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Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz Driemaandelijks tijdschrift van de Auschwitz Stichting n° 89 octobre-décembre 2005 / nr. 89 oktober-december 2005 Sommaire - Inhoudstafel BARON P AUL HALTER Editorial / Editoriaal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 MARJAN VERPLANCKE Deux univers, deux vies. Een thematische analyse van het concentrationair œuvre van Jorge Semprun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 T ATJANA TÖNSMEYER Le nationalisme slovaque et ses répercussions dans les relations germano-slovaques 1939-1945 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 SYLVAIN BRACHFELD La collaboration de la police anversoise aux arrestations des Juifs de la ville en 1942, sous l’occupation allemande de la Belgique . . . . . . . . 41 LORINE GRIMAUD ET CHANTAL RIOU L’usage de la littérature dans l’éducation à la citoyenneté adapté aux classes de l’enseignement fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 ANNE-CATHERINE RABENDA Ce que savaient les Belges des camps de concentration nazis entre 1938 et 1940 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 ARTHUR WILLY SZAFRAN Psychologie individuelle et société : les liaisons dangereuses avec l’idéologie fasciste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 N° 89 - OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005 - N R 89 - OKTOBER-DECEMBER 2005 1

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Bulletin trimestriel de la Fondation AuschwitzDriemaandelijks tijdschrift van de Auschwitz Stichting

n° 89 octobre-décembre 2005 / nr. 89 oktober-december 2005

Sommaire - Inhoudstafel

BARON PAUL HALTER

Editorial / Editoriaal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

MARJAN VERPLANCKE

Deux univers, deux vies. Een thematische analyse van het concentrationair œuvre van Jorge Semprun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

TATJANA TÖNSMEYER

Le nationalisme slovaque et ses répercussions dans les relations germano-slovaques 1939-1945 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

SYLVAIN BRACHFELD

La collaboration de la police anversoise aux arrestations des Juifs de la ville en 1942, sous l’occupation allemande de la Belgique . . . . . . . . 41

LORINE GRIMAUD ET CHANTAL RIOU

L’usage de la littérature dans l’éducation à la citoyennetéadapté aux classes de l’enseignement fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

ANNE-CATHERINE RABENDA

Ce que savaient les Belges des camps de concentration nazis entre 1938 et 1940 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

ARTHUR WILLY SZAFRAN

Psychologie individuelle et société : les liaisons dangereuses avec l’idéologie fasciste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

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SARAH TIMPERMAN

Les archives de la Fondation Auschwitz. Inventaire partiel du Fonds des papiers personnels des victimes des crimes et génocides nazis (6e partie) / De archieven van de Stichting Auschwitz. Partiëleinventaris van de persoonlijke papieren van de slachtoffers van de nazi-misdaden en -genocides (6e deel) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

Informations / Mededelingen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

Notes de lectures / Lectuurnota’s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

Recensions / Recensies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING

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Nous sommes heureux d’avoir pu réunirpour ce nouveau numéro de notre Bulletintrimestriel des contributions qui ne man-queront pas de passionner tous ceux qu’in-téressent les multiples problématiques quejalonnent l’histoire et la mémoire des crimeset génocides nazis.

La contribution de Marjan Verplancke,licenciée en philologie romane, qui ouvrece numéro, porte sur l’œuvre de J. Semprun.En relevant les interactions physiques, men-tales et éthiques qui fondent les relationsentre intérieur et extérieur au monde descamps, l’auteur tente de saisir toute la por-tée du vécu d’un déporté à Buchenwald.

Tatjana Tönsmeyer, Dr. en Histoire de laHumboldt-Universität (Berlin), nous délivreici la quintessence de la thèse de doctorat

qu’elle nous avait déposée pour concouriraux «Prix de la Fondation Auschwitz» 2002-2003. Il s’agit d’une brillante analyse de laquestion du nationalisme slovaque et de sesrépercussions dans les relations germano-slo-vaques entre 1939 et 1945.

A l’attention de nos lecteurs francophones,nous avons le plaisir de proposer l’articlede Sylvain Brachfeld, journaliste et écrivain,que nous avions initialement publié en ver-sion néerlandaise dans notre numéro 84(juillet-septembre 2004). Réactualisé à lalumière de nouveaux éléments constitutifs deson enquête, l’auteur y développe la questionde la collaboration de la police anversoiseavec l’occupant entre 1942 et 1944. L’étatdes lieux, au sujet des responsabilités - etdes responsables des arrestations des Juifs dela ville - se devait d’être éclairci.

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BARON PAUL HALTERPrésident

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Lorine Grimaud et Chantal Riou, toutesdeux professeurs agrégées de lettres, nousrapportent la teneur de leur intervention à unséminaire organisé par la Fondation de laMémoire de la Déportation (Paris). Portantsur les aspects de la transmission pédago-gique de l’histoire et de la mémoire descrimes et génocides nazis, leurs expériencestestées en classe serviront sans nul doute laréflexion - et les échanges entre éducateursconcernés - sur la portée de nos propresmodes de fonctionnement afférents à latransmission de ces matières à l’école.

Que savaient exactement ou que pouvaientsavoir les Belges, entre 1938 et 1940, descamps de concentration nazis ? Anne-

Catherine Rabenda, Licenciée en Histoire,nous expose, au terme d’une recherche pré-cise, non seulement ce qui avait alors déjà étédit par des déportés ayant miraculeusementpu s’échapper des camps, mais aussi ce quiavait été diffusé par la presse ou véhiculépar certains rapports.

Enfin, le professeur A. W. Szafran nouséclaire sur la nature des rapports entretroubles psychologiques individuels et idéo-logie fasciste. En partant de la fascinationexercée par cette idéologie sur RobertBrasillach, Louis-Ferdinand Céline, PierreDrieu La Rochelle et Lucien Rebater.

Excellente lecture !

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Wij zijn verheugd dat wij u voor dit nieu-we nummer van ons Tijdschrift een aantalbijdragen kunnen voorstellen die elke geïn-teresseerde in de veelzijdige problemenvan de geschiedenis en de herinnering aande nazimisdaden en genocides zal aan-spreken.

De bijdrage van Marjan Verplancke, licen-tiate in de Romaanse filologie, waarmeedit nummer geopend wordt, handelt overhet werk van Jorge Semprun. Door te wij-zen op de wisselwerking tussen het fysie-ke, mentale en ethische, als basis voor deverhouding tussen de werelden van «bin-nen» en «buiten» de kampen, probeert deauteur de draagwijdte van de ervaring vaneen gedeporteerde van Buchenwald te vat-ten.

Tatjana Tönsmeyer, doctor in de geschie-denis aan de Humboldt-Universität teBerlin, die in 2002-2003 deelnam aan de«Prijs van de Stichting Auschwitz», heefthaar doctoraat over de kwestie van hetSlowaakse nationalisme en haar weerslagop de Slowaaks-Duitse verhoudingen tij-dens de jaren 1939-1945 gesynthetiseerd envoorgesteld in een bijzonder interessantartikel.

Een ander belangrijk artikel dat wij hier wil-len voorleggen aan onze lezers is het geac-tualiseerde artikel van Sylvain Brachfeld datwij oorspronkelijk in het Nederlands gepu-bliceerd hebben in het nummer 84 van onsTijdschrift (juli-september 2004). Dit arti-kel verdiept zich in de netelige kwestie van decollaboratie van de Antwerpse politie met debezetter tijdens de jaren 1942-1944. De waar-

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BARON PAUL HALTERVoorzitter

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heid over de verantwoordelijkheden, en vande verantwoordelijken voor de aanhoudin-gen van de Antwerpse joden, moet uitge-klaard worden.

Lorine Grimaud en Chantal Riou, beidengeaggregeerde leerkrachten in de letteren,berichten ons over hun bijdrage aan eenseminarie georganiseerd door de Fondationde la Mémoire de la Déportation (Parijs).Hun ervaringen in de klas betreffende deaspecten van de pedagogische overdrachtvan de geschiedenis en de herinnering van denazi-misdaden en genocides zullen onge-twijfeld bijdragen tot de verdere uitdiepingvan de discussie tussen de betrokkenleerkrachten en van onze visie op de draag-wijdte van de overdracht in de schoolprak-tijk.

Wat wisten de Belgen en wat konden zijweten over de nazi-concentratiekampen tij-dens de jaren 1938 en 1940 ? Op basis van

een precies en goed gedocumenteerd onder-zoek weet Anne-Catherine Rabenda dui-delijk uiteen te zetten wat er in die periodedoor ontsnapte gedeporteerden verklaardwerd en wat er in de pers en in bepaalderapporten over verschenen is.

Ten slotte geeft professor en psychiatorWilly Szafran ons een uiteenzetting overde aard van de verbanden tussen de indivi-duele psychologische problemen en de fas-cistische ideologie. Vertrekkend vanuit defascinatie die van deze ideologie uitging opschrijvers als Robert Brasillach, Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelleen Lucien Rebater wordt de thesis naar voorgeschoven dat narcistische persoonlijk-heidsproblemen kunnen verklaren waar-om deze personen op een affectieve wijzezijn aangetrokken geweest tot de ideeënvan de fascistische ideologie.

Veel leesplezier !

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Inleiding

«Ma vie est tout un siècle» (Breuil, 2001), zovat Jorge Semprun zelf zijn leven samen.Geboren in Madrid in 1923, zal hij acteur entoeschouwer worden van de mijlpalen vande XXe eeuw. Hij is dertien als Franco demacht grijpt in Spanje en zijn gezin in bal-lingschap gedwongen wordt omwille vanhun republikeinse overtuigingen. Frankrijkwordt voor de kleine jongen een soort vantweede vaderland hoewel hij zijn Spaansewortels, het feit dat hij een Spaanse Rooie is,nooit zal vergeten. In 1942 breekt Semprunzijn studies af om zich te engageren in het

gewapend verzet tegen de nazi-bezetters.Niet veel later, wanneer Semprun negen-tien is, wordt hij door de Gestapo gearres-teerd en op 29 januari 1944 komt hij aan inBuchenwald als Häftling 44904.

De communistische beweging, die op datmoment zeer goed georganiseerd is inBuchenwald, neemt onmiddellijk contactop met de jonge Rotspanier. Zo wordt hij, alsbeschermeling van de communisten, tewerk-gesteld in de Arbeitsstatistik, de adminis-tratie van het kamp. Zijn gevangenschap inBuchenwald zal tweeënnegentig wekenduren maar zal voor altijd de «essentie vanzijn leven» (LMB : 300) blijven.

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MARJAN VERPLANCKELicentiate Romaanse filologie aande Katholieke Universiteit Leuven

Deux univers, deux vies1

Een thematische analyse van het concentrationair œuvrevan Jorge Semprun

C’est tout simplement une sensationphysique : on est dedans. Il y a le dehors etle dedans, et je suis dedans (LGV : 26).

1 E/V : 303. In dit artikel hanteren wij volgende afkortingen voor de geciteerde werken van Semprun : LGV : Le grandvoyage (1963). EVT : L’évanouissement (1967). QBD : Quel beau dimanche ! (1980). LMB : La montagne blanche (1986).FSB : Federico Sanchez vous salue bien (1993). E/V : L’écriture ou la vie (1994). AVC : Adieu, vive clarté... (1998). MQF :Le mort qu’il faut (2001).

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Op 13 april 1945 wordt Buchenwald bevrijden Semprun keert terug naar Parijs omdat inSpanje Franco’s regime overeind blijft. Zo iszijn bevrijding voor hem een terugkeer naarhet leven, maar ook een terugkeer naar deontworteling van zijn ballingschap. Hij doetverwoede pogingen om zijn vroegere schrij-versroeping weer op te nemen, maar zijnonverwerkte Buchenwald-verleden makendeze plannen onuitvoerbaar. Hij neemt debeslissing om het schrijven voorlopig telaten voor wat het is. Ter compensatie enga-geert hij zich met volle overtuiging in destrijd van de communisten. De Spaanse KPziet hij namelijk als het beste instrument inde strijd tegen Franco. Zeer regelmatig vol-brengt hij clandestiene missies in Spanje,waarbij hij telkens een andere identiteit moetaannemen. Zijn inzet voor de communistenduurt echter niet eeuwig : eind jaren ‘50begint zijn vertrouwen in de partij ernstig tetanen en in 1964 wordt Semprun uit dePartij gezet. Het deficit van zijn politiekengagement zal hij echter kunnen compen-seren door gehoor te geven aan zijn literai-re roeping. Van 1963 af verschijnt er eenonophoudelijke stroom boeken, scenario’sen essays van zijn hand. Hoewel Semprunvan 1989 tot 1991 cultuurminister van Spanjezal zijn, profileert hij zich verder voorna-melijk als schrijver. Op één uitzonderingna verschijnen al Sempruns boeken in hetFrans.

In deze bijdrage richten wij ons hoofdza-kelijk op vier van zijn boeken : Le GrandVoyage, (1963) Quel Beau Dimanche (1980),L’écriture ou la Vie, (1994) en Le Mort qu’ilfaut (2001). Alle vier zijn het autobiografi-sche werken die specifiek handelen overzijn ervaringen in Buchenwald. Dit con-centrationair oeuvre willen wij in dit artikelonderwerpen aan een beknopte themati-sche analyse in de hoop op die manier hettestimoniële karakter van Jorge Semprun

te kunnen vatten : op welke manier wordt bijhem de traumatische ervaring van het con-centratiekamp in taal gegoten ?

Om Sempruns werken te analyseren hebbenwij een interpretatiesleutel ontwikkeld dieons toelaat al zijn thema’s op inzichtelijkewijze te ordenen. Semprun beschrijft in zijnkampliteratuur namelijk niet enkel de reali-teit binnen het kamp. Ook het leven daar-buiten, dat van vóór zijn opsluiting en vanerna, komt uitgebreid aan bod. Het univer-sum dat Semprun beschrijft ontdubbelt zichdus eigenlijk in twee duidelijk gescheidenwerelden : het dedans (het binnen) en hetdehors (het buiten). Het dedans en hetdehors, woordelijk weergegeven op tiental-len plaatsen in zijn oeuvre, zijn een omschrij-ving voor, respectievelijk «l’universinimaginable de Buchenwald» (QBD : 90)en de wereld buiten het kamp. Deze tweecategorieën tekenen zich duidelijk tegenelkaar af, zowel op ruimtelijk, sociaal, tem-poreel als ontologisch vlak.

Het is echter van groot belang te bena-drukken dat de tegenstelling dedans-dehorsniet absoluut is. De grens, het prikkeldraad,kan door de auteur overschreden worden.Deze vorm van overschrijdingen zullen wijde ‘overgangen’ noemen. In het werk vanSemprun onderscheiden we drie soortenovergangen tussen het dedans en het dehors :de fysieke overgangen, de mentale over-gangen en de ethische overgangen.

Fysieke overgangen

In de eerste plaats is er het letterlijke over-schrijden van de grens tussen het dedansen het dehors. Zowel op het moment vanzijn deportatie als op het moment van zijnbevrijding ondergaat de verteller een ver-plaatsing die hem van de ene realiteit naar deandere brengt.

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2 E/V : 202.

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«Quitter le monde des vivants» (LGV : 279)is vanzelfsprekend een uiterst angstaanja-gende ervaring. De voortdurende kwellin-gen in het kamp, de honger, de arbeid, deuitputting, de folteringen, ... maken van hetdedans een desoriënterend en shockerenduniversum waar andere regels heersen eneen andere moraal.

Maar ook de omgekeerde fysieke overgang,van het dedans naar het dehors op hetmoment van de bevrijding, is een extreemingrijpende gebeurtenis die in feite nauwe-lijks minder traumatisch is. Semprun heeftdan wel zijn geliefkoosde vrijheid terug,paradoxaal genoeg zijn zijn gevoelens zeerambigu en slaagt hij er niet in te genieten van«cette joie d’être dehors» (LGV : 28). Dezeambiguïteit heeft natuurlijk in de eersteplaats te maken met de dreiging die uitgaatvan een onverhoopte, onbekende toekomst.Maar nog lange tijd na zijn repatriëring zalde verteller blijven worstelen met die over-gang naar het dehors. Hij slaagt er niet in zijnconcentrationaire ervaringen een plaats tegeven in zijn leven en is ervan overtuigddat één van de twee realiteiten inbeeldingmoet zijn, een droom, een nachtmerrie. Hijvraagt zich zelfs af of hij het eigenlijk welheeft overleefd, of zijn leven van na de bevrij-ding geen droom is van een jongen die stierfin Buchenwald (QBD : 97). In zijn ogen ishet leven na Buchenwald «banal» (E/V :69), «un songe après la réalité rayonnante ducamp, qui était terrifiant» (E/V : 205). Hijvoelt zich compleet vervreemd van hetdehors, een wereld die hij nochtans als dezijne zou moeten herkennen. Door het naastelkaar bestaan van het dedans en het dehorsin zijn leven, wordt hij getekend door eenexistentiële schizofrenie.

Zo zien we dat de fysieke overgangen, deopsluiting en de bevrijding, overduidelijktwee sleutelmomenten zijn in het oeuvrevan Semprun. Ze omsluiten de misschienwel belangrijkste periode in zijn leven.

Ondanks de schijn van het tegendeel bete-kent de bevrijding echter niet het onvoor-waardelijke einde van zijn gevangenschap.De auteur zal altijd de gevangene blijvenvan zijn herinneringen die hem soms onver-biddelijk terugwerpen in het dedans.

Mentale overgangenDoor de co-existentie van twee wereldenin het leven van Semprun, is ook zijn werkgetekend door een continue mentale bewe-ging tussen de twee. Sempruns geest en penreizen onophoudelijk heen en weer tussenhet dedans en het dehors. We spreken overmentale overgangen wanneer de twee werel-den geestelijk met elkaar verweven wor-den. Bij de expliciete mentale overgangen zalde overgang zeer uitdrukkelijk uit de tekstnaar voren komen. Op andere momentenzal de auteur het eerder aan de lezer overla-ten om de twee universums uit zijn verhaalte distilleren. Dan spreken we van impli-ciete mentale overgangen. Beiden beogeneen welbepaald narratief effect : het dedansen het dehors worden naast elkaar gelegdom zo de schrille contrasten of de verras-sende gelijkenissen af te tasten.

«La mémoire, un trésor mortel2»Het is evident dat het geheugen een kapita-le rol speelt bij elke mentale overgang. Daardit thema essentieel en alomtegenwoordig isin Sempruns werk, gaan we er hier dieper opin.

Het geheugen bij Semprun is door en doorambigu. Aan de ene kant koestert de vertellerzijn geheugen als een kostbare schat, in staatom hem de troost en de hoop te bieden diehij nodig heeft. In het kamp bijvoorbeeldkunnen herinneringen aan het leven vanbuiten een weldadig effect hebben op degevangene. Maar naast deze positieve func-tie van het geheugen komt de negatieve,vernietigende, folterende kracht van hetgeheugen veel frequenter aan bod. In het

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kamp moet de verteller op bepaalde momen-ten zijn geheugen het zwijgen op leggen.Zich het dehors herinneren kan de moreelondermijnen : «ils remontent à la gorge, ilsétouffent, ils ramolissent les volontés. Je chas-se les souvenirs» (LGV : 34). Robert Antelme(2000 : 115) zal deze rol van het geheugensamenvatten wanneer hij zegt : «Si la mémoi-re n’existait pas, il n’y aurait pas de campde concentration».

Maar ook - en vooral - na de terugkeertreedt het geheugen op als destabiliserendefactor. We kunnen drie fases onderscheidenin het postconcentrationaire leven vanSemprun. Aangezien schrijver worden voorhem een roeping is die hij reeds sinds zijnkinderjaren koestert, wil hij zich, in eersteinstantie, vlak na de repatriëring, alles her-inneren. Hij tracht zijn ervaringen te ver-werken door er een boek over te schrijven.Al gauw echter blijkt schrijven over hetkamp ondoenbaar, te pijnlijk. De meestafschuwelijke angsten, gevoed door zowelhet leven zelf als door de herinnering aan dedood, overvallen hem en hij wenst nog maaréén ding : «le repos spirituel» (E/V : 211).

Tijdens de zomer van 1946 neemt JorgeSemprun ‘de beslissing van Ascona’, die detweede fase inluidt. In een poging de ver-warring en de wanhoop te onderdrukken,beslist Semprun zijn roeping, zijn ware iden-titeit van schrijver, op te offeren en al zijn her-inneringen uit te wissen. Het dehors moetvoortaan het dedans overstemmen, dat zalblijven sluimeren in een totale vergetelheid.Hij vlucht in de armen van vrouwen, inoppervlakkige geneugtes, in de antifrancis-tische illegaliteit. Hij vermijdt krampachtigelke gedachte, elk contact dat hem naar hetdedans zou kunnen voeren. Schrijven is dusa fortiori een verloren zaak aangezien schrij-ven zonder over Buchenwald te vertellen,ondenkbaar is. Hij wil vergeten uit angsteen confrontatie met het verleden niet tezullen overleven. Deze fase van gewillige

amnesie zal zestien jaar duren en oefent eengunstige invloed uit op de verteller. Zijnleven wordt weer leefbaar, zijn ziel wordtweer bewoonbaar. «J’ai vécu plus de quinzeans (...) dans la béatitude obnubilée de l’ou-bli. Rares auront été les fois où le soudainsouvenir de Buchenwald aura perturbé matranquillité d’esprit» (E/V : 293).

De derde fase breekt aan wanneer Semprunbeslist zijn vroegere schrijfprojecten weer opte nemen. Druppelsgewijs wordt het dedansweer in zijn bewustzijn toegelaten, want hijheeft nu zijn herinneringen nodig om eroverte kunnen schrijven. Flitsen uit het dedanskunnen nog wel de oude angsten oproe-pen, maar nu meer gecontroleerd, meerbeheerst. Semprun heeft met zijn traumati-sche geheugen leren leven. Hoe meer her-inneringen Semprun oproept, hoe meer stofhij heeft om te schrijven. Maar hoe meerhij schrijft, hoe meer herinneringen vanzelfboven komen drijven. Zo is de derde fase destart van een periode zonder einde, «un tra-vail interminable, tonique, désolant de l’a-namnèse» (MQF : 80).

Nu we het uitzonderlijke belang en de wer-king van het geheugen bij Semprun toege-licht hebben, moeten we ons afvragen watvoor concrete repercussies dit op zijn werkheeft. In wat volgt, zullen we zien welkemechanismen in werking treden bij de men-tale overgangen en hoe die overgangen struc-tuur aanbrengen in de verhaallijn.

Expliciete overgangenOndanks het feit dat de kloof tussen hetdedans en het dehors onoverbrugbaar lijkt,alsof het twee compleet tegengestelde werel-den zijn, zullen we merken dat de explicie-te overgangen toch plaatsgrijpen op basisvan gelijkenissen, affiniteiten. Een elementdat terugkomt in de twee universums wordtvoor de verteller de rode draad om de klooftussen de twee te overbruggen.

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In de eerste plaats kunnen bij Semprunandere personages aanleiding geven tot men-tale overgangen. Wanneer de verteller zijnkameraad Fernand Barizon beschrijft, zoalsdie staat te wachten op de appelplaats, wordtdeze verhaallijn, die zich afspeelt in hetdedans, doorweven met flarden of zelfs metuitgewerkte anekdotes uit het dehors waar-in diezelfde Barizon centraal staat. Zo reistde lezer mee met de geest van de auteur,over het prikkeldraad heen. Op dezelfdemanier is Sempruns oude sociologieprofes-sor, Maurice Halbwachs, die in zijn armensterft in Buchenwald, een link tussen hetleven aan de universiteit, dehors, en de doodin Block 54, dedans. Henri Frager, JosefFrank, Jacqueline B., ... zijn slechts enkele vande vele personages die op gelijkaardige wijzehet dedans met het dehors verbinden.

Meer nog dan de personages, zal het de lite-ratuur zijn die een uiterst interessante scha-kel vormt tussen de twee gedaantes van dewerkelijkheid. De alomtegenwoordigheidvan literatuur als motief in het oeuvre vanSemprun weerspiegelt het belang ervan inzijn leven. Elke fase van zijn biografie, elkecruciale beslissing in zijn leven werd beïn-vloed door een boek, een gedicht, een essay.Dat is natuurlijk de reden waarom zoveelmentale overgangen een aanzet krijgen doorliteratuur. Zelfs in de hel van Buchenwaldverlaat de literatuur hem op geen enkelmoment. Eerst en vooral behoudt hij eenrechtstreeks, materieel contact met boeken.Want omwille van zijn uiterst gunstigearbeidsplaats geniet hij van het uitzonderlijkevoorrecht te kunnen lezen en boeken tekunnen ontlenen in de bibliotheek vanBuchenwald. Het werk Absolom ! Absolom !van William Faulkner is een perfect voor-beeld van hoe de tekst van Semprun opcomplexe wijze gelaagd wordt door de men-tale overgangen. Hij ontleent het boek inde bibliotheek van Buchenwald en leest heter voor de eerste keer. De verhaallijn die

zich afspeelt in het dedans wordt doorwevenmet verhaallijnen uit het dehors : hoe hij hetwerk van Faulkner leerde kennen dankzijeen jong meisje dat hij ontmoette in hetbezette Parijs en hoe hij, vele jaren later, in1999, dit boek terugvond in de bibliotheekvan een vriend.

Maar ook op onrechtstreekse, immateriëlewijze blijft de band met de literatuur intact.De gevangenen discussiëren over boekendie ze in de buitenwereld hebben gelezen.Verzen worden gereciteerd, filosofische the-ma’s besproken en zo worden de gevange-nen teruggevoerd naar hun verleden, buitenhet kamp.

Dit nooit verbroken contact met de litera-tuur zorgt ervoor dat ook omgekeerde men-tale overgangen zeer frequent zijn : wanneerde verteller in het dehors bepaalde literaireteksten onder ogen krijgt, kunnen deze hemterugvoeren naar zijn verblijf in Buchenwald.

Ten derde is er de muziek. Zij bekleedt even-eens een centrale positie in Sempruns werk.De muziek is, als symbool van cultuur, ont-spanning en schoonheid, meer dan wat ook,de belichaming van de buitenwereld. Deaanwezigheid van het muzikale binnen deprikkeldraadomheining benadrukt de schrij-nende tegenstelling tussen de twee wereldenen kan een enorme schok teweegbrengen bijde gevangene die met muziek in contactkomt. Dit gegeven vinden we terug in haastelke getuigenis over het concentrationairsysteem. We zouden twee vormen vanmuziek in het kamp kunnen onderschei-den. Er is eerst de muziek die door de SS-ersopgelegd wordt aan de gevangenen. InBuchenwald wordt op zondag door de luid-sprekers, die normaal de ruwe bevelen vande bewakers verspreiden, populaire of klas-sieke muziek gespeeld. Vooral liedjes vande Zweedse Zarah Leander worden blijkbaarerg gesmaakt door de bewakers. In het werkvan Semprun is de herinnering aan haarstem alomtegenwoordig. Voor de gevange-

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nen is zij het die het leven belichaamt, «lavraie vie du dehors, d’avant, cette légèreté,cette futilité désolantes et précieuses qui avai-ent été la vie» (MQF : 144). Erger nog dandeze frivole liedjes die de kloof tussen de bin-nenwereld en de buitenwereld al te pijnlijkopenleggen, is de cynische, bevreemdenderealiteit van de Lagerkapelle, het kamporkest.Op vele plaatsen beschrijft Semprun hoegevangenen die deel uitmaken van ditopzichtig geklede orkest worden gedwon-gen het in- en uitgaan van de werkcom-mando’s muzikaal ‘op te luisteren’. Veleanderen hebben deze onvoorstelbare wer-kelijkheid beschreven waarbij het kampor-kest terechtstellingen, selecties en de wegnaar de gaskamers moest begeleiden.

Naast deze geïnstitutionaliseerde, opgeleg-de muziek, vinden we in de kampen,ondanks alles, muziek die van de gevange-nen zelf komt. Nog meer dan de muziek vande SS-ers voert deze muziek de buitenwereldbinnen in het kamp. De gopak, gespeelddoor één van de gevangenen, het clandestienejazzorkest van Jiri Zak, het verborgen strijk-kwartet of de muzikale voorstellingen geor-ganiseerd op zondag zijn stuk voor stukvoorbeelden van de muziek «par laquellenotre univers se rattachait à celle de la liberté»(E/V : 209). Deze muziek is als een toe-vluchtsoord waar de gevangenen zich even«buiten» wanen en «vrij» (MQF : 178).Maar wanneer ze terugkeren tot de reali-teit is hun gevoel van verlies en ontwortelingalleen maar sterker geworden. Het effectvan deze vermenging tussen dehors endedans, van deze verscheurdheid doormuziek in het kamp, is zo doordringenddat het geheugen er voorgoed door gete-kend blijft. Jaren na de bevrijding volstaaneen paar tonen, een paar woorden om terug-geworpen te worden in het dedans, mid-den in een zondagmiddag met ZarahLeander op de achtergrond. Even ver-troostend als verscheurend blijft de muziek

voor Semprun «au cœur de sa vie» (MQF :180).

Een vierde element dat mentale overgan-gen losweekt, zij het in mindere mate, is debeeldende kunst. Niettemin mogen we hetbelang van deze kunstvorm, in Semprunsleven niet onderschatten. Net als boekenen muziekstukken zijn er schilderijen diede hoekstenen uitmaken van zijn bestaan. Deovergang zal in dit geval echter uitsluitend inéén richting gebeuren : vanuit het dehorsnaar het dedans. Dit is vanzelfsprekend tewijten aan de totale afwezigheid van beel-dende kunst in de kampervaring vanSemprun. Wel zal Semprun steeds weer aande uitgeputte, apathische Muzelmannen inhet kamp denken als hij de lange, smallebeelden van Giacometti ziet. Maar de meestdirecte en meest ongenadige verwijzing naarhet dedans is een filmprojectie over de bevrij-ding van de kampen. De auteur, die dezebeelden totaal onvoorbereid te verwerkenkrijgt, reageert in eerste instantie metafschuw. Dit moment reikt ons een sleutelaan om het geringe aantal mentale over-gangen op basis van beeldende kunst te ver-klaren. Want na de eerste schok, beseft deverteller plots dat deze beelden bevreem-dend zijn, dat ze niet samenvallen met hoehet dedans was voor hem. «Les images gri-ses, parfois floues (...) acquéraient une dimen-sion de réalité démesurée, bouleversante, àlaquelle mes souvenirs eux-mêmes n’atteig-naient pas» (E/V : 260-261). Een gelijkaar-dig gebrek aan adequate voorstelling doetzich voor wanneer Semprun de realistischeschilderijen van zijn oude kampmakkerBoris Taslitzky afdoet als te kleurrijk en teweinig doorweven met allegorische verwij-zingen om het kampuniversum ten volle tevatten.

Hieruit zouden we kunnen afleiden dat vol-gens Semprun de beeldende kunst als medi-um ontoereikend is om het dedans adequaatvoor te stellen. Het vaak te realistische en te

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objectieve karakter van de beelden strooktin de verste verte niet met Sempruns herin-neringen. Op die manier wordt a priori elkementale overgang tegengehouden. Het isdus omdat deze uitdrukkingsvormen er, openkele uitzonderingen na, niet in slagen omde ervaringen adequaat te vertolken, dat zenauwelijks leiden tot een associatie tussen hetdedans en het dehors.

Een laatste, maar zeker niet te veronacht-zamen groep elementen die expliciete men-tale overgangen tot stand brengen, zijn dedagelijkse ervaringen. Met deze term bedoe-len we kleine, op het eerste zicht beteke-nisloze gebeurtenissen in het leven van elkedag die plots, glashelder, momenten uit hetandere universum in herinnering brengen.

Tijdens de periode van opsluiting doen erzich weinig dergelijke geheugensprongenvoor. In het kamp zijn er namelijk maarweinig dagelijkse ervaringen die naar hetvrije leven verwijzen. Het ochtend- ofavondappel, de arbeid, de honger zijn der-mate nieuwe ervaringen dat zij nagenoeggeen mentale overgangen oproepen.

Het is vooral in het leven na de opsluiting,in het dehors, dat de auteur op elk momentvan de dag en naar aanleiding van kleine,alledaagse belevenissen, brutaal overvallenwordt door herinneringen uit het dedans.Een toevallige lichtflits werpt hem terug inde sneeuw van Buchenwald, bij de smaakvan zwart brood overvalt hem de honger,april maakt hem neerslachtig omwille van debevrijding, het zien van een badkraan voerthem terug naar de folteringen door deGestapo, ... We ontwikkelen hier enkel dedrie voornaamste motieven.

De sneeuw, de dodelijke sneeuw, witte vlok-ken in het felle licht van de schijnwerpersmaakt voor Semprun zowat het belang-rijkste element uit van het helse universumvan Buchenwald. Ook de zwarte, vette rookdie hoog boven het crematorium uittorent,symboliseert beter dan wat ook de dood in

het kamp. Deze sneeuw, deze rook hebbenvolstrekt niets gemeen met de kristalhelde-re, onbevlekte sneeuw op de dennenbomenof met de gezellige, vreedzame rook uit deschoorstenen, buiten. Binnen zijn het wredetekens, afbeeldingen van een gruwelijkedood, incarnatie bij uitstek van het dedans.In het werk van Semprun groeien deze beel-den uit tot sleutelwoorden, als een soortpars pro toto voor het concentrationair uni-versum. Ondanks zijn pogingen omBuchenwald uit zijn geheugen te verdrij-ven zal het verleden steeds getekend blij-ven door «l’éclat de neige et de fumée,comme au premier jour» (E/V : 297). Bijhet zicht van sneeuw of rook in het leven naBuchenwald, en zelfs op de meest onwille-keurige momenten, zullen de sneeuw en derook van het kamp meteen zijn geest ver-vullen. «Il y aura toujours cette mémoire,cette solitude : cette neige dans tous les soleils,cette fumée dans tous les printemps» (E/V :185).

Naast de sneeuw en de rook is er een derdebelangrijk motief binnen de dagelijkse erva-ringen, namelijk de droom. Dat dromenmentale overgangen kunnen oproepen,spreekt voor zich. Semprun beschrijft tweemaal hoe hij binnen het kamp droomt overbuiten. Dat ontwaken uit zo’n droom inde realiteit van het kamp afschuwelijk is,behoeft geen commentaar. Omgekeerdwordt de overlevende die na de bevrijdingdroomt over het kamp weer ten volle in hetdedans geworpen. Vele gedeporteerden heb-ben deze nachtmerries beschreven. Wat ech-ter bijzonder is bij Semprun is dat hij ookhier de nadruk legt op de schok bij het ont-waken. De nachtmerrie mag dan weerzin-wekkend zijn, het wakker worden is altijdnog weerzinwekkender. De verklaring hier-voor kunnen we zoeken in de absolute exis-tentiële verwarring die dit soort van dromenlosmaakt. Semprun weet bij het ontwakenniet welk universum nu de droom is, welk

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de werkelijkheid. «Car j’avais effectivementquitté dans un soubresaut, la réalité du rêve,mais ce n’était que pour plonger dans le rêvede la réalité : le cauchemar plutôt» (E/V :202).

Deze existentiële verwarring, «le rêve de lamort à l’intérieur du rêve de la vie» (E/V :313) doet hem kiezen voor zijn vele jaren vanamnesie. Wanneer hij na vijftien jaar die fasebeëindigd heeft, zullen zijn dromen en zijnontwaken minder traumatisch zijn. «Et laneige était de nouveau tombée sur mon som-meil. Ce n’était pas la neige d’autrefois. Ouplutôt, c’était la neige d’antan, mais elle étaittombée aujourd’hui (...)» (E/V : 389).

De impliciete overgangen

Nu we de voornaamste expliciete overgan-gen becommentarieerd hebben, buigen weons over de impliciete overgangen. Weonderscheiden twee vormen : de blik ener-zijds en de daad van het vertellen ander-zijds. Zoals reeds gezegd, gebeurt de mentaleovergang hier meer subtiel. Waar bij deexpliciete overgang de verteller een elementaangrijpt om van zijn initieel vertelstramienaf te wijken en zo een uitweiding te makenover het andere universum, zal bij de im-pliciete overgang de afwijking van de ver-haallijn niet nodig zijn omdat zowel in deblik als in de verteldaad de twee univer-sums inherent aanwezig zijn. Op die maniervragen de impliciete overgangen een meeractieve houding van de lezer : deze moetals het ware het dedans en het dehors distil-leren uit de woorden van de verteller.Opvallend is ook dat zowel de blik als deverteldaad door en door moreel getint zul-len blijken en de lezers uitnodigen tot ethi-sche reflecties.

«Le dernier luxe humain3»

De blik is een steeds terugkerend motief inhet werk van Semprun. Net als bij EmannuelLevinas, wordt bij Semprun een grote more-le waarde toegekend aan de blik. Wanneer hijvertelt hoe hij er bij een actie in het verzetniet in slaagt een Duitser te doden omdat diehem in het gelaat kijkt, is l’appel du visage del’Autre niet ver weg. Vanuit dit perspectiefspreekt het voor zich dat de blik in hetdedans een kapitale rol zal spelen. MetFelman (Parrau, 1995 : 310) kunnen we driesoorten blikken onderscheiden : die van debeulen, die van de slachtoffers en die vande getuigen. Bij Semprun is de blik van deSS-ers een blik vol haat, «chargé de haineinquiète, mortifère» (E/V : 39). Hoewel hetin het kamp gevaarlijk kan zijn een SS-erin de ogen te kijken, zal de verteller dit tochnu en dan proberen. Voor hem is de haat inhun ogen namelijk «une raison de durer, desurvivre, de lui survivre» (E/V : 39). De blikvan de slachtoffers «le regard des miens»(E/V : 39) is bij Semprun een blik die naar dedood verwijst, maar niettemin waardigheiden broederlijkheid weerspiegelt. Het unie-ke aan de blik van zijn medegevangenen is deabsolute vrijheid ervan. Voor Semprun isdit het enige waaraan de SS niet kan raken,hun «dernier luxe humain» (LGV : 276).Het laatste ook wat ze voor hun stervendeof gestorven kameraden kunnen doen :«poser sur eux un regard pur et fraternel»(LGV : 89). De derde blik, de blik van debuitenstaanders is eveneens een zeer belang-rijk element bij Semprun, vooral als impli-ciete mentale overgang. Daarom komt dezeblik in wat volgt aan bod.

Een aantal van de voornoemde blikkenfunctioneert bij Semprun namelijk als im-pliciete overgang. Personages die over debarrière tussen het dedans en het dehorsheen kijken, realiseren voor de lezer een

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3 LGV : 276

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soort mentale overgang : de twee wereldenworden via de blik tegen elkaar afgelijnd.

In één richting vestigen de gevangenen van-uit het dedans hun blik op de wereld buitenhet kamp. Zij herkennen hun eigen vredigeleven van voorheen. In de andere richting, endit is veel belangrijker bij Semprun, rich-ten buitenstaanders vanuit het dehors hunblik op de wereld van het kamp. Het is dezeblik die ervoor zorgt dat de afschuwelijkegruwel die voor de gevangenen dagelijksewerkelijkheid is geworden, in al zijn onvoor-stelbaarheid oprijst voor de lezer. Zo wordtde breuklijn tussen het dedans en het dehorseens te meer vlijmscherp afgetekend.

Er zijn twee verschillende soorten blikkendie van het dehors naar het dedans gaan.Eerst is er een blik die door en door vijandigis. De Duitsers die rond de Ettersbergwonen, zien dag aan dag wat er zich afspeeltin het kamp. Nochtans blijft hun blik onver-schillig. De gevangenen die zo’n zwaar lotmoeten ondergaan, kunnen in hun ogenniets anders zijn dan criminelen die vreselijkemisdaden hebben begaan. Niet het feit dat deomwonende Duitsers hen als terroristenzien, is het ergste, wel dat de gevangenen zichgereduceerd voelen tot dat waar men henvoor aanziet. «Mais enfin, nous sommesaussi ce qu’ils imaginent voir en nous. Nousne pouvons pas totalement négliger leurregard, il nous découvre aussi, il met à jouraussi ce que nous pouvons être» (LGV : 154).Na de bevrijding staat onomstootbaar vastdat de omwonenden gezien moeten heb-ben wat er gaande was in het kamp, «mêmes’ils ne voulaient pas le savoir» (LGV : 165).De bevrijders dwingen de bewoners vanWeimar onder ogen te zien wat hun onver-schilligheid mogelijk heeft gemaakt. Maarzelfs nu worden de blikken afgewend. Derealiteit is te shockerend en in geen enkelemate verzoenbaar met het rad dat zij zichvoor ogen draaiden.

Ten tweede is er de blik van personen die nietop de hoogte zijn van wat er zich in hetdedans afspeelt, maar er wel bruusk meegeconfronteerd worden, wanneer de gevan-genen in colonne langs marcheren bijvoor-beeld. Meestal weten de mensen zich geenhouding te geven bij de aanblik van zo’ngroot lijden. Maar soms wordt een blik uithet dehors niet afgewend en blijft hij op henrusten. Zo’n blik is vriendschappelijk, troos-tend en doet de gevangenen voelen dat zehun waardigheid niet verloren hebben. «Iln’a pas détourné la tête (...). Et le regard decet homme, brusquement, (...) faisait de leurmarche (...) une marche conquérante»(LGV : 272).

De breuk tussen het dedans en het dehors isechter nooit zo totaal als wanneer vlak na debevrijding de medewerksters van een Fransehulporganisatie met de beste bedoelingenhet kamp komen bezoeken. De meisjesbekijken een universum dat hen totaalvreemd is en wanhopig trachten zij her-kenningspunten uit hun eigen wereld terugte vinden. «Elle a vue ensuite la cheminéetrapue du crématoire au bout de la placed’appel. ‘C’est la cuisine, ça ?’ a-t-elledemandé (...) (E/V : 160).

In diezelfde dagen na de bevrijding doetzich een uiterst complexe impliciete overgangvoor wanneer de verteller zelf vanuit hetdehors naar het kamp kijkt. Hij stapt een huisbinnen dat vlak naast het kamp ligt omdat hijabsoluut wil kijken vanuit het standpuntvan de buitenstaanders. Zo hoopt hij dooreen blik het leed en de afschuw uit zijn geestte wissen, het dedans te overwinnen. «Jevois, dans l’encadrement même de l’une desfenêtres, la cheminée carrée du crématoire.Alors, je regarde. Je voulais voir, je vois. Jevoudrais être mort, mais je vois, je suis vivantet je vois» (LGV : 182). Maar zo gemakke-lijk komt hij niet los van het dedans. Wantook na zijn terugkeer in Frankrijk blijft hijeen buitenstaander. Mensen die hij nooit

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eerder zag, reageren schuw of geëmotio-neerd wanneer ze hem ontmoeten. Dit heeftniet meteen met zijn uiterlijk te maken maarwel met zijn blik. «A deviner mon regarddans le miroir du leur, il ne semble pas que jesois au-delà de tant de mort» (E/V : 27). Deblik van de overlevenden blijft «combléd’une nuit inhabituelle» (E/V : 206). In hunogen ligt het afschuwelijke dedans weer-spiegeld : de hopen lijken, de folteringen,het crematorium. Hoewel Semprun metgeen woord over zijn verleden rept, slaagt hijer niet in zijn blik te doen zwijgen.

«La transcription de l’expériencede la mort4»De verteldaad vormt de tweede implicieteovergang, die zich ook weer in twee rich-tingen voordoet. Aan de ene kant kunnenmensen die in het kamp opgesloten zitten,verhalen vertellen over de buitenwereld. Zowordt het beeld van het dehors binnengebracht in het dedans. Het vertellen overvroeger werkt in deze context vaak thera-peutisch. Het kan zowel voor de verteller alsvoor de luisteraar een soort van virtuele,tijdelijke vlucht uit het dedans betekenen.

Aan de andere kant is er de omgekeerdebeweging : mensen in het vrije leven doen hetrelaas van hun leven in gevangenschap. Dezeverteldaad past ook het dedans en het dehorsin elkaar, maar hier heeft het vertellen het bij-zondere statuut van de getuigenis en zijner al gauw ethische implicaties mee gemoeid.

Vormgeving en inhoud van het vertellenover het dedans zijn substantiële vragen inhet oeuvre van Semprun. Het minste wat wekunnen zeggen, is dat de getuigenis bijSemprun fundamenteel problematisch is.Elke poging om wat dan ook uit het kamponder woorden te brengen, zal aanvankelijkop een mislukking uitdraaien. Semprun zaltrouwens lang niet de enige zijn die met

deze moeilijkheden af te rekenen krijgt. Wekunnen ons afvragen waar dit problemati-sche karakter van het getuigen vandaankomt. Mogelijke antwoorden, zoals hetonmededeelbare karakter van de kamper-varing, waar andere overlevenden wel doorblokkeren, worden door Semprun als irre-levant afgedaan. Dat de taal ontoereikendzou zijn om het concentrationair univer-sum te beschrijven, gaat voor Semprun nietop. «On peut toujours tout dire, en somme.L’ineffable dont on nous rebattra les oreillesn’est qu’alibi. On peut toujours tout dire, lelangage contient tout» (E/V : 25).

We kunnen de problemen die Semprun inzijn teksten aanhaalt op drie verschillendeniveaus situeren : dat van de getuige, datvan de luisteraar en dat van de boodschap.

Op het niveau van de getuige zelf vinden wevier essentiële barrières. Ten eerste leeft degetuige met de angst dat hij niet geloofd zalworden. De realiteit die hij gezien heeft,beleefd heeft, is zo onvoorstelbaar dat hetniet ondenkbaar is dat zijn verhaal erover hetvoorstellingsvermogen van de mensen teboven zal gaan. Daarbij komt het feit dat zijhet kamp wel overleefden en de ervaringdus niet «jusqu’au bout, jusqu’à la mort»(MQF : 16) beleefd hebben. Dit maakt hunangst ongeloofwaardig gevonden te wor-den nog groter.

Ten tweede is het mogelijk dat de overle-vende niet wil praten omdat hij niet opge-sloten wil worden in het hokje van de‘slachtoffers’, van de ‘overlevenden’.Wanneer Semprun uit Buchenwald komt, ishij 22. Hij gruwt ervan bestempeld te wor-den als een ‘ancien combattant’, hij ziet zich-zelf eerder als een «futur combattant»(LGV : 97). Om dat etiket te vermijden,vertelt hij maar liever niets over zijn verleden.

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4 E/V : 351.

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Een derde obstakel is het erg intieme karak-ter van de herinneringen. Sommige erva-ringen zijn te persoonlijk, anderen te wreed.De getuige wil ze dan ook met niemanddelen. De voornaamste belemmering echter,zowel voor Semprun als voor vele ande-ren, is het feit dat de getuige - door zijngetuigenis - weer die dodelijke afgrond inge-sleurd wordt : de band tussen de dood en hetvertellen over de dood is onlosmakelijk.Door zijn natuurlijke drang naar schrijven,wordt Semprun dus in de greep gehouden,opgesloten in een dodelijke paradox. «Voilàoù j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumantcette mort par l’écriture, mais l’écriture m’in-terdit littéralement de vivre» (E/V : 215).

Op het niveau van de luisteraar, vervolgens,vermeldt Semprun ook heel wat hinderpa-len die een vruchtbare getuigenis tegengaan.Voor Semprun is het echte probleem niet hetvertellen, hoe moeilijk dat ook mag zijn :«Le vrai problème, (...) c’est d’écouter» (E/V :165). Wanneer Semprun na zijn bevrijdingmensen uit het dehors ontmoet, reagerenze altijd op dezelfde manier : ofwel stellen zeabsurde, zinloze vragen ofwel doen ze of erniets aan de hand is. Maar van zodra degetuige begint te praten, «au plus vrai, au plusprofond, opaque, indicible de l’expériencevécue» (E/V : 179), raken de luisteraars inpaniek en willen ze niets meer horen, nietsmeer weten. Als antwoord op de vraag waardeze gebrekkige luisterhouding vandaankomt, zien wij grosso modo twee verklarin-gen. Een eerste verklaring ligt in de naoor-logse tijdsgeest die niet openstaat voor dekampverhalen. De preutse moraal wenstgeen details te weten over opeengepaktelichamen in een goederenwagon, over delaatste vernederende uren van een difte-riepatiënt. Bovendien zijn de kampverhaleneen radicale aanfluiting van hun existentieeloptimistische visie op de menselijke aarddie sinds de Verlichting heerste. De mense-lijke wreedheden uit de kampen verstoren op

brutale wijze het rooskleurige rad dat men-sen zich voor ogen draaien. Ook de voor-uitgangsidee wordt door de getuigen bruuskontluisterd. De vreugde om de overwin-ning op de nazi’s, het onstuitbare verlan-gen om de wereld weer op te bouwen en hetverleden te laten voor wat het is, wordt in dewar gestuurd door de getuigen. Deze naoor-logse mentaliteit wil niets liever dan dat deoverlevenden vergeten en deelnemen aanhet optimisme.

Een tweede verklaring dringt zich op. Wantzelfs als er bereidheid tot luisteren en totbegrijpen is, dan nog blijft de getuigenisnagenoeg onmogelijk. Zo goed als alle getui-gen zullen namelijk beamen dat niemand,maar dan ook niemand die het niet beleefdheeft, in staat is de concentrationaire ervaringwerkelijk te begrijpen. «Mais peut-on toutentendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ?En auront-ils la patience, la passion, la com-passion, la rigueur nécessaire ? Le doute mevient dès ce premier instant (...)» (E/V : 26).Voor Semprun heeft dit niet enkel te makenmet het beperkte vermogen tot inleven envatten bij de luisteraar. Belangrijker nog - endat is een verrassend inzicht - is dat «écou-ter les voix de la mort» ook voor hij dieluistert «dodelijk» is (E/V : 207). Luisteren,of begrijpen, gebeurt namelijk op drie ver-schillende niveaus. Met Pollefeyt (1995 :160) onderscheiden we het «kennen», hetverzamelen van historische feiten en het«begrijpen», het systematisch interpreterenen vatten van de betekenis van de feiten.Op deze eerste niveaus is de getuigenis over-draagbaar aan de mensen van de buitenwe-reld. Het is echter het derde begripsniveaudat door en door problematisch is, «dode-lijk», zoals Semprun het formuleert. Ditniveau zouden we het Miterleben zum Todekunnen noemen : niet intellectueel begrijpen,maar met het hart, met het vlees. OokSemprun maakt een onderscheid tussen ver-schillende vormen van begrijpen : «Vous

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parlez de comprendre... mais de quel genrede compréhension s’agit-il ? (...) L’autre genrede compréhension, la vérité essentielle del’expérience, n’est pas transmissible» (E/V :167). Het is inderdaad op dit niveau dat decommunicatie stokt, dat de getuigenissenelke «capacité d’écoute» (E/V : 73) te bovengaan. Een onoverbrugbare kloof gaapt tus-sen de mensen uit het dedans en die uit hetdehors : «Ils ne peuvent pas vraiment comp-rendre. Ils ont saisi le sens des mots proba-blement. Fumée : on sait ce que c’est, oncroit savoir (...). Cette fumée-ci, pourtant,ils ne savent pas. (...) Ils ne sauront jamais, ilsne peuvent pas imaginer, quelles que soientleur bonnes intentions» (E/V : 22).

Tenslotte analyseren we de obstakels op hetniveau van de boodschap zelf. Want «zelfs alzou de getuige alles kunnen zeggen, zelfsal zou de wereld alles willen horen, dan nogzou de getuigenis tekort schieten» (Vervaeck,1997). Ook Semprun stelt zich veel vragenover de boodschap en de manier waaropdie overgebracht moet worden. Een eerstevraag betreft de vorm die de getuigenis moetaannemen om de ervaring zo goed mogelijkdoor te geven. Voor Semprun is dit de artis-tieke vorm, het kunstwerk. Het fictionali-seren is een absolute voorwaarde voor eenadequate getuigenis, want «le réalisme tra-hit cette réalité» (E/V : 238). De zo onge-loofwaardige realiteit van het dedans moetdus bewerkt worden voor het dehors, moetin perspectief geplaatst worden «avec unpeu d’artifice (...), par l’artifice de l’œuvred’art» (E/V : 167). En zelfs als dit principevan fictionaliseren wordt toegepast, kan degetuigenis nog ontoereikend blijken. Opzulke momenten kan enkel een «cri venantdu fond des entrailles» of «un silence demort» het lijden uitdrukken (E/V : 210).

Ten tweede stelt Semprun zich op ver-scheidene momenten de vraag wat het

geschikte vertrekpunt van een getuigeniskan zijn. Daar een «entrée en matière» instaat moet zijn de enorme discrepantie tus-sen het dehors van de luisteraar en het dedansvan de getuige in één keer te overbruggen, isdit een heikel punt. Semprun zal steevastopteren voor uitgangspunten die niet te vervan de leefwereld van het dehors verwij-derd zijn : de muziek, Goethe en Eckermanwandelend op de Ettersberg, de films dieop zondagen in de Kino van Buchenwaldgeprojecteerd werden, ... We zouden kunnenzeggen dat de auteur op die manier de luis-teraar of lezer binnen brengt in het dedansvia een omweg door een element aan tehalen dat hem bekend is vanuit het dehors.

Deze benadering brengt ons tot de inhoudvan de getuigenis, een derde probleem datregelmatig opduikt. In tegenstelling tot som-mige andere getuigen, zal Semprun in zijnconcentrationair oeuvre geen opsommingvan gruwelverhalen geven. Hij wil dit niveauvan afzonderlijke anekdotes overstijgen omer de essentie uit te distilleren. Niet de gru-wel en het lijden is de essentie van wat hij inBuchenwald heeft meegemaakt, wel «le Malradical, das radikal Böse» (E/V : 120) in hetwezen van de mens. Zijn getuigenis wil danook steevast een directe of een indirectereflectie bieden op dit Kantiaans motief.

Nu we uitvoerig het intrinsiek problemati-sche karakter van de getuigenis bij Semprunonderzocht hebben, kunnen we ons de vraagstellen waarom Semprun zijn plannen omBuchenwald te vertellen niet gewoonopgeeft. Wanneer hij in 1946 de beslissingneemt om te zwijgen over zijn verleden,om zijn schrijven uit te stellen, weet hij opdat moment al pertinent zeker dat deze«silence de survie» (E/V : 255) niet definitiefzal zijn. Hij heeft gewoon tijd nodig, «letemps d’oublier, pour raconter après l’ou-bli» (LGV : 209). Maar waar komt die zeker-

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5 LGV : 72.

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heid vandaan ? Ervaart Semprun soms zoietsals een morele plicht om te getuigen ?

Twee fundamentele redenen lijken aan debasis te liggen van de noodzaak om te schrij-ven over Buchenwald. Ten eerste wilSemprun getuigen voor de doden. Alleen zokan hij eer betuigen aan alle kameraden die‘in rook zijn opgegaan’ op de Ettersberg.Het is hun verhaal dat hij vertelt, hun waar-digheid, hun broederschap, hun helden-dom. Ten tweede wil Semprun getuigenvoor de levenden. Vertellen wat er zich heeftafgespeeld opdat de mensheid er beter vanzou worden, wordt belangrijker naarmateSemprun ouder wordt. Vooral in zijn meerrecente werken onderstreept hij hoe de erva-ringen in Buchenwald lessen inhouden voorde toekomst. Binnen afzienbare tijd zal erniemand meer zijn die kan getuigen wat hijbeleefd heeft. Dan moet er een «passage detémoin» (E/V : 374) plaatsgrijpen : getui-gen worden zij die de laatste getuigen aan-dachtig beluisterd hebben.

Daarom is het dat Semprun, ondanks allemoeilijkheden, getuigt en blijft getuigen.Dat getuigen zal nooit ophouden, het is eenoneindige opdracht, een verhaal zondereinde : «Il me faudrait plusieurs vies pourraconter toute cette mort. Raconter cettemort jusqu’au bout, tâche infinie» (E/V : 52).

Ethische overgangenNaast de fysieke overgangen en de expli-ciete of impliciete mentale overgangen,onderscheiden we een derde categorie ele-menten die een link kunnen leggen tussenhet universum van het kamp en de werelderbuiten. Het gaat om de ethiek als overgangtussen het dedans en het de dehors. Zeervaak wordt er vanuit gegaan dat er een abso-lute breuk is tussen het ethische systeem inhet kamp en erbuiten : de morele codes zou-den zo verschillend zijn dat ze onvergelijk-baar zijn. Nochtans kunnen we ons, bij het

lezen van verschillende getuigenissen, nietvan de indruk ontdoen dat de moraal binnenhet kamp zich minstens gedeeltelijk inspi-reert op de buitenwereld en er dus wel dege-lijk overeenkomsten te herkennen zijn.

Om dit idee uit te werken, baseren we onsop Tzvetan Todorov, die in zijn essay Faceà l’extrême een studie maakte van de ethiekin concentratiekampen. Deze studie houdtzich niet aan het conventionele, manicheï-stische beeld van de absolute afwezigheid vaneen moraal in de kampen waarbij monster-achtige beulen onschuldige slachtoffersafslachten. Todorov vindt integendeel eenzeer groot ethisch bewustzijn bij de mensenuit het dedans. Het is net dit ethischebewustzijn dat hen drijft, hetzij tot hetkwade, hetzij tot het goede.

Dagelijkse ondeugden : «l’hommecapable du pire5»

De boosdoeners, zowel onder de bewakersals onder de gevangenen, noemt Todorov «nimonstres, ni bêtes» (1994 : 170). Het zijngewone mensen die door het toepassen vanalledaagse ethische mechanismen aangezetworden tot het kwade. Die mechanismenzullen de ‘dagelijks ondeugden’ genoemdworden, omdat zij regelmatig op relatiefonschuldige wijze opduiken in het levenvan elke dag. Pas in de extreme context vaneen concentratiekamp worden ze dusdaniguitvergroot dat ze het absolute kwaad inde hand werken. Todorov (1994 : 170)spreekt over «l’enracinement banal des actesexceptionnels» : stuk voor stuk zijn dezemechanismen afkomstig uit het leven vóórhet kamp en zorgen zij dat binnen het kampeen nieuw ethisch systeem uitgebouwdwordt, op maat van deze extreme omstan-digheden. Zo leren we dat er op ethischvlak wel degelijk communicatie is tussenhet dedans en het dehors.

Todorov onderscheidt dus drie dagelijkseondeugden : fragmentatie, machtswellust

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en depersonalisatie. Bij Semprun vinden weontelbare voorbeelden van deze dagelijkseondeugden. We halen hier de meest illus-tratieve aan.

Fragmentatie houdt in dat een persoon zijnleven onbewust onderverdeelt in afgeschei-den compartimenten. Zo kan het kwadedoordringen in één van die compartimententerwijl de ‘andere levens’ van de persoonin kwestie gevrijwaard blijven. Die socialeschizofrenie is onschuldig en zelfs levens-noodzakelijk in het dehors, maar in hetdedans maakt de fragmentatie de gruwe-lijkste misdaden mogelijk : een SS-er kaneen gevangene sadistisch behandelen in zijnhoedanigheid van kampbewaker, maar ditzal zijn geweten niet verstoren aangezienhij zich in zijn privé-leven als een goedevader beschouwt of als een liefdevolle echt-genoot.

Bij Semprun is de fragmentatie duidelijktussen de regels door te herkennen wan-neer hij de SS-ers beschrijft als acteurs ineen groteske, wagneriaanse opera (LGV :279/277/254). Zij spelen om ter best dewrede rol die ze geacht worden te spelenmaar op bepaalde momenten kan een onver-wachte wending - een gevangene die vloei-end Duits spreekt bijvoorbeeld - hen uithun rol doen vallen. Op zulke momentengebeurt het dat een SS-er in andere com-partimenten laat binnenkijken en zich pro-fileert als «un bon père de famille bienconvenable» (QBD : 179), die van Goethehoudt (QBD : 182), van opera (E/V : 191) ofvan romantische liedjes (LGV : 276).

Het tweede mechanisme is de machtswellust,een ondeugd waar iedereen zich wel eensschuldig aan maakt. In het kamp echterhoudt dit letterlijk een doodsgevaar in voorde gevangenen. De macht van de SS-ers inhet kamp, kent geen grenzen, noch legale,noch morele.

Ook Semprun beschrijft meermaals deze«joie suprême des SS» (MQF : 49) wanneerze mensen folteren en mishandelen. Hijherkent in deze onmenselijke machtswellustonmiddellijk de door en door menselijkewortels : de lach van de SS-er wordt beschre-ven als «ravi et cruel» maar «humain, trophumain». Het is «l’inimitable sourire del’humaine joie du mal» (MQF : 52).

