on la met dans un lieu fec où elle fe conferve au moins fix mois.

La tige que produit cette plante , porte quelques épis garnis de petites fleurs en forme de c loche , dont le piftil fe change en une petite filique, qui eft remplie de petites graines noires. Il fuffit d'en avoir

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Des Teies ou Ignames,

De la culture des Teies,

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une fois femé ou p l a n t é , pour en recueil-lir t o u j o u r s ; parce qu'on fe fert commu-nément de la tête de la racine pour en a-voir l'efpece. On la coupe en plufieurs morceaux , que l'on met en t e r r e , à la di-flance de trois pieds l'un de l ' au t re , & au bout de fix mois on peut recueillir le f ru i t , ce qui n'arrive pas fitôt quand on en feme la graine.

Cette racine fe cuit aifément, & ne laiffe pas que d'être fort nourriffante, quoi-que très-légere & de facile digeftion. On la mange cuite avec de la v iande , ou rô­tie fous la braife ; & enfuite on y ajoute du jus de c i t ron , du piment écrafé , & du fel. On en fait encore de très-excellent braf, qui fe prépare de la maniere fuivan­te . On choifit les plus petites de ces raci­n e s , parce qu'elles font plus délicates, on les fait cuire dans l 'eau, & on y ajouts une piece de la meilleure viande falée, des poiffons boucannés , & des affaifonnements qui rendent ce ragoût exquis. J 'en parle fçavamment pour en avoir mangé par g o û t , réguliérement une fois par femaine. J'a­joute même que quand on n 'auroit que cet te p lan te , & les patates ou pommes de ter re que j 'ai décr i tes , on pourroit fort aifément fe paffer de p a i n , en quelque temps que ce fût.

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Il y a deux fortes de Piftaches, dont l ' une eft le fruit d'un arbre qui fe nonime Piftachier, & l 'autre celle qui croît en ter-r e , & toutes deux fe t rouvent à Surinam: les Créoles les nomment Pinda.

Les premieres font rouffes, & contien­nent une moëlle v e r t e , à peu près du goût des pignolats; elles pendent en grap­pes , au bout des branches de l 'arbre. On en f a i t , fi on v e u t , des confitures & des dragées.

Les fecondes font des fruits r o n d s , tor-tus & brunâ t res , gros comme le doig t , & d'un pouce de longueur , contenant cha-cun une ou deux graines, groffes comme une de nos noifet tes , & de même g o û t , de couleur cendrée , refonnant ou faifant du bruit lorsqu'ils font fecs. Ils provien­nent d'une plante qui donne beaucoup de rameaux rampants , garnis de feuilles jau­n e s , légumineufes, arrondies & rangées quatre fur une même q u e u e , au dos de la­quelle viennent des gouffes, qui ne mû-riffent qu'étant couvertes de terre ; de for-t e que ces fruits y font enfouis. Us font fort agréables au g o û t , bons à l 'eftomac, & fourniffent en affez grande quantité une affez bonne nour r i tu re ,quo iqu 'un peu gros-iiere.

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Des Pi-ftâches au Pinda.

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Après avoir parlé de la nourr i ture des Negres , venons à leurs maladies. Quoi­que j ' a y e dit plus haut qu'ils n'en avoient pas de fréquentes ni de funeftes, je n'ai prétendu parler que des aiguës; car ils font beaucoup fujets à celles qu'on appelle chro­niques ou invétérées , qui durent long-t emps , & dont on ne fcauroit fixer le ter­me de la guérifon. Pour les bien connoî-t r e , on peut avoir recours à mon Traité des maladies de Surinam , imprimé dans l 'année 1764 : on y trouvera l'ample defcription que j 'en ai faite, & les remedes les plus pro­pres à les guérir.

T o u t ce qui me refte à faire obferver à ce fujet, ce font les excès où fe por tent les Negres p o u r , fe dé t ru i re , foit lorfque la fainéantife s'empare d ' eux , ou lorfqu'ils tombent dans une noire mélancolie, qui leur rend la vie à charge. Ils prennent a-lors un tel dégoût pour leurs aliments or-dinaires, qu'ils leur fubftituent des char-bons pi lés , des bouts de p ipes , de la ter-r e , de la cra ie , des cendres , du t abac , & autres chofes femblables s ce qui leur rend le vifage bouffi, & les paupieres fort gonflées, & finit ordinairement par une hy-dropifie qui met le comble à leurs défirs, en terminant bientôt leur carriere, fans qu'on puiffe y remédier.

De leurs maladies,

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Auffitôt qu'un Negre ou une Négreffe m e u r t , tous leurs parents jet tent les cris les plus affreux, en faifant diverfes ques­tions au cadavre, pour vérifier apparem­ment fon t répas ; car quelle autre vue pour­voient- i ls avoir ? E t après plufieurs autres lamentations ils difent enfin qu'il eft mor t . Le même jour on le met en t e r r e , & on a foin de pofer à fes côtés deux cale-baffes, dont l 'une eft remplie d'eau , & l 'autre de toutes fortes de v iandes , pour lui fervir de nour r i tu re , fuppofé qu'il lui prenne envie de boire ou de manger. Les parents du défunt por ten t le deu i l , pen­dant un certain t emps , & paroiffent fort triftes de la perte qu'ils ont faite : fi c'eft un Efclave un peu aimé de fon Maître , on le met dans un cercuei l , finon on le jet te en ter­re tel qu'il eft décédé.

Je ne veux point finir ce Chapitre fans rapporter un trait fingulier au fujet d'un Negre blanc.

Dans le Plantage de Voffembourg il y avoit, dans l'année 1 7 6 0 , un Negre tout b lanc , qu'on appelloit Jean Witt. né de pere & de mere Créoles , très-noirs. Je l'ai moi-même affez examiné, pour ne rien avancer ici que de conforme à l'exacte véri té .

Il étoit venu au monde le 12 mars 1 7 3 8 ;

il avoit la véritable figure d'un N e g r e , le

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De leurs obfeques.

Defcrip-tion d'un Negre blanc.

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nez extrêmement plat & large , de groffes l ev re s , les deux premieres dents de la mâchoire fupérieure beaucoup plus longues & plus larges que les au t r e s ; & avoit fur-t o u t des yeux très finguliers. La ftructure du globe n'avoit rien de particulier ; mais la conjonctive étoit parfemée de petits fila-ments rougeât res ; l'iris étoit d 'une couleur marb rée , grife & b lanche , & la prunelle couleur de feu , d'une vivacité égale au plus beau diamant. La lumiere qu'elle j e t t o i t , ne paroiffoit pas au grand j o u r ; mais elle étoit parfaitement vifible dans l 'obfcurité de la nuit . Quoique ce Negre pû t appercevoir en tout tems les objets qu 'on lui préfentoi t , il ne pouvoit cepen­dant bien les diftinguer que dans les téne­bres. Lorfqu'il vouloit fixer fa vue fur quelque chofe , ou qu'il vouloit marcher , il tournoi t toujours l ' ir is, comme font les crabes. Sa t ê t e , de même que le deffus de fa po i t r ine , & les parties de la généra­tion , étoient fortement garnies d'une es­pece de poil de chevre très-fin, & de la derniere blancheur , au lieu de la lai­ne n o i r e , qu 'ont ordinairement les Ne­gres.

C'étoit une efpece d ' idiot , qui m'a affu­ré n'avoir e u , jufqu'au moment où je

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l 'examinai , aucun commerce avec le f exe , parce qu'aucune Négreffe n 'avoit voulu fouffrir qu'il l ' approchât , par rapport à la différence de fa couleur. De forte que je doute qu'il ait jamais de poftérité : il étoit cependant en tout très-bien confor­mé .

Mais ce qu'il y avoit de plus remar­quable à fon égard , c'eft que fa mere m'a affuré avoir eu huit enfants , dont le premier étoit M u l â t r e , le fecond Noir , le troifieme une Négreffe b lanche, qui a é té envoyée à Par i s , dans l 'année 1 7 3 4 ( c ) , le quatrieme un Mulâ t r e , le cinquieme Jean Witt, dont il eft queft ion, & les trois derniers très-noirs,

Je n 'entreprendrai point d'expliquer un phénomene auffi extraordinaire que celui-ci. On peut confulter là-deffus la Venus phyfique du célèbre Monfieur de Mau-pertuis , dans laquelle on trouvera une explication affez détaillée fur l'origine des Negres blancs. Je ne ferai que rappor ter ce que Monfieur de Voltaire a dit à ce fujet.

”Il a p l u , dit-il , à la Providence de

(c) Voyez l'hiftoire de l 'Académie des Sciences de

la même année.

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„ faire des hommes à membranes no i res , „ & des têtes à la ine , dans les climats „ t empérés ; d'en met t re de b lancs , fous „ la ligne ; de bronzer les hommes aux

„ grandes I n d e s , & au Bréfil; de donner „ aux Chinois d'autres y e u x , & d'autres „ figures qu'à nous ; & de met t re des „ corps Lapons tout auprès des Sué-„ dois."

Comme je crois n'avoir rien oublié fur l 'économie de ce peup l e , il ne me refte qu'à ajouter qu'ils font excellents chaffeurs, bons pêcheurs , & habiles na­geurs.

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D E SURINAM. 157

C H A P I T R E X I I I .

Réflexions importantes fur la maniere de bien gouverner les Efclaves.

P E R S O N N E n ' ignore que le premier devoir de l 'homme ne foit vis-à-vis

de fes femblables de les traiter avec hu-man i t é , dans quelque état ou de quelque âge qu'ils foient , ce qui a fait dire à un

ancien: Homo fum, nil humani à me alie-num puto. „ Je fuis homme, & rien de ce

„ qui appartient à l'humanité n'eft étranger „ pour moi".

Celui qui n'aime pas íes f rè res , eft un aveugle qui méconnoît la n a t u r e ; & celui qui pourroi t les ha ï r , feroit un monftre qui l 'outrageroit . Dans quelle occafion pou-vons-nous plus à propos fuivre un dog-me fi vrai que vis-à-vis d'un peuple q u i , quoique né dans la fervitude , n'eft pas

moins compofé d'hommes femblables à nous ? Pour peu qu'on les confidere comme tels, on doit non feulement les traiter

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avec humani té , mais n'avoir nulle prédi-lection marquée pour l'un , au préjudice de l ' au t r e , fi nous ne voulons que celui que nous priverons de not re bienveillance , pour en accorder une plus particuliere à un a u t r e , ne foit méprifé & molefté par fes propres camarades : car c 'e f t - là ce qui arrive indubitablement, quand nous fom­mes affez foibles pour laiffer entrevoir la moindre diftinction entre perfonnes fubor-données.

Le P lan teu r , ni le Di rec teur , ne doi­vent pas néanmoins fe trop famifiarifer avec aucun d ' eux , parce que cela n 'engen-d re ro i t , comme dit le p r o v e r b e , que du mépr i s ; mais il faut qu'ils fçachent , l 'un & l ' au t re , s'en faire a imer , craindre & res-peéler.

Ils doivent éviter auffi très-ftrictement d'avoir aucun commerce avec leurs Efcla­ves mariées , par rapport aux desordres , comme aux fuites funeftes qui en peu­vent refulter : p remiérement , la pareffe , foit du côté de la femme ou de celui du mari ; fecondement , l'efprit d'orgueil & d'in­dépendance ; & qu'en o u t r e , fu un Efclave vient à être maltraité par ceux qui fe font emparés de fa f emme , il ne manque pas de chercher les occafions de s'en ven­ger , foit en défertant & en emmenant d'au-

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tres avec l u i , foit en empoifonnant fon Directeur ou le P lan teu r , qui lui fait un traitement qu'il t rouve injufte , dès qu'il partage fes plaifirs. Voilà les malheureux effets de la Polygamie ! De forte que pour prévenir de pareils accidents , l'on doit ab-folument éviter de donner la moindre ja­loufie à des gens qu'on eft obligé de traiter féverement , s'ils viennent à manquer à leurs devoirs.

On ne doit les laiffer manquer de rien de ce qui leur eft néceffaire, tant pour l'en­tret ien de la v i e , que pour ce qui eft d'u­fage de leur donner dans les Plantat ions, pour de certains petits befoins.

Si quelques-uns tombent malades , ce qui eft r a r e , comme je l'ai d i t , ou s'il leur arrive quelque accident , il faut en a-voir fcrupuleufement fo in , les tenir fur-tou t à l'abri des injures de l 'a ir , & ne ja­mais manquer chez foi des médicaments qui font en ufage dans les Plantations pour les avoir fous la main en cas de be­foin : c'eft à quoi le Directeur doit pareil­lement veiller.

Comme tout excès eft condamnable , jufques dans les meilleures chofes , il ne faut pas d'un côté les furcharger de tra-v a i l , ni d 'un autre laiffer, par t rop d'in­dulgence , le moindre crime impuni ; l'ex-

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emple feroit dangereux, fi on fe relâce t rop fur le dernier article ; mais il faut les peines foient proportionnées au délit furtout ne fe point laiffer entraîner par la fion en les chât iant , ou en les faifant chât à ou t rance , pour ne point irriter le cou b l e , & le forcer à fe por ter au défespo ce qui feroit toujours préjudiciable à ce qui n'auroit cru que le pun i r , & qui fe roi t fatisfait lui-même à fes propres dépe

Dès qu'on ne les châtie qu'à proport qu'ils l 'ont mér i t é , & felon les loix de qu i t é , on peut être moralement fur d voir de bons & fideles ferviteurs; car to Efclaves qu'ils fon t , ils penfent & réfléchi fent tout auff i bien que n o u s , & fçavent trè bien difcerner ce qui eft juñe d'avec ce qui l'eft pas. D'ailleurs ils reconnoiffent aiféme leurs fautes, à moins que ce ne foit da un cas d'empoifonnement ; car alors rie n ' e f t capable de leur faire avouer no feulement leur propre c r ime , mais encore de décéler quelqu'un de leurs camarade qu'ils en fçauroient coupable,

Il eft bon au f f i & même néceffaire d leur permettre à certains jours de le diver tir entre eux ; car ils font fi paffionnés comme je l'ai d i t , pour la danfe, qu'ils font fort reconnoiffants dès qu'on leur accor-de de s'y amufer; & l 'on peut être fûr

que

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cela renouvelle leur zele pour le tra-i l , auquel ils fe l ivrent enfuite du meil-

eur de leur cœur ; mais il faut alors re-mmander aux Officiers Negres ( a ) de iller à leur condui te , afin qu'il ne furvien-aucun defordre, fans quoi cette licence

urroit avoir de mauvaifes fuites.

Je finis par répéter combien il eft im-ortant de les traiter avec douceur , & de

les point châtier, comme il arrive dans que toutes les Colonies , avec une ri­

ueur qui tient de la barbarie ; ou qu'on ne pit plus furpris, s'ils cherchent à s'affran­

c h i r du joug rigoureux qu'on leur impofe. qui doit-on s'en prendre en effet, quand

ela arrive fi ce n'eft bien fouvent à la conduite dure & cruelle de leurs Direc-cfeurs? C'eft donc aux Planteurs eux-mê-

nes & aux Adminiftrateurs à y vei l ler , &

(a) O n donne le nom d'Officiers Negres , à ceux

qu'on a choifi parmi eux, pour veiller à la con-

eiuite des autres Efclaves; lesquels ont l 'autorité fur

e u x , & le droit de les châtier, lorfqu'ils ne veulent

pas travailler, ou quand ils ont commis quelque

faute. Chacun de ces Officiers a une trentaine de

Negres à gouverner , & a toujours un fouet à la

m a i n , pour s'en fervir en cas de befoin. Il eft tenu

de faire fon rapport tous les foirs, foit au M a î t r e ,

foit ail Directeur , afin de recevoir de nouveaux o rd res ,

pour les travaux du lendemain,

Tome I. L

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aux premiers à ne choifir , pour cet em-p lo i , que des gens d'un caractere i n t e g r e , & por tés pour leurs i n t é rê t s , qui leur mé-nagent des gens de qui dépend tout leur bien-être : car il n 'y a point de doute que l'Efclave fidele & laborieux ne foit la ri-cheflTe du Maître . Que deviendroient , fans e u x , les terres & les Plantages, qui pro­curent tous leurs aifes aux proprié ta i res , s'ils n 'avoient des bras a u f f i vigoureux pour les cultiver ? Sans parler de l 'économie du dedans, à laquelle j 'a i fait connoître que les deux fexes étoient fort entendus. |

H o m m e s , foyez humains , & pour e u x , & pour v o u s ; car ce peuple eft la fource de votre bonheur & de votre prospé-rité !

L'occafion de faire des heureux eft plus rare qu'on ne penfe ; la punition de l'avoir manquée eft de ne la pouvoir plus retrou­ver . Malheur à qui ne fçait pas facrifier un jour de plaifir aux devoirs de l'humani­t é ! Si c'eft la raifon qui fait l ' homme, c'eft auffi le fentiment qui doit le con­duire.

Plus le nombre de ces gens eft g rand , plus d'ailleurs on doit les ménager. Que l'on confidere les Athéniens , qui traitoient leurs Efclaves avec beaucoup de douceur , & qui n 'ont point éprouvé les troubles qui

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mirent Lacédémone à deux doigts de fa per te .

Les Romains n 'eurent jamais la moindre inquiétude de la part des leurs , tant qu'ils les traiterent comme des hommes : ce ne fut que lorfqu'ils perdirent pour eux ces fentiments d 'humanité , que l 'on vit naî­tre ces guerres civiles, qui furent com­parées aux guerres Puniques.

Par une Loi des Grecs , les Efclaves que leurs Maîtres traitoient t rop rudement, pou-voient demander à être vendus à d'autres.

Je conviens qu'une pareille Loi ne pour­voit pas avoir lieu dans la Colonie de Su-rinam, par nombre de raifons plaufibles; mais je l'ai citée pour prouver que , de tout t emps , on a eu quelques égards pour les perfonnes de cet état. Ce n'eft pas qu'en bien des occafions il ne fût à fou-haiter qu'on pût la met t re en pratique pour le bien commun ; parce que fouvent la dureté d'un feul particulier a fait & fait e n c o r e , tous les j o u r s , le détr iment de fes compatriotes ; fans quoi le nombre de Marrons ne feroit pas devenu fi confidé­rable qu'il l'eft aujourd'hui.

Que ceux donc qui en ont à e u x , ou fous leur direction, profitent de cet av is , qui ne tend qu'à leur en faire t rouver la ré­compenfe dans le temps préfent & à venir,

L 2

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C H A P I T R E X I V .

Defcription des différentes efpeces de fruits qu'on trouve dans le pays, et de quelques arbres particuliers.

CO M M E l'on fçait que chaque pays a fes diverfes product ions, on ne doit

point être furpris de ne pas t rouver à Su­rinam, comme je l'ai d i t , précifément les mêmes fruits qu'en E u r o p e , puisqu'en re­vanche il y en a une infinité d 'autres , que je puis avancer qui les furpaffent en bon­t é . Ce que je veux m'attacher à p r o u v e r , dans ce Chapi t re , en les indiquant féparé-m e n t , & fous les mêmes noms par lesquels ils font c o n n u s , tant des naturels du p a y s , que des Européens qui l 'habi tent , afin que tous ceux qui fe deftinent à y al ler , puis-fent en avoir une fuffifante notion pour fe les procurer.

Parmi tous les fruits d 'Europe , il n 'y en a certainement pas qui approche , en excel lence, de l'Ananas. Il y en a de trois efpeces, que l 'on diftingue par leur figure.

Des Ana-nas.

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Le premier ( a ) eft fort gros & blanc , ayant huit pouces de diametre , & quinze ou dix-huit de hau teu r ; fon écorce devient jaune en mûriffant; mais fa chair eft blan­che & fibreufe; & quoiqu'il foit d'une fort belle apparence, ce n'eft pas le meilleur des t ro i s , parce qu'il eft un peu acerbe.

Le fecond (b) a une figure pyramidale, c o n i q u e , & fon goût eft infiniment meil­leur que celui du précédent .

Le troifieme ( c ) eft r o u g e , & furpaffe les deux autres en bonté .

Ce f r u i t , tant d'une efpece que de l'au­t r e , por te plufieurs feuilles femblables à celles du rofeau, longues de deux à trois p ieds , de couleur verd-gai, creufées en gout t ie res , & dentelées; du centre s'éleve une t ige , haute de deux p ieds , de la gros-feur du d o i g t , garnie de quelques feuilles. Cette tige foutient à fon fommet une ro -fe formée de plufieurs feuilles t rès-cour tes , de couleur de f e u , lesquelles cachent le fruit q u i , dans la fu i te , groffit peu à peu & prend la forme d'un pain de fucre. Sa tête eft couverte d'un bouquet de petites

(a) Ananas aculeatus, fructu ovato, carne albida.

(b) Ananas aculeatus, fructu pyramidato, carne au-

rea, _

(c) Ananas aculeatus, maximo fructu conico.

L 3

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feuilles, de môme efpece que celles de la tige qui l'a p o r t é , mais plus petites & plus délicates. Quand on coupe cette couron­n e , & qu'on la met en t e r r e , elle porte du fruit au bout d'un an. Son goût & fon odeur répondent à fa beauté. Il tient beaucoup de la pêche , & de la poire de bon-chrét ien, mais encore plus des fraifes, quand on le coupe en petits morceaux, & qu'on le mange avec du vin rouge & du fucre. On le confit au f f i tout entier avec fa cou ronne ; mais il faut qu'il foit extrê­mement j eune ; & l'on en fait des envois en Europe . L 'on en tire encore le fuc , par expreffion, & l'on en fait un vin qui approche de la malvoifie, & qui enivre fubitement. On cultive ce fruit dans pres­que toutes les Plantat ions , à caufe qu'il eft fort rafraîchiffant; & ce qu'il y a de fort fingulier , c'eft q u e , quoique fa cul­ture ne foit ni pénible ni coûteufe , les Efclaves no i r s , qui en font un grand com­merce , les vendent au m a r c h é , depuis cinq jufqu'à huit fols de Hollande la piece.

Le Pompelmous ( D ) eft un autre f ru i t , qui a bien auffi fon méri te . C'eft une es-

(d) Aurantia, fructu rotundo, maximo, pallescente bu-mmm caput excedente.

Du Pom-pelmous.

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fpece d 'o range , de la groffeur de la tête d'un enfant de huit à dix ans , qui a un goût de fraife ou plutôt de raifin, & dont la peau eft épaiffe comme le do ig t , & fort amere ; ce qui n'empêche pas que le fruit n 'en foit fort rafraîchiffant & fort fain. Sa chair eft des plus excellentes, à caufe de fon agréable acidité. On en peut manger tant qu'on v e u t , fans craindre qu'elle in­commode.

