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UNIVERSITE PARIS II PANTHEON-ASSAS INSTITUT DE DROIT COMPARE MASTER 2 RECHERCHE DE DROIT EUROPEEN COMPARE LA COMPARAISON DE LA LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON EN FRANCE ET EN ANGLETERRE MEMOIRE Présenté et soutenu publiquement par Salomé Rouquié - 2015 - Directeur de Recherches : Monsieur Laurent Convert Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Séjour de recherches effectué à l’Université D’OXFORD

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UNIVERSITE PARIS II PANTHEON-ASSAS

INSTITUT DE DROIT COMPARE

MASTER 2 RECHERCHE DE DROIT EUROPEEN COMPARE

LA COMPARAISON DE LA LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON EN FRANCE ET EN ANGLETERRE

MEMOIRE Présenté et soutenu publiquement

par Salomé Rouquié

- 2015 -

Directeur de Recherches : Monsieur Laurent Convert Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Séjour de recherches effectué à l’Université D’OXFORD

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A Monsieur Laurent Convert, Professeur à l’Université de Panthéon-Assas, pour ses encouragements, ses précieux conseils, et son cadrage fondamental, A Monsieur Louis Vogel, Professeur à l’Université de Panthéon-Assas, Directeur du Master II de Recherche de Droit Européen Comparé, pour son soutien et sa patience, A Monsieur Stefan Wogenauer, Professeur à l’Université d’Oxford, Chargé de cours à l’Université de Panthéon-Assas, Paris II, pour son accueil à l’Université d’Oxford, A Monsieur William Swadling, Professeur à l’Université d’Oxford, pour son aide déterminante et son écoute bienveillance. A Monsieur Jean - Michel Corbellini, Chef de centre, l’Institut de Droit Comparé de l’Université de Panthéon - Assas, pour sa présence réconfortante et son assistance même pendant les vacances universitaires...

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PLAN SOMMAIRE

PLAN SOMMAIRE ..................................... ....................................................................................................... 2

INTRODUCTION ............................................................................................................................................. 3

TITRE 1 : La difficile détermination française et a nglaise des éléments matériels de la contrefaçon . 11

Chapitre 1 : Les difficultés économiques et juridiq ues de la détermination de l’élément matériel de la contrefaçon 12

Section 1 : Un fléau majeur associé à un chiffre no ir ................................................ ....................... 13

Section 2 : Les difficultés françaises et anglaises de définition du fait litigieux .................. ......... 23

Chapitre 2 : Une efficacité des moyens de lutte fra gilisée par un manque d’harmonisation 63

Section 1 : Entre un besoin de spécialisation des j uridictions et d’uniformisation des droits protégés .......................................... ....................................................................................................... 64

Section 2 : L’illustration de la délicate harmonisa tion des législations nationales .................. .... 75

TITRE 2 : Les sanctions de la contrefaçon française et anglaise pour une dissuasion maximale....... 91

Chapitre 1 : les dommages et intérêts, l’unique san ction financière apparemment admise en droit français 93

Section 1 : De l’article 1382 du Code civil à la lo i de transposition de 2007 ........................ .......... 94

Section 2 : L’avenir des dommages et intérêts punit ifs en droit français ............................. ....... 110

Chapitre 2 : L’originalité de la solution anglaise, le choix entre deux sanctions financières possibles 120

Section 1 : Les particularités de la notion « Damag es » ................................................................ 121

Section 2 : L’alternative des account of profits ............................................................................... 145

CONCLUSION .............................................................................................................................................. 156

ANNEXES ..................................................................................................................................................... 159

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INTRODUCTION

1 - La contrefaçon est une notion complexe et ambivalente, qui concerne aussi bien les économistes, les criminologues que les juristes civilistes et pénalistes. Pour certains économistes, « Elle répondrait a une défaillance du marché des biens de luxe à satisfaire une demande contrainte par le budget. Dans la mesure où les consommateurs ne sont pas trompés et que les producteurs ne peuvent introduire de qualité inférieure, la contrefaçon peut être perçue comme un facteur d’efficience1». Toutefois, si le luxe est qualifié d’ostentatoire par ces auteurs, pour notre part, nous pensons qu’il appartient aux personnes portant un tel jugement, de se détacher des productions de l’industrie du luxe et plus généralement de la société de consommation. Dans tous les cas, le marché ne peut avoir pour fonction de résoudre la frustration de certains consommateurs par le recours à la contrefaçon. D’autres constatent qu’elle offre un moyen de survie à des populations dans le dénuement, notamment asiatiques2. Une nouvelle fois, cette connotation positive de la contrefaçon est pervertie et elle est d’ailleurs dénoncée par la plupart de ceux qui la constate. En effet, dans le même temps, son impact est majeur sur l’emploi en Occident, par la fermeture d’entreprises ou par la forte régression de ces dernières. Ce constat négatif est effectué sans même prendre en considération les dangers que la contrefaçon peut représenter pour le consommateur. Pour nous, il s’agit d’un fléau mondial qui porte atteinte à l’économie occidentale, à la créativité des entreprises et qui alimente les réseaux du crime organisé. De plus, si les travaux des économistes permettent d'appréhender dans sa globalité le phénomène, la contrefaçon est par définition une notion juridique, sanctionnée au civil comme au pénal, contre laquelle une mobilisation française, anglaise, européenne et mondiale s’impose.

1 Philippe Maitre et Muriel Perrino «Contrefaçon et ostentation», Revue d’économie industrielle, 1er trimestre

n°117, p.75-92 2 « En 2003, selon le service de la commission économique de Pekin, la contrefaçon représentait 8% du PIB de la Chine et permettait l’emploi de 3 à 5 millions de personne dans ce pays», Andy hyeans « La contrefaçon dans le monde : entre dangers, profits et perspectives », Les dangers de la contrefaçon, Cahiers de la sécurité n°15, INHESJ, Janviers- mars 2011, p 41 Andy Hyeans est Chargé d’études à l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et inspecteur des douanes, Mickaël R. Roudeau déclare « La contrefaçon sert de filet social (...) à «( l’Asie bien sûr, mais aussi à la Turquie, l’Italie, le Maghreb, l’Argentine et le Paraguay », Marchés criminels, Un acteur global, PUF, mai 2010

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2 - Historiquement, en France, le droit de propriété intellectuelle a pour origine un arrêt du Conseil d’Etat du Roi de 17773. Pour la première fois, cette décision de justice reconnait les droits de l’auteur d’une oeuvre littéraire qui s’oppose, dès lors, aux privilèges4 accordant une exclusivité d’exploitation à l’éditeur. Mais la bataille entre les auteurs et les éditeurs se poursuit. En 1767, « Dans la lettre sur le commerce de la librairie », Diderot se range du côté des libraires, qui estiment que les auteurs disposent d’une propriété perpétuelle, s’ils ne cèdent pas le privilège aux libraires qui l’acquièrent5. Quelques années après l’arrêt fondateur de 1777 qui reconnait implicitement le droit d’auteur et la suppression des privilèges le 4 août 1789, Beaumarchais participe à la rédaction des deux célèbres, loi de 1791 et 1793. Ces deniers assurent un haut degré de protection au créateur, le droit d’auteur étant reconnu et la contrefaçon des oeuvres sanctionnées. En effet, l’artiste est considéré comme un sujet de droit peu familiarisé avec les tractations financières et les manoeuvres illicites comme la contrefaçon, il mérite dès lors une protection renforcée du droit, ces textes et leur logique protectionniste marquent encore fortement notre législation actuelle. Le droit de la propriété intellectuelle sera, plus tard, complété par la loi sur le brevet en 1791 et la loi sur les marques en 18246. A chaque étape de l’instauration d’un nouveau droit de propriété intellectuelle, sa contrefaçon sera prévue et sanctionnée.

3 Cette affaire opposait la famille de Fénélon à un libraire de Paris. En 1717, ce dernier avait acquis auprès du neveu de Fénélon un privilège de quinze ans pour la publication de Télémaque, dont il obtient le renouvellement pendant 24 ans. Toutefois, en 1753, la famille de Fénélon se voit remettre un privilège pour la totalité des oeuvres de son illustre parent et le transmet à un autre éditeur. Le premier libraire poursuit ces éditions en contestant le bon droit du second libraire. Le Conseil du Roi donne raison à la famille, le premier libraire ayant poursuivi sa reproduction sans l’autorisation de cette dernière. Cette affaire est relatée en détails dans Cours de M. Antoine Compagnon, neuvième leçon: La propriété intellectuelle, Fabula la Recherche en littérature http://www.fabula.org/compagnon/auteur9.php 4 Le privilège nécessaire à toutes les éditions permet de contrôler les publications et exercer éventuellement

la censure. Il est prévu par l’Ordonnance de Moulins de 1556 imposant aux libraires de solliciter des lettres

de privilèges. 5 Idem 6 Laure Mariano, Droit de la propriété intellectuelle, Chapitre 2 : Evolution de la propriété intellectuelle, p 25 et s. Sur l’histoire de la propriété intellectuelle se reporter également à André Lucas, Propriété littéraire et artistique, Dalloz et Pierre -Yves Gautier Propriété littéraire et artistique, PUF

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3 - En Angleterre, le droit de propriété intellectuelle est initié par la protection reconnue au brevet d’invention, par le Statut of Monopolies de 1624. Cette construction est poursuivie en 1710 par le Statut of Anne sur le Copyright, les droits auteurs7. Ainsi, on peut constater l’existence d’une tradition anglaise antérieure à la construction française. De plus, la première initiative concerne le brevet et non les droits d’auteur. Par ailleurs, vis - à - vis de ces derniers, la logique est différente. Il apparaît que le droit français assure essentiellement la protection de l’auteur alors que le droit anglais privilégie le public et la liberté commerciale, ces spécificités étant toujours ancrées dans les décisions de justice actuelles. Au XIX et XX siècle, avec l’évolution des sciences et des technologies, en France comme en Angleterre, les droits de propriété intellectuelle et leur contrefaçon se sont développés de façon exponentielle jusqu’à devenir une préoccupation majeure des sociétés occidentales. Ce rappel historique permet de constater que cette construction juridique s’est effectuée progressivement en fonction des besoins des auteurs, inventeurs, modélistes et créateurs de tous domaines. 4 - Toutefois, actuellement, le Code de la propriété intellectuelle français ne donne toujours pas de définition générale de la contrefaçon. En fait, établi en 1992, ce code se contente de regrouper et d’énumérer dans l’ordre suivant : la contrefaçon de droit d’auteur8, de dessins et de modèles9, de brevet10, de certificat d’obtention végétale11, de marque12 et de marque communautaire13. De même, en droit anglais, aucune jurisprudence ou texte ne pose une telle définition d’ensemble et ces différentes formes de contrefaçon se retrouvent mise en cause dans les décisions de justice. 7 Tanya Aplin et Jennyfer Davis, Intellectual Proprerty Law, Second Edition, Oxoford Universite Press, 2013, p 47 et s. et p 535 et s. 8 Article L.335-2 et s. du Code de la propriété intellectuelle 9 Article L.513-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle 10 Article L.615-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle 11 Article L. 623-25 et s du Code de la propriété intellectuelle, L’obtention végétale est définie à l’article L.623-2 du même code comme « La variété nouvelle qui se distingue de toute autre variété dont l’existence à la date de dépôt de la demande, est notoirement connue ». De plus, elle doit être « homogène, c’est à dire suffisamment uniforme dans ses caractères pertinents (...) » et elle doit demeurer « stable, c’est à dire identique à sa définition initiale à la suite de reproduction (...) ». La contrefaçon de l’obtention végétale ne sera pas abordée dans cette étude car considérée comme secondaire. 12 Article L.716-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle 13 Article L. 717-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle

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Sur le plan international, on peut citer la tentative de l’OCDE qui affirme définir la contrefaçon, dans une optique globale, en l’identifiant comme : « la fabrication d’un produit qui imite l’apparence du produit d’un autre dans le but de faire croire au consommateur qu’il s’agit du produit d’un autre ». On doit alors observer que cette approche est restrictive, car elle ne prend pas en compte la contrefaçon de brevet ou d’oeuvres littéraires et artistiques qui ne revêtent pas l’apparence d’un produit14. Toutefois, elle a le mérite de mettre en avant la notion d’imitation qui est déterminante en matière de contrefaçon, son origine latine n’étant autre que « contrefacerer » qui signifie imiter. 5 - Cette absence de définition générale du Code de la propriété intellectuelle français et ce silence de la jurisprudence anglaise associés à cette tentative de l’OCDE mettent en exergue une des premières caractéristiques essentielles de la contrefaçon, qui est un polymorphisme intrinsèque. On peut certes citer la doctrine qui pose par exemple la définition suivante « Pour la propriété intellectuelle, la contrefaçon vise toute utilisation non autorisée d’un bien intellectuel approprié15 ». Mais, en fait, il apparaît évident que sa définition est étroitement liée aux spécificités des différents droits de propriété intellectuelle qui subissent le comportement illicite du contrefacteur. Il faut noter que ces droits de propriété intellectuelle appartiennent à deux grandes catégories.

14 Passages de l’ Etude économique de l’OCDE de 1998 cités et commentés par Bertrand Warusfel dans son article « La contrefaçon entre concurrence et délinquance » Cahiers de la Sécurité, n°15, Les dangers de la contrefaçon, janvier - mars 2011, p10 15 Nicolas Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, droit d’auteur, brevet, droits voisins, marque, dessins et modèles, 3 éd, LGDJ, p766, n°1264

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On distingue ainsi, d’une part les droits de propriété littéraire et artistique16 et, d’autre part, les droits de propriété industrielle17, de nombreux auteurs reprenant cette dichotomie dans le plan de leurs ouvrages18. Dans tous les cas, il s’agit d’une propriété incorporelle offrant à son titulaire une exclusivité d’exploitation, assortie de la possibilité d’exercer une action en justice au civil comme au pénal, en présence d’un acte de contrefaçon. La contrefaçon ne peut donc se restreindre à un comportement précis et unique. Ce constat, nous a conduits à choisir d’appréhender la contrefaçon sous toutes ses formes. Incontestablement, il aurait été plus aisé sur le plan pratique de limiter cette recherche à l’une des formes de la contrefaçon. Toutefois, en présence d’une telle diversité, cette approche n’aurait pas permis une compréhension globale qui s’impose pour appréhender les réels enjeux, induits par ce comportement illicite. 6 - Malgré cette multiplicité de formes, il n’en demeure pas moins qu’il existe un dénominateur commun, à l’ensemble de ces comportements contrefaisants. Il est constitué par l’atteinte à la créativité de la victime et ce en présence de n’importe quel droit de propriété intellectuelle concerné. Dès lors, les choix de répression effectués par le droit français, anglais ou européen conduisent incontestablement à rechercher un équilibre entre la liberté de création et la protection optimale du droit de propriété intellectuelle accordée à son titulaire en cas d’une atteinte contrefaisante. A ce niveau, nous constaterons que les divergences entre la conception française et anglaise sont indéniables, prenant sans aucun doute leur racine dans la logique de l'élaboration des droits d’auteurs. Il n’en demeure que cette réflexion sur l’opposition entre liberté de création et garantie de protection doit être posée avec un esprit neuf adapté aux évolutions de notre société.

16 Dans cette première catégorie figurent le droit d’auteur et les droits voisins du droit auteur qui sont les droits des artistes - interprètes et le droit des producteurs. Selon l’article L.212-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’artiste interprète est celui qui « représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute manière une oeuvre littéraire ou artistique (...). Le producteur est celui qui assure la diffusion des oeuvres de l’esprit (producteur de phonogrammes, de vidéogramme, de communication audio visuelle). Le producteur peut être également un producteur de bases de données. Ces droits voisins aux droits d’auteur ne seront pas étudiés par choix. 17 Dans cette seconde catégorie sont regroupés les dessins et modèles, les brevets, les obtentions végétales, les marques, l’appellation d’origine. Il faut noter que l'appellation d’origine est définie par l’article L.115 du Code de la consommation dans les termes suivants : « Constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays , d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ». Ce dernier aspect ne sera pas étudié également par choix. 18 Françon, Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, Cours de droit, Litec 1999 ; Séverine Visse - Causse « Droit de propriété intellectuelle », Gualino, Lextenso éditions, 1er édition,2014. Ces deux catégories fond parfois l’objet d’ouvrage distinct tels que : Henri Gaumont - Prat, Droit de la propriété industrielle», 3 éd, LexisNexis, 2013; Jean- Marc Bruguière et M Vivant, Droit d’auteur, 2 éd. Dalloz,2013

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Cette interrogation doit s’effectuer à chaque étape de la construction légale, pour assurer l’instauration de dispositions équitables et opportunes. 7 - Une autre caractéristique essentielle de la contrefaçon est sa mondialisation qui conduit par exemple le contrefacteur à produire les biens contrefaits en Asie, pour ensuite inonder les marchés européen et américain. Cette internationalisation a notamment conduit l’Europe à débuter une uniformisation avec la création d’une marque européenne. Elle a recherché également à harmoniser les moyens de lutte en adoptant la Directive européenne du 29 octobre 2004 relative aux droits de propriété intellectuelle. Cette dernière prévoit de contrer la contrefaçon par l’harmonisation des législations européennes en matière de constatation de l’acte litigieux et de sanctions financières. Dans tous les cas, l’objectif déclaré est de lutter contre la pratique des contrefacteurs qui utilisent les différences de législation et le manque de cohésion entre les Etats pour optimiser la fabrication, le transport et la distribution illicite de leur contrefaçon. 8 - Cette approche positive de la contrefaçon réalisée, il faut procéder à une définition négative, pour en préciser les contours de cette notion complexe. Dans cette optique, on distinguera ce comportement illicite de pratiques proches, qui sont notamment la contrefaçon de monnaie et le parasitisme. Ainsi, l’article L.161-1 du Code monétaire et financier qualifie de contrefaçon, la création et la distribution de fausse monnaie. Toutefois, en agissant de la sorte, les faux - monnayeurs ne portent pas atteinte à un droit de propriété intellectuelle mais au pouvoir régalien de l’Etat de battre monnaie. En réalité, il s’agit d’une reproduction frauduleuse de la monnaie ou de du billet de banque au détriment d’institutions monétaires qui ont seules qualité pour l’émettre19 . Quant au parasitisme, il correspond à une construction prétorienne qui se fonde sur le droit commun et plus précisément sur les articles 1382 et 1383 du Code civil. Plus précisément, il a été défini par la Cour de cassation, dans un arrêt de 1999 comme : « Un ensemble de comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profits, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir faire20 ».

19 Nicolas Binctin, op cité, p765, n°1263 20 Cass.com 26 janvier 1999, n°96-22457

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Deux hypothèses sont alors envisageables. Dans la première, le bien contrefait est la reproduction identique du droit de propriété en cause et la distinction avec le parasitisme ne se pose pas. Dans la seconde, une reproduction identique n’est pas effectuée mais elle est simplement proche du bien original. La victime peut alors s’interroger sur la qualification à retenir. S’agit-il de contrefaçon ou de parasitisme ? La réponse est fondamentale, car si les deux actions peuvent être intentées simultanément, elles doivent impérativement reposer sur des faits distincts21. En droit anglais, il faut noter que cette notion de parasitisme n’existe pas, de façon générale, l’arsenal législatif français élaboré en matière de concurrence déloyale apparaît extrêmement développé au juriste anglais, au regard de son propre droit. Dès lors, la définition négative de la contrefaçon en droit anglais en est d’autant plus simplifiée. 9 - Le polymorphisme et l’internationalisation caractérisant la contrefaçon, l’on perçoit immédiatement l’impact majeur que représente économiquement cette pratique illicite. Les études d’Interpol conduisent à supposer l’existence d’un chiffre noir particulièrement élevé22. Les statistiques effectuées par les économistes et les juristes évaluent la partie visible de l'iceberg en milliards d’euros alimentant une économie souterraine. Par ailleurs, il apparaît que la criminalité organisée s’intéresse de plus en plus à la contrefaçon23. Cette situation découle du constat brutal mais logique suivant : les sanctions encourues pour trafic de stupéfiants ou les enlèvements avec demande de rançon, activités privilégiées des mafias, sont nettement supérieures à celle qui sanctionnent la contrefaçon. Dès lors, « A bénéfices comparables et risques encourus plus modestes, la contrefaçon attire indéniablement la criminalité organisée24» De plus, les mafieux disposent des structures nécessaires pour assurer la production des contrefaçons, des moyens de transports, des techniques de corruption et d’intimidation, et des circuits de blanchiment des profits réalisés.

21 François Greffe « Concurrence déloyale et concurrence parasitaire » Fascicule n°3495, n°93, 25 novembre 2012 22 Jean-Michel Louboutin « Lutte contre la contrefaçon au niveau international - Regards et perspectives d’INTERPOL», Les dangers de la contrefaçon, Cahiers de la sécurité n°15, INHESJ, Janviers - mars 2011, p 101 23 Mickaël R. Roudaut « Contrefaçon : un crime invisible » Les dangers de la contrefaçon, Cahiers de la sécurité n°15, INHESJ, Janviers - mars 2011, p26 à 35, M Mickaël R. Roudaut est Administrateur à la Direction Générale Affaires intérieures de la Commission européenne. 24 Andy Hyeans, op citée p 36 ; Propos également tenus par Bernard Warusfel, « La contrefaçon entre concurrence et délinquance », même revue, p12

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En définitive, pour la criminalité organisée, il s’agit d’une reconversion à moindre coût et ce, pour un bénéfice superposable. Pour une véritable appréhension globale du phénomène, l’étude des circuits et des pratiques de cette criminalité aurait été nécessaire et il aurait été intéressant de comparer l’approche anglaise et française. Toutefois, nous sommes obligés en raison de contraintes pratiques, de restreinte le domaine de cette étude, à l’aspect strictement civiliste. 10 - Par ailleurs, le sujet conduit également à effectuer une autre délimitation, plus précisément de nature territoriale. Nous nous consacrerons strictement à l’étude du droit applicable en Angleterre et au Pays de Galles, classiquement dénommé droit anglais. En effet, l’Ecosse et l’Irlande disposent notamment d’une structure judiciaire spécifique ainsi que de procédures judiciaires particulières25. 11 - Devant ces différents constats, nous avons choisi de concentrer nos développements sur deux aspects qui nous apparaissent fondamentaux en qualité de comparatiste. Ainsi, Il s’agit de définir l’élément constitutif de la contrefaçon, à l’origine de toutes les actions civiles. Cette appréhension s’effectuera au regard des spécificités des différents droits de propriété intellectuelle. Dans cet exposé, nous présenterons les similitudes et les différences de perception des droits français et anglais, tout en soulignant les difficultés rencontrées face à la complexité de cet élément constitutif. De plus, notre souhait est de présenter la démarche du droit français et anglais, face aux tentatives européennes d’élaboration des sanctions les plus performantes possibles, pour dissuader et réprimer ce fléau européen, mais aussi mondial. Dans le cadre de cette démarche, nous nous interrogerons sur la réelle efficacité de ces dispositions et sur leurs améliorations éventuelles et prochaines. Par ailleurs, nous soulignerons les différences persistantes qui, certes, peuvent limiter la cohésion, mais sont également de nature à apporter une meilleure lecture de notre législation nationale.