Hetzelfde geldt voor de derde dagelijkseondeugd, de depersonalisatie. Door een ver-strooide blik of het vergeten van iemandsnaam, kunnen wij in het dehors iemanddepersonaliseren. Maar binnen het kampwordt deze dagelijkse ondeugd tot een mee-dogenloze moordstrategie : de depersona-lisatie reduceert menselijke wezens, bewakersén gevangenen, tot instrumenten en objec-ten die bijdragen tot de realisatie van de ide-ologische droom.

Bewakers worden herleid tot radertjes ineen goed geoliede machine. Het dodengebeurt zeer routineus : zelden komen dedaders rechtstreeks in contact met hunslachtoffers (hiervan getuigen o.a. de gas-kamers en de ‘speciale douches’ waarbij menvan achter een wand executeerde). Al dezevoorzieningen zijn getroffen om de gewe-tensvragen bij de bewakers uit te wissen,om Rücksichtlose Härte te kweken. Dedepersonalisatie van de daders kan dan welhun verantwoordelijkheid verminderen, zetoont des te meer de ernst van hun moreleindoctrinatie en transformatie aan. Wanteen mens die enkel bevelen opvolgt, is eigen-lijk geen mens meer te noemen.

Schrijnend is hoe Semprun vlak na de bevrij-ding opnieuw met deze ondeugd gecon-fronteerd zal worden. Hij ziet heel dedepersonaliserende houding die zoveel leedberokkend heeft, samengebald in één kleinzinnetje van een Franse receptioniste : «S’ilfallait que j’aie des opinions personnelles,

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6 LGV : 72.

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monsieur, je n’en finirais pas (...). Je me limi-te à exécuter les ordres de l’Administration,monsieur» (LGV : 131).

Naast de depersonalisatie van de bewakersis het systeem aan de andere kant ook gerichtop een totale ontmenselijking van de slacht-offers. Dit om te voorkomen dat de daderszich met hen zouden identificeren en zo,uit medelijden, morele weerstand zoudenondervinden bij hun werk. De beestenwa-gons, de naaktheid, het kaalscheren, het aan-duiden van gevangenen met nummers encategorieën, de voortdurende honger, deuitputtende arbeid, het totale gebrek aanhygiëne en privacy zorgen ervoor dat debewakers deze verzwakte en vervuildewezens niet meer associëren met menselij-ke individuen.

Al de voornoemde technieken van deper-sonalisatie komen vanzelfsprekend aan bodin Sempruns getuigenissen. Met betrekkingtot het totale gebrek aan privacy bijvoorbeeldschrijft Semprun dat het een «atteinte» is,«une atteinte, insidieuse à l’intégrité de lapersonne, de l’intime identité de chacun»(MQF : 28).

Een laatste depersonaliserende techniek diebij Todorov wordt vermeld, verdient hiermeer geëxpliciteerd te worden, gezien hetenorme belang ervan in het oeuvre vanSemprun. Het betreft de strategie van detaal. Bij Semprun splitst de ontmenselijkingvia de taal zich op in twee luiken. Aan de enekant is er de taal van de SS-ers die er metkorte, geschreeuwde bevelen en scheld-woorden op gericht is de gevangenen alsbeesten te behandelen. De auteur, een groteliefhebber van de Duitse literatuur staat per-plex over de transformatie die het Duits inde kampen ondergaat. «La musique de lalangue allemande, sa précision complexe etchatoyante» is nu verworden tot «un langageguttural et primaire, réduit à quelques motsgrossiers d’insulte ou de menace» (MQF :48). De onpersoonlijke stijl, de talrijke afkor-

tingen en de eufemismen in de nazi-taaldragen allemaal bij tot de ontmenselijkingvan datgene waarover men spreekt. Maar deonmenselijke toon van de SS tegen de gevan-genen is nog significanter. Semprun spreektvan «hurlements» (LGV : 261), «aboiement»(LGV : 42) of «cris gutturaux» (E/V : 284).Al schreeuwend leggen de SS-ers de stemvan hun geweten het zwijgen op.

Aan de andere kant heerst er onder degevangenen, met al hun verschillende natio-naliteiten, een absolute taalvermenging, een«mélange bigarré des idiomes» (MQF : 15),een babelse spraakverwarring (QBD : 105)die net zo goed leidt tot depersonalisatie.De kampbewoners zullen dit trachten tecompenseren door de ontwikkeling van eenLagertaal, een kampjargon, waarbij hetessentiële in het Duits wordt uitgedrukt -«Arbeit, Scheisse, Brot» (QBD : 25) - enverder allerlei uitdrukkingen worden toe-gevoegd - «Organisieren» (E/V : 33),«Meister» (E/V : 33), «Sana» (E/V : 158),«s’en aller en fumée» (E/V : 24), «Machorka»(E/V : 58). Maar verstoken van het vermo-gen adequaat te communiceren in de eigentaal, verliest de gevangene sowieso eenbelangrijk aspect van zijn menselijkheid.

Dagelijkse deugden : «L’hommecapable du meilleur6»

Tegenover de boosdoeners die handelenvanuit de uitvergroting van de dagelijkseondeugden, plaatst Todorov de weldoeners,zij die zelfs in een concentrationaire contextnog het goede verwezenlijken. Zij zijn voorTodorov echter «ni héros, ni saints» (1994 :54), maar ook weer gewone stervelingendie wel de kracht hebben om te weerstaanaan de dagelijkse ondeugden. Bovendienrealiseren zij drie dagelijkse deugden dieTodorov de waardigheid, de zorg en de cre-ativiteit noemt. Dit zijn opnieuw elementenuit het dehors die het voortbestaan van eenmoreel besef in het dedans verzekeren.

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De waardigheid is volgens Todorov eendubbelde deugd : ze beslaat het uitoefenenvan de vrije wil en het zelfrespect.

Het uitoefenen van de vrije wil betekenteigenlijk niet conform zijn aan de regels vanhet kamp. Semprun drukt het uit als «lajoie de baiser le SS» (MQF : 55) en hij asso-cieert dit met moraliteit en waardigheid(LGV : 72). We vinden talrijke voorbeel-den in zijn boeken. Er is de opstand inBuchenwald. Die had niets met macht ofoverwinnen te maken, het was een puursymbool van waardigheid (QBD : 374). Eris het zich terugtrekken in de latrines omdaar, uit het oog van de SS even te roken,even te praten, even weer mens te worden -«menue monnaie d’un discours de frater-nité, de résistance» (E/V : 58). Er is de waar-digheid in de ogen van Professor Halbwachsdie «librement, souverainement» (E/V : 37)kiest om toe te geven aan de dood. Er zijnontelbare voorbeelden van deze onover-winnelijke vorm van waardigheid die,ondanks alles, leeft in de kampen.

Maar waardigheid kan ook bereikt wordendoor zelfrespect. Todorov geeft ons drievoorbeelden. In de eerste plaats kan pro-per blijven, ondanks de bedroevende hygië-nische omstandigheden een teken vanwaardigheid zijn. Semprun beaamt dit wan-neer hij het wassen om vijf uur ‘s morgensmet ijskoud water «une discipline de sur-vie» noemt, «un rite à respecter absolument»(MQF : 145). Elke ochtend wat langer blij-ven liggen en je niet meer wassen, betekentvoor Semprun het eerste teken van eenmorele overgave.

In de tweede plaats bestaat zelfrespect uit deweigering jezelf te vernederen voor de SS-ers,zelfs al hangen er voordelen aan vast. BijSemprun vinden we hiervan een treffendeillustratie wanneer hij vol afschuw beschrijfthoe gestrafte medegevangenen, naakt, uitde beestenwagons op het perron springen

om hun portie brood te ontvangen. De SS-ers kijken geamuseerd toe (LGV : 162).

Zelfrespect kan men ten derde ook vindenin tevredenheid over werk dat op één ofandere manier het systeem dwarsboomt.Ook Semprun vindt zelfrespect in zijn werkbij de Arbeitsstatistik (MQF : 62) omdat hijhet regime kan oplichten door de fiches vande gevangenen te vervalsen en zo medege-vangenen de deportatie te besparen. Voorhem vormt deze levensgevaarlijke oplichterij«le sel de la vie» (QBD : 206).

Een tweede dagelijkse deugd noemtTodorov de zorg. Elke gevangene, man ofvrouw, herinnert zich minstens één keerverzorgd te zijn, bemoedigd of beschermddoor een ander (Todorov 1994 : 80). Maar inhet kamp de deugd van het zorgen uitoefe-nen maakt je uiterst kwetsbaar : bovenophet eigen leed, neemt de gevangene het leedvan een ander op zijn schouders. Tegelijkechter wordt de zorger opnieuw als menserkend en wordt hij door het zorgen van dedepersonalisatie gespaard. Ook Semprungeeft toe dat hij het zonder de zorg niet hadgered : «on m’a aidé tout le temps» (LGV :114) en zelf tracht hij ook het mogelijke tedoen. In feite is in heel het werk vanSemprun deze dagelijkse deugd, die hij «lafraternité» noemt, prominent aanwezig.Het mooist denkbare voorbeeld is dat van dejoodse kinderen die opgejaagd worden doorde SS : «Les SS hurlaient derrière eux, (...) etalors le plus grand des enfants a ralenti sacourse pour prendre la main du plus petit, quitrébuchait déjà, et ils ont encore fait quelquesmètres, ensemble, la main droite de l’aîné ser-rant la main gauche du plus petit, droitdevant eux, jusqu’au moment où les coups dematraque les ont abattus, ensembles, facecontre la terre, leurs mains serrées à toutjamais» (LGV : 197).

Een derde dagelijkse deugd wordt doorTodorov creativiteit genoemd. Deze deugdrealiseert zich via de zoektocht naar het

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schone (‘esthetische ervaringen’) en via dezoektocht naar het ware (‘intellectuele erva-ringen’).

Het lezen van een boek, het bewonderenvan de natuur, het reciteren van gedichten,...zorgen allemaal voor een esthetische ervaring.Deze ervaring is niet ethisch op zich, maarkan in bepaalde gevallen voor de gevangenenwel een morele verheffing betekenen. Doorde schoonheid vergeet hun geest namelijkeven de dagelijkse beslommeringen en«wordt daardoor zelf ook mooier» (Todorov,1994 : 99). Esthetische ervaringen zijn er teover in het oeuvre van Semprun. Hij noemtze «les joies de la vie intérieure» (QBD : 82).Ook de humor, iets wat Todorov niet ver-meldt, is bij Semprun een esthetische ervaringdie helpt te ontsnappen aan de gruwel. Opmeerdere plaatsen beschrijft Semprun hoe deesthetische ervaringen de hoogst mogelijkeethische betekenis krijgen : wanneer zegericht zijn op het helpen of het troostenvan anderen. Een jonge Muzelman, com-pleet apathisch geworden, hervindt plotszijn krachten wanneer de verteller hem eenbekend gedicht voordraagt. Aan het sterfbedvan zijn vrienden fluistert de verteller hen eengedicht toe, zo wordt de kunst een laatsteadieu waarin de stervende iets van waardig-heid terugvindt.

Met de ‘zoektocht naar het ware’, de intel-lectuele ervaringen, bedoelt Todorov dat degevangene zijn uiterste best doet om hetdedans grondig te kennen en te begrijpen.Dit om twee redenen. In de eerste plaatsverhoogt een goede kennis van de onge-schreven regels de kans op overleven.Semprun noemt dit verlangen «la curiosité dumonde, la curiosité combative» (E/V : 59).Hij noemt het «het beste medicijn tegen deontmenselijking» (Kayzer, 1989, II.4). «Elleaide à tenir de façon non évaluable, certes,mais sans doute décisive» (E/V : 385).

Ten tweede dient deze nieuwsgierigheid omalles zo goed mogelijk te onthouden, om

elk detail in het geheugen te prenten, opdatde gevangene het dedans zou kunnen naver-tellen aan de mensen van het dehors.Vertellen, niet alleen ter nagedachtenis van dedoden, maar vooral om al deze dood een zinte geven. Dat Semprun ooit het dedans in eenboek zou beschrijven, stond al in het kampvast. Dit boek, die getuigenis, houdt hem, netals vele anderen, op de been. Zoals hij aanzijn kameraad zal toevertrouwen : «Je veuxessayer de survivre pour me souvenir de toi»(MQF : 157).

Uit de analyse van de dagelijkse deugdenen ondeugden, kunnen we concluderen datook op ethisch vlak, het dedans en het dehorsschijnbaar in niets op elkaar lijken, maaruiteindelijk toch een aantal verwantschappenblijken te hebben. Het dedans vergroot opperverse wijze uit wat al altijd in het dehorsheeft bestaan. In het kamp is dan wel eensoort van nieuw ‘ethisch’ systeem geïnstal-leerd, in werkelijkheid is deze kampmoraaleen geperverteerde herstructurering van demoraal uit het vroegere leven : drie dage-lijkse ondeugden uit het dehors leggen hetgeweten het zwijgen op en maken hetmoorddadige werk in het kamp uitvoer-baar. Sommigen, daarentegen, proberen teblijven leven volgens hun geweten, volgensde morele principes die ze buiten het kamphuldigden. De drie dagelijkse deugden zijnuitingen van dit niet-aangetaste ethisch waar-desysteem. We zagen hoe illustraties vandeze theorieën van Todorov overvloedig inSempruns oeuvre aanwezig zijn.

Maar ook het algemene uitgangspunt vanTodorovs redenering over de menselijkeaard wordt expliciet in Sempruns tekstenbevestigd. Todorov stelde namelijk datdaders niet a priori monsters zijn en gevan-genen niet a priori heiligen, maar door endoor menselijk, dezelfde wezens als in hetdehors. Volgens Semprun is de beste les uitde kampen dat de mens een fundamenteelvrij wezen is, vrij om te kiezen tussen het

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extreem kwade en het extreem goede. Indie vrijheid wortelen zowel «l’humanité»als «l’inhumanité» «de l’être humain». (E/V :121). «Dans les camps, l’homme devient cetanimal capable de voler le pain d’un cama-rade, de le pousser vers la mort. Mais dans lescamps, l’homme devient aussi cet être invin-cible de partager jusqu’à son dernier mégot,jusqu’à son dernier morceau de pain, jus-qu’à son dernier souffle, pour soutenir lescamarades» (LGV : 72).

Als dus de breuk tussen de ethiek binnen hetkamp en die daarbuiten niet absoluut is, alsde beulen én de slachtoffers mensen zijn,«capable du meilleur et du pire» (LGV : 72),dan kan het dedans ons wel degelijk eenspiegel ophouden, ons een actuele les aan-reiken, ons behoeden voor een herhalingvan de geschiedenis.

Dedans et dehors : evolutieen uitbreiding van de

definitieTot hiertoe zijn we voor de ontwikkeling vande thematische krachtlijnen van Semprunsoeuvre steeds uitgegaan van de basisdefini-tie van dedans en dehors. In wat volgt, zalechter blijken dat deze invulling van de tweeconcepten niet de enige is en dat er zich aande ene kant een evolutie en aan de anderekant een uitbreiding van die primaire defini-tie voordoet.

De evolutie : «Il n’y a plus demémoire innocente7»De evolutie van de begrippen dedans endehors is toe te schrijven aan de veranderingvan Sempruns maatschappijvisie. Zo kunnenwe drie fundamentele fases onderscheiden.

In een eerste fase duidt de tegenstelling tus-sen het dedans en het dehors op de wereld

van verschil tussen het kamp vanBuchenwald en het leven daarbuiten, tussende gevangenschap en de vrijheid. Deze twee-deling, die centraal stond in onze thematischeanalyse, vormt dus het vertrekpunt van deevolutie.

Een tweede fase breekt aan op het momentdat Semprun na de bevrijding het dorpjevlak naast het kamp bezoekt en zich reali-seert dat de mensen die er wonen duidelijkmoeten geweten hebben wat er in het kampgebeurde. Voortaan ziet hij het leven in hetdorp als «une autre façon d’être dedans,d’être à l’intérieur de ce même monde d’op-pression systématique (...) dont le camp étaitl’expression» (LGV : 144). De twee catego-rieën evolueren naar ethische concepten dieoordelen over onschuld en verantwoorde-lijkheid. Het dedans is dan de hele maat-schappij die de nazikampen heeft mogelijkgemaakt, het dehors is een andere maat-schappij die hij als overtuigd communistvoornamelijk belichaamd ziet door hetRussisch communistische systeem, «unesociété sans classes, où les camps eussent étéinconcevables» (QBD : 384). Verschillendegebeurtenissen en ervaringen echter zullenertoe leiden dat hem de schellen van de ogenvallen en dat hij breekt met deCommunistische Partij. Op dat momentzal hij de communistische ideologie ver-werpen als «un immense camp de concen-tration, une chambre à gaz idéologique, unfour crématoire de la Pensée Correcte...»(QBD : 169).

Daar neemt de derde fase een aanvang.Opnieuw stellen de twee termen vrije enonvrije mensen tegenover elkaar, maar nugaat het niet langer om fysieke vrijheid, welover morele vrijheid. De aanhangers vaneen totalitair regime, zoals zijn oude kamp-genoot Seifert, zitten nog steeds volop in

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7 QBD : 169.8 LGV : 240.

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het dedans : «Mais finalement, Seifert n’avaitpas retrouvé l’évidence de la vie au dehors.(...) A peine sorti de Buchenwald, (...) il étaitresté bien au chaud dans le même univers decontrainte» (QBD : 42).

Het besef van de wandaden van het com-munisme overlaadt Semprun met gevoe-lens van schuld. «Il n’y a plus de mémoireinnocente» (QBD : 169) zal hij zeggen. Ditschuldgevoel verplicht hem tot het her-schrijven van zijn eerste boek, dat geschre-ven werd vanuit het standpunt van eenonschuldige, een slachtoffer van het nazisme.Hij dwingt zichzelf elk uur in Buchenwaldte herbeleven, maar nu in het pijnlijke besefdat tegelijkertijd elders mensen hetzelfdemeemaakten omwille van zíjn idealen. «Jesavais déjà qu’il faudrait détruire cette inno-cence de la mémoire. Je savais déjà qu’ilfaudrait revivre mon expérience de l’existencesimultanée des camps russes» (QBD : 384).

Zo zien we hoe de begrippen dedans endehors niet absoluut statisch zijn, maar van-uit hun primaire betekenis een evolutieondergaan die hen verrijkt met ethischenuances.

De uitbreiding : «Cet interminablevoyage de l’exil8»

Naast deze evolutie die de definitie door-maakt, zien we hoe we de begrippen dedansen dehors ook vanuit een totaal ander per-spectief kunnen benaderen. Op bepaaldeplaatsen in zijn werk gebruikt Semprun debegrippen namelijk ook om twee andereuniversums aan te duiden die ook zijn levenhebben bepaald : het dedans staat dan voorzijn vaderland, Spanje ; het dehors voor delanden waar hij in ballingschap heeft geleefdvanaf zijn prille jeugd : «L’Espagne soit lededans, l’intérieur de ma vie, tout le reste (...)ne serait plus que le dehors» (EVT : 183).In deze context, en in tegenstelling tot de eer-ste definitie, draagt het dedans een zuiver

positieve connotatie terwijl het dehors naareen negatieve realiteit verwijst.

In die optiek kunnen we Sempruns levenbenaderen als een queeste, als een continuehunkering naar het dedans, naar de familia-le samenhorigheid in het vaderland.

Daar dit verlangen door omstandighedenniet vervuld kan worden - Franco blijft aande macht tot 1975 - zal Semprun trachtensubstituten te creëren. Zo kan de termdedans ook verwijzen naar een symbolischvaderland, een plek waar Semprun zich aan-vaard voelt en waar hij tot een gemeenschapbehoort. Dehors zijn betekent dan uitge-stoten worden, teruggegooid worden in «lenéant de l’exil» (E/V : 297). We stellen inder-daad vast hoe de periodes van worteling enontworteling elkaar opvolgen in het levenvan Semprun.

Wanneer hij als kleine jongen zijn eerstededans verliest omdat zijn familie verstrooidwordt «au vent de l’exil» (AVC : 175), zal hijzich de taal van zijn ballingschap, het Frans,perfect eigen maken om niet meer, nooitmeer als vreemdeling herkend te wordenaan zijn accent. Zo gaat hij tot een «com-munauté idéelle» (AVC : 226) behoren enmaakt hij van zijn ballingschap «une patrie»(E/V : 353).

Later engageert hij zich in het Franse verzetom te kunnen vechten tegen de vijandenvan het vrije Spanje. In zijn verzetsgroepvindt hij de kameraadschap en de warmesolidariteit die hij in het dehors moet ont-beren. Aan dit substituut-dedans wordtechter bruusk een einde gemaakt wanneerSemprun opgepakt wordt. Maar zelfs nazijn arrestatie en opsluiting vindt Semprunopnieuw een groep om bij te horen. InBuchenwald wordt hij gezien als één vande Rotspanier, zodat hij zich terugvindt«dans le pays, la parole de mon enfance»(MQF : 88). Ook de communistische orga-nisatie in Buchenwald aanvaardt hemonmiddellijk als één van hen : Semprun zelf

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spreekt van «notre petite communauté mili-tante et cosmopolite» (MQF : 73). Zo wordthet kamp een dedans in dubbele betekenis :het is een door en door negatieve realiteit,waar paradoxaal genoeg toch ook die posi-tieve nuance van het behoren tot een groepheerst.

In bepaalde fragmenten vallen voor Semprunde twee definities van het dedans zelfs vol-ledig samen. Op zulke momenten spreekt hijover het kamp als over een vaderland.«Comme si la nuit de l’Ettersberg, les flam-mes du crématoire (...) étaient une sorte depatrie, le lieu-dit d’une plénitude, d’unecohérence vitale» (E/V : 203). Blijkbaar heb-ben de samenhorigheid, de vriendschap, desolidariteit, des te intenser want zo onver-wacht op die afgrijselijke plek, zo’n diepesporen nagelaten dat voor hem de heuvel vande Ettersberg is verworden tot «une patrieoù je reviens toujours» (E/V : 17). Zo kan hijnostalgisch doen over wat hij «mon camp»(LGV : 85) noemt, de plek waar hij zoveelkameraden heeft moeten achterlaten : «J’aienvie de revenir à Buchenwald, parmi lesmiens, parmi mes camarades, les revenantsd’une longue absence mortelle» (E/V : 142).Zo zorgt een verrassende, ironische wendingvan het lot dat dat dedans waar hij heel zijnleven wanhopig naar op zoek is, zich uit-gerekend bevindt in het dedans dat hij velejaren tracht te verdringen en te vergeten.

Deze positieve bijklank van het dedans ver-klaart natuurlijk ten dele waarom Semprunzoveel moeilijkheden ondervindt bij debevrijding. Hij noemt zijn bevrijding danook «le rapatriement dans l’exil» (E/V :225). Hij voelt zich verscheurd tussen devreugde bevrijd te zijn en de spijt afscheid temoeten nemen van zijn ‘familie’ uit hetkamp.

Wanneer hij tot de vaststelling komt dat heteinde van het nazisme niet het einde vanhet Franco’s regime inhoudt en hij dus nogsteeds niet kan terugkeren naar zijn echte

vaderland, vindt hij opnieuw een surrogaat-dedans in de communistische «familie»(QBD : 127). Hoewel hij voor zijn vele clan-destiene opdrachten in Spanje in zekeremate zijn eigen identiteit, zijn eigen wil aande kant moet schuiven, doet hij dit zondertegenzin, want hij is dedans, hij heeft een net-werk waar hij toe behoort.

In 1963 wordt Semprun uit de partij gegooiden staat hij weer in het dehors. Hij heeftniet alleen al zijn idealen verloren, maarvooral «le miel de l’humaine fraternité»(FSB : 35). Hoewel hij het verlies van dezeband betreurt, is hij in de eerste plaats tochopgelucht verlost te zijn van zijn ideologische«surdité volontaire» (MQF : 113). Want ein-delijk is voor hem het moment gekomenwaarop hij op zoek moet gaan naar zijneigen persoonlijkheid, los van wat voorgroep dan ook. Het zal in het schrijven zijndat Semprun zijn werkelijke persoonlijk-heid vindt. «Je ne pouvais être moi-même, envérité, qu’en tant qu»écrivain (...)» (FSB : 26).Dit schrijven, dit bezig zijn met taal, wordtbovendien een nieuw dedans : «la languefrançaise était la seule chose qui ressemblât àune patrie, pour moi» (MQF : 83).

Vanaf dat moment balanceert Semprun opde dunne scheidingslijn tussen het dedans enhet dehors. Zijn leven speelt zich groten-deels in Frankrijk af maar zijn Spaanse wor-tels zal hij nooit vergeten. Eigenlijk is hijoveral thuis, en nergens. Een echt vader-land heeft hij niet : «Il n’y avait plus depatrie pour moi. Il n’y en aurait jamais plus»(E/V : 153). Hij zal altijd de balling blijven,de vaderlandsloze. Zijn wortels «ne sontnulle part, ou n’importe où : dans le déraci-nement en tous les cas» (E/V : 199).

ConclusieIn dit korte bestek hebben we getracht aande hand van de tegenstelling dedans-dehorsde thematiek te analyseren in het concen-

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trationaire oeuvre van Jorge Semprun. Zohebben we geprobeerd een licht te werpenop wat het voor hem betekent een overle-vende van Buchenwald te zijn en erover tegetuigen.

Ter afsluiting van deze analyse, zouden weeven de nadruk willen leggen op enkele bij-zondere elementen in Sempruns oeuvre,elementen die zijn getuigenis een zekerevorm van specificiteit verlenen binnen hettestimoniële genre.

In de eerste plaats moeten we de literairevorm van Sempruns getuigenissen onder-strepen. Hij is van mening dat de beste vormom het dedans uit te drukken, een kunst-werk is en dat past hij dan ook toe. Semprunis in de eerste plaats schrijver, dan pas is hijgetuige.

Het vertellen over het dedans is bij Semprunook bijzonder in de mate dat Semprun hetdedans vertelt zonder de luisteraar te over-laden met de meest gruwelijke scènes uithet kamp, maar dat hij zijn relaas doet metvonken van humor en optimisme. Zo trachthij zijn getuigenis te verheffen boven hetlouter opsommen van gruwelverhalen engaat hij op zoek naar antwoorden op ethi-sche en filosofische vragen die de realiteit vande concentratiekampen oproept. Net alsbepaalde andere belangrijke getuigen pro-beert Semprun af te tasten welke abstracte,existentiële conclusies we kunnen trekken uithet Absolute Kwaad van de concentratie-kampen.

Nog belangrijker echter is dat Semprun zichniet beperkt tot het beschrijven van deafschuwelijke ervaring in het kamp, maar dathij eveneens uitgebreid aandacht besteedtaan het moeizame verwerkingsproces ervan.De onmogelijkheid van het getuigen is ookéén van Sempruns unieke thema’s.Verrassend is dat deze onmogelijkheid inzijn ogen niet alleen bij de getuige ligt, maarook - en vooral - bij de luisteraar die a pri-

ori over een ontoereikende «capacité d’é-coute» beschikt.

Samenvattend zouden we kunnen stellendat de specificiteit van Semprun voorna-melijk ligt in de bijzondere structuur diezijn werk karakteriseert. De voortdurendeovergangen maken zijn boeken tot een ver-rassende getuigenis, een getuigenis over ver-schillende werelden die naast elkaar bestaanen meer gelijkenissen vertonen dan op heteerste zicht verwacht wordt. Op die manierhoopt hij ook de getuigenis ook begrijpe-lijker te maken voor de luisteraar. Via deverhalen over het dehors, kan de luisteraarzich namelijk vastklampen aan aankno-pingspunten uit een universum dat hij kent,om het dedans beter te vatten. Bovendienvormen de onderbrekingen van het echtekampverhaal een soort van pauze voor deluisteraar, waardoor die even adem kan halenen zijn «capacité d’écoute» minder snel uit-geput raakt.

Het adequaat overbrengen van de concen-tratiekampervaring wordt hoe langer hoebelangrijker. De ‘laatste getuigen’ wordenhoe langer hoe zeldzamer en binnen enke-le jaren zal er zich een «passage de témoin»moeten voordoen. Wij hopen met deze ana-lyse van het werk van Semprun een impulste hebben gegeven tot een aandachtig enzorgzaam luisteren naar de getuigen.

BibliografieAVC zie SEMPRUN, J. 1998.

E/V zie SEMPRUN, J. 1994.

EVT zie SEMPRUN, J. 1967.

FSB zie SEMPRUN, J. 1993.

LGV zie SEMPRUN, J. 1963.

LMB zie SEMPRUN, J. 1986.

MQF zie SEMPRUN, J. 2001.

QBD zie SEMPRUN, J. 1980.

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J. SEMPRUN, L’évanouissement, Paris,Gallimard, 1967.

J. SEMPRUN, Quel beau dimanche !, Paris,Bernard Grasset, 1980.

J. SEMPRUN, Montand, la vie continue,Paris, Gallimard (coll. Folio Actuel, n° 5),1983.

J. SEMPRUN, La montagne blanche, Paris,Gallimard (coll. Folio n°1999), 1986.

J. SEMPRUN, Federico Sanchez vous saluebien, Paris, Bernard Grasset, 1993.

J. SEMPRUN, L’écriture ou la vie, Paris,Gallimard (coll. Folio n°2870), 1994.

J. SEMPRUN - E. WIESEL, Se taire estimpossible, Paris, Editions Mille et une nuits,1995.

J. SEMPRUN, Mal et Modernité: le tra-vail de l’histoire, Castelneau-le-lez, EditionsClimats, 1995.

J. SEMPRUN, Vous avez une tombe auxcreux des nuages..., Castelneau-le-lez,Editions Climats, 1995.

J. SEMPRUN, L’Algarabie, Paris, Gallimard(coll.Folio n° 2914), 1997, (19811).

J. SEMPRUN, Adieu, vive clarté..., Paris,Gallimard (coll. Folio n°3317), 1998.

J. SEMPRUN, Fin du siècle, début du mil-lénaire, Conférence Huizinga, 17/12/1999.(www.nrc.nl).

J. SEMPRUN, Le mort qu’il faut, Paris,Gallimard, 2001.

R. ANTELME, L’espèce humaine, Paris,Gallimard (coll. Tel, n° 26), 2000 (19471).

L. BREUIL, «Rencontre avec JorgeSemprun», in : Xpassion 20, 2001.

W. KAYZER, Nauwgezet en Wanhopig,VPRO televisievertelling in 4 delen, Publiek-Service VPRO, 1989.

A. PARRAU, Ecrire les camps, Paris, Belin(coll. Littérature et Politique), 1995.

D. POLLEFEYT, Voorbij afschuw en ver-schoning. Een antropologisch, wijsgerig enethisch onderzoek naar verschillende para-digmatische benaderingen van het kwaadvan Auschwitz als aanzet tot een ‘bevreem-dende’ theorie van het heilige,Doctoraatsthesis, Katholieke UniversiteitLeuven, Faculteit Godgeleerdheid, 1995.

T. TODOROV, Face à l’extrême, Paris,Editions du seuil (Coll. Points Essais n°295), 1994 (19911).

B. VERVAECK, «Niet met wapens maarmet woorden, G.L. Durlachers strijd tegenhet vergeten : ‘Verzameld Werk’», in : DeMorgen van 22/05/1997.

SynthèseEn tant qu’auteur, Jorge Semprun est surtoutconnu pour ses romans sur l’univers concen-trationnaire. En se basant sur les romansLe Grand Voyage (1963), Quel beaudimanche (1980), L’écriture ou la Vie (1994)et Le Mort qu’il faut (2001), MarjanVerplancke aborde l’oeuvre de Semprun enprivilégiant le thème du «dedans» et du«dehors», c’est-à-dire l’intérieur et l’exté-rieur au monde des camps. Relevant lesinteractions physiques, mentales et éthiquesqui apparaissent entre les deux, l’auteurtente de saisir toute la portée du vécu d’undéporté à Buchenwald. Vu la difficulté detémoigner, la forme littéraire ou artistiqueapparaît pour Semprun comme la meilleu-re manière de parler de son vécu concen-trationnaire. Par ses histoires du «dehors»Semprun tente d’apporter à ses lecteurs despoints de repère permettant de mieux saisirla réalité du monde du «dedans».

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Le 1er mai 2004, la Slovaquie est devenuemembre de l’Union Européenne. Si l’onregarde les cent dernières années de son his-toire d’Etat politique, celle-ci apparaît richeen changements. Jusqu’en 1918, la Slovaquieappartenait à l’Empire austro-hongrois entant que partie intégrante de la Hongrie.Jusqu’en 1938/39 elle faisait partie de laTchécoslovaquie (ou Tchéco-Slovaquie,comme on a appelé la DeuxièmeRépublique). Lorsqu’en mars 1939 fut impo-

sé à l’Ouest du pays le «Protectorat deBohême-Moravie», la Slovaquie devint unEtat indépendant. Après la défaite alleman-de, elle redevint une des parties de laTchécoslovaquie, puis de la RépubliqueSocialiste Tchécoslovaque, jusqu’à la«Révolution de velours» de 1989. Le 1er

janvier 1993 la séparation des Slovaques etdes Tchèques se fit de manière tout aussipacifique. Une fois l’indépendance acquise,les années où elle avait été un Etat, de 1939

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TATJANA TÖNSMEYER*Dr. en Histoire (Humboldt-Universität-Berlin)

Le nationalisme slovaque et sesrépercussions dans les relationsgermano-slovaques 1939-1945 **

* Défendue à la Humboldt-Universität de Berlin en 2003, la thèse de doctorat de Tatjana Tönsmeyer intitulée Das DritteReich und die Slowakei, 1939-1945. Politischer Alltag zwischen Kooperation und Eigensinn, synthétisée dans le cadrede la présente contribution, a été déposée pour concourir aux «Prix de la Fondation Auschwitz» 2002-2003. Ayantété tout particulièrement appréciée par les membres du jury, ceux-ci ont accordé à l’auteur le bénéfice de l’article 4du règlement permettant au Conseil d’Administration de la Fondation Auschwitz de lui allouer un subside pour lapoursuite de ses recherches. Le présent article en constitue le résultat.

** Nous tenons à remercier de tout coeur Madame Annette Gérard pour sa traduction de l’allemand du présentarticle.

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à 1945, ont souvent fait l’objet de contro-verses. Pour mieux comprendre cette pério-de, un regard en arrière est utile.

Au début du 19e siècle, les Slovaques firentl’objet, tout comme les autres minorités enHongrie, d’une intensification de la poli-tique de magyarisation mise en œuvre aprèsle compromis de 1867. Ce qu’on appelaitHaute-Hongrie fut particulièrement tou-chée par ces mesures ; en effet, son apparte-nance à la couronne de Saint-Etienne allaitde soi pour Budapest. L’enseignement dela langue maternelle était strictement limité1 ;de plus la majorité de la population étaitexclue de toute participation à la vie politiquesous le régime du vote censitaire, en 1910seulement 6 % avaient le droit de vote2.

Dans les années qui précèdent la PremièreGuerre mondiale, on constate une certainepolitisation, même si c’est le plus souventdans un contexte régional, sous forme decercles locaux et d’associations amicales. Il s’yexprimait un «nationalisme de libération»,l’aspiration des peuples de l’Est de l’Europecentrale à s’émanciper du contrôle des troispuissances impériales3. Dans ce sens le mou-vement national slovaque (qui prit plus tardla forme organisée de Parti du PeupleSlovaque et que nous appellerons PPS pourla suite du texte) voulait «empêcher la nationde périr».

Le moyen sûr d’y parvenir semblait êtred’obtenir l’autonomie. Des exigences en cesens figuraient à l’agenda politique du mou-vement national dès son organisation au 19e

siècle. Cela ne changea guère après la créa-tion de la Tchécoslovaquie4. En raison de lastructure étatique de la Première République,très centralisée suivant le modèle français, cesefforts étaient condamnés à l’échec. Ils seheurtaient à la constitution de l’Etat, autchécoslovaquisme qui en était la base, maisaussi à la répartition proportionnelle alle-mande-tchèque-slovaque5.

Sans doute le PPS en tant que force politiquela plus importante de Slovaquie représentaitune part non négligeable de la population etses échecs renouvelés engendraient la frus-tration, mais, vu de Prague, c’était un partirégional qui à l’échelle du pays ne réunissaitpas plus de 10 % des voix6. Ce nombre voi-lait le fait que le nationalisme du PPS et sesrevendications d’autonomie recélaient unpotentiel explosif pour l’Etat. S’il ne s’estpas déchargé, cela a tenu avant tout à ce queles ambitions de Berlin dépassaient de loincelles du nationalisme slovaque7.

Les nationalismes slovaques étaient pénétrésde la nécessité de préserver leur proprenation de la disparition. L’expérience his-torique de la politique hongroise de déslo-vaquisation leur avait inculqué un sens de lanation essentialiste. Dans leur esprit, la nationslovaque n’était pas seulement menacée del’extérieur par la magyarisation ou le tché-coslovaquisme, mais aussi de l’intérieur parla division en partis. Pour cette raison lePPS développa une relation essentielle ins-trumentale à la démocratie : la démocratiesignifiait pour lui la promotion des intérêtsd’une majorité slovaque, intérêts qu’il for-mulait lui-même, puisqu’il se considéraitcomme le seul représentant légitime de lanation. L’histoire de l’Etat slovaque montrequ’une structure étatique autoritaire cor-respond bien mieux à cette conception de lanation qu’une république parlementaire8.

D’autres traits antimodernes caractérisaientle programme idéologique du PPS. Dansle cadre de l’Etat autoritaire, il avait pourobjectif un modèle corporatiste de la socié-té. Son adversaire politique déclaré, il levoyait dans les mouvements de gauche,étant lui-même ancré dans un milieu catho-lique de paysans et de petits bourgeois, quivoyait dans la modernisation de l’Etat et dela société une menace pour son univers tra-ditionnel.

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C’était avant tout la minorité juive qui étaitexclue de la nation slovaque, conçue commeessentiellement catholique. L’opposition à laloi sur l’égalité des religions de 1896 avait déjàcontribué à la politisation du mouvementnational slovaque dans le cadre du PartiPopulaire hongrois, le Neppart, et était fré-quemment soutenue par des prêtres catho-liques ; ceux-ci devaient d’ailleurs jouer plustard un rôle important dans le PPS9.

A côté de stéréotypes marqués religieuse-ment, comme celui des Juifs déicides, quiappartiennent au répertoire de l’antijudaïs-me traditionnel, les Juifs étaient traités de«riches exploiteurs» qui extorquaient le der-nier argent au «pauvre paysan slovaquehonnête». Ce préjugé trouvait sa formeextrême dans l’affirmation que «les» Juifss’étaient approprié illégalement des pro-priétés slovaques. Déjà en 1906 il y avaitdes appels au boycott de magasins juifs10.Ces notions, qui sont de l’ordre d’une judéo-phobie traditionnelle, aboutirent chez lesdirigeants et les membres du PPS à la convic-tion qu’il y avait «une question juive», une«židovská otázka».

Les «réponses» à cette prétendue «ques-tion» se firent toujours plus radicales aucours des années ‘30. Le leader du PPS KarolSidor proposa ainsi en mars 1937 à une séan-ce de comité d’une commission parlemen-taire la déportation de la population juive deSlovaquie au Birobidjan. Peu après la fédé-ralisation du pays en janvier 1939 un«Comité juif» fut institué. Il proposa le 5mars 1939 un projet de «Loi juive» qui don-nait un avant-goût de ce qui adviendraitbientôt. Ce projet définissait qui était répu-té juif ou juive, fixait des règles de numerusclausus pour les universités, des restrictionsprofessionnelles, des prélèvements obliga-toires en faveur de l’Etat slovaque en casd’émigration11.

Le PPS, qui s’était fait connaître au temps dela Tchécoslovaquie avant tout comme le

champion des revendications d’autonomiede la Slovaquie et avait continuellementreprésenté la force politique la plus puis-sante dans l’Est de la République, avaitatteint son but politique à la fin des années‘30. Comme les accords de Munich avaientconsidérablement affaibli la Tchécoslovaquie,les autonomistes slovaques obtinrent débutoctobre 1938 par l’accord de Žilina la fédé-ralisation de l’Etat. Dans ‘la région auto-nome de Slovaquie’ ils organisèrent desélections régionales avec une liste unique,après avoir dissous les autres partis ou lesavoir obligés à fusionner avec le Parti duPeuple - qui s’intitula dorénavant «Parti del’Unité Nationale»12.

Pendant l’automne et l’hiver 1938 lescontacts entre politiciens slovaques et diri-geants du Troisième Reich s’intensifièrent. Ilest vrai que le président du PPS AndrejHlinka, un prêtre catholique, désapprou-vait la politique de Berlin à l’égard des égliseset voulait se distancier de la minorité alle-mande, dont le «Volksgruppenführer» (chefde groupe du peuple) Franz Karmasin ser-vait d’intermédiaire pour les contacts ger-mano-slovaques, car il tenait cette minoritépour «un cheval de Troie»13. Mais d’autresgroupes à l’intérieur du PPS voulaient pro-fiter de la faiblesse du gouvernement centralde Prague et favorisaient les contacts avecBerlin. C’est ainsi que Hermann Göringrencontra plusieurs fois Vojtech Tuka etFerdinand Ďurčanský14. Göring avait desraisons stratégiques et économiques de s’in-téresser aux autonomistes slovaques. Ilenvoya son délégué Wilhelm Keppler enSlovaquie pour étudier l’ouverture écono-mique du pays au Plan de quatre ans15.

Ces rencontres prirent de l’importancelorsque Hitler, qui ne se satisfaisait pas desconquêtes des accords de Munich, voulutdétruire «les restes de Tchéquie» et fairejouer aux séparatistes slovaques un rôle ana-logue à celui qu’avaient joué les Allemands

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des Sudètes. Ils devaient «démembrer» laTchécoslovaquie de l’intérieur16. Les mul-tiples contacts germano-slovaques firentcraindre au gouvernement central de Praguel’imminence d’une séparation de laSlovaquie, si bien qu’il destitua le gouver-nement régional slovaque dans la nuit du 9au 10 mars 1939. A Berlin on voulait exploi-ter la situation pour monter un coup d’Etat.Mais le pays resta pratiquement calme. Et, augrand dépit de Wilhelm Keppler, le négo-ciateur d’Hitler, le ministre-président adjointdestitué Karol Sidor refusa de faire appel à laprotection du Reich17. On chercha alorsfiévreusement à Berlin un autre interlocuteur,et le 13 mai 1939, le président du parti deHlinka Jozef Tiso se rendit dans la capitaledu Reich : Hitler et Ribbentrop firent com-prendre au politicien slovaque18 que l’Etatslovaque indépendant, c’était maintenantou jamais. Il fut proclamé le lendemain parle parlement régional à Bratislava.

Quelques jours plus tard le Traité de pro-tection et le Protocole confidentiel sur lacollaboration économique et financièreétaient signés19. La Slovaquie s’engageait às’aligner sur le Reich en matière de poli-tique étrangère et de défense et renonçaitdonc à d’importantes prérogatives dès lanaissance de l’Etat. En outre Berlin aurait lapossibilité d’orienter l’exploitation agricoleet forestière du pays ainsi que celle des res-sources du sous-sol, pourrait influencer l’in-dustrialisation et aurait un droit de regard surle budget de l’Etat. Ce sont surtout ces dis-positions qui ont fait croire aux décideurs deBerlin qu’ils pouvaient diriger le destin slo-vaque à leur gré et qui ont plus tard amenéles chercheurs à parler de la Slovaquiecomme d’un Etat satellite du Reich20.

En fait on dut bientôt reconnaître à Berlinqu’il pouvait y avoir un écart considérableentre le texte d’un traité et la réalité. Lors destraités ultérieurs entre les deux parties, lesnégociations traînèrent de façon fort déplai-

sante pour Berlin et sur certains points lesnégociateurs slovaques campèrent ferme-ment sur leurs positions. Ce fut particuliè-rement le cas à propos du Statut de zonede protection qui fut signé en août 1939. Ilassurait à Berlin la mainmise sur le matérielmilitaire et accordait à la Wehrmacht lesdroits souverains militaires dans une zonedéterminée de l’ouest de la Slovaquie. A cesdispositions était lié l’accord de l’Allemagnepour mettre sur pied une armée slovaque,que l’on concevait à Berlin de l’importanced’un corps de police21.

A Bratislava on gardait un souvenir précis dedeux événements d’un passé récent quiavaient ébranlé la confiance dans la «puis-sance protectrice» : l’arbitrage de Vienne22 etce qu’on appelait «la petite guerre»23. Dansles deux cas, le gouvernement de Bratislavas’était vu lâché par Berlin au bénéfice de laHongrie, l’ennemi qu’il redoutait le plus.En raison de cela, les négociateurs slovaquesmaintinrent leur exigence d’une arméepropre digne de ce nom et retardèrent ainsila signature de l’accord, ce qui causa unecertaine nervosité à Berlin, parce que l’ouestde la Slovaquie était nécessaire comme basepour l’invasion de la Pologne. Le Statut nefut signé que lorsque Hitler consentit auxSlovaques une armée de 125.000 hommes24.

Les négociations qui aboutirent à la signaturedu Traité d’économie de guerre traînèrentaussi en longueur. Après des mois de dis-cussion le gouvernement slovaque donnafin janvier 1940 son accord à un traité qui, encomplément du Protocole confidentiel, per-mettait l’expansion du capital allemand dansles secteurs de la banque et de l’industrielourde ainsi que dans l’industrie chimique etdans celle du bois. Il acceptait en outre uneréduction drastique des taxes à l’importa-tion25 et la comptabilisation de paiementsmilitaires sur des comptes intérimaires en sti-pulant que sur la demande de la Missionmilitaire allemande les montants virés

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devaient être versés immédiatement en liqui-de par la partie slovaque. Comme c’étaitsans paiement d’intérêts, cela signifiait que laSlovaquie accordait au Reich des créditsgratuits pour le financement de son écono-mie de guerre26.

Les négociations traînaient pour deux rai-sons. D’une part le Ministre de l’Intérieur etdes Affaires étrangères Ferdinand Ďurčanskýcherchait à défendre les intérêts slovaques -sans y réussir - et d’autre part la délégationslovaque tenait à ce que la forme27 des trai-tés présente la Slovaquie comme un Etat,sans doute allié du Reich, mais souverain.

Après la signature des traités, après l’assu-rance donnée par Hitler au chargé d’affairesslovaque Matus Czernak que l’attitude de laSlovaquie dans la guerre contre la Pologneavait assuré l’existence du pays28, il y eutun tournant dans les relations germano-slo-vaques, ce qu’on a appelé le Diktat deSalzbourg29, c’est à dire le remaniement dugouvernement slovaque du 28 juillet 1940imposé par le Reich. A côté de l’aspect depolitique intérieure, il avait une grande signi-fication pour la politique extérieure. Aprèsles victoires à l’Ouest, le moment semblaitvenu à Hitler d’attacher le bassin du Danubeplus étroitement au Reich. Dans cette pers-pective il n’y eut pas seulement des entretiensavec des hommes politiques slovaques ; peuavant, Hitler et Ribbentrop avaient été enpourparlers avec des hommes d’Etat rou-mains et bulgares et déjà le 10 juillet unedélégation hongroise s’était rendue enAllemagne30.

Le Diktat de Salzbourg signifiait l’entréeau gouvernement de personnes plus favo-rables à l’Allemagne : Vojtech Tuka, qui étaitdéjà en relation avec le Reich avant mars1939, devint Ministre-Président et Ministredes Affaires étrangères, Alexander Mach,Ministre de l’Intérieur et commandant enchef de la Garde-Hlinka. Un nouvelambassadeur, le SA-Obergruppenführer

(Lieutenant-Général) Manfred von Killingerremplaça Hans Bernard, et des conseillersrenforcèrent le personnel de l’ambassade31.Ils arrivèrent l’un après l’autre dès août 1940avec la «mission d’assurer l’orientation detous les facteurs de la vie politique, de l’Etatet de la société slovaques dans l’intérêt duReich»32.

Le Troisième Reich poursuivait différentsobjectifs en Slovaquie : la démonstration àdes fins de propagande à l’étranger de l’en-tente avec un Etat à population slave ainsique des buts militaires et économiques, lamise au pas de la société slovaque et l’in-corporation des Juifs slovaques dans lesmesures de persécution. Il les atteignit dedifférentes manières, et, comme on verra,l’empressement slovaque à y collaborer aété un des éléments déterminants.

Les intérêts économiques, c’est à dire l’uti-lisation du potentiel économique slovaquepour l’armement allemand, avaient été dès ledébut à l’ordre du jour allemand. Le«Protocole confidentiel sur la collaborationéconomique et financière» et le Traité surl’économie de guerre, remplacé en juillet1943 par la Commission Allemande del’Industrie33, représentaient un cadre insti-tutionnel qui offrait au Reich de vastes pos-sibilités d’action.

Les conseillers économiques avaient pourtâche de veiller à ce que ces possibilités soientexploitées. C’étaient le conseiller pour l’éco-nomie du peuple slovaque Erich Gebert, leconseiller pour l’agriculture Hans Hamscha,le conseiller pour l’exploitation forestièreFranz Wechselberger et son équipe, ainsique les conseillers de la Banque NationaleSlovaque34. Ces derniers étaient les seuls àavoir un statut légal fixé par le «Protocoleconfidentiel». Les autres n’étaient pas offi-ciellement habilités à donner des ordres35.

Gebert, Hamscha et Wechselberger étaientattachés au Ministre de l’Economie GejzaMedrický, avec des fortunes diverses. Les

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facteurs structurels entravaient considéra-blement l’exploitation de l’agriculture slo-vaque : comme la région fertile de laSlovaquie du sud avait été cédée à la Hongriepar le Premier Arbitrage de Vienne, ce quirestait comme domaines agricoles, c’étaientpour la plupart de petites exploitations fami-liales de moins de cinq hectares, pauvre-ment équipées et sans ressources financières,qui produisaient juste assez pour la subsis-tance des fermiers36. Produire davantagepour ravitailler l’Allemagne aurait nécessitéau préalable une réforme agraire. Le Bureauagraire SS de Prague, qui voulait à l’origineenvoyer un conseiller en Slovaquie, l’avaitenvisagée, mais les Affaires étrangères et laDirection de l’Alimentation l’avaient devan-cé en envoyant Hamscha37. Hamscha fitbien des propositions en ce sens au gou-vernement slovaque, mais ne réussit pas à lesimposer, car le gouvernement ne tenait pasà indisposer sa clientèle en mettant en ques-tion les statuts de propriété38.

Le conseiller pour l’exploitation forestière,Franz Wechselberger, bénéficiait de condi-tions plus favorables. De grandes parties duterritoire slovaque étaient couvertes de forêtsqui appartenaient à quelques propriétaires,parmi lesquels l’Etat slovaque lui-même39.Mais ici aussi il apparut des problèmes. Unecommission constata en août 1943 : «Lesdimensions et l’éloignement des forêts, leniveau de production de bois par rapport à lapopulation, le manque de chemins et les dif-ficultés qui en résultent pour l’achemine-ment d’un matériel médiocre sont lesprincipales causes du fait que l’aménage-ment des forêts en est à son début»40. Lespoliticiens slovaques n’étaient pas prêts àconsentir à des coupes sauvages sur unegrande échelle, car ils voyaient dans le boisla véritable richesse de leur pays. Du côtéallemand il n’y avait aucun intérêt pour l’en-tretien des forêts slovaques, le transport desarbres abattus s’avérait difficile ; aussi la

Slovaquie ne pouvait satisfaire complète-ment aux exigences allemandes. Néanmoinsles fournitures furent considérables : le boisreprésentait 20 à 25 % des exportations slo-vaques, dont 80 % allait vers l’Allemagne41.

Le conseiller économique Dr. Erich Gebertjoua aussi un rôle important. On disait de luiqu’il était «un des rares économistes qui sontavant tout aussi national-socialistes»42. Ceciapparut dans son insistance à exclure les Juifsde la vie économique43. Aucune entreprise nepouvait être établie en Slovaquie sans sonaccord. Pour le donner il voyait en premierlieu si cette entreprise ne risquait pas deconcurrencer une entreprise allemande ouune du «Protectorat». Ainsi il répondit néga-tivement à une demande relative à la pro-duction de faucilles et de faux en donnantcomme justification que la Slovaquie «estun des rares débouchés où une industrienationale n’a pas encore représenté un obs-tacle»44. Le conseiller estimait en été 1944que le pays «est un fournisseur de bonnevolonté» et admettait que «des régions avec unplus grand potentiel économique ont beaucoupmoins contribué en biens matériels à la réali-sation de nos objectifs de guerre»45.

Dans d’autres domaines les ministres slo-vaques et leur administration étaient moinsdisposés à coopérer46. Il en était toujoursainsi quand les conseillers allemands cher-chaient à influencer l’organisation de lasociété slovaque47, comme cela apparaît par-ticulièrement dans le cas du conseiller pourle Parti de Hlinka, Hans Pehm. Comme lesconseillers économiques, Pehm était adjointà Gejza Medrický, qui était non seulementMinistre de l’Economie mais Secrétaire géné-ral du Parti Populaire Slovaque Hlinka(PPSH). Alors que Medrický ordonnait aupersonnel de son ministère d’informer lesconseillers48, il en allait tout autrement lors-qu’il s’agissait de Pehm, comme le montre unincident où il refusa de communiquer desactes du secrétariat du Parti49. Pehm n’était

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pas tenu au courant des réunions impor-tantes du Parti ; il réussit une fois à s’y intro-duire, mais dut constater qu’on le tenaitsystématiquement à l’écart des discussions :les collaborateurs du secrétaire général lui fai-saient la conversation pendant que les autress’excusaient l’un après l’autre50.

Son seul entretien avec le président du Parti,le Président Tiso, fut aussi un échec. Pehmvoulait persuader Tiso que l’organisationcorporatiste de la société souhaitée par lePPSH signifiait «la désagrégation de l’en-semble du peuple et son clivage en corpo-rations c’est-à-dire en classes» et que de ce fait«la communauté du peuple n’aboutirajamais». A quoi Tiso répondit que «la forcede la religion et du sentiment national ren-dait un tel clivage impossible»51. En février1941 le conseiller informa les Affaires étran-gères qu’il tentait d’affaiblir le PPSH enopposant ses dirigeants l’un à l’autre, tout endemandant de ne pas compter sur des rap-ports réguliers, car «son activité consistait àconstater des faits»52. Comme on finit parreconnaître à Berlin que Pehm n’obtenaitaucun résultat, on le nomma en novembre1942 conseiller de la Compagnie de naviga-tion à vapeur du Danube, et début 1944 ilquitta le pays53.

La Garde Hlinka (GH) était loin de comp-ter autant de membres que le PPSH54, c’étaitnéanmoins, en tant que formation parami-litaire du Parti une des organisations demasse slovaques. Les Allemands voyaient enelle le groupe censé être idéologiquement leplus proche, et donc avec lequel «une colla-boration empreinte de camaraderie» étaitfacile à établir55. On espérait à Berlin que l’ac-tion du conseiller affaiblirait l’élément catho-lique du PPSH.

Cela alla si loin qu’au tournant des années1940/41 il y eut des rumeurs de putschcontre le Président Tiso. Comme il étaitévident que l’ambassadeur et le conseillerpour la Garde, SS-Obersturmbannführer

(Lieutenant-Colonel) Victor Nageler, étaientimpliqués dans les préparatifs, von Killingerfut muté en Roumanie56. Le gouvernementslovaque ne put obtenir le rappel de Nageler,si bien que Tiso s’arrangea pour affaiblir laGH, afin de retirer au conseiller la base pourses menées.

Après différents changements de statut ainsiqu’un remplacement à la tête de la garde -Tiso désigna en tant que commandant de laGH son fidèle Karol Danihel57 -, le campclérical avait triomphé de la Garde à l’au-tomne 1943. Affaiblie en tant qu’institutionet avec un nombre de membres fortementdiminué, la Garde avait pourtant assez deconsistance pour jouer un rôle central dansla poursuite des Juifs slovaques58, dans leurrassemblement dans des camps de travailslovaques et dans leur déportation ; elle ser-vit aussi d’auxiliaire aux troupes allemandespour écraser le soulèvement national59.

Plusieurs conseillers furent à différentesreprises impliqués dans la persécution desJuifs, comme on l’a vu à propos du conseilleréconomique. En tant que conseiller de laGarde, Nageler prit une part décisive à larédaction du «Code juif (Judenkodex)».Cette loi entra en vigueur en septembre1941 et donna une base raciale à la législationantijuive60.

Le «conseiller pour les Juifs» en titre était leSS-Hauptsturmführer (Capitaine) DieterWisliceny, un collaborateur d’AdolfEichmann. Il entra en fonction à Bratislavale 1er septembre 194061, après avoir dirigé labranche de Gnesen de l’ «Office pour laréinstallation des Polonais et des Juifs»62.A Bratislava il commença par systématiserla législation antisémite de l’état slovaquequi avait commencé à se mettre en placedès le 14 mars, notamment pour poursuivrel’expropriation des biens juifs dans le cadrede l’aryanisation63.

En juillet 1941, il accompagna une com-mission slovaque en Haute-Silésie orienta-

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le pour visiter des installations de travailobligatoire dirigées par le responsable(Gaubeauftragter) de la mise au travail desnon-Allemands, le SS-Oberführer (Colonel)Schmelt64. L’intérêt des Allemands venaitde l’important besoin de main d’oeuvre del’administration des autoroutes. Celle-ciavait déjà informé le 18 juin 1941 qu’ellesouhaitait «remplacer d’urgence les 500 Juifsemployés sur les chantiers du Warthegau»65,dont les rendements étaient insuffisants, etdans ce but, elle avait pris contact avec les ins-tances slovaques. Bien que deux membres dela délégation aient estimé à leur retour que lesconditions de travail signifiaient «une mortdifférée»66, dès mars 1942, des transportsfurent expédiés de Slovaquie «en vue d’unemise au travail à l’Est». Wilsliceny organi-sait, les Slovaques (GH, police, chemins defer), exécutaient67.

Les instances slovaques ne se bornèrent dureste pas à exécuter les décisions deWilsliceny. La décision de déporter desfamilles entières et d’abaisser l’âge d’apti-tude au travail de 18 à 16 ans fut une initia-tive slovaque68. En 1942 près de 60.000 Juifsfurent déportés de Slovaquie, ils moururentpresque tous dans les camps allemands.

La façon dont les Juifs slovaques furent jetésdans l’Holocauste est un exemple de ce queles relations germano-slovaques étaient pres-qu’exclusivement caractérisées par la coopé-ration et non par des oppositions de principe.Ceci peut être vérifié en examinant l’activi-té des conseillers. Comme ils n’étaient pashabilités à donner des ordres, ils devaienttrouver des partenaires dans les ministères etles administrations. Or ceux-ci apparais-sent non comme des marionnettes, maiscomme des acteurs performants.Evidemment, leur marge de manoeuvre étaitdifférente suivant les domaines. Même dansles questions économiques et militaires, oùles traités comme l’état de guerre limitaientles possibilités d’action, l’élite slovaque

coopérait, comme il lui paraissait aller desoi pour un allié souverain, mais d’un autrecôté elle se ménageait des espaces auto-nomes par des manoeuvres habiles, des soi-disant pertes de documents et quantitésd’autres astuces69.

Cette stratégie leur réussit particulièrementà l’égard des conseillers pour les organisa-tions de masse. Ceux-ci échouèrent parcequ’ils n’avaient pas grand chose à opposer àla résistance, généralement masquée, desSlovaques à la transformation du PPSH surle modèle du NSDAP. Non seulement ilsn’avaient pas le pouvoir de diriger mais ilsn’étaient pas préparé à des divergences d’in-térêt et avaient d’autant moins prise sur lesréactions slovaques qu’ils rencontraient unvéritable intérêt chez leurs homologues àBratislava.

L’élite slovaque se rendait compte en effetqu’il ne suffisait pas de se séparer desTchèques pour construire un Etat, et qu’ilsdisposaient de bien peu d’experts. Justementdans le domaine économique, d’anciens«Tchécoslovaques» avaient des postes impor-tants ; c’est pourquoi les Slovaques étaientouverts par principe aux conseils desAllemands dans la mesure où ils contri-buaient à consolider l’Etat. Mais il en allaittout autrement lorsqu’il s’agissait de l’or-ganisation de la société. Dès le 19e siècle etle début d’un mouvement national, le PPSHet ses précurseurs s’étaient posés en défen-seurs et conservateurs de la nation slovaque.Dans leur esprit nation et parti ne faisaientqu’un70, de là aussi le nom de Parti de l’uni-té nationale dès 1938. Dans le parti et dansses ramifications on ne pouvait tolérer d’in-fluence étrangère et on s’opposa avec succèsaux conseillers du parti, ainsi qu’à ceux desorganisations de jeunesse et du service du tra-vail. Ceux-ci furent finalement rappelés [parles nazis]. Le conseiller pour la propagandedut bientôt se limiter à une coopérationtechnique, et la Garde fut considérablement

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réduite pour priver le conseiller de son«champ d’opération».