Il y en a de deux efpeces, une dont la chair eft r o u g e , & l 'autre qui l'a blanche. Ce fruit croît fur une efpece d'oranger qu'on cultive dans presque toutes les Plan­tations. Les Negres le vendent auffi au marché , à raifon de cinq fols la piece.

Il n 'y a point de doute que les Oran­gers ne foient originaires de l'Afie ou de la Chine puisque ce font les Portugais ou les Efpagnols qui les ont apportés à Suri­n a m ; mais ils s'y font comme naturalifés, tant il y en a dans tou te la Colonie.

On y en diftingue de trois efpeces: les a igres , les douces , & celles de la Ch ine , qu'on appelle dans le pays Cinaas - Ap­pel, ( e ) .

On appelle les premieres , oranges fû-r e s , & elles font les moins eftimées. On

Des Oranges,

(e) Aurantium,

L 4

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n 'en fait ordinairement ufage que pour or­ner les m e t s , qu'on fert fur la table ; ou pour net toyer les maifons, pour leur don­ner une bonne odeur , les tenir fraîches, & les garantir des infectes. Son fuc ce­pendant eft employé , avec un fuccès éton­n a n t , pour la guérifon des vieux ulceres des N e g r e s , en les l avan t : ce qui détruit non feulement les chairs baveufes qui les e n t o u r e n t , mais les déterge à un tel point-, qu 'avec le moindre defficatif on peut par­faitement les cicatrifer. Ce panfement , qu 'on réitere deux fois par j o u r , eft à la vér i té des plus douloureux ; mais auffi l 'on eft fur d'en guér i r , quelque opiniâtre que l 'ulcere puiffe être.

La feconde efpece d'oranges eft la d o u c e , qui reffemble à la p récédente , à la réferve que l 'écorce en eft plus mince & le fuc fort agréable & fort doux ; il eft auffi ra-fraîchiffant & défalterant, & l'on peut man­ger de ce fruit à fon appé t i t , fans appré­hender la moindre incommodité.

La troifieme efpece , enfin, eft celle qu 'on appelle Cinaas - appel, parce qu'elle reffem­ble parfaitement aux oranges de Portugal; elles ont un goût fucré au - delà tout ce qu 'on peut exprimer.

L 'écorce des deux dernieres efpeces eft t r è s - b o n n e pour fortifier l'eftomac &

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le cerveau, de même que pour réfifter à la malignité des humeurs. La fleur eft cé-phaliqne, ftomachale, hyftérique, & pro­pre contre les vers.

Les Orangers fon t , comme tout le mon­de fçait, des arbres des plus beaux , qui produifent des fleurs d'une odeur fort fuave ; leurs feuilles font du plus beau v e r d , & l'arbre n'en eft jamais dépouillé.

Je crois que les Citronniers ( f ) ne font pas plus originaires de ce pays que les o-rangers ; & comme l'arbre eft t rop con­n u , pour m'y a r r ê t e r , je me bornerai à -dire qu'ils y font en affez grande abon­dance.

Il y en a cependant de deux efpeces, l 'une qui eft fort acide, & l 'autre douce. La premiere a une écorce épaiffe & un peu raboteufe , & la feconde eft plus mince & plus égale. On fait un grand ufage de la premiere efpece, dans les fievres ardentes & malignes, par la ver tu que le fuc a d'appaifer la foif, & de réprimer le bouil­lonnement & l'effervefcence de la bile & du fang, de même que de retablir les for­ces abattues. On employe auffi avec fuc-cès l 'écorce de ce même c i t ron , pour cor­riger la mauvaife haleine & fortifier l'efto-

(f) Citreum,

L 5

Des Citrons.

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m a c , à caufe de fon amertume. On les vend jusqu'à fix florins de Hollande le c e n t , malgré la quantité que le pays en fournit ; & c'eft encore un commerce des Negres.

Il n 'y a presque point de différence en­t re les limoniers & les c i t ronniers , ayant l 'un comme l ' au t re , la même hauteur & le même feuillage, & les fruits ne diffe­rent qu'en ce que le limon eft plus petit & plus rond que le c i t ron , & en ce que fon écorce eft moins épaiffe : l ' intérieur eft é-igalement divifé en cellules qui renfer­ment la graine; mais l 'exterieur n'a pas tout-à-fait la même couleur , ni la même odeur. On en fait autant d'ufage que des c i t r ons , & même p l u s , car on employe le fuc des l imons , pour tempérer l 'ardeur de la fievre, dans les maladies aigues, & pré­cipiter en même temps la bile. On en fait auffi communément le punfch , dans lequel il eft certainement préférable au fuc de c i t ron , parce qu'il eft plus ac ide , & les Apothicaires en font un fyrop fort ufité en médecine.

La Pomme de canelle ( g ) eft un f ru i t , qui n'excede pas la groffeur d'un œuf d 'o ie : elle reffemble presque à une pomme de pin.

(g) Guanabanus,

Des Li­mons.

Pomme de canel­le.

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Sa peau , qui eft de l'épaiffeur d'un demi-doigt , eft toute parfemée de petites écail­les tendres , médiocrement élevées, d'un affez beau v e r d , au commencement , mais qui fe flétriffent à mefure que le fruit ap­proche de fa maturi té .

La fubftance, que cette pomme renfer­me , eft comme une crême bien épaiffe, d'un goût à la véri té un peu fade, mais extrêmement rafraîchiffante. Elle con­tient auffi de grandes femences noires. El ­le croît fur un arbriffeau, que l 'on culti­ve dans les jardins.

La Pomme d'Acajou eft d 'une figure ob-longue , a r rondie , & couverte d'une peau extrêmement fine & unie. Elle a quatre pouces environ de longueur , fur vingt li­gnes de diametre. L'arbre qui por te ce fruit approche du poi r ie r , quoique fes feuilles reffemblent à celles du f rêne , & l 'écorce à celle du chêne. Il croît fi h a u t , que de fon t ronc les Negres font des ca­nots ou p i rogues , tout d'une feule piece. Les feuls Indiens met tent ce fruit au nom­bre des aliments. Le noyau qu'il renfer­m e , a la figure du rognon d'un animal; & c'eft ce qu'on appelle noix d'acajou. Elle a le bois fi dur & fi épais , qu'il réfifte pres­que au marteau. Elle renferme une belle amande , de même figure que fa c o q u e .

Pomme d'Acajou et de la noix.

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laquelle eft l 'ecouverte d'une pellicule bru­n e , de l'épaiffeur d'une feuille de papier. Cette amande eft d'une blancheur admira­b l e ; elle eft compacte, huileufe, & d'un goût infiniment au deffus de celui des aman­des , des noifet tes , & de tout autre fruit de cette efpece: quand elle eft f ra îche, on la mange avec du fel comme les cer­neaux. Ces noix peuvent fe transporter p a r t o u t , & fe garder fort longtemps. J'en ai dans mon cabinet , qui ont actuelle-ment près de dix a n s , qui o n t , à la véri­t é , un peu perdu de leur huile & de leur faveur , mais qui font encore mangeables. Les naturels du pays leur ont donné le nom d'Ingui-Noote, ce qui fignifie en Fran-, çois N o i x I n d i e n n e s , parce que ce font les Indiens qui nous ont appris à les connoî-î re .

Il découle du même arbre une efpece de gomme Arabique , laquelle étant détrem­pée dans de l'eau t i e d e , t ient lieu de la plus forte glu.

L 'arbre qui porte le fruit qu'on appel­le Avocat, n'eft pas fort commun dans le pays ; ce qui me feroit croire qu'il y a été transplanté par les Efpagnols, parce qu'il eft très-commun chez eux. Je n 'en ai vu que t ro i s , pendant tout le temps que j 'ai été dans la Colonie ; deux dans le jardin

Avocat.

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de Monfieur Ladesma à Paramaribo, & un dans la crique de Para. Il eft fort beau & reffemble presque à nos noyers . Son bois eft grifâtre, de même que fon écorce ; fes feuilles font longues & po in tues , peu épaiffes; & les fleurs qu'il porte viennent en bouquet : le fruit qui leur fuccede, a la figure d'une poire de bon - chrétien ; fa chair fe fond d'elle-même dans la b o u c h e , & je pourrois la comparer , fans me trom­p e r , à celle de la pêche. Elle eft d'un verd-pâle , & n'a presque point de confi-ftance, quand le fruit eft bien mûr. Ce fruit renferme un noyau presque r o n d , un peu raboteux , qui ne renferme aucune a-mande , & qui n'eft pas plus dur qu'un mar­ron dépouillé de fa peau.

Cet arbre commence à porter du fruit au bout de trois ans , & l'on m'a forte­ment affuré que la décoction de fes feuil­les étoit un fouverain remede pour accé­lérer le re tour des menftrues intercep­tées.

Les Cerifes ( b ) de Surinam n'ont pas moins leur mérite que celles d 'Europe. Elles font quarrées , & ont intérieurement un zef te , comme celui d'une no ix , dont chaque partie renferme un petit noyau,

(b) Malpigbia, mali punici facie.

Des Ce-rifes.

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Le goût de ces cerifes approche beaucoup de celui de nos griottes ; mais il faut pour cela qu'elles foient bien mûres , car quand cette qualité leur manque , elles font fort acides. Elles font d'ailleurs d'un auffi beau rouge que les n ô t r e s , & excellentes à man­ger. On les confit au fucre , & on en fait auffi de la marmelade.

L'arbriffeau qui porte ce f ru i t , en rap­por te tous les trois mois de nouveaux , & reffemble à peu près au grenadier.

L'Avoira croît fur une efpece de pal­mier, (i) Il a la figure d'un œuf de poule ; fon écorce eft rougeâtre & un peu épaiffe ; fa chair eft jaune comme de l ' o r , mais il y en a peu à caufe du gros noyau qu'elle r en fe rme , qui eft d u r , n o i r , & avec lequel les Negres fabriquent des bagues. On pré­tend que l'amande de ce noyau eft aftirin-g e n t e , & par conféquent fort propre à arrêter le cours de v e n t r e .

Ce fruit contient encore beaucoup d 'hui le , qu'on tire ordinairement par dé-coél ion, & qui eft proprement l'huile de palme. Il eft auffi d'une excellente nourri­ture pour les beftiaux, parce qu'il les en-graiffe beaucoup.

Le Maripa reffemble beaucoup à l'Avoi-

(i) Palma dactylifera, fructu globofo.

De l'A-voira.

33es Ma-ripas.

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D E S U R I N A M . 1 7 5

ra, excepté qu'il eft plus g r o s , & qu'il eft moins jaune. Il croît fur le palmier, qu 'on appelle communément Chou-Palmifie. Son noyau qui eft d'une couleur b r u n e , a les mêmes quali tés , & eft employé au même ufage que le précédent.

L'arbre qui porte le Coumou, eft auffi une efpece de palmier ( k ) ; mais qui eft plus peti t que les deux autres. Ce fruit qui vient par grappes , comme le raifin, n'eft gueres plus gros qu'une noifet te; il eft d'une couleur purpur ine , un peu b l euâ t r e , & renferme un noyau. Son goût n'eft pas des plus agréables; mais on a le fecret d'en faire une efpece de chocolat , qui eft très-bon , & qui fe prépare de la maniere fuivante.

On fait t remper une certaine quantité de ces grains dans de l'eau boui l lante , pen­dant une demi-heure; on les écrafe en-fui te , & on paffe le tout par un tamis ; on y ajoute du fucre & de la canelle; & ce mêlange a la véritable couleur du cho­colat.

Les Néfles ( l ) de Surinam different de celles d 'Europe en ce qu'elles font fans

(k) Palma coccifera, latifolia, fructu atro-purpureo, emnium minimo.

(l) Mefpilus, fructu rubro.

Du Cou-mou.

Des Né­fles.

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noyau , & qu'elles ont une couleur du plus beau rouge. La peau en eft fort ten­d r e , & la chair f e rme , blanche, & d'un goût un peu acre ; mais elle s'amollit en mûriffant, & acquiert une faveur douce , vineufe & agréable. Les nêfles en général font fort af tr ingentes, de même que les feuilles du nêflier ; & l'on s'en fert affez fouvent dans les gargarismes, pour les inflammations de la gorge. L 'arbre qui por te celles-ci, eft d'une médiocre gran­deur , & on le cultive dans plufieurs jar­dins de la Ville.

Le Zuur Zach eft un fruit de la gros-feur à- peu-près d'un melon , & d'une forme pyramidale , approchant de la poire ; & l'arbre qui le p o r t e , reffemble auffi à un poi r ie r , tant par fa hauteur que par fes feuilles. Sa peau eft extrêmement ver te , & toute parfemée de petits piquants. L a fubftance qu'il r en fe rme , eft pofitivement comme une crême des plus épaiffes ; elle eft rafraîchiffante, & appaife l'ardeur de la foif par fon acidité.

La Noix de Coco eft de la groffeur de la tête d'un h o m m e , un peu ovale & quel­quefois ronde , ayant trois côtes dans fa l o n g u e u r , qui lui donnent une forme triangulaire. La coquille de cette noix eft fort épaiffe, d u r e , ligneufe & ridée. Elle

fert

Bu Zuur-Zacb.

Des Noix de Coco.

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fert aux Negres à puifer de l 'eau, en y faifant un trou au mil ieu, pour y mettre un manche , & lui donner la forme d'une cuil­ler à punfch.

L'arbre qui porte ce f ru i t , eft un Palmier , (m) qui croît fort droit & fort h a u t ; fa tê te eft terminée par des feuilles fort lon­gues & fort larges, & épaiffes à propor­tion : fes fleurs font femblables à celles des autres Palmiers. Il fleurit tous les mois , & eft c o u v e r t , toute l ' année , de fleurs & de f ru i ts , qui mûriffent les uns a-près les autres.

Lorsque ce fruit eft bien m û r , il a fept ou huit pouces de diametre dans fon mi­l i eu , & dix à douze de hauteur. Cet te noix eft recouverte d'une enveloppe com-pofée de groffes fibres, femblables à de la filaffe, & fort adhérente au fruit. Sous cette enveloppe fe t rouve une peau mince , liffe & d u r e , d'un verd d'autant plus p â l e , que le fruit approche de fa maturi té . La noix dépouillée de fon enve loppe , a en­core cinq à fix pouces de hauteur , & eft épaiffe de quatre à cinq lignes dans fon mi­lieu , & de fix à fept à fon extrêmité. El­le eft fort d u r e , d'une couleur b r u n e , avec quelques filets d'un gris fa le , mêlé

(m) Palma coccifera, fructu maximo.

Tome. I. M

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de petits points blancs. Le b o u t , par le­quel le fruit eft attaché à la b ranche , a une ouver ture par o ù , felon toutes les apparences , le fruit tire fa nourr i ture de l 'arbre. Quand on perce cette no ix , il en fort une liqueur la i teufe, fucrée , odo­rante , & néanmoins un peu a igre le t te , fi abondante , quand le fruit eft encore j e u n e , qu'il en eft tout rempl i , mais dont la quan­t i té diminue à mefure qu'il m û r i t , parce qu'elle fe convert i t en une fubftance auffi blanche que de la ne ige , & plus ferme qu'une pomme. Elle a , dans cet état de parfaite maturité , trois à quatre lignes d'épaiffeur; & on la fcie pour en retirer cet te fubftance, dont le goût eft un com­pote de ceux de la noifette & du cul d'ar­t ichaut : auffi la mange-t-on avec du fel. Elle eft d'affez facile digeftion. Les Ne­gres vendent cet te noix dix fols la piece.

Les Figuiers de ce pays viennent pres­que tous de b o u t u r e , & por tent toute l ' année , pourvu qu'on ait foin de met t re du fumier au pied. Les fruits qu'ils pro-duifent , font comme ceux d ' E u r o p e , ex­cepté qu'ils font rouges comme du fang , en dehor s , comme en dedans. Ils font fort agréables à mange r , & il y en a d'ex­trêmement gros.

Des Fi­guiers.

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DE SURINAM. 179

L'arbre qui porte la Goyave (n) eft d'une médiocre grandeur , & fleurit deux fois l ' année; il eft fi commun qu'on en t rouve non feulement dans les terres cul t ivées , mais encore dans les prairies & dans les bo i s , parce qu'il vient facilement par tout où fa graine t o m b e , & qu'au bout de trois ans elle reproduit un arbre qui por te fruit pendant près de t rente ans.

La Goyave reffemble à une pomme de r e ine t t e , excepté qu'elle porte fur fa t ê te une c o u r o n n e , à peu près femblable à cel-le de la nêfle. Son écorce ou fa peau eft rude & pleine d'inégalités. A u commen­cement elle eft verdâtre & acerbe ; mais en mûriffant, elle devient d'une couleur de citron un peu pâle. Comme il y en a de deux efpeces, les unes renferment u n e fubftance r o u g e , & les autres une blan­che ; mais la peau des deux efpeces eft précifément la même. Ce fruit eft divifé intér ieurement en quatre par t ies , qui con­tiennent chacune des graines for t menues & offeufes. Il eft fi bon &; fi fain, qu 'on peut le manger en tout temps : fi, par ex­emple , on le mange bien mûr , il relâche ; & au cont ra i re , s'il ne l'eft pas encore affez, il refrerre. On en fait de très bonnes pâ-

(n) Goyava. M 2

De la Goyave.

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t e s , & d'excellentes compotes. La raci­ne de l'arbre eft aftringente, & très-eftimée pour la dyffenterie.

L'arbre qui porte la Grenade, (0) au-trement dit le Grenadier , eft fort pe t i t , & a par conféquent les branches affez me­nues ; elles font anguleufes, & revêtues d'une écorce rougeâ t re , & armées d'épines roides. Ses feuilles font placées fans o r d r e , & ont quelque reffemblance avec celles du grand M y r t e ; elles ont une odeur forte & défagréable , lorsqu'on les froille entre les doigts. Aux fleurs, qui font de cou­leur écarlate , fuccede la Grenade , qui ef t , à peu près , de la groffeur d'une pomme de r e ine t t e , & qui a une couronne un peu applatie des deux côtés. L 'écorce de ce fruit eft rouge en dehors , r idée , é-paiffe comme du cuir , & caffante. La Grenade eft divifée intérieurement en pe­tites cellules, remplies de graines, entas-fées les unes fur les au t res , charnues , d'un très-beau rouge , pleines d'un fuc très-agréable au g o û t , & renfermant chacu­ne une femence ob longue , le plus fou-ven t irréguliere & jaunâtre. Il y en a de deux efpeces ; mais je ne connois que celle que je viens de déc r i re , & qui

(o) Punica nana, feu bumillma.

De la Grenade.

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D É S U R I N A M . 181

eft la feule qu'on cultive dans les jar­dins.

La Pomme de Sapadille eft un fruit que l 'on confidere comme un des meilleurs du C o n t i n e n t , mais que je n'aimerois pas à caufe de fa t rop grande douceur. Il n'eft pas plus gros qu'un œuf de p o u l e , mais rond comme une boule. Sa peau eft ve­loutée , couleur de canelle & un peu épais-fe. La fubftance que ce fruit renfermée, reffemble à une marmelade, & eft d'un goût mielleux, un peu fade. Elle eft par­tagée en zeftes, comme une orange , dont chacun renferme une graine no i r e , ovale & fort épaiffe , qui eft la femence de ce fruit. L 'arbre qui le p r o d u i t , eft fort grand, & il lui faut cinq ou fix années avant qu'il en rapporte.

Je ferois tenté de croire que l'arbre qui por te le Tamarin, a été transporté en A-mérique par les Efpagnols, & qu'il s'y eft infenfiblement naturalifé. Il eft de la gran-deur d'un n o y e r , mais plus touffu. Son t ronc eft fort droit & r o n d , couvert d'une écorce b r u n e , épaiffe & gercée. Ses bran­ches font rameufes, & s'étendent de tous côtés fymmétriquement; les feuilles qui y, font placées alternativement , & toujours-couplées , font longues , é t ro i tes , affez, ifor-tes & d'un verd pâle. Aux fleurs (qui fe

M 3

Pomme de Sapa-

dille.

Du Ta­marin,

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forment en grappes, portées par des pédi­cules grê les , & compofés de trois pétales couleur de rofe,) fuccedent les f ru i t s , qu'on appelle Syliques, & qui viennent par bouquets. Elles font de la groffeur du petit doigt , de cinq à fix pouces de longueur , & ver­tes au commencement ; mais à mefure qu'el­les mûriffent , elles deviennent brunes. Elles font remplies d'une pulpe grife, qui enveloppe de petits f ru i t s , à peu près comme des f eves , affez tendres au com­mencement , de couleur v io le t t e , & d'un goût aigrelet , fort agréable.

On confit ces f rui ts , ou tout en t i e r s , ou dépouillés de leurs fyliques, bien avant qu'ils foient m û r s , mais toujours devant qu'ils foient fecs. La pulpe de ce fruit eft non feulement fort rafraîchiffante, mais légérement laxative, & cependant aftrin­gente . On en fait un grand ufage , quand il eft confit, parce qu'il ca lme, par fon agréable acidité, le trop grand mouvement des humeurs ; il modere la fievre, il ra­fraîchit , il défaltere, & furtout dans les fievres continues.

La Vigne a beaucoup de peine à fe na-turalifer dans ce pays ; parce que, quelque chaud qu'y foit le cl imat, il y eft en mê­me temps t rop humide , ce qui fait que le raifin mûrit t rop t ô t , & inégalement. Car

Des Vignes.

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D E SURINAM. 183

le même cep p r o d u i t , tou t à la fo i s , des raifins t r è s - m û r s , d'autres qui le font m o i n s , & d'autres qui ne font encore que du verjus. Ce ne feroit r i e n , fi ces mê­mes raifins qui n'acquierent pas leur ma­turi té en même temps que les au t r e s , y parvenoien t ; mais les faifons contraires y met tent obftacle , & l'on n'en recueille que très-peu en état d 'être mangés: d'autant plus qu 'on t rouve le plus fouvent à la mê­me grappe, ces trois fortes de raifins, dont les mûrs ne font pas d'ailleurs fi charnus , fi pleins de fuc , ni par conféquent fi a-gréables que les nôtres . Le feul avantage qu'on a , c'eft que la vigne porte deux fois l'an.

Il y en a cependant qui produit de fort bon f ru i t , felon la bonté du t e r ro i r ; mais cela eft fort r a r e : & l'on m'a affuré que les raifins en devenoient meil leurs, à me­fure que les ceps vieilliffoient.