25 Pascal Kamina « Pratique contentieuse, Agir en contrefaçon en Angleterre et au Pays de Galles », Communication Commerce électronique n°11, Novembre 2010

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TITRE 1 : La difficile détermination française et a nglaise des éléments matériels de la contrefaçon

12 - L’établissement de l’élément matériel de la contrefaçon conduit la victime à se confronter à des incertitudes et le contrefacteur à jouer sur ces dernières pour optimiser son comportement illicite. Ces incertitudes sont juridiques mais aussi économiques et se retrouvent en Angleterre comme en France. De façon générale, elles rendent plus ardues la lutte contre ce fléau de dimension mondiale que représente la contrefaçon. Ainsi, dans l’optique d’une optimisation de la lutte contre ce phénomène, il est nécessaire de mettre en exergue ces incertitudes juridiques mais aussi économiques. (Chapitre 1) 13 - Il faut également souligner que cette délicate recherche des éléments constitutifs de la contrefaçon est accentuée par un manque d’harmonisation, voire d’unification. En effet, comme pour tout comportement illicite de dimension internationale, le manque de coordination fragilise l’efficacité des moyens de lutte mis en oeuvre (Chapitre 2). 14 - En agissant de la sorte, nous avons tenté d’adopter, à chaque étape de notre travail, la démarche du comparatiste qui prend en compte les formants et les cryptotypes. Les premiers conduisent à s'intéresser aux sources réelles du droit qui permettent de retracer les évolutions en s’appuyant sur des règles jurisprudentielles. Les seconds sont les facteurs sous-jacents qui, implicitement, président à la mise en place des règles et des systèmes juridiques. Toutefois, comme l’a affirmé Rodolphe Sacco26 « Il est plus difficile de se libérer de cryptotypes présents dans son système que de se libérer des règles juridiques elles- mêmes ». Pourtant, cette démarche constitue le travail du juriste comparatiste qui doit prendre conscience de ses propres cryptotypes pour ensuite identifier ceux du pays étranger. Le comparatiste est alors capable de faciliter le dialogue entres les juristes appartenant à des droits étrangers comme la common law et le droit continental. En définitive, la mission du juriste comparatiste le conduit à s’immerger dans le droit étranger. Cette immersion peut se réaliser grâce à une maîtrise linguistique de la langue étrangère. De plus, elle nécessite la volonté de comprendre la mentalité du droit étranger, avec une ouverture d’esprit et une souplesse optimale et ce sans jamais se laisser décourager par les difficultés de tout ordre. 26 Rodolfo Sacco, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Economica, 1999, p202; voir également sur les formants et les « cryptotypes », Antonio Gambaro, Rodolfo Sacco, Louis Vogel, « Le droit d’Occident et d’ailleurs », Traité de droit comparé, LGDJ, Lextenso éditions, 2011, p 3 à 6.

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Chapitre 1 : Les difficultés économiques et juridiq ues de la détermination de l’élément matériel de la contrefaçon

15 - La contrefaçon a une origine juridique qui peut se définir de façon générale comme l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, mais elle présente une forme différente selon le droit concerné. Ainsi, par exemple, il peut s’agir de la simple reproduction d’une oeuvre protégée par un droit d’auteur ou d’un modèle enregistré. Cependant, la contrefaçon peut aussi correspondre à l’utilisation d’un procédé technique protégé par le dépôt d’un brevet. Egalement, en matière de marque, elle peut s’analyser comme la volonté du contrefacteur d’induire en erreur le consommateur, en créant une confusion entre deux produits, l’original et le contrefait. Par ailleurs, lorsque les deux produits ou les deux oeuvres ne sont pas strictement identiques, l’opération de comparaison est nettement plus complexe. Son appréciation introduit la prise en compte par les juridictions françaises et anglaises de notions telles que « le produit similaire » ou « l’impression du consommateur averti ». De même, les magistrats sont amenés à se prononcer sur l’opportunité de faire primer les ressemblances sur les différences ou l’inverse. Il s’agit de notions délicates à cerner et de choix difficiles à effectuer. Dés lors, il est pratiquement impossible d’écarter toute forme de subjectivité lors des comparaisons. Cette réalité peut conduire à une décision de première instance diamétralement opposée à la décision d’appel, entrainant l’incompréhension du justiciable. Cette diversité de forme de contrefaçon et la subjectivité de ces notions ne facilitent pas la lutte contre la contrefaçon. Ainsi, les incertitudes juridiques sont dues à la complexité du phénomène dont l’appréhension nécessite de comprendre les approches judiciaires française et anglaise, malgré une européanisation croissante (section 2). 16 - Toutefois, si l’on peut affirmer que le phénomène de contrefaçon a une origine juridique, on ne peut nier que sa compréhension globale impose l’étude de ses conséquences économiques. En effet, le juriste doit mesurer l’efficacité de l‘impact de son dispositif juridique pour savoir adapter sa réponse à l’évolution du phénomène. Ainsi, les analyses de ce phénomène élaborées par l’économiste permettent au juriste de prendre conscience de son ampleur et de l’incertitude induite par l’importance de chiffre noir qui lui est associé (section 1).

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Section 1 : Un fléau majeur associé à un chiffre n oir

17 - Ce chiffrage de la contrefaçon se caractérise par la difficulté à établir une véritable évaluation de la contrefaçon27. Il existe un décalage certain entre le chiffre réel de la contrefaçon et le chiffre officiel ou connu. Les tribunaux français ont admis ne pas disposer de véritables statistiques sur la question, le rapport sur la lutte contre la contrefaçon soulignant l’absence de tels outils nécessaires à la compréhension du phénomène28. 18 - En Europe, les seuls éléments d’information concrets et fiables sont issus des saisies effectuées par les douanes et les polices européennes. Toutefois, le pourcentage de marchandises soumises à un contrôle lors de l’entrée dans le marché intérieur n’est que de 3 à 5 %, selon la Commission européenne. Il faut donc admettre que ce chiffrage est évalué à partir d’un contrôle restreint, même si des techniques d’analyse de risque sont mises en oeuvre assurant une perfectibilité maximale à ces contrôles. Il n’en demeure pas moins que ce fléau majeur à un impact économique qui peut être apprécié, même s’il reste en deçà de la réalité; incontestablement, il nécessite l’instauration d’un dispositif de lutte efficace (I). Il faut d’autant plus contrer ce phénomène car il porte atteinte aux industries concernées dont les intérêts financiers sont fragilisés. Mais, encore, en offrant sur le marché des produits contrefaits potentiellement dangereux, le contrefacteur peut nuire à l’intégrité physique et à la santé du consommateur (II).

I Un impact économique européen et mondial nécessi tant un dispositif efficace

19 - En 2007, l’OCDE avançait une estimation mondiale du chiffre d’affaires généré par la contrefaçon de 250 milliards d’euros par an. En rapprochant ce chiffrage de celui du trafic des narcotiques évalué à 400 milliards d’euros par an, on prend alors conscience brutalement de l’ampleur du phénomène. Cette estimation est d’autant plus inquiétante que, dans son chiffrage de la contrefaçon, l’OCDE ne prend pas en considération le téléchargement illicite qui représente un des postes majeurs. Dans un premier temps, on présentera certaines réalités économiques de la contrefaçon permettant de mieux appréhender ce chiffre noir (A). Puis, dans un deuxième temps, on exposera le rôle déterminant joué par l’industrie chinoise dans ce fléau (B). 27 Michaël R. Roudaut « Contrefaçon : un crime invisible », Cahiers de la sécurité n°15, « Les dangers de la contrefaçon», p 25 et s 28 Rapport d’information du Sénat du 9 janvier 2011.

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A - Les réalités économiques permettant une meille ure évaluation de la contrefaçon

20 - Une progression vers une appréhension du chiffre noir serait facilitée par l’adoption d’une attitude de l’Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage similaire à celle de son homologue américain. En effet, ce dernier a admis son incapacité à fournir de façon fiable des données statistiques en la matière : une telle attitude a le mérite de permettre une approche sans faux-semblant. 21 - Toutefois, dès maintenant, il est possible d’expliquer ce chiffre noir par trois raisons majeures : l’évolution de la nature du produit contrefait (1), le rôle difficilement maîtrisable d’internet (2) et l’ingéniosité des contrefacteurs (3).

1 - Trois types de contrefaçon de l’industrie du l uxe aux produits de consommation

22 - Lorsque l’on évoque la contrefaçon, on pense immédiatement à l’industrie du luxe, de la technologie et du médicament. Cependant, la réalité est différente : actuellement, même si ces secteurs restent sensibles, aucun produit n’est épargné par la contrefaçon. Cette dernière a investi le quotidien du consommateur en s’étendant aux produits de consommation courante aussi divers que l’eau minérale, les lunettes de plongée ou les roses. Rien n’échappe plus à la contrefaçon, elle est omniprésente et dans certains pays, le consommateur ne trouve plus que des produits contrefaits. De plus, en Occident, elle pénètre les secteurs de la grande distribution et la vente dans l’arrière - boutique, sur les plages ou dans la rue apparaît alors largement supplantée par celle introduite dans les circuits licites de l’économie. La contrefaçon ne se dissimule plus mais se pratique à la vue de tous. 23 - Par ailleurs, la contrefaçon présente désormais plusieurs visages. Elle peut certes consister dans une vulgaire copie de l’original, comme la paire de chaussures du créateur à la mode qui suit approximativement le modèle en employant des matériaux de basse qualité. Mais, elle peut également correspondre à une copie plus sophistiquée pour laquelle le contrefacteur utilise des matériaux de haute qualité et qui imite presque parfaitement l’original. Enfin, il peut s’agir de produit identique fabriqué par le façonnier officiel qui alimente un réseau parallèle à un moindre coût. Dès lors, devant la multiplication des secteurs concernés et la sophistication des produits, il devient de plus en plus difficile d’identifier les productions de contrefaçon.

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2 - Le recours à un réseau de commercialisation in saisissable sur la toile

24 - La commercialisation des produits sur internet semble difficilement contrôlable. La toile constitue un espace sans frontière où la législation qui lutte contre la contrefaçon a énormément de difficulté à appréhender le phénomène. Pour résumer la situation, on peut citer J. Fournel, Directeur général des douanes et droits indirects français, qui admet sans détour : « L’incapacité (de ses services) à visualiser le problème et donc à intervenir de façon significative sur la masse des contrefaçons achetées par voies internet. Les seules actions, certes nécessaires, sont des frappes de dissuasion, par le démantèlement face à un trafic qualifié de micro trafic comme si soudain la contrefaçon était acheminée par des passeurs individuels29 ». 25 - On est alors en présence d’un système qui s’apparente à la pratique de la technique des fourmis qui sévit dans le cadre du blanchiment de capitaux. Dans le cas présent, la fourmi ne se présente pas à la banque ou ne passe pas une frontière avec une certaine somme d’argent. La fourmi de la contrefaçon se contente d’expédier le produit contrefait grâce au système postal. On imagine alors combien il est difficile de lutter contre de telles pratiques. En matière de blanchiment, le législateur a impliqué le secteur bancaire, en demandant à ces acteurs économiques de saisir le Tracfin lors de détection d’une origine illicite éventuelle des sommes déposées par ses clients. Faudrait-il aujourd’hui impliquer le secteur postal pour lutter contre ces pratiques illicites ? La seule certitude actuelle est l’importance du phénomène sur l’ensemble de l’Europe.

3 - 3 - Une capacité financière associée à des pratique s ingénieuses

26 - Parmi les procédés les plus efficaces, on peut citer les techniques utilisées en matière de contrefaçon du médicament. Le contrefacteur abandonne souvent la technique primaire de la corruption pour la réussite officielle du passage des contrôles douaniers. Le contrefacteur donne alors des prescriptions particulières aux façonniers du produit pharmaceutique contrefait. Il s’agit d’introduire dans la composition une quantité suffisante du composant actif du médicament en cause pour qu’en cas de contrôle aux frontières, le faux médicament ne soit pas détecté. Une autre technique consiste à jouer sur le caractère aléatoire des contrôles en acceptant de perdre une certaine quantité de la marchandise. La capacité financière du contrefacteur et les marges bénéficiaires élevées lui permettent d’introduire froidement dans son calcul du prix de revient la saisie des marchandises. Le contrôle douanier devient alors un simple aléa économique accepté. 29 Propos cité dans l’article de Mickaël R. Roudaut, déjà cité, p33

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B - La place prédominante de la Chine dans la prod uction des produits contrefaits

27 - L’ouverture de la Chine à l’économie mondiale est étroitement liée à l’explosion du phénomène de contrefaçon. Ce pays est actuellement le premier producteur de la contrefaçon dans de très nombreux secteurs (1). On peut alors se demander les raisons d’une telle prééminence (2), tout en envisageant son futur (3).

1 - La Chine, spécialiste de la contrefaçon de mar que

28 - Lors des contrôles aux frontières de l’Union européenne, il est établi que 64% des produits de la contrefaçon proviennent de Chine. Plus précisément, la Chine occupe la première place pour la production de chaussures et d’accessoires, de téléphones portables, de vêtements, d’ordinateurs, de parfums, de cosmétiques et de cigarettes. 29 - Toutefois, la Chine est largement devancée par les Emirats Arabes Unis pour les spécialités pharmaceutiques avec un taux de 75% de saisies douanières, suivis par l’Inde avec 22,6%, l’activité de la Chine étant réduite à 1,4% dans ce domaine. En matière de produits alimentaires et de boissons, la Turquie domine avec un pourcentage de 57,36 %, alors que la Chine assure 5,07 % de cette production contrefaisante. 30 - De plus, il faut noter que les autres principaux pays dont les produits contrefaits sont saisis aux frontières européennes sont par ordre d’importance, l’Egypte, Taiwan et Hong Kong. On peut remarquer que les saisies réalisées aux frontières des Etats- Unis d’Amérique présente une ventilation très proche des produits contrefaits selon les secteurs et les pays concernés. 31 - Enfin, l’établissement d’une répartition en pourcentage des produits contrefaits permet également de déterminer un certain classement de la nature des droits atteints. Ainsi, il apparait que les marques sont très largement en tête de la contrefaçon avec un pourcentage s’élevant à 90% suivies de très loin par les brevets 5%, les droits d’auteurs 3,5% et les dessins et les modèles 1,3%.

2 - Une tentative d’explication de cette prééminen ce chinoise

32 - Membre de l’OCDE, la Chine dispose d’un dispositif législatif conforme aux obligations internationales, mais cet arsenal législatif apparemment adapté reste lettre morte et ne semble pas mis en oeuvre avec efficacité. Le maintien de cette prééminence chinoise s’explique alors par de multiples facteurs. Les enjeux financiers sont tels que la corruption des autorités administratives, chargées de lutter contre ces pratiques, est omniprésente et très difficile à contrer.

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L’autre aspect fondamental est que la contrefaçon offre à une partie de la population un moyen de vivre sans lequel cette dernière serait plongée dans la pauvreté. Il faut aussi souligner l’existence d’un contexte concurrentiel redoutable, sans commune mesure avec celui connu en Occident qui conduit les acteurs économiques à une lutte sans merci. Enfin, une dimension morale très particulière doit être mentionnée. Cette activité contrefaisante est totalement banalisée par les contrefacteurs qui la considèrent même comme une sorte de contre - partie vis - à - vis des occidentaux. Il s’agirait de revanche face au comportement de l’Occident au cours du siècle dernier, perçu et jugé comme humiliant par la majorité des chinois.

3 - La Chine, opposition entre contrefaçon et inno vation

33 - Face à ce bilan, il faut mettre en avant l’existence d’un paradoxe. Certes, la contrefaçon chinoise, avec une diversification des secteurs et une amélioration constante des techniques de pénétration du marché européen, ne cesse de progresser. Toutefois, la seconde puissance économique mondiale devient également un pays au fort potentiel innovant. Le dépôt et l’enregistrement des titres de droit de propriété progressent de manière exponentielle chaque année. De plus, la Cour suprême de Chine constate une augmentation significative du nombre des actions civiles pour contrefaçon. Il est vrai que ces actions opposent essentiellement des entreprises chinoises. Dès lors, il semble difficile pour un pays dont la force innovante est en très forte évolution de ne pas envisager dans un avenir relativement proche de lutter avec plus efficacité contre la contrefaçon.

II De la limitation de l’investissement à la mise en danger du consommateur

34 - La contrefaçon génère des effets multiples : elle freine la créativité dans de nombreux secteurs, elle entraine la perte d’emplois en Europe alors qu’en Asie et elle garantit un travail à une population particulièrement pauvre. La liste est très longue de ces effets qui sont forts complexes et imbriqués. 35 - Les Etats essaient de lutter contre ce fléau, mais il faut constater l'insatisfaction des victimes de la contrefaçon face à l’indemnisation accordée par les juridictions qui limitent et découragent les investissements futurs des entreprises concernées (A). Par ailleurs, certaines contrefaçons ont un effet encore plus pervers puisqu’elles conduisent à la mise en danger du consommateur (B).

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A - L'insatisfaction des victimes face à l’indemni sation

36 - La déconvenue des victimes est d’autant plus grande que les pratiques judiciaires européennes sont ressenties comme variables (1). Ce caractère variable doit être apprécié au regard du ratio demande / indemnisation (2).

1 - Une indemnisation variable devant les juridict ions anglaises et française

37 - Le montant de l’indemnisation accordée aux victimes de contrefaçon semble plus satisfaisant en Angleterre qu’en France, (a) mais la procédure se révèle plus couteuse (b).

a - Une indemnisation apparemment plus élevée en A ngleterre

38 - L’étude comparée sur les dommages et intérêts alloués par les juridictions dans le cadre des actions en contrefaçon en France, en Angleterre et en Allemagne, publiée en 2014, permet de souligner l’existence de différences significatives. Il apparaît de façon globale que les juridictions françaises accordent incontestablement des dommages et intérêts nettement inférieurs à ceux fixés par les juridictions anglaises30. Plus précisément, dans la moitié des affaires étudiées, il a été constaté que les juges français fixent un montant compris entre 1000 et 10 000 euros, alors que les juges britanniques sont nettement plus généreux prévoyant une fourchette entre 100 000 et 500 000 euros. Il faut noter que 5% seulement des décisions françaises accordent plus d’un million d’euros alors que 50% des décisions anglaises l’attribuent. 39 - A la suite de l’énoncé de cette différence manifeste, il faut souligner que la procédure anglaise accorde une place prépondérante à la négociation31. Dès lors, les litiges de faible enjeu se résolvent hors des prétoires, seules les affaires les plus importances pouvant faire l’objet d’un appel32. On remarque également que la procédure se divise en deux étapes33, la première étant consacrée à l’établissement ou non de la contrefaçon, la seconde à la détermination de l’ampleur du préjudice et à la fixation des dommages et intérêts.

30 FIDAL et FIDAL, Etude comparée sur les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume - Uni et en Allemagne, étude menée pour la Direction Générale de la Compétitivité et de l’Industrie et des Services, DGCIS, janvier 2014, p 56 31 Infra n°41 à n°44 32 Pascal Kamina, « Pratique contentieuse, Agir en contrefaçon en Angleterre et au Pays de Galles »

Communication Commerce électronique n°11, novembre 2010 33 Tanya Aplin et Jennyfer Davis, Intellectual Property Law, Second edition, Oxford, 2013, p 827

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Il faut alors noter une tradition très argumentée des décisions des magistrats anglais 34reposant également sur une justification très précise du demandeur35.

b - Des frais de justice élevés

40 - L’observation du tableau comparatif des frais de justice met en exergue l’importance des frais de justice dont le justiciable doit s'acquitter dans le cadre d’un procès en contrefaçon, même s’il existe des différences significatives selon les pays36. Il faut ainsi souligner que les frais de justice français sont beaucoup moins élevés que les honoraires réclamés par les avocats anglais. Pour les litiges simples, les frais de justice anglais correspondent au double de ceux requis en France; pour un litige difficile, ils sont multipliés par cinq et pour un litige complexe par treize. Dès lors, ces différentes spécificités permettent de mieux comprendre les décalages existants entre les indemnisations accordées.

2 - Un ratio demande / indemnisation plus favorabl e en Angleterre

41 - On peut mentionner une dernière information financière qui conduit à opposer le montant des dommages et intérêts sollicités par les parties et le montant réellement accordé par la juridiction. Deux raisons apparaissent à l’origine d’un meilleur ratio au bénéfice du justiciable anglais. La première concerne la démarche du justiciable français devant les juridictions (a), la seconde découle du manque de spécialisation des magistrats français (b).

a - Entre anticipation de la pondération et insuff isance des justifications alléguées

42 - Le ratio français est de 25% alors que celui du Royaume-Uni est de 49%. Le rapport explique cette différence par trois arguments37. Le premier correspond à « la tendance du justiciable français à déclarer des montants surestimés pour anticiper une pondération ». Il est certain qu’au regard de ce qui a été précédemment souligné, une telle attitude peut se comprendre38.

34 Voir pour exemples l’argumentation des décisions des magistrats pour retenir la contrefaçon ou l’écarter Infra n°135 et s, n°145 et s ou n°242 et s. 35 Tanya Aplin et Jennyfer Davis, op.cité, p 829 36 Voir, Etude comparée sur les dommages et intérêts alloués par les juridictions dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume- Uni et en Allemagne » op citée p 46 37 Etude comparée sur les dommages et intérêts alloués par les juridictions dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume- Uni et en Allemagne » op citée p 60 38 Supra n°38

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43 - Toutefois, la seconde justification avancée est « Une qualité insuffisante de la justification des préjudices allégués ». Il est certain qu’une telle démarche ne peut que nuire à une amélioration du ratio en faveur du justiciable. Incontestablement, il est préférable de tendre vers une progression de la justification plutôt que de chercher à contrer la difficulté par une surestimation.

b - Une moindre sensibilité économique liée à une spécialisation limitée

44 - Dans ce rapport, le troisième argument exposé est « une moindre sensibilité économique des magistrats français ». Cette argumentation est en contradiction avec l’affirmation formulée quelques lignes plus haut dans le rapport. En effet, il est indiqué que ce ratio défavorable au plaideur n’est pas dû au fait que : « Les juges français sont moins attentifs à réparer pleinement le préjudice subi par le titulaire du droit39 ». En réalité, on peut raisonnablement penser qu’une spécialisation des magistrats permettrait incontestablement une amélioration de ce ratio40 et ce d’autant plus qu’il a été remarqué que le recours à une expertise conduit à une nette amélioration du ratio qui passe de 25% à 55%.

B - Les secteurs particulièrement concernés de l’i ndustrie du luxe et du médicament

45 - En date du 20 juillet 2015, une étude de l’Office européen des marques41 a évalué la perte de l’industrie du vêtement, de la chaussure et des accessoires, pour les pays européens à 26 milliards d’euros de recettes pour 2014, en raison de la contrefaçon. L’Europe est particulièrement concernée car les plus grandes maisons de luxe du monde se situent en France42, en Italie43et au Royaume-Uni44. Cette contrefaçon fragilise très fortement l’économie de ce secteur dont la communication repose sur la marque et son image (1).

39 Voir Etude comparée sur les dommages et intérêts, précédemment citée, p 60 40 Infra n°194 et s. 41 L’observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle et l’Office européen des marques ont réalisé une étude statistique sur ce type de contrefaçon. De plus, l’Organisation pour l’harmonisation du marché intérieur ou OHMI assure l’enregistrement des dessins et modèles industriels communautaires. Il travaille en relation suivie avec les offices nationaux de la propriété intellectuelle. De nombreuses études figurent sur son site internet, elles sont classées par date de réalisation. 42 La perte est estimée à 3,5 milliards d’euros 43 La perte est estimée à 4,5 milliards d’euros 44 La perte est estimée à 3,6 milliards d’euros

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Dans un domaine très différent, un autre secteur est concerné, il s’agit de celui du médicament. Au - delà de la perte économique, il faut souligner sa dangerosité pour le patient (2).