Nous pouvons donc conclure : l’empres-sement slovaque à coopérer s’enracinaitdans la conviction de l’élite du PPSH queson devoir était de construire l’Etat et depréserver la société d’influences extérieures.Leur vision du monde était profondémentnationaliste et impliquait l’exclusion de lapopulation juive de la nation slovaque, dontle PPSH se considérait le porte-parole.

SyntheseDit artikel behandelt de controversiële ges-chiedenis van Slowakije en dan meer bepaaldvan het Slowaakse nationalisme en zijnweerslag op de Duits-Slowaakse betrek-kingen tussen 1939 en 1945. Sinds het beginvan de XXe eeuw hebben verschillendeomwentelingen Slowakije dooreen geschud.Het land behoorde toe aan het Oostenrijkse-Hongaarse rijk vóór 1918, maakte vervol-gens tot 1938/1939 deel uit vanTsjecho-Slowakije en werd in maart 1939 eenonafhankelijke staat. Na de Duitse nederlaagwerd het opgenomen in de Tsjecho-

Slowaakse republiek en dit tot 1993, hetjaar waarin Slowaken en Tsjechen op vreed-zame wijze uit mekaar zijn gegaan. Sindsdienmaken de jaren 1939-1945 het onderwerp uitvan een hele controverse. De collaboratiemet het Derde Rijk, voornamelijk dan inhet kader van het «Vertrouwelijk protocolvan economische en financiële samenwer-king», liet aan de nazi’s toe verschillendemilitaire en economische objectieven na testreven en er de antisemitische wetgevingvan de Slowaakse staat te systematiseren,onder meer door de interventie van hunraadsman voor de joden, de SS-Hauptsturm-führer Dieter Wislicency, een medewerkervan Adolf Eichmann.

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Notes1 Joachim VON PUTTKAMER, Schulalltag und nationale Integration in Ungarn. Slowaken, Rumänen une

Siebenbürger Sachsen in der Auseinandersetzung mit der ungarischen Staatsidee, 1867-1914, Munich, 2003.2 Sur l’évolution du mouvement national slovaque, voir Ludwig von GOGOLÁK, Beiträge zur Geschichte des

slowakischen Volkes, Munich, 1972, Tome 3.3 Sur le rôle de l’Empire russe et les revendications de libération nationale et sociale dans le centre et l’Est de l’Europe

voir Klaus ZERNACK, Osteuropa. Eine Einführung in seine Geschichte, Munich, 1977, pp. 74 ss.4 Il y eut beaucoup de revendications slovaques d’autonomie. Telles que l’Accord de Pittsburgh, la tentative de

Hlinka de présenter «la cause slovaque» aux négociations de paix après la Première Guerre mondiale (le gouvernementtchécoslovaque l’en empêcha sous de douteux prétextes consulaires). Dans les années 1920 et 1930 le PPS déposaplusieurs projets de loi au Parlement et organisa des manifestations de masse. Voir James Ramon FELAK, «At thePrice of the Republic» - Hlinka’s Slovak People’s Party, 1929-1938, Pittsburgh/Londres, 1994.

5 Si les Slovaques avaient obtenu des mesures d’autonomie, on n’aurait pu les refuser à la minorité allemande bien plusnombreuse.

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6 Felak, op. cit.7 Il faudrait aussi mentionner que ce danger n’était pas reconnu à Prague, où l’on s’en tenait sans réserve au

tchécoslovaquisme et où l’on voyait à juste titre le grand danger pour l’intégrité de l’Etat chez les Sudètes.8 Sur l’idéologie du PPS voir Jeshajahu A. JELINEK, The Parish Republic, Hlinka’s Slovak People’s Party 1939-1945,

New York, Londres, 1976.9 Une partie du clergé catholique a fait pression sur la population en menaçant lors des élections de 1896 de refuser les

sacrements à ceux qui voteraient pour le «mauvais» parti. Livia ROTHKIRCHEN, «Slovakia I : 1848-1918». TheJews of Czechoslovakia. Historical studies and Surveys, ed. Avigdor Dagan, Philadelphie 1968, Tome I, pp. 73-77, 77ss.Sur l’histoire des débuts du parti, voir aussi M. PODRIMAVSKÝ, «Slovenska l’udová strana» [Le Parti Populaireslovaque], in : L’ubomir Lipták. Politiske strany na Slovensku 1860-1989 [Les Partis politiques en Slovaquie 1860-1989],Bratislava, 1992, pp. 90-93.

10 Rothkirchen, op. cit., p. 78.11 Ladislav LIPSCHER, Die Juden im Slowakischen Staat 1939-1945, Munich, Vienne, 1980, p.15, pp. 25 ss.12 Jörg K. HOENSCH, Die Slowakei und Hitlers Ostpolitik. Hlinkas Slowakische Volkspartei zwischen Autonomie

und Separation 1938/39, Cologne/Graz, 1965, pp. 98-115. Le parti avait alors ajouté le nom de Hlinka à sadénomination pour honorer son leader mort.

13 Hlinka mourut en août 1938.14 Entretien de Göring avec Ďurčanský les 12.10.1938 (où Adolf Eichmann était aussi présent) et 16 (ou 17).10.1938,

Akten zur deutschen Aussenpolittik (ADAP), D, IV, 68 et le 11.11-1938. D’après Hoensch, (op. cit., p. 150/6),l’interlocuteur de Göring était le 11.11.1938 Tuka. Le 7.3.1939, les deux étaient présents (ibid., p. 247). Voir aussi JohannKAISER, Die Politik des Dritten Reiches gegenüber der Slowakei 1939-1945. Ein Beitrag zur Erforschung dernationalsozialistischen Satellitenpolitik in Südosteuropa, Bochum, 1969, p. 46.

15 Les Allemands s’intéressaient avant tout aux gisements de manganèse, d’antimoine et de magnésite. Voir Hoensch,op. cit., pp. 190, 215, 223 et Kaiser, op. cit., p. 37. La plupart des entreprises d’industrie lourde ont été absorbées dansla suite par les Hermann-Göring-Werke. Kaiser, op. cit., pp. 238-242 et Hans DRESS, Slowakei und fachistischeNeuordnung Europas 1939-1941, Berlin Est, 1972, p. 95ss. De plus Kepler transmettait à Tuka, qui était à Vienne,en fin février 1939, le modèle du contrat de protection. Voir Hoensch, op. cit., p. 226.

16 Hoensch, op. cit., p. 227.17 Ibid., pp. 227ss.18 Discours d’Hitler à Tiso : ADAP, D, IV, 202.19 Dokumente zur Autonomiepolitik der Slowakischen Volkspartei Hlinkas, éd. Jörg K. Hoensch, Munich/Vienne,

1984, Dok. 59.20 Cf. e.a. Ivan KAMENEC, Slovenský stát, Prague, 1992 ; Martin Broszat, «Deutschland - Ungarn - Rumänien.

Entwicklung und Grundfaktoren nationalsozialistischer Hegemonial- und Bündnispolitik 1938-1941» dans HZ206/1968, ou Kaiser, dont le sous-titre se réfère à la «politique national-socialiste de satellites».

21 ADAP, D, VI, Dok. 117, 206, 554, 611, 667, 696, 747, 758.22 L’arbitrage des «puissances de l’axe» eut lieu le 2.11.1938, il signifiait pour la Slovaquie la perte d’environ un

cinquième du territoire et d’un quart de la population, Hoensch, op. cit., p.123.23 Le 23 mars 1939, la Honved hongroise entra en Slovaquie. A Berlin on réagit seulement quand les troupes slovaques

opposèrent une résistance inattendue. Cf Malá VOJNA, Vojenský konflikt medzi Mad’arskom a Slovenskom v marci1939 [La petite Guerre - Le conflit militaire entre la Hongrie et la Slovaquie en mars 1939], Bratislava, 1993, et LadislavDEÁK, Hra o Slovensko, [Le jeu autour de la Slovaquie], Bratislava, 1991.

24 Les Allemands voulaient d’abord une armée slovaque limitée à 50.000 hommes. Les Slovaques en voulaient 150.000.Les Allemands proposèrent un compromis de 75.000, que les Slovaques repoussèrent. Sur quoi, Hitler leur accorda125.000 hommes avec un armement sur le modèle de celui de l’armée allemande. Hoensch pp. 328ss. Ces effectifsne furent jamais atteints. Peu avant l’invasion de l’Union Soviétique, l’armée slovaque comptait à peine 28.000 hommessous les armes. Le manque flagrant d’officiers interdisait d’en avoir davantage.

25 Kaiser, op. cit., pp. 233-245. Cf aussi DRESS, op. cit., pp. 91-100 et Adela HORNOVÁ, «Exploatácia Slovenskahitlerovským Nemeckom za druhej svetovej vojny» in : Nemecka otázka a Československo (1938-1961) [L’exploitationde la Slovaquie par l’Allemagne de Hitler durant la Seconde Guerre mondiale», in : La question allemande et laTchécoslovaquie], éd. L’udovít Holotík et autres, Bratislava, 1962. Pour les taxes à l’importation, voir Kaiser, op. cit.,p. 222.

26 Ibid. p. 230.

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27 Communication du Service des relations extérieures de l’ambassade d’Allemagne à Bratislava du 22.9.1939 ausujet des négociations du Traité d’économie de guerre : le texte «est modifié dans sa forme, mais à peine dans soncontenu». Kaiser, op. cit., p. 209.

28 L’entretien entre Hitler et Černák eut lieu le 21.10.1939 à Berlin.29 Sur le diktat de Salzbourg, cf. «L’ubomir Lipták, Prípava a priebeh salzbursk_ch rokovani roku 1940 med’zi

predstavitel’mi Nemecka a Slovenského štátu», in : Historický Časopis 13/1965.30 ADAP, D, X, Dok. 146, 233, 234, 244, 245.31 Sur les antécédents de son envoi cf. Tatjana TÖNSMEYER, Das Dritte Reich und die Slowakei 1939-1945,

Paderborn, 2003, pp. 64-68.32 Kaiser, op. cit., p.358.33 La Commission allemande pour l’industrie, subordonnée au Ministère de l’Armement, avait pour tâche «d’exploiter

systématiquement et au maximum» le potentiel slovaque. Kaiser, op. cit., p. 504.34 Le conseiller de la BNS était Richard Buzzi, directeur de la Centrale de la Reichsbank à Vienne, son représentant

permanent à Bratislava était Rudolf Hartmann. Archives fédérales R43 II/1491, 21-26.35 Hoensch, Dok. 59.36 Tönsmeyer, op. cit., p. 213.37 PA AA : R98886.38 Arch. féd. R 70 SL/128, 17.39 Samuel CAMBEL, Slovenská dedina 1939-45 [Le village slovaque (1939-1945)], Bratislava, 1996, pp. 81-84.40 Rapport d’un voyage d’études du 2 au 9.8.1943. Archives nationales slovaques : MH 63. Le coût du transport du bois,

relativement peu accessible, était trop élevé pour une exploitation intensive. Toutefois la moyenne des abattages de1940 à 1944 a été de 18 % supérieure à celle de 1939.

41 Tönsmeyer, op. cit., p. 235.42 PA AA Légation de Presbourg, Pers. P 1 ; vol.1.43 Tönsmeyer, op. cit., p.199.44 Gebert à Riedler/ Ministère de l’Economie, 13.5.1941 ; ANS, MH 72.45 Rapport mensuel mars 1944 de Gebert, Arch. Féd. : R 70 SL/195.46 Dans le domaine de l’économie, dans la mesure du possible ils n’informaient pas le conseiller, truquaient les

statistiques, égaraient éventuellement un document, cherchant ainsi, fût-ce dans des broutilles à se soustraire auxexigences constantes d’une contribution accrue à l’économie de guerre allemande.

47 Il y avait des conseillers pour le PPSH, son organisation de jeunesse, le Service du travail, l’Office de la propagande.Nous ne parlons que du conseiller pour le Parti, à titre d’exemple.

48 Directive novembre 1940 ANS, MH 71.49 Pehm, qui ne parlait pas slovaque, voulait emporter des documents du PPSH chez lui. Ce qu’on lui refusa, en lui faisant

remarquer que le NSDAP n’autoriserait pas pareille chose. Gejza Medrický, Minister spomina [Un Ministre se souvient],Bratislava 1193, 115ss.

50 Pehm, 24.2.41, Arch. féd. R 70 Sl./48.51 Pehm, 31.1.41, ibid.52 Pehm, 6.2.41, ibid.53 PA AA : Légation Presbourg, Conseillers personnels, Paket Nr 1-19, vol. 2.54 En juin 1939 la GH comptait environ 100.000 membres, en 1942 il en restait une bonne moitié. Fin 1943, le

nombre de gardistes actifs était tombé à 150. Yeshajahu A. JELINEK, «Storm-troopers in Slovakia. The Rodobranaand the Hlinka-Guard», in : Journal of Contemporary History, 6/1971, p. 104. La tendance dans le PPSH étaitexactement inverse : de 50.000 membres en 1937, ils étaient passés à 300.000 en 1943. Kamenec, p. 30.

55 Ambassade d’Allemagne à AA, 22.5.1940. PA AA : R 27496, 341511.56 Kaiser, op. cit., p. 458ss.57 Sur la lutte pour le pouvoir dans la Garde, cf. Tönsmeyer, op. cit., pp. 180-187.58 Kaiser, op. cit., p. 579. Kamenec p. 77.

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59 TÖNSMEYER, «Die Einsatzgruppe H in der Slowakei», in : Finis mundi - Endzeiten und Weltenden im östlichenEuropa. Festschrift für Hans Lemberg zum 65. Geburtstag, éd. Joachim Hössler et Wofgang Kessler, Stuttgart, 1998,pp. 167-188.

60 Kaiser, op. cit., p. 568.

61 Raul Hilberg, Die Vernichtung der europäischen Juden, Francfort sur Main 1990, vol. 2, p. 768.

62 Götz Aly, «Endlösung», Völkerverschiebung und der Mord an den europäischen Juden, Francfort sur Main 1998,p. 126.

63 Sur le vol des biens juifs en Hongrie, Roumanie et Slovaquie : ««Arisierung» und Rückerstattung des jüdischenEigentums in Europa» ; éd. Constantin Goschler et Philip Ther, Francfort sur Main 2003, pp. 73-91.

64 Sur les camps pour la construction d’autoroutes et principalement ceux de l’«Organisation Schmelt», voir WolfGRUNER, Juden bauen die «Strassen des Führers», in : Zwangsarbeit und Zwangsarbeitslager für nichtdeutscheJuden im Altreich 1940 bis 1943/44, pp. 789-808.

65 Aly, op. cit., p. 289.

66 Déclaration d’un ex-membre du «Groupe de travail» du «Conseil juif» slovaque, Andrej Steiner, au procès de Tukale 1.4.1946 à propos de la visite d’une délégation slovaque en Haute Silésie orientale. Steiner cite les délégués quirapportent que les conditions de travail sont telles que les faibles survivent quelques mois, les forts, une année. ANSNS 101.

67 Tönsmeyer, op. cit., pp. 148-151 et pp. 157 ss.

68 Tribunal de Nuremberg, interrogatoire de Wisliceny, 6/7.5.1946.

69 Au début du printemps 1940, le conseiller compétent rédige un projet de loi pour les services de propagandeslovaques, qu’il considère comme définitif ; les Slovaques y apportent des modifications, le conseiller envoie un rapportindigné à Berlin. PA AA, R 101345, D-58833-236.

70 En 1943 Tiso décrit ainsi la relation entre parti et nation : «Le parti est la nation et la nation est le parti. La nation parleà travers le parti, le parti pense pour la nation. Ce qui nuit à la nation, le parti l’interdit et le stigmatise... Le parti nese trompe jamais, s’il garde toujours présent le souci de l’intérêt de la nation», Ivan KAMENEC, Dr Joszef Tiso, 1887-1947. Tragedia politika, kňaza a človeka [Dr. Josef Tiso, 1887-1947. Tragédie d’un homme politique, d’un prêtre etd’un être humain], Bratislava, 1998, pp. 76 ss.

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Avant-propos

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,le judaïsme anversois vit avec la mémoire dela déportation des habitants juifs de la ville,dont une grande partie fut arrêtée par lapolice locale.

La responsabilité de ces arrestations n’ajamais fait l’objet d’une enquête et, suite àune désinformation qui dure depuis plus

d’un demi-siècle, on a prétendu que lebourgmestre d’alors, Monsieur LéonDelwaide, aurait comparu en jugement et étéacquitté. Une certaine presse juive anver-soise continue même, contre toute logique,de défendre à ce jour ce bourgmestre deguerre.

Les agents de police impliqués ont en majo-rité obéis aveuglément aux ordres de leurssupérieurs, la plupart ne se doutant proba-

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SYLVAIN BRACHFELD*

Journaliste et auteur

La collaboration de la policeanversoise aux arrestations desJuifs de la ville en 1942, sousl’occupation allemande de laBelgique**

YZKOR - IN MEMORIAM

à tous les hommes, femmes, enfants, bébéset vieillards qui ont été envoyés à la mortsuite aux rafles opérées à Anvers.

* Journaliste et auteur anversois résidant en Israël, qui a publié de nombreux ouvrages. Ancien collaborateur auVolksgazet, à l’Agence Belga, à la Grote Nederlandse Larousse Encyclopedie, au De Nieuwe Gazet (1982-1993), auBelgisch Israelietisch Weekblad (1974-2000) ; à la revue De Centrale d’Anvers, membre du Consistoire Central Israélitede Belgique (1972-1974), fondateur de l’Institut de Recherche sur le Judaïsme Belge (1987), fondateur-directeur duAntwerps Joods Historisch Archief, membre de la Commission pour la Reconnaissance des Justes, de Yad Vashem(1990-1999), fondateur et coordinateur de l’Association des Enfants Cachés en Belgique-Israël (1991-2001),fondateur et président d’honneur de l’ Association des Originaires de Belgique en Israël- OBI.

** Cet article constitue la version revue et augmentée de celle publiée en néerlandais dans le n°84 du Bulletin trimestrielde la Fondation Auschwitz (juillet-septembre 2004).

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blement pas de la portée de leur acte, bienque certains ont mis un zèle et une brutali-té dans l’accomplissement des arrestations.Il y a eu un essai très louable de la part de cer-tains policiers conscients et patriotes, d’aver-tir les Juifs de la rafle du 27 août 1942.

Ce n’est qu’avec la parution du livre deLieven Saerens : «Vreemdelingen in eenWereldstad, een geschiedenis van Antwerpenen haar joodse gemeenschap 1880-1944»,Lannoo, Tielt 2000, (Etrangers dans uneville mondiale, l’histoire d’Anvers et sa com-munauté juive 1880-1944) basé sur unerecherche minutieuse et sur des documentsde l’époque, que la vérité et les faits ontenfin vu le jour1.

La police anversoise a tenu à présenter sa ver-sion des faits dans un livre paru en 20042. Cetouvrage ne fait que confirmer les faits, maischerche à minimiser la responsabilité duchef de la police ; tout en confirmant que lajustice ne s’est pas penchée après la guerre surle rôle du bourgmestre, ni du Commissaireprincipal De Potter.

Avec la parution en septembre de cetteannée, du rapport intermédiaire du CEGES(Centre d’Etudes et de DocumentationGuerre et Sociétés contemporaines), sur«Les autorités belges, la persécution et ladéportation des Juifs», beaucoup de nou-veaux détails ont été révélés, dont nousallons essayer de résumer quelques extraits.Nous espérons que le rapport final rempli-ra les nombreuses lacunes.

***

Souviens-toi de ce que te fit Amalek(Deutéronome 25 :17)

Dans le judaïsme «se souvenir» est un impé-ratif. Un peuple n’a pas d’histoire s’il ne sesouvient pas de son passé. Il est interditd’oublier, car chacun de nous représenteceux qui ont vécu, chacun de nous porteen son cœur et en sa mémoire le bien et lemal qui nous ont été faits dans le passé.

La situation en Belgiquejusqu’aux arrestations et

aux déportations

Au mois de mai 1940, quand les Allemandsenvahirent la Belgique, la communauté juivedu pays comptait entre 60.000 et 80.000personnes3. Environ 94% des Juifs enBelgique ne possédaient pas la nationalitébelge. Parmi eux se trouvaient de nombreuxréfugiés d’Allemagne et d’Autriche ayantfui leurs pays avec la montée du nazisme.

Les jours suivant l’invasion du 10 mai, prèsde deux millions de Belges partirent sur lesroutes de France dans l’espoir d’échapperaux Allemands. La plupart ont été rattrapéspar l’avance des soldats allemands dans leurBlitzkrieg et rentrèrent en Belgique. Parmieux aussi de très nombreux Juifs.

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1 Pour cet article nous nous servons souvent du livre de L. SAERENS, «Vreemdelingen in een Wereldstad, eengeschiedenis van Antwerpen en haar joodse gemeenschap 1880-1944», Lannoo, Tielt 2000. L’auteur nous a d’ailleursdonné l’autorisation d’en publier des extraits, et nous l’en remercions. Son travail est le plus exhaustif publié sur lesujet à ce jour, et il mentionne pratiquement toutes les sources ayant un rapport avec les arrestations des Juifsanversois par la police locale.

2 Walter DE MAESSCHALK, Gardes in de Oorlog, De Antwerpse politie in WO II [Gardes pendant la guerre, la policeanversoise dans la 2e G.M.] Editions De Vries-Brouwers, Antwerpen 2004.

3 Une telle différence dans les estimations est surtout due au fait qu’en Belgique on ne doit pas déclarer sa religion auxrecensements ou quand on s’inscrit au registre de la population.

4 A ce jour on emploie dans le langage courant le mot «Gestapo» (Geheime Staatspolizei) [Police secrète de l’Etat] pourdésigner aussi bien la police que les services de sécurité allemands.

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Les lois anti-juivesLa Belgique occupée a été gouvernée parun gouverneur militaire, le général VonFalkenhausen de la Wehrmacht (remplacé enjuillet 1944 par le Gauleiter Crohé).L’administration du pays était assurée par laMilitärverwaltung (administration militai-re) sous la direction du général Reeder. Dèsle milieu de l’année 1942, les Juifs dépen-daient de plus en plus des services policiersallemands, de la Sicherheitzdienst (S.D.)[Service de sécurité] et de la Sicherheitzpolizei(Sipo) [Police de sécurité]4. Le responsable dela Gestapo à Anvers et des déportations desJuifs anversois était le SS-OberscharführerErich Holm, Sipo-SD AussenstelleAntwerpen. C’était également de la Sipoque dépendaient directement les camps deBreendonk (camp de détention, de travail -et de meurtres - aussi bien pour des Juifs quedes non-Juifs résistants et prisonniers poli-tiques) et de Malines (la caserne Dossin,camp de rassemblement des Juifs avant leurdéportation). D’autres sections s’occupaientdu pillage des biens juifs, des devises et desbijoux, de l’enlèvement des meubles ou desobjets d’art.

Au début de l’occupation tout portait àcroire qu’on allait laisser les Juifs tranquilles.Mais très vite, en octobre 1940, la premièreloi anti-juive parut sous la forme de l’inter-diction de l’abattage rituel. Celle du 28octobre, ordonnant aux Juifs de s’inscriredans un registre spécial des Juifs et d’enre-gistrer leurs affaires commerciales, était bienplus dangereuse. A cette occasion, on estam-pilla les cartes d’identité d’une lettre ‘J’ ou dumot ‘Juif’ ou ‘Jood’ à l’encre rouge, ce quiidentifiait immédiatement toute personnejuive.

Nous n’allons pas décrire systématique-ment toutes les lois anti-juives destinées à iso-ler lentement, mais sûrement, les Juifs dureste de la population, à restreindre leurslibertés, à briser leur moral et surtout à enle-

ver leurs moyens de subsistance, pour dis-poser d’eux plus facilement au moment deles déporter. Elles furent promulguées entreoctobre 1940 et septembre 1942. La plusspectaculaire fut celle de juin 1942, obli-geant les Juifs, à partir de l’âge de six ans, àporter une étoile jaune sur leurs vêtementsavec la lettre ‘J’ ou les mots ‘Jood’ ou ‘Juif’.Contrairement à ce qui se passa à Bruxelles,où les bourgmestres des communes ontrefusé de distribuer les convocations pourvenir chercher les étoiles de David, les auto-rités municipales anversoises ont accepté dele faire. Les étoiles furent délivrées par lebureau de l’état civil. L’administration sechargea même de marquer les cartes d’iden-tité de ceux qui venaient recevoir ces étoilesjaunes.

Le fait de rayer les Juifs du Registre de com-merce, leur enleva d’un coup toute possibi-lité de tenir un commerce et de gagner leurvie dans un nombre très important d’acti-vités. Les diamantaires devaient remettreleurs marchandises et recevaient en échangeun reçu dénué de toute valeur ! Les déten-teurs de devises furent logés à la mêmeenseigne.

Les déportations et larésidence forcée dans le

Limbourg en 1941Entre le 21 décembre 1940 et le 12 février1941, 3.273 Juifs anversois5, tous de natio-nalité étrangère, furent déportés vers la pro-vince du Limbourg6 et placés dans 40communes. Ils étaient chaque fois accom-pagnés aux trains, de même que pendant levoyage, par des policiers anversois. La poli-ce s’occupa également de rechercher et d’ar-rêter les personnes convoquées qui nes’étaient pas présentées. Pour la premièrefois des policiers anversois furent mis à la dis-position des Allemands pour arrêter desJuifs.

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En effet le 23 décembre 1940, le commissaireen chef de la police anversoise7 ordonnad’aller arrêter à domicile les Juifs quin’avaient pas répondu à la convocation de serendre dans le Limbourg. Ce même jour,le bourgmestre de guerre d’Anvers, LéonDelwaide, s’est déclaré prêt à héberger les«récalcitrants» parmi les «Juifs duLimbourg» dans un des dépôts de la ville.Comme une partie des Juifs ne partirentpas de leur plein gré et avaient abandonnéleur domicile, le gouverneur de la provinced’Anvers, Jan Grauls, proposa en janvier1941, de faire arrêter les «récalcitrants»quand ils viendraient chercher leurs timbresde ravitaillement, ce que chacun devait faireune fois par mois. Nous voyons donc unecollaboration avec les Allemands et des ini-tiatives de la part de la police, du bourg-mestre Delwaide et du gouverneur Grauls.

Les déplacés du Limburg restèrent en rési-dence forcée dans des villages, généralementchez les habitants, et devaient se présenter

chaque jour à la police locale. A partir demars 1941, un premier contingent des expul-sés rentra à Anvers. Les autres suivirentpetit à petit, mais aux hommes il fut interditd’habiter à Anvers et la plupart partirent àBruxelles8 - 9. Il semble que toute cette ini-tiative émanait des autorités allemandeslocales.

Un mini-pogrom à Anvers

Le 14 avril 1941, pendant la fête de la Pâquejuive, des militants des organisations pro-alle-mandes ‘Volksverwering’, ‘Zwarte Brigade’,‘De Vlag’ et de la ‘SS Vlaanderen’, entre-prirent une action de terreur dans les quar-tiers juifs d’Anvers. Lors de ce pogrom,deux synagogues furent brûlées et les rou-leaux de la Tora jetés dans la rue avec leslivres de prière pour en faire un bûcher. LesAllemands interdirent aux pompiers d’in-tervenir. La maison du rabbin Rottenberg futattaquée. Le rabbin et sa famille purent se

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5 Autres sources : du 12 novembre 1940 au 27 mars 1941 et 3.284 déportés.6 La police avait reçu 7.328 noms et les «ordres d’expulsion» avaient été envoyés par le gouverneur Jan Grauls aux

communes de l’arrondissement d’Anvers. Comme de nombreuses personnes avaient quitté leur domicile sans en aviserles autorités, seulement une partie de ces gens furent déportés dans le Limbourg. Dans les instructions il était dit queles personnes malades devaient fournir une attestation médicale, mais n’étaient exemptées qu’au cas où il seraitexplicitement mentionné qu’elles n’étaient pas «transportables».

7 A cette date c’était encore Gustave Zwaenenpoel qui est resté en fonction jusqu’à la nomination de J. De Potter le1 mai 1942, W. DE MAESSCHALK, Gardes in de Oorlog, p. 184.

8 Sylvain BRACHFELD, Ils ont survécu, Racine, Bruxelles, 2001, p. 36.9 Lieven SAERENS, Vreemdelingen in een Wereldstad, een geschiedenis van Antwerpen en haar joodse gemeenschap

1880-1944, Lannoo, Tielt, 2000, pp. 559-567.10 E. SCHMIDT, Geschiedenis van de Joden in Antwerpen, De Vries-Brouwers, Antwerpen 1994, pp. 188-190.11 Lieven SAERENS, supra pp. 575-576.12 Pendant la guerre, la ville d’Anvers et les communes périphériques, ainsi que leurs polices, ont été réunies sur l’ordredes Allemands dans un Grand Anvers.13 Louis DAVIDS in : Belgisch Israelitisch Weekblad du 17 décembre 1999, p. 1.14 «Fort Breendonk», brochure publiée par le Conseil national du Mémorial du Fort de Breendonk.15 Jos HAKKER, «La mystérieuse caserne Dossin à Malines».16 En Belgique il y a eu au total plus de 114.000 déportés (aussi bien Juifs que non-Juifs) dont plus de 26.000 pour des

raisons raciales. 41.257 résistants ou des personnes supposées être résistants, ainsi que 46.755 réfractaires au travailfurent arrêtés. De ceux-là il y a eu 24.140 morts dans des camps d’extermination, 13.958 dans les prisons et les campsde concentration et 2.592 dans les camps de travail.

17 Serge KLARSFELD et Maxime STEINBERG, «Mémorial de la Déportation des Juifs de Belgique».

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sauver, mais tout le mobilier et tous leursbiens furent dévastés par les flammes10.

Il est intéressant de voir comment lesdemandes d’indemnisations des commer-çants juifs ont été traitées. Dans son livre«Vier jaar Burgemeester van Antwerpen»,Leon Delwaide prétend qu’il a fait accepterpar le Collège des échevins que les proprié-taires juifs devaient être dédommagés parla ville. Selon Saerens11, au début les autori-tés de la ville déclinèrent toute responsabi-lité, disant que la police12 n’était pas équipéed’armes à feu pour s’opposer aux manifes-tants anti-juifs. En outre, des soldats alle-mands avaient participé à la manifestation, cequi rendait difficile une intervention de lapolice locale. Les dégâts devaient être vuscomme actes de guerre et tombaient sous laresponsabilité du service des dégâts de laguerre. Le 14 juillet 1941, le Tribunal depremière instance d’Anvers réfuta ces argu-ments, disant que la police avait eu le tempsd’acquérir les armes avant les faits et n’avaitpas pris les mesures nécessaires pour éviterdes rassemblements, soulèvements etbagarres. Aucune disposition n’avait étéprise, alors que les autorités savaient que lasécurité était menacée par une campagneantisémite et que des actes, comme le brisd’étalages, avaient déjà eu lieu. Le tribunalordonna à la ville de payer les indemnisationset, en octobre 1941, il fut décidé de payer lesdégâts, mais un ordre de la Feldkom-mandantur interdit les paiements aux Juifs.On voit donc clairement que ce n’est pas lebourgmestre qui a décidé de payer les dégâtsaux Juifs, contrairement à ce qui été pré-tendu plus tard13.

Les travaux forcés et lesarrestations

Par le décret du 15 mai 1942, les hommesentre 18 et 60 ans et les femmes entre 20 et55 ans furent obligés, sous peine d’être

déportés dans un camp de concentrationen Allemagne, d’accepter tout travail quileur serait offert par l’Office du Travail,organisme belge collaborant avec l’ennemi.Il n’y avait aucun appel contre une convo-cation, aucune excuse possible. Les Juifs,réduits pour la plupart au chômage, étaientobligés d’accepter le travail. Dès le 8 mai àAnvers, et plus tard à Bruxelles et dans lereste du pays, des Juifs furent convoquésau bureau des Offices du Travail.

Les hommes - et plus tard également desfemmes dans les usines d’armements de laF.N. à Herstal - furent envoyés aux travauxforcés, surtout dans les camps de l’organi-sation Todt de Dannes-Cammiers en France,en face des côtes britanniques, pour laconstruction du ‘Mur de l’Atlantique’, et àCharleville-Mézières dans les Ardennesfrançaises. A chaque départ d’Anvers, àsavoir les 13 juin, 14 juillet, 15 août et 12 sep-tembre, la police locale accompagnait lesJuifs à la gare. Au total 2.252 hommes furentenvoyés au nord de la France, dont proba-blement 1.300 originaires d’Anvers.

Le 22 juillet, les Juifs portant l’étoile jaunefurent arrêtés systématiquement aux sta-tions de Bruxelles, de Malines et d’Anvers etenvoyés au camp de Breendonk14, puis à lacaserne Dossin à Malines15, laquelle futouverte comme camp de rassemblement lelundi 27 juillet 1942. Le 4 août partit le pre-mier convoi vers Auschwitz, transportant998 personnes dont 140 enfants en dessousde 16 ans. Sept personnes de ce transportsont revenues vivantes. Plus de 25.000 Juifsde Belgique suivront ce chemin vers lamort16, dans 26 convois, échelonnés du 4août 1942 au 31 juillet 1944. Le 27e convoin’est pas parti et les prisonniers ont été libé-rés le 4 septembre17.

Même le service de la «population» de laville d’Anvers, qui est sous la direction d’unéchevin et du bourgmestre, a collaboré avecles Allemands. A la mi-juin 1942, sous

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l’ordre du Feldcommandant Nadrowski,ce service devait préparer des listes de Juifsqui étaient de nationalité allemande ou deterritoires qui avaient été reconquis et quirésidaient à Anvers depuis le 27 novembre1941, ou les Juifs allemands qui à partir decette date avaient quitté la ville. Berlin futavisé que tous les devoirs administratifsavaient été exécutés18.

Les convocations au «travail forcé» à Malines

Par l’intermédiaire de l’ «Association desJuifs en Belgique -A.J.B», les Allemandsenvoyèrent des convocations aux jeunesgens de 16 à 22 ans pour venir se présenterà la Caserne Dossin à Malines, munis dedenrées alimentaires non périssables pour 14jours, ainsi que de vêtements de travail «pouraller travailler dans les pays de l’Est». Lebut était de faire croire qu’il s’agissait d’unemise au travail et d’avoir des victimes docilesqui se présentent pour les transports de lamort.

Des 10.000 convoqués seulement 3.900 serendirent à la caserne Dossin. Pour les autreset leurs familles commençait la difficilerecherche de cachettes et d’un changementd’identité. Pratiquement personne n’étaitpréparé à entrer dans la clandestinité et ilfallait faire vite. Les Allemands ne dispo-saient pas de services d’ordre suffisants pourarrêter de porte à porte les 6.000 réfrac-taires. Plus tard, des familles entières reçurentdes convocations pour se présenter au travail

obligatoire, mais les résultats n’étaient passatisfaisants car la plupart se dérobaient.

Alors les Allemands décidèrent de passer àdes arrestations nocturnes massives dansdes quartiers à forte concentration juive, àAnvers et à Bruxelles. A Anvers ces raflesfurent exécutées avec la collaboration depoliciers locaux19, aidés de SS flamands.

L’occupant allemand avait-ill’autorité d’engager desagents de l’ordre belges

pour ses actions ?Nous basant sur le livre de Lieven Saerens,qui a étudié en détail la question, nous vou-lons essayer de comprendre, la situationlégale en Belgique. Ce sujet a été repris dansun livre publié en novembre 2004 par lapolice anversoise pour expliquer sa posi-tion sous l’occupation20.

Quand on parle du maintien de l’ordre dansle pays occupé, il s’agit aussi bien de l’ar-restation de pilotes alliés abattus, de résistants,d’opposants politiques, de réfractaires autravail obligatoire, que de Juifs. En Belgiqueil y avait la police et les gendarmes pour lemaintien de l’ordre, mais les Allemands dis-posaient de leur police militaire(Feldgendarmen), de la Sicherheitzdienst(S.D.) et de la Sicherheitzpolizei (Sipo). Enplus ils pouvaient compter sur les collabo-rateurs belges, comme les SS flamands, lesgroupements rexistes et autres.

Les gendarmes et la police belge devaient seconformer à la loi belge. Or, ils étaient par-

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18 Walter DE MAESSCHALK, Gardes in de oorlog, De Antwerpse politie in WO II, De Vries Brouwers, Antwerpen,p. 306.

19 Plus celle du 11 septembre à laquelle des policiers semblent avoir participé bien qu’ils n’aient pas été officiellementréquisitionnés.

20 Walter DE MAESSCHALK, Gardes in de oorlog, De Antwerpse politie in WO II, De Vries Brouwers, Antwerpen.21 Pro-allemand.22 SAERENS, page 598.

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fois réquisitionnés par les Allemands. Le23 juin 1941 la Sipo-SD de Liège ordonna àla gendarmerie d’arrêter les communistes, cequi était en contradiction avec la loi belge, etle commandant national de la gendarme-rie, consulté, déclara que les gendarmes nepouvaient pas exécuter cet ordre. Il y eutd’autres cas de réquisition de gendarmes oude policiers et la question de l’autorité desAllemands fut posée. Le 24 juillet 1941, legénéral von Falkenhausen, commandantmilitaire de la Belgique et du Nord de laFrance, écrivit à Gerard Romsée, SecrétaireGénéral de l’Intérieur21.

«Le gouverneur militaire a le droit exécutifdans les territoires occupés et ses ordonnancessont contraignantes pour la population belgetout comme les lois belges. Les membres desservices de sécurité belges sont donc obligésd’exécuter les ordres de l’autorité occupante,même s’il n’y a pas de base judiciaire à celadans les lois belges». (...) «Nous comprenonsqu’il y ait des arrestations dont l’exécution parles membres de la sûreté belge peut, pourcertaines raisons, donner suite à des objections.Dans ces cas, les arrestations seront faitespar les membres de la sécurité allemande.Cette concession ne change pourtant rienau principe cité plus haut que toutes lesordonnances prises par l’autorité occupanteobligent les membres de la sécurité belge deles exécuter».

Cette déclaration était contestable car,comme nous l’avons vu, les services d’ordrebelge ne pouvaient agir que dans le cadre deslois belges. Or, le gouverneur militaire alle-mand, sans entrer dans les détails, laissaentendre dans sa lettre que des «objections»étaient possibles. Cela permit aux gendarmeset aux policiers - en principe et dans cer-tains cas - de ne pas suivre les ordres desoccupants.

En Belgique, le bourgmestre d’une ville -à Anvers pendant la guerre il s’agissaitde Léon Delwaide - est le chef de la poli-

ce administrative. Il peut ordonner desarrestations quand, par exemple, l’ordrepublic est perturbé et cela uniquementpour la durée des troubles. Le Procureurdu Roi dirige la police judiciaire dans sonarrondissement et est responsable pour lesdélits criminels. Les arrestations ne peu-vent pas dépasser vingt-quatre heuressans un mandat d’arrêt émis par un juged’instruction.

On ne pouvait donc pas arrêter des gensdans le cadre de la répression allemande,d’autant plus qu’il s’agissait de «crimes»(politiques ou raciaux) qui n’étaient paspunissables d’après la loi belge.

Le bourgmestre, bien que responsablepour le maintien de l’ordre et de la sécuri-té de sa ville, pouvait donc - comme le fitle bourgmestre Joseph Bologne de la villede Liège - refuser d’être l’exécuteur desordres d’arrestations des autorités alle-mandes, quand ceux-ci allaient à l’encontredes lois belges.

Pour mettre au clair la situation, avis futdemandé du Conseil de la Constitution,lequel déclara le 26 février 1942 que22 :

1. Si les autorités d’occupation prennent desmesures qui sont uniquement pour l’avan-tage du pays occupé, la police et la gen-darmerie doivent les exécuter.

2. Par contre, ils ne peuvent pas être obligésd’exécuter des mesures qui sont prisesprincipalement dans l’intérêt militaire oupolitique de l’occupant.

3. Dans le cas d’un doute raisonnable ausujet du caractère des mesures qui leursont imposées, les policiers et gendarmesdoivent consulter leurs chefs hiérarchiques.

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Plus de trois mille six centJuifs arrêtés avec l’aide

de la police, furent envoyésvers la mort23

Nous allons passer en revue les différentesrazzias d’Anvers, auxquelles la police loca-le a prêté main forte.

Le samedi 15 août 1942, le Commissaireprincipal de la police, Jozef De Potter, écri-vit dans les ‘Ordres du jour’ distribués auxdifférents commissariats, que sur l’ordre dela Sicherheitspolizei des dispositions spé-ciales devaient être prises à partir de 20h30pour certaines actions dans les 5e, 6e et 7e

quartiers de la ville. Aucune mention d’unequelconque menace de la part des Allemandsn’accompagnait cet ordre. Il n’y avait aucu-ne description des actions et on ne sait pas sile Commissaire principal a agi en accordavec le bourgmestre. Mais son ordre était for-mel, le nombre d’agents devait être mis à ladisposition des Allemands, même si l’ondevait faire appel à des agents d’autres sec-tions. Au total 53 agents et 3 commissairesadjoints furent désignés. La Sipo vint mêmeréquisitionner en plus des agents prévuspour la rafle, des agents dans deux quar-tiers et leur remit respectivement 75 et 77appels nominaux au travail (Arbeitsein-satzbefehle) pour arrêter la nuit venue, desJuifs qui ne s’étaient pas présentés à desconvocations de se rendre à Malines. Lesprisonniers devaient être remis à la Sipo.

Les arrestations devaient continuer toute lanuit et si on ne trouvait pas la personnerecherchée, toute la maison devait êtrefouillée. Ainsi la police devenait l’exécutantdes arrestations des Juifs, en employant laforce si nécessaire.

Un des commissaires adjoints, reçut le soirdes ordres précis de la Sipo demandant auxagents de police de boucler certaines ruesavec l’aide des Feldgendarmen. Des camionsapparurent dans ces zones bouclées.Commença alors l’arrestation de tous lesJuifs qui habitaient le quartier et, plus tard,ceux d’un autre quartier également habité parun grand nombre de Juifs. L’action se soldapar l’arrestation d’environ 1.000 Juifs,hommes, femmes et enfants. La police anver-soise aida à les entasser dans les camions,ce qui n’allait pas toujours sans brutalité. Ilsemble qu’aucun agent n’ait refusé de col-laborer. Il est vrai que l’ordre émanait deleurs supérieurs et qu’ils étaient entourésd’Allemands24. Le lendemain des camions defirmes anversoises de transport amenèrent lesprisonniers à Malines.

Un rapport détaillé fut évidement envoyé parles commissaires adjoints à leurs supérieurs,au Procureur du Roi Baers et à l’hôtel deville. Cela fut confirmé par le bourgmestreDelwaide qui, lors de son interrogatoire endécembre 1944 par le gouverneur de la pro-vince par intérim Louis Clerckx, affirmaque la police avait dès le début envoyé unprocès-verbal au Procureur du Roi et à lui-

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23 Ce chiffre est cité par Nico WOUTERS in : «Een delicaat probleem : het Antwerpse politiekorps en de naoorlogsegerechtelijke afwikkeling (1944-1946), dans le rapport du CEGES.24 Il est certain que dans la police anversoise se trouvaient des gens qui étaient opposés à ces actions. D’autres, pro-

allemands, pouvaient se réjouir de ces rafles. Quand nous parlons ici de la police en général, cela n’implique pas uneaccusation contre chaque policier en particulier, mais a plutôt trait à la collaboration de la part des différentsresponsables de ces razzias.

25 Dans le rapport de la Garde permanente (un des corps de la police anversoise) qui donne la composition parquartier des forces de la police mis à la disposition pour la razzia, il est dit clairement «ce soir nous avons été en rapporttéléphonique avec tous les quartiers pour la livraison de renforcements pour des actions spéciales, avons égalementconsulté le Commissaire Principal». Texte de la lettre reprise chez Saerens en p. 612.

26 Michaël AMARA, «La participation de la police anversoise à l’arrestation des Juifs», dans le rapport du CEGES.

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même pour chaque arrestation qu’elle effec-tuait.

Plusieurs Juifs furent arrêtés dans les jourssuivants par la police, sur l’ordre de laSicherheitspolizei.

La seconde grande action devait avoir lieu le27 août et pas moins de 61 agents de policeet trois commissaires adjoints furent obligéspar le Commissaire principal De Potter dese présenter ce soir là. Ils venaient prati-quement de tous les commissariats de laville. L’ordre était intitulé «Wegvoering vanJoden» et la nature de la collaboration de lapolice anversoise était évidente pour tous.Selon Erich Holm, chef de la SD Gestapo,une quarantaine de soldats SS et quarante-cinq Feldgendarmen devaient égalementparticiper à l’action. Mais ce soir-là certainspoliciers avaient averti les Juifs par des tractsde ce qui les attendait, ce qui permis à denombreux Juifs de fuir leurs habitations.En voyant cela, Holms arrêta la razzia. Onignore combien de Juifs furent quand mêmearrêtés.

Il y a ici une preuve que des agents - seuls ouavec des personnes de la Résistance - ontpris une initiative importante qui méritenotre admiration. Dommage que nous nesachions pas qui étaient ces policiers coura-geux, qui ont réussi à distribuer des tractsauprès d’un certain nombre de Juifs pour lessauver. Nous ne connaissons pas ces tracts etne savons pas comment ils ont été imprimés,ni par qui.

Le lendemain, 28 août, Holm fit venir quatrecommissaires adjoints au siège de la Gestapoet leur fit savoir qu’en punition pour la tra-hison de la veille et de la non réussite de larafle, les policiers anversois devraient main-tenant exécuter seuls l’arrestation des Juifs.Il menaça - ce qui ne fut pas le cas précé-demment - de les envoyer au camp deBreendonk s’ils n’exécutaient pas les ordres.Chaque Commissaire adjoint devait livrerquelques 250 Juifs pour le lendemain matin.

Il fallait agir de main forte. Le Commissaireprincipal Jozef De Potter était à la hauteur decette action et il ordonna aux 68 policiers quiavaient été mobilisés de se prêter à l’arres-tation des Juifs25.

Bien que le Commissaire De Potter pré-tendit dans une déclaration donnée aprèsla guerre sur cette rafle avoir été seulementavisé au moment où elle était déjà en exé-cution et qu’il avait avisé le lendemain leProcureur du Roi «qui n’a pas réagi», demême que le bourgmestre Dewaide «quiégalement n’a pas réagi», sa version futcontestée, après la guerre par HendrikVerreydt, le commissaire f.f. du 7ème sec-teur. Michaël Amara écrit «Dès qu’il futinformé de l’ordre allemand, ce dernier(H.Verreydt) en avertit le Commissaire DePotter qui lui donna clairement l’ordre desatisfaire aux exigences allemandes en luipromettant d’envoyer les renforts néces-saires. (...) Tout porte à croire que, contrai-rement à ce qu’il affirma, le Commissaire enchef fut prévenu bien avant le début de larafle et qu’il donna son aval à l’exécutiondes ordres allemands. La note ordonnantaux agents de participer à la rafle avortéedu 27 août émanait clairement duCommissariat central et l’officier chargé deconvoquer les renforts en vue de l’opérationdu 28, agit en plein accord avec leCommissaire en chef»26.

La nuit où mon père nous a sauvés

Je me souviens de ce vendredi soir du 28août 1942. J’avais dix ans et demi. Des cris sefirent entendre dans notre rue. J’entendiscogner sur les portes des maisons, dont lanôtre, située à la Korte van Ruusbroeckstraat33 à Anvers. Il devait être environ dix heuresdu soir et j’étais déjà au lit. J’ouvris douce-ment la porte de la chambre et je vis monpère sur le pas de la porte d’entrée en com-

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pagnie d’un agent de police. Celui-ci nousordonna de nous préparer et de descendredans les dix minutes. Mon père furieux luirépondit sèchement : «Je ne suivrai pas unagent de police belge» et lui claqua la porteau nez. On m’avertit de rester tranquille.Papa éteignit toutes les lumières. Lorsquel’agent revint au bout de quelques minutespour voir si nous étions descendus et tapa surla porte, personne ne lui répondit et il s’enalla. Nous entendîmes descendre les autreslocataires et par la fenêtre nous pouvionsvoir qu’on les menait en direction de laLange van Ruusbroeckstraat. L’action cou-rageuse de mon père et probablement laprésence d’un agent pas très convaincu de samission, ont permis notre survie. Un autreagent a forcé la porte dans la même rue aunuméro 8 et trois personnes furent arrê-tées27.

De très nombreuses personnes de notre voi-sinage furent victimes de la rafle, dont mononcle Leibisch Brachfeld, son épouse Tsvyaet ma petite cousine Eva agée de six ans.Feu Oncle Leibisch était un homme decœur, qui apportait de la nourriture

‘cachère’28 aux malades juifs des hôpitaux ets’occupait plus de bonnes oeuvres que de songagne-pain.

Quand on lit les rapports (procès-verbaux)de la police, on est sidéré de voir que mêmedes malades, avec des attestations médicales,furent arrêtés sans égards. Quand un ambu-lancier vint dans l’école de la GroteHondstraat où étaient rassemblés les Juifs,pour transporter à l’hôpital une femme cou-chée par terre et souffrant d’un cancer auventre, il fut menacé d’un revolver par FelixLauterborn, un Flamand au service desnazis. Les personnes arrêtées furent mal-traitées et battues par Holm en personne.

«Le matin du 29 août 1942 les gens de Boom(une commune sur l’ancienne route d’Anversà Bruxelles) virent un tram vicinal composéd’une locomotive à vapeur et de sept wagonsqui traversa lentement la commune. (...)Nous avons appris qu’il se dirigeait versMalines, vers la caserne Dossin. Les vitresétaient peintes en bleu d’après les ordon-nances de l’occultation. Sur les plateformes setrouvaient des Allemands armés et des soldatsen uniforme noir des SS. (...) Nous avons

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27 Selon Lieven SAERENS, cité dans «De Nieuwe Gazet» du 13 décembre 1999, un commissaire de la policeanversoise a écrit dans le procès-verbal des arrestations de la nuit du 28 août 1942 : «En général il n’y avait pas oupeu de résistance de la part des Juifs. Dans certaines maisons on n’a pas ouvert, ce qui nous a obligé d’employer laforce pour entrer. Après de longues recherches nous avons trouvé les habitants récalcitrants cachés dans un coin dela cave. Trois personnes ont été emmenées. Nous n’avons pas accepté le certificat de maladie qu’ils ont présenté. Nousavons remis les personnes au commando allemand».

28 Rituellement sous contrôle rabbinique.29 Marc VAN DE VELDE, De Bruggen van Boom, Studiecentrum voor Oorlogsgeschiedenis te Boom, 1994, p. 91.30 Leon DELWAIDE, Vier jaar burgemeester van Antwerpen, De Vlijt, Antwerpen 1946, p. 32.31 C’est une erreur, il faut lire 28 août 1942.32 Le bourgmestre d’Anvers a déclaré après la guerre que pour lui les ordres émis par le commandant militaire

impliquaient la police judiciaire. En tant que chef de la police administrative il voulait ainsi se décharger de saresponsabilité. Or, dans ce qu’il écrit, il ne se sert pas de cet argument, mais dit avoir protesté auprès des autoritésallemandes contre la réquisition abusive de la police. Il reconnaît donc que lui, comme bourgmestre était responsablede la police dans le cas des rafles et qu’il aurait dû être avisé. Mais il n’explique pas pourquoi il n’a rien fait dans lesautres cas, dont les deux rafles précédentes.

33 Ze hebben het overleefd [Ils ont survécu], VUBPress Brussel 1997. Une version en hébreu a été publiée sous le titreHa-chaim Be-Matana [La vie en cadeau], par les Editions Hemed-Yedioth Aharonoth, Tel Aviv, 2000. L’éditionfrançaise, Ils ont survécu, revue, corrigée et augmentée de nombreux détails, a été publiée en septembre 2001 à Bruxellespar les Editions Racine.

34 Lettre à Leo Delwaide Jr. envoyée le 29 mai 1995, et le rappel de cette lettre. Voir le texte en annexe.

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appris par un SS Flamand qui habitait àBoom que les wagons étaient remplis deJuifs arrêtés la nuit précédente à Anvers»29.

Le 1er septembre 1.000 personnes, dont 344enfants, furent envoyées par le VIIe convoià Auschwitz. Parmi elles seulement 99avaient répondu à une convocation, toutesles autres furent arrêtées dans la rafled’Anvers par la police. Le voyage dura deuxjours. De ce transport 15 personnes survé-curent.

Les Juifs d’Anvers n’ont toujours pas digé-ré cette collaboration de la police anversoi-se. Comment était-il possible que les policiersaient consenti à une chasse à l’homme àl’encontre de leurs concitoyens juifs ? Quiétait responsable de la collaboration de lapolice anversoise à ces actions, par lesquellesplus de 3.000 personnes furent arrêtées,transférées à Malines et envoyées à la mort ?

Les responsabilitésdu bourgmestre, du chef de

la police et du Procureur du Roi à l’arrestation

des JuifsDans le livre qu’il a publié en 1946 intitulé«Vier jaar burgemeester van Antwerpen»30

(quatre années bourgmestre d’Anvers), LéonDelwaide écrit : «La nuit du 27 août 194131

la police de certains quartiers d’Anvers etdes communes périphériques a été réquisi-tionnée par la Gestapo, sous la menace, pourarrêter des Juifs, soi-disant pour les punirpour des indiscrétions. Ni le commissaireprincipal, ni moi-même n’avons été avisés deces faits. Je me trouvais d’ailleurs horsd’Anvers quand les choses arrivèrent. Quandle lendemain, en arrivant à l’hôtel de ville, jel’ai appris par un rapport du Commissaire enchef, je me suis immédiatement rendu à laFeldkommandantur (le commandement dela police allemande) pour protester32 contre

cette action illégitime et arbitraire de laGestapo. La Feldkommandantur prétenditne rien savoir des faits. Le chef de la Gestapofut convoqué et finalement je reçus l’enga-gement que la police ne serait plus réquisi-tionnée pour l’arrestation des Juifs. Cetengagement a été respecté, après que j’eusseégalement protesté contre cet incident auprèsdu Secrétaire général du Ministère del’Intérieur et demandé son intervention pouréviter une répétition de tels faits».

Cette ‘explication’ du bourgmestre Delwaidene dit pas comment la police anversoise, dontil était le chef, a été engagée dans l’accompa-gnement des Juifs exilés dans le Limbourg, aencadré les hommes appelés aux travaux for-cés au Nord de la France et les a accompagnéaux trains, et comment elle a participé auxrafles antérieures comme celle du 15 août, àpropos de laquelle il ne souffle mot, pas plusque de celle, avortée, du 27 août.

Au moment d’écrire mon livre sur le sau-vetage des Juifs de Belgique dans sa versionoriginale en néerlandais33 j’avais envoyé unelettre à son fils, le baron Leo Delwaide Jr.,échevin du port d’Anvers, pour lui deman-der d’expliquer cette situation34, mais il n’apas cru devoir répondre.

Il n’y a pas de doute que les Juifs anversois,envoyés à la mort après leur arrestation parles policiers locaux, furent les victimes de lacollaboration avec la Gestapo des respon-sables de l’ordre : le bourgmestre, le com-missaire principal, peut-être certainscommissaires et commissaires adjoints desquartiers à différents degrés, le gouverneur35

et le Procureur du Roi. Nous avons vu plushaut qu’il y avait moyen de protester, d’in-voquer des objections au sujet de l’illégalitéde ces actions d’après la loi belge et de refu-ser de mettre la police au service desAllemands. Nous verrons plus loin que leProcureur du Roi, Baers, a décidé ennovembre 1942, que la police ne devait pascollaborer avec l’occupant, mais cela quand

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les rafles contre les Juifs étaient déjà termi-nées. Delwaide prétend être intervenu maisseulement après les faits. Pourquoi le bourg-mestre n’est-il pas intervenu avant - au tempsdes déportations vers le Limbourg - pendantou même après la première et la seconderafle ? Pourquoi a-t-il laissé sa police faire letravail des Allemands ? Son livre ne men-tionne qu’une protestation tardive de sapart.

Léon Delwaide écrit que la Gestapo lui adonné l’assurance, entérinée par le Secrétairedu Ministère de l’Intérieur, qu’il n’y auraitplus de réquisitions de policiers anversoispour arrêter des Juifs. Pourtant, au matin du11 septembre et jusqu’à l’après-midi du len-demain, jour de Rosh Hashana, le nouvel anisraélite 1.422 Juifs, hommes, femmes etenfants de tous âges furent arrêtés en pleinjour, une fois de plus avec la collaboration depoliciers anversois, bien que cette fois-cipas de manière organisée comme les foisprécédentes36. En même temps, des poli-ciers ont remis 500 convocations à deshommes juifs, pour venir se présenter auxtravaux forcés en France. Ceux qui furentarrêtés partirent le 12 septembre. D’autresarrestations individuelles de Juifs suivirentencore après cette date.

Le samedi 3 octobre 1942, deux agents de laSD Sicherheitzdienst, sont venus arrêtermon père Benjamin Brachfeld. Ils étaientaccompagnés par quatre policiers anversoisen uniforme et armés d’un sabre. Doncencore une nouvelle participation de la poli-ce anversoise à l’arrestation d’un Juif, ce qui

prouve que les déclarations de Delwaidesont mensongères.

Maurice Benedictus, un des membres ducomité de l’«Association des Juifs enBelgique» (A.J.B), qui avait réussi à fuir auPortugal pendant la guerre, écrivit un rapportdans lequel il mentionne également le bourg-mestre de guerre d’Anvers : «MonsieurDelwaide, qui a mis sa police à la dispositionde la Gestapo pour des rafles, a été convoquéauprès du cardinal Van Roey. Après cetteconversation il s’est un peu moins empressé deservir les Allemands»37.

Le baron Leo Delwaide Jr, dans une réactionau livre de Lieven Saerens, déclara38 que,peu avant sa mort, son père lui avait montréune copie d’une lettre datée du mois denovembre 1942 - c’est-à-dire presque troismois après les rafles des Juifs - adressée auProcureur du Roi, dans laquelle il écrit :«Vous avez réquisitionné ces gens commeofficiers de la police judiciaire. Vous auriez dûm’avertir auparavant».

Dans cette lettre le bourgmestre, chef de lapolice administrative, se plaint devant leProcureur, chef de la police judiciaire, d’avoirréquisitionné les agents de la ville, mais iln’y a aucune protestation de Delwaidecontre un usage abusif de la police dans desarrestations qui vont à l’encontre des loisbelges. Nous verrons plus loin ce que vautvraiment cette lettre, que Delwaide fils pré-sente comme une preuve de l’innocence deson père.

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35 SAERENS : Le gouverneur de guerre» de la province d’Anvers Jan Grauls est à la base de l’ordonnance du 10 août1942, stipulant que les Juifs ne peuvent être soignés que dans la «section fermée» de l’hôpital Erasme.

36 SAERENS, pp. 620-621.37 Benedictus : «Rapport sur les activités de l’A.J.B.» 16 février 1943, dans «Central Archives for the Jewish People» à

Jérusalem ; et aux archives du Yad Vashem, Jérusalem, dossier 029/17.38 «Gazet Van Antwerpen», 18-19 décembre 1999.39 VAN DOORSLAER, «De Belgische politie en magistratuur en het probleem van de ordehaving», p. 108, cité par

Saerens, note 1764.

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Directives du Procureur du Roi

Ce qui suit nous prouve une fois de plusque la police anversoise aurait pu refuserde participer à l’arrestation des Juifs.

Les 16 et 18 novembre le Procureur du RoiE. Baers, a envoyé des lettres au commissaireprincipal. Nous traduisons ici la dernièreen date :

«Monsieur le Commissaire principal. Suite àma lettre du 16 novembre 1942 n° 55566Aet à votre lettre du 17 novembre 1942, n° 66-Commissariat principal, j’ai l’honneur devous informer que je considère toute saisie,arrestation ou toute autre mesure par laquel-le quelqu’un est privé de sa liberté, en dehorsdes cas prévus par la loi belge, comme unearrestation illégale qui tombe sous les dis-positions du Code pénal belge. En atten-dant la décision de Monsieur le Procureurgénéral auprès de la Cour de Cassation deBruxelles, à qui je soumets cette affaire, lapolice est obligée de s’abstenir des arrestationsmentionnées plus haut si elle veut éviter despoursuites. Au cas où l’Autorité occupante faitpression sur vous pour accomplir de tellesarrestations, vous pouvez vous référer à cettelettre. Le Procureur du Roi, (signé) Baers.