Le Marcoujas eft un fruit fort cha rnu , qui n'eft pas plus gros qu'une grenade du p a y s , de figure ova le , & de couleur d'o­r a n g e , lorsqu'il a atteint fa parfaite matu­ri té . La fubftance qu'il renferme , eft une efpece de gelée de couleur de c e n d r e , & d'un goût aigrelet ou acerbe. Elle contient plufieurs femences ova les , cha­grinées , & d'affez bonne odeur. Pour man­ger ce f ru i t , on l 'ouvre comme un œuf,

M 4

Des Mar-coujas.

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& on en hume le fuc, ou cette gelée , avec beaucoup de délicateffe.

Ce Marcoujas croît fur une efpece de Mangle.

L'arbre qui porte le Papaye, a près de vingt-cinq pieds de hauteur. Il eft de la groffeur de la cuiffe d'un h o m m e , creux & fpongieux au dedans, & fi tendre qu'on peut le couper en travers d'un feul coup de fabre. Il croît ordinairement dans les fo rê t s , & autres lieux incultes , & s'éleve en très-peu de temps. Il eft presque nud jusqu'à moitié de fa hau teur , & l'autre fe revê t , en montant vers le fommet , de feuil­les , qui reffemblent à celles du figuier. Il y en a de deux efpeces, la premiere qui eft la femelle ( p ) , & la feconde qui eft le mâle. (q)

Le premier porte toute l 'année des fleurs, & par conféquent des f ru i t s , qui font foutenus par de longs pédicules , & naiffent tout proche du t ronc de l ' a rbre , où les queues des feuilles commencent à fe faire voir. Chaque fleur eft grande comme celle du glaïeul, & eft compofée de cinq feuilles j aunes , d'une odeur de fis de vallée.

(p) Papaya,fructu maximo,cucummeris effigie,

(g) Papaya, fructu melopeponis effigie

Du Pa­paye.

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Le fruit de celui-ci n'eft pas plus gros qu 'un gros coing, & a la figure d'un con­c o m b r e ; il eft d'abord verdâ t re , & enfui-te jaune ; mais on n'attend pas fa maturité pour le confire avec du fucre , de même que fa fleur, qui eft excel lente, en ce qu'elle a la vertu de fortifier l'eftomac.

Le fecond Papayer porte un fruit de la groffeur d'un m e l o n , qu'on laiffe venir en parfaite maturité. Pour - lors fa chair eft au f f i jaune que de l ' o r , & bonne à man­ger ; mais elle doit être cu i t e , fans quoi elle eft trop rafraîchiffante & nuifible à la fanté.

L 'un & l 'autre fruit renferment des femences, qui font propres pour les fcor-butiques.

L 'arbre qui porte les Mamis ( r ) devient affez grand, & l'on prétend qu'il y en a auffi un mâle & un femelle, dont la diffé-rence fe doit connoître par le fruit ; parce que celui que la femelle produit n'a jamais plus d'un n o y a u , pendant que celui du mâle en a deux , & même jufqu'à trois. Le bois , tant de l'une que de l 'autre es­pece , eft blanchâtre ; fes fibres font gros-fes & liantes; fon écorce eft grife, affez

(r) Pekia ,fructu maximo globofo,

M 5

Des Mamis.

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u n i e ; & fes feuilles longues de fix à huit pouces , en maniere d'ellipfe, un peu poin­tues par un b o u t , d'un très-beau verd & affez épaiffes: de forte que les branches qui en font parfaitement garnies , for­ment un ombrage charmant. Le fruit res-femble affez à un boulet de canon , ayant une figure un peu fphérique. Il a depuis fix jusqu'à huit pouces de d iametre ; il eft couver t d'une écorce rouffâtre , de l'épais-feur d'un petit demi-doigt, fouple comme du cu i r , & qu'on l e v e , comme fi on écor-choit le f ru i t , ou de même qu'on fait de la pelure d'une pêche. On t rouve e n c o r e , au-deffous de cet te é c o r c e , une pellicule j aunâ t r e , adhérente à la c h a i r , qui eft au f f i j a u n e , f e rme , & d'une odeur à em­baumer. Pour le manger , il faut le cou­per par tranches. Il por te un noyau de la groffeur d'un œuf de p igeon , qui eft plat d'un c ô t é , raboteux & fort dur , & qui renferme une amande blanche & fort amere. Il eft certain que ce fruit eft un des meilleurs que je connoiffe, d'un goût exquis , & d'une odeur à ne pas l'oublier de huit j o u r s , tant elle eft fuave. On en fait des marmelades & des t a r t e s , qu'il eft impoffible de faire a u f f i bonnes avec nos meilleurs fruits d 'Europe .

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Les Marmeladedoos ne font pas plus gros qu 'une pêche ; ils ont une figure ova l e , & une écorce femblable aux feves de jar­din , un peu velue & d'une couleur jaunâ­t re . La fubftance que ce fruit renfe rme, eft une efpece de compote d'une couleur rougeâ t r e , que l'on mange avec une cuil­ler à caffé, & qui eft d'un très-bon goût pour ceux qui l 'aiment. La femence qu'elle r enfe rme , reffemble à de petites lentilles.

L 'arbre qui porte ce f ru i t , eft une es­pece de palmier , qui ne croît pas fort haut .

Les Monpés font des fruits j aunes , lon­guets, peu charnus , & d'un goût affez agréa-ble. Ils agacent un peu les den t s ; mais l 'odeur en eft flatteufe. On en fait au f f i une marmelade , qui reffemble beaucoup à celle du Mamis par la couleur.

L'arbre qui les porte ( s ) , eft une efpe­ce de grand prunier.

L e Melon d'Eau eft en abondance dans ce pays , & fe cultive fans peine dans tous les jardins. On n'a qu'à femer fa gra ine , qui eft toute n o i r e , & elle produit pres­que auffi-tôt du f ru i t , qui devient d'une groffeur prodigieufe. Il a cet te bonne

(s) Mombin, arbor foliis fraxini ,fructu luteo.

Des Marme-ladedoos.

Des Monpés.

Des Me­lons d'Eau.

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qual i té , qu'on en mange tant que l'on veut fans craindre d'en être incommodé. Il rafraîchit confidérablement. Auffi ne fait-on nulle difficulté de le prescrire aux malades, dans le plus fort de la fievre. Il y en a de deux efpeces, dont la chair de l 'une eft r o u g e , & celle de l 'autre eft blan­che.

On donne le nom de Cantaloupe à une efpece de Melon de F r a n c e , dont la chair eft r o u g e , d'une odeur charmante , f e rme , & d'un goût délicat & fin. On ne p e u t , en un m o t , rien manger de plus exquis. Ils deviennent d'une groffeur prodigieufe , a-yant de groffes cô tes , extrêmement enfon­cées & fort épaiffes, & font d'une figure ovale. Ils viennent avec beaucoup de fa­cilité dans toute forte de terreins. Il fuffit feulement de faire un petit t rou en t e r r e , avec un bâton , & d'y jet ter trois ou qua­tre grains de fa femence, qui eft j aunâ t re , pour en avoir en tout temps. On a uni­quement foin d 'arrofer , fi le temps eft fec; & voilà tou te la fcience.

Les Melons d 'Europe fe cultivent dans ce pays avec la même facilité que les deux efpeces précédentes ; mais leur chair y de­vient blanchâtre , tirant un peu fur le v e r d , & d'un fort bon goût. Leur figure eft r onde : ils n 'ont que de très-petites

Des Cnn-taloupes.

Des Me-lons ordi­naires.

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cô tes , & leur peau eft fort mince. On en peut manger tant que l'on v e u t , fans craindre la moindre incommodi té , furtout quand on les affaifonne avec un peu de poivre & de fel.

La femence de ces deux dernieres efpe­ces , eft une des quatre femences froides majeures , qui fert à faire des émulfions rafraîchiffantes, également utiles dans les chaleurs d'entrailles & dans la difficulté d'u­riner.

L'arbre ( t ) qui porte ce fruit , eft de la grandeur d'un poirier. Son écorce eft blanche & remplie de fuc. Ses feuilles font longues de trois pouces , larges de d e u x , & toujours vertes. Aux fleurs, qui font en forme d'un en tonno i r , fuccede un fruit qui a un noyau , duquel les Indiens font une forte de grelots pour leurs danfes, & les jours qu'ils fe parent de leurs atours. J ' ignore d'ailleurs fi ce même fruit eft bon à manger.

Voici un fruit qui mérite d'être bien, c o n n u , pour le danger qu'il y a d'en man-ger : & fi on lui a donné le nom de pom­me de tetton, c'eft parce qu'il a la véri-table figure d'une mamelle. L 'arbre qui

(t) Arbor Ammerican, foliis Pomi,fructu triangule.

De l'A-bouai.

Pomme de Tet-tons.

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le p o r t e , eft une efpece de M o r e l l e (u) Ce fruit qui eft jaune comme de l ' o r , a la figure d'une groffe pomme de r e ine t t e , ayant une écorce fort épaiffe. Il croît dans les hayes , au long des prairies. La fub­ftance qu'il renferme eft d'une couleur gri­fâtre , qui eft capable d 'empoifonner, fi on en mange.

L'arbre qui porte ce fruit eft un pal­mier , qui reffemble au cocotier. Il pous-fe fes branches comme une g e r b e , & elles fe répandent comme un parafol , en pen­chant vers la t e r r e , à mefure que le cen­t re en pouffe de nouvelles : elles font auffi-aflez femblables à celles du coco t i e r , ex­cepté qu'elles font armées de pointes for­tes & affez longues. Ses fleurs naiffent en-clofes dans une groffe enve loppe , qu'on appelle Elate. Cette enveloppe s ' o u v r e , quand elle a atteint une certaine groffeur , & elle laiffe paroître des fleurs b lanches , dispofées en grappes. A ces fleurs fucce­dent les dattes ou f ru i t s , dont chaque ré­gime en contient aux environs de cent cin­quante. Ils font d'une figure un peu ob-longue , de la groffeur d'une peti te n o i x , affez charnus , de couleur j a u n e , & d'un

(u ) Solanum molle, foliorum nervis et aculeis fla-vefcentibus, fructu mammofo.

Des Dat­tes.

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goût un peu fade. Ils renferment un no­yau fort d u r , offeux, de couleur grife c e n d r é e , qui contient une amande un peu amere. On prétend que ce fruit fert de nourr i ture aux Indiens ; mais c'eft ce que je n'oferois affurer, ni dire non plus quel eft le nom fous lequel il eft connu dans le pays.

Quoiqu 'on diftingue trois efpeces de Va­nille, je ne parlerai que de celle qui fe t rouve dans le Plantage Caffe Vinica, en terre h a u t e , étant la feule qu'il y ait dans le pays.

La Vanille eft une petite gouffe, tantôt ronde & tantôt plate , longue de fix à fept p o u c e s , & d'un petit doigt de la rge , fe terminant en pointe un peu r idée , rouffâ­t r e , mollaffe, huileufe, & comme un peu coriace à l 'extérieur. La pulpe que cet te gouffe renferme , eft rouffâtre, remplie d'une infinité de petits grains noirs & lui-fimts; elle eft un peu a c r e , aromat ique, & a l 'odeur agréable du baume du Pé­rou.

La plante qui porte ce f rui t , eft une efpece de Volubilis Siliquofa Mexica , hau­te de dix à douze pieds , qui grimpe le long des arbres , & qui les embraffe. Ses feuil­l e s , qui ont environ dix pouces de lon­g u e u r , reffemblent à celles du plantain;

De la Vanille.

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mais elles font plus groffes, & d'un verd plus foncé. A fes fleurs, qui font noirâ t res , fucce­dent les gouffes , qui font vertes au commen­cement , enfuite jaunât res , & qui bruniffent à mefure qu'elles approchent de la maturi­t é . Lorfqu'elles font bien mûres , on les cuei l le , on les fait fécher à l ' ombre , & on les oint extérieurement avec un peu d 'hui le , pour les rendre fouples; ce qui empêche qu'elles ne fe brifent en mor­ceaux.

La Vanille contient beaucoup de parties huileufes, réfineufes & odorantes , que l'on peut facilement extraire par le moyen de l'efprit de vin. Elle fortifie & réchauf-fe l 'eftomac: elle eft apér i t ive , carminati-v e , & attenue les humeurs visqueufes ; elle provoque les regles aux femmes , & facili-te l 'accouchement. Les Anglois la regar­dent comme un fpécifique pour diffiper les affections mélancoliques ; mais fi elle eft bonne à cet ufage, on doit en ufer avec modéra t ion , car elle anime trop le fang par fes parties volatiles. T o u t le monde fçait d'ailleurs qu'elle entre dans la compo-fition du chocolat.

Le Calebaffier (v) eft un arbre dont on ne fçauroit fe paffer dans aucune Plantati­

on. (v) Macba-mona,

Du Cale-buffier

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on. Il reffemble affez à nos plus grands pommiers. Ses feuilles font épaiffes, & longues de cinq à fix pouces , & fe termi-nent en pointes. Ses fleurs font bleuâtres & en cloche; elles croiffent fur le t ronc de l ' a rb re , comme fur fes b ranches , au f f i bien que le f ru i t , q u i , affez fouvent , touche à terre . Aux fleurs fuccede le f rui t , qui a la figure de nos calebaffes & de nos ci-trouifles. II y en a d'ovales & de ronds, les uns longs d'un p i e d , & d'autres de d e u x , fur fix jufqu'à dix pouces de diametre. L 'écorce ,en eft ligneufe & très-dure , & le deffus de cette écorce eft verdâtre & ve­loutée. Le dedans de ce fruit eft divifé par cô t e s , comme le melon l'eft en de-h o r s : l 'entre-deux de ces côtes eft rempli de filaments , qui attachent la chair à la partie interne de f é c o r c e , & , partant de la c irconférence, fe terminent au cœur du f ru i t , & fe réuniffent pour en former la queue qui le t ient à l 'arbre. La chair eft de la même couleur que celle de la c i - . t roui l le , & renferme très-peu de femen­ces.

On connoît que ce fruit eft m û r , quand la queue fe flétrit & fe noirc i t : pour-lors on le détache de l 'arbre ; on le creufe en-fui te , en y jet tant de l'eau bouil lante, pour faire macérer plus promptement la moëlle

Tome I. N

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ou la pu lpe ; après quoi on y fait en t rer un petit b â t o n , pour la r o m p r e , & la faire fortir. Les Negres , après l'avoir ainfi vu idée , en font des boutei l les , des p la ts , des écuelles, & enfin toutes fortes de vais-feaux, pour leurs ufages domeftiques. Il y a des Negres qui gravent fur la convexité de ce f ru i t , des compartiments & des gro­tesques à leur maniere , dont ils remplis-fent enfuite les hachures de craie ; ce qui fait un fort joli effet: & quoiqu'ils ne fe fervent ni de reg le , ni de compas , ces deffeins ne laiffent pas d'être fort juftes & fort agréables.

Voilà la vaiffelle ordinaire , & la batterie de cuifine, tant des N e g r e s , que des na-turels du pays.

On prétend en o u t r e , que la moëlle de ce f ru i t , qui eft d'une froideur extraordi­na i r e , eft un excellent remede pour la brû­lure : on en fait auffi une l iqueur , dont on ufe pour fe rafraîchir.

Cet arbre eft une efpece de palmier ( w ) , qui s'éleve fort h a u t , quoiqu'il ait peu de groffeur. Ses feuilles font plates & faites en forme d 'éventai l , q u i , venant à s 'épanouir , fe partagent en plufieurs po in tes , qui font comme une étoile à plufieurs rayons. Le

(w) Palma dactylifera, radiata major.

Du La-tanier.

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DE S U R I N A M . 195

hois de cet arbre eft fort d u r , mais, il n'eft pas fort épais d'autant que l ' intérieur n'eft qu'une forte de filaffe, avec laquelle les naturels du pays font leurs corbeilles & leurs autres ouvrages de vannerie.

Les Lianes mon ten t , en ferpentant , au­tour des. arbres qu'elles r e n c o n t r e n t , & après ê t re parvenues jusqu'aux branches les plus hau tes , elles je t tent des filets, qui re tombent perpendiculairement , s'enfon-cent dans la t e r r e , y reprennent r a c i n e , & s'élevent de n o u v e a u , montant & redes­cendant alternativement.

Il y en a de plufieurs efpeces, dont les unes fervent aux naturels du pays à faire, des cordages, & d'autres à défaltérer ceux qui fe t rouvent dans des lieux où il n 'y a ni ruiffeaux, ni fontaines. Celles-ci font fort groffes, & ont de petites feuilles ten­dres m i n c e s , douces , & d'un fort beau verdi Leur bois eft flexible, l iant , fpon­gieux &, pefant ; leur écorce eft affez mince.

Lorsqu 'on fe t rouve dans le befoin de b o i r e , on en coupe u n e , environ à un pied de t e r r e , puis on tend fon chapeau deffous, & l 'on y voit tout auffi-tôt couler une eau fi claire & fi agréable à b o i r e , qu'il n 'y a point d'eau de pluie ni de fource qui en approche pour la bonté . Mais ce qu'il y a d 'admirable, c 'eft , qu'en quelque expo-

Des Lianes.

N 2

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196 D E S C R I P T I O N

fition que foit la b ranche , au foleil ou à l ' ombre , qu'on la coupe le jour ou la n u i t , l 'eau en eft toujours également fraîche.

Il y a encore une autre Liane, dont on fe fert pour faire des cercles ; elle eft fort fpongieufe auffi; le dedans en eft rougeâ t r e ; l 'écorce noire & affez épaiffe, & elle eft fort flexible & aifée à travailler.

Le Paletuvier devient fort grand; c'eft une efpece de Mang le , qui croît fur le bord des rivieres ou de la mer. Son bois n'eft bon que pour brûler : mais ce qui le rend recommandable , c'eft qu'il a deux éco rces , dont la p remie re , qui eft n o i r e , eft très-b o n n e , à ce qu'on p ré t end , pour tanner les cui rs , & la feconde, qui eft d'un rouge brun & fort a m e r e , eft b o n n e , à ce qu 'on affure , pour les fievres intermit tentes. On la regarde même comme une efpece de Quinquina : mais comme je n 'en ai jamais fait l ' expér ience, je n 'en parle ici que pour la faire connoître à quiconque fera tenté d'en faire l'analyfe.

Du Pale-tuvier.

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D E S U R I N A M . 197

C H A P I T R E X V .

Des Plantes Potageres.

IL eft inconteftable que dans l'immenfe variété d'arbres & de p lantes , que la

Na tu re offre à nos y e u x , il s'en t rouve qui fourniffent à l ' homme , fans la moindre cu l t u r e , des aliments néceffaires ou fuper-flus ; de forte que ces a r b r e s , ou ces p lan tes , ne peuvent avoir manqué de fixer de fort bonne heure fon attention. De-là lui fera indubitablement venu l'idée de les t ransplanter , tant pour fe les appropr ie r , que pour être à por tée de veiller à leur confervation. Pour ce fa i re , il a fallu qu'il étudiât les différents t e r ro i r s , propres à chacun , les amendements convenables pour les t e r r e s , & les divers foins qu'il en fal-loit p rendre , foi t , en les arrofant à p r o p o s , fo i t , en les expofant plus ou moins à l'air ou au foleil, ou fo i t , enfin , en en renfer­mant quelques-uns dans des ferres , qui les miffent entiérement à l'abri des diverfes impreffions de l 'a i r , qui leur pourroient ê t re nuifibles. Car les végétaux ont non

N . 3

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feulement leur fenfibilité comme les ani-m a u x , mais encore leurs maladies particu-lieres. L'air froid refferre la feve , & em­pêche les plantes de profi ter; l'air t r op chaud leur fait infiniment plus de t o r t , en ce qu'il en deffeche quelquefois entiérement l 'humide radical; les temps pluvieux font contraires aux u n e s , & les temps trop fecs aux autres ; d'où s'enfuit la neceffité de la c u l t u r e , qui remonte aux temps les plus reculés.

L 'on a foin , à Surinam, de faire élever fur les planches nouvellement femées, ou fur celles où l 'on a transplanté quelques lé­g u m e s , fur-tout dans les grandes chaleurs , de petits t o î t s , de la hauteur de deux p ieds , qu'on couvre de brouffailles, pour les garantir du foleil, fans leur ôter néan­moins tout-à-fait l'air.

Pour peu qu'on ait du goût pour la cul-turc des Jardins, il eft certain qu'on peut y avoir des légumes en abondance & en tou t t emps , puisque toutes les faifons y font propres. Il n 'y a feulement qu'à avoir foin que la terre foit bien amendée , avec du fumier de vache , qui eft meil leur , pour les terreins fablonneux, que celui de cheval. E t comme presque tous les Negres font jardiniers, il eft facile de juger avec quel-le aifance on peut fe procurer, non feule-

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ment l'utile en ce g e n r e , mais encore l'a­gréable.

Après ce petid exorde , j ' en t re dans tous les détails des légumes qu'on y peut culti­ver .

Je dirai d 'abord, à commencer par les Choux, que de toutes les efpeces qu'on a en E u r o p e , il n 'y a que les choux pom­m é s , b lancs , les choux frifés v e r d s , & les choux rouges , qui viennent bien à Surinam.

On fçait d'ailleurs que le t rop grand ufa­ge de ce légume n'eft pas fort fain, par­ce qu'il caufe beaucoup de ventofités aux eftomacs foibles; de forte qu'il n'eft bon qu'à ceux qui font un grand travail de corps.

Les Carottes y viennent auffi en pér-feftion ; mais elles n'atteignent pas la gros-feur de celles d ' E u r o p e , quoiqu'elles foient produites de la femence qu'on y en appor­t e : en revanche , elles font plus délicates & de meilleur goût.

Il en eft de même des Panais qui y vien-nent fort vîte & très-bien.

La Pimprenelle, le Cerfeuil, & le Perfil y réuffiffent, ou ne peut mieux; il faut feulement avoir foin de les couper fou-c v e n t , pour qu'ils ne montent point en graine.

N 4

Des Choux.

Des Carottes.

Des Pa­nais.

De la Pimpre-nelle, du Cerfeuil, et du Perfil.

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200 D E S C R I P T I O N

Comme le Pourpier y croît naturelle­m e n t , il y eft en abondance, fur-tout dans les bois : mais il differe de celui des jar­d ins , en ce que fes feuilles font plus pe­ti tes. On en mange beaucoup en falade, parce qu'il eft rafraîchiffant, & fort propice contre le fcorbut.