1 - La fragilisation de l’industrie du luxe et de la haute technologie

46 - Pour assurer la commercialisation des produits de l’industrie du luxe ou de la haute technologie, le producteur a recours à des contrats de distribution sélective45 qui mettent en place des réseaux dits étanches (a). Toutefois, la contrefaçon perturbe l’équilibre économique de ces réseaux de distribution (b).

a - Le besoin d’un recours à des réseaux étanches

47 - La distribution sélective met en présence un fournisseur et des revendeurs qui sont préalablement sélectionnés au regard de leur compétence à assurer la distribution des produits du fournisseur. Un réseau dit étanche est alors constitué par les revendeurs sélectionnés, qui s’engagent à ne pas revendre les produits concernés à des distributeurs extérieurs aux réseaux et donc non agrées. Cette commercialisation est parfaitement adaptée aux produits de luxe et de haute technologie, qui requièrent le recours à des locaux adaptés, capables d’offrir un cadre et une adresse en adéquation avec l’image de la marque. De même, elle permet de recourir à des vendeurs aux qualifications professionnelles particulières et capables de fournir l’information et le conseil attendu par le client potentiel. Ce réseau est parfaitement licite dès lors qu’il respecte une sélection qualitative et quantitative conforment à des critères objectifs, pouvant être établis devant les tribunaux par le concepteur du réseau.

b - La fragilisation des réseaux nuisant à l’image du produit

48 - Grace à un réseau de distribution reposant sur une élaboration contractuelle au coût élevé, le fournisseur conserve le contrôle sur la distribution du produit, en protégeant notamment son image de marque. Toute vente hors réseau nuit gravement à l’existence de ces réseaux, en remettant en cause l’étanchéité garantie par cette technique contractuelle, qui interdit la revente des produits à un membre extérieur au réseau. Il faut noter que l’identité du réseau est étroitement protégée, par l’exclusion définitive de tout distributeur agrée qui enfreindrait la règle. Dès lors, la contrefaçon porte atteinte à l’image du produit et fragilise l’ensemble du réseau de distribution et ce tout particulièrement par la vente de produits contrefaits de très haute qualité ou issus parfois même du façonnier peu scrupuleux. 45 Alexandre Le Gars « La contrefaçon des marques dans le luxe : l’approche du droit commerciale (jurisprudence française et européenne), Propriété industrielle n°12, Décembre 2011, étude 21

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2 - Le secteur du médicament, la mise en danger de la santé du consommateur

49 - Depuis les années 80, la contrefaçon a largement évolué et se généralise. Certains types de contrefaçon présentent la particularité de ne pas simplement nuire à l’économie en freinant notamment la créativité de certains secteurs, mais mettent en danger le consommateur. Il s’agit notamment des jouets, des pièces détachées de l’industrie automobile ou des médicaments. 50 - La contrefaçon concernant l’industrie pharmaceutique est particulièrement redoutable. Par les pertes économiques provoquées, elle limite les investissements dans l’innovation et dans la recherche des grands groupes pharmaceutiques. Elle freine ainsi les avancées scientifiques susceptibles de soulager ou de sauver des patients. Mais au - delà, la mise en danger du consommateur est immédiate puisqu’il recourt sans le savoir à un médicament contrefait qui peut, soit provoquer des effets secondaires dramatiques, soit ne pas jouer son rôle thérapeutique et entrainer son décès. Cette contrefaçon est favorisée par la marge bénéficiaire dégagée par le contrefacteur (a) et par une dangerosité difficilement identifiable par le consommateur (b).

a - Une marge bénéficiaire favorable au contrefact eur

51 - Préoccupé par la recherche du profit le plus élevé, le contrefacteur recherche à optimiser la marge bénéficiaire et à réduire au minimum la prise de risque. De ce double point de vue, le secteur du médicament apparaît particulièrement lucratif car les investissements à réaliser sont limités lors de l’acquisition des matières premières nécessaires à la contrefaçon du médicament. Ces investissements sont particulièrement restreints lorsque le contrefacteur n’introduit aucun principe actif dans sa composition46. De plus, la lutte contre ce domaine de contrefaçon est nettement plus restreinte et performante que celle mise en place pour d’autres formes de contrefaçon plus classique. Le risque pris par le contrefacteur est alors d’autant moins important. 52 - Ainsi, il a pu être établi par les douanes allemandes qu’au regard de la rentabilité du trafic, la contrefaçon du médicament arrive largement en tête. En effet, pour un investissement s’élevant à 1000 euros le contrefacteur de médicament peut espérer un retour sur investissement de 500 000 euros, le bénéfice étant divisé par exemple par cinq pour les logiciels contrefaits47.

46 Infra n°108 47 Blandine Fauran, « Les enjeux de la lutte contre les faux médicaments » Cahiers de la sécurité n°15, « Les dangers de la contrefaçon », p 67

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b - Le consommateur face à la dangerosité favorisé e par internet

53 - Certains pays africains sont particulièrement concernés par la contrefaçon de médicaments et le recours à internet est loin d’en être la cause principale. Ainsi, par exemple, en Angola 70% des médicaments en circulation sont contrefaits, 48% au Nigeria. 54 - Toutefois, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, le phénomène est devenu planétaire et ne se limite plus à certaines régions du monde. Ainsi, l’Europe n’est plus épargnée, cette généralisation s’expliquant par le développement du commerce sur internet. En effet, on constate son rôle de plus en plus déterminant dans la circulation de ces pseudo - spécialités pharmaceutiques. Selon l’OMS, le niveau d’alerte serait largement dépassé, la moitié des médicaments commercialisés sur le net étant des faux. En effet, les consommateurs, séduits par l’automédication facilitée par un accès rapide et sans ordonnance, n’hésitent pas à recourir à de tels médicaments. Cette démarche est favorisée par l’autorisation de la vente en ligne par certains pays européens comme le Royaume -Uni. Dès lors, le consommateur peut croire à un espace sécurisé où la contrefaçon serait exclue. A l’opposé, la France apparaît nettement mieux protégée de ces dérives. Deux raisons expliquent cette situation privilégiée, d’une part l'existence d’une règlementation stricte de la distribution des spécialités pharmaceutiques et d’autre part, un remboursement généralisé grâce une couverture sociale qui éloignent les consommateurs d’autres modes d’acquisition.

Section 2 : Les difficultés françaises et anglaise s de définition du fait litigieux

55 - Les juridictions françaises, comme les juridictions anglaises, rencontrent des difficultés pour établir le comportement illicite, constitutif de la contrefaçon. Ces difficultés s’expliquent par l’évolution constante des techniques, des sciences, des besoins humains qui entrainent une modification de la définition des droits de propriété intellectuelle et des atteintes auxquelles ils sont soumis par les agissements des contrefacteurs. 56 - Face à ce phénomène, l’approche française est conceptuelle et conduit à énoncer une règle générale, pour ensuite laisser au juge le soin d’assurer son application, au cas par cas (I). A l’opposé, la conception factuelle anglaise confie au magistrat la fonction de dégager une règle à partir d’une situation concrète, qui s'appliquera aux prochaines affaires, conformément au respect du principe du précédent (II).

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I Des définitions générales laissées à l’appréciat ion des magistrats français

57 - En matière de contrefaçon, le fait litigieux peut se définir très simplement comme l’atteinte au droit de propriété intellectuelle. Un tel comportement est réalisé dès qu’une personne, le contrefacteur, utilise ou exploite ce droit de propriété intellectuelle, sans préalablement solliciter et obtenir l’autorisation de son titulaire et sans s’acquitter des droits financiers correspondants. Toutefois, il s’agit d’une apparente simplicité, car ce comportement présente des particularités selon le type du droit de propriété intellectuelle concerné et son mode d’acquisition. 58 - En effet, le Code de la propriété intellectuelle énonce, dans différents textes, quatre grandes catégories de droit de propriété intellectuelle qui sont : le droit d’auteur48, le droit des dessins et des modèles49, le droit des brevets d’invention50 et enfin le droit des marques51. Ce Code précise également pour chacun de ces droits leur mode d’acquisition. Ainsi, pour les marques, les dessins et les modèles, on réalise un enregistrement; pour les brevets, on effectue un dépôt et enfin, il faut souligner que le droit d’auteur ne requiert aucune formalité particulière. Dès lors, pour appréhender avec précision le fait ou les faits litigieux de contrefaçon (B), on procédera au préalable à une présentation des définitions et de l’acquisition de ces droits de propriété intellectuelle (A).

A - La présentation des définitions des droits de propriété intellectuelle

59 - Pour chacun de ces droits, le législateur français formule une définition générale. Toutefois, certaines expressions les composant ne sont pas précisées et il appartient alors aux magistrats d’effectuer un travail d’interprétation. Cette démarche instaure certes une souplesse nécessaire à la mise en oeuvre de ces textes mais induit parfois des incertitudes pour le justiciable. 60 - Avant tout exposé, on effectuera deux observations qui justifient les choix de la présentation chronologique retenue.

48 Article L.111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuel. Ces articles figurent dans la première partie du Code intitulée « La propriété littéraire et artistique », un livre premier étant consacré au droit d’auteur. 49 Article L.511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuel. Ces articles figurent dans la deuxième partie du Code intitulée « La propriété industrielle », un livre cinquième est consacré aux dessins et modèles 50 Articles L.611-1 et suivants du Code de la propriété intellectuel. Ces articles figurent également dans la deuxième partie du Code intitulée « La propriété industrielle », le titre I du livre sixième dénommé « Protection des inventions et des connaissances techniques» leur est consacré. 51 Article L. 7111.1 suivants du Code de la propriété intellectuel. Ces articles figurent également dans la deuxième partie du Code intitulée « La propriété industrielle », le titre I du livre septième dénommé «Marques de fabrique, de commerce ou de service et autres signes distinctifs leur est consacré.

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Premièrement, au regard des statistiques de saisies douanières énoncées précédemment52, il faut souligner qu’un droit de propriété intellectuelle apparaît particulièrement concerné par ce comportement illicite. En effet, 90 % des contrefaçons saisies portent sur des produits de marques, les brevets occupant la seconde place avec un pourcentage s’élevant à 5 %. A l’opposé, selon ces saisies, la contrefaçon des dessins et des modèles est nettement plus limitée, la dernière place étant réservée au droit d’auteur53. Deuxièmement, la contrefaçon des spécialités pharmaceutiques est l’une des plus dangereuses pour l’intégrité physique humaine. Il faut noter qu’elle porte atteinte à la fois aux droits des marques et aux droits des brevets, cette réalité renforçant alors l’importance à accorder à ces deux droits de propriété intellectuelle. 61 - Ces réalités de l’économie illicite nous conduiront ainsi à ne pas suivre la présentation chronologique de ces droits effectuée par le Code de la propriété intellectuelle54 et même à l’inverser. Ainsi, nous opterons pour une énumération destinée à mettre en exergue l’impact économique et humain de la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle les plus directement concernés, sur le plan européen et mondial.

1 - Le droit des marques, droit des signes distinc tifs

62 - Une marque peut revêtir trois aspects : elle peut être nominale, sonore ou figurative (a). Elle s’acquiert par un enregistrement auprès des organismes compétents (b).

a - Une marque nominale, sonore, figurative

63 - Selon l’article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, « la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». L’alinéa 2 de ce texte procède à une énumération d’éléments permettant d’identifier un produit ou un service. Il faut souligner que tous les signes ne peuvent jouer un tel rôle et que l’énumération proposée n’est pas limitative. 64 - A partir de cette définition et de cette énumération non exhaustive, il appartient à la jurisprudence d’envisager, au cas par cas, l’existence ou non d’un signe distinctif susceptible de constituer une marque et de pouvoir bénéficier à ce titre d’une protection.

52 Supra n° 26 et s. 53 Bruno Domingo, « Douane et contrefaçon », Cahier de la sécurité n°15, op cité p 121; De façon plus générale et complète voir sur la question : Joffrey Sigrist, «Rôle des douanes en matière de contrefaçon », Fascicule 7530, Jurisclasseur, 4 mars 2015 54 En effet, le Code de la Propriété Intellectuelle envisage le droit d’auteur, les dessins et les modèles, les brevets et les marques.

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Schématiquement, on distingue alors trois grandes catégories de signes : les mots, les sons et les formes. Dans le premier cas, la marque est nominale, il s’agit de la catégorie la plus fréquente. Les possibilités sont infinies puisque tous les mots courants ou fantaisistes ainsi que leur association sont admis. Le recours aux noms patronymiques des créateurs est également une pratique habituelle: on peut citer le couturier Saint Laurent dont le nom est devenu une marque, symbole de luxe et de savoir faire à la française. Il peut aussi s’agir du nom d’un entrepreneur comme Charles Ritz qui en 1889 fonde l’hôtel Ritz, place Vendôme, à Paris. Ce patronyme deviendra au cours du temps une marque hôtelière de prestige qui s’exportera au - delà des frontières françaises. Enfin, les sigles constitués de quelques lettres, comme BMW pour les voitures ou SFR pour l’opérateur téléphonique, sont également utilisables. Dans le second cas, la marque est sonore. Cette option est moins fréquente et n’a été admise que depuis 199155. Elle suppose que son futur titulaire soit apte à la présenter sur un support visuel, plus précisément sur une portée musicale56. Il peut s’agir de quelques notes de musique comme celles associées au sigle de l’opérateur SFR ou encore au lion rugissant de la Metro Goldwin Mayer, connu par les spectateurs du monde entier, qui annonce le début de chaque film. Dans le troisième cas, la marque est dite figurative : on peut donner comme exemple le personnage stylisé destiné aux enfants de la marque «Hello Kitty57» ou le félin bondissant de la marque de sport «Puma58» 65 - Enfin, certaines marques, dites renommée59, bénéficient d’une protection renforcée. Elles sont alors protégées pour leur spécialité, mais aussi pour des productions ne relevant pas de leur domaine de spécialité. Ce régime est donc éminemment protecteur, il est accordé à toute marque « connue d’une partie significative du grand public60 »

55 Toutefois, le texte français était précurseur. En effet, il faut attendre les Accords du 15 avril 1994 sur les aspects des Droits de Propriété intellectuelle concernant le commerce pour voir admettre sur le plan international ces marques sonores. 56 Toutefois, le Traité de Singapour de 2006 admet que la marque sonore n’a pas besoin d’être perceptible visuellement. La France n’a toujours pas ratifié le traité. 57 Arrêt de la Cour d’Appel de Paris, 24 septembre 2008 : PIBD 2008, III, 635 58 Arrêt de la Cour d’Appel de Paris, 22 octobre 2008 : PIBD 2008, III, 691 59 Article L.713-5, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle 60 CJCE, 14 septembre 1999, compléter référence

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b - L’acquisition de la marque par enregistrement

66 - Selon l’article L 712-1 du Code de la propriété intellectuelle, « La propriété de la marque s’acquiert par enregistrement ». Un dépôt de demande d’enregistrement s’effectue auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle. Le demandeur communique un modèle de la marque qui correspond à sa représentation graphique. Il mentionne également les produits et services concernés par la marque. L’INPI ne procède pas à la vérification de l’originalité de la marque mais les titulaires de marque antérieure peuvent procéder à une opposition61. Après étude et acceptation du dossier, l’INPI procède à l’enregistrement, ce dernier est publié au journal officiel et le titulaire reçoit un certificat62. 67 - L’article L713- 1 du même Code indique que « l’enregistrement de la marque confère un droit de propriété sur cette marque pour les produits et les services qu’il a désignés ». Il s’agit du principe de spécialité selon lequel seuls les produits et services mentionnés dans le dépôt de marque peuvent bénéficier de la protection. Par ailleurs, l’usage de la marque est limitée territorialement. 68 - La durée de ce droit de marque est de dix années63, son renouvellement étant indéfini, ce qui lui assure une véritable pérennité. Il faut souligner que la marque est le seul droit de propriété intellectuelle qui dispose d’une telle possibilité. Cette exceptionnelle durée met en exergue l’importance particulière que lui reconnaît le législateur. 69 - Toutefois, il arrive que la marque soit victime de son succès: elle peut alors être perçue comme un nom commun et devenir générique. Selon l’article 714-6 du Code de la propriété intellectuelle, le propriétaire encourt alors la déchéance de ses droits. Pour l’éviter, il doit s’opposer à l’utilisation de la marque comme nom commun. On peut citer l’exemple de la marque Algeco qui propose comme nom commun « construction modulable » ou la marque Botox dont le terme de substitution est la toxine botulique64.

61 Article L.712-4 de Code de la propriété intellectuelle 62 Article R. 721-23, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle 63 Cette règle est admise aussi bien en droit français (articleL.712-1 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle) qu’en droit européen selon les articles 46 et 47 du RMC. Le droit de marque est le seul droit de propriété intellectuel qui dispose de cette possibilité de renouvellement indéfiniment qui assure une véritable pérennité à ce droit. 64 Voir sur le site de Wikipedia, la liste des marques utilisées comme nom commun.

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70 - Pourtant, ce droit des marques est parfois estimé comme moins noble car il ne permettrait qu’une simple identification. Il est ainsi opposé aux droits de propriété intellectuelle des brevets qui assurent la protection de l’invention ou au droit d’auteur ou des dessins et des modèles protégeant la création artistique. Toutefois, ce droit des marques joue un rôle économique fondamental, le fait qu’il représente 90% de la contrefaçon étant largement significatif. De plus, il est parfois associé aux droits de propriété des dessins et des modèles, car il pallie alors l’insuffisance de leur efficacité65.

2 - Le droit des brevets, droit des inventions

71 - L’accession au brevet est très difficile, nécessitant une procédure exigeante (b), vérifiant les cinq conditions à la brevetabilité prévues par le législateur (a) .

a - Une création technique susceptible d’applicati on industrielle

72 - L’accès au brevet suppose la réunion de cinq conditions posées par le Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, pour délivrer un titre de propriété industrielle, l’article L.611-1 du précédent Code pose une première condition en requérant « une invention », sans que le législateur définisse, le terme employé66. Cette imprécision est souhaitable, car elle laisse une marge de manoeuvre au juge qui peut ainsi s’adapter à une évolution inéluctable dans le domaine de la technique. Toutefois, actuellement, l’invention est définie unanimement comme une création technique qui recourt obligatoirement au service de l’industrie pour sa réalisation. L’invention apparait alors intiment liée au monde de l’industrie. 73 - Ce même article pose la seconde condition en exigeant que cette invention soit nouvelle. Elle sera considérée comme telle « si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique ». Le texte explicite ce que l’on doit entendre par « état de la technique » en indiquant qu’il recouvre « tout ce qui a été rendu accessible au public » avant le dépôt du brevet. La jurisprudence précise qu’il s’agit d’informations qui constituent des antériorités. Elles excluent alors toute possibilité de prétendre à la démonstration de l’existence d’une création nouvelle.

65 Infra n° 126 66 Infra n° 80

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74 - La troisième condition figure à l’article L.611-14 qui évoque une activité inventive d’un homme de métier. En effet, le texte est ainsi rédigé « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme de métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique ». Cette notion de non - évidence renvoie à la notion anglaise de « non- obviousness», ce qui établit une communauté traditionnelle de vue sur la question et ce, bien avant l’européanisation du domaine67. 75 - La quatrième condition conduit l’article L.611-15 du Code de la propriété industrielle à exiger une possible fabrication ou utilisation « dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture ». 76 - Enfin, la dernière et cinquième condition exige que l’invention présente un caractère licite. Cette exigence se déduit de l'impossibilité de breveter les inventions contraires à l’ordre public, aux bonnes moeurs, aux corps humains, aux variétés végétales, aux races animales, aux méthodes de traitement et de diagnostic. Initialement, les médicaments figuraient dans cette liste mais, depuis une loi de 1944, cette interdiction a été écartée68. Cet accès au brevet s’imposait car il permet aux laboratoires pharmaceutiques de se garantir un retour sur investissement adapté. Ce dernier est destiné notamment à la poursuite des recherches nécessaires à l’amélioration de la santé publique, relevant de l’intérêt général.

b - L’accession au brevet par le dépôt

77 - La procédure de brevetabilité est longue et complexe car elle vérifie que ces cinq conditions sont remplies. Elle débute par une requête en délivrance de brevet qui est déposée par le demandeur à l’Institut National de la propriété industrielle. Une description exigeante de l’invention est requise et le demandeur doit notamment transmettre un dossier assurant la compréhension du problème technique ainsi que la solution offerte par l’inventeur potentiel. Le dossier est accompagné de plans appuyant et illustrant la requête ainsi que d’une étude sur l’application industrielle. La requête est ensuite examinée sur la forme et sur le fond. Si elle est acceptée, la demande doit être publiée au Bulletin officiel de la propriété intellectuelle. Les tiers disposent d’un délai de trois mois pour procéder à des observations écrites portant sur la brevetabilité. Le demandeur peut être ainsi amené à améliorer sa requête au vu de ces remarques.

67 Infra n° 181 et s. 68 Laure Marino, Droit de propriété intellectuelle, Thémis droit, 2013, n°130, p 278

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Enfin, un rapport de recherches qui porte notamment sur l’antériorité doit être présenté. La requête est rejetée si « l’absence de nouveauté résulte manifestement du rapport de recherche69» 78 - A l’issue de ce véritable parcours du combattant et du règlement d’une redevance, l’inventeur devient alors propriétaire d’un brevet d’invention. Selon l’article L.611-2 du Code de la propriété intellectuelle, il peut, à compter du dépôt, disposer d’une durée de vie de 20 ans. A l’issue de ce délai, l’invention tombe dans le domaine public. Ainsi, par exemple, le médicament breveté pourra être reproduit sous forme de générique à l’issue de ces vingt années sans encourir une action en contrefaçon.

3 - Le droit des dessins et des modèles, l’apparen ce d’un produit

79 - Ce droit de propriété est centré sur l’apparence d’un produit nouveau à caractère propre (a), dont l’acquisition impose de recourir à la formalité du dépôt du dessin ou du modèle (b).

a - L’apparence d’un produit nouveau à caractère p ropre

80 - Selon l’article L.511-1, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, un dessin ou modèle correspond à « l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit, caractérisée en particulier par ses signes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son orientation ». Dès lors, comme pour la marque et le brevet, on doit s’interroger sur la définition posée par le législateur. Il faut préciser ce que signifie l’expression « l’apparence d’un produit », bien que le législateur procède à une énumération illustrant la notion. A cet effet, on peut noter que, dans le langage courant, les termes « dessins et modèles » évoquent une dimension esthétique. Toutefois, juridiquement, cette analyse doit être écartée car le législateur n’introduit pas cette exigence. Dès lors, l'esthétisme du dessin ou modèle est sans importance. A l’opposé, le terme d’apparence induit que le dessin ou modèle doit être matérialisé concrètement70, une simple idée comme en matière de droit auteur ne peut être protégée71. Selon l’alinéa 2 de cet article, le produit est « tout objet industriel ou artisanal », le texte excluant expressément les programmes d’ordinateur.

69 Article L.612-23 du Code de la propriété intellectuelle 70 TGI Paris, 20 janvier 2005 « A défaut d’apparence la création ne peut être protégée ». 71 C.cass.com.16 juin 1992, n°90-18539

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81 - Par ailleurs, l’article L.511-2 du Code de la propriété intellectuelle précise que « Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre ». En exigent la nouveauté, le texte a conduit la jurisprudence à écarter toutes les copies serviles ou simplement similaires. La nouveauté signifie qu’aucun dessin ou modèle identique ou similaire ne doit être divulgué avant la demande d’enregistrement72. Cette condition de nouveauté est donc objective, elle est constituée par la différence avec les dessins et modèles antérieurs. Comme en matière de brevet, l’antériorité est déterminante, le législateur faisant référence à la notion de divulgation73. L’article 511-6 du même Code procède à la définition de la divulgation, ainsi « le dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s’il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen ». Par exemple, on ne peut solliciter une protection au titre de l’article L.511-1, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle pour des emblèmes maçonniques du XVIII siècle74, fréquemment utilisés. La seconde exigence posée par ce texte est le caractère propre du dessin ou modèle. Selon la jurisprudence, ce caractère conduit l’observateur averti à éprouver une impression globale différente des modèles ou dessins déjà divulgués antérieurement75. Toutefois, l’observateur averti n’est pas défini par les textes et la Cour de justice de l’Union européenne considère que : « la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance du secteur considéré76». 82 - Après avoir défini positivement les attentes du législateur, on peut préciser cette protection de l’apparence d’un produit nouveau à caractère propre, en effectuant une définition négative. Ainsi, l’exigence de la nouveauté ne doit pas être confondue avec celle de l’originalité retenue en droit auteur. En définitive, le caractère propre ou nouveau du dessin ou modèle repose sur l’établissement de l’absence de divulgation qui constitue « le pivot central du système77»

72 CA Paris, 28 novembre 2001, JCP E 2002, n°5 73 Laure Marino, opinion citée, p390 74 CA de Lyon 12 décembre 1996, JCPE, Pierre Greffe. Exemple cité par Séverine Visse-Cuasse, Droit de la propriété intellectuelle, éd Lextenso, novembre 2014 75 CA de Paris, 16 janvier 2002, JCP, E 2002, p1043, n°6, Pierre Greffe 76 CJUE, 20 octobre 2011, C-280/10, décision mentionnée notamment par Laure Marino, opinion citée, p 391 77 Laure Marino, opinion citée, p 392

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b - L’acquisition de la protection par le dépôt

83 - L’acquisition de ce droit de propriété intellectuelle sur les dessins ou les modèles s’effectue grâce à la formalité du dépôt. L’article L.521-1 du Code de la propriété intellectuelle indique le lieu du dépôt de l’enregistrement, qui dépend de celui du lieu du domicile ou du siège social du déposant. 84 - Deux éventualités sont alors envisagées. Si, le déposant a son domicile à Paris ou hors de France, la demande d’enregistrement est déposée, à peine de nullité, à l’Institut national de la propriété industrielle. Si le déposant a son domicile ou son siège social en France en dehors de Paris, la demande d’enregistrement est déposée à l’Institut national de la propriété industrielle ou au greffe du tribunal de commerce. Lorsque la demande est déposée au greffe du tribunal de commerce, celui - ci la transmet à l’Institut national de la propriété industrielle 85 - Selon l’article 511-9 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire du droit est la personne qui a créé le dessin ou le modèle. Cependant, le deuxième alinéa de ce texte crée une présomption, bénéficiant à celui qui dépose l’enregistrement. En effet, ce dernier est alors présumé le titulaire du droit et donc le créateur du dessin ou modèle. Mais cette présomption n’est pas irréfragable, la preuve contraire étant possible. Il faut souligner que le titulaire de ce droit peut être une personne physique comme une personne morale, ce qui constitue une distinction notable au regard du droit d’auteur. 86 - Le titulaire de ce droit bénéficie des prérogatives suivantes : il dispose d’une exclusivité concernant « la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, l’utilisation, ou la détention à ces fins, d’un produit incorporant le dessin ou modèle78» 87 - La durée de la protection est de cinq années à compter du jour du dépôt de la demande. Elle peut être renouvelée pour une période identique, le maximum admis étant fixé à vingt-cinq ans.