Je prie MM. les Commissaires de police defaire connaître immédiatement la présenteaux membres de leur personnel. Anvers le 18novembre 1942».

Cette lettre est claire et prend position, àsavoir que la loi belge prime sur les déci-sions des occupants allemands. Il est mêmedit que des poursuites pourraient être enga-gées contre ceux qui ne se conformeraientpas à cet état de choses. Mais où était cettelettre quand on a arrêté les Juifs anversois ?Le Procureur avait-il soudainement eu desscrupules ? Pas du tout, car cette lettre sembleêtre le résultat des réactions à l’ordonnancedes Allemands du 6 novembre, par laquel-le tous les hommes belges de dix-huit à cin-

quante ans, et les femmes de vingt et un àtrente cinq ans pouvaient être réquisitionnéspour aller travailler en Allemagne. Commeles Allemands firent intervenir la policebelge dans le but d’arrêter les réfractaires, desprotestations arrivèrent de tous les milieuxbelges. Fin octobre, les Secrétaires Générauxdécidèrent qu’aucune force de police nepouvait collaborer à cette ordonnance. Le 21novembre, le Procureur général CharlesCollard alla jusqu’à déclarer que les forces depolice ou de gendarmerie qui collabore-raient à l’exécution de ces ordonnances -lesquelles étaient en dehors de la compé-tence des autorités belges - seraient en infrac-tion grave à la liberté des citoyens, ets’exposeraient elles-mêmes à des poursuites.Il y a une phrase dans cette directive duProcureur général qui attire spécialementnotre attention : «En ce qui concerne la poli-ce communale, ce sont les bourgmestres,chefs de la police, qui doivent dans cetteaffaire d’ordre administratif donner les ins-tructions nécessaires»39. Ceci définit claire-ment la responsabilité du bourgmestreDelwaide.

Lettre du 24 novembrede Delwaide au Procureur

La lettre de Delwaide a été écrite après, et enréaction, à la missive du Procureur Baers. Ily dit notamment : «Bien que la police, lors-qu’elle fait des arrestations agit dans ses attri-butions juridiques, et que celles-ci soient endehors de mes compétences, il m’est impos-sible de ne pas réagir, car venant du chef duParquet local et destinée à la police locale, ellepourrait donner l’impression que cette der-nière aurait dérogé au respect dû à la loinationale ou dans l’accomplissement des ins-tructions venant des autorités supérieures.Une telle impression serait en contradictionavec la réalité».

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Et Delwaide de faire le reproche auProcureur que - pendant les 29 mois del’occupation, et malgré les rapports surtoutes les arrestations - il n’y ait pas eu dedirective ni de remarque de la part duParquet local ou général. La police locale aété abandonnée alors qu’elle se trouvaitdevant des situations difficiles. «Je puis direqu’elle s’est toujours comportée correcte-ment» et qu’elle a aussi avant les lettres duProcureur «suivi les directives qui y sontprésentées. Si dans quelques cas elle s’estécartée de ces lignes directrices, c’était soit àcause du manque d’instructions des autori-tés judiciaires ou suite à des menaces dont elleétait l’objet. Ceci était notamment le cas lorsde l’arrestation de quelques Israélites la nuitdu 28 au 29 août 1942. Ces arrestations onteu lieu sans ma connaissance. Si on m’avaitinformé je m’y serais opposé, car il est clairque dans des cas pareils la police belge nepeut intervenir. Les membres de la policeanversoise qui ont apporté leur collabora-tion à ces arrestations l’ont fait sous pressionet sous des menaces et c’est seulement ainsique l’on peut expliquer leur attitude. Toutcomme moi, vous avez été informé de cetincident, seulement le lendemain par les rap-ports de la police, et j’ose ajouter que, suite àmon intervention auprès des autorités com-pétentes, une répétition de tels incidents nes’est plus produite.» (Deux mots soulignés parSB). A ce jour il n’y a aucune trace de cesprotestations40.

Quand on lit cette lettre et qu’on la placedevant les faits des arrestations arbitraires et

brutales d’une majorité de la populationjuive de la ville, on est sidéré. Pour LéonDelwaide il s’agit d’un «incident» et de l’ar-restation de «quelques Israélites». On pour-rait croire que la police anversoise n’estintervenue que dans la razzia de la nuit du 28au 29 août. Or, cela en soi est déjà un crimegrave de prêter main forte à l’arrestation decivils innocents, acte qui va à l’encontre de laloi belge. Mais la liste des interventions estlongue et nous l’avons publiée avec les détailsnécessaires. Nous avons aussi montré que laprétention de Delwaide, à savoir que suite àson intervention «une répétition de tels inci-dents ne s’est plus produite», est menson-gère et va à l’encontre des faits.

Il y a en plus des arrestations du 11 sep-tembre, de l’arrestation de mon père, plu-sieurs autres arrestations avec la collaborationde policiers anversois, comme celles du 2septembre 1942 par l’agent Henri Pirlet quiaide les Allemands à arrêter des Juifs à laFrankrijklei 178. «Le 24 septembre 1942trois agents allemands donnèrent l’ordre à unpolicier de Deurne d’arrêter tous les Juifsqui se présenteraient au bureau de ravi-taillement de la Jan Brockhovenstraat. Dèsle lendemain il arrêta une Juive néerlan-daise (...). Avisés de cette arrestation lesAllemands exigèrent que ses enfants leursoient remis en même temps qu’elle. Dèslors, un commissaire-adjoint de Deurne char-gea un de ses agents de procéder à l’arresta-tion des deux enfants qui logeaient chez uneamie de leur mère»41.

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40 Michaël AMARA, «La participation de la police anversoise à l’arrestation des Juifs», dans le rapport du CEGES.41 idem.42 SAERENS, p. 629.43 Nous avons vu que Delwaide fait cette distinction. Il prétend n’être responsable que pour la police administrative

et non pour la police judiciaire qui est du ressort du Procureur du Roi.44 Cité par Saerens en p. 629 avec une note qui renvoie à la source : les archives de la province d’Anvers «Affaire Delwaide»

et l’interrogatoire par le gouverneur ad interim de la province d’Anvers du 31 octobre 1944 ainsi que les protocolesde l’interrogatoire de Léon Delwaide du 16 décembre 1944.

45 Michaël AMARA, «La participation de la police anversoise à l’arrestation des Juifs», dans le rapport du CEGES.

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Avec tout ce qui précède peut-on encoreprétendre que le bourgmestre n’a pas unegrande part de responsabilité dans l’arres-tation des Juifs anversois ?

L’interrogatoireaprès la guerre

Après la guerre, Léon Delwaide a été inter-rogé au sujet de ses agissements pendantl’occupation par Louis Clerckx, un ami deson parti politique. Dans une remarque surcette enquête, publiée le 11 octobre 1944, ilest dit : «Comme il s’agissait en l’occurrencede la police de la ville d’Anvers, Mr.Delwaide en tant que bourgmestre et chef dela police d’Anvers était le seul responsable dejuger de l’opportunité de défendre à sa poli-ce de collaborer avec la police allemande»42.

Suite à l’interrogatoire en date du 16décembre, une note met l’accent sur la «res-ponsabilité» lors des arrestations faites par lapolice : [Il ne s’agit pas] d’enquêter s’il s’agitici de tâches de la police administrative oujudiciaire43 mais bien si le bourgmestre a -directement ou indirectement - aidé l’enne-mi ou a servi sa politique (...). Le bourg-mestre pourrait peut-être prétendre que sonintervention pour l’exécution de ces presta-tions ne lui a pas été demandée, et que cefurent le Commissaire principal ou le pro-cureur qui ont été réquisitionnés pour lefaire. Ceci serait très bizarre car il est peuacceptable que l’occupant qui n’était pas toutà fait à la hauteur de notre appareil admi-nistratif, se soit adressé directement à la poli-ce ou au parquet et non pas au bourgmestreavec lequel il traitait quotidiennement»44.

Delwaide n’a d’ailleurs pas été acquitté de saresponsabilité dans les rafles des Juifs, vuqu’il n’y a jamais eu de procès. Ceci est trèsimportant. Il a seulement été interrogé ausujet de l’arrestation par la police de réfrac-taires non-juifs au travail, et sur d’autres

interventions policières qui n’étaient pasliées aux rafles des Juifs.

Comme Delwaide ne pouvait pas présentersa candidature aux élections municipales du24 novembre 1944, étant déchu temporai-rement de ses droits civiques, sa femme s’estprésentée en dernière place de la liste catho-lique (CVP) et a recueilli un grand nombrede votes préférentiels. L’ancien bourgmestrea interprété cela comme une preuve que lapopulation anversoise n’était pas en faveurd’une condamnation, et approuvait ce qu’ilavait fait pendant la guerre.

Trois semaines plus tard on a rangé sanssuite l’instruction contre Léon Delwaide,lequel reprit une carrière politique.

«Contrairement à Delwaide ou à De Potter,le (Procureur) Baers ne fut jamais entendusur la position qu’il adopta vis-à-vis des per-sécutions antijuives. L’attitude déterminéequ’il prit face aux exigences allemandes, ennovembre 1942, occulta le silence assourdis-sant dont il fit preuve quelques mois aupa-ravant». Il a prétendu qu’il était ignorantdes directives qui avaient été données à lapolice. «...Un simple survol des PV d’août1942 et l’enquête menée par la PoliceJudiciaire en septembre, suffisent à remettreen cause sa prétendue ignorance des agisse-ments illégaux de la police d’Anvers. (...) Il nefait à peu près aucun doute que le Procureuravait une connaissance approfondie des évé-nements et que cela ne provoqua pas chez luide scrupules justifiant une intervention»45.

On ne peut qu’être révolté quand on litl’analyse au sujet des enquêtes juridiquessur la collaboration de la police anversoise,faite par Nico Wouters : «Il est clair que cesfaits demandaient une enquête approfon-die après l’occupation. Pourtant aucunmembre de la police anversoise, ni un supé-rieur hiérarchique, n’a été condamné, nisubstantiellement sanctionné. Bien aucontraire, la plupart des personnes concernéesont été acquittées et ont continué leur carrière

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après la libération. (...) La collaboration àla poursuite des Juifs pouvait être définiecomme «servir les plans de l’ennemi» (article118bis). La persécution des Juifs était un élé-ment central de la politique allemande natio-nale-socialiste. L’article 121bis pouvaitégalement être invoqué. En collaborant àcertaines formes des persécutions des Juifs, onexposait clairement des gens à des poursuitespar l’ennemi, qui avaient pour la plupart lamort comme conséquence. (...). Le substitutde l’auditeur militaire, Servais Tilkin, suggérale premier, le 29 septembre 1945, de faireune enquête au sujet de la responsabilité dela police anversoise dans les razzias des Juifspendant l’été 1942, et de traiter le sujet glo-balement et systématiquement. (...)L’auditeur militaire anversois Sabbe réagitimmédiatement, et pour la première etunique fois, il ordonna de faire une enquêteglobale et approfondie au sujet de la res-ponsabilité du corps de police anversois à

l’arrestation des Juifs. (...) L’auditeur se ren-dit compte que (...) De Potter et surtout leProcureur du Roi Baers portaient la plushaute responsabilité. (...) En conclusion de sonenquête, l’auditeur militaire Sabbe donna(deux mois plus tard) un avis : «Vu l’aspectdélicat de cette affaire, dans laquelle toutel’attitude des parquets est débattue, et le faitque les commissaires ont agi sous une pressionmorale, j’estime devoir prendre en considé-ration s’il ne serait pas préférable de terminertoute cette affaire par un ordre de non-pour-suite». (...) «Une analyse des enquêtes judi-ciaires nous amène à constater que l’auditeurmilitaire anversois Sabbe a consciemmentdécidé de classer le «dossier des Juifs» sanssuite. Il a fait cela car une condamnationétait trop délicate (il écrit «te kies»).Premièrement, car des personnes haut placéesétaient concernées (les commissaires princi-paux Zeaenepoel et De Potter, les procu-reurs De Schepper et Baers et le bourgmestre

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46 Nico WOUTERS, «Een dilicaat probleem : het Antwerpse politiecorps en de naoorlogse gerechterlijke afwikkeling(1944-1946)», dans le rapport du CEGES.

47 Louis DAVIDS, rédacteur en chef et propriétaire du Belgisch Israelitisch Weekblad a présenté en 1978 le nom deDelwaide au «Comité d’hommage des Juifs de Belgique à leurs héros et sauveurs». Ceci est une vraie aberration, carcelui qui a aidé les Nazis à arrêter des Juifs et n’a jamais sauvé un seul des Juifs anversois, en mettant sa vie en danger,n’a aucun droit d’être reconnu comme Juste. Comme toute la liste est peu fiable, ses noms sont totalement rejetéspar la Commission de la Reconnaissance des Justes de Yad Vashem, comme preuve d’une aide aux Juifs pendant laguerre.Quand le livre de Saerens a paru, Louis Davids l’a attaqué, mais a refusé de publier son droit de réponse. Demême, quand cet article a paru en néerlandais dans la revue de la Fondation Auschwitz, Davids m’a attaquépersonnellement, disant que j’avais écrit des mensonges, sans d’ailleurs donner le moindre exemple, prouvant parcela qu’il préfère calomnier que de défendre la mémoire des Juifs déportés d’Anvers. Il a refusé de publier mon droitde réponse et j’ai du faire intervenir le Conseil des Journalistes pour l’obliger à insérer cette rectification.

48 De Potter, nommé le 1er mai 1942 commissaire principal, a été arrêté la nuit du 14 au 15 janvier 1944 ensemble avecsa femme et son fils Armand. Il est resté en prison six semaines, sa femme trois mois, et son fils fut déporté en Allemagneoù il mourut le 10 avril 1945 au camp de Dora. La raison de cette arrestation ne nous est pas connue. Armand DePotter était vraisemblablement un résistant. (Selon une documentation de Wim Geldolf pour la discussion au sujetdu livre de Saerens le 14 février 2001 à l’université d’Anvers UIA-RUCA). Cela ne justifie nullement l’attitude duchef de la police pendant les actions de 1942 contre les Juifs d’Anvers. Jozef De Potter est resté en fonction après laguerre jusqu’au 1er février 1949, date de sa retraite.

49 Saerens écrit dans un article pour la Fondation Auschwitz : «pratiquement aucun des 2.100 Juifs qui ont étédéportés grâce à l’aide de la police anversoise, soutenue par les directives contraignantes de De Potter, (...) n’asurvécu à la guerre. (...) Etait-il possible que De Potter ait donné de telles instructions s’il ne se savait pas couvert pardes instances supérieures ?».

50 Se basant sur ce rapport publié dans son livre en page 612, Saerens écrit dans le même article : «Je souligne une foisde plus : le Commissaire principal avait été d’avance mis à la hauteur de la rafle. Bien plus, il a donné les instructionsnécessaires pour l’engagement de son corps de police à la rafle».

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Delwaide). Deuxièmement, l’enquête ris-quait de s’étendre vers une critique globalede la police et de la gendarmerie pendantl’occupation. Pour ces deux raisons uneenquête aurait été un pas de trop. En 1945 ilétait plus important de défendre ces institu-tions, que de punir les éventuels responsablesdes arrestations des Juifs à Anvers en été1942»46.

Nous avons tenu à citer ces extraits, car ilsmontrent que le sort des Juifs n’a pas inté-ressé la magistrature, ni la police anversoise,ni le bourgmestre de la ville pendant la guer-re, et que personne n’a cru devoir punir lesresponsables qui étaient connus. La vie de3.600 Juifs ne comptait pas pour la justiceanversoise.

La désinformation a jouéet les Juifs ont cru

La plupart des Juifs croyaient à la versionmensongère répandue à Anvers, et soutenuepar le «Belgisch Israélitisch Weekblad», queLéon Delwaide avait été acquitté après laguerre par un tribunal. Ils présumaient doncqu’il était innocent et que les arrestationsavaient été faites sous les ordres et sous lacontrainte des Allemands, ordres auxquelsla police a dû se soumettre. C’est cette thèseque j’ai personnellement entendue pendantde longues années. Mais j’ai toujours deman-dé dans mes publications qu’une enquêteapprofondie soit faite sur cette page de ladéportation des Juifs anversois. L’étude faitepar Lieven Saerens jette une lumière nouvellesur les faits et sur la vérité. On voit que ladésinformation au sujet de la responsabili-té de Delwaide a bien fonctionné et ellecontinue même à ce jour avec l’appui incon-ditionnel de Louis Davids, directeur duB.I.W. Lieven Saerens a été attaqué par l’heb-domadaire juif anversois47 sans aucune preu-ve que les faits rapportés et ses conclusionssoient erronés. La parution du livre du com-

missaire retraité de Maesschalk, confirmeles faits et apporte encore des détails acca-blants, bien qu’il essaye de disculper lespoliciers obligés de suivre les ordres de leurssupérieurs, et rejette d’une certaine maniè-re, la responsabilité du commissaire en chefsur son supérieur administratif, le bourg-mestre Delwaide.

Le Commissaire principal Jozef De Potter,est - d’après ce que nous avons publié plushaut - celui qui à plusieurs reprises a donnél’ordre aux agents de participer aux rafles, ouau moins de se plier aux ordres de la Sipo-SD48. Par cela il porte sa part de responsa-bilité aux razzias des Juifs anversois49.

Quand la Commission de la Chambre du 28novembre 1944 se pencha sur la levée del’immunité parlementaire de Delwaide, sonrapport cite une déclaration du Commissaireprincipal disant qu’il confirme les déclara-tions de Delwaide que ni lui, ni le bourg-mestre, n’étaient au courant de la razzia du28 août. Or il savait avant la rafle que l’onavait demandé des renforts d’agents pour«des actions spéciales», comme il ressort durapport de la Garde permanente de la poli-ce du même jour50.

Conclusions :La population anversoise semble bien avoirété - dans sa majorité - apathique au sortdes Juifs. Pourtant il y a eu des actions indi-viduelles des habitants pour sauver les per-sécutés. J’en suis témoin puisqu’un ami demon père, le diamantaire Gustave Bonami,reconnu comme Juste par le Yad Vashem,nous a aidé à fuir après l’arrestation de monpère. Je voudrais citer le témoignage deShlomo Hanegbi (Salomon Praport) quiraconte : «En 1942, un policier ami a aver-ti ma mère que la même nuit il y aurait desarrestations. Ma mère a placé quelques vête-ments dans une valise et nous sommes par-tis immédiatement de Berchem à Bruxelles

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où habitait un oncle aveugle. Le policier a étéarrêté plus tard et envoyé à Mauthausen»51.J’ai également le témoignage de Léon Rieselqui certifie que sa mère a été avertie par unpolicier du danger et a pu fuir. Le juif résis-tant Joseph Sterngold a trouvé refuge pen-dant une certaine période dans la maisond’un policier. Les Juifs ont pu compter surl’aide d’une résistance flamande organisée52.Même parmi les policiers, certains ont agi enfaveur des Juifs. Il faut insister sur le faitque certains agents, parmi ceux qui ont par-ticipé aux arrestations étaient choqués par cequi s’est passé et ont fait ce travail contre leurgré. Mais ils ne s’y sont pas opposés.

Après la guerre nous ne voyons pas de lapart des autorités une initiative de mettreau clair les responsabilités du bourgmestre,du chef de la police, du procureur ou dugouverneur dans leur collaboration à l’ar-restation des Juifs.

Nous avons vu que l’enquête sur LéonDelwaide n’avait pas un rapport direct avecles rafles des Juifs. Il n’a jamais été mis enaccusation sur ce point.

Le procureur a émis une lettre au mois denovembre 1942 interdisant la collaborationde la police aux arrestations des citoyens deBelgique, lorsqu’elles ne correspondent pasà la loi. Si cet avis avait été donné au moisd’août, des centaines de Juifs auraient cer-tainement pu échapper aux arrestations.

Le Commissaire principal n’a jamais étéinquiété, bien qu’il soit pertinemment clair

qu’il ait donné des ordres aux agents pourparticiper aux rafles. Il a terminé paisiblementsa carrière jusqu’à sa retraite.

Plus de deux mille Juifs ont été envoyés à lamort, personne n’a été inquiété, personne n’aété poursuivi, personne n’a été trouvé res-ponsable. On a tout rejeté sur la Gestapo,laquelle n’aurait pas pu exécuter seule lesarrestations.

Jamais depuis la Libération, la police anver-soise, ni l’un des bourgmestres de l’après-guerre ou un des représentants de la Justice,n’ont cru devoir présenter des excuses à lapopulation juive de la ville.

Synthese

De betrokkenheid van de lokale autoriteitenbij het doorvoeren van de judeocide is inzekere zin altijd taboe geweest. Het voor-beeld van de Antwerpse casus is genoeg-zaam gekend. De publicatie van het boek vanLieven Saerens, Vreemdelingen in eenwereldstad, heeft onmiddellijk een leven-dige polemiek uitgelokt. In dit artikel dieptSylvain Brachfeld het onderwerp verder uiten gaat er nader in op de houding van deAntwerpse burgemeester, de gouverneur,de procureur des konings en de politie-commissaris. In een uitgewerkte argumen-tatie verwerpt hij de versies van de directbetrokkenen en stelt zich de vraag waaromer van hun kant nooit een vraag om vergif-fenis is gekomen.

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51 Témoignage publié dans S. Brachfeld, Ze hebben het overleefd, Brussel VUBPress, 1997, p. 134.52 La plus importante était la «Brigade Blanche» sous la direction du Colonel Marcel Louette.

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Le Prix littéraire de la Citoyenneté (PLC)existe depuis maintenant 6 ans sur le dépar-tement de Maine-et-Loire. L’opération estpilotée par l’Inspection académique deMaine-et-Loire (IA 49), la Fédération desŒuvres Laïques (F.O.L.) et regroupe despartenaires variés tous intéressés par l’en-seignement, la culture et l’éducation popu-laire : libraires, bibliothèques municipalesde la ville d’Angers, professeurs de lettres,professeurs documentalistes, professeursdes écoles et formateurs IUFM.

La commission

Le PLC se réunit en commission pédago-gique (et non comité de lecture) une fois parmois pour mener un travail de trois ordres :

- lire, débattre et sélectionner des ouvrages pourconstituer des sélections offertes aux élèvesde la maternelle à la classe de seconde ;

- réfléchir aux pistes pédagogiques offertesaux enseignants par les ouvrages propo-sés ;

- organiser techniquement des rencontresentre classes, des rencontres avec des auteurset / ou des débats littéraires avec participa-tion d’une association, d’une expo, etc.

À travers ces activités, la commission essaiede rester fidèle à ses objectifs de départ, àsavoir concilier des impératifs opération-nels avec une réflexion et des débats quipourraient l’apparenter à une recherche-action. C’est ainsi que la plupart de sesmembres se nourrissent des questions sou-

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LORINE GRIMAUDProfesseur agrégée de lettres

CHANTAL RIOUProfesseur agrégée de lettreset professeur conseil IA 49

L’usage de la littérature dansl’éducation à la citoyennetéadapté aux classes del’enseignement fondamental *

Lorine Grimaud et Chantal Riou nous présententleur communication donnée au séminaire organi-sé par la Fondation pour la Mémoire de laDéportation en octobre 2004. Il s’agit d’une expé-rience particulièrement intéressante qui pourraitêtre utile aux instituteurs belges qui souhaite-raient élaborer des projets d’écoles dans l’ensei-gnement primaire en Belgique.

* (ndlr : le titre du présent article est de la rédaction).

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levées pour produire des articles, s’inscriredans un processus de formation ou derecherche.

Les objectifsLes objectifs du PLC sont d’offrir, au moyend’une sélection de 4 ou 5 ouvrages par niveau(maternelle-CP, CP-CE, CM-6ème, 5ème-4ème et 3ème-2nde)1, la possibilité aux ensei-gnants et aux élèves de :

- travailler des savoirs et des savoir-faire lit-téraires et citoyens (sans hiérarchie de l’unpar rapport à l’autre) inscrits dans les pro-grammes de l’école élémentaire, du collè-ge et du lycée,

- faire vivre le débat d’idée et le débat litté-raire en classe,

- faire se rencontrer des classes sur des débatslittéraires et citoyens à partir d’un ou plu-sieurs ouvrages (rencontres de mai et pro-jets d’année). À ce titre, les sélectionscommunes au Cycle 32 et à la sixième, ouà la troisième et à la classe de seconde, pro-posent des possibilités de liaisons inter-cycles particulièrement riches et actives.

Par ailleurs, un des objectifs du PLC estd’offrir aux jeunes par l’apprentissage de lalecture littéraire, l’opportunité de se construi-re dans une dimension identitaire personnelleet dans une dimension identitaire relative àl’altérité. C’est dans ce cadre que les ouvragessont donc choisis, pour interroger ce qu’il est

convenu d’appeler une «éducation à lacitoyenneté». Ils doivent permettre de dépas-ser les dimensions préventives, morales et enmême temps les intégrer.

La commission s’efforce donc de choisir,dans la production éditoriale de l’année, desouvrages qui offrent suffisamment d’impli-cite, d’espace à l’imaginaire, d’ancrages sym-boliques, de sorte que le travail sur les textespuisse relever d’autre chose que d’une simpleexplicitation au pied de la lettre. L’absence detransparence ou d’évidence est aussi unecondition indispensable pour qu’un débatauthentique ait lieu.

A cet effet, elle élabore des sélections qu’el-le souhaite les plus équilibrées possiblesdans les formes littéraires et dans les ques-tions citoyennes soulevées, lesquelles vont dequestions très intimes à des problématiquesplus universelles : grandir, le handicap, lasexualité, les marques, l’esclavage des enfants,la famille, l’alcoolisme, etc. et, chaque année,plusieurs sélections se voient concernéespar des ouvrages ayant trait à la déporta-tion, à la concentration ou à tout autre aspectrelatif à la Shoah.

Les sélectionsLes formes littéraires et artistiques choisiesvont de l’album au roman en passant parle théâtre, la poésie et le conte. Il s’agit depublications dites de «littérature jeunesse» etce pour tous les niveaux concernés.

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1 Le niveau maternelle-CP (cours préparatoire) s’adresse à des enfants de 2 ans et demi à 7 ans ; CP-CE (courspréparatoire et cours élémentaire) regroupe des enfants de 6 à 8 ans. Le niveau CM (cours moyens) est le dernier niveaude l’enseignement élémentaire en France, les deux dernières années de ce qu’on appelle l’école. Les enfants y sont âgésde 8 à 11 ans ; ils entrent ensuite au collège (les classes de 6ème à 3ème ), puis vers l’âge de 15 ans, poursuivent pour certainsd’entre eux au lycée (2nde, 1ère et Terminale). A l’issue de ces trois années ils passent le baccalauréat. Le Prix littéraireménage donc sciemment des sélections de liaison inter-cycles pour permettre aux enseignants des différents typesd’établissements de travailler entre eux, et pour favoriser ainsi le parcours des élèves.

2 Le cycle 3 correspond aux classes de CM (8 à 11 ans).3 Didier JEAN et ZAD, L’agneau qui ne voulait pas être un mouton, Syros jeunesse, 2004.4 Le texte de cette communication a été présenté lors du séminaire d’octobre 2004 organisé par la Fondation pour la

mémoire de la Déportation.

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Cependant, la sélection 3eme/seconde s’ouvreà l’espace littérature pour tous, comme entémoignent les choix de ces dernières années.On peut citer Le message d’André Chédid,Oscar et la dame rose d’ E. E. Schmidt ouEffroyables jardins de Michel Quint.

Il se trouve que cette année, pour offrir desperspectives fortes à une forme littéraireconsidérée comme marginale parce qu’en-fantine, la commission pédagogique du PLCa choisi d’inclure de manière transversaledans toutes les sélections un album de litté-rature jeunesses qui sera lu dans le départe-ment par tous les élèves participant àl’opération (120 classes inscrites fin octobre2004), et qui permettra des rencontres entregrands et petits : L’agneau qui ne voulaitpas être un mouton3. Ce choix prend unrelief tout particulier en cette année de com-mémoration du soixantenaire de la libérationdes camps.

Pourquoi ce choix ? Parce que l’album per-met aux enseignants de faire savoir aux élèvesque la littérature n’est ni une question d’âgeni une question de difficulté du texte, maisqu’elle se trouve partout où le travail del’imaginaire rejoint des questions univer-selles sur un texte dense, même s’il est court,dans des images complexes même si ellesne sont pas compliquées ; partout où deschoix artistiques peuvent être analysés, dis-cutés et rapprochés d’une littérature dite«patrimoniale». Ce qui intéresse les membresde la commission pédagogique du PLC etqui peut sembler un peu incongru peut-êtredans ce séminaire4 où il est somme toutequestion de recenser, collecter, comprendredes faits - c’est-à-dire une réalité tangibleet historique incontestée et incontestable -c’est comment la littérature de fiction peutaider à ce travail de compréhension, peut-êtreplus qu’aider, soutenir ce travail de mémoi-re.

Il s’agit en particulier de voir :

- Comment l’art, la littérature et la fictionpeuvent parler à des enfants, en amontmême de la conscience qu’ils peuvent avoird’un fait impossible à concevoir, ce qui estle cas pour les plus jeunes de nos élèves.Réfléchir à ce point apparaît d’autant plusactuel que les témoignages directs se fontplus rares et vont disparaître. Or, dans cesrencontres avec les déportés par exemple,se jouait une part d’humain et de sensibi-lité que l’art peut relayer, articulé avec l’his-toire et le documentaire.

- Comment la fiction et le détour fictionnel(le non-vrai plus réel que la réalité) peuvent-ils permettre aux plus grands de se construi-re une conscience sur ce qui dépassel’entendement et l’imaginable.

- Comment aussi mettre des images - desimages de mots et images de couleurs -sur quelque chose qui, pour être histo-rique et inscrit dans des dates et desévénements, est aussi éminemment anhis-torique ou transhistorique et malheureu-sement profondément humain et universel.

- Comment enfin, comprendre cela enmême temps qu’on acquiert des savoirsscolaires et des savoir-faire en matièred’analyse de texte ?

Derrière tous ces «comment», il y a bienévidemment un «pourquoi ?» : Pourquoirecourir à la littérature de fiction pour trans-mettre une mémoire de la Déportation ?Pourquoi la fiction pour entretenir unemémoire de la réalité ? Il nous faut pourcela partir du postulat que les sbires du régi-me nazi n’étaient pas des gens extraordi-naires mais des gens ordinaires, et qu’ils ontété relayés et aidés dans leur entreprise pard’autres gens d’une grande banalité. Desgens. Des humains. Et la littérature ne parlejamais d’autre chose que de l’humaine condi-tion, le PLC en est simplement le relais àl’échelle des classes d’un département.

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Ainsi, il est nécessaire tout d’abord de com-mencer par voir de quoi il est question pourdes littéraires lorsqu’on parle de «fiction».Cette notion mérite en effet d’être définiepour ne laisser aucune place au doute quant àl’objet dont il va être question. Elle permettrad’ailleurs de dresser un panorama de la litté-rature de jeunesse. C’est à partir de ces élé-ments que je pourrai ensuite développer lesenjeux qui président à notre choix du fic-tionnel, c’est-à-dire ce qui fait que la littératurepeut être une arme contre le silence autantqu’un vecteur privilégié pour dire l’indicible,ou, comme le dit mieux que moi PhilippeJaccottet, profondément marqué par la deuxiè-me guerre mondiale, que «la poésie est unebougie allumée sur un champ de bataille»5.Enfin, je tenterai d’ouvrir des pistes de réflexionsur les effets de la littérature dans un espace dela psyché qui manipule des savoirs au-delàdes savoirs scolaires, plus loin que la conscien-ce qu’on peut avoir de ce que l’on pense, maisdans l’inconscience de ce que l’on est.

I. La littérature de fiction etla littérature jeunesse

Quand la forme fait sensIl faut, bien évidemment opérer dès main-tenant un distinguo entre littérature de fiction

et falsification. La littérature de fiction et lafiction en général, même et surtout si ellesracontent le vrai, se distinguent de l’Histoireen tant que discipline, par le fait que laconstruction du récit obéit à des choix, et queces choix ne visent jamais ni l’exhaustivité, nila pure vérité : raconter son histoire ouraconter une histoire, ce n’est jamais diretoute l’Histoire6. Ces choix sont à la foisd’ordres stylistique, esthétique et rhétorique(au moins).

En effet, la fiction obéit à des choix stylis-tiques en raison du fait qu’un auteur metautant de sens dans sa manière de dire quedans ce qu’il dit. C’est le cas de la poésieengagée de cette période par exemple (cf.On n’aime guère que la paix7) qui mérite àla fois d’être travaillé du point de vue de laproduction littéraire pendant les conflits, età la fois du point de vue de la production lit-téraire de 2003 pour rendre compte des pliset replis qu’emprunte le travail de mémoire :doubles pages à déplier, texte-image et choixtypographiques, etc.. Ainsi le texte devient-il bannière de papier : dans la forme éditorialela page est oriflamme ou pavillon et peutflotter à l’extérieur du livre comme dans saportée puisque le texte, cette fois, devientsigne de ralliement et de lutte pour la paix.Par ailleurs si l’on sait que l’engagement despoètes des années de guerre est certes poli-

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5 Discours de réception du prix Rambert, 1956.6 Si les historiens sont aussi confrontés à ces choix quand il leur faut écrire l’Histoire, leur écriture reste néanmoins

subordonnée à d’autres critères que ceux de l’écrivain qui fait œuvre littéraire. De ce point de vue, il semble qu’unchantier littéraire et linguistique reste à ouvrir sur les particularités de l’écriture historique de la Shoah d’une part etsur la zone encore peu connue pour cette période, qui se situe à l’interface du témoignage historique et del’autobiographie littéraire, d’autre part.

7 J.M. HENRY, A. SERRES, N. NOVI, On n’aime guère que la paix, Rue du Monde, mars 2003.8 Il ne s’agit pas ici de poétique au sens de poème, mais du terme désignant, en référence à son étymologie «faire, fabriquer»,

la création littéraire elle-même.9 C’est ce qui se passe dans le roman épistolaire de KRESSMANN Taylor, Inconnu à cette adresse, Hachette livres, 2002.10 Boris CYRULNIK, Le murmure des fantômes, Odile Jacob, 2003, p. 146 et suivantes : «Donner forme à l’ombre,

c’est se reconstituer après la pulvérisation traumatique. Donner forme à l’ombre, c’est le premier temps de lacréation artistique. Le nom que je porte est celui de mes ombres. C’est la preuve sociale qu’elles ont bien existé».

11 Au sens de l’Inventio selon Aristote.12 Karen LEVINE, La valise d’Hana, Flammarion, 2002.

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tique, il est aussi un engagement poétique. Lapoésie d’alors travaille, et pour cause, surla dislocation du vers, elle manifeste ainsisous autant de formes qu’il existe de poètes,la dislocation de la conscience humanistealors à l’œuvre. Cette poésie morcelée, pré-cipitée, qui se passe des marques de ponc-tuation, qui brise la métrique classique, ditdans sa forme, avant même d’y mettre desmots, à quel point l’humain est morcelédans le conflit atypique de la DeuxièmeGuerre mondiale (c’est aussi ce que l’onvoit dans les choix «poétiques»8 au senscréatif de P. Levi ; choix mais aussi sensation,expérience de la déchirure).

La forme dit aussi l’urgence de l’écriture,elle dit encore la clandestinité des publica-tions, elle dit la peur de ne pas arriver vivantà la fin du texte. Le choix du style n’est pasun choix innocent, il n’est jamais seulementcelui de la simple relation objective de l’évé-nement.

La fiction repose aussi sur des choix esthé-tiques, et elle peut se permettre quelquechose que l’Histoire ne s’autorise pas, maisc’est bien normal, c’est le choix du frag-ment, de l’analepse et de la prolepse ; ellepeut ainsi faire du temps du récit un autretemps, un temps brouillé, confus. Elle peutse fonder sur l’hyperbole ou la litote, ellepeut se dire par petites touches comme untableau impressionniste ou avec la froideurdes rapports de la police française, elle peutemprunter le style du propos calomniateurou de la délation, elle peut inviter à l’émotion,bref, elle a tous les droits, parce qu’elle ne ditpas tout, mais qu’elle reconstruit. Dans cetteécriture de la Déportation, les sens aussisont déportés. Une écriture de la concen-tration, peut devenir elle-même concentra-tion, esthétique de l’enfermement.L’esthétique du fragment est bien souvent cequi permet au lecteur de se sentir aussi, lui-même, et pendant sa lecture, morcelé, des-cellé, déporté : en morceaux. Brisé par la

logique nazie à travers le récit qu’il pénètre.Trouvant du sens non pas dans les pleins,mais dans les creux entre les morceaux derécit9. On mesure ici ce qui sépare le docu-ment historique de la fiction.

Enfin, la fiction obéit aussi à des choix rhé-toriques. Elle n’a jamais pour objectif d’in-former. Ce n’est pas, quoi qu’on dise, sonrôle, et le degré informationnel qu’elle véhi-cule n’est pas au service de la vérité historiquemais au service, d’une part, de l’intentioncathartique de l’auteur qui écrit pour SEréécrire10 (comment se reconstruire sinon ?Primo Levi et Perec n’ont-ils pas saisi la lit-térature à cette fin ?) et d’autre part, au ser-vice de la conscience humaine du lecteurqui dans sa lecture, et même s’il n’en a pasl’intention, emprunte un chemin qui va luipermettre de projeter ses propres déchi-rures et de les raccommoder du récit d’unautre. De plus, l’outil de reconstructionqu’est la littérature permet de s’approprierl’indicible, en posant des mots, sinon «sur»au moins «autour» de la blessure.

Ainsi, la fiction correspond-elle à des choix,elle trie, elle élimine, elle invente11 parfoisaussi, mais avec des visées qui sont bien«ailleurs» du témoignage, même si une pre-mière lecture peut nous faire croire au simple,au seul témoignage (cf. La valise d’Hana12).

L’intention réaliste (parler de, ou à partirde quelque chose, qui a, ou qui eut une réa-lité), n’a rien à voir avec la réalité. C’est sim-plement quelque chose qui émerge du réelpar lambeaux, même si parfois l’effet de réelest plus vrai que nature, plus saisissant quele vrai. De ce point de vue, la fiction n’est pasla «fausseté». On n’est pas du côté du néga-tionnisme qui refait une Histoire fictive,erronée, mais on est dans l’appropriationartistique d’un aspect de l’Histoire.Evidemment, sur ce terrain là, l’imaginaireet l’imagination travaillent de concert avec laréalité.

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Il est bien évident que sans ces précisions, «lalittérature de fiction» et «la mémoire de laDéportation» peuvent être entenduescomme deux propositions antinomiques,elles peuvent heurter, mais le recadrage opérésur la terminologie littéraire permet de faireun sort à cette représentation. Non, il n’estpas question par la fiction de véhiculer deserreurs, mais par la fiction littéraire, de dire,d’entendre une réalité. La question se posealors évidemment de savoir comment onpeut prétendre aborder ce dont il faut entre-tenir le souvenir par la reconstruction litté-raire ? Plutôt que de traiter tout de suite ce«comment» que nous venons d’aborderbrièvement, je voudrais tout d’abord quel’on s’inquiète du «pourquoi», point d’autantplus essentiel qu’il s’agit d’aider des jeunes,des petits, à ce construire dans leur huma-nitude qui s’oppose à la barbarie, d’où qu’el-le vienne.

Quand la littérature tente des’ériger en rempart contre labarbarie

En effet, à l’heure où les derniers témoinsvivants de l’horreur des camps vont dispa-raître, il n’y aura plus que la parole de l’his-torien qui pourra tenir lieu de vérité, encorefaudra-t-il qu’elle ne soit pas remise en ques-tion, et l’on sait que c’est possible, que ce futet que c’est encore le cas.

On sait aussi que la réalité, et la densité detémoignages et d’histoires toutes plus atrocesles unes que les autres, augmentent encore cerisque. On sait donc que la Shoah peut

tendre, à moyen et à long terme, à devenir unmythe. Un mythe, c’est à dire une histoire,fondatrice d’une douleur, recouverte de sesmultiples versions qui s’apparenteront bien-tôt à des légendes. Quelque chose qui tientlieu de leçon, de morale, de moralité, certes,mais qui est de l’ordre d’une autre Histoire,celle du temps où l’on s’exterminait... Contrecet oubli, il y a des témoignages. Seulement,le témoignage ne peut pas tout. Et s’il nepeut pas tout, c’est parce qu’il ne traverse pasles siècles indemne mais qu’il agglutine à sasuite les représentations, les peurs, lescroyances ; très souvent en effet et quellesque soient les précautions que l’on prend,puisqu’il n’est pas la parole de l’historien, iléchappe, dans sa réception, au contrôle de lacommunauté scientifique. On sait lui fairedire ce qu’on veut13.

Par ailleurs, on sait aussi que la croyanceest plus forte que le savoir, que le bon sensest plus efficace à manipuler les foules que leraisonnement scientifique14, on sait que lasolution radicale, celle qui permet de trou-ver une solution maintenant, est souventpréférée à la discussion dialectique et heu-ristique qui prend un peu plus de temps etoblige à observer la médaille et son revers.

Devant ces constats, il semble que la litté-rature peut, d’une certaine manière, se dres-ser en rempart. Elle le peut, d’une part parcequ’elle joue des mythes littéraires depuisdes siècles et que face à la barbarie, elle conti-nue à dresser des barrières fragiles mais per-manentes. Cette permanence, nous la voyonsdans ce que la littérature n’a jamais cessé de

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13 Nous possédons aujourd’hui des témoignages du XIVème, XVIème, XVIIème siècle qui attestent qu’untel setransformait en loup les nuits de pleine lune. Or, on voit bien que de tels témoignages sont soumis à caution, et parcequ’ils sont évidemment contestables, non en tant que témoignages, mais pour l’information qu’ils véhiculent, ilsdévalorisent à eux seuls toute la catégorie du témoignage en général. De tels écrits peuvent fort bien invalider d’autresécrits sous le seul prétexte qu’ils appartiendraient aussi à la catégorie du témoignage.14 Quitte à dévoyer parfois le raisonnement scientifique pour, sous couvert de savants calculs, procéder aux pires atrocités.15 J.-P. ASTOLFI, «Information, connaissance, savoir», in L’école pour apprendre, E.S.F., 2002, pp. 66-67. Cetteconnaissance peut se transformer en savoir non par le cours seulement, mais par le débat littéraire où l’élève ne reçoitpas d’ex-plications, mais s’im-plique (voir infra).

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dénoncer la barbarie, et aussi dans cettecapacité qu’a le texte littéraire à traverserles siècles et les frontières au nez et à la barbedes tyrans. C’est à ce point évident que lesdictateurs en général et Hitler en particuliercommencent leur «règne» par des autodafés,ils brûlent ce qui est le plus dangereux poureux : la parole sous le texte.

Une autre des raisons qui nous font consi-dérer la littérature comme un rempart, tientdans ce que la connaissance transformée ensavoir15, issue d’un apprentissage en classedes mécanismes et des phénomènes liés auxtextes, d’une histoire littéraire, d’une his-toire des arts, des enjeux de ce qu’écrire,parler et raconter veulent dire, que c’est le jeude cette connaissance-savoir qui peut lemieux former les jeunes sur cette dichotomiequ’entretiennent savoir et croire.

Ainsi, si la Shoah doit devenir un mythe, iln’y a sûrement que l’art pour faire en sorteque le travail de mémoire subsiste, et parmices arts, la littérature tient une place nonnégligeable. Elle offre un paradoxe intéres-sant, celui du recours au mythe contre lamythification. Et c’est encore, paradoxale-ment, la raison et le savoir qui peuvent nouspermettre de voir et de comprendre à quelsmythes fondateurs renvoie l’histoire de laShoah et partant, quelles figures, quellesstratégies fictionnelles sont les mieux à mêmede la traiter et de la travailler avec des élèves,afin qu’ils acquièrent dans le même tempsdes savoirs littéraires et des savoir-être huma-nistes.

Construire une éducation à lavigilance : vers une nécessairecollaboration

Ceci étant, acquérir un savoir-être huma-niste, ce n’est pas du seul domaine du coursde français ou du cours de lettres, et pour quela mémoire de ces événements précis quesont la Déportation, la Concentration etl’Extermination organisées par le régime

nazi soit une mémoire active, les enjeux dela fiction entrent nécessairement en réso-nance avec les savoirs historiques.

Que l’homme en effet ait toujours été unloup pour l’homme est une chose, nous yreviendrons, en revanche, que ce loup soitdoté d’une telle capacité d’organisation, qu’ilait prévu, planifié, organisé des relais, qu’il aitservi un discours particulier et adapté à cettepériode précise de l’Histoire, cela relèved’une nécessaire coopération disciplinaireentre les professeurs d’Histoire et les pro-fesseurs de lettres. C’est à cet endroit précisd’un travail de plusieurs disciplines que l’élè-ve doit pouvoir être amené à faire la diffé-rence entre le document qui relève dudomaine de l’information historique et celuiqui relève de l’information littéraire. Tous lesdocuments ne se valent pas parce qu’ils nerépondent pas tous à la même question. Etsi, de la même manière, tous les documentsse valent parce que chacun à sa manière peutrépondre à une question, l’information qu’onen tire y a été déposée avec des intentions dif-férentes. On voit ici se dessiner un troisièmepartenaire indispensable à la constructionde cette mémoire : le professeur documen-taliste qui, lui, est à même, parce que c’est sondomaine de compétences, de compléter cetrio et d’interroger les élèves sur l’épaisseurmême du document dans un éventail aussilarge que celui qui irait du témoignage ou dela lettre, à la poésie, au roman ou à l’affichede propagande.

II. Pourquoi le choix dulittéraire et du fictionnel ?

Quels sont alors les enjeux d’un tel choix ?En effet, travailler des questions si difficilesà partir du littéraire et du fictionnel, celapeut être vu aussi comme une tentative d’évi-tement. Un moyen de ne pas regarder laréalité en face. Il est d’ailleurs tout à fait

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possible que ce soit le cas, et pour plusieursraisons.

Et si le monstre était en l’homme :le choix d’un angle de vue...

La première de ces raisons, c’est parce quequelque chose de l’événement de la Shoahreste indicible et impensable (au sens oùc’est impossible à concevoir, à se représen-ter pour de jeunes enfants et des adoles-cents). En effet, si on peut montrer les camps,apporter des témoignages y compris ico-nographiques, il demeure toujours dans cetévénement quelque chose qui ne pourraêtre dit, quelque chose qui est du côté de lamonstruosité16 et qui pourtant, même si çane peut pas être dit, habite chaque êtrehumain, soit en tant que germe, soit en tantque trace. Ce que chacun de nous est capablede déployer comme stratégie barbare estimpensable. C’est inhumain, et à ce titre,c’est impensable. Si c’est impensable, c’estbien parce qu’il n’y a pas de mots pour lepenser et donc pas de mots pour le dire :penser et réfléchir la pulsion ne ressortis-sent pas du domaine de l’école.

Mais, et c’est là tout l’intérêt de la fiction etde la littérature de jeunesse, puisqu’elle n’apas de mots pour être dite, elle peut alors êtremétaphorisée : en d’autres termes, autrechose dira cet impensable, servira de relais.

On peut en effet légitiment se poser la ques-tion de savoir si le fond de l’horreur peut êtredit, c’est ici le cas. Est-ce qu’il peut être dit etexpliqué ? EX-pliquer n’est pas toujourspossible, et en termes d’apprentissage, onsait aussi que ce n’est pas toujours rentable.Reste alors à IM-pliquer17, et c’est une desprérogatives de la fiction. Elle permet de nepas parler de soi, de ne pas parler de sonpropre monstre, elle permet de n’avoir pasà se positionner en termes réfléchis, elle a sur-tout cette capacité à se loger dans l’indicibleet à parler - parce qu’elle est autorisée àemprunter les détours que l’Histoire n’em-prunte pas - à un autre espace de la conscien-ce. A ce titre, l’album L’agneau qui ne voulaitpas être un mouton18, ne prononce jamaisaucun mot qui pourrait avoir explicitementla moindre relation avec la Deuxième Guerremondiale (le texte de la fin mis à part... maisjustement, il est mis à part !). Il va mêmeplus loin : en s’adressant soi-disant à dejeunes enfants, il se permet de transformer letyran en loup (c’est un cliché, mais un clichéqui nous en dit plus long que ce que l’on saitou que ce que l’on croit savoir de la peur duloup19...). De ce fait, toute la partie indiciblede l’humain devient possiblement signi-fiable via le loup (La Fontaine en avait faitautant), toutes les petites transactions peuglorieuses qu’on opère entre soi et soi dansle secret du troupeau deviennent dicibles

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16 Seul le psychanalyste pourrait travailler à rendre cet aspect compréhensible, resterait encore à ce qu’il puisse êtreréellement com-pris des élèves et des adultes. On entre là dans une zone de résistance si importante, qu’il estintéressant d’essayer d’envisager de la travailler plutôt que de l’éviter. Les membres de la commission du PLCrencontrent des zones de résistance dans d’autres domaines, et particulièrement celui de la sexualité. Quelapprentissage à un moment où les mots de l’adulte, tout comme ceux de l’enfant rencontrent une intériorité qui nepeut se dire dans la classe ?

17 Expliquer et impliquer sont composés à partir de la racine latine plexere signifiant «tresser, enlacer» et qui donne enfrançais «plier». Ex-pliquer, c’est porter au dehors les plis et en dehors des plis, dans un processus de déploiement,quant im-pliquer suppose une action intérieure, dans les plis ; cf. Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française,Le Robert, 2000.

18 op. cit.19 Sur le mythe et le mythe littéraire du lycanthrope, voir : Lorine GRIMAUD et Pascal DUPLESSIS, «Lectures d’un

monstre de l’imaginaire : le loup-garou» in L’école des lettres des collèges n°4 et 5, octobre 2002.20 op. cit.

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par le recours aux moutons (et Rabelais enavait déjà fait autant).

Une désignation en creux, ou l’art du ricochet

Une autre des bonnes raisons qu’on peutavoir de recourir à la littérature de jeunesse,c’est que ce qu’il y a à dire, même quand il estpossible de le dire, est si douloureux que lafiction peut lutter contre la tentation detaire : en effet, la littérature de fiction estdotée de ce pouvoir de montrer sans dire.Elle sait signifier au-delà du simple dénoté,elle peut parler du camp sans montrer lecamp, elle sait travailler l’enfermement etla Déportation sans forcément désigner letrain, le barbelé ou le chien (même si parfoiselle le fait, mais alors, c’est autre chose, peut-être, qu’elle nous dit...). On peut comprendreque ces images si dures ne puissent être ditesni reçues. Alors, à cet endroit précis, quandla littérature patrimoniale n’hésite pas parfoisà désigner crûment l’objet, le fait, la littéra-ture de jeunesse, sans le moins du mondeadoucir le propos, sans le détourner de sonsens non plus, détourne en revanche lessignifiants. Dans L’agneau qui ne voulaitpas être un mouton20, on se demande, mêmedans un processus inconscient, ce que sontces moutons coincés entre le monde sau-vage et le précipice, le lecteur est invité às’interroger sur l’autre barbarie qui peutnaître au cœur d’un troupeau ainsi confinéentre semblables. De même, il reçoit cetexte-image et ne peut éviter la question quise pose à la fin de l’ouvrage : qu’est-ce quitombe donc dans le précipice ? Est-ce unloup, est-ce ce loup, est-ce une bête qui dis-paraît, ou bien alors est-ce la bête ?

Mais, parce qu’elle n’apporte pas deréponses, la littérature (de jeunesse) lais-se l’enseignant de lettres placer là ungeste professionnel. C’est dans ce gesteque la dimension éducative tout autantque la dimension cognitive se jouent.

Ce geste ne désignera pas forcément lenazisme. Tout simplement, tout métho-diquement, il pointera la syntaxe, il inter-rogera sur le sens des mots, il interrogerasur la différence entre LA et UNE -apparemment ce n’est rien, mais ici, c’estl’essentiel ; apparemment ce point de«langue» a déjà été vu, traité, appris,mais ici, il a du sens -. Ces déterminantsne seront plus jamais les mêmes pourles enfants qui seront passés par l’analy-se de cette portion de texte, parce qu’icides unités aussi petites que ces articlesdéfini et indéfini auront redonné toutleur sens à des peurs archaïques, et pourles plus grands à des peurs archaïquesancrées aussi dans un passé historiquedouloureux et connu. Montrer sans dire,c’est posséder un pouvoir extraordinai-re. L’enseignant ici, n’a pas à expliquerl’hitlérisme, l’évocation suffit, ne pas enparler nommément, même, c’est pos-sible, dès lors que son travail syntaxiques’il explique un phénomène somme toutebanal de la langue, implique l’élève dansune réflexion sur la peur, le danger, etdonc sur le travail de vigilance indisso-ciable du travail de mémoire. Cet aspectest surtout important quand on replacel’action du professeur de lettres dansune visée éducative : se souvenir oui,mais pour construire l’avenir. C’est ainsiaussi que se construit la fidélité à l’espritet à la lettre des serments des déportéseux-mêmes. Par ailleurs, on a bien moinsde chance de faire comprendre à l’élèvela différence entre le défini et l’indéfini sion essaie de lui faire toucher la diffé-rence entre «un cartable» et «le cartable»dans un dispositif décontextualisé.Certes, il voit... mais tout en lui l’autoriseà oublier cette légère différence. Enrevanche, que «la» bête ait été anéantie,ou qu’ «une» bête ait disparu, cela chan-ge tout et fondamentalement, cela chan-ge tout pour lui.

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Le détour pour mieux entendre et voir ?

Une troisième bonne raison du recours à lalittérature jeunesse et à la fiction tient dans lefait que ce qui est dicible n’est pas forcé-ment entendable (notre public a entre 2 et 17ans) : la capacité de la fiction à faire entendrece qui n’est pas dit, nous venons de le voir, estimportante. Ceci étant, avec les plus jeunes,il n’est pas question de parler des camps de lamort dans les mêmes termes qu’avec les plusgrands, parfois même, il n’est pas questiond’en parler du tout. L’objet historique n’exis-te pas pour eux. Et quand bien même... sansleur réserver un monde pétri d’angélisme,une telle violence ne saurait faire irruptiondans les classes de maternelle. Cela dit, descomportements identiques existent. C’estl’éducation, la civilisation, le travail civilisa-teur qui parviendront à les faire régresser,même si, on le sait bien, éducation et civili-sation ne supprimeront jamais ces archaïsmesqui une fois «domptés» permettent le travailsi riche de l’imaginaire. Avec les plus jeunesenfants donc, c’est un travail de débat citoyenqui pourra être privilégié sur ces albums,mais la densité de l’ouvrage peut aussi per-mettre un travail littéraire.

Le travail littéraire permet en effet de nepas parler de ce qui se passe dans l’histoire,mais de tenter de voir comment c’est dit.Plus besoin alors d’essayer de faire entendreà toute force le message, on parle d’autrechose. On parle du texte, de l’image. L’imageoffre la possibilité d’engager des débats surles choix de couleurs, de manipuler le langageet avec lui les représentations de l’altérité

qui se forgent chez les tout petits. De même,le travail sur le texte (qu’est-ce que c’est quecet agneau qui ne voulait pas être un mou-ton ? Est-ce possible ? Comment faire ? Etaprès son coup d’éclat, échappera-t-il à sacondition ovine ?) offre quantité de pistespour travailler sur l’axe du langage, tout cequi, finalement, ne pouvait pas être entendu,parce que trop complexe.

Gardons-nous cependant de croire que cedicible non entendable soit réservé auxpetites classes. Les plus âgés des élèvesconcernés par le PLC ont aussi besoin dudétour littéraire pour voir ce qui crève lesyeux mais qu’ils ne peuvent pas entendre,soit parce que pour untel ce n’est pas pos-sible, soit parce que ce n’est plus dans leurmonde, ce n’est plus cela précisément quiagite les consciences aujourd’hui.

L’espace transitionnel comme forceEnfin, et ce n’est pas la moindre de ses qua-lités, la littérature en général et la littératurede fiction en particulier offrent à la fois unobjet et un espace qui permet de défléchir laréalité21, c’est la quatrième raison qui nousfait choisir ce détour par la fiction.

Parce que la littérature n’est pas le réel maisun travail artistique, une reconstruction, etparce qu’en classe elle devient un objet de tra-vail, elle ne présente pas de danger parceque le choc est amorti par l’espace de l’art etqu’il est amorti par le fait que le travail portesur le littéraire, pas sur ce dont il est question.Evidemment, on n’évite pas pour autant laquestion de la Shoah, mais elle arrive déflé-

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21 Sur la déflexion, voir : Lorine GRIMAUD, «Ces choses-là...» in Cahiers pédagogiques n° 425, juin 2004.22 Nous entendons ce terme selon l’acception qu’en a donné R. Jakobson dans sa définition des fonctions du langage.23 Alain REY, op. cit.24 Franck PAVLOV, Matin brun, Cheyne, 2001.25 «Un savoir que» ou savoir assertorique vs savoir apodictique d’après la classification des jugements selon Kant. Olivier

REBOUL, Qu’est-ce qu’apprendre ?, E.S.F. Voilà une belle situation problème pour la classe, et de quoi construireun «s’y connaître», c’est-à-dire mobiliser, réactiver un savoir assertorique et lui permettre, pour expliquer autre chose,de passer au rang de savoir apodictique.

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chie dans sa course par l’espace de la litté-rature, et c’est cet espace qui fait l’objet dutravail. Ainsi, la littérature tient-elle lieud’objet transitionnel. En effet, le personna-ge du livre n’est pas moi, même si je meprojette en lui, alors je peux en parler. Leméchant n’est pas moi, mais il me permet demettre des mots sur mes ombres, sans jamaisme mettre en danger. L’enfant déporté n’estpas moi, mais je peux me projeter dans sacondition sans être moi-même en danger. Lalittérature permet d’amortir le réel, parcequ’elle n’offre que l’effet de réel. Cet effet seconstruit, on peut donc le déconstruire etobserver comment il n’est, à un certainmoment, qu’un jeu sur les formes, qu’untravail de choix lexicaux et syntaxiques,qu’un travail d’images au service d’un effetescompté. La littérature installe une distan-ce à laquelle le professeur donne du senspar un travail sur les genres et les courants lit-téraires, par un travail raisonné sur le lexique,sur les représentations, par des recoupe-ments nombreux avec la littérature patri-moniale.

On n’est pas dans le vrai quand on lit unroman, on est dans l’illusion réaliste, et c’esttrès différent. Même si la question de l’his-toire vraie (l’histoire vécue !) se pose (et ellese pose), le travail des formes offre une zonesécurisée pour traiter de questions très dou-loureuses et qui renvoient, à chaque fois,chacun à lui-même.

III. Le littéraire et lesfondements de l’imaginaire

Choisir l’espace de la littérature pour tra-vailler une telle question nous conduit fata-lement à nous interroger sur les rapportsentretenus, dans ce travail même, entre lestextes, la réalité et leur réception. En effet, lalittérarité d’un texte tient pour beaucoup àsa densité, et si densité il y a, elle repose surles réseaux symboliques, sur le travail de

l’imaginaire qu’il permet, sur quelque chosequi se situe au-delà de l’intrigue, du récit, dupropos, de l’information strictement réfé-rentielle22.

Du savoir à la con-naissance23

Nous l’avons déjà évoqué, la coopération desenseignants d’Histoire et de lettres est indis-pensable pour travailler la mémoire de laDéportation, tout comme elle est indispen-sable pour traiter celle de la torture en Algérieou toutes les atrocités qui ont donné lieu àune abondante littérature côtoyant un abon-dant fonds documentaire historique.

Et effectivement, des références sont néces-saires à partir d’un certain âge pour com-prendre le paradoxal discours de l’indicible.Une très récente expérience de lecture deMatin brun24, en classe de seconde, m’arévélé qu’un tiers des élèves n’avait pas aiméle livre. Pourquoi pas aimé ? Parce que «c’estdes beaufs», parce que «ça ne raconte que desbanalités». Oui, ils n’avaient pas aimé, parcequ’ils n’avaient pas compris. Pas compris àquoi renvoyait ce «brun» du titre, pas com-pris que la banalité et l’indifférence avaientété le terreau sur lequel le régime nazi avaitpu se développer, pas compris à quoi ren-voyait le terme «milice», pas compris qu’il esttoujours dans ces cas-là question de pro-pagande et de censure. Pas compris quepour se sentir en sécurité on est souventtenté de se mettre du côté de celui qui semblele plus menaçant, pas compris qu’abdiquerune liberté après une autre au nom de latranquillité et de l’ordre, c’est souvent s’en-foncer à chaque fois un peu plus dans l’in-humain et dans la barbarie. Pour ces élèvesde seconde qui pourtant savent (entendonspar là savoir scolaire) ce qu’est le régimenazi, le lien, le transfert de connaissance nes’était pas opéré. Faut-il en déduire qu’il yavait là un savoir qui n’en était pas un, unsavoir déconnecté de l’être ? Un pseudo-savoir25 ?