Il y a encore une autre efpece de Pour­pier , que l'on peut appeller mari t ime, parce qu'il croît aux rivages de la mer. C'eft un petit arbriffeau, qui pouffe des ti­g e s , longues d'un p i e d , grêles , pl iantes, couchées à t e r r e ; & dont les feuilles font oblongues , un peu dures , & d'un goût falé. On confit celui-ci dans le vinaigre, comme les cornichons. Il eft excellent avec toutes fortes de viandes, & particu­lièrement avec le bouilli.

Il y a deux efpeces d'Ofeille, l 'une que l'on cultive dans les jardins, & l 'autre qu'on appelle Ofeille de Guinée. Celle-ci croît en arbriffeau, à la hauteur de cinq ou fix pieds: fes branches font en fort grand n o m b r e , & très-déliées. Ses feuil­les font partagées en trois parties inégales, par deux coupures , qui vont presque jus­qu'à la principale ne rvu re ; elles font den­telées , & leurs nervures font de couleur de chair. Cet arbrifleau p o r t e , deux fois l'année, des fleurs, d'où proviennent en

Du Pour-pier.

De l'O-feille.

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D E S U R I N A M . 2 0 1

même temps le fruit & la femence. Ces fleurs reffemblent à des tu l ipes , qui ne feroient pas bien ouve r t e s ; mais elles font plus petites. Les feuilles qui les comp-fen t , font de l'épaiffeur d'une piece de d i x fols , ro ides , & d'un rouge foncé. Elles renferment dans le cœur , un bouton v e r d , qui contient quelques petites graines bru­nes ; & c'eft ce bou ton , qu'on met en ter­re , qui en reproduit l'efpece. Quand ces petites tulipes font mûres , ce qu'on con-noît à une petite noirceur qui paroît au bout de leurs feuilles, on les cueille pour en faire des confitures. On en fait une ge lée , qui tient lieu de celle de grofeilles, & qui eft auffi rafraîchiffante ; auffi l'or-donne-t-on dans toutes les maladies aiguës, parce qu'elle a la vertu de diminuer le mouvement de fermentation du fang, & fa t rop grande fluidité: elle reprime auffi la bile qui boui l lonne; elle l'épaiffit, lors­qu'elle eft t rop a t t enuée , & elle l 'adouci t , enfin, lorsqu'elle eft t rop âcre : elle eft encore très-bonne dans les fievres bilieufes, foit fimples ou peftilentielles.

Les Oignons de Surinam ne fon t , tou t au p lus , que des c iboules , malgré qu'ils fe multiplient de graine d 'Europe ; car on n'en a jamais pu recueillir dans le pays : de forte qu'il ne faut pas être furpris fi, com-

N 5

Des Oi-gnons.

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2 0 2 DESCRIPTION

me je l'ai dit au Chapitre h u i t , les Anglois en apportent de leur pays , puisqu'ils dégéne­rent à ce point dans la Co lon i e , & qu'il eft impoffible qu'ils s'y reproduifent.

Les Echalottes y v iennen t , mais ce n'eft pas fans peine ; encore ne parviennent-elles jamais à la groffeur des nôtres.

La Patience, qui eft une efpece d'ofeille, t ient heu d'épinards dans ce pays; elle y eft même fort grande & un peu aigre. On s'en fert beaucoup en médecine ; parce qu'elle eft apéritive & laxative.

On y a deux efpeces de Creffon, l ' u n , que l'on cultive dans les jardins, & l'au­t r e , qui croît naturellement & abondam­ment aux rivages de la mer. Les feuilles de celui-ci font plus rondes , plus grandes , & toujours plus vertes que celles de l'au­t r e . On, en fait un grand ufage, parce qu'il eft anti-fcorbutique , & par ,confé-quent propre à purifier la maffe du fang.

Les Concombres y font très-faciles à culti­ver,- parce qu'ils viennent partout où on les feme. Leur graine eft une des quatre femences froides, & l'on a coutume de l 'employer dans les émulfions, pour les ma-ladies qui proviennent d'une t rop grande chaleur interne.

D M

Echalot­tes.

De la Patien­ce.

Creffon.

Des Con-combres.

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D E S U R I N A M . 203

D é toutes les efpeces de Salade qu'on a en E u r o p e , il n 'y a que la laitue pom­m é e , l'endive & la chicorée fauvage, qui y viennent très-bien. Le céleri y eft auffi fort commun; mais il n 'y devient pas fi gros que le nôtre . Les asperges y vien­nent en perfection, & ont même un goût plus délicat que celles d 'Europe.

Tou tes les efpeces de pois y viennent de même : les har ico ts , les r a v e s , les ra­dis , les po r reaux , & les citrouilles ou pam-poenes.

Tou tes les terres font auffi fertiles en différentes efpeces de Poivre ou Piment, qui fon t : Celui qui eft d o u x , & d'une figure oblongue; le p imen t -bouc , qui eft rond & pe t i t ; le piment r o u g e , & celui qu 'on nomme crot te de r a t , parce qu'il a la figure d'une filique; & , enfin, un autre plus p e t i t , qui eft très-brûlant.

Tou tes ces efpeces viennent fur de pe­tits arbriffeaux, de la hauteur de deux à trois p ieds , por tant des feuilles longues & p o i n t u e s , larges, affez charnues , de couleur verd-brune , & attachées par dès queues. Les fleurs forment de petites ro-fettes po in tues , de la couleur du f i a i t , auxquelles fuccedent des capfules longues , groffes, rondes ou ova les , luifantes & pol ies , vertes au commencement , & en-

Des Sa­lades.

Des Poi­vres ou Piments.

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2 0 4 D E S C R I P T I O N

fuite de la couleur dont le fruit doit ê t re . Toutes ces capfules font divifées intérieu-rement en plufieurs loges , qui renferment des femences plates.

Les naturels du pays , de même que les N e g r e s , mangent toutes les efpeces de pi­m e n t s , tout c ruds , parce qu'ils y font ac­cou tumés , dès leur tendre jeuneffe, mal­gré qu'ils écorchent la b o u c h e , & la met­tent tout en feu. Mais ce qui m'a fur-pris , c ' e f t le fréquent ufage que les Créoles blancs en font à chaque repas. On les confit auffi, pour les envoyer en Europe .

Je veux bien c r o i r e , avec ceux qui aiment ces p i m e n t s , qu'ils font capables de réveiller l 'appét i t , & d'aider à la di­geftion; mais je tiens qu'il f au t , comme on d i t , avoir la bouche p a v é e , pour pou­voir fupporter le feu qu'ils y caufent ; car je l'eus tellement erabrafée ,1a premie­re fois que j ' en mangeai , que l 'envie ne m'a plus repris d'en goûter une feconde.

Les Champignons viennent abondamment dans les favanes ou prai r ies , fur-tout dans le commencement des petites pluies ; mais comme cette plante eft fouvent plus per-nicieufe e n c o r e , qu'elle n'eft agréable , quoiqu'elle le foit beaucoup, il eft bon,

Des Cham­pignons.

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DE SURINAM. 2 0 5

non feulement, d'ufer avec difcrétion des mei l leurs , mais encore d'apprendre à les bien connoître : parce qu'il y en a de fi ven imeux, qu'il en réfulte de terribles ef­fets , lorsqu'on a eu le malheur d'en man­g e r ; comme le vomiffement, l 'oppreffion, ou la tenfion de l'eftomac & du bas-ven­t r e , des anxiétés , & des douleurs très-vives dans les entrail les, des évanouiffe-m e n t s , le tremblement de presque tout le co rps , & même très-fouvent la mor t . Après de fi funeftes accidents, ne devroit-on pas frémir , toutes les fois qu'on fatis-fait fa fenfualité, par un mets fi dange­reux , quelque flatteur qu'il nous paroiffe ? Néanmoins , comme il eft ufité de le re­garder comme un a l imen t , & qu'on l'ad­met aux meilleures tables , je dirai que le plus fouverain remede pour ceux qui en auroient t rop m a n g é , comme pour ceux q u i , par ignorance ou par t émér i t é , en au­roient mangé de la mauvaife efpece, ef t , d'avoir tout de fuite recours à un bon vo­mitif, pour débarraffer promptement l'es­tomac de ce poifon. On affure e n c o r e , qu'une partie de vinaigre, fur quatre d ' eau , donnée au malade , après cet te premiere évacua t ion , fait un fi merveilleux effet fur les moindres parties de ce v e n i n , qu'il en détruit l 'activité, & lui ôte tout pou-

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voir de n u i r e : mais je le r épe t e , Je meil­leur de tous les remedes , c'eft d'en ê t re extrêmement fobre , & de s'attacher à les bien diftinguer; o r , pour cela , il n 'y a qu'à faire at tent ion à la defcription qui va fuivre.

T o u t le monde convient que les meil­leurs champignons font ceux qui croiffent dans une n u i t , qu'ils doivent être d 'une groffeur médiocre , charnus , bien nour­ris , blancs en deffus, rougeâtres en des­fous , blancs & moëlleux en dedans , d 'une confiftance affez ferme , &: d'un parfum très-agréable.

Il eft maintenant queftion de faire con-noî t re les venimeux. Ils ont ordinaire­ment les feuillets no i r s , & fentent mauvais pour la p lupa r t , ou n 'ont point de par­fum ; quelques-uns m ê m e , quand on les a coupés , noirciffent, ou verdiffent pres­que auffi-tôt: ce que ne fait pas le b o n , qui garde fa blancheur.

l'Ocre eft une gouffe, qui croît fur u n peti t arbriffeau, dont les feuilles font ob-longues , les unes fimples, & les autres rangées, par paires. Ces gouffes font de la groffeur d'un œuf de p igeon, attachées aux tiges , par une petite q u e u e , & fe termi­nent en pointes. Elles font cannelées en dehor s , comme les cataloupes; & cha-

De l'Oire,

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D E SURINAM 207

cune renfenne. plufieurs f e m e n c e s ron­des.

Les Créoles , tant blancs que negres , font un grand ufage de l ' oc re , qu'ils font boui l l i r , & auquel ils ajoutent une fauce , où il entre beaucoup de piment. Ce man­ger , ainfi apprê té , eft fi t enace , qu'il file

à la fourchette comme de la glu. On pré­tend qu'il eft fort délicat & fort rafraîchis-fant ; mais cet te grande vifcofité m'en a tellement dégoûté , que je n'ai jamais pu me réfoudre à en por ter à ma bou­che.

Les Aubergines font des fruits oblongs , . de la groffeur des concombres , folides, liffes, de couleur pu rpu r ine , extrêmement, doux au toucher , remplis d'une chair b lanche , empreinte de fuc , & piquée de beaucoup de femences blanchâtres , ap-pla t is , & qui o n t , le plus fouvent , la figure d'un rein.

Ce fruit provient d'une p lan te , qui pous-fe une feule t ige , à la hauteur de deux pieds , groffe comme le p o u c e , r o n d e , rou­geâ t re , rameufe, & couverte d'un peu de la ine , qui fe fépare facilement. Les feuilles, qui font attachées à de longues & groffes q u e u e s , font plus longues & plus larges que la main , finuées ou pliffées tout au­tour , v e r t e s , mais couvertes fuperficiel-

Des Au­bergines.

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208 DESCRIPTION

lement poudre , ou coton menu blanc comme de la farine. Ses fleurs des rofe t tes , à plufieurs p o i n t e s , ches & purpur ines , foutenues par ca l ices , hériffés de petites épines rouge & divifés chacun en cinq parties point A ces fleurs fuccede le f r u i t , que cult ive dans les jardins. Il y en a de deux efpeces; celle qu

viens de décrire , & une aut re , qui ne fere de celle-ci qu'en ce que le fruit boffu, c o u r b é , ou de travers. On les ge en falade, comme les concombres ; bien on les coupe par t ranches, & ON fait frire à la p o ë l e , avec de bonne h de P r o v e n c e , en y ajoutant un peu poivre . Je puis affurer qu'il n'y a pas meilleur ragoût au monde , que l ' A u gine apprêtée de la for te ; mais elles font pas de facile digeftion, furtout fi en mange beaucoup.

On prétend que ce fruit, fraîchem cuei l l i , appliqué fur les brûlures , eft ca ble d'en arrêter les douleurs.

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DE SURINAM 209

C H A P I T R E , XVI.

antes Médicinales, qui naiffent dans le

et de leurs propriétés.

ne fçauroit révoquer en d o u t e , que premier foin de tous les hommes

t é , de temps immémor ia l , de veil-leur propre confervation. Expofés ur naiffance, à mille infirmités, ils

certainement: dû chercher , de fort bon-i r e , tous les moyens , ou de s'en ga-ou d ' y remédier ; mais ce qui nous fçavoir, c'eft la maniere dont ils font

nus , par degrés , à connoître les des propres aux diverfes maladies, &

rminer ceux qu'il falloit employer , fe-es circonftances, , ou le tempérament

malade. n'eft pas que nous n'ayions quantité

teurs qui traitent de l ' invention de la cine; mais d 'obfcuri tés, que de radictions, & par conféquent , que de s ! Chaque peuple a voulu fe l'attrî-& a nommé celui ou ceux d'en-ès conci toyens, qu'il en a reconnu

Tome I. O

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210 DESCRIPTION

pour Mais quelle prc y a que tous les hommes n'aie comme de concert, examiné ce qui fait au bien-être de leur individu ;

a ait été finguliérement réfervé feul h o m m e , ou à une feule Croyons plutôt que le genre hum tant difperfé dans toutes les par m o n d e , chacun a cherché dans qu'il occupoi t , les productions not ment fubftantielles ; mais encore cette pouvoient convenir à préferver ce individu de toutes les infirmités a les il eft expofé , ou à le ré tabl i r , lui en eft furvenu.

Ce qu'il y a d ' é t onnan t , c'eft que monde a vieilli , moins il s'éft appl faire de nouvelles découver tes , en d'une Colonie à l 'autre : on n'a qu'aux remedes connus , fans s'in qu'il en pouvoit exifler d 'autres , en a emporté avec f o i , ou fait re grands fraix, fans faire attention fouverain Créateur de ce vafle uni diftribué dans toutes fes parties, étoit néceffaire aux créatures deft, l 'habiter , fans qu'elles euffent befo voir r ecours , pour fe conferver, aliments ni à des remedes exotique le monde eft la patrie de l 'homme,

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D E S U R I N A M . 211

doit t rouver partout ce qui lui con-par les foins du premier de tous

tres. Pas une p lan te , pas un infecte, en, enfin, qui ne foit deftiné à lui u t i l e , qui ne foit homogene au climat

habite ; tandis que tout ce qu'on v e n i r , pe rd , par le t ranspor t , les

quarts des vertus qu'il avoit ; & que lui lui ref te , eft encore hétérogene à à qui on le deftine.

out ce discours ne tend qu'à prouver bien on a eu tor t de négliger la Botani-dans le pays dont je pa r l e , qui abon-n plantes de toutes efpeces, plus fa-es les unes que les autres. E t quel leur aftuellement ne feroit-ce pas , pour leurs les Surinamois, fi quelque habile nifte vouloit fe donner la peine de ve-

i c s analyfer dans les vaftes & belles cam­nes de ce pays ? Je ne puis diffimuler,

v é r i t é , qu'une pareille entreprife lui teroit beaucoup de travail ; mais , pour

que les intéreffés coopéraffent à lui ucir les difficultés qu'il t rouvero i t , à courir des terres brûlantes , comme es de ce Continent , il eft certain qu'il richiroit par fes immenfes découver-

Combien de fois ne me fuis - je pas re-ti de ne m'être pas appliqué à un genre

O 2

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2 1 2 D E S C R I P T I O N

d 'é tude , qui a fait tant d'honneur aux t iens , chez qui il a pris naiffance !

Je me fais , maintefois , adreffé ; fieurs Efclaves noirs , qui font ex dans la connoiffance de nombre de plantes ; mais ce peuple eft fi jaloux d fçavoir, que tout ce que j'ai pu foit par argent , ou par careffes, m' inut i le ; & que je n'en ai jamais pu fuader un de m'inftruire, à quelque dition que ce fût. Ce qui me force fifter, par amour pour les habitant S u r i n a m , fur la néceffité qu'il y a à inviter quelque habile hom me , à travailler fur les l ieux, tant pour plus obligés de faire venir des dro étrangeres, par les raifons que j'ai d que pour ne plus expofer leur v i e , ( me ils le font très-fouvent , entre mains d'Efclaves, qui ne font pas jours bien in tent ionnés , & qui peu abufer de la confiance qu'on eft cont de leur témoigner.

La preuve de ce que je viens d'avan-fera dans le petit nombre de plantes, j 'ai connoiffance, & dont je vais ner la defcription. Quelle multitude c tres ne découvriroit-on pas !

La premiere qui s'offre à mon idée la racine, ou bois de Coiffi, qui doit

DU Bois de Coiffi.

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D E S U R I N A M . 2 1 3

à la découverte qu'en a faite un Ne-appelle Coiffi.

renverrois totalement le Lecteur à la nte defcription qu'en a donnée le

Naturalifte Suédois (fur le rapport de d'Helberg, qui l'a apportée en Euro-

l'année 1 7 6 1 ) , fi je ne m'étois pro-de ne rien omettre dans ce L i v r e , de

ui m'en eft connu d'ailleurs. Sans taxer d'Halberg de n 'être pas vér idique, il

emble que le Naturalifte Suédois & lui rce

nt un peu trop fiés fur la foi d'autrui : ce me le fait c ro i r e , en par t ie , c'eft que

d'Haberg, au rapport du Naturalifte, le premier à qui le Negre Coiffi a ap-

à connoître ce bois ; or cela ne me pa-pas tout-à-fait vraifemblable, puisqu'il déjà connu, depuis près de quarante

de presque tous les habitants de Suri-, qui faifoient ufage des fleurs que rap-

te cet a rb re , & qui les regardoient ome très-ftomachiques ; & cela à mon vee en 1 7 5 4 .

je ne défavoue cependant pas, que je ve entendu dire de grandes merveilles de bois ; mais pour ne me point mettre dans cas d'être repris moi-même, faute d'obfer-; ions, je n'en dirai fimplement ici que ce

j 'en fçais parfaitement , & fur quoi n fe peut fier.

O 3

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214 D E S C R I P T I O N

Cette racine eft regardée comme un des plus grands ftomachiqucs , par la ver tu qu'elle a de fortifier l 'eftomac, de rétablir l 'appéti t , & d'aider à la digeftion. Elle tue auffi les vers chez quelques malades. Mais ce qui la rend encore plus recomman­dable , c'eft qu'elle guérit radicalement toutes efpeces de fievres in termi t tentes , même les plus invétérées ; en ce qu'elle agit plus fortement fur les humeurs , que le Quinquina, parce qu'elle contient plus de parties falines. D e forte qu'on p e u t , en toute fûreté , en faire ufage, en dé-coct ion, dans toutes fortes de fièvres in­termittentes , r émi t t en t e s , continues ou continentes ; pour toutes fortes de perfon-n e s , de tout âge & de tout fexe , tant enfants du premier âge , qu 'adul tes , vieil-lards , filles, femmes enceintes , & même en couche. Mais il eft bon d 'obferver, qu'avant de faire prendre cet infaillible re­m e d e , il faut abfolument purger u n e , & même jusqu'à deux fois de fuite le malade, pour peu qu'il puiffe le fupporter. Je préférerois même de lui faire prendre un vomitif d'Ipecacuanba, afin de mieux déta­cher les crudités de l 'eftomac, & de rendre l'effet de la décoction de ce bo i s , beaucoup plus prompt. Cette maniere de l 'emplo­yer en décoction, eft auffi meil leure, que de

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D E SURINAM. 215

le faire prendre en fubftance, c'eft-à-dire en p o u d r e , parce que l'effet de cette der­niere eft non feulement plus l e n t , mais qu'elle caufe encore des obftructions.

Voici donc comme il faut faire. On prend une demi-once de l 'écorce de la ra­cine de ce bo i s , qu'on fait bouillir dans fix livres d 'eau, jusqu'à reduction de la moi t i é , obfervant que le vaiffeau foit bien fe rmé; enfuite on paffe cette décoction par un l inge, & on en fait prendre une taiffe pleine au malade, toutes les deux heures , jusqu'à l 'entiere extinction de la fievre : pu i s , cinq ou fix jours après , on doit repurger le convalescent. Voilà tou­tes les quali tés, ou ver tus , que je lui con­nois.

Le Simarouba ef t , p rop remen t , l 'écorce d'un a rb re , ( a ) qui reffemble affez, par fes feuilles, comme par fa hau teu r , à un pommier. Ses fleurs, qui ont l'air de vio­lettes blanches, ont une odeur fort défa­gréable;. & le fruit qui y fuccede, eft rou­ge & partagé en qua t r e : on affure qu'il p u r g e , par haut & par bas.

L'écorce de cet a r b r e , ou le Simarouba, eft d'un blanc jaunâtre сompacte , fans odeur ; mais d'un goût fort amer. Elle

( a ) Evonnynius, fructu nigro tetragono.

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Du Si-marouba.

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2 1 6 D E S C R I P T I O N

eft compofée de fibres pliantes, & attachée au bois blanc, léger & infipide, des raci­n e s , des fouches, & des t roncs , dont on la fepare aifément.

Elle contient beaucoup de parties réfi­neufes , d'un goût fort agréable , & eft ex­cellente pour fortifier re f tomac, à caufe de ion amertume. Elle appaife auffi les vio­lentes douleurs & les tranchées des entrail­l e s , par les parties balfamiques qu'elle con­t ient . S a décoction eft généralement re­connue pour être un fpécifique contre la dyffenterie & toute a u t r e efpece de flux de ventre . Quoiqu'elle foit plus fouveraine en décoction qu'en fubftance, fi, cepen­dan t , le malade fait choix de la derniere , on peut lui en donner jusqu'à trente-cinq grains, pour une prife, après avoir eu foin de débarraffer les premieres voies. C'eft aux naturels du pays , qu'on eft redevable de cette importante découver te : peup le , cependant , des plus ignorants dans la Phyfi-que.

L'arbre qui porte la Caffe, vient très-grand , & croît dans tous les pays chauds des Indes Orientales. Ses feuilles font lon­gues & é t ro i tes , d'un verd pâle ; & il por­te des fleurs, par gros bouquets , qui ont une odeur fort agréable. Aux fleurs fuc­cedent des fyliques, qui font d u r e s , lon-

De la Caffe.