78 Article L513-4 du Code de la propriété intellectuelle

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4 - Le droit d’auteur, le droit des oeuvres de l’e sprit

88 - Il apparaît important de souligner trois aspects spécifiques de cette atteinte à ce droit de propriété intellectuelle. La première particularité est liée à l’étroite évolution de la diffusion des oeuvres. En effet, de la création de l’imprimerie en 1439, première technique de reproduction des oeuvres littéraires, à la diffusion sur internet, les formes d’atteinte à ces oeuvres se sont totalement modifiées. La technique juridique a dû s’adapter à cette évolution et, parfois, il a été très difficile pour le droit d’offrir une réponse rapide en parfaite adéquation avec le progrès scientifique. Cette situation a pu être à l’origine de vides juridiques préjudiciables aux auteurs, notamment sur la toile et générer une contrefaçon très difficilement quantifiable. La seconde particularité est la dimension morale qui anime cette action et la nécessité de distinguer la notion de contrefaçon de celle de plagiat. La troisième est que ce droit d’auteur est le seul droit de propriété intellectuelle à se décomposer en deux catégories de droit reconnues à l’auteur, les unes relevant du patrimoine, les autres appartenant à la sphère morale. 89 - Pour comprendre le droit des oeuvres de l’esprit et sa contrefaçon, la conscience de ces spécificités est essentielle, car elle permet de mettre en exergue les différences existant avec les autres droits de propriété intellectuelle précédemment étudiés. Ainsi, ce droit qui a pour objet une oeuvre (a) est le seul à disposer de deux prérogatives, patrimoniale et morale (b) et à ne pas nécessiter de formalité particulière pour accéder à une protection (c).

a - L’oeuvre créatrice et originale d’une personne physique

90 - L’article L.111-1 al.1er du Code de la propriété intellectuelle indique que « L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Immédiatement, il faut remarquer que le législateur emploie l’expression « oeuvre de l’esprit » sans la définir. Il appartient alors une nouvelle fois à la jurisprudence de préciser la notion qui présente en fait trois caractéristiques essentielles. 91 - Tout d’abord, une oeuvre de l’esprit suppose qu’une personne physique exerce une activité créatrice.

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De plus, cette oeuvre doit être mise en forme, car elle doit pouvoir être communiquée au public. En effet, les simples idées ne sont pas protégées et sont de libre parcours, selon la formule célèbre79. Enfin, elle doit être originale, ce dernier aspect permettant de comprendre le caractère personnel du droit d’auteur, son lien étroit avec le créateur mais, en même temps, il est particulièrement délicat à cerner. Toutefois, on considère que l’originalité découle de la personnalité de l’auteur qui s’exprime dans l’oeuvre et se manifeste par son style, sa démarche et sa perception particulière du monde qui l’entoure. La jurisprudence apprécie cette originalité selon la nature de l’oeuvre et s’appuie sur des notions comme la nouveauté ou les choix particuliers de l’auteur. 92 - Enfin, selon le législateur, l’oeuvre relève concrètement de multiples genres80. Plus précisément, on distingue quatre grandes catégories : les oeuvres littéraires81, les oeuvres artistiques82, les oeuvres de spectacle83 et les oeuvres informatiques84.

b - La reconnaissance de deux catégories de prérog atives

93 - L’article L.111-1, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle reconnaît à l’auteur « des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ». 94 - Classiquement, les droits patrimoniaux recouvrent deux grandes catégories. L’auteur dispose d’un droit d’exploitation qui se subdivise en un droit de représentation et un droit de production. L’auteur retire une rémunération de la production de l’oeuvre mais il peut refuser sa production.

79 Voir sous article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, 2° La notion de protection des idées, p15, 15 éd Dalloz, 2015; Pour approfondir ce domaine d’étude voir : Emmanuel Dreyer « Procédures et sanction.- Contrefaçon. Eléments constitutifs ( CPI, art.L.121-1 à L.123-2 et L.333-1 à L.335-10, Propriété littéraire et artistique, Jurisclasseur, 15 janvier 2014 80 Pour exemple, voir article 112-1 du Code de la propriété intellectuelle : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » 81 Voir article 112-2 du Code de la propriété intellectuelle : « Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques;» 82 Voir article 112-2 du Code de la propriété intellectuelle : « Les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicale» ; « Les oeuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie», «les oeuvres de photographies» 83 Voir article 112-2 du Code de la propriété intellectuelle : « Les oeuvres chorégraphiques, les numéros et les tours de cirque, les pantomimes (...), les oeuvres cinématographiques (...). 84 Voir François Pellegrini et Sébastien Canevet, Droit des logiciels, PUF, 2013

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Cette dernière est définie très précisément comme « la fixation matérielle de l’oeuvre par tous les procédés qui permettent de la communiquer au public de manière indirecte85». Ce texte conduit à deux observations. D’une part, de prime abord, l’expression « la communication indirecte » surprend, mais en fait, elle traduit la réalité qui conduit l’auteur à établir un lien indirect avec son public grâce à un support, et non directement, comme lors d’une représentation devant le ce dernier. D’autre part, l’expression « procédés permettant la communication » induit, dans le langage courant mais aussi juridique, que l’auteur grâce notamment à l’imprimerie, au dessin, à la gravure, à la photographie reproduit pour communiquer avec son public. Toutefois, depuis un arrêt de la CJCE en date de 200986, la reproduction correspond simplement à la fixation de l’oeuvre et à sa conservation. Ainsi, malgré un texte très précis et apparemment totalement dénué d’ambiguité, il apparait que l’intervention du juge est nécessaire pour définir les contours de la notion. A côté de la production et de la représentation, l’auteur dispose d’un droit de suite qui ne concerne que les oeuvres graphiques et plastiques. Lors de la revente de l’oeuvre, l’auteur ou ses héritiers pendant soixante - dix ans après le décès de ce dernier, reçoivent un pourcentage du prix de vente. 95 - Par ailleurs, l’auteur dispose de quatre droits moraux qui sont le droit de divulgation, le droit de repentir, le droit de paternité et le droit au respect de l’oeuvre. Il s’agit d’une spécificité par rapport au droit de la common law, pour lequel les droits d’auteurs sont essentiellement des droits patrimoniaux, même si l’on assiste actuellement à une évolution sous l’impulsion de la volonté d’uniformisation européenne. Il faut souligner que les deux derniers droits sont les plus importants, le droit à la paternité permettant à «l’auteur de jouir du droit du respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre87. De plus, l’auteur jouit du droit au respect de son oeuvre ce qui lui permet de s’opposer à l’altération ou au détournement de son oeuvre. En particulier, ces deux droits peuvent être évoqués lors de contrefaçon.

c - L’oeuvre de l’esprit protégée sans formalité p articulière

96 - Une fois reconnue comme une oeuvre de l’esprit, le droit d’auteur n’a pas besoin de formalité particulière comme un dépôt ou un enregistrement pour bénéficier d’une protection.

85 Article 122-3 du Code de la propriété intellectuelle. 86 CJCE, 16 juillet 2009, Infopaq, JCP G 2009, p272, notes L. Marino, voir aussi, Laure Marino, Droit de la propriété intellectuelle, op citée, p 200 et s 87 Article L121-1 du code de la propriété intellectuelle

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Cette règle est exprimée expressément par l’article L.111-1 al.1er du Code de la propriété intellectuelle. L’ensemble des Etats de la Convention de Berne ont retenu l’automaticité de cette protection. 97 - Ainsi, l’oeuvre de l’esprit se distingue de tous les autres droits de propriété intellectuelle, qui nécessitent des démarches plus ou moins complexes pour établir la reconnaissance de leur titulaire et assurer la protection des droits ainsi acquis. Cette particularité s’explique par le lien étroit qui unit l’oeuvre à son auteur. Elle est son prolongement et elle matérialise l’exercice de sa volonté au quotidien qui le conduit à se dépasser pour donner naissance à sa création. Pour comprendre ce lien, on peut citer Flaubert qui s’exprimait ainsi : «lorsque j’écrivais Madame de Bovary, j’étais Madame Bovary et je sentais le cyanure dans ma bouche ». Dés lors, l’auteur et son oeuvre sont si étroitement liés que, parfois, la séparation très tenue disparaît totalement et à jamais. 98 - L’avantage de cette solution est sa totale gratuité et l’acquisition immédiate du droit d’auteur, mais elle n’est pas sans inconvénient. En effet, en cas de contestation sur l’antériorité de l’oeuvre, elle ne permet pas toujours d’établir la date de création et donc l’établissement de son originalité. 99 - A cette absence de formalité, on peut confronter la durée de l’exercice de ce droit pour constater le caractère perpétuel du droit de paternité et du droit au respect de l’oeuvre de l’auteur. Ce droit sera donc exercé toute sa vie par l’auteur, aucun délai ne limitant son exercice et ses héritiers pourront à leur tour l’exercer. Cette dernière particularité s’explique à nouveau par la relation particulière unissant l’auteur à son oeuvre.

B - La définition de la contrefaçon liée à la dive rsité des droits de propriété

100 - L’acte de contrefaçon dépend de la nature du droit protégé et offre au contrefacteur l’économie d’un effort particulier. Ainsi, la contrefaçon de marque conduit à priver son titulaire du signe distinctif, en entrainant une confusion (1). En matière de brevet, elle implique la reproduction de l’invention en dispensant le contrefacteur du travail de recherche (2). La contrefaçon de dessin ou de modèle entraine l’appropriation illicite du modèle ou du dessin en dispensant son auteur de toute recherche de nouveauté (3) Enfin, en droit d’auteur, elle expose l’oeuvre originale à être recopiée, le contrefacteur se soustrayant à l’effort de création (4)

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1 - La contrefaçon de marque, économie de la disti nction

101 - Concrètement, pour établir la contrefaçon de marque, trois conditions sont requises : l’usage non autorisé de la marque dans la vie des affaires, l’usage non autorisé dans la fonction d’une marque, le risque de confusion sur l’origine des produits en cause. 102 - Premièrement, on remarque que l’expression l’ « usage dans la vie des affaires » n’est pas mentionnée expressément dans les deux articles du Code de la propriété intellectuelle qui interdisent la contrefaçon de marque88. Toutefois, le droit européen s’impose au juge français, aucune marge de liberté n’étant accordée sur ce point. Selon le célèbre arrêt Arsenal, cet usage dans la vie des affaires correspond à celui qui « se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non le domaine privé89» On peut noter que cette condition ne sera pas remplie si la marque est employée en dehors d’un contexte économique, comme par exemple dans le cadre de son utilisation dans une démarche militante. On peut alors citer le récent message télévisé qui associe des marques de très grand luxe aux conditions de vie des SDF ou l’affaire qui a opposé Esso à Greenpeace90. 103 - Deuxièmement, la notion d’atteinte à la fonction essentielle de la marque correspond à la fonction d’origine de la marque, qui permet l'identification du produit ou du service par le consommateur. Ce dernier évite ainsi toute confusion avec un produit ou un service issu d’une toute autre provenance. Aujourd'hui, la marque ne peut être protégée que dans le cadre de son utilisation à titre de marque et dès lors qu’elle assure sa fonction d’origine91 . 104 - Enfin, troisièmement, le risque de confusion est défini par la Cour de justice de la communauté européenne, dans un arrêt du 29 septembre 1998. Il est identifié comme « le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou le cas échéant, d’entreprises liées économiquement92». 88 Article L.713-2 et L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle 89 CJCE, 12 nov. 2002, C-206/01, Arsenal 90 Cour d’Appel de Paris, 28 février 2003, note M. vivant, les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz 2004 91 Laure Marino, Droit de la propriété, Thémis, droit puf, 2013, p359 92 CJCE, 29 septembre1988, C -39-97, Cannon

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Ce risque de confusion se retrouve à l’identique en droit français à l’article 713- 3 du Code de la propriété intellectuelle. En la matière, on soulignera deux éléments qui caractérisent cette seconde interdiction portant sur la notion de similitude. Le premier est que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation du risque de confusion à partir du moment où il prend en compte la similitude des signes mais aussi la notoriété de la marque et l’identité des produits en cause93. Le second concerne l’impression globale, cette expression signifiant que le risque de confusion s’apprécie en fonction de l’impression d’ensemble produite au regard du degré de similitude visuelle ou conceptuelle94. Ces deux observations sont à rapprocher de la jurisprudence anglaise rendue notamment dans l’arrêt de 2014 qui se prononce sur cette impression d’ensemble95.

2 - La contrefaçon du brevet, l’économie de l’inve ntion

105 - La contrefaçon de brevet est prévue à l’article L.615 - 1 du Code de la propriété intellectuelle. Son établissement est facilité grâce à l’admission de conditions très larges par le législateur. Ainsi, il prévoit que la contrefaçon se prouve simplement par le non- respect d’une des prérogatives du titulaire du brevet. Cette position du législateur se comprend au regard de la complexité et du coût de la procédure d’enregistrement de brevet et elle apparaît alors comme une contre partie naturelle. En général, cette contrefaçon s’exprime par la reproduction des moyens essentiels de l’invention, son appréciation s’effectuant au regard des ressemblances et non des différences96 106 - Pour illustrer ces propos, on peut donner comme un exemple de contrefaçon de brevet, et en particulier celui du médicament97. Ce choix s’explique car elle se caractérise par sa dangerosité et par l’existence, en réalité de deux hypothèses nettement distinctes.

93 Crim. 5 mars 2014, Sony, PIBD 2014, III 94 Com. 15 décembre 2009, PIBD 2010, III, p112 95 Voir infra 96 CA de Paris, 21 février 1986, Revue de droit de propriété industrielle, 1986, n°4 97 Hélène Gaumont-Prat « Contrefaçon et médicaments falsifiés » Propriété industrielle n°6, juin 2013, étude 6, Cet article envisage la lutte de la contrefaçon du médicament au niveau européen et national, en annexe, il donne quelques exemples de « Médicaments faux/ falsifiés/contrefaits », au Royaume-Uni, en 2012 a été identifié la contrefaçon de Viagra et de Cialis qui traitent les dysfonctionnements érectiles.

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107 - Un premier type de contrefaçon consiste à copier un médicament princeps qui n’est pas encore tombé dans le domaine public. On assiste alors à la commercialisation d’un médicament générique illégal car contraire aux droits du titulaire des brevets protégeant l'innovation. Toutefois, ce générique fabriqué par des établissements pharmaceutiques autorisés et contrôlés par les autorités sanitaires ne porte pas atteinte à la santé et à sécurité des personnes. En effet, ce générique étant par définition une copie stricte du médicament princeps, il contient tous les composants actifs nécessaires et respecte parfaitement les dosages. Dès lors, l’impact négatif est essentiellement financier et il est supporté par le laboratoire créateur du médicament original qui se voit privé d’une partie du chiffre d’affaires normalement attendu. 108 - Le deuxième type de contrefaçon conduit à la production de faux médicaments ou de médicaments falsifiés. En 1992, l'Organisation Mondiale de la Santé a formulé une définition en indiquant que « les médicaments contrefaits peuvent être des produits contenant les bons ingrédients/composants, pas de principe actif ou un principe actif en quantité insuffisante, ou encore des produits dont le conditionnement a été falsifié ». Cette définition souligne la dangerosité de ces pseudo médicaments. En réalité, ce deuxième type de contrefaçon se subdivise à nouveau en deux hypothèses. Dans la première hypothèse, le faux médicament ne contient aucun actif qui doit normalement figuré dans le médicament et il est composé d’une substance neutre. En l'absence de produit nocif, on pourrait penser qu’il ne nuit pas au malade. Toutefois, cette analyse est erronée, une telle situation conduisant le patient à une perte de chance d’obtenir une guérison en optant pour un réel traitement98. Dans la seconde hypothèse, le faux médicament contient la substance, mais insuffisamment dosée. Dès lors, en recevant ce traitement, le patient peut développer par exemple une résistance à la souche bactérienne normalement combattue, ce qui peut entrainer l’aggravation de son état de santé. 109 - En Angleterre, on distingue nettement ces deux types de contrefaçon, en employant deux termes totalement distincts. Ainsi, lorsque le contrefacteur viole le droit de propriété du titulaire du brevet en copiant strictement le médicament, les juristes anglais utilisent le terme de « infringement » alors qu’ils emploient celui de « counterfeiting » pour désigner un faux - médicament. Ces distinctions ont le mérite de la clarté et de mettre en exergue les différents effets de la contrefaçon du médicament.

98 En 1995, d’après l’OMS, 2500 personnes sont mortes au cours d’une épidémie de méningite en recevant l’administration d’un faux-vaccin.

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3 - La contrefaçon des dessins et des modèles, l’é conomie de la nouveauté

110 - La contrefaçon du dessin ou du modèle conduit à recopier l’originalité de ce dernier. L’effort de création du styliste est alors anéanti et il est dépossédé de sa créativité personnelle et de son talent ainsi que de son retour sur investissement. Ce type de contrefaçon concerne en particulier le secteur de la mode et elle porte atteinte aux grandes marques de luxe mais également aux petites et moyennes entreprises, relativement anonymes. Incontestablement, la situation est alors particulièrement redoutable pour ces dernières et ce, pour deux raisons propres à ce secteur économique. 111 - La première raison doit conduire à souligner le caractère éphémère d’une collection, d’autant plus qu’actuellement elles se succèdent à un rythme effréné tout au long de l’année. On est très loin des deux sacro-saintes collections d’été et d’hiver. Ainsi, de nos jours, le styliste doit créer pour les collections capsules, les collections croisières, les collections des fêtes de fin d’année... Cet aspect très limité dans le temps de chaque collection fragilise d’autant la valeur marchande et la rentabilité d’un modèle original. Ainsi, le caractère saisonnier de la mode expose tout particulièrement au pillage le créateur de modèle, dont l’exposition s’impose dans le processus de commercialisation, de façon incontournable. Les défilés et les salons professionnels sont alors autant de lieux où le contrefacteur est à l’affut du modèle original, qu’il fera reproduire au plus vite, réussissant parfois le tour de force de devancer le modéliste copié. De plus, cette durée de vie très brève des modèles associée à ces contrefaçons éclairs sont en opposition face à la durée et à la complexité de la procédure de contrefaçon. Cette réalité décourage alors les créateurs d’intenter une action et ce d’autant plus que, la mode étant un éternel recommencement, il sera très difficile d’établir la nouveauté du modèle. Les PME sont les premières à souffrir de cette situation car très souvent, elles ne disposent pas de la notoriété et des fonds nécessaires, pour attraire en justice avec succès, le contrefacteur 112 - La deuxième raison qui conduit à exposer tout particulièrement les PME est due à leur relatif anonymat qui les prive d’une marque reconnue. En effet, une marque de l’industrie du Luxe est en mesure de constituer un contre poids efficace à cette contrefaçon de modèle. La marque vient alors au secours du modèle ou du dessin, car à l’issue de la saison, le produit de marque conservera une certaine valeur marchande et ne deviendra pas immédiatement obsolète, il pourra ainsi être écoulé après la saison. Par ailleurs, l’image de la marque défendra le modèle qui, même recopié à l’identique, n’aura pas la même valeur pour une certaine clientèle.

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4 - La contrefaçon du droit auteur, l’économie de l’originalité

113 - La contrefaçon porte atteinte à l’oeuvre originale par une reprise totale ou partielle de cette dernière. En agissant de la sorte, le contrefacteur porte atteinte aux droits matériels et aux droits moraux de l’auteur. L’atteinte matérielle peut porter sur l’exploitation de l’oeuvre par la diffusion ou la représentation par tout moyen. Le recours à la toile favorise ce comportement illicite notamment lors de la numérisation des ouvrages sans l’autorisation de son auteur ou encore par la diffusion de musique ou de film. 114 - Selon une doctrine dominante, la contrefaçon devrait s’apprécier selon les ressemblances et non les différences. Toutefois, cette position, certes très protectrice du droit d’auteur, limite d’autant la liberté de création. Il est parfaitement logique de sanctionner, sans réserve, la reproduction intégrale d’une oeuvre de l’esprit en s’appuyant sur les ressemblances, les différences invoquées comme moyen de défense par le contrefacteur devant alors être écartées. 115 - Cependant, ce mécanisme est plus délicat à mettre en oeuvre en présence d’une reprise de certains passages minimes donnant par moment une impression d’imitation. Il semble alors très difficile de se baser exclusivement sur les ressemblances pour retenir ou non la contrefaçon, sans risquer de porter atteinte à la création artistique qu’elle soit littéraire, musicale ou cinématographique. En effet, Il existe un fond commun d’inspiration qui a pour origine l’histoire, l’art, la littérature classique, la philosophie, voire la nature humaine dans lequel tout artiste a le droit de puiser. Dès lors, pour trancher, il semble fondamental de déterminer les ressemblances pour ensuite envisager les différences99. Dans le cas où ces dernières l’emporteraient sur les ressemblances qui ne constitueraient qu’un point de départ à l’élaboration d’une oeuvre elle-même créative, l’action en contrefaçon devrait selon nous être écartée. 116 - Il apparaît alors que cette recherche de ressemblances et de différences, confiée aux juridictions, introduit une très grande subjectivité qui nuit à la sécurité juridique par des décisions, tour à tour d’une grande sévérité ou d’une surprenante tolérance. On peut alors se demander si le modèle anglais, avec le suivi de la règle du précédent, n’est pas de nature à assurer une meilleure sécurité au justiciable ? 99 Infra n°165, nous sommes ainsi en désaccord avec la doctrine française classique (voir note associée

aux développements).

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De même, l’élaboration à partir de circonstances concrètes de la définition des droits protégés et des actes de contrefaçon n’est - elle pas plus adaptée que la démarche conceptuelle française ? C’est à l’ensemble de ces questions qu’il nous appartient de répondre en envisageant les mécanismes du respect de la règle du précédent dans l’évolution de la définition de l’élément constitutif du fait litigieux de contrefaçon.

II La règle du précédent, contrainte ou souplesse dans la définition de l’élément constitutif

117 - Concernant la définition de l’élément constitutif de la contrefaçon, il faut noter l’absence de particularités notables en matière de dessin et de modèles, de brevet ou de droit des marques à l’exception du droit d’auteur dont la spécificité sera mis en exergue dans des développements postérieurs100. Devant ce constat, par pragmatisme, nous avons donc décidé de ne pas effectuer une étude parallèle des différents droits de propriété en droit anglais. Ce choix se justifie d’autant plus que le législateur européen a notamment procédé à une unification par l’instauration d’une marque et de dessins et modèles européens et à un début d’harmonisation en droit européen en matière de brevet101. Dès lors, nous avons opté pour l’étude des particularités et des ressemblances, lors de l’établissement du fait litigieux et ce au regard de la spécificité de la pratique judiciaire anglaise. En fait, notre intérêt se focalise essentiellement sur la méthode d'élaboration de la définition de l’élément constitutif et non sur cette dernière. 118 - Notre objectif final est de déterminer si la règle du précédent constitue une force ou une faiblesse dans la recherche de l’élément constitutif de la contrefaçon. Dans une optique comparatiste, nous apprécierons si cette approche factuelle anglaise est plus efficiente que la démarche conceptuelle française présentée précédemment102. Pour atteindre cet objectif, nous présenterons un exemple récent et éminemment caractéristique de cas de la détermination de l’élément constitutif de la contrefaçon (B), après avoir rappelé au préalable la spécificité de la démarche juridique anglaise (A).