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Il n’empêche, cette nouvelle, ils ne l’avaientpas aimée, parce que bien que ne la com-prenant pas pour ce qu’elle voulait signi-fier, elle les avait dérangés. Le travail decaractérisation des personnages de FranckPavlov dialogue avec notre imaginaire, l’en-chaînement des petites soumissions réson-ne en chaque lecteur avec les petitscompromis qu’il fait lui-même pour avoir lapaix. Quelle paix ? A quel prix cette paix ? Laquestion est déplacée quand on n’a pas com-pris la nouvelle et elle est si dérangeantequ’il est plus facile de pointer la banalitéque d’interroger tout seul (et c’est un grostravail même quand on n’est pas seul) lesens de ce qu’on vient de lire. Les raisons dece «dérangement» par une nouvelle qu’ilsqualifient de «banale» et qui donc ne devraitpas les déranger, c’est qu’elle travaille sur lesymbolique, et que même en n’ayant pascompris de quoi il est question, ils ne peuventqu’entendre ce qui se dit dans les creux dutexte.

De l’intrigue à la construction de soiLe travail sur le texte littéraire constitue le lieuidéal pour construire du symbolique, lequelest au fondement même de l’humanité.Comment le travail de l’imaginaire construit-il un savoir au-delà du savoir et permet-il defonder une identité humaniste ?

Face à une démarche historique, face à desfaits insoutenables, face aussi à ce qu’on nepeut ou ne veut ni voir, ni s’avouer, la litté-rature offre le moyen d’un travail sur l’iden-tité et sur l’altérité. Concernant l’identité,le texte littéraire, chargé de toutes les infor-mations qu’il véhicule, mais parfois surtouten dépit des informations, ne travaille pasl’intérieur du lecteur du côté des savoirs etdes connaissances, mais il le travaille sur

l’imaginaire. Dans la fiction, la raison dulecteur est emportée par l’enchaînement despéripéties, mais une autre partie de lui selaisse travailler du côté de l’émotion et dusymbolique. Prenons par exemple La vali-se d’Hana26. Le roman raconte la quêted’une jeune japonaise et de ses élèves autourd’une valise à moitié pleine, et donc aussi...à moitié vide. C’est Hana, fillette juive, sonparcours de déportée et sa courte vie quifont l’objet de ses recherches. Le récit peutsembler d’une grande banalité. Si ce n’estpas banal d’être une petite fille déportée, labanalité peut surgir, elle, du trop plein derécits racontant ces histoires d’enfants.Cependant, l’analyse littéraire de l’ouvragemontre qu’au-delà de l’histoire (vraie, pour-tant), c’est d’autre chose d’éminemmentplus symbolique dont il est question.D’abord, il est question de faire porter cettevalise sacrificielle à chaque lecteur, et qu’il leveuille ou non, le simple fait d’entrer dans cerécit l’y oblige. D’autre part, la structuresymbolique du récit, toujours bi-partie, tra-vaille sur la question de l’altérité. Elle inter-roge les lecteurs sur ce que l’on est quand onse retrouve seul, quand on a perdu cetteautre partie de soi-même symbolisée ici parun frère, un chien, une poupée, une doublureà pois ou une chaussette. Le texte travaillehors du champ de la compréhension pre-mière. L’intrigue n’est qu’un support à unautre discours, et peu importe que l’auteurl’ait sciemment construit, cet autre discourss’y trouve et c’est lui, et non pas ce qu’onnous montre, qui assure la structure dutexte, sa cohérence. Or, cette structuremarque l’imaginaire du lecteur tout autantque l’histoire peut le toucher, seulement laplupart du temps, il n’en sait rien. Parce quela littérature «me» plonge dans un universqui n’est pas le mien, parce les héros ne sont

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26 op. cit.27 Entendons par là d’une part, que la dimension littéraire travaille le lecteur et d’autre part, que le professeur de lettres

travaille aussi avec ce matériau.

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pas «moi», «je» peux me sentir en sécuritépar une part d’altérité, de distance. Maiscette distance est, dans ce même temps,interrogée par la nécessaire reconnaissancede Moi dans cet autre univers. C’est dans cejeu entre le même et l’autre que chacund’entre nous peut se construire dans sonidentité et que le littéraire travaille27.

Ainsi, ce qui est dit dans l’œuvre littérairedissimule-t-il toujours autre chose qui vabien plus loin que le récit et qui participe parun travail d’IM-plication et non d’EX-pli-cation à la construction d’une identité. Restepour nous à souhaiter, et à faire en sorte,qu’il s’agisse d’une identité humaniste.L’explication fait la culture humaniste(Voltaire et l’esclavage en sont le meilleurexemple) quand l’implication fait l’identitéhumaniste.

Ce qui est compris de l’extérieur de soi,c’est-à-dire ce qui reste du domaine de l’ex-plication, est toujours, à un moment ou à unautre de sa vie, contestable. Une chose eneffet vaut son contraire pourvu que celapuisse être expliqué, argumenté. La logiqueest aussi au fondement des pires atrocités. Enrevanche, ce que l’imaginaire construit estfondamental et fondateur : cela s’inscrit aufondement de l’être humain. Ce n’est pasl’explication travaillant la conscience qui estpartout souveraine, mais souvent le mytheinsaisissable qui agit dans les profondeurs del’inconscient.

Là encore, le geste professionnel quiconstruit cette implication est amplementfavorisé par la mise en scène du débat litté-raire et citoyen dans l’espace sécurisé de laclasse et de l’école ; là se joue une mimésisindispensable à la transformation descroyances en connaissances et des connais-sances en savoirs.

Les voies de la littératureComment alors l’objet littéraire et le tra-vail littéraire permettent-ils le devoir de

mémoire et nourrissent-ils le nécessairedevoir de vigilance ?

Montaigne, Voltaire, Rabelais, La Fontaine,ont toujours été plus forts que tous les pou-voirs barbares, même s’ils n’ont pas à euxtous empêché la Shoah (mais après tout,que sait-on de ce qu’ils ont pu, par ailleurs,empêcher ?). Le régime nazi, comme tous lesrégimes totalitaires, nous l’avons déjà dit,ne s’y est pas trompé en multipliant censu-re et autres autodafés. Si la littérature dejeunesse ouvre une telle capacité de travail,c’est d’abord parce qu’elle est littérature etnon pas simple support de lecture. Danscette mesure, elle rejoint les enjeux de la lit-térature patrimoniale. A travers elle, lesélèves sont amenés à retrouver et recon-naître d’autres formes. Par exemple,L’agneau qui ne voulait pas être un mouton28

peut servir à initier un travail sur la tragédieen classe de seconde. Non pas parce quel’histoire de la collaboration est une tragédie,certes, c’en est une, mais parce que la desti-née qui pèse sur l’agneau dès le titre ren-voie inévitablement au concept de latragôdia. Parce que cet ovin n’est pas si éloi-gné que cela du bouc sacrificiel, de la victi-me émissaire. Parce que la tragédie, c’estaussi un des éléments les plus marquantsde notre patrimoine littéraire. Rapprocher cetalbum par exemple de la tragédie de Racine :Esther, c’est permettre aux élèves de s’ap-proprier toute une partie de l’histoire des reli-gions, de comprendre à travers la lecture dela tragédie racinienne et du «Livre d’Esther»de la Bible, comment la collusion du poli-tique et du religieux se trouvent au fonde-ment de l’Histoire du peuple victime de laShoah. C’est retrouver dans les textesantiques et classiques les traces, parfois plusque précises, du mythe, c’est leur offrir lapossibilité de comprendre la dialectique du«retour du même». La littérature ici n’a paspour ambition de moraliser les consciences,de montrer le pire pour qu’il ne se reproduise

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plus, ce n’est pas son rôle. Elle permet decomprendre ce qu’on dit quand on s’excla-me «c’est une tragédie !». Ce n’est pas leseul travail historique ou le seul travail lit-téraire qui permettent de mener à bien cetteentreprise de com-préhension, c’est bel etbien la reconnaissance de formes littérairessignifiantes en elles-mêmes en associationavec les savoirs historiques.

D’autres exemples permettraient de montrercomment, par la force de la satire, de l’ironie,par le jeu du récit, l’imaginaire entre enl’homme par une autre porte que celle de laraison et de la réflexion, comment cet ima-ginaire qui travaille sans nous et malgrénous, met en réseau toutes les dérives inté-gristes et convoque à la suite d’un roman delittérature jeunesse toutes les grandes pièceslittéraires sur l’inquisition, sur les autodafés,lesquelles, bien qu’inscrites dans un contex-te historique, dépassent largement, du faitjustement de leur littérarité, l’époque et laquestion pour lesquelles elles ont été écrites.

C’est ainsi que la littérature dite de jeunes-se, ou la littérature dite patrimoniale, per-mettent à la fois de désigner la réalité dansson contexte historique (Montaigne parlebien des guerres de religion dont il est entou-ré, Miriam ou les voix perdues29 renvoie demanière très explicite, même sans mention,à la déportation des juifs) alors même qu’iln’y a plus de témoins - elle soutient ô com-bien le devoir de mémoire - et en mêmetemps, elle jette un éclairage sur un présentqui ne peut se contenter du devoir demémoire mais doit absolument le prolongeren devoir de vigilance.

Pour conclure : De la mémoire àla commémoration, vers unenécessaire intériorité

C’est à quelques choses près une profondebanalité que de débiter de telles évidences quipourraient sembler vêtues de l’abominablecostume du bon sens. Evidemment il nefaut pas que ça recommence. Mais ça recom-mence. Evidemment, il est important de sesouvenir, mais on a très bien réussi à oublierd’autres génocides30. C’est par le geste pro-fessionnel de «la mise en réseau» que l’élèveconstruira cette idée que de tels événementsne sont pas de l’ «histoire ancienne». Alorsquoi ? La poésie qui serait cette «bougieallumée sur un champ de bataille», que signi-fie-t-elle ? Elle veut peut-être dire que toutêtre est langage31 et que c’est de la matière dulangage qu’il se construit, qu’ainsi donc,même le plus abominable des tyrans n’estjamais qu’un être de chair et de mots. Parfoisde mots qui ont manqué. Mais cette maximejaccottéenne signifie aussi que la littératuresait dire. Elle possède les mots qui peuventparfois venir à manquer, même dans la bar-barie, elle peut encore parler quand leshommes n’ont plus de voix.

De là à envisager que la littérature ne soit plusstrictement un «patrimoine», héritage huma-niste légué par nos prédécesseurs, mais aussiun «matrimoine» nourricier de mots, demythes et de symboles qui font grandir leshumains, il n’y a qu’un pas. Ainsi chaqueannée les réflexions menées au sein de lacommission pédagogique du Prix littérairede la citoyenneté contribuent-elles à ce queses membres développent un peu plus leursrecherches dans cette voie.

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28 op. cit.29 Jo HOESTLANDT, Miriam ou les voix perdues, Syros jeunesse, 2004.30 Le PLC a, cette année, sélectionné un roman qui met en scène le génocide rwandais à travers un roman d’aventures :

Alain SURGET, Les oiseaux de Kisangani, Magnard jeunesse, 2003.31 Françoise DOLTO, Tout est langage, Vertiges du nord / Carrère, 1987. Si on retenait cette théorie, on en déduirait

immanquablement, pour ce qui nous intéresse du point de vue du régime nazi, que le langage se prolonge en actes.

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Propositions de séquences de travail littéraire à partird’un album de littérature

jeunesse

A Récit, nouvelle et mise enimages du récit

. l’agneau qui ne voulait pas être un mou-ton

. Effroyables jardins

. Matin brun

. Corpus de poésies engagées et d’apo-logues de la Fontaine

Problématique : la place de l’image dans lerécit, la poésie et l’apologue : illustrer pourconvaincre et la question de la chute.Possibilité de mise en abyme de la notionde chute : moralité de l’apologue, chute duloup, chute du récit, chute dans le trou...

B Résister ou la question du hérostragique. L’agneau qui ne voulait pas être un mou-ton

. Claudine Desmarteau, C’est écrit là-haut, Seuil jeunesse, 2000

. Matin brun

. Racine, Esther ou Athalie

. Corpus d’extraits de tragédies antiques etclassiques évoquant le poids du destin, dela divinité

Problématique : où se cache le tyran ? :la question du tyran extérieur / intérieur,le sort du héros tragique au regard decelui du résistant dans la tragédie clas-sique et dans l’album. Etude d’un genre lit-téraire : la structure de la tragédie adaptéeà la Shoah

C Mythe et intertextes. Le petit Poucet (album + livres CD +conte de Ch. Perrault)

. Gunter Grass, Le tambour

. Eric Battut, Comme le loup blanc,Autrement Jeunesse, 2002

Problématique : la question du héros faceà l’engoûleur. Travail sur le conte et lalégende, les représentations du labyrinthe(cailloux blancs et rails de la déportation,la Pologne et la ville de Gdansk, laby-rinthe intérieur). Ecriture oblique. Lafocalisation : la barbarie du point de vue dupetit, valeurs stylistiques et esthétiquesdu petit = effets de sens. Réutilisation dumythe à d’autres fins que le récit de laShoah.

SyntheseDit artikel van Lorine Grimaud en ChantalRiou is de tekst van hun bijdrage die ze inoktober 2004 te Parijs naar voor gebrachthebben tijdens een seminarie georganiseerddoor de Fondation de la Mémoire de laDéportation. De auteurs stellen de «LiterairePrijs van het Burgerschap» voor die geor-ganiseerd wordt in het Franse departementvan Maine-et-Loire, evenals de doelstellin-gen van de begeleidende pedagogische com-missie. De leden van deze commissie lezenen selecteren de werken die zich richtennaar de jongeren, doen denkwerk omtrenthet pedagogisch parcours dat aan de leer-krachten in de voorgestelde werken wordtvoorgesteld, organiseren ontmoetingen metde auteurs, literaire debatten of tentoons-tellingen waarin het thema «onderzoek-actie» centraal staat. Vanuit de vraagstellingendie naar voor komen worden dan artikelsgeschreven en probeert men aansluiting tevinden bij de recente ontwikkelingen ophet vlak van vorming en onderzoek. Eenvan de doelstellingen van de Prijs is aan de

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jongeren de gelegenheid te geven om, doo-rheen de literatuur, hun persoonlijkheidgestalte te geven en dit zowel op persoonlijkvlak als in hun opstelling tegenover de ander.De werken worden dus gekozen in hetkader van een «opvoeding tot burgerschap»,die de waakzaamheid en de bezinning cen-traal stelt.

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Avant-propos

L’histoire des camps de concentration com-porte deux périodes distinctes. La premiè-re, dite «période nationale», débute en 1933avec la mise en place des premiers camps deconcentration et se termine au mois d’août1939. La deuxième, dite «période interna-tionale», s’étend de septembre 1939, (datede l’entrée des troupes allemandes enPologne, qui mènera à la Seconde Guerremondiale), à la libération des camps en1945.

Nous avons tendance à croire que c’est aumoment de la libération des camps que lemonde a découvert avec stupeur l’horreur

des camps nazis. Or, bien avant que la guer-re n’éclate, durant les premières années dunational-socialisme, certains détenus desKZ témoigneront de leur expérience au seinde cet enfer.

La Belgique, pays limitrophe de l’Allemagnenazie, accueillera, avant la guerre, des victimesdu nazisme. Les Belges se rendaient-ilscompte de la gravité des événements qui sedéroulaient dans le IIIe Reich ? Se sentaient-ils concernés ? Connaissaient-ils l’existencedes camps de concentration ? Si oui, savaient-ils ce qui s’y passait ? Y a-t-il eu des témoi-gnages d’anciens détenus dans notre pays ?Autant de questions auxquelles nous tente-rons de répondre au cours de cette étude.

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ANNE-CATHERINE RABENDA*

Licenciée en Histoire

Ce que savaient les Belges descamps de concentration nazisentre 1938 et 1940

* Anne-Catherine Rabenda est Licenciée en Histoire de l’Université de Liège. La présente contribution synthétise sonMémoire de fin d’études.

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Afin de mener à bien ce travail, nous noussommes notamment basés sur la presse quo-tidienne belge. Dix grands journaux, repré-sentant les diverses tendances politiques,ont été consultés. Nous nous sommes limi-tés à la presse francophone. Nous avonségalement consulté les AnnalesParlementaires, les Mémoires d’hommespolitiques de l’époque, le dossier duMinistère des Affaires étrangères relatif auxrelations diplomatiques entre la Belgique etl’Allemagne, la documentation sur les campsde concentration classée au Service desVictimes de la Guerre et au CEGES.

Hitler devient chancelier du Reich le 30 jan-vier 1933. A peine installé, il édifie sa dicta-ture : les décrets essentiels sont tous pris lessix premiers mois du pouvoir. Premièrement,il obtient du président Hindenburg la dis-solution du Reichstag, élu moins de troismois auparavant. Hitler souhaite que le gou-vernement bénéficie de pouvoirs étenduset il ajoute qu’une loi sur les pleins pou-voirs doit être votée au Reichstag. Il proposede procéder à de nouvelles élections quiauront lieu le 5 mars 1933.

Quelques jours avant les élections, le 27février 1933, éclate l’incendie du Reichstag.L’incendiaire, Marinus Van Der Lubbe, unjeune communiste hollandais de Moscou, estdirectement appréhendé. Il n’est plus dou-teux aujourd’hui que cet incendie ait étéordonné par les nazis. Il fut exploité pouraffoler l’opinion et abattre les communistes,à qui l’on attribua un imaginaire complot.Cet incendie fournit un prétexte idéal pourofficialiser la police parallèle née moins d’unesemaine plus tôt, le 22 février. C’estHermann Goering qui promulgue l’éditautorisant la violence armée pour la défen-se de l’état et crée la Hilfpolizei.

Le lendemain, le 28 février 1933, Hitler per-suade Hindenburg de promulguer le décretpour la «Défense du Peuple et de l’Etat». Letexte repose «sur la base de l’article 48, alinéa2, de la Constitution de Weimar» qui permetau président «de prendre, en cas de crise,toutes les mesures que nécessite le maintiende la sécurité et de l’ordre public»1. Ce décretpermet de fournir un cadre légal à toutemesure d’internement opérée sans motifobjectif et valable. Le but est de pouvoirarrêter et mettre derrière des barbelés, pourune durée indéterminée, toute personneconsidérée comme dangereuse, et ce sansavoir recours à une cour de justice. C’estpourquoi la détention est qualifiée de pré-ventive ou de «protection». Ce décret aurades effets immédiats : les arrestations sepoursuivent à un rythme effréné. Il y a tel-lement de personnes appréhendées que lesprisons sont trop petites pour les recevoir.C’est donc à leur intention que seront«improvisés» les premiers camps de concen-tration.

Le décret du 28 février prévoit que «les per-sonnes arrêtées pour motif politique doiventêtre en principe envoyées dans des camps deconcentration, sauf si elles doivent rester à ladisposition permanente de la justice ou si ladétention est considérée comme devant êtrede courte durée»2. Ne pouvant les mettreen prison - en effet, ces personnes ont beauêtre considérées comme dangereuses, ellesn’ont fait l’objet d’aucune condamnation -Goering, ministre de l’Intérieur de Prusse,imagine la solution des camps de concen-tration. Près de septante camps vont doncsortir de terre, de manière spontanée, unpeu partout en Allemagne. Les camps sontdonc improvisés. Cette improvisationexplique le caractère insolite que revêtentplusieurs camps : châteaux forts, usines

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1 Olga WORMSER-MIGOT, Le système concentrationnaire nazi, 1933-1945, P.U.F., Paris, 1968, p. 68.2 Jean BEZAUT, Oranienburg, 1933-1945, Sachsenhausen, 1936-1945, Hérault-Editions, 1969, p. 22.

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désaffectées, stades, bateaux ou encore lesStalags de la Première Guerre mondiale.Aucune région d’Allemagne n’est épargnée.Les camps de «détention préventive» sontplacés sous l’autorité de la S.A. locale.

La raison pour laquelle ces personnes sontarrêtées semble claire : il s’agit d’éliminertout adversaire réel ou supposé du pouvoirnational-socialiste, les nazis se donnantcomme priorité de museler l’opposition. Lebut poursuivi est de concentrer des oppo-sants, de les soustraire à la communauténationale, pour les empêcher de nuire.L’objectif premier est donc de neutraliserces adversaires politiques et non de les exter-miner. Les KZ sont chargés d’isoler et derééduquer ceux dont la libération est envi-sageable. Au départ, le travail dans les campsn’a aucune finalité économique. Mais à par-tir de 1937, Himmler ajoute à la mission«pédagogique» des camps une missiond’ordre économique : exploiter la main-d’œuvre pour assurer l’indépendance finan-cière de la SS et contribuer aux projets deconstructions d’Hitler.

Les premières personnes qui seront viséespar le décret du 28 février 1933 sont lescommunistes. Ils appartiennent à la caté-gorie des prisonniers politiques. Les «poli-tiques» constituent la catégorie la plusancienne dans les camps. Ils portent commesigne distinctif un triangle rouge. Une autrecatégorie importante est celle qualifiée de«criminels». On les reconnaît à leur trianglevert. Cette catégorie comporte principale-ment des criminels endurcis qui ont déjàpurgé une ou plusieurs peines. Les trianglesnoirs sont appelés généralement les «aso-ciaux» ou les «réfractaires au travail». Cesont des vagabonds, des mendiants, desprostituées, des souteneurs ou tout simple-ment des personnes ne s’étant pas confor-mées au règlement du travail. Les«Bibelforscher», les Sectateurs de la Bible,sont parmi les premiers internés des camps.

Ils sont enfermés non seulement car ils refu-sent de porter les armes mais aussi parceque leurs sentiments religieux les empê-chent d’adhérer à l’idéologie nazie. Noustrouvons également dans les camps deshomosexuels. Ils portent un triangle rose.Parmi les détenus, il y a ceux qualifiés d’«Emigrants» qui portent un triangle bleu. Cesont généralement des Allemands revenusdans le Reich pensant trouver de meilleuresconditions d’existence dans le nouveauReich. Ils seront suspectés par la Gestapod’être des espions ou agents secrets del’étranger. Durant les premières années dunational-socialisme, des Juifs sont envoyésdans les camps, non pas parce qu’ils sontJuifs mais parce qu’ils sont communistes,criminels, asociaux ou considérés commedéviants sexuels. Ils ne constituent pas enco-re une catégorie à eux seuls. Les Tsiganespeupleront les camps à partir du mois dejuin 1936, suite à une circulaire contre le«fléau tsigane».

Comme nous pouvons le constater, lescamps enfermeront des personnes prove-nant de tous les milieux sociaux. De touttemps, les nazis s’attacheront à obtenir cemélange de catégories dans les camps afin deles empêcher de former des groupes.

Le 14 octobre 1933, le ministre prussien del’Intérieur envoie une circulaire d’impor-tance : elle a pour objet l’application de la«détention de sécurité». En d’autres termes,elle constitue le code d’internement dansles camps de concentration. Voici ce qu’ildéclare dans cette circulaire : «Les personnesarrêtées en vertu de l’ordonnance du prési-dent du Reich pour la protection du Peupleet de l’Etat du 28 février 1933 (...) sont enprincipe placées dans un camp de concen-tration, non seulement tant qu’elles doiventrester sous le contrôle des autorités de policesur le fond de leur arrestation, mais encore sila restriction de leur liberté personnelle ne

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peut être considérée dans une perspectived’internement de courte durée»3.

Le caractère illimité de l’internement se lais-se pressentir d’après le caractère vague des sti-pulations concernant sa durée : tant que lapolice a besoin d’avoir les victimes sous lamain, ou dans le cas où leur internementne peut être de courte durée. L’internementest donc laissé à l’arbitraire et apparaît illimité.

Le 13 février 1934, Goering édicte une nou-velle ordonnance qui recommande uneapplication modérée de la «Schutzhaft»,dans le but de réduire le nombre des campset de ne pas les surcharger.

Un décret de Heydrich, du 29 juillet 1935,ordonne à toutes les polices politiques duReich l’internement, pour le moindre soup-çon, de tout communiste, ainsi que de «tousles autres adversaires marxistes de l’Etat»4.

La détention préventive évoluera de maniè-re lente pour être consacrée par le décretdu 25 janvier 1938, édicté par le ministre del’Intérieur du Reich. Ce décret renforce ladétention de sécurité et rationalise le sys-tème concentrationnaire en précisant quedésormais, c’est à la seule Gestapo qu’ap-partient d’ordonner la détention de sécuri-té.

Alors que les premières lois sur la déten-tion sous-entendaient que le détenu pou-

vait être remis en liberté une fois que sa«régénération» serait intervenue, la loi dejanvier 1938 adopte une formule plus vague :«la détention de sécurité est maintenue aussilongtemps qu’il convient». Pourtant, cer-taines personnes sortiront des camps bienaprès l’application de cette loi de 1938.

La situation évolue dès lors de manière trèsrapide. Mois après mois, années après années,de nouveaux camps vont sortir de terre :Sachsenhausen voit le jour en 1936 ;Buchenwald, près de Weimar, ouvre sesportes en 1937 ; Ravensbrück, camp réser-vé aux femmes, devient fonctionnel en 1939 ;le camp de Mauthausen, situé dans la régionde Linz, en Autriche, enferme des détenusdès le mois d’août 1938 ; le camp deFlössenburg, près de Weiden, ouvre en 1938.

L’année 1938En 1938, l’Europe subit une métamorpho-se complète : l’annexion de l’Autriche par leReich Allemand, au mois de mars, est lepremier acte annonçant la conquête del’Europe par les nazis.

La prise du pouvoir en Autriche par lesnazis s’accompagne de mesures de répressionenvers les opposants du nouveau régime enplace, tout comme ce fut le cas en Allemagne,en 1933. A peine installés, les nazis procèdent

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3 Olga WORMSER-MIGOT, idem, pp. 95-96.4 Joseph BILLIG, L’hitlérisme et le système concentrationnaire, P.U.F., Paris, 1967, p. 196.5 La Gazette de Liège, jeudi 17 mars 1938, n° 65, p. 3. Ce journal catholique liégeois fut crée en 1840 par Joseph

Demarteau.6 En effet, les camps qui se trouvent en Autriche, à cette époque, ont été conçus par le chancelier autrichien Dolfuss

afin d’y enfermer les nazis de son pays.7 La Dernière Heure, jeudi 17 mars 1938, n° 76, p. 1. Quotidien bruxellois indépendant mais inspiré des principes libéraux.

Il fut fondé en 1906. En 1938, le tirage du quotidien s’élève à 230.000 exemplaires par jour.8 Le Peuple, Organe quotidien de la démocratie socialiste, jeudi 17 mars 1938, n° 76, p. 1.9 La Voix du Peuple, jeudi 17 mars 1938, n° 75, pp. 1 et 3.10 L’œuvre : Journal français, fondé en 1902 par Gustave Téry. Organe radical et anticlérical. Son dernier numéro paraît

le 17 août 1944.11 Le Soir, dimanche 20 mars 1938, n° 79, p. 4.12 Le Peuple, jeudi 24 mars 1938, n° 83, p. 3.

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à l’arrestation de milliers de personnes. Lescamps de concentration allemands voientaffluer des prisonniers autrichiens. C’est lapremière conséquence de l’Anschluss.

Comment ces événements sont-ils perçusdans notre pays ? La presse belge consacreplusieurs articles à ce sujet : «Des arrestationsen masse et de nombreux suicides de per-sonnalités autrichiennes. Les camps deconcentration devenus trop petits»5. Cesinformations émanent du correspondant deParis-Soir qui se trouve à Vienne. Il expliqueque les camps de concentration, ouvertsprimitivement pour les nazis6, sont troppetits pour contenir les sociaux-démocrateset les israélites. Il dresse ensuite une listedes personnes appréhendées. La DernièreHeure, du 17 mars 1938, intitule son article :«Tandis qu’on acclamait Hitler à Vienne,l’ancien vice-chancelier Fey se réfugiait dansla mort avec sa femme et son fils...On signa-le d’autres suicides et on apprend que lescamps de concentration commencent à s’em-plir»7. Le Peuple, journal socialiste bruxellois,publie un article portant plus ou moins lemême titre que la D.H. : «L’Autriche enproie à la peste hitlérienne, l’ancien vice-chancelier Fey se suicide avec sa femme et sonfils, d’autres personnalités éminentes se don-nent également la mort, et les camps deconcentration s’emplissent»8. La Voix duPeuple, quotidien communiste, du jeudi 17mars, a pour titre «(...) Les camps de concen-tration s’emplissent de catholiques, de légi-timistes, de socialistes, de Juifs et decommunistes»9. Ce journal nous donne uneinformation supplémentaire : «Himmler afait installer 3.000 chambres de tortures où lesouvriers viennois sont livrés à la vengeancedes S.A.». Cette information, que l’on trou-ve uniquement dans le journal communis-te, provient du journal l’Oeuvre10 de Paris.

Comme nous venons de le voir, les Belgessont mis au courant de ce qui se passe dansla nouvelle région allemande. Les journaux,

de toutes les tendances, emploient le mot«camp de concentration». Par conséquent,l’existence des camps est connue.

Le 20 mars 1938, le Soir parle d’ «Epurationà Vienne»11. Le quotidien bruxellois expliqueque depuis l’annexion, quinze mille indivi-dus ont été arrêtés et cent personnes se sontsuicidées dans la seule journée du 17 mars.La majeure partie des personnes appréhen-dées sont des membres de l’ancien Frontpatriotique.

Les Juifs autrichiens sont particulièrementtouchés par les persécutions nazies. LePeuple 12 explique que tous les jours descentaines de Juifs sont arrêtés. Tous les chefsdes organisations israélites ont été systéma-tiquement jetés en prison. A côté de cesarrestations massives, la communauté juivea du mal à survivre en Autriche, et ce pourdiverses raisons : toutes les organisationsjuives ont été fermées et leurs fonds saisis, cequi aggrave encore plus la situation des Juifsqui vivent déjà dans la misère ; les journauxjuifs sont interdits ; les Juifs sont éliminés detoutes les fonctions publiques, ... Ces inter-dictions visant les Juifs poussent souventau suicide. «Rien que pendant les quatrederniers jours, 140 Juifs ont été enterrés. (...)La moyenne normale d’enterrement est dequatre par jour». Ces chiffres prouvent àquel point l’antisémitisme touche l’Autriche.

Des lettres, provenant de Vienne et relatantla situation des Juifs dans cette ville depuisl’annexion, vont être publiées dans la pres-se belge, notamment dans le Peuple etl’Avenir Juif. Ces témoignages se passentde commentaires comme le signale le jour-nal socialiste : «Lundi matin, des S.A. ontpoussé environ 300 Juifs dans l’Augarten.Parmi eux se trouvaient des septuagénaireset des octogénaires. Pendant trois heures, onles laissa dans la pluie et les régala de coups.Pour autant que je sache, le pire eut lieu lesoir. Un groupe d’environ 80 S.A. conduisitenviron 250 personnes dans la nuit. On les

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assomma d’une façon épouvantable pen-dant une demi-heure. Aujourd’hui, j’ai visi-té quelques victimes. Elles n’ont plus figurehumaine, ...»13.

Au mois de juin 1938, nous trouvons, dansla presse, d’autres renseignements sur lescamps de concentration. La Voix du Peuple14

publie un article sur les «Victimes del’Anschluss» : «De temps à autre parvien-nent à Vienne des nouvelles de personnespolitiques autrichiennes internées dans lecamp de concentration de Dachau.Malheureusement, ce sont des avis de décès».

Fin juin 1938, deux quotidiens liégeois, laWallonie et la Gazette de Liège15, publientun article dans lequel on estime le nombre depersonnes autrichiennes envoyées dans lescamps de concentration depuis le 12 mars,c’est-à-dire depuis l’Anschluss. Les jour-naux évaluent le nombre de détenus à 50.000.Ils ajoutent que la plupart des prisonnierssont soumis à un régime de travaux forcés.

A cause des persécutions visant non seule-ment les Juifs mais aussi tous les opposantsau national-socialisme, des milliersd’Autrichiens tentent de fuir leur pays. Cespersonnes essayent de trouver asile cheznous. Les autorités belges décident de ren-forcer la surveillance aux frontières. Dès le15 mars, des instructions sont données parle département des Affaires étrangères, diri-gé par P.-H. Spaak, aux légations et consu-lats belges en Autriche, ordonnant de refuser

tout visa aux Autrichiens forcés de quitterleur pays16. Malgré cette mesure, des étran-gers arrivent chez nous. L’émigration de lapopulation autrichienne est la deuxièmeconséquence de l’Anschluss. La troisièmesera la création du camp de concentration deMauthausen, sur la rive nord du Danube,près d’Enns. Himmler et Heydrich décidentde mettre en place un camp en Autrichecar il devient compliqué de transporter desmilliers d’Autrichiens dans les campsd’Allemagne. Le camp est mis en serviceau mois d’août 1938.

Nous pourrions nous demander s’il y eut desarticles consacrés aux camps de concentra-tion dans la presse belge avant l’Anschluss.Le 4 janvier 1938, deux mois avant l’an-nexion, le quotidien communiste, la Voixdu peuple, nous fait savoir qu’il y eut : «Desmassacres de Juifs au camp de concentra-tion de Dachau»17. On y explique que lessévices et les tortures infligés aux Juifs pren-nent, ces derniers temps, le caractère d’unvéritable massacre systématique. «(...) LeJuif Loewy fut fusillé pour n’avoir pas obser-vé la distance réglementaire de six mètresen adressant la parole au service de garde».La mésaventure d’un autre juif est rappor-tée : cet individu entra dans la zone neutre ducamp, bande de gazon qui entoure celui-ci,sur l’ordre d’une patrouille. On lui tira des-sus. Le journal énumère d’autres massacresde Juifs dans cet article.

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13 Cette lettre qui date du 27 avril 1938 est reproduite dans Le Peuple du samedi 14 mai 1938, n° 134, p. 1 et dans l’AvenirJuif du vendredi 13 mai 1938, n° 101, p. 3.

14 La Voix du Peuple, mardi 7 juin 1938, n° 156, p. 3.15 La Gazette de Liège, lundi 20 juin 1938, n° 143, p. 3. et la Wallonie, jeudi 23 juin 1938, n° 174, p. 3.16 Jean-Philippe SCHREIBER, L’accueil des réfugiés juifs du Reich en Belgique, mars 1933-septembre 1939 : le

Comité d’Aide et d’Assistance aux Victimes de l’Antisémitisme en Allemagne, dans les Cahiers de la MémoireContemporaine, Didier Devillez éditeur, Fondation de la Mémoire Contemporaine, T. 3, Bruxelles, 2001, pp. 45-47.

17 La Voix du Peuple, mardi 4 janvier 1938, n° 3, p. 3.18 Le sadisme des gardes chiourmes dans les camps du IIIe Reich, dans La Wallonie, mercredi 18 mai 1938, n° 136, p.

5. Ce témoignage est reproduit dans La Voix du Peuple du jeudi 26 mai 1938, n° 144, p. 6.19 La Wallonie, lundi 8 août 1938, n° 220, p. 5.20 Hans Loritz sera un des commandants du camp de Dachau.

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Dans la Wallonie18 du 18 mai 1938, on trou-ve un témoignage intéressant d’un anciendétenu d’un camp. Ce jeune allemand apassé dix-sept mois de sa vie dans ce cal-vaire, a réussi à s’enfuir et à gagner la France.Il explique ce qui suit : «Journellement, lesmalheureux, après avoir travaillé toute lajournée dans la vase jusqu’aux genoux, sont,pour des motifs tout à fait futiles ou inventésde toutes pièces, déshabillés jusqu’à la cein-ture et liés avec des courroies sur un brancardoù on les flagelle jusqu’au sang. De nom-breux prisonniers ont ainsi trouvé la mort. Unautre genre de torture consiste à passer piedsnus sur des planches à travers lesquelles pas-sent les pointes de centaines de clous».L’ancien détenu conclut en disant que les«tortures inventées par les gardiens des campsde concentration sont inimaginables». Lequotidien socialiste précise que ces diresont pu être vérifiés. C’est le premier témoi-gnage d’un ancien détenu qui sera publiédans la presse francophone, en 1938.

Au mois d’août 1938, la Wallonie publiedeux articles sur les conditions de «vie» dansdeux camps de concentration, celui deDachau et celui de Buchenwald. Dans sonpremier article, le quotidien parle de Dachau :«A Dachau où l’on a honte d’être unhomme,...»19. Voici ce que les Belges appren-nent sur les camps : «Après cinq moisd’Anschluss, 15.000 prisonniers politiquesautrichiens se trouvent enfermés dans lecamp de concentration de Dachau, enAllemagne. Il n’y a pas de nom qui inspireplus de terreur aujourd’hui en Autriche quecelui de Dachau. Les patriotes ne le pro-noncent qu’à voix basse, bien qu’il se lise entoutes lettres dans les journaux et s’étalemême sur les murs. Les fonctionnaires de laGestapo, chargés de dépouiller de leurs biensles riches Autrichiens coupables d’être nonaryens ou légitimistes, ou d’avoir appartenusoit à la Heimwehr, soit au Front patrio-tique, ne manquent jamais d’avertir ceux-ci

que s’ils ne se laissent pas spolier de bon gré,ils seront envoyés sans délai au camp deconcentration de Dachau».

La Wallonie poursuit son article et expliquecomment se déroule une journée dans lecamp : «Le réveil a lieu à cinq heures. Lesdétenus reçoivent alors du café et un morceaude pain noir. Tous les trois jours, il leur est dis-tribué quelques grammes de margarine. Onse rend ensuite au travail en chantant deshymnes nazis, chanter est obligatoire. Lesdeux repas, suivis d’une pause et qui ont lieude midi à deux heures et de sept à neuf, doi-vent être pris en silence, afin de ne rien perdredes discours politiques coupés d’émissionsmusicales patriotiques que répandent sansinterruption les haut-parleurs. Les prison-niers sont employés à des travaux de construc-tions, de terrassements,... Tout ralentissementou toute distraction dans le travail est puni dechâtiments corporels. Les détenus sont tantôtfrappés à coups de bâton, tantôt à coup decrosse de fusil. On ne compte plus à Dachaules mâchoires fracassées par ce dernier moyen.Il existe une compagnie spéciale de puni-tion. Les Juifs sont les plus sauvagementmalmenés. Les mauvais traitements qu’onleur fait subir sont inventés par un certain M.Loritz20, fort expert en ces matières et douéd’une belle imagination sadique. Toutes lespersonnalités autrichiennes conduites àDachau ont eu d’abord les cheveux tondus,comme tout le monde et, comme tout lemonde aussi, elles ont été habillées d’unegrosse tenue grise marquée dans le dos de troisbarres rouges verticales. Ces opérations unefois finies, on les fait s’aligner devant laKommandantur, sur la place, où elles durentrester immobiles au garde à vous pendant desheures et jusqu’au complet épuisement. Ellesfurent alors arrosées d’eau avec des lances,puis emmenées chacune dans un«Stehbunker». On appelle ainsi une petitecave de la largeur juste d’un homme, danslaquelle il est impossible de bouger ni de

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s’asseoir. Ces malheureux y demeurèrentenfermés un peu plus de trois jours dans uneobscurité totale et quasi sans nourriture. Cen’est qu’après ce stage effroyable qu’ils furentadmis dans la communauté et répartis dansles «blocks» compartimentés en cellules.

Les hommes incarcérés à Dachau n’ont faitl’objet d’aucun jugement, motivé ou non, àla suite d’aucun procès, public ou à huisclos. Ce sont, en somme, de simples pré-venus qui seront presque tous maintenusici à perpétuité sans être jamais traduitsdevant un tribunal. Ils ignorent, pour la plu-part, quel méfait on leur reproche, et si leurdétention sera courte, longue ou perpétuel-le. L’incertitude où ils sont de leur sort futurconstitue le pire supplice.

Un garçon qui s’est échappé de cet enfer aconfié : «On sort quelquefois de Dachau,quand on y a été envoyé pour une peccadille.Mais on y retourne toujours et, cette fois,c’est pour la vie. Si je ne réussis pas à passer lafrontière, je me suiciderai. Je préfère la mortà risquer d’être repris et ramené là-bas. Lahaine meurt aussi à Dachau, on n’y a plushonte que d’être un homme».

La population belge connaissait déjà l’exis-tence des camps nazis, mais ici elle est miseau courant de ce qui se passe réellementdans ceux-ci. Nous devrions plutôt direqu’une partie de la population apprend cequi se passe dans les camps car cet article estuniquement reproduit dans le journal socia-

liste liégeois. Nous verrons, tout au long decette étude, que la plupart des articles rela-tant les événements qui se déroulent dans lescamps, sont publiés dans la presse de gauche.

Le même type d’article est publié quatrejours plus tard dans la presse socialiste. Il estreproduit dans la Wallonie et dans le Peuple,mais aussi dans l’Avenir juif. Cette fois-ci, ilest question d’un autre camp de concentra-tion, celui de Buchenwald, situé dans larégion de Weimar, près de Berlin. LaWallonie intitule son article : «Dans l’enferde Buchenwald, la peine de flagellation aété rétablie pour les Juifs et plus de quatre-vingts prisonniers y sont morts dans le seulmois de juillet»21.

Le Peuple signale qu’ «A la suite d’abomi-nables tortures, de nombreux Juifs seraientmorts dans un camp de concentration alle-mand»22.

L’année 1938 est marquée par un autre évé-nement important, la Reichskristallnacht.En Allemagne, les nazis s’apprêtent à célé-brer le 9 novembre, date anniversaire dupremier putsch hitlérien de 1923, à Munich.Les célébrations dégénèrent en manifesta-tions «spontanées» de vengeance. Dans lanuit du 9 au 10 novembre 1938, des petitsgroupes de nazis circulent dans les rues,armés de haches, de marteaux et de ciseaux,pénètrent dans les immeubles juifs, où ilssaccagent les porcelaines, les tableaux et lestapis. Fatigués de tout briser dans les

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21 La Wallonie, vendredi 12 août 1938, n° 224, p. 3.22 Le Peuple, samedi 13 août 1938, n° 226, p. 2.23 Rita THALMANN et Emmanuel FEINERMANN, La Nuit de Cristal, 9-10 novembre 1938, Robert Laffont, Paris,

1972, p. 131.24 La Flandre Libérale, vendredi 11 novembre 1938, n° 315, p. 3. Certaines informations dont dispose ce quotidien

émanent de l’agence Reuter, agence de presse anglaise. Le correspondant pour la Belgique, à cette époque, est M.Robson. Cet article est publié par La Flandre Libérale et par d’autres quotidiens, notamment La Gazette de Liège,Le Peuple, Le Soir, La Voix du Peuple et La Wallonie. Ces quotidiens, mis à part le quotidien communiste, nousinforment que tous les Israélites en dessous de soixante ans, trouvés dans les rues ou même dans les maisons, ont étéarrêtés. Ces journaux précisent que le nombre des arrestations n’a pas été publié mais croient qu’il s’élève à au moins10.000. Ils pensent qu’ils ont été envoyés dans le nouveau camp de concentration de Mauthausen. Ces informationsproviennent de l’agence Reuter.

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demeures, ils jettent l’ameublement par lesfenêtres. Les synagogues sont incendiées etles magasins appartenant aux Juifs sontdétruits. Au total, il y eu destruction de 267synagogues et maisons communautaires et7.500 magasins juifs saccagés. Des milliers deJuifs sont arrêtés et envoyés dans les campsde concentration.

La nuit du 9 au 10 novembre 1938 constitueun tournant dans l’histoire des camps deconcentration nazis. Les Juifs sont désormaisinternés pour leur appartenance à la reli-gion juive et non plus pour des motifs poli-tiques ou criminels. Par conséquent, pour lesJuifs du Reich, cette nuit signifie une aggra-vation extraordinaire de leur sort ; pour lesnazis, si l’extermination est encore loin d’êtreà l’ordre du jour, du moins peuvent-ils seconvaincre que toutes les brutalités et tousles excès leur sont désormais permis.

Pourtant, il y a un lien évident entre lepogrom et la future politique d’extermina-tion. Cette nuit du 9 au 10 novembre joua unrôle de révélateur, découvrant une sociétécapable d’accepter froidement et sans cillerque des êtres humains, des Juifs, soient sousses yeux et en un instant ruinés, assassinés oumême poussés au suicide. Ce fut, pour lesdirigeants nazis, la démonstration qu’ilsallaient pouvoir se livrer en toute impunitéà des exactions et des crimes d’une toutautre ampleur23.

Les hommes politiques et la presse belge, detendance catholique, socialiste, libérale oucommuniste, expriment en chœur leurdégoût. Nous allons voir, tout d’abord, queles quotidiens belges accordent une grandeimportance aux événements qui touchentles Juifs du Reich. Nous verrons, ensuite, l’at-titude des hommes politiques belges faceaux persécutions menées contre les Israélites.

Dans un premier temps, les journaux belgesrelatent les événements qui se déroulent enAllemagne. Le vendredi 11 novembre 1938,les journaux belges évoquent la terrible situa-

tion des Juifs allemands. Le quotidien laFlandre Libérale intitule son article : «Lespersécutions contre les Juifs en Allemagne. Denombreuses synagogues sont incendiées, sousprétexte de venger la mort de M. Von Rath».Outre les incendies de synagogues, le jour-nal évoque également la destruction desmagasins juifs. Il s’intéresse aussi à la situa-tion des Juifs d’Autriche, qui sont touchéspar ces excès antisémites. La Flandre Libéralepublie un autre article, le même jour, concer-nant les rafles qui ont eu lieu dans le quartierjuif de Munich par la Gestapo : «La Gestapofait des rafles à Munich : En pleine nuit, lesJuifs sont tirés de leur lit et enfermés dans des«baraquements» de police»24. Cette derniè-re information a été publiée la veille par laGazette de Liège et la Meuse.

Le samedi 19 et dimanche 20 novembre1938, les journaux consacrent un article auxcamps de concentration nazis. Cet articleest reproduit par la Flandre Libérale, laDernière Heure, la Gazette de Liège, laWallonie, le Peuple, la Voix du Peuple et leTravail ainsi que par l’Avenir Juif. Voici ceque les Belges apprennent : «Neuf à dixmille Juifs auraient été arrêtés à Berlin, écritle rédacteur diplomatique du «ManchesterGuardian», qui évalue à 35 ou 40.000 letotal des arrestations dans toute l’Allemagne,y compris l’Autriche et les régions Sudètes. Laplupart des Juifs arrêtés à Berlin ont étéenvoyés dans le camp de concentration deSachsenhausen, près d’Oranienburg, (...)Plusieurs milliers de Juifs ont été envoyésdans les camps de Buchenwald, près deWeimar, et de Dachau.

Ce même rédacteur dit avoir reçu confir-mation d’exécutions de Juifs à Buchenwald,septante ayant été passés par les armes dansla nuit du 8 au 9 novembre, c’est-à-dire,AVANT LE DÉCÈS DE VON RATH.D’autres exécutions, dit-il, ont eu lieu aucours des journées suivantes, ce qui porte le

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total à deux cents, pour le seul camp deBuchenwald.

Dans certaines régions d’Allemagne, poursuitle rédacteur, tous les Juifs âgés de seize àsoixante ans, dans d’autres, ceux âgés de dix-huit à quatre-vingts ans, ont été arrêtés...ou plutôt ceux qui ont pu être trouvés.

En ce moment, un grand nombre d’Israélitesont cherché refuge dans les forêts ; d’autresplus riches, cherchent à éviter l’arrestation envoyageant nuit et jour par chemin de fer,de ville en ville. Dans toutes les régions fron-tières, dans l’ouest notamment, des milliers deJuives et d’enfants, dont les maris et pères ontété appréhendés, cherchent à fuirl’Allemagne. Ils campent aux environs dela frontière qu’ils s’efforcent de traverser,soit ouvertement, soit en cachette.

Le rédacteur diplomatique déclare, d’autrepart, qu’il devient de plus en plus clair que lepogrom était préparé de longue date : rienqu’à Berlin, dit-il, trois mille boutiques juivesont été détruites méthodiquement par desbandes organisées, en un très court espacede temps. Dans de nombreuses villes, lesbandes composées pour la plupart de S.A.en civil étaient prêtes à l’action longtempsavant la mort de Von Rath.

A Essen, par exemple, le pogrom a com-mencé dans la nuit du mardi au mercredi,alors que Von Rath n’est décédé que le mer-credi après-midi. A Cassel, les biens depresque tous les Juifs ont été rassemblés sur laGrand Place et les pompiers les ont arrosésavec leurs lances à incendie avant de lesenvoyer, tout trempés, au camp deBuchenwald. Toutes les institutions et tous leshospices juifs pour les pauvres et les infirmes

ont été détruits. Le grand centre enfantinde Caput, près de Berlin, a dû être évacuéd’urgence, avant d’être démoli par une bandeorganisée.

A Nuremberg, tous les malades de l’hôpitaljuif ont dû se rassembler dans la cour pendantque l’intérieur était démoli. L’asile desvieillards d’Ems a dû être évacué au cours dela nuit et tout ce qu’il contenait a été détruit.

Un des vieillards, impotent, qui était resté aulit, a été blessé par des éclats de bois alorsque le mobilier était démoli à la hache. Il aété découvert tout sanglant le jour suivant parune autre bande qui venait compléterl’œuvre de destruction»25.

Une semaine après leur arrestation, leshommes de plus de soixante ans sont relâ-chés. Avant leur libération, ces hommes doi-vent passer un examen médical afin dedétecter les traces de sévices éventuels. Leshommes dont les plaies sont trop appa-rentes ne sont pas remis en liberté. Lesautres, avant de quitter le camp, écoutentun discours d’un chef S.S. : il leur expliqueque s’ils disent un seul mot de ce qu’ils ontvu ou vécu dans le camp, ils y reviendront etce pour toujours. Il fait savoir égalementqu’ils ne doivent pas raconter tout ça àl’étranger car les nazis ont des agents unpeu partout dans le monde, qui les exécu-teront. Après ce terrible discours, chacunsigne une déclaration selon laquelle ils ont étébien traités et ils s’engagent à ne rien dévoi-ler sur les camps26.

Les libérations s’échelonnent entre le 18novembre 1938 et le printemps 1939.L’auteur de l’article mentionne égalementle camp de Dachau. Quelques jours après la

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25 La Voix du Peuple, dimanche 20 novembre 1938, n° 322, p. 3.26 Rita THALMANN et Emmanuel FEINERMANN, La Nuit de Cristal, 9-10 novembre 1938, Robert Laffont, Paris,

1972, pp. 191-194.27 Histoire du camp de concentration de Dachau, 1933-1945, Comité international de Dachau, Bruxelles, 1964, pp. 39-40.28 La Voix du Peuple, vendredi 25 novembre 1938, n° 327, p. 3.29 La Dernière Heure, mercredi 23 novembre 1938, n° 327, p. 2.

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Reichskristallnacht, deux mille Juifs arri-vent à Dachau. Parmi eux se trouvent desenfants de treize ans et des vieillards dequatre-vingts six ans27. Leur nombre s’ac-croît dans les jours suivants.

Au cours des mois suivants la Nuit deCristal, la plupart des Juifs sont libérés nonsans avoir «fait don» de la plus grosse partiede leurs biens au Reich et s’être engagés àémigrer. Ces libérations prouvent bien queles nazis n’ont pas encore l’intention, à cemoment-là du moins, d’exterminer les Juifspuisque certains ont la possibilité de quitterles camps. Le but poursuivi par les nazis, àcette époque, est de débarrasser le Reichdes Juifs par l’émigration et non par l’ex-termination.

Au total, le pogrom coûte la vie à près dedeux mille cinq cents hommes, femmes etenfants et laisse des séquelles indélébileschez tous ceux qui en vécurent les horreurs.

Un autre article concernant les camps deconcentration est publié notamment les 23et 25 novembre 1938, dans la DernièreHeure et la Voix du Peuple. Il s’agit du campde Sachsenhausen où des Juifs ont été exé-cutés. Le quotidien communiste intitule sonarticle : «La cruauté bestiale des pogromistesnazis : Epouvantable massacre de prison-niers juifs au camp de Sachsenhausen»28. Lequotidien libéral publie l’article ayant pourtitre : «Les tortures infligées aux Juifs dans uncamp de concentration allemand. Le réciteffrayant d’un témoin»29. Comme le signa-le la Dernière Heure, il s’agit d’un récit d’untémoin oculaire. Ces informations pro-viennent du News Chronicle, journal anglais.

Voici ce qui est rapporté : «Le NewsChronicle donne le compte rendu d’untémoin oculaire des violences incroyablesinfligées aux Juifs emprisonnés au camp deconcentration de Sachsenhausen. Ce camp,construit par les prisonniers eux-mêmes,entouré d’une barrière de fils électriques, estsitué à une trentaine de kilomètres de Berlin.

Il abrite en temps normal 2.300 prisonniers,(...). Il est impossible, écrit le News Chronicle,de douter de l’exactitude des sources d’oùnous parviennent des informations suivantes,rapportées par un témoin oculaire :

«Le 11 novembre, un officier de police deBerlin et douze agents arrivèrent au camp deconcentration de Sachsenhausen avec soixan-te-deux otages, qui devaient être livrés aucommandant du camp. Les personnes arrê-tées étaient pour la plupart des Juifs aisés ; ily avait des avocats, des docteurs, des pro-priétaires, des ingénieurs, des hommes d’af-faires et deux rabbins. A l’entrée du camp deconcentration se tenaient deux gardes vêtusde l’uniforme noir des bataillons de la Têtede Mort. L’officier de police fit descendre sesotages des autobus et les fit aligner pour lesconduire au bureau du commandant ducamp, afin qu’ils soient enregistrés. Maisdeux files de gardes noirs des bataillons de M.Hitler étaient prêts, armés de fouets, dematraques et de pelles. L’officier de policequi craignait le pire, demanda au chef destroupes de lui ouvrir le passage. Il lui futbrièvement répondu qu’il devait immédia-tement livrer ses otages. Les Juifs furent doncpoussés en avant entre les deux files de gardesnoirs. Aussitôt une grêle de coups s’abattit sureux. Les policiers eux-mêmes, plein d’horreur,tournèrent le dos. Les Juifs qui tombaientétaient battus de plus belle. Cette orgie duraune demi-heure. Enfin, d’autres prisonniersfurent appelés pour transporter les nouveauxvenus. Sur les soixante-deux arrivés, douzeétaient morts, le crâne fracturé. Tous lesautres avaient perdu connaissance. Certainsavaient eu les yeux arrachés, les visages apla-tis et méconnaissables. Le chef des gardestendit un «reçu» à l’officier de police, indi-quant que le nombre exact de prisonniersavait été livré et les policiers rentrèrent àBerlin». Par ce témoignage, les Belgesapprennent comment les Juifs sont maltrai-tés dès leur arrivée au camp de concentration.

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Les hommes politiques belges sont mis aucourant de cette nouvelle vague d’antisé-mitisme qui sévit dans le Reich, non seule-ment par la presse belge mais aussi parl’ambassadeur belge en Allemagne, le vicom-te Jacques Davignon et le consul général deBelgique, M.G. Van Schendel. Dès le débutdes événements, ils écrivent des lettres à M.Spaak, ministre des Affaires étrangères, oùils relatent les terribles pogroms. Le jeudi 17novembre 1938, notre ambassadeur envoieun message au ministre des Affaires étran-gères : «(...) Les éléments avancés nationaux-socialistes ont saisi l’occasion de l’assassinatd’un jeune diplomate allemand en vue deréaliser un plan qu’ils caressaient depuis long-temps. Ce plan consiste à séparer entière-ment l’Allemand du Juif, devenu un parasiteappelé à vivre à part de la communauté alle-mande dans une position humiliée. Un butplus lointain existe aussi. Il consiste à débar-rasser entièrement le Reich des Juifs en for-çant les portes de l’émigration (...)». Ilpoursuit en expliquant qu’il fut témoin dupillage de certains magasins non aryens, del’incendie de synagogues,... Il en vient ensui-te aux Juifs : «Des Juifs furent molestés. Unnombre considérable d’entre eux, qu’il estimpossible à évaluer, fut emmené sans raisonaucune dans des camps de concentration. Etles arrestations continuent (...)». Troisemployés de la banque voisine de l’ambas-

sade, où se trouve M. Davignon, ont étéarrêtés et le vicomte précise qu’«on ne saitplus rien d’eux». Il conclut sa lettre en expo-sant les buts poursuivis par les nazis : «(...)débarrasser l’Allemagne du Juif, à forcer lesportes de l’émigration (...) Ce que veulent lesnazis c’est une Allemagne vierge de toutJuif (...) C’est ainsi qu’un Juif se trouvantdans un camp de concentration est libéré s’ilpeut justifier qu’un pays étranger est prêt à lerecevoir (...)»30.

Un dernière lettre est envoyée à M. Spaakconcernant les camps de concentration :«Tous les Israélites âgés de vingt à cinquan-te ans sont actuellement appréhendés, lesplus robustes sont envoyés au camp deconcentration de Dachau en Bavière où endépit de leur qualité d’intellectuels, ils vontêtre astreints à des travaux de terrassements.Le nombre jugé pour ce camp est de vingtmille hommes. C’est d’un avocat allemandlui-même que je tiens cette information quilui a été communiquée par un chef de poli-ce. Parmi ces nouveaux forçats se trouvent desmédecins et avocats, pendant qu’à l’hôpitaljuif de cette ville, qui regorge de blessésdepuis les derniers événements, on laisse cesderniers sans soins médicaux»31.

La première interpellation parlementaireconcernant le problème des réfugiés a lieu lejeudi 17 novembre 1938. Xavier Relecom32,député communiste, demande à M. Pholien

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30 Dossier du Ministère des Affaires étrangères n° 11047, lettre n° 12505 / 3734 ayant pour objet : «Représailles contreles Juifs au lendemain de l’assassinat d’un diplomate allemand par un Israélite polonais».

31 Dossier du Ministère des Affaires étrangères n° 11047, lettre n° 3581, rédigée à Cologne par M. Van Schendel et adresséeà M. Spaak, sur les «Désordres antisémitiques».

32 Xavier RELECOM (1900-1977) : Homme politique communiste et résistant de la Seconde Guerre mondiale. Cetexpert-comptable, d’abord membre du P.O.B., en fut exclu en 1928. Il adhère alors officiellement au particommuniste. En 1936, il succède à J. Jacquemotte à la tête du parti. Elu conseiller provincial en 1936, il abandonnece mandat pour occuper celui de député. Dès mars 1940, il entre dans l’illégalité, assumant la direction effective duparti jusqu’à son arrestation en juillet 1943. Après la Guerre, il est de nouveau membre du comité central du Particommuniste.

33 Annales parlementaires de Belgique. Chambre des Représentants, séance du 17 novembre 1938, pp. 36-37.34 Isabelle BLUME-GREGOIRE (1892-1975) : Enseignante, femme politique socialiste, puis communiste. Elle

représenta l’arrondissement de Bruxelles à la Chambre de 1936 à 1954. Dogmatique et passionnée dans ses positions,elle fut aussi une femme de cœur : elle se dévoua pour les enfants espagnols pendant la guerre civile et pour les marinsbelges à Londres, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Epouse de David Blume.

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de stopper les refoulements des réfugiéspolitiques. M. Pholien : «(...) j’ai décidé jus-qu’à nouvel ordre de surseoir à tous nou-veaux refoulements (...) Je déclare que je neprends pas l’engagement de ne pas revenir surla décision prise si l’ordre public l’exigeait.Quoi qu’il en soit, et pour calmer l’émotiontrès compréhensible de M. Relecom, il n’yaura plus d’expulsions d’ici à la discussionde mardi prochain»33.

Comme prévu, la Chambre se réunit le mardi22 novembre afin de trouver une solution auproblème des réfugiés. C’est madame IsabelleBlume-Grégoire34 qui prend la parole enpremier. Elle précise que les faits qu’elle vaénumérer à la tribune lui ont été certifiésexacts, non pas par des Juifs allemands maispar des chrétiens de différentes nationalités etpar des compatriotes qui en ont été témoins.Elle en vient ensuite aux camps de concen-tration. Elle relate l’histoire de monsieur Y...,de la ville de Z... Il me paraît intéressant deretranscrire l’intégralité de ce témoignageafin de prouver que les politiciens belgessauront désormais ce qui se passe réellementdans les camps nazis.