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gues , environ d'un pied, cilindriques, d'un pouce d'épaiffeur, d'une fubftance ligneufe & mince , qui cil couverte d'une pellicule, d'abord ve rdâ t re , & tirant enfuite fur le no i r ; ce qui dénote leur maturité. L'in-réricur eft fubdivifé en plufieurs cellules, qui renferment la graine , au milieu de la moël le , qui eft douce , d'abord blanchâtre , jaune enfuite, & puis noire. La fylique, qui renferme cette moëlle, ne vient jamais feule; on en compte , depuis douze jusqu'à quinze, & même vingt , attachées enfem­b l e , & pendantes, féparement , à la bran­che , par une petite queue qui leur per-m.et de s'agiter, quand il fait du v e n t ; ce qui leur fait p rodu i re , en fe h e u r t a n t , un pet i t b r u i t , plus ou moins confidérable, & c'eft ce qui les fait tomber. Quand ces fy­liques font bien mûres , ce qu'on conno î t , comme je viens de di re , à leur noi rceur , il faut choifir celles qui font les plus pe-fantes, nouve l les , pleines, qui ne refon­dent p o i n t , c'eft-à-dire, dont les graines ne font point de b ru i t , lorsqu'on les agi te ; parce qu'alors c'eft un figne que la fub­ftance eft graffe, & d'un beau noir.

Elle purge doucement les humeurs bi-lieufcs, & elle ne laiffe point d'impres-fion de chaleur, dans le corps de ceux qui en ufent.

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La Sarcepareille (b) de ce pays , eft une plante rameufe, qui s'entortille & s'attache aux arbriffeaux voifins & aux haies. Elle eft compofée d'un nombre infini de bran­ches , ou racines, très-longues, groffes comme des plumes d 'o ie , flexibles, canne­lées dans leur longueur , qui ont une écor­ce mince , de couleur rouffâtre, ou de cen­d r e , ex té r ieurement ,& blanche en dedans; elles p o r t e n t , de diftance en diftance, des feuilles de la figure de celles du l i e r ­re .

Cette efpece de Sarcepareille n'eft pas fi groffe que celle d'Efpagne; c'eft pour­quoi je la regafderois plutôt comme une efpece de f i n i l a x a s p e r a , que pour la véri-table Sarcepareille, Cela n 'empêche p a s , cependant , qu'elle ne foit bonne pour puri­fier toute la maffe du fang.

LE feuille de M a l a b a t h r u m , appellée ain-fi, parce qu'elle tire fon origine de M a l a ­bar , fe t rouve auffi à Surinam : on lui don­n e , en François , le nom de feuille Indien­ne.

Elle eft grande, comme la main , affez femblable à celle du ci t ronnier , de cou-couleur vêrd-pâle; elle eft ob longue , p o i n t u e , compacte, luifante, diftinguée par trois

De la Sarcepa-reille.

De la feuille de Malaba-ttrumi

(b) Sarffaparilla.

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ne rvures , qui vont de la queue à la poin­te ; & a une odeur aromatique , toute femblable à celle du clou de girolle.

L'arbre qui porte cette feuille, produit un frui t , qui eft une efpece de baye , gros-fe comme un petit pois , de figure ova le , rougeâ t re , & enclofe dans un petit calice gris-brun, r idé , du r , attaché à une peti te queue. Ce fruit eft âc re , & auf f i aromati­que.

Celui qui m'a fait connoî t re , & la feuil­le & la baye , m'a affuré que la feuille , prife in tér ieurement , procuroit une abon­dante transpiration, & chaffoit toutes les humeur s , par la voie des urines ; mais comme je n'en ai point vu d'expérience , je ne fais que rapporter fon témoigna­ge.

Il paroît que le Gingembre ( c ) eft origi­naire du pays , car il y vient aifément. C'eft proprement la racine d'une p lan te , qui vient affez touffue, & dont la feuille eft longue & étroite , allez douce au tou­cher , & affez femblable à celle du ro­feau.

La tige ne croît jamais à plus de deux pieds de hau t , & por te des feuilles, qui viennent aux deux côtés , couplées ,

Du Gin-gembre.

(c) Zingiber,

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lesquelles font d'un verd-gai, quand elles font jeunes , qui jauniffent en mûriffant, & qui fe deffechent ent iérement , lorsque la racine a acquis toute la maturité qui lui eft néceffaire.

Ces racines viennent plates , larges, & de différentes figures. Elles font très-peu avant en t e r r e , fouvent même elles font presque dehors , & tout à découvert. On en trouve de t rès - la rges , & d'un pouce d'épaiffeur. Leur peau eft mince , de cou­leur de cha i r , lorsqu'elles font ve r t e s , & grifes, quand elles font feches. La fub-ftance du dedans eft blanche & fe rme , & même affez compacte & pefante. Elle eft t raverfée, par des n e r v u r e s , qui partent de l 'endroit par où elle tient à la t ige , & qui fe répandent dans toute fa largeur, comme dans fa longueur ; de même que les veines , dans les membres du corps hu-main.

Ces nervures font remplies d'un fuc pi­quan t , & plus fort que le refte de la chair , qui eft d'autant plus douce qu'elle eft éloignée, de ces n e r v u r e s , ou qu'elle eft -moins mûre.

Le Gingembre confit eft excel lent , pour hâter la digeftion ; il confomme les phlegmes qui font dans l 'eftomac; il nettoye les con-dui ts , & excite l 'appéti t ; il provoque l'u-

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r ine ; & rend l'haleine douce , & de bonne odeur : mais, comme il faut ufer de tout avec modérat ion, il faut particuliérement ufer de cette plante avec beaucoup de dis­crétion , parce qu'elle eft extrêmement chaude , & que , quelques foins qu'on pren­n e , on ne peut lui ôter fon âcre té , ni rien diminuer de fa chaleur.

Les uns difent que la racine de Jalap eft originaire du P é r o u , & d 'aut res , qu'elle-vient des Iles de Madere: quoiqu'il en foit , elle ne fe trouve pas moins à Surinam, fur-tout dans les terres hautes.

C'eft une racine o b l o n g u e , en forme de nave t , groffe , compacte , coupée , trans-ver ia lcment , en t ranches , & pefante ; noi­râtre en dehors , brune en dedans ; réfi-neufe , difficile à r o m p r e , & d'un goût fort âcre.

Suivant la defcription que m'a faite , de la feuille de cette plante , le Proprié­taire du Plantage Knopomonbo, on pour ro i t , fans fe t r omper , la regarder comme une efpece de Belle de Nuit, que le Pere Plumier & Mr. Tournefort appellent officinarum, fructu rugofo. Quoiqu'elle ne foit pas tout-à-fait fi purgative que celle du P é r o u , qui a la vertu d 'évacuer , parfaitement, toutes les férofités, les Negres en font néanmoins ufage.

De la ra­cine, de Jalap.

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S'il y a peu de perfonnes qui ne connois-fent la Régliffe, il y en a peu auffi qui fça-chent que les Scythes furent les premiers qui découvrirent les qualités de cette plan­te , & qui la mirent en ufage, ,

Cette p l an te , ou cette rac ine , eft gran­d e , longue , & fe divife en plufieurs bran­ches , les unes plus groffes que le p o u c e , & les au t res , comme le doigt ; elle eft rampante , & s'étend de tous cô té s , dans la terre ; de couleur grife ou rougeâtre en dehors , jaune en dedans ; d'un goût fort doux & agréable : elle a la vertu d 'être pectorale, & d'adoucir l'âcreté des rhûmes ; elle facilite les crachats, & elle humecte la poitrine & les poumons. Cette plante fe t r o u v e , part iculiérement, dans les endroits marécageux.

Le Romarin eft affez commun dans tous les pays chauds : c'eft pourquoi cet arbris-feau l'eft auffi à S u r i n a m ; & on l'y cultive dans tous les jardins. Il eft b o n , lorsqu'il eft pris in t é r i eu rement , pour fortifier le ce rveau , contre l'épilepfie, & les vapeurs hyftériques. On prépare auffi, par infu-fion, un vin de romarin , qui eft excellent dans les affections des ne r f s , de même que pour la ftérilité: on s'en fert auffi extérieu-rement pour fortifier les jointures & les

De la Régliffe.

Du Ro-marin.

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D E SURINAM. 223

nerfs , & pour réfoudre les humeurs froi­des.

La Rue eft une plante qu'on cultive dans presque tous les jardins, qui vient fort aifé­ment dans tous les pays chauds ; & qui eft très-bonne pour calmer les convulfions des enfants , lorsqu'elle eft mêlée avec un peu de levain , & appliquée fur le pouls. Elle eft capable auffi de réfifter au venin ; elle exci te , prife in tér ieurement , les menftrues aux femmes ; elle abat les vapeurs ; & elle eft encore bonne pour les coliques venteu-fes , & pour la morfure des chiens enragés. La décoction de fes feuilles eft merveilleu-fe en gargarisme, pour les gencives des fcorbutiques, & pour ceux qui ont la peti­te vérole.

Quoiqu'il y ait plufieurs efpeces de Jas-mvfiio'je ne parle que de celui que l'on cul-tlvn^à Surinam. C'eft une plante qui vient en arbriffeau, qui pouffe quantité de t iges, branches, ou rameaux, tous droi ts , qui s'entrelaffent, fe fortifient, & multiplient mervei l leufement , fi on a foin de les tail­l e r , une ou deux fois l ' année , au commen­cement & à la fin des pluies. Les fleurs commencent par un bouton longue t , & de couleur purpurine , lequel s 'ouvre , & fe partage en cinq feuilles blanches, dont le fond forme un calice, du milieu duquel

De la Rue.

Du Jas-min.

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s'éleve une petite colonne , ou piftil, q u i , dans fa matur i t é , porte une gouffe, ren-fermant deux graines, proches l'une de l ' au t re , applaties du côté qu'elles fe tou­chent ,& rondes du côté oppofé, qui font proprement les femences de la plante. L 'o­deur de fes fleurs, quoique fort d o u c e , ne laiffe pas de s'étendre fort loin: on pré-, tend qu'elles font bonnes pour aider à l'ac­couchement , & pour réfoudre les humeurs froides.

La Menthe (d) eft une p lan te , qui pouffe

des tiges jusqu'à la hauteur de trois pieds. On la cultive dans les jardins, à caufe de la vertu qu'elle a d'être carminative & hy-fcérique. Elle fortifie le cerveau , le c œ u r , l'eftomac ; elle chaffe les vents , excite l 'appét i t , & provoque les menftrues aux femmes. Elle eft encore v a l n é r a i r e ré-foiutive , & anthelmintique. Elle tous auffi presque infaillible pour arrêter le vo-miHem.ent, furtout fi on prend de fon eau diftillée.

La Marjolaine eft une plante t rop com­m u n e , pour en faire une longue defcrip­tion. On la cultive dans tous les jardins, à caufe de fon odeur aromatique. On en

fait

De la Mentbe.

De la Marjo-laine.

(d) Mentha bortenfis.

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fait ufage dans les al iments, ou pour les ren­dre plus agréables, ou pour corriger ce qu'ils peuvent avoir de flatueux, o u , enfin, pour en faciliter la digeftion. Cette plante eft a u f f i bonne pour les maladies de ne r f s , pour l 'eftomac, pour chaffer les vents de la matr ice , & pour les autres maladies froides de ce vifcere , de même que pour évacuer toutes les humeurs aqueufes , par la voie des urines.

Quoiqu 'on diftingue cinq efpeces de Mauves, je n 'en ai vu qu'une à Surinam, que l'on cultive dans les jardins, à caufe de la beauté de fa fleur, qui reffemble, en quelque manie re , à des rofes épanouies : auffi la nomme-t-on Malva rofea.

Elle eft bonne pour humecter , amol­l i r , calmer les douleurs , adoucir l'a-crimonie de l 'u r ine , & pour lâcher douce­ment le ventre . Ses fleurs font excellen­t e s , en gargarisme, cuites avec du lai t , pour les maux des amygdales & de la gor­ge.

Le Chiendent n'eft pas moins commun dans les favanes ou prairies de Surinam, qu'il l'eft en Europe . Ses racines font blanches, rampantes , noueufes , par in­terval les , épaiffes de deux l ignes, de cou­leur de pail le, quand il eft fec , & ayant très-peu de faveur. Ses tiges ont deux

Tome I. P

De la Mauve.

I Du Chien-dent.

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ou trois pieds de l o n g , & font garnies de quatre ou cinq longues feuilles, qui for-tent d'autant de nœuds , & enveloppent la tige.

Cet te plante a été mife dans le nombre des cinq racines apér i t ives , (don t les au­tres font le fenoui l , le perfil , la garance , & le petit h o u x , ) parce qu'elle provoque les u r i n e s , & qu'elle leve les obftruc-tions.

Le Fenouil vient aifément dans tous les jardins. Cet te racine eft de la groffeur du doig t , d ro i t e , b lanche , o d o r a n t e , d'un goût un peu doux & aromatique : elle pous-fe une tige haute de quatre p ieds , d ro i t e , canne lée , noueufe , liffe, couverte d 'une écorce mince , d'un v e r d - b r u n . Elle ef t , comme je viens de le d i r e , fort apér i t ive , &, b o n n e , par conféquent , pour purifier la maffe du fang. Ses feuilles font très-bonnes pour les maladies des y e u x ; elles adouciffent auffi les âcretés de la poitr ine. Sa femence eft carminat ive, ou propre à chaffer les v e n t s , & à fortifier l 'ef tomac, en lui facilitant la digeftion.

L'efpece de Capillaire qui vient à Suri-nam, reffemble beaucoup à la fougere. Cette plante pouffe une tige un peu rou­geâtre , longue de dix à douce pouces , garnie de feuilles ve rdâ t res , longues , den-

Du Fe­nouil,

Du Ca­pillaire,

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telées d'un c ô t é , & entieres de l 'autre, qui ont une odeur & une faveur très-agréa-bles. On le t rouve dans certaines favanes, où il y a beaucoup d 'herbes , & dans les endroits un peu marécageux & humi­des ; & il eft plus grand que celui d 'Eu­rope .

Il eft bon pour la po i t r ine , en ce qu'il aide à expectorer la pituite visqueufe qui y fé journe; il guérit la t o u x ; il déterge les humeurs épaiffes, attachées dans les vifceres , qui y produifent des obftruc-t ions ; il eft encore fort falutaire dans la jauniffe, & propre pour les maladies des reins.

Le Bafilic eft fort commun dans tous les jardins , à caufe de fon odeur aromati-que. Il croît à la hauteur d'un p ied , fe divifant en nombre de rameaux, garnis de feuilles femblables à la pariétaire.

On prétend que l'infufion de cet te plan-te eft très-falutaire pour les maux de tê­t e . Elle eft bonne auffi pour chaffer les vents , & pour fortifier le cœur & le cer­v e a u , parce qu'elle cont ient beaucoup de fel volatil.

Quoiqu'il y ait deux efpeces de Sauge ( e ) , je ne ferai mention que de la peti te,

Du Ba­filic.

De la Sauge,

(e) Salvia,

P 2

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que l'on cultive avec foin dans tous les jardins de Surinam, à caufe du fréquent ufage qu'on en fai t , pour la vertu qu'el­le a d'être céphalique, cordiale & réfo-lutive. On l 'ordonne en infufion , comme le t h é ; elle at ténue la p i t u i t e , & fortifie le cerveau. On s'en fert auffi beaucoup en gargarisme, cuite avec du l a i t , pour les maux de gorge,

La peti te Centaurée eft une plante des plus ameres ; elle fe t rouve dans les fava-nes marécageufes. Elle pouffe des tiges presque rampantes , anguleufes & liffes: fa racine eft fort pe t i t e , blanche infipide: fes feuilles font , à-peu-près, comme celles du M i l k e - p e r t u i s , ( f ) d'une très-grande amertume.

C'eft avec cette p l an t e , que les Negres fe guériffent de la fievre intermit tente . Lorsque la décoction qu'ils en font , ne l 'emporte p a s , ils ont recours au grand fé­brifuge du Negre Coiffi,

La Canelle bâtarde eft l 'écorce d'un ar­b r e , qui a le t ronc de la groffeur de la cuiffe d'un h o m m e , & qui eft recouver t de deux écorces , dont l 'extérieure eft affez. épaiffe, & de couleur de cend re , parfe­mée de quelques tâches blanchâtres & ra-

De la Centau-

rée.

De la Ca-nette bâ­tarde.

(f) Hypéricum.

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boteufes , & d'un goût aromat ique, un peu acre. Les feuilles de cet a r b r e , qui reffemblent à celles du laur ier , ont l'o­deur & le véritable goût de la canelle. On ne connoît qu'un feul arbre de cette e fpece , dans toute la Colonie , qui eft dans le plus haut des t e r r e s , fur un Plantage , dans la crique de Caffi-vinica.

L'ALOËS eft affez commun à Surinam;

mais fon ufage en médecine y eft encore inconnu. On fe fert de fes feuilles, qui font extrêmement épaiffes, pour n e t t o y e r , o u , pour mieux d i r e , récurer la vaiffelle d'étain. Elles font armées de p iquants , & d'un très-beau verd. La tige de cette plante eft extrêmement forte & épaiffe, & contient une efpece de réfine, ou fuc huileux. On teille auffi la p i t t e , comme le chanvre , & les Indiens en font des cor­des pour les banc-mac.

Le Rofier eft beaucoup cultivé dans tous les jardins, non feulement pour l 'odeur & la beauté de fa fleur, mais parce qu'on en fait une eau diftillée , que l'on t rouve dans toutes les boutiques de pharmacie, & qui eft deftinée à mille petits ufages do-meftiques.

La Nicotiane, ou tabac, qui eft une plante généralement c o n n u e , par le grand, ufage que tout le monde en f a i t , ne vient

P 3

De l'Aloës.

Des Ro­fes.

De la Nicotia-ne.

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pas fi bien à Surinam que dans les autres pays , quoiqu'elle foit originaire de l'A­mér ique , quelques tentatives qu'on ait faites pour perfectionner fa c u l t u r e : de forte qu'on a été obligé de l ' abandonner , parce que les Negres n 'ont jamais pu fouf-frir fon â c r e t é , provenant de t rop de par­ties huileufes ; & qu'ils o n t , par cet te rai-fon , toujours préféré celle que les Anglois apportent dans le pays.

On fçait, d'ailleurs, que la Nicotiane pur­ge par haut & par b a s , avec beaucoup de violence. On s'en fert avec fuccès, dans l'apoplexie , dans la paralyfie , & parti­culiérement dans les lavements .

On donne le nom de Balauftes aux fleurs du grenadier fauvage, qu'on t rouve dans le pays. Prifes en décoct ion, elles font très-bonnes pour la dyffenterie, la lien-t e r i e , & pour la diarrhée , de - même que pour le crachement de fang.

On diftingue deux fortes d'Orties, l 'une m â l e , & l 'autre femelle. La premiere p o r t e , fur des pieds qui ne fleuriffent p o i n t , des capfules, formées en fer de p i q u e , brûlantes au toucher , & qui con t i ennen t , chacune , une femence ovale & luifante. La feconde ne por te que des fleurs, & ne produit aucun fruit. On s'en fert dans la médec ine , parce qu'elles font apéri t ives,

Des Ba­lauftes.

Des Or­

ties.

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& qu'elles accélerent le re tour des men­ftrues fupprimées. Elles arrêtent auffi , par t icul iérement , le faignement de n e z , & réfiftent, à ce qu'on p r é t e n d , à la gangre­ne , étant écrafées, & appliquées fur la partie affectée.

Le Gui eft une plante parafite, qui ne végete point dans la terre, ce qui fait qu'el­le n'a point de racine apparente. On m'a fait remarquer qu'elle ne fe p rodu i t , à Surinam, que fur les orangers , les neffliers, & les goaviers.

On prétend qu'elle eft excellente pour les convulfions, pour la paralyfie, & pour les vers .

L'efpece de Ferge dorée ( g ) qui vient dans ce p a y s , croît dans les bois. C'eft une plante qui pouffe des t i g e s , à la hauteur de deux ou trois p ieds , rondes , cannelées, & pleines d'une moëlle fongueu-fe. Ses feuilles font ob longues , po in tues , & un peu dentelées à leurs bords. Ses fleurs font radiées , de couleur jaune-doré , & foutenues par un calice de plufieurs feuilles en écailles. Cette plante eft bonne pour être employée dans les b o u d i o n s , ou dans les tifanes, parce qu'elle eft un peu amere. Elle eft encore fort falutaire

Du Gui.

De la

Verge

dorée.

(g) Virga aurea.

P 4

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pour la colique néphrétique , & propre à at ténuer la pierre des re ins , & de la veffie.

On ne conno î t , dans ce pays , qu 'une efpece de Véronique, qui croît dans les bois. Sa racine eft fort dél iée, fibreufe, & rampante ; elle pouffe plufieurs t i g e s , hautes d'un p ied , menues , rondes , gar­nies de feuilles oppofées l 'une à l ' au t re , un peu dentelées à leurs bo rds , v e r t e s , ri­dées , & arrondies.

Cette plante eft très-bonne pour puri-fier le fang, pour les ulceres de la poitrine & des poumons. On s'en fert auffi en guife de t h é , pour expulfer la gravelle des reins. Sa décoction s'emploie e n c o r e , avec fuc­c è s , dans la jauniffe & les obftructions : de forte qu'on ne fçauroit affez recom­mander fon ufage, dans toutes ces incom­modités.

La Verveine fe t rouve auffi dans les fava­nes & dans les bois. Sa racine eft oblon­g u e , un peu moins groffe que le peti t do ig t , un peu b lanche , & d'un goût amer ; elle pouffe des t iges , d'un pied ou deux de hauteur. Ses feuilles font oblongues , découpées profondément , verdâtres , & d'un goût très-amer. On prétend que cet­te plante eft céphalique, réfolutive & vulnérai re , de même que fes feuilles: &

De la Véroni-que

De la Vervei­ne.

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D E SURINAM. 233

mife en p o u d r e , elle eft bonne pour l'hydropifie naiffante , prife en guife de thé .

Le Nénuphar eft une plante aquat ique, qui eft affez commune dans les endroits marécageux.

Quoiqu 'on n 'en faffe aucun ufage, elle ne laiffe p a s , néanmoins , d'être connue dans la médecine. Elle poulie des feuil­les fort grandes, larges, presque rondes , épaiffes, charnues , flottantes fur l ' e au , veineufes , de couleur v e r t e , blanchâtres fur le d o s , d'un verd-brun en deffous, & foutenues par de longues queues , groffes comme le petit do ig t , rougeâ t res , tendres & fongueufes.