100 Infra n° 208 et s. 101 Infra n°170 et s. 102 Supra n°57 et s.

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A - La règle du précédent au service de la détermi nation du fait litigieux

119 - La présentation du principe du présent effectué (1), on exposera son impact sur la décision juridique (2). Cette présentation théorique nous permettra de mieux comprendre la détermination du fait litigieux en matière de contrefaçon lors de l’étude du cas retenu

1 - La règle du précédent à la base de la construc tion juridique anglaise

120 - En droit français, une décision de justice est dotée d’une certaine autorité, son importance dépendant du degré de la juridiction. Cependant, elle ne constitue jamais une source de droit autonome. En effet, la peur du gouvernement des juges103 et le respect du principe de la séparation des pouvoirs conduisent à écarter ce mode d’élaboration de la norme juridique. 121 - A l’opposé, en Angleterre, une confiance totale est accordée aux Cours qui ont pour fonction de déterminer les règles juridiques. Dès lors, l’autorité de la jurisprudence anglaise est donc primordiale pour assurer la sécurité juridique et l’uniformisation sur l’ensemble du territoire anglais. Ainsi, sécurité et uniformisation sont garanties par la règle du précédent qui correspond à l’obligation, pour les juges, de respecter les décisions antérieures rendues dans des espèces identiques. Comme le souligne, René David104, la règle du précédent repose sur trois catégories d’obligations induites par une hiérarchisation stricte des juridictions. Ainsi, les décisions de la Cour suprême, l’ancienne Chambre des Lords105, constituent des précédents qui devront impérativement être respectés par toutes les juridictions. Les décisions de la Cour d’appel formulent un ensemble de précédents qui s’imposent aux juridictions inférieures. Celles de la Haute Court ou Hight Court doivent être suivies impérativement par les juridictions inférieures.

103 « Le gouvernement des juges» est une expression d’Edouard Lambert qu’il emploie pour la première fois, en 1921, dans son ouvrage « Le Gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale ». Il s’agit d’une peur datant de la révolution française et très résistante, elle est aujourd’hui employée à l’encontre du Conseil constitutionnel. C’est une crainte de «voir s’ériger des magistrats créateurs du droit, alors qu’ils ne doivent être que la bouche de la loi» Paul Alliés - blogs médiapart - Le gouvernement des juges- 13/02/2013 104 René David « Les grands systèmes de droit contemporains » Dalloz, 1982. Pour Bertrand Ancel, René David est « sans doute le plus grand comparatiste du siècle passé » Cours «Théorie générale du droit comparé », Master 2 Droit comparé, Université Panthéon-Assas (Paris II), 2008-2009 105 En 2009, la chambre des Lords a été remplacé par Cour suprême

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122 - En définitive, pour permettre une application unitaire sur l’ensemble du territoire, les décisions antérieures rendues par une juridiction supérieure dans une affaire identique seront reprises par la juridiction inférieure106.

2 - Les spécificités de la mise en oeuvre de la rè gle du précédent

123 - Pour comprendre la mise en oeuvre du précédent, la présentation de la spécificité de la forme des décisions de justice anglaise s’impose. Ainsi, il faut effectuer une distinction majeure (a) pour ensuite souligner l’importance toute particulière des faits dans une décision anglaise (b) et, enfin, envisager les possibilités de revirement.

a - La distinction entre la ratio decidendi et « o biter dictum»

124 - Immédiatement, au regard des décisions françaises, une singularité apparaît. En effet, en droit français, la rédaction des motifs et du dispositif sont synthétiques. Ils conduisent le juriste à rechercher le raisonnement suivi par les magistrats pour comprendre la solution dégagée après l’application du texte de loi. En droit anglais, si le dispositif de la décision est également concis, il n’en est pas de même pour l’exposé des motifs. Les magistrats détaillent leur démonstration, en précisant les règles et principes qui les ont amenés à retenir telle ou telle solution. Ils élaborent ainsi de très longues décisions107 où ils exposent des développements de portée très générale avec des références philosophiques108, littéraires, culturelles109 ainsi que des appréciations personnelles parfois empreintes d’humour110.

106 L’accès au précédent s’effectue grâce à des recueils de jurisprudence, des « Law reports » ainsi que la publication de décision des juridictions supérieures sous forme électronique. Toutefois, leur consultation pour un juriste français n’est pas évidente car elles ne sont pas forcément classées par thème et l’introduction des mots clefs dans la barre de recherche n’aboutit pas forcément. Toutefois, sur internet, on trouve un certain nombre de décision dans leur intégralité. 107 Par exemple, l’affaire étudiée, Magnetic Ltd v PMS International Ltd, 28 février 2014 a donné lieu à une décision de 40 pages auxquelles sont ajoutées une dix pages d’annexes jugées nécessaires à la compréhension des débats. 108 Affaire Potton v Yorkclose. Se reporter notamment au n°431 de ce mémoire. 109 Confetti Records v Warner Music UK Ltd (2003) ECDR 31, Se reporter notamment au n°449 de ce mémoire. 110 Confetti Records v Warner Music UK Ltd (2003) ECDR 31, Se reporter notamment au n°444 de ce mémoire.

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Pour identifier la substantifique moelle de la décision, appelée par le juriste anglais, la « ratio dedicendi111 » le juriste anglais doit se livrer à un travail de synthèse qui le conduit à dégager les éléments de droits, stricto sensu, qui auront permis de déterminer la solution retenue. De plus, il faut indiquer que toutes les observations annexes, portant sur une question connexe à la problématique en cause, constitue un « obiter dictum112 », il s’agit de simple remarque dépourvue de valeur de précédent.

b - Les faits, une obsession de la pratique judici aire

125 - Cette distinction effectuée entre « ratio dedicendi » et « obiter dictum », il faut souligner une seconde particularité induite par la mise en oeuvre du précédent. En effet, une stricte correspondance des faits étant nécessaire à l’application de la règle du précédent, les éléments de faits de l’affaire en cours de jugement sont très largement détaillés dans la décision. Cet exposé doit permettre de procéder à une comparaison minutieuse avec la décision antérieure qui a conduit à l’élaboration du précédent. Ainsi, il a pu être affirmé que « les faits sont l'obsession du juriste anglais113».

c - La possibilité du revirement de jurisprudence

126 - La place prépondérante du principe du précédent à conduit naturellement à s’interroger sur les possibilités de revirement de la jurisprudence. Est-il possible pour une juridiction de revenir sur une règle antérieurement dégagée? En d’autre terme, existe t-il une marge de manoeuvre nécessaire à l’adaptation de la norme juridique à l’évolution des besoins de la société? 127 - Au nom de la sécurité juridique, pendant très longtemps, cette possibilité a été écartée. Ainsi, en 1898, le célèbre juge Lord Halbery, membre de la Chambre des Lords, a déclaré que : « L’opinion peut exister au sein de la communauté des juristes que telle ou telle décision est mauvaise; mais quel est le poids d’une interférence occasionnelle avec ce qui peut être une justice abstraite par rapport aux conséquences désastreuses de la possibilité de remettre en cause chaque question et de faire planer le doute sur les relations sociales114 ».

111 Il s’agit d’une expression latine qui signifie « la raison de la décision » Dans une décision rendue par une Cour appliquant la Common Law, « The ratio decidendi is aslo knwon as the rationale for a decision », Legal - Dictionary.thefeedictionary.com 112 « obiter dictum » est également une expression latine qui signifie « soit dit en passant ». 113 Gilles Cuniberti « Les caractéristiques prêtées classiquement à la tradition continentale », www.institut-idef.org 114 Le juge Lord Halbery, s’est ainsi prononcé lors de l’affaire suivante : Lonon Tramways v London County concil, 1898. Dans cette espèce, un revirement avait été exclu avec une grande fermeté par La Chambre des Lords.

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Il faudra attendre près d’un siècle pour que La Chambre des Lords revienne sur cette prise de position. Ainsi, depuis 1966, elle accepte de revenir sur un de ces précédents lorsque l’évolution de la société l’impose. Toutefois, elle recourt à cette possibilité avec une grande prudence et elle se refuse toujours à l’accorder aux autres juridictions.

B - Un exemple de détermination de l’élément const itutif de la contrefaçon

128 - En date de 2014, l’affaire Trunki115 constitue une bonne illustration de la recherche de la détermination de la contrefaçon. En la matière, un certain nombre de principes jouent un rôle déterminant dans la comparaison qui est la seule démarche possible lors de poursuite en contrefaçon, d’ailleurs communément adoptée par l'Angleterre et la France116. Des principes de comparaison ont été dégagés par la jurisprudence anglaise, constituant des précédents. Par ailleurs, les caractéristiques de la notion fondamentale « l’impression globale de l’utilisateur » ont été précisées par la Cour de Justice de l’Union européenne et suivies notamment par les juridictions anglaises. De plus, la comparaison s’effectue à partir de l’enregistrement du modèle communautaire et non à partir de l’objet en cause117, dans le cas présent les valises à roulettes. Après avoir exposé les faits de l’espèce (1) ainsi que le raisonnement du juge de première instance (2), opposé à celui de Lord justice (3), qui s’appuient pourtant sur les mêmes précédents et sur les mêmes notions, on pourra souligner les particularités de la pratique judiciaire anglaise mais aussi les similitudes avec celles des juridictions françaises (4).

1 - La présentation synthétisée des faits et de la procédure 118

129 - Dans l’affaire étudiée, l’objet en cause est une valise à roulette destinée aux enfants. Elle se caractérise par trois grandes particularités. Premièrement, elle représente un animal à corne.

115Court of Appel of England and Wales, civil division, 28 février 2014, Magmatic Ltd v PMS InternationalLtd, , Voire l’article de Laure Marino, «Affaire Trunki; les juges anglais se font la malle», Propriété Industrielle, n°5, Mai 2014 116 Patrice de Candé « Les critères d’appréciation de la portée de la protection du modèle» Propriété intellectuelle n°3, mars 2010, étude 5 117 Cette solution est commune au droit Anglais et au droit français voire notamment CA de Paris, 15 décembre 2006, n°05/O8405 118 Cette présentation représente deux pages dans la décision de justice sur quatorze pages hors annexe

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Deuxièmement, les enfants peuvent s’assoir sur une assise fixée sur la valise et avoir ainsi l’impression de chevaucher cet animal. Enfin et troisièmement, grâce à la structure de la valise et notamment à la présence des roulettes, leurs propriétaires peuvent de se déplacer assis sur la valise en poussant avec leurs pieds. En 1998, M. Robert Law, le concepteur de la valise, la baptise Rodeo et s’inscrit à un concours qu’il remporte. Lors de la remise des prix, sa création est présentée à la presse et le modèle est ainsi divulgué pour la première fois au public. En 2003, un premier modèle commercialisable est élaboré et le créateur dépose alors une demande d’enregistrement de ce modèle au niveau communautaire avec une publication effectuée le 28 octobre de cette année. 130 - En janvier 2004, les valises sont commercialisées sous le nom de la marque « Trunki ». Elles sont produites et distribuées par la société Toyline International UK, à laquelle M.Robert Law accorde une licence pour deux années. Puis, en 2006, le créateur fonde la société Magmatic pour reprendre leur distribution. Il poursuit le perfectionnement de son produit sur le plan technique et esthétique. La valise devient ainsi un objet très ludique qui remporte un grand succès. 131 - Le directeur général de la société PMS, spécialisée dans le secteur « discount » du marché du jouet, découvre alors la fameuse valise. Séduit par ce concept innovant, Il lance en Chine, une production à bas prix de modèles similaires. En 2012, ces valises sont commercialisées sous la marque Kiddee Case, le principe étant le même les enfants peuvent s’assoir sur une assise et se déplacer grâce aux roulettes de la valise. Toutefois, cette dernière ne représente pas un animal à corne mais un tigre, un léopard, une vache, un cochon, une coccinelle ou une abeille. 132 - En 2013, la société Magmatic assigne en contrefaçon la société PMS pour la commercialisation des valises «Kiddee Case». La demanderesse estime que l’enregistrement du modèle délivré au niveau communautaire119 n’a pas été respecté. Il est soutenu que la structure de la Kiddee Case correspond aux 9 photos de la valise «Trunki» déposées dans le cadre de l’enregistrement du modèle communautaire. L’unique différence résiderait dans la représentation d’animaux différents. De plus, les droits relatifs à un modèle non enregistré au Royaume-Uni ainsi que les droits d’auteurs n’auraient pas été respectés.

119 Conformément au règlement 6/2002 relatif aux dessins ou modèles communautaires

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Après négociation120, le défendeur accepte de reconnaître comme fondée l’une des demandes relative au droit d’auteur du défendeur sur la valise. Toutefois, il maintient sa position sur l’ensemble des autres points. De plus, il avance que l’enregistrement du modèle au niveau communautaire protège la Kiddee Case mais ne permet pas de protéger le modèle plus ancien appelé Rodéo, présenté au public avant la valise Trunki. 133 - Le 11 juillet 2013, le juge Arnold, en charge de l’affaire, rend son jugement en donnant globalement raison à la société Magmatic121. Il considère que le défendeur a violé le modèle enregistré au niveau communautaire selon quatre des six arguments soulevés par le demandeur. En revanche, la violation du droit d’auteur est rejetée à l’exception de la demande reconnue par le défendeur, au début du procès. 134 - Un appel est interjeté par PMS, après son admission122 par le juge Arnold. La société considère que le juge a commis une erreur concernant la prétendue violation du CRD. L’appelant soutenait que le juge avait faussement interprété le CRD et exclus de manière impropre de ses considérations divers aspects particuliers du modèle de valise commercialisée sous le nom de marque Kiddee Case.

2 - Le raisonnement du juge de première instance r etenant la contrefaçon

135 - Suivant un raisonnement très structuré, le juge souligne que le modèle Rodéo ne peut bénéficier d’aucune protection (a) alors que le modèle Trunki peut y prétendre (c), le modèle Rodéo étant impuissant à écarter cette protection (d). Le juge poursuit en identifiant la personne pouvant être qualifiée d’utilisateur éclairé (b) et effectuant trois observations préalables à la comparaison (e) pour ensuite analyser le tableau comparatif en concluant à la contrefaçon (f)

a - Le modèle Rodéo tombé dans le domaine public

136 - Pour se prononcer, le juge effectue un certain nombre d’observations. Premièrement, après étude des faits particuliers de l’espèce, le juge Arnold estime que le modèle « Rodeo » qui précède celui de la valise « Trunki » ne bénéficie d’aucune protection. En effet, la valise Rodéo a été présentée au public lors d’une cérémonie de remise de prix en présence de professionnels du marché de la bagagerie. En conséquence, depuis cette date, ce modèle est la disposition du public.

120 L’importance de la négociation en Angleterre est exposée par Pascal Kamina « Pratique contentieuse Agir en contrefaçon en Angleterre et au Pays de Galles op citée, n°3 , Tanya Aplin - Jennifer Davis , Intellectual Property Law, Oxford université press, 2éd,2013, p 825 à 844 121 England and Wales Hight Court, 11 juillet 2013 122 Procédure : autorisation nécessaire pour porter l’affaire en appel

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b - L'identification de l’utilisateur éclairé

137 - Deuxièmement, il remarque que ces valises Rodéo, Trunki ou Kiddee Case, sont toutes conçues pour des enfants de trois à six ans. Au regard des destinataires et de leur jeune âge, Il émet alors quelques réserves à l’égard de l’application de la notion « utilisateur éclairé123» qui permet de se prononcer sur une éventuelle contrefaçon. Ces doutes sont partagés par le Lord Justice Kitchin. Toutefois, le juge Arnold observe qu’en réalité, cette notion doit être appliquée aux parents car ils procèdent à l’achat de la valise et contrôlent son utilisation par l’enfant.

c - La spécificité du modèle Trunki justifiant une protection

138 - Troisièmement, cette observation conduit le juge à s’intéresser au design de la valise et à apprécier la protection assurée par l’enregistrement du modèle au niveau communautaire. D’après le juge, il est certain qu’un utilisateur éclairé a connaissance de la diversité du nombre de valises à roulettes disponibles sur le marché. De plus, ces dernières sont habituellement très proches les unes des autres, au regard de leurs caractéristiques essentielles communes. En l’espèce, le produit est très innovant et le juge a donc estimé que la valise Trunki se détachait significativement de tous les modèles existants. Plusieurs spécificités justifient cette position du magistrat, il s’agit notamment de la présence de cornes, de la silhouette globale et du positionnement particulier des poignées de la valise permettant à l’enfant de s’y assoir. Au regard de ces différences significatives, le juge a considéré que le CRD offre une protection à la portée assez étendue.

d - Le modèle Rodéo impuissant à écarter la contre façon

139 - Quatrièmement, le juge a envisagé les impressions globales qui pouvaient être ressenties par l’utilisateur éclairé, en présence d’une part des valises Trunki et Rodeo et d’autre part des valises Trunki et Kiddee. La société PMS avance que l'utilisateur averti ne peut qu’éprouver un ressenti superposable dans les deux cas. A partir de cette constatation, la société PMS avançait un argument apparemment logique en matière de propriété intellectuelle. Même dans l’hypothèse où l’on admettrait que la Kiddee Case correspondrait à une copie de la valise Trunki, aucune poursuite pour contrefaçon ne serait envisageable. En effet, l’enregistrement de ce modèle Trunki, au niveau communautaire, devait être considéré comme invalide pour manque de nouveauté par rapport à la valise Rodeo.

123 Cette notion est également mentionnée par un arrêt de la CJCE du 22 juin 1999, dans les termes suivants, il s’agit « d’un consommateur moyen de la catégorie de produits concernée, censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé». Pour approfondir cette notion voir Hervé Bonnard et Gaelle Bloret-Pucci, « Contrefaçon de marques de fabrique, de commerce ou de service, Fascicule n°10 Jurisclasseur Pénal des affaires, mars 2014, n°21

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140 - Toutefois, le juge a rejeté cet argument en considérant que « l’utilisateur éclairé noterait aussi bien les similitudes que les différences existantes entre les valises Trunki et Rodéo, en les comparant en détail124 ». Le juge souligne que l’on ne peut se contenter de mettre en évidence que la valise Rodéo a été présentée au public avant l’enregistrement du modèle Trunki. En fait, il est nécessaire d’apprécier de quelle façon l’impression globale de l’utilisateur éclairé est affectée par ces similitudes et ces différences. Cette analyse conduit le juge à considérer que «Malgré la nouveauté du concept, l’apparence de la valise Rodeo est quelque peu grossière et démodée125 ». Il poursuit en considérant que « La valise Trunki était plus fine et sculptée et que la crête et les cornes formaient une part importante de son apparence. La valise Trunki apparaît considérablement plus sophistiquée et moderne que la Rodeo126 ». Dès lors, devant la valise Trunki, « l’utilisateur éclairé » a une vision globale de nouveauté qui ne permet donc pas à la société PSM de permettre de remettre en cause la validé de l’enregistrement de ce modèle.

e - Trois préalables à la comparaison entre la val ise Trunki et la Kiddee.

141 - Cinquièmement, avant de procéder réellement à la comparaison entre la valise Trunki et la Kiddee, le juge a effectué trois observations préliminaires, destinées à retenir ou à écarter certains éléments dans le cadre de la comparaison proprement dite. Ainsi, le juge a effectué un travail préparatoire louable car il a permis de mener la comparaison la plus fiable possible, dans un domaine où la subjectivité joue une très grande place. Tout d’abord, il souligne que le modèle de valise enregistré au niveau communautaire mentionne dans sa description une lanière amovible. Dès lors, la comparaison avec la valise Kiddee doit prendre en considération l’existence et les caractéristiques d’une telle lanière. Ensuite et à l’opposé, lors de l’enregistrement du modèle, aucune représentation du fond de la valise n’étant effectuée, cet élément ne doit pas selon le juge constitué un objet de comparaison. Sur ces deux premiers points, le demandeur et le défendeur se sont rangés à l’avis du magistrat.

124 La citation en anglais est la suivante « The informed user would notice both similarities and differences between the Trunki Case and the Kiddee Case when comparing them in detail » 125 La citation en anglais est la suivante « Despite the novelty of the concept, the appearance of the Rodeo is somewhat crude and old- fashioned » 126 La citation en anglais est la suivante« The Trunki Case is slimmer and more sculpted, and the ridge and the hornse form important parts of its appearance. The Trunki Case appears to be considerably more sophisticated and modern than the Rodeo »

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142 - En revanche, la troisième observation, concernant le design de la surface de la valise, a donné lieu à controverse entre les deux parties. Selon la société Magmatic, en l’absence de tout document graphique portant sur le design de la surface de la valise dans l’enregistrement, un tel élément de comparaison doit être écarté. A l’opposée pour la société PMS, cet aspect est fondamental. Le juge a retenu la position de la société Magmatic. En effet, il a estimé « qu’à partir du moment où le CRD concernait la forme d’une valise, la comparaison pertinente concernait la forme de la valise Kiddee et que tous les autres aspects du design des valises Kiddee devaient être ignorés127 ». Ce troisième et dernier point opposant les deux parties sera à la base de l’appel interjeté par la société PMS128.

f - La comparaison par un tableau de différences e t de ressemblances

143 - Une fois ces trois préalables posés, le juge se livre réellement à la comparaison en analysant le tableau des différences et des ressemblances établi par la société PMS. Point par point, le juge effectue ce travail sans laisser de côté un seul aspect évoqué par le défendeur. Il est à noter qu’une telle démarche est très rare dans la pratique judiciaire française. Ce travail minutieux repose sur les photographies déposées lors l’enregistrement du modèle et communiquées dans le cadre du procès: il conduit le juge a effectuer un raisonnement en cinq grandes étapes. Premièrement, il admet l’existence de différences mais note que la majorité de ces dernières ne sont pas aussi significatives que la société PMS le laisse entendre129. Deuxièmement, il rejette systématiquement les différences qui ne sont pas strictement relatives à la structure de la valise, comme la représentation d’animaux différents sur la valise Kiddee et ce conformément à sa prise de position préliminaire130. Troisièmement, le juge observe qu’un utilisateur éclairé pourrait noter les différences et les similitudes existantes entre les deux types de valises en les comparant en détail. Quatrièmement, il souligne toutefois que « ce qui importe c’est de savoir comment ces similitudes et ces différences affecteraient l’impression globale de l’utilisateur éclairé131 ».

127La citation en anglais est la suivante « Since the CRD was about the shape of a case, the relevant comparison concerned the shape of the Kiddee Case and that all the other aspect of the design of the Kiddee Case must be ignored» 128 Infra n°145 et s. 129 Voir Annexes pages 161 et 162 130 Supra n°142 131La citation en anglais est la suivante « What matters is how those similarities and differences would affect the informed user’s overall impression»

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Cinquièmement, le juge a admis l’existence de certaines différences, notamment quant à la zone sur laquelle l‘enfant peut s’asseoir et le mode d’incorporations des roulettes des valises. Mais, il considère que « néanmoins, il existe une ressemblance globale entre les modèles132 ». 144 - En définitive, ce travail rigoureux de comparaison a conduit le juge à retenir la contrefaçon, ce qui ne l’empêche pas dans sa démonstration de mentionner quelques hésitations et nuances soulignant la difficulté et la subjectivité de ce type d’affaire133. Il est incontestable que la lecture de la décision permet de comprendre parfaitement le raisonnement du magistrat exposé précisément, progressivement et exhaustivement. Dès lors, la conclusion apparaît pleinement justifiée. Le juriste français ne peut qu'apprécier cette démarche au regard des décisions des juridictions françaises parfois très peu motivées, notamment en matière de contrefaçon. Toutefois, cette pratique juridictionnelle n’empêche pas les procédures d’appel mais permet sûrement une meilleure chance d’évaluation du pourcentage de chance d’obtenir satisfaction en deuxième instance ainsi que de cibler l’argumentation de l’appelant. Le juge reteint toutes les similarités pointées par Magmatic sauf une relative, au positionnement des poignées des valises.

3 - Le raisonnement du Lord Justice écartant la co ntrefaçon en appel s’appuyant sur les même précédents

145 - Dans cette affaire, un appel est interjeté par la société PMS qui soutient que le juge a commis une erreur en se refusant à prendre en compte les représentations d’animaux différentes de la valise Kiddee de celles de la valise Trunki134. Lord Justice Kitchin, en charge de l’affaire, a d’abord indiqué que, pour répondre à l’appelant, il était nécessaire de commencer par préciser l’objet de l’enregistrement communautaire et la portée de sa protection (a). Le Lord Justice expose les précédents nécessaires à l’interprétation de l’enregistrement (b), il s’appuie sur ces derniers pour rejeter l’appréciation non globale du modèle effectuée par le juge (c). Toutefois, ce dernier voit confirmer la définition de la notion d’utilisateur retenu par le Lord Justice (d) mais rejette son application pour écarter la contrefaçon et retenir une position diamétralement opposée à celle du juge de première instance (e).