«Je fus arrêté le 11 novembre 1938 et l’on metransporta à un camp provisoire, installédans une ancienne prison. Les vieux fonc-tionnaires qui procédaient à mon arresta-tion me firent savoir qu’on arrêtait tous lesJuifs. De là, on nous transporta par cheminde fer jusqu’à proximité du camp de concen-tration. On nous força à parcourir la dis-tance jusqu’au camp en courant.

Parmi nous se trouvaient beaucoup devieillards. Plusieurs de ceux-ci tombèrentpar terre et furent traités par notre escorte dejeunes gardes d’assaut à coups de crosse et àcoups de pied. Au camp, on fit d’abord l’ap-pel des noms, et les nouveaux furent inscritsdans les listes. Il nous fallut rester deboutdans la cour pendant neuf heures environ, dumatin jusqu’à l’après-midi. Celui qui remuaitétait frappé de coups de pied ou frappé à la

figure. On refusa aux hommes de se rendreaux latrines, et les gardiens répondirent enproférant les pires insultes. A midi seule-ment, un des chefs nous permit de nousrendre aux latrines, où l’on nous conduisittous ensemble. Pour les premières vingt-quatre heures après notre arrestation, aucunrepas ne nous fut donné.

Nous fûmes contraints de remettre nos vête-ments aux gardiens, et l’on nous en donnad’autres qui ressemblaient plutôt à de vieuxchiffons. Ensuite, on nous prit tout notre argent.Pour les Juifs, défense absolue de fumer. Ilsn’ont pas le droit de se nourrir eux-mêmes etne peuvent rien acheter à la cantine.

Le lendemain on nous fit faire de l’exercice.Pour nous, les jeunes dont un grand nombred’anciens combattants, ce fut supportable.Les vieux, de leur côté, ne purent plus selever et reçurent des coups de pied et de cros-se, des gifles ou des coups de poing à la figu-re, le tout accompagné des insultes les pluscruelles et les plus sordides. Dans mon déta-chement se trouvait M. Y..., un marchand de..., septuagénaire, ainsi que l’ancien..., éga-lement âgé de septante ans. Tous deux furentmaltraités de la manière déjà dépeinte.Pendant les exercices, il y eut des crocs-en-jambe pour ceux qui, après avoir exécuté lesexercices individuels, rentraient dans lesrangs. Ils tombèrent, on les foula aux pieds eton les frappa au dos et au derrière avec desbottes à clous. A l’appel, le commandant ducamp passa devant le front. De temps entemps, il s’arrêtait et proférait des insultesd’une vulgarité inexprimable à l’adresse del’un ou l’autre des hommes internés. Sansraison il dit à un de mes voisins : «Il fautmaintenant que j’ôte mes gants exprès pourtoi sale cochon de Juif». Après s’être dégan-té en toute tranquillité, il frappa le malheu-reux de toutes ses forces et plusieurs fois à lafigure et sous le menton. Un autre jour, lesinternés durent se mettre en rang pour regar-der la punition qu’on fit subir à un des pri-

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sonniers qui avait tenté de s’enfuir. Celui-cifut serré sur un chevalet et battu par deuxgardes d’assaut à l’aide de nerfs de bœuf,jusqu’à ce qu’il perdit connaissance. A partirdu vingt-cinquième coups, la victime dutelle-même compter les coups à haute voix,jusqu’au moment où elle perdit connaissan-ce et en conséquence se tut. Malgré cela, lesbrutes continuèrent de maltraiter l’hommeévanoui. Le «chef de la chambrée» rappor-ta que la victime, après être à peine guérie deses blessures, recevrait encore vingt-cinqcoups supplémentaires. Tous les jours, il yeut des suicides. Dans mon détachement,un homme d’un certain âge s’ouvrit les veinesquand il se sut inobservé.

Pendant le travail, les gardiens incitent les pri-sonniers à se rendre près des enceintes pour lestuer ensuite à coups de fusil. De temps entemps, on coupe le courant électrique, duquelsont chargés les fils barbelés qui entourent lecamp, afin que les hommes désespérés tententde se suicider en gagnant ces grilles à nouveauchargées d’électricité.

Il y a quelques jours, je fus libéré du campparce que mon émigration était réglée.Quand je quittai le camp, on me tint le«discours d’adieu» habituel. Une «Greuel-propaganda», propagande d’atrocités, sebasant sur les événements desquels on avaitété témoin, serait puni aussi à l’étranger. Lesorganisations nazies à l’étranger sont telle-ment bien organisées qu’elles pourraientmettre la main sur des hommes se trouvanthors des frontières allemandes»35.

Beaucoup de Juifs seront remis en libertéaprès la Nuit de Cristal, s’ils arrivent à prou-ver qu’ils vont bientôt émigrer, comme nousl’avons vu précédemment dans le pointconsacré à la presse belge. Comme le montrebien ce témoignage, mis en liberté, les déte-nus doivent s’engager par serment à ne pasrévéler ce qu’ils ont vu ou vécu dans les

camps. Avant de quitter le camp, ils doiventsigner une déclaration qui fixe leur futureconduite. Le point le plus important est lesilence absolu sur les conditions de «vie»dans les camps. Les nazis les menacent dereprésailles s’ils disent quoi que ce soit concer-nant les camps. Comme nous l’avons vu, onles menace même de les retrouver à l’étran-ger. Dès lors, beaucoup d’entre eux, crai-gnant de retourner dans cet enfer, préfèrentgarder le silence.

Ce débat parlementaire sera un grand suc-cès : le ministre de la Justice promet de sus-pendre les refoulements et la Chambreunanime vote un ordre du jour flétrissant lesactes de persécutions en Allemagne. Cetordre du jour est voté le jeudi 24 novembre1938.

Durant l’année 1938, période pendantlaquelle l’Europe subit une métamorphosecomplète avec l’annexion de l’Autriche etdes Sudètes, la presse belge rend compte quo-tidiennement des événements survenus dansle Reich. Les journaux étudiés s’intéressentparticulièrement au sort des Autrichiens,après l’Anschluss, puis des Juifs, après la Nuitde Cristal. Nous avons vu que plusieurstémoignages sur la barbarie nazie sont par-venus dans notre pays et mis à la connaissancede la population belge via la presse. Destémoignages effrayants sur les camps deconcentration paraissent dans la plupart desquotidiens. En est-il de même pour les années1939-1940 ? Les Belges seront-ils toujoursémus de cette situation ?

Les années 1939-1940Durant les mois de janvier et de février 1939,il n’y a pas eu d’événements importantsdans le IIIe Reich, excepté le début de laconstruction du camp de Ravensbrück.Pendant les deux premiers mois de l’année

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35 Annales parlementaires de Belgique. Chambre des Représentants, séance du mardi 22 novembre 1938, p. 46.

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1939, nous trouvons dans la presse belgedes articles concernant les conséquences dela Nuit de Cristal, à savoir : l’internementmassif des Juifs dans les camps de concen-tration, et l’émigration de cette population.

Le mercredi 11 janvier, le Peuple publie untémoignage d’un rescapé du camp deDachau : «Ce que j’ai vu au camp deDachau ; Dix-huit mille adversaires du régi-me hitlérien, dont douze mille Juifs, sontl’objet des plus cruels traitements». Cet anciendétenu de Dachau s’est confié à la NationalZeitung, journal suisse de Bâle. Pour desraisons de sécurité, le journal suisse ne com-munique pas le nom de son informateur.

Il nous paraît important de retranscrire l’in-tégralité de ce témoignage qui nous apprendbon nombre de détails sur la «vie» dans lescamps nazis. Cet homme relate ce qu’il avu et vécu dans cet enfer : «Je n’oublieraijamais ma première nuit, nuit d’épouvante,dans une salle d’attente pleine de pauvresgens sanglotant de désespoir et de terreur,craignant la mort, entièrement démoraliséspar les traitements brutaux administrés parde jeunes dévoyés de dix-huit ans. Le len-demain matin, on procéda à l’enregistre-ment des nouveaux arrivés, à la visitemédicale, à la douche, à l’habillement et à larépartition des différents blocs. Pour la plu-part d’entre nous, ces formalités mirent finaux bastonnades, excepté comme punitionpour quelque soi-disant délit. On ne nousfrappait plus pour le simple plaisir de nousfrapper. En effet, le respect de l’uniforme deces gens est porté à un tel degré qu’à leursyeux un prisonnier portant celui du bagne adroit à plus d’égard que celui qui est vêtu encivil.

Le programme quotidien commençait à cinqheures du matin en semaine, à six heures ledimanche. La toilette se fait sous le contrôledu plus ancien de la chambrée, qui a deuxcents hommes sous ses ordres. Des cuvettesd’eau sont disposées au milieu de la salle.

Ceux qui en ont les moyens peuvent s’ache-ter à la cantine une brosse à dents, du savonet un rasoir mécanique. On a le droit de sefaire envoyer du dehors quinze marks parsemaine, mais cet argent disparaît en moinsde rien, car les prix de la nourriture et desvêtements sont exorbitants. J’aurai l’occa-sion de parler du petit déjeuner, qui suit la toi-lette matinale.

A cinq heures et demi, tout le monde doit serassembler sur la route principale qui longeles blocs. Ceux qui sont de corvée de net-toyage, dans la chambrée, peuvent s’estimerheureux, car ils ont une demi-heure de moinsà attendre debout immobiles dans le froid.Dès que la baraque a été mise en ordre, lesdétachements, blocs par blocs, se mettent enmarche pour le rassemblement général sur lagrande place où tous les matins on fait l’ap-pel des dix-huit mille internés. Pas seule-ment le matin d’ailleurs, mais trois fois parjour : à deux heures et demi et encore à sixheures et demi. Le plus ancien de chaquebloc est chargé de contrôler à l’aide de leurslistes. Le matin cela dure d’habitude jus-qu’à sept heures et demi, mais lorsqu’il y aune complication quelconque, des départs, deslunettes cassées, ou que sais-je encore, cela nese termine que vers dix heures. Vous pouvezimaginer ce que cela signifie pour desvieillards de soixante ou de soixante-cinqans, vêtus de toile mince, de rester au gardeà vous, sous la pluie, par le froid, coude àcoude, anciens professeurs, directeurs debanque.

On reconnaît les internés aryens, les «cri-minels politiques», les «insoumis à la loi dutravail», les «Bible students», à leurs insignesrespectifs. Après l’appel, ils doivent travailler,pour la plupart à la construction de nou-velles baraques.

On se montrait du doigt un groupe traînantun énorme rouleau compresseur, c’étaientles ex-gouvernants d’Autriche. On recon-

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naissait l’ancien ministre Kienboeck et lebourgmestre de Vienne, Schmitz.

Quant aux douze mille Juifs, ils ne sont pasmême jugés dignes de travailler. Ils doiventmarcher, faire l’exercice et la gymnastique ;au début, on leur permettait de chanter,mais plus maintenant. (...)

Il y a des punitions individuelles ou collec-tives. Ces dernières sont généralement uneprolongation de ces pénibles exercices phy-siques. La moins sévère des punitions indi-viduelles est de se trouver privé de son souper.A la moindre infraction, on vous met unecroix sur votre registre : c’est là un avertis-sement. A la troisième croix, on vous admi-nistre vingt-cinq coups de bâton. Il y a despunitions plus sévères que je ne connais quepar ouï-dire : ainsi on vous lie à un troncd’arbre, tête pendante, ou on vous jette dansun cachot noir. Quant aux injures telles que«Tas d’ordures», «Fumier» «Cochons», on n’yfaisait plus attention tellement elles étaientfréquentes.

On meurt beaucoup à Dachau. J’ai connudes cas où en vingt jours, il y avait de cinq àsept morts dans un bloc de huit centshommes ; cela n’est après tout qu’un pourcent pour vingt jours ! Les cas de pneumoniesont fréquents. Un homme fut fusillé parune patrouille pour avoir, probablement parmégarde, ouvert la nuit la porte de la cham-brée. Un autre eut le même sort pour avoirtraité tout haut les autorités du camp d’as-sassins. Un troisième mourut d’embolie.

(...) Le petit déjeuner se compose de café et depain sec. Au début, il y avait du beurre ;mais on le retira aux Juifs, soi-disant parcequ’ils s’en servaient pour se prémunir contrele froid ! A midi, il y a de la soupe en semai-ne et du ragoût le dimanche ; le vendredi

du poisson. On ne se soucie naturellementnullement du préjugé du Juif contre le porc.Pas de nourriture kascher. Mais quoiquel’ordinaire ne soit pas bien copieux, la cuisi-ne n’est pas mauvaise et on peut dire queles installations électriques sont des modèlesdu genre. Le soir, il y a du thé avec un mor-ceau de saucisse ou de fromage. Ceux qui ontde l’argent de poche peuvent compléter cesrations à la cantine»36.

Ce rescapé fait également savoir que le plusépouvantable à Dachau n’est ni le froid, ni lefaim, ni même la peur, mais l’incertitude.Dans un camp, contrairement à une prison,le prisonnier ne connaît pas la durée de sapeine. Cela dépend des caprices des autori-tés de celui-ci.

Plusieurs renseignements intéressants res-sortent de ce témoignage : tout d’abord, ilnous indique que le lendemain de leur arri-vée, les nouveaux venus sont enregistrés, ilspassent à la douche et à la visite médicale, ilsreçoivent des vêtements de détenus et sontaffectés à un bloc. Ensuite, il explique com-ment se passe une journée dans le camp.L’heure du réveil est directement suivie de latoilette qui se déroule sous la surveillance duchef de chambrée, qui a lui-même sous sesordres deux cents hommes. Cela prouvebien qu’il y a déjà une hiérarchie au seindes détenus.

Ensuite, il est question de l’argent que lesdétenus avaient le droit de recevoir de l’ex-térieur. D’après Eugen Kogon, un tiers seu-lement des détenus étaient en mesure de sefaire envoyer de l’argent par leurs familles.Ceux qui ne recevaient pas d’argent vivaientsur le compte des autres détenus, ce quiexplique une partie de la corruption quirègne dans les camps. Les détenus n’avaient

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36 Le Peuple, mercredi 11 janvier 1939, n° 11, p. 2.37 Eugen KOGON, L’Etat S.S., le système des camps de concentration allemands, Ed. du Seuil, Paris, 1970, pp. 127-

135.

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que deux moyens pour dépenser cet argent :la cantine et la corruption37.

Ce témoin évoque le moment où les détenusdoivent se rassembler sur la place pour pro-céder à l’appel. C’est un épisode particuliè-rement pénible pour les prisonniers qui sontobligés de rester debout pendant de longuesheures et ce par tous les temps. Comme lerescapé de Dachau le signale, l’appel a lieuplusieurs fois par jour.

Il nous apprend également que chaque déte-nu porte un signe distinctif correspondant àsa catégorie de prisonniers. Il cite les «cri-minels», les «politiques», les «réfractairesau travail», ces derniers font partie de lacatégorie des «asociaux», et les sectateursde la Bible.

Ce témoin nous informe du sort réservéaux Juifs dans les camps : les Juifs ne sont pasdignes de travailler et passent leur journée àfaire des exercices ridicules, tels que courir,ou encore faire de la gymnastique. ABuchenwald, on obligeait même les Juifs àconstruire des murs, qui devaient être démo-lis le lendemain et rebâtis plus loin. Ce qui estencore plus humiliant que n’importe queltravail.

Il énumère les différentes punitions qui sontpratiquées dans le camp : suppression derepas, les vingt-cinq coups de bâton. Il ditavoir entendu des rumeurs concernantd’autres types de punitions beaucoup pluscruelles : la suspension à un arbre et l’em-prisonnement dans un cachot noir. Ce nesont malheureusement pas de simplesrumeurs : le supplice de l’arbre était forte-ment redouté par les détenus. Les mainsétaient étroitement nouées avec une cordedans le dos du détenu, puis on soulevait lecorps et l’on accrochait la corde à un clouplanté dans un arbre, à deux mètres de haut.Les jambes pendaient dans le vide, et tout lepoids du corps portait sur les articulationspliées en arrière.

Il aborde ensuite la mort qui sévit dans lecamp. Son récit montre bien que les détenusrisquaient de se faire tuer pour des raisonstout à fait futiles : ouvrir la porte de la cham-brée pendant la nuit,... Cet acte, qui noussemble totalement anodin, était considéré parles nazis comme un délit, une faute qu’ilfallait punir.

Il termine son témoignage en parlant de lanourriture qui est servie dans le camp. Lacuisine, dit-il, n’est certes pas abondantemais elle n’est pas mauvaise. La guerre, quiest proche, provoquera une dégradation desconditions générales. L’afflux massif d’ef-fectifs conjugué aux effets de stockage deguerre réduit de manière drastique les rationsalimentaires des internés. Au moment dece témoignage, les détenus sont encore loinde connaître la sous-alimentation qui sévi-ra dans les camps pendant la guerre.

Nous avons vu, quand nous avons abordél’année 1938, des témoignages sur les campsde concentration. Celui-ci, par rapport auxautres, nous apporte de nouveaux éléments :on apprend qu’il existe une hiérarchie ausein des détenus ; ils ont la possibilité de sefaire envoyer de l’argent de l’extérieur ; lemoment de l’appel est un moment pénible ;il existe une classification des détenus dansdifférentes catégories, ...

Ce témoignage qui se révèle être extrême-ment intéressant, paraît uniquement dansle quotidien socialiste bruxellois, le Peuple.

Le 15 mars 1939, la Tchécoslovaquie passesous la domination nazie. Comme ce fut lecas en Autriche, un an auparavant, les oppo-sants tchèques au national-socialisme sontenvoyés dans les camps de concentration.L’occupation de la Tchécoslovaquie four-nit quelques milliers de prisonniers poli-tiques supplémentaires. Les premiersétrangers viennent rejoindre les détenus alle-mands dans les camps qui ne sont paspréparés à cela. Cette étape annonce l’in-

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ternationalisation du système concentra-tionnaire.

Le 26 juin 1939, une ordonnance de laGestapo ordonne de placer «en détention desûreté» les Tchèques «travaillant insuffi-samment», «Arbeitsschummelei», de mêmeque ceux qui participent à des activités poli-tiques ou qui se manifestent par une «attitudehostile envers l’État», «StaatfeindlicherEinstellung»38.

La Wallonie, le 15 novembre, publie unarticle : «58.000 Tchèques parmi lesquelsde très nombreux intellectuels sont dansles camps de concentration»39. Le journalnous apprend que du 15 mars à la fin août1939, quarante cinq mille Tchèques ontété emprisonnés par les autorités alle-mandes. Du 1er au 23 septembre de lamême année, treize mille Tchèques ont étéarrêtés, sans motif et déportés dans lescamps de concentration d’Allemagne,notamment celui de Dachau.

Ces Tchèques sont donc, dans un premiertemps, envoyés dans les camps d’Allemagne,ceux de Buchenwald et de Dachau notam-ment. Mais à partir de 1940, ils sont envoyésdans le camp de Flössenburg, autre campd’Allemagne situé à la frontière tchèque, cequi facilite leur déportation. Ce camp futcréé en mai 1938 et devait servir de péni-tencier.

Nous trouvons peu d’articles dans la pres-se belge concernant les Tchèques, contrai-rement au moment de l’Anschluss, commenous l’avons vu précédemment, où la situa-tion de la population autrichienne est rap-portée quotidiennement dans nos journaux.

Mais plusieurs témoignages et articlesconcernant les camps de concentrationparaissent dans nos journaux durant lesmois qui suivent l’annexion de laTchécoslovaquie.

Le premier témoignage trouvé dans la pres-se, après le mois de mars 1939, date du 1er

mai et paraît dans la Wallonie : il s’agit d’untémoignage de Juifs qui furent arrêtés durantles pogroms de novembre 1938 et envoyésdans les camps de Dachau et de Papenburg.Ils énumèrent les différentes tortures quisévissent dans les camps nazis : «Les miliciensS.S. imaginaient sans cesse de nouvelles tor-tures. Vêtus seulement d’un caleçon de bain,nous devions, par les plus grands froids, exé-cuter en plein air les travaux les plus absurdes.Nous devions aussi, dans le même appareil,creuser les tombes de nos camarades torturésà mort.

Si l’un de nous, épuisé, tombait à terre, on luijetait sur le corps un seau d’eau glaciale.Autre torture : des prisonniers politiques,qu’on armait de fouets, étaient contraintsde frapper sans relâche les corps nus de leurscodétenus juifs jusqu’à ce que les malheureuxfustigés tombent évanouis. Par cette métho-de, on comptait créer des haines farouchesentre les prisonniers. Les prisonniers poli-tiques se refusèrent tout d’abord à faire lesbourreaux. Les S.S. les battirent jusqu’à cequ’ils y consentent. Quand les détenus poli-tiques ne frappaient pas assez fort, les S.S.décidaient d’intervertir les rôles : c’était auxJuifs de frapper les prisonniers politiques»40.

Ces deux rescapés nous apprennent qu’ilsétaient obligés de creuser les tombes de leurscamarades qui étaient torturés à mort.

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38 Joël KOTEK et Pierre RIGOULOT, Le siècle des camps, détention, concentration, extermination, cent ans de malradical, J.C. Lattès, France, 2000, p. 332.

39 La Wallonie, mercredi 15 novembre 1939, n° 319, p. 1.40 La Wallonie, lundi 1er mai 1939, n° 121, p. 7.41 Témoignage sur la terreur nazie : Le train des morts et des mourants, dans La Voix du Peuple, mercredi 10 mai 1939,

n° 130, p. 2.

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Ensuite, ils nous font savoir que les détenusétaient obligés par les S.S. de se rouer decoups mutuellement afin, comme ils le signa-lent, de créer des haines entre les prison-niers. En effet, il ne faut pas perdre de vueque les nazis voulaient maintenir sans cessedes oppositions dans les rangs des prison-niers pour les empêcher de former desgroupes ou de réaliser leur unité.

Un témoignage effrayant est publié dans lejournal communiste, la Voix du Peuple, le 10mai 1939, sur les trains qui transportent desmalheureux détenus vers des destinationsinconnues. Le quotidien communiste a reçuces informations du journal de l’émigrationrusse à Paris, «Les Dernières Nouvelles».Les renseignements qui suivent sont tirésdu témoignage d’une jeune femme russehabitant Paris, qui avait entrepris un voya-ge pour se rendre à Prague. Voici ce qu’elledéclare avoir vu en Allemagne : «J’allaisdans un train international de Krimitz àNadrazy. Vers trois heures de l’après-midi,nous étions en territoire allemand. Le trains’arrêta brusquement au milieu des champs.Je regardai par la fenêtre : à gauche, sur unevoie parallèle, je vis un train de marchandises.Une minute passa. Brusquement, je sentisune odeur affreuse, fade, nauséabonde.Instinctivement, j’ouvris la fenêtre. J’entendisdes gémissements qui venaient d’en face, duwagon hermétiquement fermé. Dans unwagon, il y avait des êtres humains. J’entendisdistinctement : «de l’eau, de l’eau,...». L’odeurcadavérique devenait de plus en plus insup-portable. Prise de peur, je courus dans le cou-loir. Là, par la fenêtre, je vis d’autres wagonsde marchandises. L’un d’eux portait l’ins-cription «Vienne».

Alors n’osant pas encore comprendre, j’ouvrisla fenêtre, intentionnellement cette fois-ci.Par une fente de la fenêtre clouée, j’aperçusdes yeux qui m’observaient. Une voixdemandait assez distinctement :«Comprenez-vous l’allemand ?» Je fis oui de

la tête. Il était presque impossible de resterprès de la fenêtre ouverte, l’affreuse odeur meprenait à la gorge. Cependant, l’hommecontinua : «Je rassemble mes dernières forcespour vous parler... Dans ces wagons se trou-vent des centaines d’hommes qu’on a aban-donnés ici pour qu’ils meurent de faim etde soif... Nous n’avons rien à manger ni àboire... Nous ne savons pas où nous sommes,ni depuis combien de temps nous sommesici... Dans ces wagons, il y a des cadavresque des vers dévorent. Parmi nous, il y ades hommes devenus fous qui mangent cescadavres. Nous ne sommes pas des crimi-nels. Nous sommes tous des gens honnêtes,des ouvriers, des Juifs, des catholiques, unpasteur protestant...

Dites au monde civilisé ce qui se passe enAllemagne, dites ce qu’on y fait des hommes,qui osent penser autrement que M. Hitler».

La jeune femme poursuit son récit en disantque des coups de sifflet retentirent, «troisagents de la Gestapo couraient entre le traininternational et le train de marchandises etcriaient au mécanicien : «Pourquoi t’es-tuarrêté, cochon ? En avant !». Le train se miten route. Elle explique que ces agents mon-tèrent dans son train et lui demandèrent sespapiers. Ils l’interrogèrent pour savoir cequ’elle faisait à la fenêtre. Elle leur réponditqu’elle voulait prendre l’air. Ensuite, ils laquestionnèrent pour savoir si elle avait parléà quelqu’un. Elle répondit que non.Finalement, elle arrive à Prague avec beau-coup de retard. Là-bas, ses amis lui expli-quèrent pourquoi son train s’était arrêtéentre deux trains-prisons. Parmi les conduc-teurs de trains, il y a beaucoup de commu-nistes et de sociaux-démocrates camouflés.Ils s’arrangent pour faire arrêter les trainsinternationaux, sous prétexte de panne, dansdes endroits où «il y a des choses à voir, queles nazis préfèrent cacher...»41.

Le 1er septembre 1939, les Allemands enva-hissent la Pologne. En raison des instructions

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politiques générales données par Himmler,les Polonais sont considérés comme appar-tenant à une race inférieure et traités commetels. Hitler souhaite la suppression pure etsimple des élites polonaises : officiers, prêtres,médecins, intellectuels, ...

Les camps, qui renferment désormais desdétenus en majorité non allemands, doncissus de populations considérées commeradicalement inférieures, voient leur mis-sion évoluer en conséquence : il s’agirad’abaisser, de réduire.

Les journaux belges nous informent du sortréservé à la population polonaise. Le 7octobre 1939, la Gazette de Liège42 nousapprend que les premiers trains amenantdes prisonniers polonais sont arrivés àCologne. Le lendemain, les journaux socia-listes, le Peuple et le Travail publient unarticle dans lequel ils signalent que «Hitlerenverrait dans les camps de concentrationtous les Polonais âgés de dix-sept à cinquanteans»43.

Le 1er novembre 1939, les quotidiens belgespublient des extraits du Livre Blanc anglaisau sujet des «Traitements infligés enAllemagne à des nationaux allemands»44.Tous les journaux étudiés reproduisent despassages de ce Livre Blanc sauf le Pays Réel,qui ne le mentionne même pas. Les Belges detoutes les tendances politiques sont doncmis au courant des atrocités nazies infligéesaux nationaux allemands. Afin de voir ceque nos compatriotes apprennent à ce sujet,nous allons retranscrire des extraits du texteparus dans nos journaux. Les informationsémanent de l’agence Reuter : «Un LivreBlanc sur le traitement d’Allemands dans

le Reich lorsque les nazis arrivèrent au pou-voir est publié ce soir.

Il y est déclaré notamment qu’étant donnél’attitude du gouvernement allemand et lapropagande honteuse, dénuée de tout fon-dement, qui est faite maintenant, le gou-vernement britannique estime opportun depublier quelques-uns des rapports qu’il reçutdes consuls britanniques et d’anciens pri-sonniers concernant le traitement que subi-rent des ressortissants allemands enAllemagne même, afin que l’opinionpublique de Grande-Bretagne et de l’étran-ger puisse juger par elle-même.

En 1933, les membres des partis d’opposi-tion furent arrêtés sur une large échelle etenvoyés dans des camps de concentrationoù ils furent l’objet du traitement le plusbarbare. Le fouet et la torture furent à l’ordredu jour. Le mouvement national-socialiste sevengeait terriblement de ceux qui avaient eula témérité de s’opposer au régime. Les étran-gers ne furent pas épargnés. Des sujets bri-tanniques, y compris des membres dupersonnel de l’ambassade, furent brutale-ment assaillis dans les rues par les «chemisesbrunes».

Suivant les rapports qui parvinrent auxmilieux officiels, Hitler avait lui-même donnédes ordres pour que les Juifs, dans les campsde concentration, reçoivent jusqu’à soixantecoups de fouet. Il est également déclaré qu’onfouettait fréquemment et pour de petits délits,tels que boire de l’eau pendant les heuresde travail.

Dans un rapport d’un des anciens prison-niers, il est dit qu’à Buchenwald la saletéétait repoussante. On pataugeait dans la

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42 La Gazette de Liège, samedi-dimanche 7-8 octobre 1939, n° 233, p. 3.43 Le Peuple, dimanche 8 octobre 1939, n° 281, p. 3 et le Travail, lundi 9 octobre 1939, n° 234, p. 2.44 Livre Blanc anglais n° 2, Documents concernant les traitements infligés en Allemagne à des nationaux allemands, présenté

au Parlement par Ordre de Sa Majesté par le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, traduction autorisée etofficielle du Document publié par His Majesty’s Stationery Office, Paris, 1939, 32 p.

45 La Gazette de Liège, mardi 31 octobre 1939, n° 253, p. 3 et Le Soir, mercredi 1er novembre 1939, n° 305, p. 2.

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boue jusqu’aux genoux. Il était presqueimpossible de marcher. Ce prisonnier eut lapeau arrachée du visage au point qu’on n’au-rait pu le reconnaître. Il y avait environ10.000 hommes dans ce camp et seulementune centaine de paillasses. Les prisonniersétaient obligés de se coucher sur le côté ;s’étendre sur le dos était défendu sous peinede coups. Les sentinelles avaient l’ordre de seservir de leurs fusils sans avertissement.

Décrivant le rassemblement des malades, leprisonnier dit : «Les Juifs ne purent plus sefaire reconnaître malades et ne pouvaientêtre qu’en bonne santé ou mort. Pendantl’appel, beaucoup, physiquement incapablesde rester debout, devaient être soutenus.Beaucoup mirent fin à leurs souffrances enfeignant de vouloir s’évader et en se faisantainsi abattre à coups de fusil».

Ensuite, nous trouvons dans ce Livre Blancanglais des témoignages d’anciens détenus,notamment du camp de Buchenwald, quiont été communiqués au Foreign Office, le28 octobre 1938, par une organisation cha-ritable qui fonctionne en Allemagne, et auMinistère des Affaires étrangères en février1939.

Le premier témoignage reproduit est celuid’un ancien prisonnier de Buchenwald quiqualifie ce camp de «Ville de douleurs». Ilévoque les arrestations de Juifs qui eurentlieu en juin 1938 à Berlin : «La police infor-mait les prisonniers qu’ils ne pouvaientespérer être relâchés que lorsqu’ils se seraientprocurés des documents leur permettant dequitter le pays (...). Le 14 juin 1938, deuxmille prisonniers furent transférés au campde Buchenwald, après avoir été examinéspar un docteur extrêmement jeune quidonna pour bon tout le monde y compris desseptuagénaires et un tuberculeux qui cra-chait du sang sans arrêt. Après avoir étéaccueilli à la gare à coups de pied, de poinget de crosse, les condamnés entendirent lesurintendant du camp leur faire le discours

suivant : «Parmi vous il s’en trouve qui ontdéjà été en prison. Ce que vous avez goûtélà n’était rien en comparaison de ce quivous attend ici. Vous venez dans un camp deconcentration : cela veut dire que vousentrez en ENFER. Essayez de résister àl’autorité des gardes S.S. et vous serez tuéssur le champ. Nous n’avons que deux sortesde châtiments dans ce camp : la cravache etla peine de mort».

L’auteur du récit continue à nous donnerdes détails sur les tortures infligées dans lecamp. Outre les flagellations, il parle d’uneboîte à suer et dit qu’ «il arrivait souvent quele prisonnier était déjà mort quand la boîteà suer était ouverte». Il cite aussi un autretype de supplice, celui de l’arbre.

Après le camp de Buchenwald, nous trou-vons dans le Livre Blanc anglais des récitsd’anciens détenus du camp de Dachau : «Lejour de la libération est un véritable suppli-ce. Les prisonniers sur le point d’être relâchéssont passés en revue en plein air, à cinq heuresdu matin, et sont laissés le torse nu jusqu’à ceque, vers dix heures, le docteur vienne les exa-miner pour voir s’ils portent sur le corps despreuves de mauvais traitements. La libéra-tion était impossible pour tout prisonnier quiportait des cicatrices»45.

Le Peuple46 reproduit ces mêmes passagesmais nous donne plus de détails et, contrai-rement aux autres journaux, fait des com-mentaires : «Le Livre Blanc anglais (...)contient des exemples de la brutalité hitlé-rienne. Ils n’apprendront pas grand chose ànos lecteurs qui furent à l’époque abon-damment renseignés. La seule nouveautéest la sorte de consécration officielle que legouvernement britannique donne aujour-d’hui à ces faits, accueillis par certains avecscepticisme en raison même de leur excèsd’horreur. Mais en régime de dictature sur-tout, le vrai n’est pas toujours invraisem-blable». Le journal socialiste cite un autretémoignage d’un ancien détenu d’un camp :

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«Herr Z... ne demeura dans le camp quequinze jours, mais il raconte des événementsauxquels il assista : «Un homme qui avait étécondamné à se tenir debout les yeux tournésvers un mur, commença à s’affaisser un peuau bout de trois heures. Mais il faut se tenirraide tout le temps. Un garde s’aperçut quele prisonnier ne se tenait pas selon la règle. Ille saisit et lui frappa la tête à plusieurs reprisescontre le mur de pierres rugueuses et cou-pantes. Le sang jaillit et coula sur le mur.Une fureur nouvelle s’empara du garde :«Cochon, salir le mur comme ça», et il jeta savictime sur le sol et le battit sans merci. HerrZ... pensa que l’homme était mort mais ilsurvécut».

Le Peuple cite d’autres récits tout aussi vio-lents. Il en vient ensuite au témoignage durescapé de Buchenwald dont le récit a étéreproduit par la Gazette de Liège et le Soir,comme nous l’avons vu plus haut. Mais lePeuple nous donne plus de renseignementsconcernant ce détenu : «Le prisonnier ano-nyme fait également le récit de sa premièrejournée de travaux forcés consistant à casseret transporter des pierres, au cours de laquel-le trente sur cent de ses compagnons d’in-fortune perdirent connaissance et deuxmoururent». Ce détenu parle ensuite de lamort qui est quotidienne au camp deBuchenwald.

Même si les journaux belges n’ont pas for-cément reproduit les mêmes extraits pro-venant de ce Livre Blanc anglais, nousremarquons que tous les témoignages publiésdans nos quotidiens relatent les mêmes hor-reurs et les mêmes atrocités. Finalement, lesBelges, qu’ils soient catholiques, libéraux

ou encore socialistes ne peuvent ignorer lessévices auxquels les détenus de camp deconcentration sont soumis quotidienne-ment.

A l’heure actuelle, nous savons que ce qui estnarré dans ce Livre Blanc est malheureu-sement la stricte vérité. Mais les Belges del’époque ne se disaient-ils pas que ce docu-ment britannique pouvait servir de propa-gande contre les nazis ? Car il ne faut pasoublier qu’à ce moment-là, les Anglaisvenaient de se battre ouvertement contreles Allemands suite à l’invasion de la Polognepar ceux-ci. Il est donc peu aisé de répondreà cette question. Cependant, il sembleraitqu’une grande majorité de notre popula-tion ne remette pas en doute les dires de cedocument officiel britannique car des témoi-gnages similaires sont déjà parus dans nosquotidiens bien avant que n’éclate ce conflitqui oppose les Anglais aux Allemands. A vraidire, ce Livre Blanc anglais ne fait que confir-mer les événements relatés dans nos jour-naux, surtout dans la presse de gauche, àmaintes reprises.

En réalité, nous pourrions nous demanderpourquoi le Gouvernement britannique achoisi ce moment pour révéler à l’Europe leshorreurs qui se produisent dans les campsnazis. Nous trouvons la réponse dans l’in-troduction de ce Livre Blanc anglais : «Avantla guerre, et sans cesse depuis son début, leGouvernement allemand a, pour ainsi direchaque jour, poursuivi sa propagande accu-sant la Grande-Bretagne d’atrocités enAfrique du Sud il y a quarante ans. (...) Lesnazis emploient maintenant une speakerinequi raconte d’abominables histoires concer-

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46 Le Peuple, mercredi 1er novembre 1939, n° 305, p. 1 et p. 3. Cet article est accompagné d’une photo représentant desdétenus dans un camp de concentration.

47 Livre Blanc anglais n° 2, Documents concernant les traitements infligés en Allemagne à des nationaux allemands, présentéau Parlement par Ordre de Sa Majesté par le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, traduction autorisée etofficielle du Document publié par His Majesty’s Stationery Office, Paris, 1939, pp. 1-2.

48 La Wallonie, vendredi 2 février 1940, n° 33, pp. 1 et 3.

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nant de prétendues atrocités commises par lesBritanniques au cours de la guerre des Boers.Les Africaners sont invités avec insistance àse révolter, et on leur demande, sur un tonpathétique, s’ils ont l’intention de se plier à laloi de ceux qui, pendant la guerre des Boers,avaient, dans les camps de concentration,répandu du verre pilé dans la nourriture deleurs enfants. Bien d’autres inventions outra-geantes sont propagées dans un effort d’ex-citer les passions (...).

Ces documents n’ont pas été écrits en vue deleur publication et, en fait, aussi longtempsque subsistait le moindre espoir d’arriver à unarrangement avec le Gouvernement alle-mand, il eût été inopportun de faire quoique ce soit qui puisse aigrir les relations entreles deux pays. (...) Mais l’attitude duGouvernement allemand, la propagandesans scrupule à laquelle il se livre, contrai-gnent le Gouvernement de Sa Majesté àpublier ces documents (...)»47.

C’est pourquoi le Gouvernement britan-nique, offensé des fausses rumeurs qui cir-culent dans le Reich à son sujet, décide derévéler, à sa population mais aussi aux paysdémocratiques, un certain nombre de rap-ports qu’il a reçu sur les traitements infli-gés en Allemagne à des nationauxallemands.

Fin de l’année 1939, d’autres articles concer-nant les camps paraissent dans nos quoti-diens. En février 1940, la Wallonie s’intéressede nouveau aux Tchèques : «Mœurs d’unautre âge : les abominables tortures infligéesaux patriotes tchèques par la Gestapo»48. Lequotidien socialiste détient ces renseigne-ments du journal français, l’Oeuvre.

Le journal énumère les différentes torturesinfligées aux Tchèques par la Gestapo pen-dant leurs interrogatoires, et explique qu’ilexiste plusieurs degrés de tortures : «Premierdegré : les prisonniers sont brûlés à la paumedes mains par un fil de fer rouge. Il a étéconstaté qu’un de ces prisonniers a été brûlé

ainsi trente-cinq fois». Le journal en vientensuite au deuxième degré : «Le prisonnierest dévêtu complètement et reste nu. On luifrotte les cuisses avec une planche jusqu’àchair vive». Le troisième degré est certai-nement le pire : «Les organes sexuels du pri-sonnier sont transpercés par un fil de ferrouge».

Nous apprenons d’autres types de torturesinfligées aux prisonniers pendant l’interro-gatoire. Le prisonnier est battu dans le dos,au niveau des reins, avec un sac de cuir rem-pli de sable, «ces coups provoquent l’arra-chement des reins et causent une mort lentequi peut durer deux mois. Pendant ce temps,la trace des coups disparaît et l’autopsie ducadavre révèle au médecin, même s’il estTchèque, que la mort a été causée par unemaladie des reins et est une mort naturelle».Le quotidien parle aussi d’une autre tortu-re, appelée le «Tunnel». Le prisonnier esttotalement dévêtu et on le force à courirentre deux haies de cinquante ou de soixan-te hommes, qui le frappent à tour de rôleavec une matraque en caoutchouc. S’il s’éva-nouit, on l’asperge d’eau froide et quand ilrevient à lui, il doit de nouveau courir.Ensuite, il passe à l’interrogatoire. Ce type detorture a déjà été cité dans d’autres articlesque nous avons analysés.

Le journal explique que les parents du défuntreçoivent la nouvelle du décès, accompa-gnée d’un recouvrement de dix marks à per-cevoir afin d’obtenir l’urne contenant lescendres. Ce n’est pas la première fois quecette information paraît dans nos journaux.Le quotidien socialiste poursuit en racontantcomment se déroule un interrogatoire : «Leprisonnier, (...) est placé au garde à vous, lefront contre le mur et on lui cogne la têtecontre le mur à chaque instant. Ceci se répè-te jusqu’à l’évanouissement. Ensuite, il estinterrogé, puis enfermé à demi-mort, dansune cave où il est aspergé d’eau froide».

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La Wallonie nous donne cette information,que nous connaissons déjà, selon laquellele prisonnier, s’il est relâché, doit signer, ensortant, «une déclaration affirmant qu’il n’arien subi en prison et qu’à sa connaissancepersonne n’a été maltraité. Il est menacé demort, lui et sa famille, s’il raconte quelquechose à quelqu’un».

Cependant, la Wallonie nous donne unenouvelle information qui n’est jamais paruedans nos journaux : «Dans le palais Petchek,où siège la gestapo, les gaz de guerre ont étéessayés sur les Tchèques. Une chambre à gaza été installée spécialement à cet effet». C’estla première fois que l’existence de chambreà gaz est mentionnée dans nos journaux.

L’article se conclut par le sort réservé à cer-taines femmes de Prague, qui étaient en trainde faire la queue devant un magasin d’ali-mentation afin de se procurer des vivres.«Des gens de la Gestapo arrivèrent en auto-car et prirent vingt femmes et les emmenèrentdans les casernes pour laver les escaliers et lesW.C. Puis elles furent violées. (...) Une jeunefille emprisonnée a été violée par plusieurs sol-dats. Quand elle s’est trouvée fatiguée, on luia piqué les seins avec des aiguilles et fait unepiqûre dans l’organe sexuel pour en réveillerla vitalité». Ce n’est pas la première foisque des cas de viols sont relatés dans nosjournaux. Par contre, c’est la première foisque l’on raconte qu’une femme subit cegenre d’atrocités.

Cet article révèle une fois de plus la cruau-té des nazis et les horreurs infligées à depauvres gens qui n’ont commis aucun crime,sauf peut-être celui de ne pas être né(e)sAllemand(es). Cet article, reproduit uni-quement dans la Wallonie, vient confirmertout ce qui a déjà été relaté à maintes reprisesdans les journaux étudiés. Cependant, il y a

deux nouvelles informations : l’existence dechambres à gaz et les injections.

En 1940, nous ne trouvons pas beaucoupd’articles au sujet des camps de concentra-tion. Mais il est vrai que nous n’avons étu-dié que les cinq premiers mois de l’année1940. Donc par rapport aux années 1938 et1939, où nous avons étudié les douze moisde l’année, il est normal que nous ayonsmoins de renseignements concernant lescamps nazis. De plus, à cette époque, lapresse est plus surveillée qu’auparavant. Eneffet, à partir de la Drôle de guerre, toute unesérie de mesures sont prises dans le domai-ne journalistique49.

Nous avons vu, tout au long de cette étude,qu’à maintes reprises des renseignementssur les camps sont reproduits dans nos jour-naux, quels que soient leurs tendances. Nouspouvons donc conclure que ces informa-tions étaient mises à la connaissance desBelges. Dès lors, ils ne pouvaient ignorerles horreurs qui se déroulaient quotidien-nement dans les camps. Mais la questionqu’on pourrait se poser : est-ce que les Belgesont cru à tout ce qui fut relaté plusieurs foisdans nos quotidiens ? Nous ne pouvonspas douter qu’ils savaient que les campsnazis existaient et qu’il y avait des choses hor-ribles qui s’y produisaient. Mais ces récitsétaient-ils crédibles ? Les gens civilisés pou-vaient-ils croire que des hommes étaientcapables de faire subir ces atrocités à d’autreshommes. La vraie question est : y croyaient-ils ? Malheureusement, il est impossible derépondre à cette question.

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49 Voir à ce sujet l’article de F. BALACE, Censure, vous avez dit censure ?, dans Jours de Sursis, Coll. Jours deGuerre, sous la direction de F. BALACE, n° 1, 1990, p. 83.

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Bibliographie

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- La Meuse, quotidien, Liège, janvier 1938-mai 1940.

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- Le Peuple, organe quotidien de la démo-cratie socialiste, quotidien, Bruxelles,janvier 1938-mai 1940.

- Le Soir, quotidien, Bruxelles, janvier1938-mai 1940.

- Le Travail, journal quotidien d’infor-mation, Verviers, janvier 1938-mai 1940.

- La Voix du Peuple, quotidien d’infor-mation et de combat édité par le PartiCommuniste, Bruxelles, janvier 1938-17 novembre 1939.

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b. Presse périodique- L’Avenir Juif, organe officiel de la fédé-

ration sioniste de Belgique, hebdoma-daire paraissant tous les vendredis,Anvers-Bruxelles, janvier 1938-mai 1940.

c. Sources imprimées :- Annales parlementaires de Belgique.

Chambre des Représentants, Bruxelles,session extraordinaire de 1938 et ses-sion ordinaire de 1938-1939.

- Livre Blanc anglais n° 2 : Documentsconcernant les traitements infligés en

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d. Dossiers du Ministère des Affairesétrangères :

- N° 11047 : Dossiers relatifs aux relationsdiplomatiques entre la Belgique etl’Allemagne.

2. Travaux :- Francis BALACE, «Censure, vous avez

dit censure ?», in Jours de Sursis, Coll.Jours de guerre, sous la direction de F.Balace, n° 1, 1990, pp. 83-94.

- Jean BEZAUT, Oranienburg, 1933-1945, Sachsenhausen, 1936-1945,Hérault-Editions, 1969.

- Joseph BILLIG, L’hitlérisme et le systè-me concentrationnaire, P.U.F., Paris,1967.

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- Eugen KOGON, L’Etat S.S, le systè-me des camps de concentration alle-mands, Point Seuil, Paris, 1970.

- Joël KOTEK et Pierre RIGOULOT,Le siècle des camps, détention, concen-tration, extermination, cent ans de malradical, J.C. Lattès, France, 2000.

- Jean-Philippe SCHREIBER, «L’accueildes réfugiés juifs du Reich en Belgique,mars 1933-septembre 1939 : le comitéd’Aide et d’Assistance aux victimes del’Antisémitisme en Allemagne», in lesCahiers de la Mémoire contemporaine,Didier Devillez éditeur, Fondation dela mémoire contemporaine, t. 3,Bruxelles, 2001.

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- Rita THALMANN et Emmanuel FEI-NERMANN, La Nuit de Cristal, 9-10novembre 1938, Robert Laffont, Paris,1972.

- Olga WORMSER-MIGOT, Le systèmeconcentrationnaire nazi, 1933-1945,P.U.F., Paris, 1968.

Synthese

Op basis van een studie van niet minderdan tien grote Franstalige kranten toont hetartikel van Anne-Catherine Rabenda aandat de Belgen, in de periode vanaf deAnschluss tot de Schemeroorlog, op eengedetailleerde wijze geïnformeerd werdenover de Duitse concentratiekampen, ondermeer door de getuigenissen van ontsnaptegedeporteerden. De Belgische ambassadein Duitsland en het Engelse Witboek hebbeneveneens gegevens aangedragen. Het is ech-ter de vraag in welke mate men geloofgehecht heeft aan de gruwelen van de nazi-misdaden.

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Le phénomène fasciste :

L’idéologie fasciste s’est développée à partirde la fin du XIXème siècle dans des payscomme l’Allemagne, l’Italie et la France enréaction contre le matérialisme de droite, lelibéralisme, et celui de gauche, le marxis-me.

Le fascisme constitue un phénomène com-plexe, protéiforme dans ses différentes évo-lutions jusqu’à ce qu’il devienne unmouvement de masse dans l’entre-deux-guerres. Etant donné mon intérêt pour les

écrivains fascistes français de cette période,je me suis basé sur les études historiques dePascal Ory1, de Robert O. Paxton2 et deZeev Sternhell34, ainsi que sur d’autresauteurs occasionnellement, pour tout ce quiconcerne les aspects politiques et historiquesdu fascisme.

Le fascisme se distingue de la droite tradi-tionnelle par sa violence et son refus desvaleurs bourgeoises, qu’il s’agisse des liber-tés politiques et économiques ou des vertusdites bourgeoises. Là où les conservateursont le souci d’une structure sociale hiérar-

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ARTHUR WILLY SZAFRANPsychiatre, Professeur à l’U.L.B. et ProfesseurEmérite à la V.U.B

Psychologie individuelle etsociété :

les liaisons dangereuses avecl’idéologie fasciste

1 ORY Pascal, Les Collaborateurs, 1940-1945, Editions du Seuil, édition de 1980.2 PAXTON Robert O., La France de Vichy, 1940-1944, Editions du Seuil, 1973, (traduit de l’anglais : Vichy France,

1972).3 STERNHELL Zeev, La Droite Révolutionnaire, 1885-1914, les origines françaises du fascisme, Editions du seuil, 1978.4 STERNHELL Zeev, Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Editions du Seuil, 1983.

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chisée avec au sommet une élite faite defamilles bourgeoises, les fascistes désirentinstaurer un égalitarisme total devant unchef unique et estiment incarner ainsi lavolonté populaire. Le fascisme s’oppose auxconcepts du matérialisme historique dumarxisme.

Selon Zeev Sternhell, le fascisme dans laFrance de l’entre-deux-guerres tient sonrayonnement d’une large diffusion d’idées àlaquelle se sont livrés des intellectuels aussibien de droite que de gauche, en révoltecontre le climat politique ambiant.

La «nouvelle droite» s’est d’abord incarnéedans le nationalisme barrésien à la fin duXIXème siècle, ensuite dans le mouvementmaurrassien et enfin dans la jeune droitedont Thierry Maulnier se voulait le philo-sophe. La «nouvelle gauche» s’est révoltéecontre le matérialisme historique en s’ap-puyant sur la philosophie de Nietzsche, deBergson et de Croce, sur la sociologie poli-tique de Pareto, sur la psychologie de LeBon et la psychanalyse de Freud. Après laPremière Guerre mondiale, cette gauchedissidente qui refuse, elle aussi, le libéralis-me, s’incarne dans Henri De Man et MarcelDéat.

De nombreux intellectuels véhiculeront lesidées fascistes dans le climat politique trèsparticulier de l’entre-deux-guerres. SelonZeev Sternhell :

«Cette idéologie de contestation et derévolte préconise une révolution de l’espritet de la volonté, des mœurs et des âmes.Elle propose non seulement des struc-tures politiques et sociales nouvelles, maisaussi un nouveau type de relations entrel’homme et la société, entre l’homme et lanature»5.

Nous avons tenté de circonscrire en unepremière approche le phénomène fasciste.Nous devons maintenant aborder les facteursqui ont permis et favorisé le développementidéologique fasciste, sans toutefois entrerdans les détails.

Le XIXème siècle est le siècle de la science etde la technologie. La croissance industriel-le a modifié les modes d’existences, créantune société atomisée tout en assurant letriomphe de la bourgeoisie. Elle a produit descourants de pensée comme le positivisme, lematérialisme et le marxisme. On voit émer-ger dans le monde des Arts et des Lettres, dessystèmes de pensée qui s’opposent au ratio-nalisme et au positivisme, à l’individualismeet à la dissolution des liens sociaux de lasociété libérale, et qui exaltent la notion denation. Ces systèmes de pensée exaltent leculte du sentiment et de l’instinct, des valeursirrationnelles. Elles accordent une impor-tance accrue aux tendances idéalistes et auxvaleurs historiques, et assurent de ce fait laprimauté de la collectivité sur l’individu.Certaines interprétations des sciences elles-mêmes contribuent à saper les fondementsdu rationalisme et de l’individualisme à labase de la vie démocratique. Le darwinisme,science biologique au départ, pénètre ledomaine des sciences sociales et des sciencespsychologiques par l’intermédiaire d’HerbertSpencer. La philosophie de Bergson, l’his-toire de Renan et de Taine, la psychologiesociale de Le Bon, s’opposent aux conceptsdémocratiques et fondent de nouvelles théo-ries politiques, au centre desquelles l’hom-me est décrit comme un être irrationnel etnon plus comme un être rationnel tel que leconcevait la psychologie du siècle desLumières. Freud, tout en insistant sur l’im-portance de l’inconscient et des forces irra-tionnelles dans la personnalité humaine, est

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5 STERNHELL Zeev, Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Editions du Seuil, 1983, p. 312.6 STERNHELL Zeev, Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Editions du Seuil, 1983, p. 59.

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resté un rationaliste, son projet thérapeu-tique en est la meilleure preuve.

Les nouvelles sciences sociales, psycholo-giques et anthropologiques alimentent lesrecherches sociologiques, politiques, histo-riques et philosophiques et font réappa-raître les principes de l’irrationalité de l’êtrehumain, de sa nécessaire subordination à lasociété nationale et le mépris des principesdémocratiques.

Le malaise intellectuel, les tensions poli-tiques et les conflits sociaux de la fin duXIXème siècle et du début du XXème sièclesont le signe de la difficulté du libéralisme des’adapter à la société de masse créée par l’in-dustrialisation et l’urbanisation des socié-tés européennes. Ceci s’ajoute aubouillonnement des idées s’opposant à toutce qui constituait l’idéologie libérale.

Des théories sociales à prétention scienti-fique ont également assuré les assises théo-riques du racisme. En filiation directe avecDarwin, Gobineau et Wagner, s’appuyantsur les données de la psychologie de LeBon, Drumont ou Barrès, elles traduisent entermes politiques le racisme qui devient ainsipartie constituante de l’idéologie fasciste.Partie d’un tout raciste, l’antisémitisme autournant du XIXème et du XXème siècle est,selon Zeev Sternhell, une conception poli-tique et non pas une simple haine du Juif :

«Le nationalisme voit dans l’antisémitis-me le dénominateur commun capable deservir de plate-forme à un mouvementde masse contre la démocratie libérale etla société bourgeoise»6.

Nous avons esquissé à grands traits lesdébuts et l’évolution du mouvement fas-ciste en France en faisant allusion à la com-plexité du phénomène qui a étéadmirablement analysée par les différentsauteurs que nous avons cités. Nous pou-vons avoir ainsi une idée approximative duclimat régnant en France dans l’entre-deux-

guerres, de l’influence de l’idéologie fascis-te sur le monde intellectuel, sur la classepolitique, dans le milieu des Arts et desLettres.

La fascination exercée parl’idéologie fasciste sur

Robert Brasillach, Louis-Ferdinand Céline, Pierre

Drieu La Rochelle et LucienRebater, et leur engagement

politiqueL’idéologie fasciste est un projet politique, àsavoir, s’opposer au rationalisme, au maté-rialisme libéral et marxiste, instaurer unesociété populiste égalitaire où les individusoeuvrent au bien-être de la collectivité, où leracisme s’exerce à l’égard des minorités nonaryennes, non nationales, et à l’égard d’autrescollectivités considérées comme inférieures.Mais ce projet politique ne peut expliquer enlui-même l’extraordinaire fascination quele fascisme a pu exercer sur les individus.Cette explication se trouve dans le projetesthétique, dans la volonté de l’idéologiefasciste de transformer et de façonner lesindividus selon une certaine image idéale, ceque l’on pourrait appeler en psychanalyse unMoi idéal ou un idéal du Moi. En réalité, laforce de l’idéologie fasciste consiste dans lefait d’avoir su proposer des valeurs indivi-duelles transcendantes permettant de dépas-ser les valeurs bourgeoises perçues commemédiocres et les valeurs marxistes perçuescomme grisâtres. Le fascisme se veut unerévolte de la jeunesse contre la médiocrité dumonde des «vieux». Il exalte les aspectsvirils, héroïques, dynamiques de la person-ne humaine et au rationalisme étriqué iloppose le culte des sentiments, des émo-tions, de la violence fondamentale. A l’in-dividualisme bourgeois, il propose commealternative le sens du devoir, du sacrifice et

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des vertus guerrières. Enfin, il proclame sonhorreur de ce que nous appellerions dansnotre jargon moderne la politique «politi-cienne».

Nous voyons immédiatement à quel pointce culte de valeurs transcendantes de la per-sonne humaine, dans le grand magma del’idéologie fasciste et surtout dans la confu-sion des esprits qui régnait dans l’entre-deux-guerres, pouvait être fascinant pourbeaucoup de Français, pour des intellec-tuels dont la tête était en principe bien rem-plie, sinon bien faite. Parmi ces derniers, lesquatre écrivains cités ont été viscéralementattirés par l’idéologie fasciste et ont eu uneinfluence prépondérante sur leur époquepar leurs œuvres littéraires et par leur enga-gement politique.

Robert Brasillach (1909-1945) est un fas-ciste poétique qui n’a jamais tenté, au contrai-re d’un Drieu La Rochelle, de définir defaçon rigoureuse le fascisme. Son choix netpour le fascisme a été déterminé en 1936,année du Front Populaire, de la guerred’Espagne, des jeux olympiques enAllemagne. Il est fasciné par les fastes nazisà Nuremberg et est enthousiasmé par le fas-cisme catholique de Léon Degrelle. Il s’en-gagea dans la polémique politique avec Lescadets de l’Alcazar (1936) (en collaborationavec Henri Massis) et avec L’histoire de laguerre d’Espagne (1939) (en collaborationavec Bardèche). Il est extrêmement dur en

politique, se refuse à toute sentimentalité etva jusqu’à écrire :

«Il faut se séparer des Juifs en bloc et nepas garder de petits»7.

Mais son fascisme lui est éthéré :

«Le fascisme c’est la poésie même duXXème siècle»8.

«Le fascisme, c’est la jeunesse»9.

Robert Brasillach a toute sa vie durant eu lanostalgie de la jeunesse, de l’adolescence,de la virilité et de l’amitié entre hommes.Ce sont ces thèmes que l’on retrouve dans cequi est peut-être son plus beau roman etpeut-être un des plus beaux romans de la lit-térature française, Comme le temps passe(1937), histoire d’amour entre deux adoles-cents, et dans son roman Les sept couleurs(1939). Dans ce dernier roman, le hérosPatrice est un jeune adulte en quête de l’idéo-logie fasciste qui a connu l’Italie, puisl’Allemagne, qui choisit Nuremberg et épou-se une jeune allemande, Lisbeth. Lui-mêmevit son fascisme comme une liaison senti-mentale avec l’Allemagne :

«Je suis germanophile et français»10.

«J’ai contracté une liaison avec le génieallemand»11.

On comprend bien que Brasillach, fidèle àses attachements idéologiques fascistes et àson amour pour l’Allemagne, s’engage dèsson retour de captivité en mars 1941 en tantque prisonnier de guerre à nouveau dans lecombat fasciste de la collaboration et devien-

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8 Lettre à un soldat de la classe 60, in Œuvres complètes, Paris, Club de l’Honnête Homme, 1963-1966, t.V, p. 599, citépar Pascal ORY, ibid.

9 Brasillach par H. Pulain, 9 mai 1942, cité par Pascal Ory, ibid.10 Lettre à Rebatet, 14 août 1943, in Œuvres complètes, Tome X, p. 585, cité par Pascal ORY, ibid.11 La révolution nationale, 19 février 1944, cité par Pascal ORY, ibid.7 Je suis partout, 25 septembre 1942, cité par Pascal ORY, in Les Collaborateurs, ibid.12 REBATET Lucien, Les Décombres, Denoël, 1942, p. 61, cité par pascal Ory, ibid.13 BRASILLACH Robert, Notre avant-guerre, Plon, 1941, réédité en Livre de Poche, p. 278, cité par Pascal Ory, ibid.14 Le Cahier Jaune, novembre 1941.15 NIZAN Paul, article dans L’Humanité, 9 décembre 1932.

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ne rédacteur en chef de Je suis partout, quireparaît le 7 février avec une nouvelle série.Il dirige ainsi la seule équipe qui déjà avantla guerre affichait ouvertement son fascisme.

Lucien Rebatet (1903-1972) a une person-nalité beaucoup plus émotive que RobertBrasillach ; ses réactions viscérales le rap-prochent davantage de Louis-FerdinandCéline, comme le prouve son livre LesDécombres, où il écrit lui-même que 1940 lelibère :

«Wagnérien, nietzschéen, antisémite, anti-clérical, connaissant par le menu le folklorenational-socialiste»12.

Lucien Rebatet était déjà fasciste avant laguerre, il n’a jamais renié son fascisme aprèsla seconde guerre mondiale. C’était un éter-nel révolté dont les traits masochiques étaienttels que sa vision du monde en était per-turbée. C’est ainsi que Brasillach a dit delui que :

«Il établit autour de lui un climat de catas-trophe et de révolte auquel nul ne résis-te»13.