On emplo i e , o rd ina i rement , cet te ra­cine dans les tifanes rafraîchiffantes, pour les inflammations des reins & de veffie; de - même que dans les fievres ardentes , les infomnies, & , enfin, dans tous les cas où il eft néceffaire de tempérer l'impétuofi-té du fang.

La Méliffe (b ) eft cultivée dans quelques jardins. On l'appelle auffi c i t ronel le , par-ce que les feuilles ont une véritable odeur de citron.

Cet te plante pouffe des tiges de la hau-

Du Né­nuphar.

De la Métiffe.

(b) Meliffa bortenfis.

P 5

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D E S C R I P T I O N

teur de deux p ieds , les unes p lus , les au-. t res moins. Ses feuilles font ob longues , po in tues , & allez larges, de couleur verd-b r u n , luifantes, & d'un goût un peu âcre. Ses fleurs, qui font pe t i t es , d 'une couleur b lanche , ou d'un rouge pâ le , produifent , à leur c h û t e , quatre femences enfermées dans leur calice même.

Elle eft très-bonne dans l 'apoplexie; elle eft employée , avec fuccès, dans la mélan­colie & les fievres malignes. Elle forti­fie l 'eftomac, le ce rveau , & procure les menftrues aux femmes.

La Matricaire croît aifément dans les jardins, dès qu'elle y eft cultivée. Sa ra­cine eft b lanche; elle pouffe plufieurs ti­ges : & fes feuilles, qui font nombreufes , on t une odeur affez f o r t e , & un goût fort amer. Après avoir cultivé cet te p l an te , pendant un certain t emps , dans quelques jardins , on l'a reconnue fouveraine pour les maladies hyftériques ; & elle eft enco­re , aujourd 'hui , tenue par tous les mé­decins , comme t rès -bonne , pour toutes les duretés de la mat r ice , pour provoquer les regles aux femmes , pour lever les obftruc-tions & pour les vapeurs.

La Linaire (i) croît dans les marais , ou

De la Matri­caire.

De la Linaire.

(i) Linaria paluftris ,pumila tenui folia.

234

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D E S U R I N A M . 2 3 5

dans les eaux croupiffantes. Elle n'a pas plus de deux pouces de hauteur . Ses feuilles reffemblent à celles du lin , & font très-ame-res au goût : fa racine eft fort m e n u e , fer-p e n t a n t e , un peu d u r e , & blanche.

On prétend qu'elle eft bonne pour l'hy­dropifie , & pour la jauniffe.

On m'a fait voir un pied de Lis rouge, furaommé de Saint Jean, dont on ne fçau-roi t t rop admirer la fuperbe couleur de feu. Comme c'eft l 'unique que j ' aye v u , & qu'on ne m'a point inftruit s'il a quelque p r o p r i é t é , je ne puis en rien dire.

L'Herniole eft une plante r ampan te , qui a quelque reffemblance avec le ferpole t , & qui s'étend par t e r r e , en rond. On ne la t rouve que dans certaines favanes. Elle eft extrêmement d iuré t ique , & , par confé­q u e n t , très-bonne pour ceux qui font at­teints de la gravelle.

La Fougere eft , à Surinam, une plante aquat ique , qui croît dans les lieux maré­cageux. Sa racine eft un amas de fibres longues & noirâtres. Ses tiges font hau­t e s , d 'environ deux ou trois p ieds , ver­tes & rameufes : fes feuilles font longues & étroites. Je ne connois aucune pro­priété à cet te efpece de fougere : s'il s'a-giflToit des deux autres efpeces, connues de

Du Lis rouge.

De l'Hernio-le.

De la Fougere.

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236 D E S C R I P T I O N

tous les médecins , je pourrois en parler plus fçavamment.

Il y a deux efpeces de Bryone , ou cou lev rée , ( k ) dont l 'une porte des bayes rouges , & l 'autre des noires. Cette plan­te poulie des tiges gr impantes , garnies de longs filets, avec lesquels elles s'attachent aux plantes voifines. Ses feuilles reffem­blent à celles de la v igne ; mais elles font un peu plus pe t i tes , blanches, & dispo­fées en grappes , auxquelles fuccedent des bayes , pareilles à celles du fureau; vertes au, commencement , mais qui deviennent rouges ou no i res , en mûriffant ; pleines d'un très-mauvais fuc , & de quelques fe­mences ovales & pointues. La racine de ces deux efpeces a la forme d'un, gros na­ve t . Elle eft b lanche, pleine de fuc , & d'un goût âcre & amer.

On prétend que cette même rac ine , tou-te fraîche, préparée en décoct ion, purge les férofités , & leve les obftructions.

l ' E u p a t o i r e . bâtarde eft une plante aqua-t i q u e , qui croî t dans les marais; fes feuil­les reffemblent à celles du chanvre , & fa racine eft fibreufe.

On allure qu'elle eft bonne pour la morfure des ferpents , & qu'on en fait une

De la Bryone.

De l'Eu-patoire bâtarde.

(k) Bryonia , feu Vitis alba.

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DE SURINAM. 237

poudre fternutatoire, pour les maladies de la tête .

I l y a deux efpeces de Mouron, ou mor-gel ine , l 'une aquat ique, & l 'autre terres­t re . C'eft une plante qui pouffe plufieurs tiges menues & rampantes ; fes feuilles font pe t i t e s , oblongues , oppofées deux à d e u x , le long des t iges , & d'un goût herbeux. Cette p lan te , quoique bonne à nourrir les oifeaux, ne laiffe pas que d'être encore em­ployée dans la médecine , en ce qu'elle eft rafraîchiffante, humectante , & adouciffan-t e , comme le pourpier. On prétend qu'el­le arrête le flux des hémorro ïdes , & qu'el­le en appaife les douleurs , étant prife en décoction.

La Noix Vomique de Surinam eft propre­ment le noyau d'un fruit qui m'eft incon­nu. Ce noyau eft p la t , orbiculaire , & de la groffeur, env i ron , d'une f e v e , de cou­leur j aunâ t re , & quelquefois blanc ; il fe partage en deux , & r en fe rme , dans cha­que c ô t é , une amande , couverte d'une pellicule d'affez mauvaife qual i té , comme on le va voir.

Quand on veut fe diver t i r , à Surinam, aux dépens de quelque nouveau débarqué , ou de quelque autre qui ne connoît pas ce f rui t , on commence par lui faire goû­ter de ces amandes pe lées , qui o n t un goût;

Du Mou-ron.

De la Noix Vomique,

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238 D E S C R I P T I O N

fort agréable : p u i s , fans qu'il s'en apper-ço ive , on lui en fubftitue trois ou quatre qui ne le font pas. Il ne les a pas plutôt mangées , q u e , par l 'at tention qu'on a de lui faire avaler un verre d 'eau , par des-fus , il relient des anxiétés extraordinaires, fuivies de naufées & de vomiffements , qui le t o u r m e n t e n t , pendant plus de deux heu-r e s ; ce qui paroît fort divertiffant aux fpectateurs, mais qui ne me le femble nullement. Ceux qui connoiffent le f ru i t , ou qui en ont été aver t i s , levent la pelli­cule , avec la pointe d'un cou teau , & mangent l'amande fans rien craindre de fes effets: ce qui met les rieurs de leur côté.

Je ne veux pas finir ce Chapi t re , fans parler d'une plante que j 'ai vue dans plu­fieurs jardins , & qui eft digne d 'a t ten t ion , par fa fingularité, lorsqu'on la touche . C'eft la Senfitive.

Monfieur Tournefort, dans fes Inftitu. tiones Rei herbarice, page 6 0 5 , en diftingue de plufieurs efpeces ; mais je ne parlerai que de celle que j 'ai v u e , les autres m'étant in­connues.

Elle croît à la hauteur de quatre p i eds , en forme de peti t arbriffeau; & elle pour­r o i t , facilement, être appellée plante vive ou v ivan t e ; parce que dès qu'on la tou-

De la Senfiti-ve.

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D E S U R I N A M . 2 3 9

che, foit avec un b â t o n , ou avec la main , & fi imperceptiblement que ce puiffe ê t r e , fes feuilles, qui font longue t tes , & de la figure de celles des lenti l les, fe rappro­chent , t e l l ement , l'une de l ' au t re , qu'el­les fe ferment , & demeurent quelques minutes immobiles , après quoi elles fe r o u v r e n t , & reprennent leur fituation ordi-nan-e.

Lorsque le foleil fe couche , la plante paroît fe fiétrir,comme fi elle étoit m o r t e ; mais , au re tour de cet af t re , elle reprend fa vivaci té ; & plus le ciel eft clair & fans nuages , plus elle femble reverdir .

Je ne puis attribuer ce p h é n o m e n e , qu'à une efpece de convulfion de la plante mê­m e , laquelle e f t , fans d o u t e , produite par les principes actifs dont elle doit ê t re c o m p o f é e , & q u i , apparemment , font d'une fi grande délicateffe, que le moindre ébranlement qu'on donne à fes feuilles , en les t o u c h a n t , les fait raréfier & fe gon­fler, de forte qu'il élargit & raccourcit les fibres ou les vaiffeaux, qu'elles con­t iennent .

On m'a affuré que les feuilles de cet te p l a n t e , étant mâchées , excitoient l 'expecto-r a t i o n , modéroient la t o u x , éclairciffoient la v o i x , & adouciffoient la douleur des reins ; mais comme je n 'en ai point vu d'ex-

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240 D E S C R I P T I O N

C H A -

pér iences , je m'en tiendrai à ce qu'on m'en a d i t , fans penfer à le donner pour un fait certain.

Voilà tout ce que j 'ai pu recueill ir , dans la partie de la Botanique, tant par moi-mê­m e , que par ceux qui m'en ont fourni les inftructions. Je fouhaite que ceux qui aiment leur confervat ion, faffent de férieu-fes réflexions fur tout ce que j 'ai dit à ce fujet; ne doutant point qu'ils ne me fça­chent , un jour ou l ' a u t r e , quelque g r é , d'avoir m i s , fous leurs y e u x , les remedes qui peuvent leur procurer la guérifon de tant de maladies, dont ils ne font que t rop fouvent attaqués. Puiffe le motif , qui me gu ide , faire impreffion fur tous ceux qui ont l 'humanité en par tage, & en les faifant correfpondre à mes v u e s , rendre mes tra­vaux utiles aux habitants de cette Colonie!

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D E S U R I N A M . 241

C H A P I T R E X V I I .

Defcription des Bois propres pour la Char-

pente, et de quelques Gommes qui en dé­

coulent.

PE R S O N N E n ' ignore que le bois eft cet­te matiere , que nous fournit l 'inté­

rieur des arbres ou des arbriffeaux ; laquel­le varie en pefanteur , denfité & d u r e t é , non feulement dans les diverfes fortes d'ar­bres , mais encore dans ceux de même es­pece , qui ont crû en différents t e r r e ins , ou en différents climats.

La denfité des bois a toujours un rap­por t avec le temps de leur accroiffement ; car plus ils croiffent l e n t e m e n t , plus le bois en eft dur. La nature différente des b o i s , dont les uns fe confervent mieux dans l ' eau , & les autres dans des terreins plus fecs, les rend propres à divers ufa­ges ; plus auffi font-i ls d u r s , & plus pro­pres font-i ls pour toutes fortes d'ouvrages. Il n 'en manque pas à Surinam, de ceux qui font bons à la cha rpen te , & dont on pour­roi t fe fervir indifféremment; mais ce qui

Tome I. Q

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242 D E S C R I P T I O N

les rend exorbitamment che r s , c'eft qu'il s'en t rouve une infinité de fi durs à travail­l e r , & principalement de ceux dont on auroit le plus de befoin, que les N e g r e s , qui font naturellement fainéants, fe rebutent par les difficultés, & n 'en mettent pas beau­coup en œuvre . Voici une lifte de tous ceux dont il s'agit.

Le Boltri eft un b o i s , qui eft non feu­lement dur & compacte , mais qui eft capa-ble de réfifter aux injures de l 'air , & dont la couleur eft d'un brun foncé. On s'en f e r t , généralement , pour des p o u t r e s , des fol ives, & pour couvrir les maifons; car le pays ne fournit ni tu i les , ni ardoifes , qui feroient d'ailleurs t rop pefantes pour la conftruction des bâ t iments , & t rop chaudes pour le climat.

Pour cet effet , après avoir équarri ce b o i s , on en fcie des t r o n ç o n s , de la lon­gueur de vingt à v ing t -deux p o u c e s , que l 'on fend enfuite en planches, d'un demi-pouce d'épaiffeur ; & c'eft avec ces petites planches , que l'on couvre généralement tous les bâtiments de la Colonie. Elles peuvent même fervir une vingtaine d'an­nées , avant que de les renouveller . On vend le minier de ces petites a is , qu 'on appelle vulgairement dans le pays Cingels, depuis t rente jusqu'à quarante florins de

Du Bol-tri.

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DE S U R I N A M . 243

Hollande. On en fait auf f i d'un autre bois, qui ne coûtent que vingt florins le millier ; mais qui ne durent p a s , à beaucoup p r è s , fi long-temps.

Le Locus eft certainement le roi des bo i s , tant pour fa beauté que pour fa gran­d e u r : c'eft, en un m o t , le plus haut & le plus gros arbre de tous ceux qu'on peut employer à la charpente. Il eft fort com­p a r e , dur , d'un fort beau gra in , & cou­leur de canelle. Il eft fi eft imé, qu'on ne s'en fert que pour faire des rouleaux pour les moulins à fucre , & des ameublements , comme buffets, cabinets , a rmoires , & au­tres de cet te nature . Comme il eft fort difficile à travailler, c'eft ce qui le rend le plus cher de tous les bois.

Il découle de cet arbre une réfine, que les marchands-droguiftes vendent ordinaire­ment fous le nom de Gomme Copal , dont j 'ai parlé dans le Chapitre feptieme. Voyez cet article.

Il y a deux efpeces de Bois de Lettres, appelle autrement Bois Royal. D e ces deux efpeces, on prétend que l 'un eft le mâle & l 'autre la femelle.

Le premier eft jaspé de noir , fur u n fond de la couleur du bois d 'Arménie , & reffemble au plus beau marb re ; le fecond n'a que des taches no i r e s , parfemées, çà

Du Lo-cus.

Bois de Lettres.

Q 2

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244 D E S C R I P T I O N

& l à , fur un fond plus clair que le précé-dent. Ces bois font fort recherchés , par­ce qu'ils font rares dans le pays ; & ils f o n t , en o u t r e , très-difficiles à travail ler , par­ce qu'ils fe fendent fort aifément. On n'em­ploie que le cœur de ces a rb res , qui font fort gros ; mais le cœur n 'a guere plus de 1 2 à 1 5 pouces de diametre. On en fait plufieurs ouvrages de menuiferie , & des cannes , qui deviennent , par la longueur du t emps , auffi noires que le bois d ' E b e n e , & le tout eft d'un poli inexprimable.

Le Bois de fer eft affez commun dans le pays. Il y en a de deux fo r t e s , l'un qui eft rougeâ t re , & l 'autre b lanc ; il paroît même ondé de différents t e in t s , en le fciant. L 'arbre d'où il fort, eft grand, droit & gros ; fon écorce n'eft pas épaiffe, elle eft grife en-dehors , & rougeâtre en-dedans , & d'un goût un peu ftiptique. On prétend que les In­diens fe fervent de la rapure de cette écor­ce , pour la guérifon de plufieurs maladies.

C'eft bien à jufte titre qu'on a donné à ce bois le nom qu'il porte ; car il eft fort pefant , & fi compaéle , qu'il faut que les haches avec lesquelles on le c o u p e , foient d'une excel­lente t r e m p e , pour qu'elles ne repouffent pas fur ces a rbres , ou qu'elles ne fautent pas en pieces. Auffi les N e g r e s , quand ils fe rebutent d'y travailler, donnent-ils leur

Du Bois de fer.

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D E S U R I N A M , 245

coup à faux , & la hache ne manque pas de fauter. Si donc on ne cherche que la dure­té dans un bo i s , on eft fûr de la t rouver dans celui-ci. On n 'en fait que des ouvra­ges de menuiferie, parce qu'il demande à ê t re à c o u v e r t , & qu'il ne vaut rien dans l ' eau , ni expofé à la pluie.

Le Bois de Pourpre ou Violet, t ire fon nom de fa couleur qui eft fort belle , à la­quelle font jointes plufieurs marbrures. Il a , en o u t r e , une odeur douce & agréable: pour peu qu'il foit p o l i , il reffemble à l'i­voire ; auffi eft-il fort eftimé. On ne l'em­ploie que pour des ameublements , comme buffets, tables , bureaux , & autres fembla­bles. Ce bois vient d'un arbre affez grand & g ros , qui eft fort pefant , quoique faci­le à travailler.

Le Bois de Kanavatepi eft , à peu près , de la même couleur que celui de Lettres femelle; mais fans taches noi res , ni aucu-nés marbrures. Il y a cependant deux cho-fes , qui le diftinguent de plufieurs autres bois : la premiere ef t , que lorsqu'on le coupe ou qu'on l 'équarr i t , il en fort une odeur approchante de celle du girofle; la feconde eft , que dans le commencement de la grande féchéreffe, les feuilles de l'аr-b r e , d'où il for t , fe flétriffent, mais revien­nent peu de temps après ; enfuite de quoi

Q 3

Le Bois violet ou pourpre.

Bois de Kanava-tepi.

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246 DESCRIPTION

paroît une fleur, ou efpece de couronne, couleur de p o u r p r e , qui a les feuilles d'un verd très-foncé.

On emploie ce bois pour les faîtages ou les folives: i l n ' e f t pas d'ailleurs difficile à travailler.

L'arbre d'où nous vient le Bois de Cedre, eft fort grand; il eft dur, léger , tantôt b lanc , tantôt r ougeâ t r e , n 'étant expofé ni aux v e r s , ni à aucun infecte que ce foi t , à caufe de fon extrême amertume. Il a , outre cette bon­ne qual i té , une odeur des plus fuaves. Il tranffude de cet arbre une gomme ou ré­fine claire, & transparente comme la gom­me Arab ique , & odorante ; qui eft diges-t i v e , amolliffante, confondante & fortifian­t e . Ce bois eft fort recherché pour con-ftruire des cloifons dans les appar tements , pour y faire des p o r t e s , & pour à con-flruélion des bachots ou efquifs, qu'on ap­pelle dans le pays Booten, & dont je parlerai dans un autre article. On en fait auf f i des cabinets , des coffres & des armoires , par­ce que les effets qu'on y m e t , font préfer-vés de toutes fortes d'infectes & de ver-mine.

Le Bois de Kopie v i e n t , d i t -on, d'une efpece de châtaignier fauvage ; mais je fe­rois plus porté à c ro i re , que c'eft plutôt d'une autre efpece de Cedre bâ ta rd , par-

Bois de Cedre.

Bais de Kopie.

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D E SURINAM. 247

ce que fa couleur, fa pefanteur, & fon grain font précifément les mêmes que dans le précédent, finon qu'il n'eft pas odori­férant comme lui. On en fcie des plan­ches, depuis quinze jusqu'à vingt pieds de longueur, qui fervent pour entou-rer les maifons , en place de murail­les.

Le Bois de Groen-hardt eft d'une couleur verdâtre, qui le pourroit faire appeller, à jufte t i t re , bois verd. Il eft d'ailleurs de la même qualité que celui de pourpre; mais ce qu'il y a de remarquable à l'arbre qui le produit, c'eft qu'il change de feuil­les deux fois par an, & qu'il a pour fleur une efpece de couronne, de couleur d'o­range.

Ce bois, quand on le brûle, s'enflam­me comme un flambeau, & jette une odeur de fouphre, qui prouve qu'il con­tient beaucoup de parties fulphureu-fes,

On l'emploie pour des poutres & des fo­lives de maifons.

Le Bois de Bruyn-hardt eft presque le mê­me que le précédent, à la couleur près, qui tire fur le brun. Le grain & la pefanteur font les mêmes ; mais il n'a pas d'odeur fulphureufe, quand on le brûle.

Q 4

Du Groen-hardt,

Du Bruyn-hardt.

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248 D E S C R I P T I O N

Le Bois de Beyl eft à peu près de la même qualité que le Boltri, fi ce n'eft qu'il a quelques rainures ou raies noires de plus. Son ufage & fa dureté font préci­fément les m ê m e s , & les forêts en four-nilfent fuffifamment.

Le Bois de Vanne approche , en c o u l e u r , en grain & en l ége re t é , de celui de Ce-dre , fi ce n'eft qu'il n'a aucune odeur. On en fcie des planches pour faire des cloi­fons , des p o r t e s , de petites nacelles ou efquifs, & divers ameublements ; mais il n'eft pas exempt de vers ni d'infectes, com­me le bois de Cedre.

Le Bois de Saffafras vient d'un grand a r b r e , qui a la figure du p in ; fes feuilles reffemblent à celles du figuier, & fa cou­leur eft un peu jaunâtre. Il a une odeur de fenouil ; mais je ne fçaurois rien déter­miner fur fon ufage.

Le Tapouripa eft un bois fort commun ; auffi ne s'en f e r t - o n que pour conftruire de petits bâtiments de peu de durée. Il eft b lanchât re , & fort léger , cependant affez c o m p a r e , mais peu eftimé.

Le Bois de Koiri n'eft gueres plus eftimé que le p récéden t , à caufe de fa légere té , & parce qu'il ne peut pas fupporter les in­jures de l 'a ir , ,& qu'en outre il s'y introduit

Du Bois de Beyl.

Bu Bois de Vanne.

Du Bois de Saffa­fras.

Bu Ta­pouripa.

Bu Koi­ri.

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DE S U R I N A M . 249

facilement de la v e r m i n e , de même que dans l 'autre.

Le Bois de Goyave eft, à peu p r è s , de la même claffe que les deux p récéden t s ; & je ne lui connois aucune propr ié té . J'ai décrit l 'arbre d'où il v i en t , au Chapitre d o u z e , de même que le fruit qui en pro­vient .

L e Bois de Noyer eft t rop connu pour que j ' en donne aucune defcription; mais je dirai qu'il eft fort rare dans le p a y s , & qu'en outre cet arbre y a une autre fingu­l a r i t é , c'eft q u e , quoiqu'il devienne très-beau , & qu'il fleuriffe à fon t emps , comme en E u r o p e , il ne rapporte jamais aucun fruit ; ce qui paroît affez étrange , & dont on ne peut rendre raifon : ainfi l 'on voit qu'il n'a d'autre utilité que pour la char­pente .