132La citation en anglais est la suivante « Nevertheless, there is an overall similarity between the designs » 133 Voir annexes pages 161 et 162 134 Voir Supra n°142 et n°143

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a - Des rappels sur l’objet et la portée de l’enre gistrement

146 - Ainsi, Lord Justice Kitchin effectue un certain nombre de rappels. Tout d’abord, l’enregistrement communautaire de dessin ou de modèle peut viser l’apparence de tout ou partie d’un produit. Il précise que cette dernière peut être définie par les contours, les formes, les couleurs, la texture du produit, cette liste n’étant pas exhaustive. De plus, une telle demande d’enregistrement requiert impérativement une représentation du modèle permettant sa production. Par ailleurs, il est possible d’accompagner les éléments précédents d’un document descriptif et explicatif concernant la représentation. Néanmoins, Il précise que ce document explicatif et complémentaire ne doit pas affecter « la portée de la représentation du modèle135». En d’autres termes, cette dernière doit être déterminée exclusivement sur la base de la représentation elle-même. Le document explicatif ne peut conduire à rajouter un élément supplémentaire aboutissant à étendre la protection de l’enregistrement, son rôle étant simplement d’expliciter par écrit la représentation du modèle. 147 - Les principes précédemment énoncés conduisent à s’interroger sur l’interprétation de la représentation du modèle et notamment sur la place à accorder aux couleurs. En fait, pour déterminer ces règles d’interprétations, il faut s’appuyer essentiellement sur les lignes directrices prévues par l’OHMI ou Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur. 148 - En effet, le Lord Justice relève immédiatement que les règles d’interprétation des couleurs sont particulièrement délicates. Il énonce alors un certain nombre de principes. Tout d’abord, il indique que la représentation peut être en noir et blanc ou en couleur. Ensuite, il précise que la représentation en noir et blanc doit être écartée dans deux hypothèses, soit dans le cas où les couleurs constituent un élément du modèle à protéger, soit lorsqu’elles font parties intégrantes du modèle. Egalement, lorsqu’une couleur monochrome est partie intégrante du modèle, sa représentation s’effectue en positionnant le modèle sur un fond de couleur uniforme différente, permettant de placer en relief la couleur du modèle. Toutefois, la démarche se complique lorsque l’élément caractéristique du modèle est constitué par le contraste des couleurs et non simplement par des couleurs particulières.

135 La citation en anglais est la suivante« the range of the representation of the design»

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b - L’exposé des précédents pour l’interprétation de l’enregistrement

149 - Après avoir exposé ces principes généraux, Le Lord Justice précise qu’ils ont été énoncés dans des décisions de la Haute Cour et de la Cour d’appel de cette juridiction et notamment dans le cas Procter & Gamble136 de 2006. Ainsi, dans un premier temps, il expose cette affaire est en détail dans les développements l’arrêt. Le Lord Justice indique que, dans ce cas, l’enregistrement communautaire concerne un modèle de vaporisateur dont la représentation est constituée par le dessin du vaporisateur réalisé en noir et blanc. En fait, le vaporisateur est blanc, ses contours sont dessinés en noir et des traits figurant sur le vaporisateur sont matérialisés en noir sur le dessin déposé. Le demandeur estimait que son modèle avait été contrefait par une société commercialisant un produit appelé « Air Wick ». Pour se prononcer sur l’éventuelle violation du modèle enregistré, une comparaison entre les deux produits s’impose. Le demandeur considérait que seules les formes des produits devaient être comparées. Le défendeur estimait que la comparaison, pour être pertinente, devait impérativement amener à observer son produit dans son ensemble et plus précisément en prenant en compte les couleurs. 150 - La résolution de cette affaire conduisait le juge à répondre à deux interrogations: quelle était l‘étendue de la protection du modèle enregistré ? Comment procéder à la comparaison entre les deux produits ? 151 - Le juge Lewison, en charge de l’affaire, a alors répondu que seuls les éléments du modèle figurant dans la représentation déposée dans le cadre de l’enregistrement pouvaient bénéficier d’une protection. Lors de la comparaison, il a poursuivi en écartant la prise en compte des couleurs et des motifs représentés sur le produit en cause. Ainsi, lors de la représentation du modèle, l’utilisation de la couleur noire est uniquement destinée à matérialiser la forme et les contours du modèle, la couleur blanche étant une couleur neutre. En fait, grâce à ces deux couleurs, la silhouette du produit à enregistrer est matérialisée nettement. Le juge en a déduit que l’enregistrement ne prévoyait aucune restriction de la protection du modèle à la couleur blanche. Dès lors, si les couleurs du produit prétendument contrefaisant sont utilisées pour se prononcer sur la contrefaçon, une telle démarche entraine la limitation de la portée de la protection du modèle à la couleur blanche. Ainsi, lors de la comparaison, il faut écarter la prise en considération de ces couleurs. En appel137, dans le cadre de la recherche de contrefaçon, le défendeur abandonne cette argumentation de la prise en compte d’une comparaison basée sur les couleurs et les motifs représentés sur son produit.

136 Procter & Gamble Co v Reckitt Benckiser (UK) Ltd de 2006, EWHC 3145.

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Le Lord Justice Jacob, en charge de l’appel, souligne que le défendeur a raison d’agir ainsi, car : « l’enregistrement est de manière évidente relatif à une forme. La comparaison pertinente est à réaliser par rapport à la contrefaçon de la forme. Les graphismes et les couleurs ne sont pas pertinents.138 » Après l’exposé très complet et précis de ce précédent139, Le Lord Justice Kitchin, en charge de l’affaire Trunki, affirme que toutes considérations lui paraissent justes. Il affirme alors que les éléments de faits apparaissent superposables et dès lors, ces considérations doivent être appliquées à l’espèce en cause. 152 - Dans un deuxième temps, Lord Justice Kitchin se réfère à l’affaire qui en 2012, opposa Samsung140 à Apple. La Société Apple reprochait aux tablettes Samsung’s « Galaxy » de contrefaire le modèle enregistré au niveau européen. Ce modèle Apple se caractérise d’une part par l’aspect épuré de son design et d’autre part par une couleur monochrome. En première instance, la demande de la Société Apple est rejetée. Pour justifier sa décision, le juge note l’existence d’une différence fondamentale entre les tablettes qui correspond à la présence du terme « Galaxy ». Plus précisément, il apparaît que la face avant de la tablette du défendeur présentait des sortes d’ornements, consistant dans l’inscription du nom de la marque, qui se distingue ainsi nettement de la tablette Apple épurée. 153 - Apple a alors interjeté appel, mais ce dernier est rejeté par Sir Robin Jacob. La demande de la société Apple est une nouvelle fois écartée car Sir Robin Jacob souligne que la société Apple avait elle-même admis qu’une caractéristique essentielle du modèle était l’absence totale d’ornementation. Il indiqua que l’utilisateur éclairé serait sensible à la présence, sur les deux côtés de la tablette, du nom de la marque Samsung. 154 - A la suite de l’exposé de ce cas, Lord Justice Kitchin souligne qu’un élément déterminant de cette seconde affaire est que l’absence d’ornementation présente sur les tablettes constitue une caractéristique essentielle du modèle déposé. Il faut rappeler que, dans le cas précédent, seule la forme du flacon était apparue déterminante, les dessins sur ce dernier étant écartés. Toutefois, le Lord Justice conclut à l’absence de contradiction entre les deux affaires citées car selon ce dernier « tout doit dépendre du modèle en question 141».

137 Procter & Gamble Co v Reckitt Benckiser, (2007) EWCA Civ 936 138La citation en anglais est la suivante «The registration is evidently for a shape. The proper comparison is with the shape of the alleged infringement. Graphics and coulors are irrelevant.» 139 Dans la décision de justice, l’exposé de ce précédent représente deux pages et constitue pour le juriste français une incise très longue dans la décision étudiée 140 Samsung Electronics (UK) Ltd v Apple Inc. (2013) 141La citation en anglais est la suivante «All must depend upon the concerned design»

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c - L’application des précédents pour rejeter une appréciation non globale du produit

155 - Après l’énoncé de ces précédents d’où découlent ces principes, Lord Justice Kitchin procède à leur application dans l’affaire en cause. Il constate qu’en première instance le juge a retenu que l’enregistrement du modèle Kiddee concerne exclusivement la forme de la valise et la comparaison ne doit dès lors concerner que celle-ci. En conséquence, les autres éléments sont écartés, pour apprécier l’impression globale créée par chaque valise. 156 - Lord Justice Kitchin estime alors que cette interprétation était erronée pour deux raisons. Premièrement, Lord Justice Kitchin observe que l’apparence d’animal à cornes de la valise Trunki découle de la forme de la valise mais aussi du fait que les côtés et la partie avant ne sont ornés d’aucun dessin ou motif susceptible d’interférer avec l’impression créée. Ainsi, la première erreur du juge est de ne pas avoir pris en considération la valise dans son ensemble comme ressemblant à un animal à cornes. Puis, Lord Justice Kitchin se rallie à la position du juge en considérant que la protection du modèle ne se limite pas à des couleurs particulières puisqu’il est simplement représenté en noir et blanc, comme dans l’affaire Procter & Gamble. Cependant, le Lord Justice remarque que chaque représentation de la valise présente des roues et une lanière dans un ton de gris qui contraste avec le reste du produit. L’objectif de ce contraste est-il de donner l’impression de l’existence d’éléments détachables du reste de la valise ? Après réflexion, il écarte cette hypothèse car les poignées ne sont pas représentées avec ce même contraste, alors qu’elles pourraient également être considérées comme des éléments détachables du corps de la valise. Dès lors, les roues sur la valise Trunki étant représentées avec une nuance particulière de gris et occupant les 4 coins de l’« animal », on doit les considérer comme un élément remarquable, caractéristique de ce modèle. En effet, lorsque l’on observe les roues de la valise Kiddee, on constate que ces roues sont encastrées et non pas mises en valeur, l’objectif étant au contraire de les faire disparaître. Le juge a donc commis une seconde erreur en se refusant à prendre en considération cette nuance de gris comme élément caractéristique.

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d - L’application du précédent pour confirmer la d éfinition de l’utilisateur éclairé

157 - En revanche, Lord Justice Kitchin adhère à la définition de la notion d’utilisateur éclairé, posée par le juge qui se base sur la démarche retenue dans le cas Samsung142. Dans cette affaire, les contours de cette notion sont précisés. Ainsi, premièrement est soulignée son importance lors de la recherche de l’établissement de la contrefaçon car l’interprétation des différences susceptibles d’exister entre deux modèles est réalisée du point de vue de l’utilisateur éclairé ou informé. Deuxièmement, il est précisé que les caractéristiques de cette notion ont été examinées en détail par la Cour de Justice de l’Union européenne143 . Ainsi, il est établi que l’utilisateur éclairé ou informé est : « l’utilisateur du produit dans lequel le modèle est intégré, il n’est pas un designer, un expert technique, un fabricant ou un vendeur144 » Cependant, « contrairement à la moyenne des consommateurs, il est particulièrement observateur145». Par ailleurs, « Il a connaissance du modèle et des caractéristiques normalement incluses dans les modèles existants dans le secteur concerné146». De plus, l’utilisateur éclairé ou informé « est intéressé par les produits concernés et montre un degré d’attention assez élevé quand il les utilise147». Enfin, il « ne perçoit pas seulement le modèle comme un tout, mais n’observe pas non plus en détails les différences minimales qui peuvent exister148 ». 158 - De plus, comme le juge de première instance, le Lord Justice Kitchin adhère au principe selon lequel l’impression globale produite sur l’utilisateur éclairé est un élément déterminant de la comparaison. Dans le cadre de la comparaison, Lord Justice Kitchin confirme ainsi que les deux modèles de valise doivent être pris en compte dans leur globalité. En définitive, sur les principes retenus, Lord Justice Kitchin estime que le juge n’a effectué aucune erreur pour mener la comparaison.

142 Samsung Electronics (UK)Ltd v Apple, Inc (2013) 143 PepsiCo v Grupo Promer (2012 FSR 5) aux paragraphes 53 à 59 et dans Grupo Promer v OHIM (2010 ECDR 7) 144 PepsiCo v Grupo Promer, paragraphe 62. La citation en anglais est la suivante « the user of the product in which the design is intended to be incorporated, not a designer, technical expert, manufacturer or seller » 145 PepsiCo v Grupo Promer, paragraphe 53. La citation en anglais est la suivante « Unlike the average consumers of trade mark, he is particularly observant.» 146 PepsiCo v Grupo Promer, paragraphe 59. La citation en anglais est la suivante « He has Knowledge of the design and of the features normally included in the designs existing in the sector concerned ». 147 PepsiCo v Grupo Promer, paragraphe 59. La citation en anglais est la suivante « Is interested in the products concerned and shows a relatively high degree of attention when he uses them » 148 PepsiCo v Grupo Promer, paragraphe 59. La citation en anglais est la suivante «Neither merely perceives the designs as a whole, nor observes in detail minimal differences which may exist».

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e - L’application du précédent pour rejeter l’appl ication de la notion d’utilisateur éclairé par le juge de première instance

159 - Cependant, il a considéré que le juge avait commis deux erreurs dans l’application de ces principes au cas présent. Premièrement, Lord Justice Kitchin a considéré que le juge n’avait pas réellement mené une comparaison globale. En effet, selon Lord Justice Kitchin le modèle enregistré « est clairement prévu pour créer l’impression d’un animal à cornes. Il s’agit d’une de ses caractéristiques essentielles149 ». Dès lors, il estime qu’une comparaison globale des deux modèles de valise aurait du prendre en considération cette impression. Or, selon Lord Justice Kitchin, cette dernière est induite par « des caractéristiques apparaissant sur l’avant et les côtés des modèles150 ». Par exemple pour la « version insecte » de la valise Kiddee, le Lord justice a considéré que l’impression donnée par sa forme était « clairement influencée par les deux tons de couleur employés sur le corps de l’insecte ainsi que par les taches sur ses flancs151». Il indique « qu’en conséquence la valise ressemblait à une coccinelle152 ». A partir de ces différentes observations, Lord Justice Kitchin conclut que l’impression globale donnée par la « version insecte » de la valise Kiddee est totalement différente de celle produite par le modèle enregistré Trunki. Ainsi, il a considéré que le juge avait commis une erreur en excluant de la comparaison entre les valises, « Les décorations utilisées sur le modèle incriminé (…) parce qu’elles ont un impact déterminant sur la manière dont la forme elle-même attire l’oeil, et sur l’impression générale qu‘elle donne153 ». Lord Justice Kitchin suit le même raisonnement pour « la version animal» de la valise Kiddee, et il effectue la même conclusion. Ainsi, selon lui « le modèle incriminé produit une impression très différente du modèle Trunki, enregistré au niveau communautaire154. 160 - La seconde erreur concerne le contraste de couleur entre les roues et le corps de la valise Trunki.

149 La citation en anglais est la suivante : « Is clearly intended to create the impression of a horned animal. This is plainly one of its essential features » . 150 La citation en anglais est la suivante : « The features appearing on the front and sides of the design.» 151 La citation en anglais est la suivante : « Clearly in fluenced by the two tone colouring of the body of the insect and the spot on its flanks». 152 La citation en anglais est la suivante : « As a result it looks like a ladybird and the handles on its forehead look like antennae.» 153La citation en anglais est la suivante : « Decoration used on the accused design (...) because it significantly affects how the shape itself strikes the eye, and the overall impression it gives.» 154 La citation en anglais est la suivante : « The accused design produces a very different impression from that CRD (Community Registered Desing)»

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En effet, Lord Justice Kitchin considère qu’en raison de ce contraste de couleur, les roues peuvent être considérées comme un élément caractéristique de la valise Trunki. Or, elles sont présentées de manière totalement différente sur le modèle incriminé. En conséquence, Lord Justice Kitchin estime que cet élément supplémentaire aurait du être pris en considération, lors de la comparaison globale des deux modèles de valise. 161 - Au vu de ces erreurs, Lord Justice Kitchin a alors déclaré qu’il appartenait à la Cour de donner sa propre opinion. D’abord, Lord Justice Kitchin rappelle que, selon lui, les deux modèles de valise produisent des impressions globales réellement différentes sur l’utilisateur éclairé. Toutefois, il commença par indiquer qu’on ne pouvait pas ignorer l’existence de similarités entre les deux modèles. Néanmoins, Lord Justice Kitchin a considéré que ces similitudes ne pouvaient faire oublier des différences plus importantes155. Ainsi, il remarque que la valise Kiddee est asymétrique et beaucoup plus arrondie que la valise Trunki. De plus, le modèle incriminé n’a ni crête, ni d’inscription du nom de la marque. A l’opposé, on retrouve ces éléments sur la valise Trunki. De même, sur les valises Trunki, il existe une avancée placée sur le bas de la valise qui sert de frein, cet élément ne figuant pas sur les valises Kiddee. En outre, l’impression globale qui se dégage des deux modèles est très différente. L’impression créée par la valise Trunki est celle d’un animal à cornes. C’est un modèle épuré et stylisé avec une apparence globalement symétrique. A l’inverse, le modèle des valises Kiddee est léger et plus arrondi. Egalement, on peut noter que ce modèle évoque un insecte avec des antennes ou un animal avec des oreilles et non des cornes. Dès lors, sur le plan des détails comme sur le plan général, les valises Kiddee donnent une impression très différente de celle des valises Trunki. 162 - En définitive, Lord Justice Kitchin n’a pas retenu la contrefaçon car le modèle de Kiddee génère une impression globale différente de celle des valises Trunki. La société Magmatic a tenté de porter l’affaire devant la Cour Suprême mais l’autorisation de pourvoi a été rejetée156.

4 - Une démarche conceptuelle française et factuel le anglaise relativement proches

163 - A la lumière de l’étude détaillée de cas, on peut constater que le principe du précédent n’empêche pas une juridiction du second degré de rendre une solution diamétralement opposée à celle du juge de première instance. En effet, dans un premier temps, la contrefaçon est admise pour ensuite être rejetée.

155 Voir Annexes en pages 163 et 164 156 Court of Appeal of England and Wales, civil division, 10 avril 2014, Magmatic Ltd v PMS International Ltd:

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Ce genre de situation se retrouve très fréquemment en droit français. On peut notamment citer en matière littéraire, l’affaire de la Bicyclette bleu157 dans le cadre de laquelle les juridictions compétentes alterneront pas moins de quatre fois le rejet ou l’établissement de la contrefaçon. 164 - De même, ce principe ne semble pas protéger des divergences d’appréciation des magistrats notamment comme celles effectuée dans l’affaire Trunki et Samsung158 qui tour à tour écartent et retiennent l’importance de la présence de graphisme sur l’objet en cause159. Ainsi, ces constations conduisent au même sentiment d’aléa juridique, ressenti en France en présence de l’application de la règle législative, qui est très difficilement perçue par le justiciable et peut le conduire par découragement à renoncer à une procédure en contrefaçon. 165 - Toutefois, l’avantage notable de la pratique judiciaire anglaise est constitué par une présentation très détaillée, étape par étape du raisonnement du juge et du Lord justice et ce à l’opposé de celle des juridictions françaises qui sont incontestablement plus délicates à interpréter. Une telle constatation est surement à l’origine actuelle des difficultés de l’exportation de notre droit. Par ailleurs, il faut souligner que dans la recherche comparative, les ressemblances et les différences entre les deux modèles sont étudiées avec la même attention, la contrefaçon étant écartée par Lord justice car les différences l’emportent sur les ressemblances. Il n’est pas certain qu’une juridiction française aurait rejeté la contrefaçon qui pourtant s’appuie sur les mêmes notions et principes.

157 L’affaire de la bicyclette bleu, roman de Régine Deforges durera sept longues années ponctuées de nombreux revirements. Régine Deforges est poursuivie par les héritiers de Margaret Mitchell qui lui reprochent la contrefaçon d’Autant en emporte le vent. En première instance, cinq millions de francs sont demandés à Régine Deforges et à son éditeur. Le 6 décembre 199 du Tribunal de Grande Instance de Paris prononce un jugement prévoyant le versement de deux millions de francs au titre de dommages et intérêts. Ce jugement est infirmé par la Cour d’appel de Paris, en novembre 1990. La Cour de cassation casse considérant l’arrêt insuffisamment motivé et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles. Par une décision du 15 décembre 1993, la Cour d’appel de Versailles a alors écarté la contrefaçon. 158 Samsung Electronics (UK) Ltd v Apple Inc. (2013, EWCA Civ 1339). 159 Les graphismes représentant notamment les points de la coccinelle, le zébrure sur les flancs du tigre ou encore ses moustaches.

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Il s’agit ainsi de la même notion d’utilisateur éclairé, de ses caractéristiques posés par la Cour de Justice européenne160 et de la même définition de la contrefaçon de modèle correspondant à la reproduction identique ou similaire du produit161. De plus, la base de la comparaison est exactement la même puisqu’elle se réalise à partir de l’enregistrement et non de l’objet commercialisé lui-même162. Mais, en s’appuyant sur ces fondements communs, la jurisprudence française considère que les ressemblances doivent l’emporter sur les différences163. Elle considère que, dans le cas contraire, il s’agirait d’une justification trop facile permettant de se soustraire à la contrefaçon. Il serait peut-être alors intéressant de s’inspirer des tests mis en place aux Etats-Unis permettant d'établir la contrefaçon en essayant d’introduire une plus grande objectivité dans une matière éminemment subjective. 166 - Enfin, la solution retenue dans cette affaire peut être confrontée à la notion française de parasitisme qui relève de la concurrence déloyale et qui se définie comme : « Un ensemble de comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profits, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir faire164». En présence d’une espèce similaire à ce cas Tunki, en France, il est probable que le demandeur aurait poursuivi le défendeur pour contrefaçon et parasitisme. En se livrant à une projection judiciaire, on peut imaginer que les juridictions auraient écarté la contrefaçon mais retenu le parasitisme et engagé la responsabilité civile du défendeur. Il faut noter que cette notion de parasitisme n’existe pas en droit anglais, l’explication de son absence réside surement dans la logique anglaise qui laisse une plus grande place à la liberté de création partant du principe que tout est un éternel recommencement. Dans l’affaire étudiée, la solution retenue par le Lord Justice en est d’ailleurs une parfaite illustration. En outre, cette position se retrouve logiquement dans la place qui est accordée à la bonne foi en droit anglais, pour écarter la sanction en matière de contrefaçon, alors que le législateur français n’effectue pas cette distinction.

160 PepsiCo v Grupo Promer (2012 FSR 5) aux paragraphes 53 à 59 et dans Grupo Promer v OHIM (2010 ECDR 7) 161 Conseil de l’Union Européenne, Article 10 du Règlement n°6/2002, 12 décembre 2001, sur les dessins et les modèles communautaires 162 CA de Paris, 15 décembre 2006, n°05/O8405 163 « L’appréciation de la contrefaçon par rapport aux ressemblances et non aux différences est une exigence commune à toutes les propriétés intellectuelles et se justifie, ici comme ailleurs par le soucis d’éviter la fraude et la dissimulation des emprunts grâce à quelques modifications mineures (V. rappelant ce principe, parmi d’innombrables arrêts CA Paris, 8 avril 2011; CA Paris, 16 octobre 2009» Emmanuel Dreyer, Procédure et sanctions - Contrefaçon. Eléments constitutif, Jurisclasseur, Septembre 2014n°21 164 Cass.com 26 janvier 1999, n°96-22457, François Greffe « Concurrence déloyale et concurrence parasitaire » Fascicule n°3495, n°93, 25 novembre 2012

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Ainsi, en matière d’établissement de contrefaçon, ce n’est pas l’existence de notion de différence ou de la mise en oeuvre du principe du précédent qui creusent l’écart entre la pratique des juridictions anglaises et françaises. Nous pensons que la distinction essentielle réside dans une perception différente du rapport d’équilibre entre la liberté de création et la protection des droits de propriété intellectuelle.