Cette attitude masochique, négative, cata-clysmique, imprègne tout son livre LesDécombres qui a par ailleurs eu un énormesuccès de librairie. Lucien Rebatet a collaboréavant la guerre à l’Action Française en tantque critique musical et cinématographiquepuis à Je suis partout où, à côté des articles surla musique, les arts et le cinéma, il a écritdes articles politiques. Après la drôle deguerre, il a fait un bref passage comme rédac-teur à la Radio de Vichy puis est revenu àParis où il a réintégré l’équipe de Je suis par-tout. Il affirmait son horreur de la politique,disant qu’il ne s’en occupait que par hautenécessité vu l’état de la France. Dans sonlivre Histoire de la Musique, paru en 1969,apparaît son admiration sans bornes pour lamusique et la culture allemande.

Robert Brasillach a une vision poétique del’idéologie fasciste, Lucien Rebatet a une

conception plutôt nihiliste du fascisme,Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) repré-sente les aspects les plus haineux du fascis-me, cette haine que Robert Denoël exaltedans Le Cahier Jaune14. Louis-FerdinandCéline ne s’est pas affirmé en tant que fascisteavant la Seconde Guerre mondiale, à l’op-posé de Brasillach, Rebatet ou Drieu. C’esttellement vrai que son premier livre, Voyageau bout de la nuit (1932), a suscité la bien-veillance des milieux de la gauche du faitdes descriptions sarcastiques de la vie colo-niale, des dénonciations de la misère humai-ne de certaines couches sociales et dupacifisme affiché par l’auteur. Mais cettegauche ne commet pas l’erreur de considé-rer que Céline était de son bord politique :

«Céline n’est pas parmi nous : impossibled’accepter sa profonde anarchie, sonmépris, sa répulsion générale, qui n’ac-ceptent point le prolétariat. Cette révoltepure peut le mener n’importe où : parminous, contre nous ou nulle part. Il luimanque la révolution, l’explication vraiedes misères qu’il dénonce, des cancersqu’il dénude, et l’espoir précis qui nousporte en avant»15.

Cette haine de l’humanité tellement carac-téristique de Céline s’est intégrée dans l’idéo-logie fasciste ambiante comme en témoignentles trop fameux pamphlets antisémites :Bagatelles pour un massacre, (1937), L’écoledes Cadavres (1938), Les beaux draps (1941).Céline n’a pas été un idéologue du fascisme,à l’opposé de Drieu La Rochelle et dansune moindre mesure de Brasillach. Il susci-tait des réticences dans les milieux fascistesfrançais et des réserves chez les Allemands.C’est probablement pourquoi on s’est posébeaucoup de questions sur la réalité de sonengagement politique et de sa collabora-tion. Il ne faut tout de même pas oublierque son premier pamphlet, Bagatelles pourun massacre, est réédité pendant l’occupationavec une vingtaine de photos antisémites

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légendées par Céline. De même, le secondpamphlet, L’école des Cadavres, est rééditéavec une préface raciste et «européenne».Le troisième pamphlet, Les Beaux Draps,sort pendant l’occupation. Céline envoieégalement des lettres aux animateurs de dif-férentes revues fascistes, que ceux-ci ontreproduites in extenso avec la signature, etdonc l’accord de leur auteur.

Au Pilori, l’Appel, l’Emancipation Nationale,Je Suis Partout, Lecture 43, Germinal, LePays Libre, Union Française, Réveil duPeuple, ont ainsi eu l’honneur de publierdes lettres de Céline au contenu raciste, anti-sémite, fasciste classique. Inutile de direquelle audience extraordinaire les pamphletset les lettres de Céline, auréolé de sa gloired’écrivain, ont pu avoir dans la populationfrançaise durant la Seconde Guerre mon-diale.

Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) s’estconverti au fascisme après une longue évo-lution de recherche dans les idéologiesambiantes pouvant lui donner un sentimentrenouvelé d’énergie. Il était hanté par le sen-timent de l’échec, de l’impuissance, de l’im-perfection et tentait d’affirmer sa virilité et sacohésion interne. Il a été attiré avant laPremière Guerre mondiale par l’ActionFrançaise et après elle par le dadaïsme etpar le surréalisme, par le radicalisme deBergery et par le communisme des compa-gnons de route. Il est fortement influencé parBarrès et par Nietzsche et a une admira-tion sans bornes pour la force conquérante,l’autorité, les êtres hors pairs. Il est persua-dé de la décadence du monde occidental eta un mépris total pour la bourgeoisie dont ilest issu. Dans ses écrits Mesure de la France(1922), L’Europe contre les patries (1931),Le jeune européen (1927), Genève ou

Moscou (1928), il appelle à une foi neuve etjeune. Il est mûr au niveau des idées pour uneconversion au fascisme en 1934 après unvoyage en Allemagne nazie et après lesémeutes du 6 février qui ont provoqué ladémission du gouvernement Daladier. Drieuest celui des quatre écrivains qui nous occu-pent qui a le plus fait pour une théorisationdu fascisme, d’abord aux couleurs de laFrance, ensuite pronazie. Ecrivain de talentau style classique, théoricien d’un fascisme«bon chic bon genre», il a pu devenir labonne conscience des milieux fascistes fran-çais, même de ceux qui étaient le plus farou-chement anti-intellectuels. C’est ainsi qu’ilpeut écrire :

«Je suis fasciste parce que j’ai mesuré leprogrès de la décadence en Europe. J’ai vudans le fascisme le seul moyen de conte-nir et de réduire cette décadence»16.

Ceci pour ce qui concerne la partie ration-nelle du choix idéologique. Et ainsi affir-mer :

«La définition la plus profonde du fas-cisme, c’est celle-ci : c’est le mouvementpolitique qui va le plus franchement, leplus radicalement dans le sens de la gran-de révolution des mœurs, dans le sens dela restauration du corps-santé, dignité,plénitude, héroïsme»17.

Ceci pour les aspects psychologiques del’attirance vers le fascisme.

Drieu accepte de diriger la Nouvelle RevueFrançaise qui reparaît en 1940 avec une nou-velle orientation politique, il parviendra àla maintenir jusqu’en 1943. En maintenantainsi pendant 3 ans la publication littérairefrançaise de référence avec un engagementpro-allemand net il a rendu d’immenses ser-vices aux autorités nazies pouvant se référer

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16 DRIEU LA ROCHELLE Pierre, «Bilan», Nouvelle Revue Française, janvier-février 1943, 105, cité par Paxton.17 DRIEU LA ROCHELLE Pierre, Chronique Politique, p. 50, cité par Zeev STERNHELL dans «Ni droite ni gauche».18 ENRIQUEZ Eugène, De la horde à l’état, Gallimard, 1983, p. 19.

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à une intelligentsia française à la fois res-pectable et collaborante.

Idéologie fasciste etpsychologie individuelle

L’idéologie fasciste, projet politique et pro-jet éthique, est devenue un phénomène desociété à partir du moment où il s’est déve-loppé en un mouvement de masse durant lapériode de l’entre-deux-guerres. Nous avonségalement vu, au travers de l’exemple dequatre écrivains, à quel point cette idéologiea pu subjuguer les individus. Ceci pose leproblème des relations entre la société etles individus.

Le point de vue de Durkheim, selon lequella psychologie individuelle de la personna-lité humaine n’est que le reflet de la société,n’est pas défendable. A l’opposé, le pointde vue selon lequel la psychologie indivi-duelle peut expliquer tous les phénomènessociaux, n’est pas plus exact. La réalité, pourne pas dire la vérité, se situe probablement àégale distance de ces deux conceptionsextrêmes et, comme l’écrit Eugène Enriquez :

«Le discours (du psychanalysant) est donctraversé par l’imaginaire social, par l’ima-ginaire individuel comme par la symbo-lique sociale (les grands mythes, lesangoisses fondamentales) et les tentativesde symbolique individuelle»18.

Nous sommes plus particulièrement inté-ressés à comprendre les éléments de la psy-chologie individuelle qui peuvent amenerune personnalité humaine à adhérer à l’idéo-logie fasciste. En conséquence nous ne situe-rons pas notre réflexion dans le cadre destravaux de Gustave Le Bon19 qui analysela psychologie des foules et qui postule quel’individu est un être irrationnel par essence.Nous ne prendrons pas davantage commecadre de référence les travaux de WilhelmReich20 qui retrouve dans la famille alle-mande le modèle de l’Etat autoritaire. Nous

pensons que notre projet de compréhen-sion de l’attirance individuelle vers l’idéologiefasciste passe par l’analyse des interactionsentre la société et les individus et des liens quipeuvent exister entre le destin d’une socié-té et le destin individuel. Il est probable quela société développe certains types de per-sonnalité ou du moins certains traits de per-sonnalité chez les individus en fonction deses structures et qu’en retour, ces traits depersonnalité favorisent l’adhésion à des idéo-logies et à des mythes collectifs.

L’idéologie fasciste trouve ses racines dans lafin du XIXème siècle. Il est par conséquentimportant de voir quelles influences a puexercer la société industrielle sur les indivi-dus. Christopher Lasch21 tend à démontrerque les personnalités narcissiques ne sontque l’exacerbation pathologique d’une nou-velle organisation de la personnalité où,selon le titre même de son livre, le narcis-sisme est cultivé. Il s’agit dans son livred’une critique de la société américainemoderne dont on peut rappeler quelquesconclusions qui s’appliquent, à mon sens,également aux sociétés européennes et celadepuis la fin du siècle passé. Cet auteur esti-me que si l’Américain d’aujourd’hui a,comme ses ancêtres, échoué à établir unevie communautaire, les tendances intégrativesde la société industrielle ont en même tempssapé les fondements de son isolement. Iln’est plus capable d’assumer ses propresbesoins matériels du fait qu’il a transféré laplupart de ses capacités techniques à l’en-treprise. Comme la famille perd non seule-ment ses fonctions productrices maiségalement beaucoup de ses fonctions repro-ductrices, les hommes et les femmes ne par-viennent plus à élever leurs enfants sans faireappel à des experts diplômés. La dispari-tion des traditions selon lesquelles on s’aidesoi-même («self-help») a miné les compé-tences des individus dans la vie de tous lesjours et les a rendu dépendants de l’Etat,

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de l’entreprise, des bureaucraties. ChristopherLasch estime que le narcissisme représentela dimension psychologique de cet état dedépendance : la personnalité narcissiquedépend des autres pour garder ou renforcerson estime personnelle, malgré les illusionsd’omnipotence qu’il peut occasionnelle-ment ressentir. Son détachement apparentd’attaches familiales et de contraintes insti-tutionnelles ne le libère pas dans son êtreet ne le glorifie pas dans son individualité. Aucontraire, son sentiment d’insécurité ne faitque croître, et il ne parvient à surmontercette angoisse qu’en reflétant son «soi gran-diose» dans les attentions des autres ou ens’attachant à ceux qui représentent la célé-brité, le pouvoir, la force charismatique. Lestroubles narcissiques de la personnalité nesont rien d’autre que l’exacerbation patho-logique de cette problématique narcissiquedue aux structures sociales. Ces troublesnarcissiques de la personnalité ou person-nalités narcissiques ont été étudiés abon-damment au niveau de la cliniquepsychanalytique, notamment par OttoKernberg22 et par Heinz Kohut23.

Nous avons vu que Céline, Rebatet, DrieuLa Rochelle et Brasillach se sont engagésdans le fascisme par conviction personnelleet non pour raisons de pur opportunisme.

Les troubles narcissiques de la personnalitépeuvent expliquer l’adhésion affective desindividus aux thèmes de l’idéologie fasciste.

Les troubles de la personnalité chez Céline,Rebatet, Drieu La Rochelle et Brasillachont provoqué chez ces quatre écrivains unesensation de pourrissement intérieur et une

angoisse de la mort. Ces sentiments inté-rieurs ont été projetés vers l’extérieur sous laforme d’une perception apocalyptique d’unehumanité pourrissante et d’une société fran-çaise en décadence. En compensation etcomme pour réparer ces troubles narcis-siques on trouve le culte de la jeunesse, de lavirilité, de la camaraderie entre hommes,du retour à la nature et d’une attirance pourles corps musclés des jeunes athlètes et guer-riers qui n’est pas exempte, chez certains,d’homosexualité latente. Or, dans son pro-jet de transformation de l’être humain, l’idéo-logie fasciste propose très précisément desvaleurs qui peuvent exercer une attraction surdes personnalités ayant des troubles nar-cissiques. En effet, le culte de la jeunesse,du corps et de la violence fondamentale,l’exaltation des aspects virils, héroïques etdynamiques de l’être humain sont perçus auniveau inconscient par les personnalités nar-cissiques comme autant de moyens de lut-ter contre leur angoisse de mort. L’idéologiefasciste propose également le culte de la col-lectivité opposé à l’individualisme, avec unprojet de rénovation de la société. Or, lasociété française est vécue par les quatreécrivains comme un objet maternel sym-bolique qu’il faut réparer par un program-me de rénovation nationale.

Nous voyons bien combien les différentsthèmes de la psychologie individuelle liésaux troubles narcissiques de la personnalitésont en résonance avec les valeurs trans-cendantes de l’être humain proposées parl’idéologie fasciste. Il n’est donc pas étonnantqu’un Céline, un Rebatet, un Brasillach ouun Drieu La Rochelle se soient engouffrés

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19 LE BON Gustave, La psychologie des foules, P.U.F., 1895, nouvelle édition 1981.20 REICH Wilhem, Psychologie de masse du fascisme, 1933, révision 1946, Petite Bibliothèque Payot, 1972.21 LASCH Christopher, The culture of narcissism, Warner Books, 1979.22 KERNBERG Otto, Borderline conditions and pathological narcissism, Jason Aronson, 1975.23 KOHUT Heinz, The analysis of the self, Monograph n°4, International Universities Press, 5ème edition, 1977.24 ADORNO T.W., FRENKEL-BRUNSWIK, LEVINSON D.J., SANFORD R.N., The authoritarian personality,

The Norton Library, New York, 1950.

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dans l’idéologie fasciste comme dans unereligion qui devait leur assurer l’immortali-té, ou en tout cas, leur faire refouler dans l’in-conscient leur angoisse de mort démesurée.

La personnalité autoritaire(ou plutôt : la personnalité

obsessionnelle)Lorsque l’idéologie fasciste a donné nais-sance à un mouvement politique, celui-ci aréussi à instaurer un régime totalitaire,notamment en Italie et en Allemagne.

Les sociétés totalitaires ont vu l’émergenced’une nouvelle espèce anthropologique, àsavoir, la personnalité autoritaire.

Les membres de l’Institut de RecherchesSociologiques de Francfort, émigrés auxUSA pour des raisons évidentes, ont faitdes recherches concernant cette personnalitéautoritaire. Celle-ci combine les idées et lescompétences typiques à une société haute-ment civilisée avec des croyances irration-nelles ou antirationnelles. La personnalitéautoritaire est un individu en même tempséclairé et superstitieux, fier d’être un indivi-dualiste et ayant en même temps la peur dene pas être conforme aux autres, jaloux deson indépendance et enclin à se soumettreaveuglément à la force et à l’autorité.

Adorno, Frenkel-Brunswik, Levinson etSanford24 ont fait ces recherches psycho-sociologiques en se basant sur des inter-views, des questionnaires, des tests projectifs.

Le syndrome autoritaire correspond auxtraits sado-masochiques décrits par ErichFromm et selon Max Horkheimer, la répres-sion sociale est concomitante au refoule-ment interne des pulsions. Afin d’atteindrel’internalisation du contrôle social, l’attitu-de de l’individu vis-à-vis de l’autorité et sonagent psychologique, le surmoi, assume desaspects irrationnels. Le sujet atteint sonadaptation sociale en prenant du plaisir à

obéir et à se soumettre. Cela met en jeu lespulsions sado-masochiques qui sontd’ailleurs cultivées et gratifiées dans nossociétés en général. La traduction de cesgratifications dans les traits de caractère estune façon spécifique de résoudre le conflitoedipien : l’amour pour la mère est l’objetd’un sévère tabou, la haine du père est trans-formée par une formation réactionnelle enamour, mais cette transformation ne réussitjamais tout à fait. Dans le caractère autori-taire, une partie des pulsions agressives esttransformée en pulsions masochiques et uneautre partie est transformée en pulsionssadiques qui exercent un exutoire sur unobjet avec lequel il ne doit pas s’identifier, àsavoir un groupe extérieur à soi et aux siens.Le Juif est fréquemment employé comme unsubstitut pour le père mais, assumant lestraits d’un père dominateur, froid, pragma-tique et même parfois un rival sexuel.L’ambivalence est maintenue grâce à lacroyance aveugle dans l’autorité et l’exis-tence simultanée de la possibilité d’attaquerles faibles qui sont acceptables comme vic-times. Il y a, à côté de cela, chez la person-nalité autoritaire, une intolérance àl’ambiguïté et à l’ambivalence.

Il ne faut pas oublier que ces recherchestiennent compte des aspects génétiques (= ledéveloppement de la personnalité), des rela-tions familiales et aux autres, des attitudes vis-à-vis de la religion, de la philosophie socialeet politique.

Donc, une relation parents-enfants baséesur la hiérarchie et l’autorité peut induireune attitude dépendante de l’individu vis-à-vis du partenaire sexuel et de Dieu et unephilosophie politique de soumission totaleà l’autorité et à la force et un mépris totalpour tout ce qui est inférieur. Les compor-tements sociaux faisant la distinction entreson groupe et les autres groupes, le confor-misme, la rigidité, le déni, les peurs et ladépendance sont d’autres aspects de ce type

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de personnalité. Certains aspects de la psy-chologie des profondeurs de ce type de per-sonnalité sont bien mis en évidence par l’undes quatre questionnaires employés, à savoirl’échelle «F» (pour «fascisme»). (Les troisautres échelles mesurent l’antisémitisme,l’ethnocentrisme et le conservatisme poli-tique et économique).

Il est à noter que ces recherches ont été cri-tiquées sur le plan méthodologique maison peut, avec Christopher Lasch25, réfuterces critiques en insistant sur le fait que lesauteurs de cette enquête ne concentraientleur attention sur l’analyse de la personna-lité que parce qu’ils tenaient pour acquisson arrière-plan sociologique. Par ailleursaucun des chercheurs n’entendaient consa-crer les facteurs psychologiques comme desdéterminants majeurs ou exclusifs des mou-vements politiques et sociaux.

On a aussi reproché à Adorno son appar-tenance marxiste et le fait qu’il réservait lestraits de personnalité autoritaire à la droite.Cela est probablement vrai et il aurait dûtenir compte des recherches d’un psycho-sociologue scandinave, Sidanius, qui trouvaitles mêmes traits chez les individus attiréspar une idéologie d’extrême gauche et d’ex-trême droite.

Cette description de «personnalité autori-taire» correspond davantage à la cliniquede la «personnalité obsessionnelle».

ConclusionsEn guise de conclusion, nous pouvons direque l’idéologie fasciste a exercé une forteattraction émotionnelle sur certains indivi-dus du fait que les thèmes de son projetpolitique et de son projet de transforma-tion de l’être humain entrent en résonanceavec les troubles narcissiques de ceux qui

ont adhéré au fascisme comme à une religionrédemptrice.

S’ajoute à cela que le fascisme ayant instau-ré des sociétés totalitaires, celles-ci, par laforce des choses, ont obtenu l’adhésion deceux, beaucoup plus nombreux que les pre-miers, qui présentant des traits de person-nalité obsessionnelle, y ont naturellementtrouvé leur place.

Cela fait beaucoup de monde et devrait faireréfléchir ceux qui croient vivre en sécuritédans des sociétés démocratiques.

En effet, nos sociétés sont traversées par lesidéologies visant à instaurer des régimestotalitaires car leurs tenants estiment détenirla clef universelle du bonheur humain etveulent l’imposer à chacun.

De surcroît, les avancées biotechnologiques,l’information sur les nouvelles possibilitésthérapeutiques et les nécessités de préventionsont, de fait, anxiogènes.

Enfin, le sentiment d’insécurité généraliséeaugmente les tendances individuelles à accep-ter des chefs charismatiques dans des socié-tés modernes fragilisées.

SyntheseWilly Szafran, psychiator, professor aan deULB en professor emeritus van de VUB,gaat indit artikel nader in op de verbandentussen de individuele psychologie en de fas-cistische ideologie, evenals op de oorzakendie een bepaalde persoon tot deze ideologiekunnen brengen. Na een inleiding op dewortels van het fascisme, van zijn contourenen zijn geschiedkundige aspecten onder-zoekt de auteur welke invloed er van dezeideologie is uitgegaan op schrijvers als RobertBrasillach, Louis-Ferand Céline, PierreDrieu La Rochelle en Lucien Rebater ; allevier zijn ze vanuit een persoonlijke over-

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25 LASCH Christopher, Le seul et vrai paradis, une histoire de l’idéologie du progrès et de ses critiques (Editions Climats,2002), (original : Norton and company, New York and London).

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tuiging tot het fascisme gekomen. De naarvoor geschoven thesis stelt dat narcistischepersoonlijkheidsproblemen kunnen verk-laren waarom deze personen op een affec-tieve wijze tot de ideeën van de fascistischeideologie zijn aangetrokken geweest, preciesomdat de waarden die door deze laatste uit-gedragen worden voor hen aantrekkelijkkunnen lijken. Het artikel sluit af met eenreflectie over onze hedendaagse samenle-ving, waar een algemeen angstgevoel kanleiden tot het aanvaarden van de waardenvan «charismatische leiders».

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FARDE 13

BG/13/01 - AVERBUH Haïm (Henri)

Eléments biographiques :Déportation en tant que personne juiveDates d’arrestation / Déportation :23/04/1943 ; 14/12/1943 - 05/1945Camps / Prisons : Anvers, Malines,Buchenwald, TröglitzInterview Fondation Auschwitz :YA/FA/108

Localisation du document : BG/13/01/01Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document : Fiche biographiqueDate du document : 09/05/1995Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la Fondation Auschwitz

Localisation du document : BG/13/01/02Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Document manuscrit attes-tant de l’incarcération du témoin.

Localisation du document : BG/13/01/03Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Document manuscrit attes-tant de la détention, de la déportation etdu retour du témoin en Belgique.

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SARAH TIMPERMANArchiviste - Fondation AuschwitzArchiviste - Stichting Auschwitz

Les archives de la Fondation Auschwitz

De archieven van de Auschwitz Stichting

Inventaire partiel du Fonds des papiers personnels desvictimes des crimes et génocides nazis (6e partie)

Partiële inventaris van de persoonlijke papieren van deslachtoffers der nazi-misdaden en -genocides (6e deel)

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Localisation du document : BG/13/01/04Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document : Fiche de déportationDate du document : 1943Description : Fiche de déportation dutémoin. Document trouvé à la Werbestellede Hasselt en 1948.

Localisation du document : BG/13/01/05Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Attestation d’incarcérationdu frère du témoin, Léon Averbuh(Anvers, Malines, Buchenwald, Tröglitz ).

Localisation du document : BG/13/01/06Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 14/11/1950Description : Document manuscrit attes-tant de la détention, de la déportation etdu retour en Belgique du frère du témoinLéon Averbuh.

Localisation du document : BG/13/01/07Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document : Fiche de déportationDate du document : 1943Description : Fiche de déportation du frèredu témoin, Léon Averbuh. Documenttrouvé à la Werbestelle de Hasselt en 1948.

Localisation du document : BG/13/01/08Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Attestation d’incarcérationdu frère du témoin, Jacques Averbuh(Anvers, Malines, Buchenwald, Tröglitz).

Localisation du document : BG/13/01/09Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Document manuscrit attes-tant de l’incarcération du frère du témoin,Jacques Averbuh.

Localisation du document : BG/13/01/10Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Document manuscrit attes-tant de l’arrestation, de la déportation etdu retour en Belgique du frère du témoin,Jacques Averbuh.

Localisation du document : BG/13/01/11Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document : Fiche de déportationDate du document : 1943Description : Fiche de déportation du frèredu témoin Jacques Averbuh. Documenttrouvé à la Werbestelle de Hasselt.

Localisation du document : BG/13/01/12Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document : Fiche de déportationDate du document : 1943Description : Fiche de déportation de lamère du témoin, Tula Abramowitz(Malines, Ravensbrück). Document trou-vé à la Werbestelle de Hasselt en 1948.

Localisation du document : BG/13/01/13Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Document attestant de ladétention, de la déportation et du décès à

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Ravensbrück de la mère du témoin, TulaAbramowitz.

Localisation du document : BG/13/01/14Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document : Fiche de renseigne-mentsDate du document : 1950Description : Demande de renseignementssur la mère du témoin, Tula Abramowitz.

Localisation du document : BG/13/01/15Donateur du fonds : AverbuhForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 30/04/1952Description : Document manuscrit attes-tant de la déportation et du décès àRavensbrück de la mère du témoin, TulaAbramowitz.

BG/13/02 - NOTHOMB Jean-François

Eléments biographiques :Déportation politique - RésistanceRéseau ComèteDates d’arrestation / Déportation :18/01/1944 ; 24/08/1944 - 22/04/01945Camps / Prisons : Fresnes, Saint Gilles,Bonn, Nuremberg, Bamberg, Bayreuth,Amberg.Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/060

Localisation du document : BG/13/02/01Donateur du fonds : NothombForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 06/02/1966Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la FondationAuschwitz

Localisation du document : BG/13/02/02Donateur du fonds : NothombForme de document : Original

Type de document : TémoignageDate du document : 05/1944Description : Copie d’un manuscrit rédigépar le témoin lors de sa détention à Saint-Gilles.

BG/13/03 - FALISE Andrée (Veuve Dabe)

Eléments biographiques :Déportation politique - RésistanceService de Renseignements et d’ActionRéseau Martini DaumerieDates d’arrestation / Déportation :04/1941 ; 09/1941 - 18/04/1945Camps / Prisons : Saint Gilles, Hamburg,Berlin, Lubeck, Rostock, Ravensbrück,Mauthausen.Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/059

Localisation du document : BG/13/03/01Donateur du fonds : FaliseForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 01/01/1955Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la FondationAuschwitz

Localisation du document : BG/13/03/02Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Carte des états de services deguerre du combattant 1940-1945.

Localisation du document : BG/13/03/03Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document : AutreDate du document : 07/12/1945Description : Titre de congé de repos déli-vré par le Ministère de la DéfenseNationale.

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Localisation du document : BG/13/03/04Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document : LettreDate du document : 16/01/1941Description : Lettre adressée au témoinlors de sa détention à la prison de Saint-Gilles, par un avocat lui faisant part de sonincapacité à plaider son affaire (accusationd’espionnage).

Localisation du document : BG/13/03/05Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document : Coupure de presseDate du document : 1987Description : Article paru dans LeCourrier : Organe Officiel de l’Union desServices de Renseignements et d’Actionsur la publication du livre-témoignage dutémoin «La route inconnue».

Localisation du document : BG/13/03/06Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document : LettreDate du document : 11/02/1988Description : Lettre de remerciementadressée au témoin pour l’envoi de sonlivre-témoignage, «La route inconnue»par le Secrétaire de la Reine.

Localisation du document : BG/13/03/07Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document : LettreDate du document : 19/12/1994Description : Lettre du témoin à laFondation Auschwitz à propos de sonlivre-témoignage, «La route inconnue».

Localisation du document : BG/13/03/08Donateur du fonds : FaliseForme de document : PhotocopieType de document : LettreDate du document : 16/10/1992Description : Lettre de l’AmicaleNationale des Prisonniers Politiques N.N

d’Esterwegen au sujet du livre-témoigna-ge, «La route inconnue».

BG/13/04 - NAJMAN Félix

Eléments biographiques :Déportation en tant que personne juiveDates d’arrestation / Déportation :09/1939 (Pologne) - 01/1945Camps / Prisons : Ghetto de Lodz,Auschwitz-Birkenau, Mauthausen(Ebensee)Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/103

Localisation du document : BG/13/04/01Donateur du fonds : NajmanForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 04/06/1995Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la Fondation Auschwitz

Localisation du document : BG/13/04/02Donateur du fonds : NajmanForme de document : PhotocopieType de document : Carte d’identitéDate du document : 17/06/1945Description : Pièce d’identité falsifiée déli-vrée au camp d’Ebensee lors de sa libéra-tion. Félix Najman voulant éviter sonrapatriement en Pologne (pays d’origine)falsifie ses coordonnées.

Localisation du document : BG/13/04/03Donateur du fonds : NajmanForme de document : PhotocopieType de document : Carte d’identitéDate du document : 02/07/1945Description : Carte d’identité falsifiée déli-vrée par les autorités tchécoslovaques.

Localisation du document : BG/13/04/04Donateur du fonds : NajmanForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1937-1938

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Description : Atelier du père du témoin,tailleur à Lodz. Rangée de gauche : troisfinisseuses et un ouvrier. Rangée de droite :le père du témoin (debout) et un ouvrier.

Localisation du document : BG/13/04/05Donateur du fonds : NajmanForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1937-1938Description : Photographie familiale.

Localisation du document : BG/13/04/06Donateur du fonds : NajmanForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1937-1938Description : Photographie familiale.

Localisation du document : BG/13/04/07Donateur du fonds : NajmanForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1937-1938Description : Photographie familiale.

BG/13/05 - RUBINSTEIN Salomon

Eléments biographiques :Déportation politique / RésistanceFront de l’IndépendanceDates d’arrestation / Déportation :13/12/1941 ; 11/11/1942 - 05/05/1945Camps / Prisons : Courtrai, Bruges, Saint-Gilles, Bochum, Esterwegen, Auschwitz-Monowitz, Mauthausen.Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/100

Localisation du document : BG/13/05/01Donateur du fonds : RubinsteinForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 20/11/1995Description : Fiche biographique remplie

par le témoin pour la FondationAuschwitz.

Localisation du document : BG/13/05/02Donateur du fonds : RubinsteinForme de document : OriginalType de document : PhotographieDate du document : 19/02/1996Description : Quatre photographies priseslors de l’interview du témoin pour laFondation Auschwitz.

BG/13/06 - SOUKA Marc

Eléments biographiques :Déportation politique / RésistanceDates d’arrestation / Déportation :06/10/1942 ; 21/02/1943 - 23/02/1943Camps / Prisons : Arbois, Besançon,Dijon, Saint-Gilles, Dachau.Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/048

Localisation du document : BG/13/06/01Donateur du fonds : SoukaForme de document : OriginalType de document : LettreDate du document : 14/05/1944Description : Lettre du témoin à sesparents alors qu’il était interné à Dachau.

BG/13/07 - WILMOTTE Victor

Eléments biographiques :Déportation politique / RésistanceGroupement de Résistance d’Action et dePresse Clandestine «Les Insoumis»Organisation Militaire Belge deRésistance (OMBR)Dates d’arrestation /Déportation : 22/02/1942 ; 05/1942 -08/05/1945Camps / Prisons : Fribourg, Friburg inBresgau, Wittlich, Breslau, Schweinitz,Hirschberg (Kdo. Gross Rosen), Hinzert.Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/109

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Localisation du document : BG/13/07/01Donateur du fonds : WilmotteForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 20/08/1995Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la FondationAuschwitz

Localisation du document : BG/13/07/02Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : TémoignageDate du document : s.d.Description : Texte - témoignage dutémoin intitulé «En ‘45, j’ai eu 20 ans...,sans le savoir !»

Localisation du document : BG/13/07/03Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : TémoignageDate du document : s.d.Description : Texte - témoignage dutémoin, intitulé «39-45, cinquante ansaprès, les jeunes veulent savoir».

Localisation du document : BG/13/07/04Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : Carte postaleDate du document : 09/05/1944Description : Carte postale d’un cousin dutémoin aux parents de celui-ci. Il leurdonne des nouvelles de leur fils aveclequel il a été déporté.

Localisation du document : BG/13/07/05Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 02/12/1981Description : Reconnaissance établissant lestatut d’évadé de la guerre 1940-1945 autémoin. Document délivré par leMinistère de la Défense Nationale -Service de l’Administration - Office cen-tral de la Matricule.

Localisation du document : BG/13/07/06Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 07/01/01988Description : Carte des états de services deguerre du combattant 1940 - 1945.Localisation du document : BG/13/07/07Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : Carte de membreDate du document : s.d.Description : Carte de membre effectif del’Union Nationale de la Résistance,Organisation Militaire Belge deRésistance (OMBR) délivrée au témoin.

Localisation du document : BG/13/07/08Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 02/03/1948Description : Carte de PrisonnierPolitique 1940-1945

Localisation du document : BG/13/07/09Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : Carte de membreDate du document : 25/08/1946Description : Carte de membre actif del’Union Nationale de la PresseClandestine 1940-1945 (UNPC) délivréeau témoin.

Localisation du document : BG/13/07/10Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : Carte de membreDate du document : 1949Description : Carte de membre de laFédération Nationale des Fraternelles duGroupement de Résistance d’Action et dePresse Clandestine, «Les Insoumis», déli-vrée au témoin.

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Localisation du document : BG/13/07/11Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 03/12/1947Description : Certificat d’appartenance augroupe de Résistance «Les Insoumis».

Localisation du document : BG/13/07/12Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 29/036/1960Description : Reconnaissance de la qualitéde Résistant Armé au témoin. Documentdélivré par le Ministère de la DéfenseNationale - Office central de la Résistance

Localisation du document : BG/13/07/13Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 1983Description : Attestation d’Invalidité déli-vrée par le Ministère des Finances -Administration des pensions.

Localisation du document : BG/13/07/14Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 03/1948Description : Décision de reconnaissancedu Statut du Prisonnier Politique.Document délivré par la Commissiond’agrégation des Prisonniers Politiques etde leurs Ayants Droits

Localisation du document : BG/13/07/15Donateur du fonds : WilmotteForme de document : PhotocopieType de document : Coupure de presseDate du document : 30/04/1995Description : Article paru dans Vers

L’Avenir sous le titre «Victor Wilmottetémoigne de sa jeunesse bafouée».

BG/13/08 - WITTENBERG Valéry-Roger

Eléments biographiques :Déportation politique / RésistancePartisans, War Office, Front del’Indépendance, Armée SecrèteDates d’arrestation / Déportation :17/06/1944 - 09/1944Camps / Prisons : Renaix, Oudenaerde,Gand, Gent, Bourg-LéopoldInterview Fondation Auschwitz :YA/FA/110

Localisation du document : BG/13/08/01Donateur du fonds : WittenbergForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 22/08/1995Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la FondationAuschwitz.

Localisation du document : BG/13/08/02Donateur du fonds : WittenbergForme de document : PhotocopieType de document : Distinction honori-fiqueDate du document : 08/11/01950Description : Brevet décernant la Croix duPrisonnier Politique 1940-1945 autémoin.

Localisation du document : BG/13/08/03Donateur du fonds : WittenbergForme de document : PhotocopieType de document : Distinction honori-fiqueDate du document : 13/05/1952Description : Attribution de la Décorationmilitaire de 2ème classe avec Palme etattribution de la Croix de Guerre 1940avec Palme au témoin.

Localisation du document : BG/13/08/04Donateur du fonds : Wittenberg

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Forme de document : PhotocopieType de document : Distinction honori-fiqueDate du document : 07/04/1984Description : Attribution de la Croix deChevalier de l’Ordre de Léopold II autémoin.

Localisation du document : BG/13/08/05Donateur du fonds : WittenbergForme de document : PhotocopieType de document : TémoignageDate du document : s.d.Description : Texte - témoignage intitulé«1940-1945 - Les années de mes vingt ans.J’avais vingt ans en 40».

BG/13/09 - MEVISSE Paule

Eléments biographiques :Déportation politique / RésistanceArmée Belge des Partisans, Front del’IndépendanceDates d’arrestation / Déportation :23/07/1943 ; 23/10/1943 - 03/1945Camps / Prisons : Essen, Mesum,Kreusburg, Gross Strehlitz, Oppeln,Dessau (Kdo. Buchenwald)Interview Fondation Auschwitz :YA/FA/086

Localisation du document : BG/13/08/01Donateur du fonds : MevisseForme de document : OriginalType de document : Fiche biographiqueDate du document : 31/07/1995Description : Fiche biographique rempliepar le témoin pour la FondationAuschwitz.

Localisation du document : BG/13/08/02Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document : Distinction honori-fiqueDate du document : 11/08/1955Description : Nomination commeChevalier de l’Ordre de Léopold II et

attribution de la Croix de Guerre 1940avec Palme ainsi que la Médaille de laRésistance au témoin.

Localisation du document : BG/13/08/03Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document : Carte/Fiche d’identi-ficationDate du document : 25/09/1945Description : Fiche de rapatriée du Frontde l’Indépendance - Amicale des MilicesPatriotiques.

Localisation du document : BG/13/08/04Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 16/02/1948Description : Carte de PrisonnierPolitique.

Localisation du document : BG/13/08/05Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 28/11/1946Description : Attestation certifiant que letémoin a fait partie des Partisans.

Localisation du document : BG/13/08/06Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : s.d.Description : Document dans lequel letémoin certifie s’être évadée de la prisonde Dessau en compagnie de deux autresdétenues qu’elle nomme.

Localisation du document : BG/13/08/07Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document :Attestation/Certificat/ReconnaissanceDate du document : 16/05/1945

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Description : Attestation d’identité d’unerescapée qui certifie avoir connu le témoinlors de son internement dans plusieursprisons allemandes.

Localisation du document : BG/13/08/08Donateur du fonds : MevisseForme de document : PhotocopieType de document : TémoignageDate du document : s.d.Description : Témoignage écrit juste aprèsla guerre.

Localisation du document : BG/13/08/09Donateur du fonds : MevisseForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1945Description : Photographie du témoinavec son père à son retour en Belgique.

Localisation du document : BG/13/08/10Donateur du fonds : MevisseForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1945Description : Photographie du témoin lorsde son retour en Belgique, en présence desélèves du Lycée Emile Jacqmain où elleétait professeur.

Localisation du document : BG/13/08/11Donateur du fonds : MevisseForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : PhotographieDate du document : 1945Description : Photographie du témoin lorsde son retour en Belgique, en présence desélèves du Lycée Emile Jacqmain où elleétait professeur.

Localisation du document : BG/13/08/12Donateur du fonds : MevisseForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : Carte/Fiche d’identi-

ficationDate du document : 1945Description : Carte de rapatrié émise par leMinistère des Prisonniers déportés etréfugiés français.

Localisation du document : BG/13/08/13Donateur du fonds : MevisseForme de document : Reproduction pho-tographiqueType de document : LettreDate du document : 28/10/1943Description : Lettre adressée par le Chefde l’Administration Militaire à l’échevinde l’Instruction publique de la ville deBruxelles concernant l’interdiction detoute activité publique au professeurMevisse.

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Prix Fondation Auschwitz2004-2005

Afin de promouvoir des études et recherchesscientifiques pluridisciplinaires sur les mul-tiples aspects de l’histoire et de la mémoiredes crimes et génocides nazis ainsi que sur lesrépercussions de ces événements sur laconscience contemporaine, la FondationAuschwitz a institué depuis 1986 un «PrixFondation Auschwitz» de 2.500 €, auquels’ajouta en 2002 un Prix «FondationAuschwitz - Rozenberg»1 de même valeur.

La séance académique de remise des prix2004-2005 s’est déroulée le 7 décembre 2005à l’Hôtel de Ville de Bruxelles à l’invitation

du Bourgmestre de la Ville de Bruxelles,Monsieur Freddy Thielemans et du CollègeEchevinal de la Ville de Bruxelles.

Le «Prix Fondation Auschwitz» a ainsi étéremis à Monsieur François Rastier pour sontravail intitulé Ulysse à Auschwitz - PrimoLevi, le survivant (CNRS - Paris) et le «PrixFondation Auschwitz-Rozenberg» àMonsieur Ingo Loose pour son travail inti-tulé Deutsche Kreditinstitute in den einge-gliederten und besetzten Gebieten Polens1939-1945 (Humboldt-Universität - Berlin)en présence de Monsieur Michel Weber,Directeur de Cabinet de Madame Marie-Dominique Simonet, Vice-Présidente etMinistre de l’Enseignement Supérieur, de

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Informations

1 Ce Prix, attribué grâce au concours de la «Fondation Rozenberg», est dédié à la mémoire de ce dernier, rescapéd’Auschwitz, par son épouse Andrée Caillet.

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la Recherche Scientifique et des Relationsextérieures de la Communauté Françaisede Belgique ; de Monsieur Patrick Lamot,Directeur-adjoint au Cabinet de MonsieurMarc Verwilghen, Ministre de l’Economie,de l’Energie, du Commerce extérieur et dela Politique Scientifique ; de Madame JoëlleBourgois, Ambassadeur de France ; et deMonsieur Christoph Jessen, Ambassadeurde la République Fédérale d’Allemagne.

Parmi les auteurs des trente et un travauxdéposés l’an dernier, les Félicitations desJurys ont été adressées aux candidats sui-vants : Madame Magdalena I. Sacha pourson travail intitulé Obraz Kultury Lagrowejw Swiadectwach Wieznów ObozuKoncentracyjnego Buchenwald (UniwersytetGdanski) ; Monsieur Arnaud Boullignypour son travail intitulé Les déportés deFrance en Europe nazie (hors la France de1939) (Université de Caen Basse-Normandie) ; Monsieur Tobias Bütow pourson travail intitulé Der «FreundeskreisHimmler» : ein Netzwerk der SS imSpannungsfeld von Wirtschaft, Politik undStaatlicher Verwaltung (Freie UniversitätBerlin).

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Séminaires de formationNotre Centre d’Etudes et de Documen-tation, reconnu Service Général d’EducationPermanente, organise un cycle de forma-tion destiné aux enseignants du cycle secon-daire. Ce cycle annuel comprend quatreséminaires, sous la forme de week-end rési-dentiels (vendredi et samedi), qui aborderontquatre thématiques différentes. Ils serontanimés par des spécialistes des différentesdisciplines impliquées dans les thématiquesenvisagées. Pour assurer une discussionapprofondie, des textes sont préalablementcommuniqués aux enseignants inscrits.

Programme 2006

Séminaire I

«La violence : approche sociologique ethistorique»

17-18 février 2006 à La Louvière

Animateurs :

Messieurs Benoît MAJERUS - Historienà l’ULB, spécialiste de l’histoire et de laviolence &

Yannis THANASSEKOS - Directeur dela Fondation Auschwitz, Collaborateurscientifique à l’ULB

Séminaire II

«La notion de génocide : approche juri-dique et historique»

19-20 mai 2006 à Esneux

Animateurs :

Madame Olivia VENET - Juriste auService du Droit Pénal de la Croix Rouge& Monsieur Yannis THANASSEKOS- Directeur de la Fondation Auschwitz,Collaborateur scientifique à l’ULB

Renseignements et inscriptions :Pour les enseignants en fonction enCommunauté Française, l’inscription estgratuite et doit se faire via l’I.F.C. (Institut dela Formation en Cours de Carrière) soit parinternet sur le site www.ifc.cfwb.be, soitpar tél. au 081/83 03 10 soit par fax au 081/8303 11. Si vous souhaitez bénéficier de lapension complète, veuillez contacter leSecrétariat de Mémoire d’Auschwitz parfax au 02/512 58 84. Toute autre personnedésirant participer à la formation est priée decontacter le Secrétariat pour obtenir le for-mulaire d’inscription. Les frais de partici-pation s’élèvent à 24,79 € par séminaire etcomprennent le support pédagogique, lelogement et la pension complète.

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Voyage d’Etude àAuschwitz-Birkenau

Le voyage d’étude de la FondationAuschwitz a lieu chaque année durant lesvacances scolaires de Pâques et est destinéprioritairement aux enseignants, aux édu-cateurs et aux animateurs culturels afin queces derniers transmettent notre message auxplus jeunes générations et que la mémoiredes crimes et génocides nazis soit préser-vée.

Le déplacement se fait en avion et le loge-ment est prévu, en pension complète etchambre commune (deux à six personnes),à l’Auberge M.D.S.M. à Oswiecim. Lesvisites des camps et les séminaires sur placesont encadrés et animés par des survivantsdes camps de concentration et d’extermi-nation et des chercheurs scientifiques spé-cialisés dans ce domaine.

Les frais de participation, sous réserve demodification, s’élèvent à 500,00 € pour lesenseignants, éducateurs et animateurs cul-turels et 650,00 € pour les personnes n’en-trant pas dans ce cadre - si des places restentdisponibles ! Sont inclus dans ces prix : voya-ge en avion, tous les transferts en car, lelogement en pension complète, visites descamps et diverses visites guidées.

Les personnes intéressées par cette impor-tante activité annuelle de la Fondation peu-vent prendre contact avec son Secrétariatpour s’inscrire au prochain voyage qui sedéroulera du 8 au 13 avril 2006.

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Site internetNous informons nos lecteurs du fait queles informations relatives à l’ensemble denos activités sont consultables sur le siteinternet de l’asbl Mémoire d’Auschwitz àl’adresse suivante : www.auschwitz.be

AVIS

L’Association MINIANErecherche :Pour le projet d’oratorio «Miniane, l’été39» que préparent Laurent Roth et Jean-Christophe Marti, l’Association Minianerecherche (également aux quatre coins dumonde, y compris dans les pays non direc-tement affectés par la guerre de 1939-1945)des films amateurs tournés par des famillesjuives dans les années 30, et plus particu-lièrement l’été 1939.

Ce projet d’oratorio à huit voix et à deuxrécitantes est lauréat de la BourseBeaumarchais de la SACD et de laFondation pour la Mémoire de la Shoah. Ilprévoit, au centre du dispositif scénique, encontrepoint visuel à cet oratorio, un montagede films de familles d’origine juive tournéspendant les années 30 et plus particulière-ment l’été 1939, montrant sur grand écran labanalité du bonheur dans une boucle entê-tante, afin de modifier l’image des victimesde la Shoah.

Toute contribution ou suggestions pourmener à bien ce projet seront les bienve-nues.

Contact :

Association Miniane - L. Roth - Tél. : 00.33(0)160191275 - [email protected]

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Prijs Stichting Auschwitz2004-2005

Ten einde de studies en het multidiscipli-nair wetenschappelijk onderzoek naar degeschiedenis en herinnering van de nazi-misdaden en genocides, en van gelijkaardi-ge fenomenen in het verleden en in dehedendaagse samenleving te stimuleren heeftde Stichting Auschwitz sinds 1986 een «PrijsAuschwitz» ingesteld ten bedrage van2.500 €. Sinds 2002 werd er een gelijk-waardige «Prijs Stichting Auschwitz -Jacques Rozenberg»1 aan toegevoegd.

Op uitnodiging van burgemeester FreddyThielemans en van het schepencollege van deStad Brussel is de academische zitting voorde uitreiking van de prijzen 2004-2005 door-gegaan op 7 december 2005 in het stadhuisvan Brussel.

De «Prijs Stichting Auschwitz» werd uit-gereikt aan dhr. François Rastier voor zijnwerk Ulysse à Auschwitz - Primo Levi, lesurvivant (CNRS - Paris) en de «PrijsStichting Auschwitz - Rozenberg» aan dhr.Ingo Loose voor zijn werk DeutscheKreditinstitute in den eingegliederten undbesetzten Gebieten Polens 1939-1945(Humboldt-Universität - Berlin). De zit-

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Mededelingen

1 Deze Prijs toegekend dank zij de «Stichting Rozenberg», is opgedragen aan de herinnering van Auschwitz-overlevende Jacques Rozenberg en werd door zijn weduwe Andrée Caillet ingesteld.

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ting ging door in aanwezigheid van dhr.Michel Weber, Kabinetschef van Mevr.Marie-Dominique Simonet, Vice-Voorzitteren Minister van het Hoger Onderwijs, vanhet Wetenschappelijk Onderzoek en vande Externe betrekkingen van de FranstaligeGemeenschap van België, van dhr. PatrickLamot, Adjunct-Directeur op het Kabinetvan dhr. Marc Verwilghen, Minister vanEconomie, Energie, Buitenlandse Handelen Wetenschappelijke Politiek ; van mevr.Joëlle Bourgois, Ambassadeur vanFrankrijk ; en van dhr. Christoph Jessen,Ambassadeur van de Duitse Bond-srepubliek.

Van de 31 verleden jaar ingeleverde wer-ken werden de Felicitaties van de Jury toe-gekend aan de volgende kandidaten : Mevr.Magdalena I. Sacha voor haar werk ObrazKultury Lagrowej w SwiadectwachWieznów Obozu KoncentracyjnegoBuchenwald (Uniwersytet Gdanski) ; dhr.Arnaud Boulligny voor zijn werk Lesdéportés de France en Europe nazie (horsla France de 1939) (Université de CaenBasse-Normandie) ; dhr. Tobias Bütow voorzijn werk Der «Freundeskreis Himmler» :ein Netzwerk der SS im Spannungsfeld vonWirtschaft, Politik und StaatlicherVerwaltung (Freie Universität Berlin).

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Studiereis naar Auschwitz-Birkenau

De jaarlijkse studiereis van de StichtingAuschwitz naar Auschwitz-Birkenau gaatvolgend jaar door tijdens de paasvakantie van8 tot 13 april 2006. Deze studiereis is hoofd-zakelijk voorbehouden aan leerkrachten,opvoeders en culturele animatoren. Naasteen bezoek aan de voormalige kampsitesen musea van Auschwitz-Birkenau wor-den er ook films vertoond en enkele semi-naries georganiseerd. Er is tevens ruime

gelegenheid tot debat en tot een gesprekmet een van de aanwezige overlevendenvan de kampen.

De reis gebeurt met het vliegtuig en het ver-blijf ter plaatse is voorzien in deJeugdherberg M.D.S.M. te Oswieçim in volpension en met gemeenschappelijke kamers(twee tot zes personen). Kostprijs : 500,00 (o.v.) voor leerkrachten, opvoeders en cul-turele animatoren. In deze prijs zijn inbe-grepen : de vliegtuigreis, de verplaatsingenmet de bus, het hotelverblijf in vol pension,de toegang tot de kampen en de geleidebezoeken. Het programma voorziet even-eens in een bezoek aan Krakau enOswieçim.

Geïnteresseerden in deze studiereis kun-nen contact opnemen met het Secretariaatvan de Stichting : Mevr. Nadine Praet - Tel :02/512.79.98 - Fax : 02/512.58.84 - e-mail :[email protected]

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Vormingscyclus Auschwitz Stichting

CYCLUS 2005-2006

Woensdag 19 oktober 2005 (Sem. 1)

Rik VANMOLKOT, Kunst & Democratie

Veerle TAES, kunsthistorica

Kunst en de nazi-concentratiekampen

Dit seminarie gaat door van 14u tot17u30 in 30CC Cultuurcentrum,Brusselstr, 63, 3000 Leuven(016/238427)

In samenwerking met Vzw Kunst &Democratie en de stad Leuven

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Woensdag 30 november 2005 (Sem. 2)

Dr. Chantal KESTELOOT, SOMA-Brussel

Drs. Jan LAPLASSE, SOMA-Brussel

«Waals verzet», «Vlaamse collaboratie» :mythes en realiteiten

Dit seminarie gaat door van 14u tot 17u inhet Vredeshuis in Gent (St.-Margrietstraat9, 9000 Gent, 09/233 42 95).

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Woensdag 15 februari 2006 (Sem. 3)

Stijn VANERMEN, historicus

Negationisme

Dit seminarie gaat door van 14u tot 17u inhet Vredescentrum te Antwerpen(Lombardenvest 23, 2000 Antwerpen,03/202 42 92). In samenwerking met hetVredescentrum Antwerpen.

Zaterdag 25 maart 2006 (Sem. 4)(nieuwe datum !)

Dr. Roel VANDE WINKEL, UGent

Nazi-propagandafilms : Leni Riefenstahlen Triumph des Willens

Dit seminarie gaat door van 14u tot 17u inhet Heilig Graf Instituut te Bilzen(Kloosterstraat 9, 3740 Bilzen, 089/4132 01)

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Ten einde het opsturen van begeleidendeteksten mogelijk te maken, dienen de geïn-teresseerden voor deze seminaries zich voor-af in te schrijven bij de Vzw Auschwitz inGedachtenis (Huidevetterstr. 65, 1000Brussel, 02/512 79 98, of e-mail :[email protected]). Voor het toesturenvan de teksten wordt een som van 3 €gevraagd, te storten op rekeningnummer310-0780517-44 met vermelding van hetSeminarie (1-4). Voor meer informatie zie :www.auschwitz.be

Website

Wij willen onze lezers ervan op de hoogtebrengen dat de mededelingen betreffendeonze activiteiten, die tot nog toe gepubliceerdwerden in de kolommen van dit tijdschrift,vanaf heden verplaatst werden en consul-teerbaar zijn op de website van de vzwAuschwitz in Gedachtenis : www.ausch-witz.be

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Simon Wiesenthal Instituut

Het Simon Wiesenthal Instituut te Brusselvzw organiseert in het academiejaar 2005-2006 op elke donderdag van de maand(behalve in de vakanties) de volgende colle-ges :

1. Tijdens de maanden oktober-december2005 : Hoe werd in het Midden-Oosten deJodenhaat de kern van de IslamitischeHeilige Oorlog (Jihad) tegen Israël ?(Ontwikkeling van een historische revo-lutie). (colleges van 11 u tot 13 u)Deelnemingskosten : 34 €

2. Tijdens de maanden januari-mei 2006 :Occidentalisme : Het Westen in de ogenvan zijn

vijanden (colleges van 11 u tot 13 u).Deelnemingskosten : 56 €

3. Tijdens de maanden oktober 2005 - mei2006 : Het beeld van de jood en het joden-dom in de geschriften van Friedrich Nietsche.(colleges van 14u30 tot 16u30).Deelnemingskosten : 90 €

De colleges worden gegeven door dr. HansJansen, jarenlang professor van de JamesW. Parkes Leerstoel (verbonden aan deFaculteit Letteren en Wijsbegeerte van deVrije Universiteit te Brussel), specialist inde geschiedenis van christelijke literatuurover joden en jodendom.

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Het Simon Wiesenthal Instituut te Brusselvzw organiseert in het academiejaar2005/2006 op de 4de donderdag van demaanden oktober, november, januari, febru-ari, maart en mei ‘s namiddags van 14u30 -16u30 bijeenkomsten, waarin de zesdeligeBBC-televisie-documentaire wordt ver-toond over Auschwitz waarna debat.Deelnemingskosten : 5 € per documentai-re voor niet-cursisten. Voor cursisten inbe-grepen in cursusgeld.

De colleges worden gegeven en de docu-mentaires worden vertoond in : HetGemeenschapscentrum Den Dam, WaverseSteenweg 1747, Oudergem (Brussel).

Het Simon Wiesenthal Instituut te Brusselorganiseert in het academiejaar 2005/2006een studiereis naar Andalusië (Sevilla,Cordoba en Granada). De 7-daagse stu-diereis (in zomer van 2006) staat onder lei-ding van prof. dr. Hans Jansen. Aan destudiereis gaan voorbereidende bijeen-komsten vooraf.

Voor meer informatie contacteer het SimonWiesenthal Instituut te Brussel : PB 70, 1160Brussel, Tel. : 02/720 84 43 of 0473/69 35 20,e-mail : [email protected]

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Notes de Lecture / Lectuurnota’s

Storm in juni

Nemirov, een stadje in de Oekraïne, was inde achttiende eeuw een belangrijk centrumvan het chassidisme. Als de naam ons van-daag nog iets zegt, dan is dat te danken aanIrène Némirovsky, een schrijfster die in2004 postuum de gegeerde Prix Renaudotontving voor haar magistrale en caleido-scopische maar ook wrange Suite française,een kloeke roman waarvan de tekstgenesealleen al een andere en verbluffende vertel-ling in zich draagt. Maar ook haar leven zélfis van zo’n immense tragiek dat de lezer,ondanks het fameuze dictum dat een onge-lukkige jeugd een goudmijn is voor eenschrijver, zich er toch over blijft verbazen datiemand zo sereen en lucide kon schrijvenover een periode waarin het banale én het

demonische kwaad als nooit tevoren syste-matisch regeerden ; een tijd ook die zeondanks de vele mene tekels vrij onthechtbeleefde en beschreef. Als lezer van dezenu in het Nederlands als Storm in juni ver-taalde roman blijf je verbijsterd achter.

Irène Némirovsky werd in 1903 geborenin Kiev uit rijke ouders, in hartje Jiddishland.Ze werd opgevoed in een liefdeloze omge-ving : enerzijds door een vader die slechtsbekommerd bleek om twee zaken, het com-merciële en het casino ; anderzijds door eenmoeder die niet om haar gaf. Eenzaamheidwas haar metgezel en boeken waren haartroost. Op veertienjarige leeftijd schreef zeteksten met op de achtergrond de roma-neske wereld van de grote Russen uit dewereldliteratuur, maar ze verslond ook Plato,J.-K. Huysmans, G. de Maupassant en

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O. Wilde. Na de Oktoberrevolutie van 1917,moeten ze, vermomd als boeren, de rodeterreur ontvluchten. Ze ervaren aan denlijve het wassende byzantijnse despotisme ende toenemende klassengenocide van «eenmassabeweging die tegelijkertijd een putschvan enkelen was» (Marc Ferro). Deze revo-lutie, waarvan we ondanks de val van deMuur, de naschokken nog steeds voelen,was een ongelukkig maar erg dynamischsamenspel van een agrarische opstand tegende staat en de grootgrondbezitters, van eenuiteenvallend leger van tien miljoen soldaten-boeren die niets begrepen van de oorlogwaarin ze moesten vechten, die als slavenwerden behandeld en die te maken haddenmet een falend ravitailleringssysteem, vaneen erg kleine maar militante arbeidersklas-se met terechte verzuchtingen (men schat zeop 3%), van de nationalistische emancipatievan de vele Aziatische volkeren uit het ex-tsaristische keizerrijk en ten slotte van hetrevolutionaire en gewelddadige vernuft vaneen intellectuele politieke minderheid, debolsjewiki, die erin slaagde in het jaar 1917de institutionele leegte op te vullen van eenautocratisch regime dat reeds verzwakt wasdoor bloedige boerenrevoltes en dat, onderde monarchistisch-populistische NicholaasII, de effectieve controle over de staat ver-loren had. Het land werd vanaf nog slechts‘bestuurd’ door de erg impopulaireAlexandra, door de bevolking alleen algehaat omdat ze Duitse was. In deze dagendie de wereld dooreenschudden, en te mid-den van een niet te stuiten hectiek, vlucht defamilie Némirovsky eerst naar Finland enZweden. In 1920 vestigen ze zich in Parijs,nemen de draad weer op en leven als ‘katho-lieke joden’ een mondain leven dat de eigen-lijke realiteit miskent. Dat dochter Irène,die nog steeds wegvlucht in een literairedroomwereld en voor wie het gezin geen‘haven is in een rusteloze wereld’(Christopher Lasch), haar diepgaande engenereuze, maar apolitieke in een maat-

schappelijk vacuüm opbouwt, zal later zijnwrede repercussies hebben, al is haar wereld-beeld van in den beginne al getekend dooreen zekere illusieloosheid.

Wie de brieven leest die Michel Epstein,Irène Némirovsky’s echtgenoot, richt aanAndré Sabatier (de literaire directeur vanuitgeverij Albin Michel) naar aanleiding vanhaar gevangenneming als joodse in juli 1942,kan niet anders dan vertwijfeld voor zich uitstaren en mijmeren over de overweldigendenaïviteit die eruit spreekt : «Misschien moe-ten we in de zaak van mijn vrouw nog ver-melden dat zij Wit-Russisch is en deSovjetnationaliteit altijd geweigerd heeft,dat ze in Rusland streng vervolgd werd endaar samen met haar ouders, van wie hetgehele fortuin in beslag werd genomen, van-daan is gevlucht. Hetzelfde is op mij vantoepassing en ik overdrijf niet als ik zeg dathet totale bedrag dat mijn vrouw en mij isontnomen ongeveer honderd miljoen voor-oorlogse francs bedraagt... De huidigegezagsdragers kunnen er dus op vertrou-wen dat wij niet de geringste sympathiekoesteren voor het huidige Russische regi-me». De Némirovsky’s, Irène en haar manMichel Epstein, geloofden toen nog - medio1942 ! - in de ‘Anständigkeit’ van de Duitsersen de collaborerende Fransen. Ze warenaristocraten van de geest, mensen die eengoedaardigheid, een ruimhartigheid en een‘âme simple’ in zich droegen die na de twee-de wereldoorlog voorgoed tot het verledenzouden behoren.