Le Bois de Cattentri provient d'un ar­bre qui eft un cotonier fauvage , lequel croît à la hauteur du plus grand chêne , & dont l 'écorce a plus de fix pouces d'épais-feur. Il eft d'une groffeur fi prodigieufe, qu'il n 'y en a pas de femblable dans tou­te la Colonie. Il change toutes les an­nées de feuilles, lesquelles font fort lar­ge s ; & il leur fuccede tous les trois ans une fleur, qui produit enfuite le f ru i t , dans lequ ce le coton eft renfermée. Ce

Q 5

; Du Go-yave.

Du Bois de Noyer.

Du Cat-tentri.

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250 D E S C R I P T I O N

co ton eft d'une couleur grifâtre , & les colibris s'en fervent pour faire leurs nids.

Ce b o i s , qui eft de la couleur de celui de chêne, eft affez compacte & pefant. O n

en fait des ameublements , mais particulié­rement des tables.

Le Bois de Palme p rovien t de plufieurs fortes de Palmiers; & de quelque efpece qu'il v i enne , il eft également bon & très-propre pour la charpen te , mais pas pour des ameublements; parce qu'on ne peu t pas le rendre a u f f i uni que les a u t r e s , à caufe de la quantité d'échardes qu'il four­nit .

On donne au Bois de Guiaba le nom de bois de t e in tu re , parce qu'il furpaffe toi les autres pour la teinture en noir . Son écorce eft d'une couleur grife , parfemée de quelques taches vertes. Ses feuilles font fort grandes & fort épaiffes, & je ne lui connois point d 'autre ufage.

La Gomme du Janipabas découle d'un ar-b r e , qui reffemble fort au palmier. Ses feuilles font longues , & tombent tous les ans au mois de D é c e m b r e , mais elles re-naiffent peu de temps après. Cet arbre por te aux mois de Mars & d'Avril des fleurs, auxquelles fuccede un fruit j a u n e , de la groffeur d'une b o u e de ail, qui a

Bois de Palme.

Bu Bois de Guia-la.

De la Gomme du Jani palas.

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D E S U R I N A M . 251

une odeur fort agréable. C ' e f t du t ronc de cet a rbre , que découle cet te gomme ré-fineufe, qui eft gr ife , mollaffe, de bonne o d e u r , & un peu aromatique.

On prétend qu'elle réfout puiffamment les matieres visqueufes , qu'elle fortifie les ner f s , & appaife les douleurs de jointures.

Je crois que cette gomme eft celle qu 'on appelle Caranna, ou en François Caregne.

L'arbre d'où provient le Bois de Mabouja, n'eft pas fort commun dans le pays : on en t rouve cependant dans les terres hautes. La racine en eft n o i r e , l ongue , affez épais-f e , compacte & noueufe , plus dure & plus pefante que le bois de fer. C'eft de ce bo i s , ou de cette rac ine , que les Indiens font leurs maffues ou boutons.

Si, après ce que je viens de dire, les habitants de Surinam fe plaignent de la di-fette des bois , on pourra leur répondre qu'ils ont grand tor t : car ce n'eft pas ce qui les rend chers ; mais bien la main d'œu-v r e , q u i , bien confidérée, empêche qu 'on ne les ait à bon marché : d'autant qu'ils doi­vent ê t r e , p remiérement , coupés dans les fo rê t s , enfuite équarris par les mains des Efclaves , q u i , d 'ai l leurs , font fort lents dans ces fortes d 'ouvrages; fans compter que toutes les planches doivent être auffi fciées à la main, ce qui prend certainement plus

Du Bois de Ma-bouja.

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252 D E S C R I P T I O N , &c.

de tems que fi on avoit des moulins à fc ie , comme en Europe, De fo r t e , qu'en confi-d é r a n t , e n o u t r e , l 'extrême dureté de nom­bre de ces bois , on ne doit plus s 'étonner de la cherté des maifons, non plus que de celle des locations.

Enfuite de cet a r t ic le , que j 'ai circon-ftancié autant qu'il étoit en mon p o u v o i r , je vais paffer à celui des Plantations , don t je tâcherai de donner le détai l , auffi ample , que peut l'exiger ce qui eft véritablement le Ner f du Commerce du pays.

Fin du Tome premier.

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D E S C R I P T I O N

A AMSTERDAM,

Chez E . V A N H A R R E V E L T .

M D C C L X I X.

G É N É R A L E , H I S T O R I Q U E ,

G É O G R A P H I Q U E E T P H Y S I Q U E

D E L A

COLONIE D E SURINAM, Contenant

Ce qu'il y a de plus Curieux et de plus Remarquable, tou­chant fa Situation, fes Rivieres, fes Fortereffes; fon Gouvernement et fa Police; avec les mœurs et les ufa­ges des Habitants Naturels du Païs, ET des Européens qui y font établis; ainfi que des Eclairciffements fur l'œ-conomie générale des Efclaves Negres, fur les Planta­tions et leurs Produits, les Arbres Fruitiers, les Plan­tes Médécinales, et toutes les diverfes Efpeces d'animaux qu'on y trouve, &c.

Enrichie de F igures , & d'une C A R T E

TOPOGRAPHIQUE du Païs.

P A R

P H I L I P P E F E R M I N ,

Docteur en Médecine.

T O M E S E C O N D .

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D E S C R I P T I O N G É N É R A L E ,

HISTORIQUE, GÉOGRAPHIQUE

E T

P H Y S I Q U E

DE LA

C O L O N I E D E S U R I N A M .

C H A P I T R É I.

De l ' A g r i c u l t u r e , et de tout ce qui à rap­port à l 'E tab l i f f emen t d'une nouvelle P l a n -t a t i on .

SI jamais ii y eut une Nation

propre à cultiver les terres d'un pays , auffi , marécageux que celui de la Colonie de S u r i n a m ,

on peut bien dire , avec vérité, que ce font les Hollandois, gens naturellement laborieux & fort induftrieux. Il ne faut donc pas s'étonner s'ils font venus à bout,

Tome II. A

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2 D E S C R I P T I O N

par leur patience, & par un travail affidu, de les rendre auffi fertiles, aujourd'hui, qu'elles étoient ftériles auparavant ; ni s'ils y ont amaffé de très-grandes richeffes, par la voie de leur commerce.

Ce pays étoit fi couvert de marais, & tellement inacceffible , ci-devant, que les naturels du pays furent obligés d'établir leur communauté , où eft aujourd'hui la Ville de Paramaribo, comme je l'ai infinué dans l'article qui les concerne ; parce qu'ils ne pouvoient fe fixer aucune demeure dans les forêts ; ignorant l'art d'en deffécher les eaux, & de les rendre habitables. Ainfi, ce n'eft affurément qu'à force d'induftrie, que les Hollandois ont trouvé les moyens de fertilifer un pays habité par une Na­tion , non feulement indolente , mais la plus ignorante alors, & de le rendre auffi riche qu'il l'eft actuellement par la multi­tude des établiffements, qu'ils y ont for­més, & qu'ils continuent d'y former en­core , d'années en années : ce qui fa i t , proprement, le nerf du commerce de la Nation. Mais ce n'eft pas fans s'être ex­pofés à mille inconvénients, même au pé­ril de leur propre vie , & de celle de leurs Efclaves, qui étoient alors fort rares & par conféquent fort chers , qu'ils font par.

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DE S U R I N A M . 3

venus à défricher ces te r res , qui jet-toient, (comme elles le font encore au-jourd'hui, quand on commence un nou­veau Plantage ;) des exhalaifons très-mau-vaifes, fources d'une infinité de maladies ; & qui emportoient, non feulement beau­coup d'Efclaves, mais bien fouvent les Maîtres, dont le tempérament, plus foi-ble que celui des Noirs , y pouvoit encore moins réfifter.

Combien n'en a-t-il pas coûté aux pre­miers Colons, pour abattre les forêts, pour brûler tout l'inutile des arbres abat­tus , & pour procurer, par le moyen des canaux multipliés, un écoulement aux eaux, qui fubmergeoient les terres, qu'ils avoient obtenues par le droit de conceffion, & pour les cultiver !

Mais, pour qu'on puiffe fe former une jufte idée de la maniere que s'eft fait tout ce que je viens de dire, je vais entrer dans tous les détails d'une nouvelle habitation , expliquer comment on la défriche, & par­ler de tout ce qui eft néceffaire pour la for­mer.

Auffi-tôt qu'on a obtenu la conceffion d'un terrein, de telle grandeur qu'il foit, on commence par choifir un endroit un peu élevé, pour y bâtir une petite cabane ou maifon, pour le Maître, afin qu'elle a i t

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un peu d'air, & qu'on puiffe voir , plus aifément, le travail des Efclaves. On la place, ordinairement, à une petite diftan­ce de la riviere, pour être à portée d'a­voir de l'eau, tant pour les befoins de la-maifon, que pour les Efclaves, qui la boivent Volontiers, quoiqu'elle foit un peu falée, & enfin pour les beftiaux. Mais on recueille, en général, dans toute la Co­lonie, pour l'ufage des Blancs, l'eau de p lu i e , que l'on réferve dans les pots In­diens, où elle fe purifie, & devient auffi bonne que la meilleure eau de fource.

Après qu'on a pofé la cabane du Maître, on conftruit les cafes, pour y loger les Efclaves. Elles font faites de paliffades, & couvertes de branchages de palmiftes, ou d'autres arbres approchants, après qu'on a abattus ceux de l'endroit qu'on veut dé­fricher, pour y former l'établiffement.

Dès que l'on a abattu les arbres, dans-un efpace de quatre à cinq akkers (a) de

(a) U n akker de terrein contient dix chaînes de

longueur & une de largeur, la chaîne étant de cinq,

verges, mefure de Rhinland; de forte qu'un Plantage

de cinq cents akkers forme une étendue de terrein de

cent cinquante & un mille deux cents & cinquante

verges quarrées. On peut encore ajouter à ce calcul,

qu'un akker contient deux verges & demie en quarré,

plus qu'un demi-bonier; le bonier étant compté à fix-

cents verges quarrées.

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D E S U R I N A M . 5

t e r re , on choifit tout le bois qui eft propre pour la charpente, qu'on met de côté; en-fuite on fait un monceau du refte, qu'on laiffe jusqu'au temps fec, pour y mettre le feu & le confumer. Mais il faut obfer­v e r , en faifant cette opération, que le vent ne porte pas la flamme du côté des habitations, mais bien de celui qui leur eft oppofé, &, qu'en outre, le feu foit éloi­gné du terrein, de peur qu'il ne s'y puiffe communiquer. En fuivant exactement cet­te méthpde , premiérement, on en fera maître, quelque violent qu'il puiffe ê t r e ; & , fecondement, il aura tout le temps de confumer les bois, auffi bien que leurs fou-ches ou racines.

Le terrein étant bien nettoyé, on fe­me , dans les temps de pluie, le mahis ou mil, & on plante des bananiers, des igna­mes ou taies, qui font les principales nour­ritures des Efclaves, & qui ne doivent point leur manquer; fans quoi on court grand risque de les perdre, foit par la mort , ou par la défertion : car on ne fçauroit s'ima­giner combien des travaux auffi pénibles que ceux-ci, & tant d'autres où ils font occupés journellement, les rendent affa­més; de forte qu'il eft important de ne les laiffer manquer de rien, jusqu'à ce que les

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6 D E S C R I P T I O N

vivres, qu'on a femés & plantés, foient en état de maturité, & d'être confu-més.

Dans les premiers temps, les nouveaux établiffements que la Société donnoit aux nouveaux Colons, étoient, depuis mille jusqu'à paffé les deux mille Akkers de ter­r e ; mais les plus ordinaires font, actuelle-ment , de cinq cents; encore n'eft-on pas en état, dans l'efpace de cent ans, de bien cultiver toute l'étendue d'un pareil terrein ; de forte qu'il eft plus que fuffifant, pour enrichir deux ou trois générations, & mê­me plus, avant que d'être ruiné.

Ce que j'ai dit ci-deffus regarde tout ter­rein , petit ou grand, qu'on fe propofe de cultiver, foit en fucre, caffé, cacao, co­ton & indigo, tous articles dont je traite­ra i , amplement, chacun en particulier; au moyen de quoi on aura une parfaite notion de la culture de toutes ces efpeces de pro­duits. Mais il me refte à faire obferver, qu'on doit apporter un foin tout particulier, à ce que les terres, déja cultivées, ne fe trouvent pas dans le cas d'être fubmer-gées, foit par les grandes pluies, ou par d'autres accidents imprévus: ce qu'on peut , facilement, prévenir , par la conftruction de quelques bonnes éclufes de bois ou de

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D E S U R I N A M . 7

pierres, que chaque Plantation doit avoir pour en faire écouler les eaux.

Enfuite de tous les travaux précédents, on doit conftruire différents bâtiments , tels que les fuivants : premiérement, une belle maifon de Maître, avec toutes fes commodités, laquelle doit être élevée fur un fond de briques, de deux ou trois pieds de hauteur, afin que les poteaux ne fe pourriffent pas en terre; à quinze ou vingt pas de la maifon, l'on place, en fecond l ieu , la cuifine, qui doit être munie d'un four, pour y cuire le pain de ménage; puis, vis-à-vis de celle-ci, des magafins, tant pour les provifions du Maître, que pour les Efclaves ; de même que pour tous les uftenfiles néceffaires à l'agricul­ture.

A quelque diftance de ce magafin, on place encore d'autres bâtiments, pour le gros & menu bétail, comme bœufs, va­ches , veaux, moutons, cabrits, cochons, chevres, coqs-d'Inde, dindons, poules, canards, pigeons, &c. dont chaque habi­tation doit être plus ou moins fournie, tant pour les befoins de la vie du Maître , & de tous fes domeftiques blancs, que pour bien recevoir les étrangers, ainfi que fes amis: & parce que ce font auffi les

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Planteurs, qui fourniffent aux bouchers de la ville le gros bétail, pour la nourriture des habitants.

A une centaine de pas, ou environ, de la maifon du Maître, on pofe les Négre-r ies , ou maifons des Efclaves, qui font toutes bâties de bon bois, entourées de planches, couvertes de cingels, & le de­dans planchéié; lesquelles forment, quel­quefois, une file de quatre-vingts à cent pieds de longueur ; & quand le nombre des Efclaves furpaffe les quatre cents, on en conftruit une pareille, vis-à-vis de la pre­miere ; ce qui forme affurément un fort beau coup d'œil.

Tous ces bâtiments peuvent aller aux environs de trente mille florins de Hollan­de , fans compter le Laboratoire, fur un Plantage à fucre, ni un autre bâtiment de foixante à quatre-vingts pieds de l o n g , fur ceux à caffé, desquels je parlerai ci-a­près.

Outre les dépenfes, que je viens d'in­diquer, qui ne font pas petites, il faut encore, a chaque habitation, une nacelle ou bateau, qu'on appelle, dans le pays, Tent-booten, qui coûte, depuis mille, jus­qu'à quinze cents florins de Hollande, ce qui fait trois raille livres de France. L'on

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D E S U R I N A M . 9

peut voir à la troifieme Planche, Fig. A. la figure d'une de ces nacelles, que j'ai fait tirer. Ce bateau, qui eft mené par fix ou huit Negres à la rame, fert à transporter le Maî­tre , de fon Plantage à la Ville, parce qu'il n'y a aucun chemin qui s'y rende par ter­r e ; les habitations étant toutes aux bords des rivieres: & comme celui-ci n'eft ré-

'fervé que pour les voyages du Maître ou du Directeur, on doit encore en avoir, un moindre, de quatre à cinq cents florins, pour d'autres befoins du Plantage; fans compter quelques petites pirogues, pour les Efclaves, quand ils vont à la pêche, ou quand ils font envoyés dans les Plan­tages voifins, pour des commiffions parti-culieres.

Ce que je viens de dire, me femble fuf-. fifant, pour donner une jufte idée de l'éta-bliffement d'une nouvelle plantation, & je vais entrer dans le détail de chaque produit. Il n'y a qu'à joindre l'expérience à toutes ces notions, pour être convaincu que ce n'eft pas peu de chofe que d'en former une , comme bien des gens fe l'imaginent: mais auffi ne puis-je nier , que, lorsqu'on a le bonheur de réuffir, il eft aifé de ti­rer quinze à dix-huit pour cent d'intérêt. du Capital qu'on y a mis, tous fraix dé

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duits; c'efl-à-dire, lorsque le Plantage eft non feulement formé, mais que les pro­duits commencent à en devenir confidé­rables.

Malgré cela, je ne ferai jamais d'avis d'en commencer un moi-même, par les risques qu'y court la fanté , & les dommages que caufe la perte des Efclaves. Je préfére­rai toujours d'en acheter un tout fait, qui me mette à portée de recueillir, tran­quillement, mes revenus, fans effuyer mil-le & mille chagrins, auxquels on eft jour­nellement expofé, avant que les dits Plan­tages foient en état de payer feulement les intérêts du capital, qu'on y a emplo­yé . Quiconque, néanmoins, voudra le tenter, doit être bien muni d'efpeces, & s'attendre à en bien dépenfer, avant que de pouvoir fe dire: Je jouis, maintenant, du fruit fe mes travaux.

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DE S U R I N A M . 11

C H A P I T R E II .

Defcription des Cannes de Sucre, et de leur Qualité.

L ES Cannes de Sucre font des efpeces de rofeaux, dont on tire , par expres-

fion, une liqueur fucrée , à laquelle on donne, par la cuiffon , la confiftance du Sucre, tel que nous le connoiffons.

Mais, comme ces Cannes different des rofeaux ordinaires, qu'on trouve fur le bord des étangs, ou en d'autres lieux ma­récageux , je crois qu'il eft à propos de les décrire tous deux, pour les bien diftin­guer.

Les rofeaux, connus fimplement fous ce n o m , pouffent, ordinairement, plufieurs tuyaux ligneux , durs, noueux, qui ne s'élevent gueres au-delà de la hauteur d'un homme; plus menus que le doigt, & dé­nués de fuc dans l'intérieur. Leurs feuil­les, qui fortent de chaque nœud, font longues d'un pied & demi, affez larges, roides, un peu rudes au toucher, & en-veloppent en partie la tige. Leurs fleurs ,

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naiffent par paquets, à la fommité, peti­tes , menues, molles, & compofées d'éta-mines, qui fortent d'un calice à écailles, de couleur purpurine, au commencement, mais qui fe développent, peu à peu, s'al­longent, fe répandent, en maniere de che­velure , & prennent, enfuite , une couleur cendrée. Leurs racines font nombreufes, longues, nouées & ferpentantes.

Les Cames. Sucrées parviennent jusqu'à la hauteur de huit à neuf pieds ; leur gros-feur eft de douze à quinze lignes. Elles font nouées d'abord; mais ces nœuds fe diffipent, à mefure que le rofeau croît; & de fon extrêmité fortent les feuilles, qui font longues, étroites, aiguës, tranchan­tes , vertes, & qui n'ont qu'une nervure, laquelle les partage , par le milieu, dans toute leur longueur. Du milieu de ces feuilles s'éleve une maniere de fleche, qui por te , en fa fommité, une fleur, en for­me de pannache , de couleur argentée. L'écorce des Cannes eft fort tendre, loin d'être ligneufe & dure, comme celle des rofeaux, & eft remplie d'un fuc très-doux, dont l'abondance & la pureté dépendent de la nature du fol, où elles font plantées, de fa bonne expofition, & de l'attention à les couper dans leur jufte maturité : tou-tes obfervations, qu'il faut néceffairement

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DE S U R I N A M .

faire, tant par rapport à leur hauteur, qu'à leur groffeur, & à leur bonté.

Les Cannes menues font, ordinairement, pourvues de gros nœuds, placés irrégulié­rement, & le fuc, qu'elles renferment, eft d'autant meilleur que ces nœuds font en petit nombre ; ce qui dépend, comme je le viens de dire, du terrein.

La terre la plus propre à cultiver les Cannes, avec avantage, doit être fpongieu­fe, légere, profonde, & fituée de façon que l'eau n'y féjourné poin t , mais qu'elle ait un écoulement, & que le foleil y don­ne depuis le matin jusqu'au foir.

Une terre trop graffe & compacte, pro­duit , à la véri té , de longues & groffes Can­nes; mais elles viennent rarement à une parfaite maturité, outre qu'elles font plus aqueufes que fucrées.

Si la terre n'eft pas profonde, & que la racine de la Canne s'y trouve gênée, fans pouvoir s'étendre librement, on ne peut alors recueillir que des Cannes fort mai­gres, & remplies de nœuds, qui fe deffe-chent d'abord. Cependant, lorsque ces ter­res ont beaucoup de pluie, elles fournis-fent, à la véri té , du fucre abondamment ; mais il eft très-difficile de le bien purifier. E t fi le fol eft bas & marécageux, il pro­duira des Cannes longues, épaiffes, & fort

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pefantes. D 'a i l l eurs , comme ces efpeces de terroirs font compofés de parties falines & ni t reufes , le Sucre, qu 'on en r e t i r e , ne peut jamais devenir parfaitement blanc.

Les Cannes, qui font plantées fur des hau­teurs , environnées de bo i s , font non feulement fort fujettes aux p lu ies , mais encore aux fraîcheurs de la n u i t ; ce qui les fait devenir fort groffes, mais aqueu­fes & vertes ; & le Sucre qu 'on en r e t i r e , ne peut jamais ê t re rendu blanc ni clair.

Lors donc qu 'on veut recueillir de bon­nes Cannes, il faut net toyer bien foigneu-fement le terrein où on les veu t met t re , & en extirper entiérement toutes les ron­ces & les rac ines , qui pourroient leur nui­r e ; ce qu'on doit fcrupuleufement obfer­v e r , afin que la racine des Cannes ne fe t rouve nullement gênée dans fon accroiffe­m e n t , comme je le vais indiquer dans le Chapitre fuivant.

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C H A P I T R E I I I .

De la Culture des Cannes de Sucre.

APRES que la terre eft bien nettoyée, & qu'on l'a rendu unie, on la par­

tage en plufieurs quarrés, de quatre-vingts, quatre-vingt-dix ou cent pas, & l'on tend une corde, de toute la longueur du ter-rein, pour former, par ce moyen, un fil-Ion droit, que l'on marque avec le bout d'un bâton, afin de planter les Cannes en droite ligne. Plus la terre paroît bonne, & plus grande, auffi, peut être la diftance des filions; de forte, qu'en pareil cas, on peut laiffer, au moins, trois pieds & demi de diftance, d'un fillon à l 'autre, en tout fens: mais quand le terrein, au contraire, eft maigre & aride, & qu'on eft obfigé par-là de planter de nouveau, tous les deux ans, on ne doit laiffer, alors, qu'un efpace de deux pieds, entre chaque.