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Chapitre 2 : Une efficacité des moyens de lutte fra gilisée par un manque d’harmonisation

167 - A la lecture de différents rapports, il apparaît que l’efficacité des moyens de lutte est fragilisée par une harmonisation imparfaite. Ainsi, sur le plan européen, une harmonisation voire une uniformisation totale des droits de propriété intellectuelle permettrait une meilleure appréhension par les juridictions de ce fléau. Par ailleurs, la double complexité économique et juridique de la contrefaçon plaide en faveur de juridictions et de magistrats spécialisés qui seraient alors aptes à mieux comprendre l’impact du phénomène sur le secteur industriel concerné. Ils pourraient ainsi accorder une indemnisation en adéquation avec les justes attentes des victimes de contrefaçon. De plus, cette spécialisation favoriserait notamment l’harmonisation de l’indemnisation en Angleterre et en France, mais aussi sur l’ensemble du territoire européen (section 1). 168 - De plus, pour optimiser leurs actions, les contrefacteurs jouent encore sur les différences qui existent entre les droits nationaux au sein de l’Europe. Toutefois, l’harmonisation n’est pas une mission facile, elle peut sembler parfois atteinte, malgré tout en pratique, on constate la persistance de différences notables. Pour illustrer ces propos, nous présenterons l’introduction des droits moraux au sein du droit anglais en matière de droit d’auteur. Cet exemple apparaît particulièrement intéressant pour un comparatiste, car les droits moraux sont une construction du juriste continental et en particulier du législateur français. Il est alors très instructif d’analyser leur délicate introduction en droit anglais. Il ne s’agit que d’un simple exemple, mais il permet au comparatiste de prendre conscience des efforts requis dans le cadre de toute tentative d’harmonisation et des résistances à dépasser (section 2).

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Section 1 : Entre un besoin de spécialisation des juridictions et d’uniformisation des droits protégés

169 - Ainsi, nous envisagerons l’harmonisation des droits de propriété intellectuelle (I) qui doit être associée à la spécialisation des juridictions et des magistrats (II) pour assurer une lutte plus efficace contre la contrefaçon.

I Harmoniser les droits de propriété intellectuell e pour renforcer leur protection

170 - L’harmonisation réalisée en matière de marque et de dessins et de modèles est de nature à favoriser la protection de ces droits de propriété intellectuelle contre la contrefaçon (A). A l’opposé, les difficultés d'harmonisation en matière de brevet et de droit d’auteur génèrent une fragilisation (B). Incontestablement, l'harmonisation permet à tout titulaire du droit de propriété intellectuelle une meilleure appréhension de ses prérogatives. Elle améliore la lutte contre le contrefacteur qui joue sur les différences de législation d’un pays à un autre pour échapper aux poursuites civiles ou pénales.

A - Une double harmonisation européenne parfaiteme nt réalisée

171 - En matière de marque (1) et de dessins et de modèles (2), le droit européen a permis l’uniformisation de ces deux droits, par l’instauration notamment d’un titre européen, reconnu sur l’ensemble du territoire des Etats membres.

1 - Le droit des marques, la première unification

172 - Actuellement, des marques nationales et une marque européenne coexistent (a) mais dans tous les cas, le respect des prescriptions européennes s’imposent (b), la Cour de justice de l’Union européenne jouant un rôle important dans ce domaine (c).

a - La coexistence d’une marque européenne et nati onale

173 - Les acteurs économiques, producteurs et distributeurs, ne se sont pas trompés sur l’enjeu financier que représentent les marques et sur la nécessité d’assurer tout particulièrement leur protection. Ainsi, l’unification des droits nationaux s’impose rapidement et dès 1988, le législateur européen a initié cette harmonisation avec la Directive européenne du 21 décembre 1988165. Cinq ans plus tard, la marque communautaire a été crée par le règlement du 20 décembre 1993166. Dès lors, deux types de marque coexistent, des marques nationales et une marque européenne.

165 Directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 166 Règlement 40/94/CE, du 20 décembre 1993

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Cette dernière est régie par un texte dénommé le RMC: il s’agit du règlement sur la marque communautaire qui n’est pas soumis à transposition, car il est d’application directe.

b - Le nécessaire respect des prescriptions europé ennes

174 - En droit français, l’article L713-2 et L713-3 du Code de la propriété intellectuelle pose deux interdictions. La première concerne la reproduction, l’usage ou l'apposition d’une marque. La seconde se dédouble en deux prohibitions, l’objectif étant d’éviter tout risque de confusion. Ainsi, sont proscrits, au premier alinéa, la reproduction, l’usage ou l’apposition de marque ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou des services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement. Au deuxième alinéa, sont visées l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée. 175 - Malgré les différentes transpositions et l'ordonnance du 25 juillet 2001 destinée à prendre en considération l’interprétation par la Cour de justice de la Directive de 1989, le droit français n’est toujours pas en parfaite adéquation avec les dispositions européennes. Il n’en demeure pas moins que la contrefaçon de marque est soumise au respect des prescriptions des textes européens. Selon le principe d’interprétation conforme, l’application de la loi française doit s’effectuer conformément à la jurisprudence européenne.

c - L’élaboration de « case law » par la Cour de justice de l’Union européenne

176 - On a pu constater précédemment que le droit des marques est un exemple d’européanisation167. Il est alors intéressant de souligner le mode de fonctionnement du législateur européen et de la Cour de justice de l’Union européenne. Le premier élabore les bases législatives alors que la seconde garantit son évolution par l’élaboration de véritable « case law168 ». Ainsi, on peut citer l’affaire Chanel, dans laquelle la maison de couture emblématique confie à un distributeur la commercialisation de sa production en lingerie dans le cadre d’un contrat de distribution exclusive. Le distributeur, placé en redressement judiciaire, décide de vendre à un soldeur les produits de la marque Chanel. La maison de couture s’y oppose en estimant qu’en agissant ainsi, il dévalorise l’image de la marque et que ce comportement peut être assimilé à une contrefaçon.

167 Supra n° 172 et s. 168 Laure Marino, Droit de propriété intellectuelle, Thémis, Droit, PUF, n° 189, les nouvelles fonctions de la marque, p 369 et s.

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La Cour de justice européenne retiendra cette analyse créant un nouveau cas de contrefaçon par usage169. Cette décision nous semble opportune, car elle renforce l’efficacité et le respect de ce mode de commercialisation, parfaitement adapté à ce type de produit de luxe, dont l’image d’exception doit être préservée170.

2 - Les dessins et modèles, la deuxième harmonisat ion

177 - Dans ce domaine, le législateur européen joue un rôle déterminant, car il a réussi à harmoniser les droits nationaux, en gommant les fortes disparités qui existaient entre eux. Cette harmonisation est intervenue à la suite des dispositions concernant le droit des marques, plus précisément dix après la directive européenne du 21 décembre 1988. Elle a été réalisée grâce à la directive européenne du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins et des modèles. Les seules difficultés ponctuelles concernaient les liens entretenus avec le droit auteur. Pus précisément, elles portaient sur la question du cumul de ces deux droits de propriété intellectuelle. La France, où le droit d’auteur est une construction juridique particulièrement élaborée, a été à l’origine de ces distinctions (a). Puis, un titre européen a été crée finalisant cette harmonisation (b).

a - La résolution du résolution du cumul de deux d roits

178 - L’article 17 de la directive de 1998 règle le problème du cumul, ce dernier est autorisé mais le texte accorde une grande marge de manoeuvre aux Etats. En effet, il prévoit que : « Un dessin ou modèle ayant fait l’objet d’un enregistrement dans un ou pour un Etat membre, conformément aux dispositions de la présente directive, bénéficie également de la protection accordée par le législateur sur le droit d’auteur de cet Etat à partir de la date à laquelle le dessin ou le modèle a été crée. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminés par chaque Etats membres ». Une ordonnance du 25 juillet 2001 a transposé cette directive en droit français qui doit depuis s’interpréter à partir de ce texte européen.

b - L’instauration d’un titre européen

179 - De plus, le règlement 6/2002 du 12 décembre 2001171 des dessins et des modèles communautaires a instauré le dessin ou le modèle communautaire reconnu par l’ensemble des Etats européens.

169 CCE 2011, Chanel Cass. com 4 octobre 2011 170 Supra n° 46 et s. 171 CE règlement est habituellement désigné par l’abréviation suivante : RDMC

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Dans son article premier, le préambule du règlement souligne que ce titre européen bénéficie d’une protection uniforme sur tout le territoire de la communauté, l’objectif essentiel du traité. 180 - Toutefois, il faut reconnaître que, malgré cette européanisation des dessins et des modèles, les créateurs hésitent dans certains secteurs économiques à procéder à cette démarche. Cette hésitation s’explique car l’utilisation du modèle peut être éphémère, notamment dans l’industrie du luxe et de la mode172. Par ailleurs, paradoxalement, le dépôt peut nuire par lui-même aux dessins ou aux modèles, car il introduit une notion de publicité, qui permet au contrefacteur ou au simple concurrent, de bénéficier d’une source d’information précieuse. Certains préfèrent alors recourir à la protection du droit d’auteur auquel le dessin ou modèle peut prétendre, après que le styliste ait rapporté la preuve de l’originalité et de l'antériorité.

B - Un effort d’harmonisation en cours de réalisat ion

181 - La mondialisation des échanges, le développement du marché européen et la place de plus en plus prépondérante du commerce électronique sur internet font ressentir la nécessité d’une harmonisation des brevets et du droit auteur. Toutefois, à la différence des marques et des dessins et des modèles, les brevets et le droit d’auteur ne bénéficient pas d’une protection uniformisée, le législateur européen rencontrant plus de difficultés avec le droit auteur (1) qu’avec les brevets (2).

1 - Le droit des brevets

182 - En matière de brevet, on constate l’absence de titre européen (a) mais le demandeur à la possibilité de procéder à un dépôt européen (b).

a - L’absence d’un titre européen

182 - Pour l’instant, il n’existe pas de brevet européen, le titre délivré à l’issue la procédure de dépôt étant strictement national. Selon le principe de la territorialité, il n’est reconnu que sur le territoire de l’Etat où le titre a été délivré. Dès lors, le brevet déposé en France sera strictement soumis à la législation nationale française et il en sera de même quel que soit l’Etat où le brevet aura été reconnu.

172 Supra n° 111

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183 - Toutefois, un secteur économique particulier, l’industrie pharmaceutique bénéficie d’une situation dérogatoire. En effet, le règlement du 18 juin 1992173a instauré un certificat complémentaire de protection, désigné par l’abréviation CCP. Il s’agit d’un titre européen qui complète le brevet, plus précisément le prolongeant. Dans un premier temps, le brevet est accordé pour une durée de vingt années. Cependant, on a pu constater que l’obtention des autorisations de mise sur le marché174 nécessitait des délais particulièrement longs qui réduisaient d’autant l’exploitation du brevet par son titulaire. Dès lors, au niveau européen, a été instauré un CCP qui permet une prolongation d’exploitation pour une durée de cinq années à partir de l’option de l’AMM.

b - L’établissement d’un dépôt européen

184 - Malgré cette absence de titre européen, on assiste à des efforts d’harmonisation, notamment avec la possibilité de recourir à un dépôt effectué, non sur le plan national mais sur le plan européen. La demande de dépôt est alors réalisée auprès de l’OEB et permet de faciliter grandement les démarches, puisqu’une demande unique offre la possibilité d’obtenir un titre dans les 38 Etats membres de cet organisme. Il est possible d’étendre encore le nombre de titres en recourant à un PPC qui permet l’obtention de 144 titres dans les 144 Etats relevant de la PPC. L’option dépasse alors le cadre européen pour devenir mondiale.

2 - Le droit auteur, une européanisation en deveni r

185 - Le droit d’auteur n’a pas atteint le niveau d’européanisation du droit de propriété des marques mais il existe une volonté certaine d’harmonisation de l'ensemble des droits d’auteur. Pour preuve de cette détermination, on peut mentionner le projet de code européen du droit d’auteur intitulé « European Copyright Code ». Ce travail, présenté en mai 2011, a permis de prendre conscience de l’existence de deux conceptions distinctes au sein des pays européens. En effet, coexistent, au sein de l’Europe, le droit auteur et le copyright. 186 - Toutefois, le législateur et le juge européen travaillent à cette harmonisation par étape progressive. On peut citer notamment, la Directive Société de l’information de 2001 sur l’Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société d’information175.

173 Règlement du 18 juin 1992, 1768/92/CEE 174 L’abréviation consacrée est AMM 175 Directive 2001/29/CE

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II Pour une spécialisation des juridictions et des magistrats

187 - Pour lutter contre la contrefaçon, une spécialisation des juridictions nationales ainsi que de leurs magistrats apparait comme une arme efficace. Toutefois, il faut noter que ce degré de spécialisation est sensiblement différent au sein des systèmes juridiques français (A) et anglais (B).

A - Un début de spécialisation du système judiciai re français

188 - Une amorce de spécialisation se réalise avec une limitation de la compétence materiae lors d’une action en contrefaçon à une dizaine de juridictions sur le territoire (1). Toutefois, il faut constater l’absence d’une réelle formation spécifique des magistrats (2).

1 - Une répartition des litiges entre certaines ju ridictions

189 - Pour étudier la répartition des litiges entre juridiction, il faut distinguer entre les titres de propriétés intellectuelles nationaux (a) et européens (b). On constate alors une spécialisation nettement marquée lorsqu’il s’agit de titre européenne.

a - Les litiges sur des titres nationaux de propri été intellectuelle

190 - En matière de propriété intellectuelle, le système judiciaire français se caractérise en première instance, par une répartition des conflits entre le Tribunal de Grande Instance de Paris et huit autres Tribunaux de Grande Instance. Ainsi, une procédure de contrefaçon de brevet national relève exclusivement du Tribunal de Grande Instance de Paris176. L’appel est exercé devant la Cour d’appel de Paris. Une action en contrefaçon de marque, de dessin ou modèle et de droit d’auteur est susceptible d’être exercée en fonction de la compétence territoriale devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Mais, sont également compétents de Bordeaux, de Lille, de Lyon, de Nanterre, de Nancy, de Rennes, de Strasbourg et enfin ceux de Fort- de-France177. Les cours d’appel correspondant à ces juridictions sont alors saisies pour traiter des appels interjetés des jugements rendus par ces dernières. 191 - Il est à noter qu’à la différence du système anglais, le montant financier en jeu, dans le cadre du litige n’entraine pas une répartition particulière devant les tribunaux, comme dans le système judiciaire anglais avec la création des Patents County Court178.

176 Article D.211-6 du Code de l’organisation judiciaire 177 Article D.211-6-1 du Code de l’organisation judiciaire 178 Infra n° 199

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Par ailleurs, il faut noter une certaine décentralisation qui permet une justice de proximité diminuant le coût de la procédure. Toutefois, grâce au juge itinérant, le système judiciaire anglais obtient un résultat superposable avec une meilleure unification et une spécialisation du règlement du contentieux179. Enfin, il n’existe pas un troisième degré de juridiction180 comme en Angleterre, mais la possibilité d’exercer un pourvoi en cassation quel que soit le droit de propriété intellectuelle en cause.

b - Des litiges sur des titres européens de propri été intellectuelle

192 - En présence des titres européens de droit de propriété intellectuelle, la Communauté européenne impose aux Etats membres de désigner une juridiction compétente, pour traiter des litiges éventuels les concernant. En France, ces titres sont la marque européenne et le modèle européen et relèvent ainsi du Tribunal de Grande Instance de Paris dont la compétence est exclusive. 193 - Enfin, il faut mentionner l’existence d’un accord JUB, Juridiction Unifiée des Brevets181. Cet accord a été conclu le 19 février 2013 à Bruxelles, il entrera en vigueur après la ratification de 13 Etats signataires. La création d’une nouvelle juridiction est prévue par cet accord : elle sera en charge du règlement des litiges liés aux brevets nationaux découlant d’une procédure de délivrance de l’Organisme européen des brevets (OEB). Le droit européen devra être appliqué par la JUB et respecter notamment la règle de primauté. Cette juridiction, qui siègera au Luxembourg, sera composée d‘un tribunal de première instance et d’une Cour d’appel.

2 - Les freins de la spécialisation

194 - Un certain nombre d’avancée témoignent d’un effort de spécialisation du système judiciaire français, comme la création d’un pôle de juridiction spécialisé au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris. Il n’en demeure pas moins que, pour l’instant, ces avancées restent restreintes, en particulier en raison de l’absence de spécialisation des magistrats eux-mêmes. 179 Infra n° 204 180 Infra n° 205 181 David Masson « Le brevet unitaire- Il faut saisir la balle au bond» JCPE, n°21-22, 22 mai 2014. Cet article présente notamment l’organisation de cette nouvelle juridiction. Séverine Kupfer « Sept ans de réflexion: une période transitoire pour lever les doutes des justiciables de la future juridiction unifiée du brevet», Propriété industrielle n°5, Mai 2014, étude 14

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195 - Pourtant, le Président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, Alain Lacabarats182, a eu l’occasion de se prononcer en faveur de cette dernière dans les termes suivants : « L’institution judiciaire ne peut (...), que trouver avantage à la spécialisation des juges, en raison de la complexité croissante du droit et des questions juridiques ou autres soumises à l’appréciation des juges ». Il poursuit en précisant qu’elle « garantit la crédibilité du juge, dont la compétence particulière est de nature à inspirer confiance, et l’efficacité de son action ». De plus, elle lui permet « de traiter plus rapidement et avec une plus grande rigueur juridique les litiges dont il est saisi ». 196 - Toutefois, il souligne qu’elle nécessite une mobilisation financière importante pour l’instauration de technologies avancées et de formations de pointe. Par ailleurs, Alain Lacabarats met en garde contre l’instauration d’un « corps particulier de juges spécialisés183 ». Il craint la création de distorsion et d’une situation privilégiée de ces juges spécialisés au regard notamment de la progression de leur carrière vis à vis des juges ordinaires. Egalement, il redoute « la réduction des juridictions compétentes184 » et il cite comme exemple le domaine de l’action en contrefaçon. Pourtant, au regard des avantages apportés par la spécialisation des juridictions et des magistrats, il nous apparaît que ces craintes doivent s’effacer pour permettre une lutte efficace contre un des comportements illicites les plus préoccupants de notre époque. Les juges comme l’ont déjà réalisé les avocats doivent se spécialiser pour répondre au mieux aux attentes des justiciables.

B - Une tradition anglaise de spécialisation

197 - En matière de droit de la propriété intellectuelle et de contrefaçon, pour la détermination des compétences des juridictions, le droit anglais est parti d’un double constat. Premièrement, au sein de l’Union européenne, un effort d’harmonisation de certains aspects de l'application des droits de propriété intellectuelle a été réalisé, les conflits devant révéler de la compétence des juridictions nationales.

182 Réponse effectuée au Conseil consultatif des juges européens, propos cités dans l’Etude comparée sur les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, p19 et p20 183 idem 184 idem

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Deuxièmement, la très grande majorité des recours sont exercés devant les juridictions civiles, les parties ne marquant qu’un intérêt extrêmement limité pour la procédure pénale. Dès lors, certaines juridictions du Royaume-Uni ont été désignés pour traiter en particulier des titres européens de propriété intellectuelle tels que les marques communautaires (CTMs) et les dessins et modèles communautaires (2). Par ailleurs, un effort de spécialisation a été réalisé dans le cadre des juridictions civiles (1).

1 - Des juridictions civiles centralisées et spéci alisées 185

198 - Les juridictions civiles anglaises sont traditionnellement très fortement centralisées, avec de plus, une spécialisation des juridictions (a) et des magistrats (b) dans le domaine de la contrefaçon.

a - Une répartition des compétences selon le droit de propriété concerné

199 - En première instance, la nature précise du droit de propriété intellectuelle conduit le justiciable à choisir la juridiction compétente. Ainsi, depuis 1990186, il faut distinguer selon que l’on est en présence de brevets, de dessins et modèles, de droit d’auteur ou de marques. En effet, en 1988, les Patents County Courts, en français, les Tribunaux des Comtés des Brevets, ont été créés par Le Copyright, Designs and Patents Act et mis en place en 1990. Ils ont été conçus pour offrir une alternative, plus rapide et moins coûteuse à l’action intentée devant la Patent Court qui est la Cour des brevets. Toutefois, un juge de Patents County Court peut transférer une affaire à la Patent Court, dans l’hypothèse où l’espèce pose un problème de droit important. Il agira de même en présence d’une affaire particulièrement complexe. 200 - Dès lors, dans les trois premiers cas, pour des affaires financières limitées, les Patents County Courts sont compétentes mais lorsque le montant est plus élevé les Patents Courts sont saisies. En matière de marques, dans tous les cas, quels que soient les enjeux financiers, les litiges sont portés devant la High Court. 201 - Toutefois, il faut apporter une précision importante en soulignant que trois divisions composent High Cour, il s’agit de la Qeen’s Bench Division, de la Family Division et de la Chancery division. Ainsi, en matière de marque, la juridiction compétente est la Chancery Division de la High Cour.

185 Relevant Courts ou Cours compétentes 186 Le Copyright, Designs and Patents Act

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b - Des conseillers en propriété intellectuelle et des juges hautement spécialisés

202 - Devant les Patents County Courts, il est possible pour les parties de recourir à des « Patent agents » qui sont des conseillers en propriété intellectuelle. Le recours à ces derniers présente un double avantage. D’une part, ils s’agit de juristes très fortement spécialisés sur le fond comme sur le forme, d’autre part les frais engagés seront moins lourds que si les parties sollicitent les services d’un barrister et d’un sollicitor. 203 - Il faut noter qu’en raison de l’impact financier des affaires soumises aux Patents Courts, elles sont composées de « Patents juges » : il s’agit de juges éminemment spécialisés qui sont de plus assistés d’experts en la matière. De plus, les parties peuvent solliciter l’assistance de « patents agents », toutefois elles ne peuvent leur confier leur représentation devant la juridiction. 204 - Par ailleurs, si le siège de la High Court est situé à Londres, les juges spécialisés qui la compose se déplacent selon les besoins, dans les différentes villes de province. Ce système centralisé offre une garantie d’uniformisation des solutions jurisprudentielles et permet de bénéficier d’un corps de juges spécialisés. 205 - Cette centralisation est également très marquée au niveau de l’appel. En effet, la Court of Appel reçoit les appels des parties exercés à l’encontre des décisions des Patents Courts et de la High Court. Une dernière particularité est à souligner, il existe en Angleterre un troisième degré de juridiction qui peut être formé devant la Suprême Court of the United-Kingdom. Il s’agit de la Cour Suprême du Royaume Uni, mais il faut noter qu’elle n’est pas susceptible de connaître de toutes les affaires. En effet, un mécanisme particulier187 restreint l'accès à ce troisième degré de juridiction, car les parties doivent solliciter auprès de la Cour d’appel la possibilité de saisir la Cour suprême du Royaume Uni188.

187 Ce mécanisme est désigné par expression anglaise «Leave to appeal» 188 Exemple de rejet de la possibilité de porter l’affaire devant la Suprême Court of The United-Kingdom: affaire Trunki, voir supra n°162

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2 - Les juridictions spécialisées pour les titres européens

206 - Cette spécialisation concerne les brevets et dessins et les modèles communautaires189. Les litiges relatifs aux brevets peuvent être entendus, soit par the Patent Court, soit par les Patents County Courts190. Toutefois, en cas d’accord des parties, le Comptroller of Patents191 peut également connaître des actions en contrefaçon et des différends sur la validité des brevets,. Les appels interjetés contre les décisions rendues par le Comptroller of Patents sont traités par la Patent Court. Les affaires relatives aux dessins et modèles européens impliquant des faits de contrefaçon, peuvent être entendus par la Patent Court et par les Patents County Courts. En matière de dessins et de modèles enregistrés au niveau européen, l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) est compétent pour connaître des litiges relatifs à leur validité. 207 - Enfin, une cour anglaise peut être en charge d’une affaire de contrefaçon d’un brevet anglais déposé au niveau européen, alors que ce même brevet fait l'objet d'une procédure devant l'Office européen des brevets (OEB). Il faut noter que depuis l’affaire Unilin Beheer192, la Cour d'appel a retenu une position très claire en ce domaine. En effet, si le titulaire d'un brevet britannique, déposé au niveau européen, obtient gain de cause dans l’action en contrefaçon portée devant les juridictions du Royaume-Uni, le défendeur ne peut contester son droit aux dommages et intérêts ou aux « account of profits193 » même si le brevet est ensuite révoqué par l'OEB. En outre, le juge peut discrétionnairement ordonner une suspension de l’action concernant la violation d'un brevet britannique déposé au niveau européen jusqu'à ce que la procédure de révocation dudit brevet ait été tranchée par l'OEB. Toutefois, une telle éventualité reste assez exceptionnelle194.