In Frankrijk leidden zij een leven zoals hetin de romans van Scott Fitzgerald beschre-ven wordt : somptueus op het decadenteaf, vol bals en mondaine soirees. Irène stu-deert literatuur aan de Sorbonne en publi-ceert op 18-jarige leeftijd haar eerste roman,Le Malentendu. Op 26-jarige leeftijd, in1929, wordt haar roman David Golder inhet licht gegeven, een werk dat een eclatantsucces is : het getuigt van een bijzondere

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rijpheid en kracht, maar ook van een som-bere maar stoïsche ziel. Het boek wordtverfilmd door Julien Duvivier en er komteen theateruitvoering. Verschillende auteursals Paul Morand (tijdens de tweede wereld-oorlog in dienst van de Vichy-regering),Drieu La Rochelle (spiritueel collobarateurdie in 1945 zelfmoord pleegde), JeanCocteau, Robert Brasillach (wegens zijn«fascisme immense et rouge» in 1945 geëxe-cuteerd) en Joseph Kessel (speelde een actie-ve rol in het verzet) fêteren haar, maar ookin het buitenland wordt ze alom bejubeld.

De vooroorlogse tijd waarin IrèneNémirovsky leefde, was in die zin tegelijktroebel en turbulent dat vele intellectuelen,op zoek naar een waarachtige democratie enafkerig van de traagheid en het gekonkelvan de politiek voor een bepaald autorita-risme opteerden - wat hen in het vaarwatervan de collaboratie bracht. De era waarindeze erg getormenteerde ‘joodse’ schrijf-ster haar Werdegang doormaakte, was blijk-baar ook dermate ambivalent en verwarddat ze verschillende van haar werken in hetlicht angehauchte antisemitische tijdschriftGringoire kon publiceren. Blijkbaar golden‘les contraintes de l’époque’ (GérardLoiseaux in La littérature de la défaite etde la collaboration, 1984 - herziene editie :1995) eveneens voor een auteur die in alhaar burgerlijkheid niet het minste politie-ke inzicht vertoonde. Getuige daarvan eenfragment uit een brief van augustus 1940 : «Uweet dat ik me over het algemeen verre vande wereld houd en dat ik niets weet vanmogelijke maatregelen die de laatste tijddoor de pers getroffen zijn». Het is alleen demorele, humanistische en intellectuele puur-heid van deze schrijfster die het boven-staande in een juiste context kan plaatsenen die onze sympathie kan wekken vooreen vrouw die leefde alsof ze buiten de tijdstond. Als katholieke jood ging ze er imp-liciet vanuit dat ze zou kunnen blijven publi-

ceren, ook al zat de werkelijkheid haar enhaar man (die even later ook werd opge-pakt) dicht op de hielen. Op 13 juli 1942wordt ze, zoals reeds gezegd, door Fransegendarmes gearresteerd, maar zelfs dan blijftze stoïsch en in een zekere zin optimistisch :«Op dit moment bevind ik me in de gen-darmerie, waar ik bosbessen en aalbessengegeten heb en wacht tot ze me komenhalen, ik ben ervan overtuigd dat het nietlang zal duren». Ze wordt, net als haar man,naar Auschwitz gedeporteerd ; in Birkenaukrijgt ze een registratienummer, ze komtterecht in het Revier, de anus mundi waar zevermoord wordt.

Wie de wat naïeve uitlatingen leest in decorrespondentie die opgenomen werd inde in 2005 bij uitgeverij De Geus gepubli-ceerde roman Storm in juni, ontkomt erniet aan Némirovsky’s houding te beschou-wen als een soort onaardse of ouderwetsemaar immer dramatische grootmoedigheiddie opnieuw fel begint te leven zodra menéén letter van haar leest. Naïef dus maarook bijzonder menselijk en met een groot-heid van ziel die ontroert. Het is een bij-zondere maar ook verwarrendegewaarwording met het verloop van degeschiedenis in het achterhoofd. In 1938vroegen zij en haar man tevergeefs de Fransenationaliteit aan, heel de familie liet zichdopen, in 1939 werden de twee kinderen,Denise en Elisabeth, veilig naar Issy-l’Evêquegebracht. De schrijfster maakt haar testa-ment, regelt tot in de kleinste bijzonderhe-den het lot van de kinderen (die gelukkigoverleven), maar ondertussen werkt zekoortsachtig aan een oeuvre, een vijfluik,vijf romans in verschillende ritmes en toon-aarden, waarvan zij er nog twee kon vol-tooien : die werden in 2004 als Suite françaiseuitgegeven en liggen nu - in één band - voorin het Nederlands als Storm in juni, dat eenlevendig maar navrant portret tekent vande uittocht uit Parijs waarin alle soorten

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karakters elkaar kruisen, en Dolce, over debezetting. Het is een meedogenloos maaronaf portret van een cynisch en bijzonder lafFrankrijk, het vormt een uitzonderlijkeschriftuur die we vandaag tot het rijk van dewereldliteratuur kunnen rekenen dankzijde moed en de integriteit van haar tweegevluchte kinderen die het manuscript, datze hadden verstopt en een heel leven metzich hadden meegedragen en gekoesterd,op een bepaald moment hebben overge-typt om het daarna te schenken aan hetFranse archief voor het Boekenvak(L’Institut Mémoire de l’EditionContemporaine). Onder hun ogen open-baarde dit werk zich tot een groots enschrander, maar deprimerend panorama vaneen tijd waaraan de Fransen niet graag wor-den herinnerd, ook de literaire niet, wantde helft ervan collaboreerde er intellectu-eel rustig op los. Maar terzelfder tijd groei-de bij de twee kinderen via deze virtuoosgecomponeerde roman (altijd met klassiekemuziek op de achtergrond) een weergaloosen ontroerend portret van een moeder die zewegens hun jonge leeftijd niet echt haddenkunnen leren kennen. Want in tegenstel-ling tot Irène Némirovsky’s eigen moeder,die ze eigenlijk haatte en die nooit naar haaromzag, was deze romancière als moederhet toonbeeld van een goedmoedigheid eneen generositeit die je naar de keel grijpen.Haar dochter Elisabeth (die schrijft onder denaam Elisabeth Gille) publiceerde in 1992over Irène een ‘verzonnen’ biografie, eenuitgevonden levensbeschrijving als het wareomdat zij te jong was geweest om haar moe-ders gevoelsleven en psyche echt te begrijpen,maar de reconstructie van dat leven in LeMirador wordt zo empathisch juist uitge-bouwd dat de lezer er een onnoembaar ver-driet aan over houdt, een intensegewaarwording van authentieke hopeloos-heid en verlies.

Het paradoxale van het trieste leven vanIrène Némirovsky bestaat misschien welhierin - en de inleidster van de Franse uitgave(ook opgenomen in deze mooi afgerondeNederlandse vertaling) Myriam Anissimovwijst er ook op - dat er een ongelooflijkezelfhaat schuilt in haar oeuvre. Die is waar-schijnlijk terug te voeren op het in haarogen bijna decadent-kosmopolitisme vande gegoede joodse burgerij, voor wie haarouders model stonden. De zwierige non-chalance waarmee de kinderen werdengrootgebracht, de liefdeloosheid en het stui-tende en doorgeslagen materialisme van diegrotemensenwereld, leidden ertoe dat IrèneNémirovsky dit soort joden «bij wie deliefde voor het geld de plaats van elke ande-re emotie heeft ingenomen» totaal verwer-pelijk vond. De kenmerken die ze aan de‘jood’ toekent zijn doordrongen van allemogelijke stereotiepen, haar woordkeuzeis vaak abject maar toch ook in zekere zinaltijd schuldeloos. Ze spreekt over de ‘jood-se schaamteloosheid’, hun geldzucht, maartegelijk is ze er trots op joods te zijn ! Ze iser door gefascineerd, maar tegelijkertijd ver-werpt ze datgene waardoor ze zelf gevormdwas, namelijk de mores van de gegoedejoodse geldburgerij. De spirituele kant vanhet jodendom en de diversiteit ervan kendeze niet, en diegenen die haar als een vijandvan haar eigen volk beschouwden gaf ze likop stuk door te stellen dat ze in haar romanDavid Golder geen ‘Franse Israëlieten’ hadbeschreven, maar het soort kosmopoliti-sche joden waartussen ze opgegroeid was.Haar wereldbeeld, gevormd door wat inhaar ogen verwerpelijk was, de voortdu-rende preoccupatie met geld - roept remi-niscenties op aan Jacques Attali’s Les juifs, lemonde et l’argent (2002), een werk dat o.m.tracht te verklaren waarom het antisemitis-me soms een historisch-correcte voedings-bodem heeft, een moedig en savant boekdat niets uit de weg gaat, ook niet, zoals deauteur het stelt, een onderwerp dat naar

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zwavel ruikt. «Even essentieel is het voor hetjoodse volk», zo schrijft Attali, «om dit deelvan zijn geschiedenis onder ogen te durvenzien, het deel waarvan het niet houdt enwaarop het toch met reden trots zou moe-ten zijn». Het is die dubbelzinnigheid die weook terugvinden bij Nemirovsky wanneerze joodse mensen portretteert.

In Storm in juni borstelt Némirovsky opeen vrij afstandelijke wijze een turbulentmaar toch romanesk beeld van een Frankrijkin verwarring. In haar notities (achter in deroman opgenomen) schrijft ze : «Mijn god !Wat doet dit land me aan ? Nu het me afwijstmoet ik het koel beschouwen, ik moet goedkijken hoe het zijn eer en zijn leven ver-liest», en begin 1942 merkt ze nuchter op :«De Fransen hadden zo genoeg van deRepubliek als van een oude echtgenote. Dedictatuur was een bevlieging voor ze, eenavontuurtje. Ze wilden hun vrouw welbedriegen maar niet vermoorden. En nu is zedood, hun Republiek, hun vrijheid. Nu hui-len ze om haar». Haar algemene beschou-wingen over het voorbije tijdperk zijn nooitecht politiek, altijd filosofisch en pessimis-tisch. Haar personages zijn door de bankgenomen zwak en laf, opportunistisch -slechts enkelen gedragen zich in die hectischedagen edelmoedig. Ze vergelijkt haar romanmet een muziekstuk waarin je af en toe hetorkest hoort en dan weer een enkele viool.Het is verhelderend om te zien hoe ze gena-deloos en obsessief reflecteert op haar eigenliteraire schema’s en opvattingen en hoe zerefereert aan de wijze waarop Flaubert zijnpersonages concipieerde. Het feit dat haarliteraire en andere bedenkingen achteraan inhet boek werden opgenomen, is in dit gevalvan een uitzonderlijke importantie omdateruit blijkt hoe doordacht Irène Némirovskytewerkging en hoe intensief ze nadacht overieder personage, hoe elk segment van desamenleving zijn of haar representant krijgt,de gewone man, de kleine en grote burgerij,

de literaire kliekjes, de soldaten, de colla-borateurs en de boeren. Maar helemaal fas-cinerend is, hoe ze er in het tweede gedeelte(Dolce, dat verwijst naar de zachtheid van debeschreven gebeurtenissen) in slaagt om -terwijl de oorlog toch al een aantal jaar ver-woestend huishield - op een geloofwaardi-ge (maar toch ook naïeve) wijze het verhaalte vertellen van de ingehouden liefde vaneen integere Française voor een Duitse, inge-kwartierde officier. Het is een tour de forcedie romantechnisch overtuigt maar die tege-lijkertijd de zwakte blootlegt dieNémirovsky’s on-politieke wereldbe-schouwing kenmerkt. Zelfs in die beginjaren(1939-1940-1941, begin 1942), de periodewaarin ze aan haar roman fleuve van vijfdelen werkt, is het bij de auteur blijkbaarnooit ten volle doorgedrongen dat ze opdat moment aangeschoten wild was en wasze er allicht impliciet toch van overtuigddat haar pessimistisch humanisme tegen debarbaarsheid zelf kon optornen. De zoetheidvan Dolce staat dan in fel contrast met dedramatische gebeurtenissen van het eerstedeel (Storm in juni), die als een soort afre-kening met Frankrijk kunnen worden gele-zen. De lezer kan dan ook alleen maar ergveel spijt van hebben van het onverbiddelijkefeit dat ze nooit de volgende drie delen heeftkunnen schrijven, al kan hij wel de notitieslezen die ze voor haar grote Franse romanmaakte en verbitterd vaststellen dat, zoals dedichter het zegt, zoveel schoonheid in deknop werd gebroken.

Als lezer word je permanent in verwarringgebracht omdat je wéét wat er zal gebeuren,terwijl de schrijfster grootse plannen blijftopzetten ; nog op 2 juni 1942 merkt ze op :«Nooit vergeten dat de oorlog ooit voorbijzal gaan en dat het hele historische gedeeltedan verbleekt». Maar in psychologischopzicht en als analyse van wat soort mensende toekomst zouden bevolken, de cynischemassamens, is deze romanschrijfster onover-

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troffen ; dan legt ze de vinger op elke wondeplek en verbijstert het ons hoeveel ze toch alafwist van onze toekomst, al kende ze dehare niet. De spanning tussen het individu enhet collectief vindt men in haar bedenkingenimmers op exemplarische wijze terug, eneigenlijk pleit de auteur voor een fatsoenlij-ke burgermaatschappij (Avishai Margalit),ver voorbij deze twee polen. In die zin is haarwerk, spijts haar eigen aversie ertegen, tochweer politiek. Méér echter nog ligt haarkracht in het tekenen van de kleine kantjesvan de mens, zeker in een tijd waar alles ophet spel stond.

Irène Némirovsky, grootgebracht in eenwereld waarin de tsaar nog een icoon was,maar ook in het intellectuele Frankrijk vanhet interbellum, opgevoed door het tradi-tionele kindermeisje en in zekere zin wég vande wereld, mondain en toch eenvoudig,joods en katholiek, burger en aristocraat,denker en romancière : het is meer dan velenooit zullen kunnen verenigen en het heefteen klein oeuvre gegenereerd dat we moeten

koesteren. Maar als ik me ze wil herinneren,dan is het als onverbiddelijke scherprechtervan een collaborerend en zwalpendFrankrijk, dat ze beter dan wie ook door-grondde omdat ze een scherp inzicht had inde menselijke psyche en in het menselijktekort. Maar wat daarna volgde, de indus-triële uitroeiing van het joodse volk, vanhomoseksuelen, gehandicapten, zigeuners enalles wat als Untermensch beschouwd werd,dàt kon ze ook als getalenteerde schrijfsterniet voorzien : daarvoor was ze een té fat-soenlijk mens in een tijd waarin het kwaaduit alle kieren en gaten kroop, een periode inde geschiedenis die ons denken nog altijdverlamt en waarmee we nog steeds niet hele-maal in het reine zijn gekomen.

Wim VAN ROOY

Referentie :

NEMIROVSKY Irène, Storm in juni,Breda, Uitgeverij De Geus, 2005, 511 p.(n° 8154)

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ADLER Laure, Dans les pas de HannahArendt, Paris, Editions Gallimard, 2005,645 p. (n° 8248)

Journaliste, écrivain, biographe, réalisatri-ce et présentatrice d’émissions littéraires,Laure Adler nous propose une biographied’Hannah Arendt, philosophe et polito-logue américaine d’origine allemande, mili-tante antinazie de la première heure,théoricienne de l’anti-totalitarisme et auteurnotamment de Eichmann à Jérusalem.Rapport sur la banalité du mal. Ayant euaccès à des archives inédites, Laure Adlernous propose une véritable enquête quinous éclaire sur divers aspects de la person-nalité d’Arendt, sa relation intellectuelle etamoureuse avec Martin Heidegger, son sensde l’amitié et ses engagements, ses thèsesqui ont parfois suscité la controverse... D’une

lecture aisée, Dans les pas de Hannah Arendtévoque aussi tout un siècle d’histoire poli-tique et philosophique.

ADRIAENS Ward, Partizanenkorps 037.Kroniek van het Onafhankelijk-heidsfront, Jeugdfront en Partizanenlegerin de streek van Heist-op-den-Berg,Berchem, Uitgeverij EPO, 2005, 147 p.(n° 8252)

In hun benadering van het verzet hebbenhistorici nogal eens de neiging om al te zeerte veralgemenen en alleen oog te hebbenvoor de grote verhaallijnen. Daarmee dreigtsoms een dimensie verloren te gaan : dezevan de inplanting van de verzetsorganisatiesin een lokale context. In zijn studiePartizanenkorps 037 graaft Ward Adriaenszich in in de geschiedenis van het

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Recensions / Recensies

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Onafhankelijkheidsfront en de Partizanenvan de streek van Heist-op-den-Berg. Zijnboek heeft niet de pretentie een doorwrochteanalyse te brengen, maar wil in de eersteplaats een gedetailleerde kroniek zijn. Hetbevat een schat aan feitelijke gegevens die onseen zicht geven op de realiteit van het lokaalverzet.

ARENDT Hannah, Responsabilité etjugement, Paris, Editions Payot &Rivages, 2005, 316 p. (n° 8250)

Cet ouvrage traite de questions de philo-sophie morale relatives à la responsabilitépersonnelle exercée dans le cadre de régimesdictatoriaux comme le IIIe Reich, de situa-tions politico-militaires plus récentes commele Vietnam ou des discriminations raciales,comme aux Etats-Unis. Comment se mesu-rer aux événements, comment parvenir à ydistinguer le bien du mal, comment dire«non» aux sollicitations ou obligations«immorales» ? Et bien, en tentant par soi-même d’évaluer les situations. En y réflé-chissant et en évaluant son propre degréd’implication personnelle ou de soutien.D’où la nécessité d’émettre un jugementpour mesurer et prendre ses responsabilités.Sur ce dernier point, on lira avec intérêt lesréflexions de l’auteur sur la pièce contro-versée de Rolf Hochhuth, Le Vicaire (lePape avait-il connaissance de l’exterminationdes Juifs dans les camps nazis ?) et le chapitreconsacré aux «témoins de Francfort» lors duprocès d’Auschwitz.

ARJAKOVSKY-KLEPININE Hélène,Et la vie sera amour. Destin et lettres dupère Dimitri Klepinine, Paris / Pully,Editions du Cerf / Editions Le sel de laterre, 2005, 215 p. (n° 8259)

Hélène Arjakovsky-Klepinine nous livre,dans cet ouvrage, le parcours de son père, leprêtre orthodoxe Dimitri Klepinine. Ellen’avait que cinq ans lorsque celui-ci fut arrê-té en février 1943 par la Gestapo. Canonisé

début 2004 par le Patriarcat œcuménique deConstantinople, il eut un destin singulier.Né en 1904 dans une ville du Caucase, ils’exile avec sa famille à Istanbul pour fuir lerégime bolchevique. Il séjourne ensuite àBelgrade et poursuit ses études de théologieà l’Institut Saint-Serge de Paris. Devenuprêtre, c’est dans cette ville, lors de l’occu-pation allemande, qu’il décide de sauver desJuifs en mettant en place un système de fauxcertificats de baptême. Arrêté par la Gestapoen février 1943, il est déporté au camp detransit de Compiègne, puis à Buchenwald età Dora où il mourra le 9 février 1944. Et lavie sera amour est une biographie empliede l’émotion et de l’imagination d’une fillequi tente d’esquisser le portrait de son pèrequ’elle a très peu connu, mais c’est aussiune description de ce que fut la vie de l’émi-gration russe.

ARON Jacques, Karl Marx antisémite etcriminel ? Autopsie d’un procès anachro-nique, Ixelles, Didier Devillez Editeur,2005, 184 p. (n° 8194)

Karl Marx antisémite et criminel ? Aprèsavoir précisé la signification des termes «anti-sémitisme», «antisionisme» et «anti-israé-lisme» - un exercice utile et renduaujourd’hui nécessaire pour cerner le proposet le sens de la diatribe - Jacques Aron abor-de le sujet par une réponse cinglante auxpropos exposés par Robert Misrahi dansson ouvrage Marx et la question juive paruen 1972 aux Editions Gallimard. La thèse dece dernier, on l’aura compris, se résume enune tentative de démontrer l’antisémitisme(terme par ailleurs anachronique) qu’auraitmanifesté Marx, alors âgé de 25 ans, dans l’unde ses premiers opuscules intitulé A proposde la question juive qu’il rédigea en répon-se aux deux livres de Bruno Bauer traitant dela question de l’émancipation politique -perçue alors surtout comme une questionreligieuse - des Juifs d’Allemagne. Les redon-dances contemporaines de la thèse d’un

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Marx «antisémite» nécessitaient cette mise aupoint pour être définitivement réfutée.Jacques Aron commente, interprète et repla-ce dans son contexte les propos de Marxpour qui les Juifs avaient aussi à s’émanciperdu cadre, étroit, d’une judéité alors largementfaçonnée, réduite et conditionnée : celleinduite par la société allemande de l’époque.

DAIX Pierre, Bréviaire pour Mauthausen,Paris, Editions Gallimard, 2005, 140 p.(Collection «Témoins») (n° 8146)

Résistant communiste, âgé alors de 21 ans,Pierre Daix fut arrêté en France au prin-temps 1944 et déporté au camp de concen-tration de Mauthausen. L’auteur nous décritl’univers concentrationnaire, son travail deforçat dans la tristement célèbre carrière de«Wiener Graben» où les détenus descen-daient et remontaient le fameux escaliercomposé de 186 marches... Travaillant ensui-te dans l’administration du camp, il retraceses relations avec les Républicains espa-gnols, l’organisation et la mise en place d’unerésistance politique clandestine au sein ducamp, la révolte et l’évasion collective de495 officiers soviétiques du block 20 et ledésordre de la libération... Ce livre de PierreDaix, écrivain et historien d’art, est un livrede témoignage, d’hommage à ses compa-gnons de captivité et plus particulièrementaux Espagnols, mais aussi un ouvrage deréflexion et d’analyse.

DENENBERG Barry, Anne Frank et lessiens, toute une vie, Paris, EditionsFlammarion, 2005, 283 p. (n° 8211)

Ce récit nous invite à redécouvrir AnneFrank et les siens. Ce nouvel éclairage mêlantfaits et fiction retrace la montée du nazismeen Allemagne et relate les conditions quipoussèrent la famille d’Anne Frank à émigrerà Amsterdam. La vie de la famille dans l’an-nexe de leur maison est racontée par Margot,la soeur d’Anne qui nous livre une restitu-tion du quotidien dans la cachette jusqu’à

l’arrestation de la famille en août 1944. Ladernière partie, Quand l’espoir s’éteint, ima-gine ce que furent les derniers mois d’AnneFrank au travers de témoignages de survi-vants des camps. L’ouvrage se termine parune chronologie et une bibliographie du«Journal d’Anne Frank» (retrouvé par sonpère, seul rescapé de la famille, et publié dès1947 en néerlandais et en 1950 en français) etd’autres ouvrages sur le nazisme. Ce livre estédité par Flammarion Jeunesse et peut êtrelu à partir de 11-12 ans.

DORNIER Carole, DULONG Renaud(dir.), Esthétique du témoignage, Paris,Editions de la Maison des sciences del’homme, 2005, XIX - 388 p. (n° 8074)

Cet ouvrage, coordonné par Carole Dornieret Renaud Dulong, présente les Actes d’uncolloque tenu à la Maison de la Recherche enSciences humaines de Caen du 18 au 21mars 2004. Cinq parties le ponctuent :«Poétique/rhétorique du témoignage»(Frédéric Rousseau, Ruth Amosssy, RégineWaintrater, Michaël Rinn, Jennifer Kilgore) ;«Fiction de la mémoire» (Carole Dornier,Marie-Louise Ollé, DominiqueMoncond’hui et Henri Scepi, François-Charles Gaudard, François Rastier) ;«Ecriture et expérience de soi» (PhilippeMesnard, Laure Himy-Piéri, BrunoBlanckeman, Anne Gourio et DominiqueLegallois, Leonard V. Smith, RenaudDulong) ; «Passeurs de témoins» (CarineTrevisan, Luc Vigier, Michèle BokobzaKahan, Antony Fiant, Guillaume Grandazziet Frédérick Lemarchand, DeniseSchröpfer) ; et «Voyages» (interview du réa-lisateur du film Emmanuel Finkiel). Si lestermes «témoignage» et «esthétique» sem-blent l’un par rapport à l’autre en léger déca-lage face à l’expérience, en général extrême,qu’il s’agit de rendre, il importe pourtantde se rendre à l’évidence : ils sont insépa-rables. Le fond, s’il s’agit de l’exprimer, nepeut en effet faire abstraction de la forme.

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Ainsi, si l’on souhaite que le récit porte, soitlu, vu ou entendu, il faudra lui insuffler l’«esprit» de la forme, qui seul lui donnera lapossibilité d’être partagé. On l’aura com-pris, l’esthétique du témoignage n’est pasun toilettage de luxe, mais la possible mise enforme de la restitution même de l’expérien-ce du vécu. Un exemple est donné dans l’in-troduction du volume : pourquoi le livrede Primo Levi Si c’est un homme est-il le pluslu sur le sujet de la déportation ? Pourquoiconstitue-t-il en quelque sorte la porte d’en-trée vers la littérature des camps ? Outre lavalidité et la qualité du témoignage, l’esthé-tique usitée de l’écriture permet d’effectuer- ou non - ce «passage» de l’expérience vécuedu témoin à autrui. Cet art de témoignerest bien entendu valable pour chaque moyend’expression (poésie, théâtre, dessin, photo,cinéma...), comme les contributions de l’ou-vrage le démontrent. En prise avec le réel del’événement, le bon usage d’une esthétiquerelève donc d’une nécessité, mais ne seraitrien sans le savoir-faire de l’auteur. Si l’œuvred’art «témoigne» et rend possible la restitu-tion «imagée» du passé, au point de rendrela fiction «réelle», c’est que le but recherché,celui du partage de l’expérience, se situedans un espace commun de compréhen-sion souvent difficile à atteindre sans unecommunication adéquate et adaptée. Définircette dernière fait précisément l’objet desinterventions reprises dans le présent volu-me.

Fondation Anne Franck, La Maisond’Anne Frank. Un voyage illustré dans lemonde d’Anne, Paris, Editions Calmann-Lévy, 2005, 268 p. (n° 8106)

Imposant ouvrage que cet album consacré àAnne Frank et, plus particulièrement, à l’en-droit où elle a pu trouver refuge durant l’oc-cupation. Cette maison, située à Amsterdam,est devenue en 1960 un musée et connaîtun très grand intérêt de la part du public. Celivre nous entraîne dans une visite détaillée

du lieu où elle rédigea son journal, à présentconnu dans le monde entier. Fort bien illus-tré, riche en photos de qualités, composéde nombreux extraits de son journal, il nouspermet de retracer sa vie quotidienne dansl’annexe secrète et ses relations avec les autresclandestins... Ce livre est une rencontre,celle d’Anne Frank mais aussi de son envi-ronnement, de sa famille, des personnescroisées, de ceux qui l’ont aidée de la vied’avant l’occupation à celle des camps. LaMaison d’Anne Frank. Un voyage illustrédans le monde d’Anne bénéficie d’une miseen page didactique qui peut servir de supportpédagogique pour accompagner la lecture deses textes.

FRENCH Jackie, La fille du dictateur,Paris, Edition Castor-Flammarion, 2005,162 p. (Collection «La vie en vrai», n°981) (n° 8192)

Dans le fin fond de l’Australie, un grouped’enfants attend le bus scolaire tous lesmatins. Pour passer le temps, Anna - unejeune fille d’environ 12 ans - raconte deshistoires. Mais celle qu’elle commence cematin n’est pas comme les autres : l’héroïne,Heidi, enfant cachée durant la SecondeGuerre mondiale, se révèle être une petitefille très particulière, la fille cachée d’Hitler.Réalité ou fiction ? Les enfants et le lecteurs’interrogent... Ce roman évoque de façontrès originale les questions soulevées par lapolitique nazie. Les événements de l’Histoiresont questionnés à la fois par le personnageinventé, la fille d’Hitler, et deux enfants aus-traliens qui vivent à notre époque. Il soulè-ve une foule de questions sur la paternité,l’égalité entre les hommes, la vérité, et s’in-terroge sur la responsabilité individuelle.L’auteur, avec beaucoup de tact et de sensi-bilité, amène le lecteur à se poser ces ques-tions graves sans jamais trop appuyer sonpropos.

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GRONOWSKI Simon, L’enfant du 20e

convoi, Bruxelles, Editions Luc Pire,2005, 206 p. (Collection «Voix person-nelles») (n° 8265)Dans cette nouvelle édition de son ouvrageparu en 2002, Simon Gronowski nous livreson histoire qui passe par le 20e convoi, partide la Caserne Dossin le 19 avril 1943 endirection d’Auschwitz-Birkenau. Il nousraconte non seulement son aventureuse éva-sion qu’il doit au sacrifice de sa mère, maisaussi son enfance d’avant et d’après le drame.Une grande partie du livre nous décrit par ledétail la vie quotidienne des parents, les sen-timents de la sœur aînée, les amis de longuedate. Le tout, finement et lucidement obser-vé par Simon, le héros du récit. Après l’ar-restation, l’emprisonnement à la Caserne,la déportation et l’évasion, SimonGronowski nous décrit sa vie traquée etcachée d’avril 1943 à septembre 1944. Aprèsla libération, la vie reprit pour lui et sonpère avec l’espoir du retour proche de lamère et de la fille, espoir hélas vite déçu.Malgré la présence de son fils Simon, 13 ansà l’époque, brisé par le chagrin et terrassé parla maladie, il meurt à Bruxelles le 9 juillet1945. Simon, accueilli dans un premier tempspar des amis de la famille, reprit des étudesde droit. Sa profession d’avocat, son amourdu piano et du jazz, ses filles et ses deuxpetits-fils, l’ont aidé à continuer à vivre. Cen’est qu’une cinquantaine d’années après ledrame que l’auteur exorcise son passé.

GRONOWSKI Simon, BERTRANDCécile, PEIGNY Réjane, BOTTE Marie-France, Simon, le petit évadé. L’enfant du20e convoi, Bruxelles, Editions Luc Pire,2005, [s.p.] (n° 8266)Christian Dupont, Ministre de l’Egalité desChances, a fait publier un résumé magnifi-quement illustré de l’histoire de SimonGronowski, destiné à être distribué gratui-tement aux élèves de 7 à 9 ans des différentsréseaux d’enseignement, dans le but d’ai-

der les enfants à mieux comprendre l’enferde la déportation. Cette édition existe éga-lement en néerlandais.

GRONOWSKI Simon, BERTRANDCécile, PEIGNY Réjane, BOTTE Marie-France, Simon, het jongetje dat wist teontsnappen. Het kind van het 20ste kon-vooi, Leuven, Uitgeverij Van Halewyck,2005, [s.p.] (n° 8272)

Christian Dupont, Minister voor Gelijkheidvan Kansen, heeft voor de verschillendeonderwijsnetten van de Vlaamse gemeen-schap een prachtig geïllustreerde uitgavevan het verhaal van Simon Gronowski latenuitgeven, met de bedoeling de leerlingenvan 7 tot 9 jaar uit te leggen wat de vervol-ging en de hel van de concentratiekampenbetekend heeft. Deze uitgave bestaat ookin het Frans.

GRUAT Cédric, LEBLANC Cécile,Amis des Juifs. Les résistants aux étoiles,Paris, Editions Tirésias, 2005, 235 p.(Collection «Ces Oubliés de l’Histoire»)(n° 8214)

A côté des Justes, de nombreux Français semontrèrent solidaires envers les Juifs enportant l’étoile jaune par choix citoyen, avecla mention «Zazou», «Auvergnat»,«Bouddhiste», «Papou», etc. En arborantpubliquement ces bouts de carton ou detissu, ils ont ainsi exprimé leur révolte spon-tanément et ont participé à une résistancesymbolique contre l’occupant. Arrêtés etenvoyés dans des camps en France, ils nefurent pas déportés. Les deux auteurs decet ouvrage, jeunes historiens ayant travailléau Mémorial de la Shoah - Centre deDocumentation Juive Contemporaine,reviennent sur le parcours de ces hommes etde ces femmes en donnant la parole à cestémoins retrouvés soixante ans après lesfaits. S’appuyant notamment sur des archivesprivées et des documents iconographiquesinédits, ce travail propose un regard neuf

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sur les formes de solidarité en France sousl’occupation, ainsi qu’une réflexion sur lecombat symbolique mené contre le systèmenazi.

HOESS Rudolf, Le Commandantd’Auschwitz parle, Paris, Editions LaDécouverte, 2005, 268 p. (Collection«Poche n° 193, Essais») (n° 8245)

Les éditions La Découverte viennent derééditer en poche l’autobiographie de l’an-cien commandant d’Auschwitz. Dans sapremière édition, en 1959, le Comité inter-national d’Auschwitz présentait ainsi celivre : «Rudolf Hoess a été pendu àAuschwitz en exécution du jugement du 4avril 1947. C’est au cours de sa détention àla prison de Cracovie, et dans l’attendu duprocès, que l’ancien commandant du campsd’Auschwitz a rédigé cette autobiographiesur le conseil de ses avocats et des person-nalités polonaises chargées de l’enquête surles crimes de guerre nazis en Pologne. (...)Conçu dans un but de justification person-nelle, mais avec le souci d’atténuer la res-ponsabilité de son auteur en colorant lemieux possible son comportement, celui deses égaux et des grands chefs SS, ce documentprojette une lumière accablante sur la genè-se et l’évolution de la «Solution finale» et dusystème concentrationnaire. Ce «compterendu sincère» représente l’un des actesd’accusation les plus écrasants qu’il nousait été donné de connaître contre le régimedont se réclame l’accusé, et au nom duquelil a sacrifié, comme ses pairs et supérieurs, desmillions d’êtres humains en abdiquant sapropre humanité.» Cette réédition estaccompagnée d’une préface de GenevièveDecrop qui replace en perspective - ce qui estindispensable - ce texte fondamental, etd’une postface inédite à cette édition danslaquelle elle montre en quoi les avancéesrécentes de l’historiographie de la Shoahrenouvellent la portée de sa lecture.

KLARSFELD Serge (dir.), L’Albumd’Auschwitz, Paris, Editions Al Dante /Fondation pour la Mémoire de la Shoah,2005, 151 p. (n° 8160)

L’Album d’Auschwitz, coédité par les édi-tions Al Dante et la Fondation pour lamémoire de la Shoah, est un importantdocument historique, unique en son genre.Il est constitué de 183 photos, prises par lesSS entre la mi-mai et le début juillet 1944, lorsde la déportation massive des Juifs deHongrie à Auschwitz-Birkenau. Trouvépar le plus grand des hasards en 1945 par LiliJacob, une rescapée du camp qui se reconnaîtsur une photo et y identifie sa famille et desamis, il constitue un document de référence.En effet, il s’agit quasiment des seules pho-tos existantes montrant le processus d’ex-termination des juifs au camp - la sélectionentre «aptes» et «inaptes» au travail figurenommément dans les légendes. Toutes sesétapes sont présentées - tonte, désinfection,tatouage, quarantaine pour les uns ; misesur le côté pour les enfants avec leurs mères,les vieillards, les malades, etc. dans l’attentedes chambres à gaz. Hormis cette dernièreétape, toutes sont photographiées métho-diquement. L’Album dont les éditions pré-cédentes étaient épuisées est présenté icidans une nouvelle édition complétée (desphotos manquantes ont été retrouvées) etéclairée par les contributions de SergeKlarsfeld, de Sabine Zeitoun et de MarcelloPezzetti notamment.

KLARSFELD Serge, Adieu les enfants(1942-1944), Paris, Editions Mille et unenuits, 2005, 158 p. (n° 8207)

Au cours des dix années de publication duMémorial des Enfants Juifs Déportés deFrance, Serge Klarsfeld a rassemblé unemasse documentaire considérable. Parmicelle-ci, il a choisi une cinquantaine de textesqui expriment la tragédie des enfants juifsdéportés de France. Cet ouvrage rassembledonc des textes écrits par les parents et sur-

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tout les enfants victimes des arrestations,des internements et des déportations.Quelques photos jaunies, des bouts de papiergriffonnés à la hâte et jetés subrepticementd’un wagon de la mort, des lettres tout à lafois naïves et inquiètes rédigées dans uncamp de transit : c’est à un émouvant flori-lège que nous confie Serge Klarsfeld avec cepetit livre qui compte quatre parties : «Au Veld’Hiv», «Dans les camps du Loiret»,«Drancy» et «Ailleurs»..

KOEHN Ilse, Mon enfance en Allemagnenazie, Paris, Editions de l’école des loi-sirs, 2004, 205 p. (Collection «Médium»)(n° 8190)

Ce livre est le récit d’Ilse Koehn, une petitefille âgée de six ans en 1935, vivant avec sesparents à Berlin. Cette biographie retraceson enfance bouleversée par la SecondeGuerre mondiale. Elle évoque ses souve-nirs de l’Allemagne d’avant guerre, celle dela montée du nazisme, de ses premièrespeurs... Son père et sa grand-mère pater-nelle étant Juifs, elle souffre des loi racistespromulguées par le régime, de son statutde «Mischling (sang mêlé) deuxième degré».Afin de la protéger, ses parents décident dedivorcer. Durant son récit, nous partageonsavec elle son parcours, depuis l’entrée enguerre de l’Allemagne, les premiers bom-bardements, en passant par l’évacuation à lacampagne, l’arrivée des troupes russes, ladéfaite et enfin les retrouvailles de la famil-le. Ce livre est destiné à un public âgé de12 et 16 ans.

KRAUS Karl, Troisième nuit deWalpurgis, Marseille, Editions Agone,2005, 562 p. (Collection «Banc d’essais»)(n° 8210)

Traduit de l’allemand et introduit par PierreDeshusses, préfacé d’une complète et pro-fonde étude de Jacques Bouveresse, LaTroisième nuit de Walpurgis est le dernierlong texte de Karl Kraus, rédigé en 1933 au

moment de l’arrivée d’Hitler au pouvoir.Depuis la création de son journal Die Fackel(Le Flambeau), ses descriptions critiquesdécrivent les dérives politiques del’Allemagne nazie. Le présent récit analyseet décrit la montée du nazisme et sa «per-colation» dans les esprits. Kraus relate lespréparatifs de guerre, les premiers campsde concentration d’Oranienburg et deDachau, les dispositifs antisémites, l’attitu-de des politiciens, des intellectuels, des jour-nalistes et des écrivains, ainsi que lesstructures de la nouvelle société allemandenazifiée. Il analyse également la langue, véhi-cule de propagande, ses mensonges, ses fal-sifications de la vérité. Ses hallucinantes etsarcastiques descriptions font de lui un écri-vain à part entière, mais aussi un des espritsles plus lucides de son temps, car il fut l’undes premiers à saisir la portée de la catas-trophe à venir.

LAMBRECHTS René, Wij, Muselmänner.Een verhaal over de kampen, Berchem,Uitgeverij EPO, 2005, 271 p. (n° 8251)

Getuigenverhalen blijven beklijvende lite-ratuur. Recent werd het in 1947 neerge-schreven verhaal van René Lambrechts, Wij,Muselmänner, opnieuw uitgegeven.Lambrechts was als jonge man betrokken bijde verzetsacties van het Onafhanke-lijkheidsfront en het Partizanenkorps 037van Heist-op-den-Berg. In de nasleep vaneen overval op een munitietransport werd hijbegin november 1943 gearresteerd. Vanuit degevangenis van Antwerpen werd hij ver-volgens gedeporteerd naar Duitsland. Hijmaakte er de kampen en gevangenissen meevan Esterwegen, Gross-Strehlitz, Gross-Rozen, Dora en Nordhausen. RenéLambrechts werd een Nummermensch in deonwezenlijke wereld van de Nacht undNebel. Met een zeer scherpe pen weet hij hetheersende terreurregime en de onmenselij-ke toestanden onder woorden te brengen :de modder, de slagen, de executies, de appels

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in de koude, de honger, de uitputting. Ineen door Ward Adriaens geschreven inlei-ding werd Lambrechts’ verhaal gesitueerd inde context van het verzet in Heist-op-den-Berg.

LANGLOIS Caroline, REYNAUDMichel, Elles et Eux et la déportation,Paris, Editions Tirésias, 2005, 445 p.(Collection «Elles et Eux») (n° 8215)

Elles et Eux et la déportation nous proposetrente et un portraits et récits de femmes etd’hommes venant d’horizons divers, ayantconnu l’horreur des prisons, la déportationet les camps de concentration et d’extermi-nation nazis parce que Juifs, résistants, oupolitiques. Trente et un récits qui, d’itinérairesen histoires, abordent la vie d’avant-guerre,l’occupation, l’arrestation, l’arrivée au camp,la survie faite de douleurs et d’humiliations,la libération et le retour souvent difficile à lavie quotidienne, le silence de certains oul’engagement pour d’autres. Des témoi-gnages forts et émouvants présentés sousformes d’interviews, de textes, de dessins, depoèmes, de photographies... Un travaild’écoute, de parole, de réflexion et demémoire.

LEVY Raphaël, 2.251, Paris, EditionsSomogy, 2005, [s.p.] (n° 8149)

En France, plus de 76.000 Juifs furentenvoyés vers les camps nazis, dont seuls2.251 revinrent. Raphael Levy, photographeautodidacte, nous présente un superbe albumde portraits de rescapés, composé d’une cin-quantaine de photographies en noir et blanc.Chaque cliché est accompagné d’une cour-te présentation des témoins : date de nais-sance, noms des camps, date de libération.Un témoignage visuel sobre d’hommes et defemmes qui ont survécu aux camps deconcentration et d’extermination. 2.251marque la rencontre d’une génération qui aconnu l’innommable, la douleur, la souf-france, la mort... Un album du présent et

de la mémoire qui nous met face à la force deses visages. Un regard actuel, emprunt d’hu-milité, de simplicité et de dignité.

LIBLAU Charles, Les Kaposd’Auschwitz, Paris, Editions Syllepse,2005, 160 p. (Collection «MauvaisTemps») (n° 8204)

Charles Liblau est un acteur et un témoinprivilégié de cette période mouvementée denotre histoire. D’origine juive, militant com-muniste dans la Pologne des années 1930, ils’engage ensuite dans les brigades interna-tionales en Espagne. En 1939, arrivé enFrance, il rejoint la résistance pour luttercontre l’occupant. Arrêté à Paris en 1942, ilest envoyé au camp d’Auschwitz où il res-tera, fait exceptionnel, trois ans. Il nous livreici son témoignage sur le comportement etles pratiques des kapos, ces détenus quioccupèrent un rouage important du systèmeconcentrationnaire nazi et qui firent preuved’une extrême brutalité envers les autresdéportés. Bizarrement, Les Kaposd’Auschwitz ne suscita que peu d’écho lorsde sa parution en 1974. Le Muséed’Auschwitz en publia néanmoins une ver-sion polonaise en 1996, puis une secondeen allemand. Notons l’excellente préfaced’Enzo Traverso qui nous apporte des élé-ments d’analyses pour comprendre le rôle deces hommes.

MAIER Corinne, L’Allemagne nazie. Lahaine au pouvoir, Toulouse, EditionsMilan, 2005, 63 p. (Collection «LesEssentiels») (n° 8197)

Ce livre appartient à l’excellente collectiondes Editions Milan, «Les Essentiels», quiprésentent des synthèses très courtes - maistrès bien faites - sur des questions précisessusceptibles d’intéresser non seulement lesétudiants, mais aussi le grand public. Cevolume aborde le mouvement nazi et desthématiques telles que la montée du nazis-me, la dictature, le racisme, la guerre,

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l’Allemagne nouvelle et la mémoire. Lesous-titre met en avant la notion centralede haine qui gouverne l’Allemagne et qui sedéchaîne sur les Juifs, les autres peuples, ladémocratie et la liberté. L’ouvrage com-prend aussi une chronologie des événe-ments, un glossaire et une bibliographie.

Mémoires du convoi n°6, MERCIERAntoine (Coauteur), Convoi n° 6.Destination : Auschwitz 17 juillet 1942,Paris, Editions Le Cherche Midi, 2005,381 p. (Collection «Documents») (n°8161)

En 2002 s’est constituée l’associationMémoires du convoi n°6, ayant pour prin-cipal objectif la publication d’un livre ras-semblant les témoignages relatifs à ce convoi,parti de la gare de Pithiviers le 17 juillet1942 à destination d’Auschwitz.L’association a fait appel à Antoine Mercier,journaliste à France Culture, pour coor-donner le recueil de ces témoignages. Convoin°6 raconte de l’intérieur la mécanique d’unedéportation ordinaire avec les mots de ceuxqui l’ont vécue. Après une introduction his-torique, ce livre comporte des témoignagesde survivants décrivant l’horreur du voyage,la cruauté des camps de la mort et, pourchacun, le récit des circonstances miracu-leuses qui leur ont valu, au terme de leursparcours, de sortir de l’enfer. On trouveraégalement, dans la seconde partie de l’ou-vrage, des témoignages d’enfants dont lesparents ont survécu, qui montrent qu’il futle plus souvent impossible pour les rescapésde reprendre totalement pied dans le mondede la normalité.

MIQUEL Pierre, COHAT Yves, LaSeconde Guerre mondiale, 1939-1945 : del’invasion de la Pologne à Hiroshima,Paris, Editions Hachette, 2004, 64 p.(Collection «La vie privée des Hommes»,n° XIV) (n° 8195)

Pourquoi l’Europe cède-t-elle à la tentationdu fascisme ? Quelle est l’ambition d’Hitlerpour l’Allemagne ? Qu’est-ce que la Solutionfinale ? Que s’est-il passé à Hiroshima etNagasaki ? Autant de questions auxquellestente de répondre cet ouvrage édité parHachette Jeunesse. Divisé en six grands cha-pitres («L’assaut fasciste», «Hitler en diffi-culté», «La France occupée», «L’axe enprogression», «Le réveil des Alliés», «Vers lapaix»), ce livre réserve une place non négli-geable à la déportation. Huit pages sontconsacrées aux persécutions antijuives, auxghettos, à la déportation et au fonctionne-ment des camps de concentration et d’ex-termination nazis. Richement illustré dedessins très colorés et volontiers réalistes - àl’exception du chapitre relatif à la déporta-tion, très sobre, qui ne contient que desphotographies historiques - ce livre propo-se également un petit glossaire très utile.Enfin, pour se détendre, les enfants pourrontdécouper une douzaine de vignettes pourillustrer leurs exposés ou cahiers.

Klaus MÜLLER (dir.), Doodgeslagen,Doodgezwegen. Vervolging van homo-seksuelen door het nazi-regime 1933-1945, Amsterdam, Schorer, 2005, 337 p.(n° 8242)

Homoseksuelen hebben jarenlang moetenvechten om hun erkenning als nazi-slacht-offers te kunnen afdwingen. In schoolboeken,standaardwerken en in de kampmemorialenrustte een loodzwaar taboe op deze bladzijdeuit de nazi-terreur. De laatste jaren is erevenwel een kentering gekomen in onzebenadering van de homoseksuelen als slacht-offers van de nazi’s en dit boek draagt daarzeker toe bij. Doodgeslagen, Doodgezwegenis één van de eerste overzichtswerken in hetNederlands taalgebied die de problematiekvan de roze driehoeken aansnijdt. Aan dehand van persoonlijke getuigenissen, justi-tiële strafdossiers en uniek beeldmateriaalworden de uiteenlopende aspecten van de

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homoseksuelenvervolging toegelicht. Dewijze waarop homoseksuelen vervolgd wer-den door de nazi’s is illustratief voor demechanismen waarop de totalitaire nazi-maatschappij functioneerde. Men heeftzowel aandacht gehad voor een aantal indi-viduele verhalen in Duitsland en Nederland,als voor de visie van het nazisme op homo-seksualiteit, zijn criminalisering en de naoor-logse uitsluiting. Het boek betekent zondermeer een doorbraak in het onderzoek eneen vult een lacune in onze kennis aan.

MORIN-ROTUREAU Evelyne,Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Mouans-Sartoux, Editions PEMF, 2004, 59 p.(Collection «Histoire d’Elles») (n° 8191)

Publié dans la collection Histoire d’Elles(éditions Pemfs), cet ouvrage retrace la vie deGeneviève de Gaulle-Anthonioz. Résistantedès juin 1940, celle-ci est arrêtée le 20 juillet1943, emprisonnée à Fresnes, puis déportéeau camp de Ravensbrück le 2 février 1944.Membre active puis présidente del’Association des Déportées et Internées dela Résistance, elle suit les procès des crimi-nels nazis en Allemagne puis participe àl’essor du mouvement politique lancé parson oncle, le Rassemblement pour la France.En 1987, elle témoignera de la barbarie nazielors du procès de Klaus Barbie. Alliée aumouvement ATD Quart Monde, puisvolontaire permanente, elle fut présidente dece mouvement de 1964 à septembre 2001.Nommée en 1988 membre du Conseil éco-nomique et social, elle se bat pendant dix anspour l’adoption d’une loi d’orientationcontre la grande pauvreté. Ce sont ces dif-férents aspects de sa vie qu’aborde cette bio-graphie richement illustrée et destinée plusparticulièrement aux jeunes.

NEMIROVSKY Irène, Storm in juni,Breda, Uitgeverij De Geus, 2005, 511 p.(n° 8154)(Zie Lectuurnota Wim Van Rooy, p.131)

OZICK Cynthia, Le châle, Paris,Editions du Seuil, 1991, 92 p. (Collection«Points Poche», n° 1371) (n° 8263)

Cette nouvelle de Cynthia Ozick consti-tue une remarquable description d’une situa-tion psychologique complexe née d’unirréparable traumatisme. La trame de l’his-toire : Rosa, déportée dans un camp deconcentration, cache son bébé dans sonchâle. Un nazi le découvre et l’assassine.Trente ans plus tard, Rosa – qui vit àMiami – éprouve une douleur toujoursintacte. S’isolant dans le présent en raison dela prégnance écrasante de son passé, se dis-sociant de la réalité aussi bien du «pendant»que du «maintenant», elle est mue par lebesoin compulsif d’une «résurrection» ima-ginée de sa fille assassinée. Le style du Châleintensifie l’image de la fragmentation de lapersonnalité de Rosa par la manifeste indé-termination qu’éclairent, au sein d’une inex-tricable pelote, les métaphores oscillant entreexpérience traumatisante et expression dela mémoire.

PAUWELS Jos, Pelgrim in Auschwitz,Berchem, Uitgeverij EPO, 2005, 223 p.(n° 8096)

Auschwitz als fenomeen blijft vragen oproe-pen en in die zin blijft het ook een uitdagingvoor de huidige generaties. Als agoog, thea-terwetenschapper en psychotherapeut heeftJos Pauwels zich in het fenomeen verdiept.In zijn werk Pelgrim in Auschwitz wil hijons niet alleen een historisch overzicht gevenvan het ontstaan en de ontwikkeling vandit uitroeiïngskamp, hij geeft ons ook eenbeeld van de opkomst van het nazisme engeeft duiding bij de bijzondere psyche vande nazi-daders. In een afsluitend deel wordter vooral ingegaan op de getuigenissen vanenkele directe getuigen (Schiff, Levi,Hillesum...) en op de reflecties en indrukkendie de deelnemers aan het Timotheusprojectopgedaan hebben tijdens hun bezoek aan hetkamp in 2002. Doorheen zijn relaas wordt

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duidelijk dat Pauwels zich boven de alle-daagse bezoeker wil plaatsen en zijn ervaringeen hogere, bijna transcendentale dimensiewil geven.

PRAZAN Michaël, L’écriture génocidai-re. L’antisémitisme en style et en discours,de l’affaire Dreyfus au 11 septembre2001, Paris, Editions Calmann-Lévy,2005, 350 p. (n° 8159)

Par l’usage de la sémiotique, de la narrato-logie, de la méthode pragmatique, des ana-lyses rhétorique, discursive et sérielle, l’auteurtente de débusquer dans l’écriture un éven-tuel «style antisémite» avant de faire appa-raître une «écriture génocidaire», «celle quiappelle au meurtre, à l’extermination demasse, celle qui joue sur des codes enfouisdans la culture». Démontrant une filiationd’expressions, les écrits de Charles Maurraset de Léon Daudet mais aussi d’Emile Zolaet d’Octave Mirbeau sont passés en revueavant d’aboutir à Céline. Un exercice destyle mis à jour, que l’on retrouvera égale-ment sous la plume de négationnistes telsPaul Rassinier et Roger Garaudy, ou enco-re chez des «rouge-brun» tels Jean-EdernHallier et Edouard Nabe. La seconde partiede l’ouvrage porte sur les écrits et discoursantijuifs d’après-guerre dont l’aboutisse-ment, le négationnisme et l’antisionismecontemporain, se révèle par l’événement du11 septembre.

RICHARD Lionel, Suites et séquelles del’Allemagne nazie, Paris, EditionsSyllepse, 2005, 195 p. (Collection«Mauvais Temps») (n° 8205)

Les conséquences du nazisme restent d’ac-tualité au vu des controverses et des polé-miques surgissant fréquemment, en raisondes survivances présentes du nazisme dansla mémoire collective. Partant de la réalité desfaits, Lionel Richard nous fait part de l’im-portance des dissimulations, des célébra-tions, des tentatives de déculpabilisation, en

un mot, des falsifications et des manipula-tions actuelles de l’histoire et de la mémoi-re des crimes et génocides nazis.Considérant, en ce qui concerne notre visiondu Troisième Reich, nombre d’idées reçuespour véridiques, incrustées dans nos espritsdans les catégories les plus diverses (archi-tecture, cinéma, résistance, propagande, col-laboration, antisémitisme, massacres de laWehrmacht, antisémitisme, etc.), l’auteurdébusque les faux-fuyants et les réhabilita-tions obscènes, tout en insistant sur lemanque de distance critique de nos contem-porains. Un ouvrage fort intéressant,emprunt de lucidité, et fourmillant de«découvertes» au présent.

RICHARD Lionel, L’art et la guerre. Lesartistes confrontés à la Seconde Guerremondiale, Paris, Editions Hachette, 2005,493 p. (Collection «Pluriel Histoire») (n°8206)

Il s’agit de la réédition en format de poche- mais cette fois sans illustration - del’ouvrage paru chez Flammarion en 1995.Evoquant largement la thématique de laguerre et sa représentation, l’auteur yaborde le XXe siècle en examinant toutd’abord la situation des avant-gardes,puis celle de l’art fascisant ou résistants’exprimant sous les diktats des totalita-rismes (fascisme, nazisme, franquisme,stalinisme). La situation en France estdécrite au travers de l’art officiel desannées de guerre, notamment sous l’oc-cupation à Paris, et présente en contre-point l’art issu des camps d’internementfrançais. La question des modalités de lareprésentation de l’irreprésentable (l’ex-termination dans les camps), ainsi queles problématiques d’après-guerre (figu-ration ou abstraction, la restitution desœuvres volées, les lieux de commémora-tion) sont également abordées dans ceremarquable ouvrage qui s’avérera aussiutile au néophyte qu’au spécialiste.

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SPITZER Walter, Sauvé par le dessin.Buchenwald, Paris, Editions Favre, 2004,207 p. (n° 8147)

L’auteur, peintre et sculpteur reconnu - il anotamment illustré les œuvres de Malraux,Sartre et Montherlant et est l’auteur dumonument élevé quai de Grenelle près del’emplacement du Vel d’Hiv - se lance dansl’écriture avec beaucoup de réussite. Le récitde sa déportation, préfacé par Élie Wiesel,est tout à la fois poignant et original. Il nousfait plonger avec lui dans les lieuxd’extermination que furent Gross-Rosen,Auschwitz III et Buchenwald. Tout au longde ces terribles mois de déportation, alorsque la maladie et la mort – omniprésentes –rôdent, Walter Spitzer, en proposant sesdessins, parvient à améliorer son ordinaire.Pour un morceau de pain, des pommes deterre ou une soupe supplémentaire, il croqueau fil des opportunités, ses gardiens, unmédecin nazi, un paysan allemand... Maissurtout, il se fait la promesse de profiter deson art pour fixer à jamais les scènes les plusterribles auxquelles il a assisté. La plupart deses dessins, soigneusement camouflés etconservés, sont désormais déposés au muséede Beit Lohamei Haghetaot en Israël.

STREBEL Bernhard, Ravensbrück. Uncomplexe concentrationnaire, Paris,Librairie Arthème Fayard, 2005, 764 p.(Collection «Pour une histoire du XXe

siècle») (n° 8209)

Préfacée par Germaine Tillion, cette volu-mineuse monographie sur le camp deRavensbrück est le résultat d’années derecherches acharnées et ingénieuses menéespar l’auteur, chercheur et enseignant àHanovre, pour reconstituer l’histoire de cecamp où près de 145.000 femmes ont étédéportées, de mai 1939 à avril 1945, et dontenviron 28.000 ne sont pas revenues.Comme ailleurs, les SS ont détruit lesarchives de l’horreur, mais ils ont particu-lièrement bien réussi à Ravensbrück : jus-

qu’au travail de Bernhard Strebel, le sort dedizaines de milliers de victimes était presquetotalement ignoré. Au moyen de documentsindirects (par exemple ceux de l’entrepriseSiemens), l’auteur retrace l’histoire deRavensbrück : organisation, encadrement,conditions d’enfermement et de travail, quine furent pas uniformes selon les époques etles parties du camp. Bernard Strebel a reçuen 2003 le prix Guillaume Fichet-OctaveSimon pour l’édition allemande de sonouvrage.

VERSCHOORIS Marc, Schrijven in deschaduw van de dood. Over thuiskomen,opduiken en achterblijven (1940-1955),Gent, Uitgeverij Snoeck, 2005, 223 p. (n°8244)

Wanneer we het hebben over de jodenver-volging in België dan worden meestal dejoodse gemeenschappen van Antwerpen enBrussel toegelicht. In dit boek richt MarcVerschooris zich op een nagenoeg onbe-kende groep : deze van de joodseaanwezigheid in het Gentse. De meeste vandeze mensen waren in de loop van de jaren1920 komen studeren aan de Gentse uni-versiteit en hadden na hun studies een eigenleven opgebouwd. De door de nazi’s inges-telde vervolging zou vanaf 1941 hun leventotaal overhoop gooien : kinderen werdenvan hun ouders weggenomen, joden diendenonder te duiken, werden verplicht in Fransewerkkampen te gaan werken of werden viaMechelen naar Auschwitz gedeporteerd.Centraal in het boek staan de portrettenvan twee joodse vrouwen : Edith Stern enMartha Geiringer. Het boek van Verschoorisis gebaseerd op een uitgebreid bronnenon-derzoek en via een zoektocht bijnabestaanden, overlevenden, en Gentenaarsdie geholpen hebben bij het onderduikenwerd een schat aan informatie bijeenge-bracht. Het is een zeer rijk, mooi uitgegevenboek geworden met talrijke illustraties.

BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING

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Page 149: Sommaire - Inhoudstafel - AuschwitzBulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz Driemaandelijks tijdschrift van de Auschwitz Stichting n 89 octobre-décembre 2005 / nr. 89 oktober-december

WINKLER Heinrich August, Histoirede l’Allemagne XIXe-XXe siècle. Le longchemin vers l’Occident, Paris, LibrairieArthème Fayard, 2005, 1154 p. (n° 8176)

Imposant ouvrage que celui élaboré parl’universitaire allemand Heinrich A.Winkler. Il y parcourt l’histoire allemandedepuis le Saint Empire romain germanique(dissous en 1806) jusqu’à la réunification.Winkler propose non seulement un livred’histoire également d’analyses. Ainsi larelation entre nation et démocratie, et leretard – dont il étudie les conséquences –pour aboutir à l’une et à l’autre. L’auteur uti-lise en parallèle de nombreux angles d’ap-proche (économie, société, culture,biographie, etc.) pour enrichir son analysede cette période cruciale de l’histoire alle-mande. Ce travail a rencontré un importantintérêt lors de sa parution dans son paysd’origine. Il permettra à présent au publicfrancophone de mieux appréhender cettehistoire complexe.

Mémoires de la Shoah, 1933 à 1946.Photographies et témoignages, Paris,Editions du Chêne, 2005, 208 p.(Collection «Histoire de la GrandeHistoire») (n° 8208)

Cet album composé de textes et de photo-graphies d’époque est une œuvre sur lamémoire de ces français anonymes, vic-times, résistants, enfants cachés... qui onttraversé cette période sombre de notre his-toire. Reflets d’histoires et de parcours indi-viduels, ces photographies relèvent duquotidien de familles plongées dans la dure-té de la guerre, de l’occupation, des camps,de la libération et du retour de captivité.Un album de résistants qui est aussi unhommage aux Justes, à l’exemple de cesfamilles protestantes de villages de Haute-Loire qui n’hésitèrent pas - malgré les risques- à sauver des juifs ; ou encore de ces jeunesqui décidèrent par solidarité de porter l’étoi-le jaune. Mémoire de la Shoah, préfacé parMichel Winock, redonne la parole à ceux etcelles qui se sont trop longtemps tus.

N° 89 - OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005 - NR 89 - OKTOBER-DECEMBER 2005

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