Il n 'eft pas douteux, que la premiere façon de planter demande bien plus de temps, furtout dans le commencement, & avant qu'on y foit accoutumé; mais on

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y gagne bien amplement, d'un autre côté, par là facilité qu'ont les Negres, de farder ou arracher, entre les rangs, les mauvaifes herbes, de nettoyer les Cannes des infectes, qui pourroient leur nuire ; & par celle qu'a le Propriétaire, ou fon Directeur, de voir , d'un bout à l'autre d'une piece de Cannes, ce qu'il y a à faire, comment les Negres font leur travail, & s'ils ne le quit-tent point pour fe repofer. Ce qui ne fe peut pas de même, quand les touffes des Cannes font pêle-mêle ; parce qu'elles fe couvrent les unes les autres, & cachent, en mê­me temps, les défauts du travail des Efcla­ves.

La faifon des pluies, depuis fon com­mencement, jusqu'à fes deux tiers, eft le temps le plus propre à planter ; & la raifon en eft fenfible: car, pour-lors, la terre étant molle & imbibée d'eau, les racines & les germes, que le plançon pouffe, y pénetrent facilement, & l'humidité les fait c r o î t r e , - l e u r fournit .toute la nourritu-re dont ils ont befoin ; au l ieu , que, fi l'on plante dans un temps fec, la ter re , qui eft comme brûlée, deffeche & confume tout le fuc, qui eft dans le plançon, le­quel , en peu de temps, devient auffi fec que fi on l'avoit mis au four. De forte, que la

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DE S U R I N A M .

la bonne ou ]a mauvaife qualité des Cannes dépend, non feulement , comme je l'ai dit dans le Chapitre p récéden t , de la bonté du t e r ro i r , mais encore de la faifon dans laquelle on les a p lantées , & de tous les foins qu'on en doit néceffairement prendre .

Quand le terrein eft alligné ; on place u n N e g r e , ou une Négreffe, vis-à-vis de chaque ligne ou fillon ; on marque , fur le manche de leur h o u e , la diftance qu'ils doi­vent laiffer ent re chaque foffe, ou bien on leur donne une peti te mefure , qui doit ê t re de quinze à vingt pouces de longueur , fur quatre à cinq de largeur ; & ils doivent faire la foffe de fept à huit pouces de pro­fondeur.

A mefure que les Negres qui font les foffes, avancent chacun fur fa l i g n e , quel­ques jeunes N e g r e s , incapables d'un plus grand travai l , j e t t e n t , dans chaque fillon, deux pieces de Cannes longues , au moins , de quinze pouces. Après ces derniers fuivent d'autres N e g r e s , munis de bêches , qui ajuftent les bouts des Cannes, de fa­çon qu'ils ne fortent pas plus de trois pou­ces hors de t e r r e ; après quoi ils remplis-fent les filions avec la terre qui en à été tirée.

Ces bouts fe prennent , ordinairement, Tome II. B

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à la tête des Cannes en t i e res , un peu au-de f fus de la naiffance des feuilles. Plus ils on t de nœuds ou de bourgeons , & plus uo peut fe flatter d'avoir de jets ; car cha­que nœud en donne un avec fa racine. Six jours font à peine écoulés , après les avoir ainfi p lan tés , qu'on en voit déja for­tir les jeunes re je t tons , & , fi la terre eft b o n n e , on leur voit pouffer des feuilles à vue d'œil.

C'eft alors le temps de commencer à fai­r e arracher les mauvaifes he rbes , q u i , fans cela , amaigriroient confidérablement le t e r r e i n , & , fu r tou t , fi on les laiffoit grai-n e r , parce qu'elles att ireroient à elles une partie des fucs, que les Cannes doivent re­cevoir pour leur accroiffement. C 'ef t en cela que confifte, principalement, .leur cul ture . On do i t , par t icul iérement , avoir ce foin , pendant que les Cannes font enco­re j eunes , & réiterer ce t ravai l , au moins deux ou trois fo is , felon les circonftances ; après quoi on les laiffe repofer cinq ou fix m o i s , pour y met t re la derniere main , en-fuite de quoi l'on n 'y touche plus qu'à leur parfaite maturi té .

Quoique l'on affure qu'il faut une année aux Cannes, pour être dans leur parfaite ma tu r i t é , ce n'eft pas , toutefois , l 'âge qui en décide p le inement ; mais c'eft au

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D E S U R I N A M . 19

Propr ié ta i re , ou à fon Direc teur , s'il a les intérêts du Maître à cœur , de veiller, au temps de leur r é c o l t e , & de s'en faire in-itruire de maniere à ne pas s'y méprendre , fans avoir égard au temps où elles ont; é té plantées , ni à d'autres raifons particu-lieres.

Lorsque les Cannes font en état d 'être coupées , (ce que l 'on connoît à leur couleur qui doit être bien j a u n e , ) on place les Efcla-ves le long de la p iece , afinque cela fe faffe également. On commence par abattre les tê-tes des rejettons de tou te une fouche , les unes après les au t r e s , à trois ou quatre pou­ces au-deffous de la naiffance de la feuille la plus baffe. Enfuite on coupe les couronnes de chaque Canne ; ce qui s'appelle les étêter , ou les dépouiller de leurs couronnes. On c o u p e , encore une fo is , les Cannes en deux ou trois par t ies , & on ne les laiffe guere plus longues de quatre pieds ; mais on ne les coupe jamais au-deffous de deux pieds & demi.

Pendant que l'on fait cette réduction de Cannes, d'autres Efclaves les je t tent en monceaux , derriere eux , afin que ceux qui font deftinés à les amarrer , ou lier en pa­q u e t s , le puiffent faire avec plus de fa-cihté & plus p romptement ; & c 'e f t à quoi l'on emplo ie , presque toujours, de jeunes

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Efclaves, qui n 'ont pas la force de faire un plus grand travail.

Après que les Cannes font bien liées en­femble , avec leurs dépouilles, on porte les paquets ou fagots dans un ba teau , pour les transporter au moulin. Je dis dans un ba­teau , parce qu'il eft à obferver que tous les Plantages à Sucre doivent avoir des ca­n a u x , de dix jusqu'à quinze pieds de lar­g e u r , tant pour l 'écoulement des e a u x , que pour faciliter le transport des Cannes aux moul ins , à caufe de leur extrême éloi-gneraent.

La derniere obfervation qu'on doit faire , c'eft de ne jamais couper plus de Cannes-qu'on n'en peut travailler dans le cours de vingt-quatre heures ; car fi elles reftent plus long- temps , fans qu'on les faffe paffer au mou l in , elles s'échauffent, fe rmentent , s'ai-griffent, & deviennent , par conféquent , inu­tiles.

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C H A P I T R E I V .

Des Moulins à Sucre.

APRES avoir traité à fond de la maniere de planter & de couper les Cannes de

Sucre, je crois qu'il, eft néceffaire de faire connoître les Moulins deftinés à en expri­mer le fuc: mais comme j ' ignore tous les termes de cette méchanique, je me conten­terai de repréfenter ces mêmes Moulins fur des Planches , afin qu'on puiffe en connoî t re la conftruction.

Il y a deux efpeces de Moulins, dont on fe fert pour moudre ou écrafer les Cannes, afin d'en exprimer le fuc. Les uns tour­nen t par la force de f e a u , & les autres par le moyen des chevaux, des ânes , ou des boeufs. Depuis quelques années un Par­ticulier en a fait dreffer un à v e n t , mais j ' ignore s'il a réuffi.

Les Moulins à eau different très-peu de ceux que les bêtes font m o u v o i r , par rap­por t à leur conftruction, mais bien prix ; car les premiers c o û t e n t , ordinai rement , y compris leur Laboratoire & tout ce qui

B 3

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dépend de la fabrique du Sucre, depuis cin-quante jusqu'à foixante mille florins de Hol lande, pendant que les feconds ne peu­vent revenir qu'à fix à fept mille florins ; à moins que l'on ne confidere la perte qu'on fait annuel lement , par la mortalité des bes­tiaux qu'on y emploie , ce qui m o n t e , au moins , à deux mille cinq cents florins : de forte q u e , par-là, je crois qu'à la lon­gueur du t e m p s , ceux-ci deviennent plus chers que les premiers.

On peut voir la figure du p remie r , à la Planche p remiere , & celle du fecond, à la Planche qui fuit.

Pour prendre une jufte idée de la façon dont on écrafe les Cannes, il faut fe figurer que le Moulin tourne de gauche à d ro i t e , & qu'on met les Cannes entre le premier, tambour ou rouleau A , & le fecond B ; par­ce que le premier eft le principe du mouve-ment des deux autres.

Ces tambours ou cylindres font de fer fondu , de l'épaiffeur d'environ deux pou­ces , & leur hauteur eft de feize à dix-huit. L e u r diametre eft en dedans de feize pou­c e s , & le vuide en eft rempli d'un rouleau de bois de Locus.

Ils font tous auf f i polis qu 'une g lace , & fi preffés, l'un contre l 'autre , qu'on n 'y fçauroit faire paffer un écu de fix francs,

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temps les vafes où on met le Sucre, for-tant de la derniere chaudiere , afin qu'il, fe refroidiffe avant que d'être mis dans les barriques. Une partie du refte de l'efpace oppofé eft creufé en t e r r e , de la profon­deur de cinq à fix p ieds , & r e v ê t u , dans le fond , de même qu'aux cô t é s , d'une ma­çonner ie : c'eft ce qu'on appelle la c i t e r n e , qui eft deftinée à recevoir le fyrop qui y découle des barr iques , & que l'on en ret i­re par le moyen d'une ouver ture en guife de por te . Au deffus de cette c î te rne , on pofe des foliveaux, de trois à quatre pouces en qua r ré , é loignés, l 'un de l 'autre , de fix p o u c e s , foutenus par deux groffes pou­tres adoffées à la maçonner ie , & élevés à u n demi-pied au deffus du niveau de l'aire de la ci terne.

C'eft fur ces foliveaux qu'on pofe les barriques de Sucre b r u t , pendant qu'il fe p u r g e , c'eft-à-dire, pendant que le fyrop qui eft joint au grain de Sucre, s'en fépa­r e , & tombe dans la c î t e rne ; & c'eft ce fy-гор que les Planteurs vendent aux Anglo i s , qui en font le Rum.

Les bouches des fourneaux, pour les chaudieres, font en dehors du Laboratoire, & l'on obferve qu'elles foient toujours fous le vent . Elles doivent être hautes & bien, pe rcées , afin que la fumée & les exhalai-

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fons , qui s'élèvent des chaudieres, aient la liberté de for t i r , à l'aide de l 'a ir , qui en­t re par les portes & les fenêtres du La-boratoire. Le tout eft fait de maçonne­r ie .

Les Chaudirres different entre elles de-g randeu r , c'eft-à-dire, qu'elles diminuent de diametre & de p rofondeur , à mefure qu'elles approchent de celle où le Sucre re ­çoit fa derniere cuiffon.

La p remiere , qui eft la plus g rande , a , au moins , quatre pieds de d iametre , & ce­la va en diminuant jusqu'à la dern ie re , qui eft la plus p e t i t e , & qui n'a que deux pieds & demi. Elles font maconnées toutes de niveau.

Il faut encore obferver qu'on doit avo i r , dans chaque Laboratoire , un double de chaudieres en ré ferve , pour fuppléer, à l ' inftant, à celles qui deviennent défectueu-fes. Elles font toutes de cuivre r o u g e ; & la plus grande pefe environ trois cents li­v r e s ; les au t res , par conféquent , à pro­por t ion .

A un pied ou deux des chaudieres, il y a une auge con t inue , faite de carreaux, dans laquelle on met l'écume du Sucre, à mefu­re qu'on l 'enleve avec les écumoires , afin qu'elle s'écoule dans un réfervoir qui lui eft deftiné.

Des Chaudie­res.

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Les uftenciles du Laboratoire confiftent rafraîchiffoirs à bec de corbin , en cuil-

l e r s , écumoi res , caiffes à paffer, blan-chets , barils à leffive , po inçons , coû­teaux à Sucre, fo rmes , p o t s , & canots.

Les Rafraîchiffoirs à bec de corb in , font faits de cuivre r o u g e , & r o n d s , &, font deftinés à mettre le Sucre dans les for­mes.

Les Cuillers, qui font de même méta l , font rondes , à peu près comme la forme d'un chapeau. Elles ont huit pouces de diametre , & fix à fept pouces de profond d e u r , & font garnies au b o r d , en dehors , d'un cercle de f e r , qui fe termine en douil­le ou godemichi , dans lequel on fait en­t rer un m a n c h e , d'un bois flexible, de cinq pieds de long. Elles fervent à trans-vafer le Sucre d'une chaudiere à l'au­t r e .

Les Ecumoires fervent à enlever les écu­mes , & les autres ordures qui font dans le Sucre, & que la cuiffon fait monter à la fuperficie. Elles ont depuis neuf jusqu'à douze pouces de diametre , & ont un man­che de cinq pieds de long.

La Caiffe à paffer a quatre pieds de l o n g , fur deux pieds & demi de large. Sa pro­fondeur eft de quinze à dix-huit pouces, 11 faut qu'elle foit faite de bois qui ne tei-

Des Ra­fraîchis-foirs.

Des Cuil-lers.

Des Ecu­moires,

De la Caiffe à paffer.

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30 DESCRIPTION

gne po in t ; & l'on y fai t , dans le fond , autant de trous qu'on p e u t , avec une ta-r i e r e , fur lesquels on étend un blanchet , pour y jet ter le Sucre, qui paffe dans la feconde chaudiere , après qu'il a é,té écume: dans la p remiere , afin qu'il y dépofe fa graiffe & fes autres ordures.

Les Blancbets font des pieces de gros drap b lanc , d'une aune de large.

Il f au t , en fus , avoir toujours de la leffive, dans des barils ou barr iques , pour en je t ter dans le Sucre, afin de le purifier de fes parties groffieres.

Les Poinçons, dont on fe fert pour per­cer le Sucre, qui eft dans les formes , font de fer ou de bois dur. Ils font de la lon­gueur de dix à douze p o u c e s , & d'environ un pouce à leur t ê t e , qui eft ronde & faite en bouton.

Les Couteaux font des efpeces de fpatu-les de bo is , qui ont deux pieds & demi de l o n g , fur deux pouces de la rge , dans tou­te leur longueur. Ils fervent à remuer le Sucre dans les formes.

Les Formes, avec lesquelles on façonne le Sucre, comme nous le v o y o n s , font d 'une ter re rougeâtre.

Les Pots, qu 'on fait de la même t e r r e , font deftinés à recevoir le fyrop , qui

Des Blan­cbets.

Des Poin-çons.

Des Cou­teaux,

Des For­mes.

Des Pots.

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découle du Sucre qui eft dans les for­mes.

Les Canots font des auges, faites de bois, plus ou moins grandes, pour y faire refroidir le Sucre, & le mettre, de-là, dans les barriques.

Après avoir décrit tout ce qui eft re­latif au Laboratoire, je vais faire connoî­tre quelle eft la préparation du Sucre brut, qu'on envoie en Europe.

Des Ca-nots.

C H A P I T R E VI.

De la préparation du Sucre brut, qu'on en-mie en Europe.

PEU de temps avant que d'écrafer les Cannes au Moulin, il convient que les

fourneaux foient allumés, parce que le fuc, qui eft déja exprimé , s'aigriroit au bout d'un jour.

J'ai dit, dans le Chapitre précédent, que les Cannes, ayant été paffées au Moulin, leur fuc en découloit, par le moyen d'un auget, dans la grande chaudiere ; & c'eft-là qu'il commence à cuire, pour fe dégrais-_ fer & fe débarraffer de fes parties les plus

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grofferes. Pour cet effet on j e t t e , avec la cuil­ler , deux ou trois livres de chaux dans la chau-d ie re , & l'on remue bien le t o u t , pour la faire diffoudre : mais il faut obferver que le feu du fourneau doit être modéré , afin que le fuc puiffe fe purger des principales faletés, qu'on enleve avec l ' écumoire , & qu'on donne , enfuite , pour nourr i ture aux beftiaux. De-là on le transvafe dans la feconde chaudiere, dans laquelle, au moyen d'un feu plus fo r t , & de la leffive qu'on y a joute , faite de chaux & d ' a lun , on l 'écume de nouveau & encore mieux ; ce qui doit fe faire affez promptement . D e cefle-ci, on le t ransporte dans la troi­fieme , pour le faire cuire & écumer dere­chef. Cette é c u m e , qu'on appelle Lika, eft deftinée pour les Efclaves, qui en font une li­queur ou boiffon très agréable, en la mêlant avec de l'eau. Il eft à remarquer que le feu de cet te chaudiere doit être plus fort que ce­lui de la précédente , & qu'il f au t , en ou­t r e , avoir un foin tout particulier de bien remuer le Sucre, pendant qu'il cu i t , jus­qu 'à ce qu'il foit propre à être mis dans une quatrieme chaudiere, ou bien qu'il ait-acquis la confiftance qu'il doit avoir , pour être mis dans les formes.

Pour connoître fi le fuc bouilli a acquis la confiftance requife de fyrop, on t rempe

de

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dedans, le couteau de bois que j 'ai décr i t , & après l'avoir tiré tou t couvert de ce fuc épaiffi, on le touche avec le pouce de la main d ro i t e , & , un inftant après , on ap­puyé le doigt du milieu fur le pouce pour voir fi le Sucre file entre deux ; s'il file,& que le filet fe rompe près du d o i g t , il eft alors à fon degré de perfeftion.

Il y a encore un autre figne presque affuré, pour déterminer ce degré, de cuis-fon. Si le fuc fait beaucoup de petites perles fur la cuil l ier , pendant qu'on le re­m u e , & qu'elles foient de la même cou­leur du S y r o p , on conjecture auffi qu'il eft au point requis.

Quand on juge que le Syrop eft presque cu i t , on y jet te quelques gouttes d'huile d 'o l ive , ou un petit morceau de b e u r r e , afin d'empêcher qu'il ne -s'éleve & ne s'é­coule hors de la chaudiere.

Dès qu'il eft bien cu i t , on le jet te dans les rafraîchiffoirs, puis on le remue un in­ftant pour lui faire prendre également le grain pa r tou t ; & on l'y laiffe, enfui te , jusqu'à ce qu'il fe foit formé une croûte au-deifus. La croûte étant fa i te , on le re­mue une feconde fo i s , pour aider à le durcir ; & , quand il eft bien d u r , on le caffe alors en pieces , & on le met dans les barr iques, que l 'on pofe , enfui te , fur

Tome II. C

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les foliveaux de la c i t e rne , pour que le fy­

rop en puiffe découler. On appelle , dans

le pays , le deffus de cette cîterne, Barbe-

cot.

Les Douves des Barriques , dont on fe

fert pour met t re le Sucre, viennent la plu­

part d 'Europe en b o t t e s , & on les mionte ur chaque Plantation avec les cercles du

pays ; parce qu'il y a toujours une couple

de bons Tonnehe r s N e g r e s , qui ne font

employés qu'à ce travail : & , quoiqu'ils ne

les ferrent pas exac tement , pour que le

Sucre puiffe fe purger par les f e n t e s , ils

font encore des t rous dans le fond , pour

que le fyrop s'en fépare plus vî te .

On compte que chaque Barrique de Su­

cre b r u t , fait & enfutaillé, étant fec &

bien p u r g é , peut pefer depuis fept jusqu'à

huit cents l i v re s , fans compter la tare de

la Barrique.

T o u t ce que je viens de dire de la pré­

paration du Sucre, p e u t , je c ro i s , fuffire,

pour qu'on s'en puiffe former une juñe

idée. Si je ne fuis pas entré dans le

détail de la Raffinerie , c 'eft, parce qu'elle

eft affez connue en E u r o p e , & qu'elle

eft interdite à Surinam; & que tout le

Sucre, qu 'on y fai t , doit fortir brut du

pays.

Des Dou-ves des Barri­ques.

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DE SURINAM. 3 5

Ce que j 'a i , encore à, faire remarquer, tant au sujet des Moulins que des, Labora-to i r e s , c'eft qu'un Moulin à eau expédie beaucoup plus de Cannes en très-peu de t e m p s , que celui où l'on employe des bes-tiaux. Il en eft de même des Laboratoi­res , qui ont cinq ou fix c h a u d i e r e s , d'a-vec ceux qui n 'en ont fouvent que trois : car il faut fçavoir, q u e , dès que la premie­re chaudiere eft vu ide , on la rempli t , tout de fui te , de nouveau jus de Cannes , & que cela fe répete alternativement ainfi, de la feconde à la troifieme ; de fo r t e , que plus on en a , & plus on fait de SUCRE & beau­coup plus v i t e ; puisqu'aucune ne refte vui­d e , pendant qu'on paffe les Cannes au Mou-fin.

Quant à là quantité de Sucre, qu 'on peut retirer d'une , Piece , de C a n n e s , on ne fçauroit au jufte la déterminer ; par­ce q u e , quoique cela dépende en partie de la bonté du t e r r e in , la faifon y con­tribue beaucoup; car plus elle, eft feche , & plus les Cannes ont de fubftance épu­rée & prête à fe convertir en Sucre. Quand elles font en parfaite maturité , elles rendent auffi infiniment plus que quand elles n 'y font pas encore arrivées. Tou tes circonftances qui font des dif­férences fi confidérables, qu'un Akker de Can-

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nes ne p rodu i t , bien fouven t , que deux Barr iques , pendant qu'il y en a qui en rap­por ten t depuis trois jusqu'à cinq. Ce qui prouve qu 'un nouveau Planteur à Sucre ne fçauroit t rop faire at tention à toutes les remarques que j 'ai faites à ce fujet. Bien e n t e n d u , que j 'écris ici plus pour les Européens que pour les habitués dans le p a y s , ou les Créoles , qui font au fa i t , fans d o u t e , de toutes ces obfervations ; mais qui pourroient avoir leurs raifons pour n'en pas inltruire les étrangers nou­veaux venus.

N ' a y a n t , jusqu ' ic i , rien omis de toutes les opéra t ions , depuis la culture des Cannes jusqu'aux plus petites minuties du Labora­t o i r e ; je va i s , maintenant , paffer au Dis-t i l la toire , dans lequel on prépare la liqueur de toutes les écumes du Sucre, pour l'ufa­ge des Efclaves.