189 Patents, registered designs, and Community designs 190 Les tribunaux des comtés des brevets 191 Contrôleur des brevets 192 L’affaire Unilin Beheer BV c Berry Floor NV, 193 Infra n°411 et s. 194 Eli Lilly v Human Genome Sciences (2010) RPC 14, paras (6)-(41))

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Section 2 : L’illustration de la délicate harmonis ation des législations nationales

208 - Pour illustrer les difficultés de l’harmonisation des droits français et anglais, en matière de propriété intellectuelle et de contrefaçon, on présentera l’évolution de l’introduction des droits moraux en droit anglais (I). Puis, on soulignera les spécificités de cette introduction (II) et les exceptions maintenues constituant autant de limites et de résistances à cette démarche d’harmonisation (III).

I Une évolution délicate de l’introduction des dr oits moraux en droit anglais

209 - Dans un premier temps, pour comprendre cette introduction et ses difficultés, nous procèderons à un rappel historique (A). Dans un second temps, nous présenterons deux droits qualifiés de moraux en droit anglais mais dont la qualification reste toujours contestable (B).

A - L’historique de l’introduction des droits mora ux

210 - Après avoir souligné que les droits moraux sont une création de civil law (1) on étudiera les dispositions actuelles des sections 77 à 85 du Copyright Designs and Patents Act 195.

1 - Une création de civil law

211 - Initiés aux XVIII et XIX siècles, les droits moraux ont été perçus par les juristes anglais, comme une création de « civil law », et en particulier du droit français, totalement étrangère à la Common Law. 212 - Toutefois, en 1928, à Rome, lors de la Conférence de révision de la Convention de Berne, il est envisagé d’introduire ces droits moraux. Le Royaume-Uni et l’Australie manifestent alors une opposition très ferme à l’égard de cette introduction. Pour soutenir cette position, deux arguments sont essentiellement avancés.Tout d’abord, ces droits correspondraient à des concepts totalement étrangers au système de common law. Il serait donc très difficile, voire impossible, d’envisager leur incorporation notamment au droit anglais, sans procéder à une introduction qui serait totalement artificielle et sans connexion de la logique avec le droit anglais. De plus, la protection des intérêts de l’auteur serait déjà très largement assurée grâce au droit des contrats, à la notion de diffamation et de passing off196.

195 Abréviation consacrée est CDPA 196 Pour approfondir, cette notion du passing off se reporter à l’ouvrage de Charlotte Waelde, Graeme Laurie, Abbe Brown, Smita Kheria, Jane Cornwell, «Contempory intellectual Property, Law and Policy, 3éd, Oxford, 2013, p 727 à 772

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213 - Le 2 juin 1928, cette argumentation n’empêchera pas la Conférence de révision d'insérer dans Convention de Berne, un article 6bis. Ce texte impose aux membres de la Convention la transposition et la mise en œuvre des deux principaux droits moraux qui correspondent au droit de paternité et au droit de l’auteur au respect de son œuvre. Cette disposition est constituée d’un compromis entre les pays de « civil law » et les pays de « common law », puisque les deux autres droits moraux prévus par la législation française ne sont pas inclus. 214 - Malgré l’insertion en 1928 de cet article 6 bis, le Royaume-Uni résistera avec détermination pendant soixante ans. Ainsi, dans le cade de l'adoption de la loi sur le droit d'auteur de 1956, le rapport du Comité Gregory reprend le deuxième argument avancé lors de la Conférence de révision. Il affirme une nouvelle fois que les obligations de l'article 6bis sont satisfaites indirectement, grâce aux textes relatifs aux délits de diffamation et de passing off, ainsi qu’au droit des contrats. 215 - Il faut attendre 1977 pour qu’une position différente soit avancée. Ainsi, le Comité Whitford exprime alors son scepticisme en considérant que les dispositions mentionnées dans le rapport de 1956 et lors de la révision de la Convention sont loin d’être suffisamment explicites pour garantir les droits moraux des auteurs. Au final, ce n’est qu’en 1988 que ces droits seront introduits expressément en droit anglais, avec l’adoption du Copyright Designs and Patents Act de 1988.

2 - Les dispositions actuelles des sections 77 à 8 5 du CDPA

216 - Actuellement, les dispositions relatives aux droits moraux figurent aux sections 77 à 85 du CDPA. Il s’agit plus précisément de l’« attribution right » prévue à la section 77, cette expression pouvant être traduite par « le droit d'être reconnu comme l'auteur de l’œuvre ». En droit français, ce droit correspond au droit de paternité sur l’œuvre figurant à l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle. A la section 80, est mentionné « integrity right », qui s'oppose à toute atteinte à l'œuvre, En droit français, cette disposition peut être rapprochée du droit au respect de l’œuvre. A la section 84, figure « false attribution right» qui signifie littéralement « le droit d’opposition à l'attribution frauduleuse de l'œuvre ». Enfin, la section 85 est consacrée au « privacy right » ce dernier correspond au droit au respect de la vie privée, notamment dans certains films et photographies.

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217 - Ces deux derniers droits « false attribution right » et « privacy right » sont regroupés au Chapitre IV, intitulés « Droit moraux ». Toutefois, on peut s'interroger sur la nature de ces droits : appartiennent- ils réellement à la catégorie des droits moraux ? Incontestablement, la question se pose, car on peut constater que ces deux derniers droits n’établissent pas de relation directe entre l’auteur et son oeuvre. En réalité, ils sont centrés sur la protection des intérêts généraux et personnels de l’auteur.

B - L’attribution d’une qualification de droit mor al contestable

218 - On présentera successivement ces deux droits anglais « false attribution right » (1) et « privacy right » (2), en mettant en exergue les raisons qui conduisent à douter de leur appartenance à la catégorie des droits moraux, selon la conception française.

1 - « False attribution 197 »

219 - La section 84 du CDPA stipule qu'une personne peut s’opposer à une attribution de la fausse paternité d’une œuvre littéraire, théâtrale, musicale ou artistique ou d’un film. Cependant, il faut souligner que ce texte ne peut s’appliquer que dans l’hypothèse où l’œuvre ou ses copies constituent l’objet central d’une transaction ou d’une commercialisation, dans le cadre de laquelle est effectuée une fausse attribution. Dès lors, l’aspect financier de la transaction apparaît déterminant, la fausse déclaration n’étant pas prise en considération en l’absence d’une telle hypothèse. En conséquence, le domaine d’application de la section 84 du CDPA en est d’autant restreint. Par ailleurs si, comme pour les autres droits moraux du CDPA, l’action fondée sur la « fausse attribution» se maintient après le décès de l’auteur, il faut noter qu’elle ne bénéficie aux héritiers que pendant une durée limitée de vingt années. Cette limitation de l’action conduit à la distinguer des autres droits moraux qui perdurent aussi longtemps que subsiste le droit de l’auteur sur l’œuvre. 220 - De plus, on remarque que les décisions concernant la mise en oeuvre de la section 84 de la CDPA sont peu fréquentes. Toutefois, il est possible d’illustrer l’application de ce droit par la présentation d’une affaire célèbre198. Le demandeur, monsieur Clark, est un député conservateur très connu. Il publie un ouvrage que l’on pourrait assimiler à une sorte de journal intime dans lequel il décrit au quotidien sa vie publique et privée.

197 Traduction littérale « Fausse attribution » 198 Clark v Associated Newspapers Ltd[1998] 1 WLR 1558

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Le défendeur, Associated Newspapers Ltd qui assure la gestion du journal londonien, le Evening Standard newspaper, autorise la publication d’une série d'articles parodiant le journal intime du demandeur. Le journal affuble ces différents articles de titres accrocheurs tels que « Le journal secret de l’élection d'Alan Clark » ou encore « le journal politique secret d’Alan Clark». De plus, ces écrits sont accompagnés d’une photographie représentant le député. Toutefois, en dessous des titres de ces articles, le journal a pris le soin d’introduire un préambule où le véritable auteur de ces textes, déclare explicitement qu’il s’agit d’une fiction. En fait, le journaliste explique qu’il a imaginé la façon dont le demandeur aurait pu raconter les événements de sa journée. De plus, dans ce préambule, le nom du journaliste rédacteur des articles, M. Peter Bradshaw, est mentionné en lettres majuscules. Malgré ces précautions, l’homme politique n’a pas apprécié la démanche et a exercé une action en justice sur le fondement de la section 84 du CDPA. 221 - Le magistrat en charge de l’affaire, plus précisément le juge Lightman, donne raison au demandeur en considérant que : « Les titres des articles contiennent une fausse déclaration claire et sans équivoque attribuant leur paternité au demandeur, et le vice de cette déclaration n’est pas éliminé par les différents contre - messages invoqués par le défendeur199». Le juge souligne ainsi que la fausse déclaration d’attribution de la paternité au demandeur des articles parus dans le journal londonien est parfaitement explicite et qu’aucun doute n’est permis. Par ailleurs, il considère que le préambule qui mentionne le nom du journaliste ainsi que sa qualité, de réel auteur de ces textes, est insuffisant à écarter la violation de la section 84 du CDPA. Cependant, Il poursuit en formulant l’observation suivante : « Je serais d'avis d’accepter que l'effet d'une telle fausse déclaration peut être neutralisé par une contradiction, un démenti express, mais elle doit être aussi audacieuse, précise et convaincante que la fausse déclaration200 ». A l’appui de cet avis, il cite le jugement de Lord Widgery rendu en 1974, dans l’affaire Norman v Bennett201.

199 La citation en anglais des propos du juge Lightman est la suivante : «.The headings of the articles contain a clear and unequivocal false statement attributing their authorship to the plaintiff, and the vice of this statement is not cured by the various counter - messages relied on by the defendant.» 200 La citation en anglais des propos du juge Lightman est la suivante : « I would be minded to accept that the effect of such a false statement can be neutralised by an express contradiction, but it has to be as bold, precise and compelling as the false statement.» 201 Norman v Bennett de 1974, 1 WLR 1229, 1232.

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Après ces observations, le juge Lightman conclu en estimant que dans l’affaire qui lui est soumise, « la déclaration contraire n'a pas la visibilité nécessaire et elle est moins susceptible d'atteindre les lecteurs que la fausse déclaration, comme le confirment les preuves dans cette affaire202.» 222 - En juriste français, on ne peut qu’adhérer au raisonnement du juge Lightman pour plusieurs raisons. Premièrement, il est certain que l’attention du lecteur est focalisée sur le titre accrocheur des articles qui le conduit à acquérir le journal. Certes, le préambule rétablit la stricte vérité, mais sa présentation est nettement moins attrayante, moins « audacieuse et sensationnelle » que le titre de l’article. Dès lors, il est raisonnable de penser que le lecteur ne lira ce préambule que dans un deuxième temps. Deuxièmement, la décision du juge de ne pas retenir les moyens de défense estimés insuffisants, pour neutraliser la fausse attribution de la paternité des article, M. Alan Clark, le député, est logique mais aussi opportune. La « false attribution right » ou la fausse attribution prévue à la section 84 est ainsi défendue avec rigueur et efficacité. 223 - Cependant, il est dommage qu’elle ne puisse être invoquée en dehors de tout enjeu économique, cet élément pouvant laisser penser qu’il s’agit plus d’un droit patrimonial que d’un droit moral de l’auteur. Enfin, il semble que le comportement du journaliste relève plus de la parodie que de la fausse attribution de paternité. Dès lors, au nom de la liberté d’expression, ne serait-il pas acceptable d’accorder aux parodies une plus grande latitude en matière de fausse attribution, en application de la section 84 du CDPA.

2 - « Privacy right » 203

224 - La section 85 (1) CDPA permet à une personne physique, dans certaines circonstances, de défendre une atteinte à sa vie privée. Plus précisément, lorsque dans un objectif personnel et non commercial, une personne passe commande de photos ou de la réalisation d’un film, elle a le droit de s’opposer à l’édition publique des copies de l’œuvre. Elle peut, également, s’opposer à son exposition en public ou à une quelconque communication de cette œuvre au public.

202 La citation en anglais des propos du juge Lightman est la suivante : «. In the case the contradiction lacks the required prominence and is less likely to get home to the readers, as is confirmed by the evidence in this case». 203 Traduction littérale « droit à la vie privé »

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De plus, la section 89 (1) CDPA, prévoit que ce droit s‘applique à l’ensemble ou à une partie substantielle de la photographie ou du film concerné. Dès lors, toute personne qui réalise ou permet la réalisation de l’un de ces actes, sans l’autorisation de la personne concernée, peut être poursuivie. 225 - On peut citer le cas fondateur, Pollard contre Photographic Co, en date de 1889, qui concernait l’exposition dans la vitrine d’un photographe professionnel des photographies d’un mariage. Toutefois, cette exposition n’avait pas été autorisée contractuellement et dès lors, le juge avait retenu une atteinte au « privacy right 204». 226 - Dans une affaire, plus récente de 2010205, un journal et un site internet diffusent des photos d’une soirée privée sadomasochiste, sans l’autorisation de son propriétaire. De plus, cette publication est assortie d’un commentaire affirmant que le thème de la soirée et des photos n’était autre que le nazisme. Le propriétaire des photos, qui apparaissaient sur ces dernières, était un homme d’affaires qui assurait la direction d’une société très connue et de bonne moralité. Lors du procès, il est établi d’une part que ces photos sont publiées sans l’autorisation de son propriétaire et d’autre part que la soirée n’avait pas pour thème l’époque nazie ni n’effectuait aucune référence à ce mouvement. Le juge Eady a alors retenu l’atteinte aux « privacy right » en soulignant que la section 85 (1) CDPA avait pour objet de protéger toute personne contre la violation de sa vie privée et l’atteinte à la dignité personnelle. De plus, il souligne que cette situation ne peut être confondue avec des faits conduisant à une action en diffamation. En définitive, il considère que cette intrusion illégale dans la vie privée du demandeur, l’avait placé dans un grand embarras et une détresse suffisamment grave, pour justifier le versement de 60.000 livres par le propriétaire du journal et du site. A la lumière de ces affaires, pour un juriste français, il apparaît alors que cette section 85 (1) CDPA relève tout autant du respect de la vie privée que de l’atteinte au droit d’auteur.

204 Pollard v Photographic Co de 1889 ou encore dans le même sens l’affaire McCosh v Crow & Co de 1903. 205 Mosley v Nouvelles journaux Group Ltd.

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II Les spécificités de l’introduction des droits m oraux

227 - Cette spécificité de l’introduction des droits moraux en droit anglais se manifeste, d’un point de vue textuel (A), par une attitude réservée de la jurisprudence (B) et par l’existence d’exceptions (C).

A - Les spécificités textuelles de la reconnaissan ce de droits moraux

228 - Après la présentation des « false attribution right » et « privacy right » qui ne relèvent pas au sens du droit français des droits moraux de l’auteur, on étudiera les deux autres droits instaurés par le droit anglais, qui peuvent prétendre à partir réellement à cette catégorie. Ce sont « The right of attribution » (1) et « the right of integrity » (2)

1 - « Right of attribution» ou l’attribution du d roit de paternité

229 - The « right of attribution » ou droit de paternité est également désigné par l’expression « paternity right », mais de façon plus exceptionnelle. Comme les précédents droits, celui-ci s’applique aux auteurs d'œuvres littéraires, théâtrales, musicales ou artistiques et aux réalisateurs de films. Ce droit se distingue nettement des précédents, car son objectif est d’assurer aux auteurs la reconnaissance de leur paternité sur leurs œuvres. Ainsi, par définition, il est démontré que ce droit établit un lien étroit entre l’auteur et son oeuvre. Mais l’auteur ne peut invoquer cette section 85 qu’en présence d’une commercialisation de l’oeuvre, qui ne respecterait pas correctement l’attribution de la paternité de cette dernière; cette condition préalable est nécessaire (a), mais elle est de nature à poser des difficultés avec la Convention de Berne (b).

a - Une revendication préalable de l’oeuvre nécess aire

230 - Il faut noter que, selon la section 78 du CDPA, la violation de ce droit ne peut être contestée devant les tribunaux que si une condition préalable est remplie. Plus précisément, la qualité d’auteur doit avoir été revendiquée sur l’oeuvre. Cette revendication peut être caractérisée de différentes manières. Ainsi, elle peut s’exprimer par l’acte concernant l’exploitation de l’oeuvre conclu par son auteur. Egalement, la revendication peut être opérée par une déclaration dans laquelle l'auteur ou le réalisateur affirme son droit de paternité sur le travail réalisé, ou par un document écrit signé par l'auteur ou le directeur de l’œuvre206.

206 Section 78(2) du CDPA.

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En cas d'exposition publique d'œuvres artistiques, ce droit peut également être considéré comme étant affirmé, lorsque l'auteur est identifié sur l'original ou sur une copie de l'œuvre artistique, sur son cadre, sur un montage207 . Enfin, la conclusion d’une licence autorisant la réalisation de copies de l'œuvre peut également permettre d’établir une telle revendication. Néanmoins, en cas de l’exposition publique d'une copie du travail de l’auteur, l'auteur doit revendiquer son droit à être identifié dans une déclaration signée.

b - Une revendication incompatible avec la Convent ion de Berne

231 - Imposer à l’auteur cette condition préalable de revendication ou d’affirmation de son droit n’est pas totalement neutre et sans conséquence au regard de la Convention de Berne. En effet, la convention de Berne prévoit à l’article 5(2) que « La jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité ; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’œuvre ». Un réel problème de comptabilité se pose avec l’exigence d’une revendication ou d’affirmation imposée par le droit anglais et cette absence de formalité de la Convention de Berne mentionnée par la Convention de Berne. 232 - Il faut également envisager deux hypothèses particulières d’une part, celle d’un auteur qui souhaite conserver l’anonymat et d’autre part, celle d’un auteur qui recourt à un pseudonyme. Ces deux types de comportement relativement fréquents sont-ils de nature à priver ces auteurs de la pleine jouissance de leurs droits de paternité ? La section 77 (8) du CDPA prévoit expressément la première hypothèse, en mentionnant expressément que si un auteur ou un réalisateur « spécifie un pseudonyme, des initiales ou toute autre forme particulière d'identification utilisée par lui, cette forme doit être reconnue ». Pour la deuxième hypothèse, aucune disposition particulière n’est prévue pour prendre en considération cette volonté de l’auteur. Cette situation semble logique car une disposition admettant la volonté d’anonymat serait en contradiction totale avec le principe de l’exigence de la revendication. 233 - Il faut mentionner que ces règles ont conduit certains commentateurs, comme le professeur Ginsburg208, à critiquer la mise en œuvre au Royaume-Uni du droit de paternité de l’auteur. Il semble que la notion ait encore des difficultés à obtenir une peine reconnaissance comme en civil law.

207 Section 78(3) (a) du CDPA. 208 Jane Ginsburg « Droit d’auteur et propriété de l’exemplaire d’une oeuvre d’art : Etude de droit comparé», Revue internationale de droit comparé, 1994, Volume 46, n°3, p881-821

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2 - « Right Integrity » ou le droit au respect de l’œuvre

234 - Ce deuxième droit moral correspond au droit au respect de l’œuvre qui est désigné en droit anglais par l’expression « right of integrity ». Il s’agit d’une notion précise mais restrictive (b) qui semble à l’origine des conflits d’intérêts les plus importants (a).

a - Le conflit d’intérêt majeur

235 -, Ces conflits majeurs opposent l'auteur de l’œuvre et le propriétaire des droits d'auteur. Un exemple classique est présenté dans les manuels de droit pour illustrer l’hypothèse. Un éditeur a acquis auprès d’un peintre un droit de reproduction sur un de ses tableaux et il envisage sa publication dans un catalogue, mais sous format réduit. Certes, l’éditeur dispose du droit de reproduction, mais l’auteur s’y oppose. Il estime que la réduction du tableau impose un « traitement désobligeant, péjoratif, mauvais » qui porte atteinte à sa peinture. L’artiste considère que les subtilités des couleurs et la finesse de sa réalisation artistique sont atténuées, voire disparaissent avec la réduction de son oeuvre. Ainsi, un conflit d'intérêts oppose les deux parties et un équilibre doit être recherché. La question est de savoir comment ces intérêts seront équilibrés et lesquels prévaudront ? 236 - La question est résolue par la section 80 du CDPA. Ce texte prévoit que « Les auteurs d'œuvres littéraires, théâtrales, musicales et artistiques et les réalisateurs de films ont le droit, sous certaines conditions, de s’opposer à un traitement désobligeant, dépréciatif portant atteinte à l’oeuvre209». Les sections 80(3) à 80(6) du CDPA210 précisent ces conditions. L’oeuvre artistique peut être soumise à un traitement dépréciatif lors d’une exposition en public ou dans le cadre d’une édition commerciale.

b - Une notion précise mais restrictive

237 - De plus, sont définis les deux termes clefs employés à la section 80 du CDPA. Ces deux termes sont «treatment» qui se traduit par « traitement» et « derogatory » qui peut signifier dépréciant, dénigrant, désobligent, portant atteinte » 238 - Premièrement, le texte précise que le terme « traitement » recouvre en fait « tout ajout, suppression ou modification ou adaptation de l'œuvre211 ».

209La citation en anglais est la suivante : « Authors of literary, dramatic, musical, and artistic works and directors of film the right, in certain circumstances, not to have their work subjected to derogatory treatment» 210 Copyright Design Patents Act 211 La citation en anglais est la suivante : « any addition to, deletion from or alteration to or adaptation of the work»

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Toutefois, la section 80(2) du CDPA indique que ne sont pas concernées les traductions d’œuvres littéraires ou théâtrales, ni les arrangements qui se limitent à un changement non déterminant. De même, en cas de reproductions d'œuvres musicales, la modification d’une seule tonalité ne doit pas être prise en considération, pour l’application de ce texte. Par ailleurs, il faut alors se demander si cette définition de la notion de « traitement» peut - être perçue largement ? Plus précisément, englobe-t-elle l’utilisation d'une œuvre qui ne change pas sa structure physique, mais qui modifie sa signification ou sa perception ? Concrètement, est ce qu’un portrait de la famille royale peut être utilisé dans une exposition pornographique ? Ou encore, l'hymne national est-il susceptible de pouvoir servir de fond sonore à une publicité de muffin ? La réponse est négative, ces cas, provoquant une re - contextualisation, ne peuvent pas bénéficier de l’exception posée par la section 80(2) du CDPA. Dès lors, si l’on compare ce texte à l’article 6bis (1) de la Convention de Berne212, il apparaît que la disposition anglaise sur le « traitement » est probablement contraire à celle de la Convention qui se réfère à « d'autres mesures portant atteinte à l'œuvre ». 239 - Deuxièmement, selon la section 80 (2)(b) du CDPA. le terme« derogatory » précise le caractère dénigrant de l’atteinte. Il indique ainsi que le traitement présente une telle caractéristique « s’il revient à la déformation ou à l’altération de l'œuvre ou s’il est préjudiciable à l'honneur ou à la réputation de l'auteur ou du réalisateur de l’œuvre213», En pratique, il faut alors constater qu’il existe très peu de cas sur le droit au respect de l’œuvre au Royaume-Uni. Les affaires sont encore plus rares quand il s’agit de situation qui apprécie un comportement dénigrant qui « porte atteinte à l'œuvre ». Cette situation est significative de la difficulté d’introduire ces droits moraux en droit anglais. Ainsi, malgré leur introduction en 1988, la réticence de la pratique reste perceptible auprès des justiciables et des tribunaux.

212 Article 6 (1) bis de la Convention de Berne : « Indépendamment des droits patrimoniaux, et même après la cession desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’oeuvre, ainsi que le droit de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de la dite oeuvre, qui serait préjudiciable à son honneur ou à sa réputation». 213 La citation en anglais est la suivante : « if it amounts to distortion or mutilation of the work or is otherwise prejudiial to the honour or reputation of the author or director.»

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B - Une pratique jurisprudentielle réservée

240 - Pour mieux comprendre cette pratique, on présentera l’affaire Confetti Records v Warner qui est l’un des cas les plus importants et significatifs en la matière214. Dans cette affaire, en demande un compositeur de musique, M.Alcce215, son agent216 et la maison de disques de l’auteur qui assurent la distribution et la promotion du musicien217 s’opposent à un distributeur, l’entreprise Warner Music, le défendeur. Le troisième demandeur, M. Alcee, avait composé un morceau de musique d’un genre particulier. Il s’agissait de « Rock de garage» appelé «Burnin», qu'il vend au premier demandeur, Confetti Records. Le défendeur, Warner Music, tente de négocier avec le premier demandeur pour utiliser le titre 'Burnin' sur un album de compilation. Cette négociation n’aboutit pas mais le défendeur enregistre et mixe son album qu’il produit en quantité importante. La version originale de « Burnin » comprenait un rythme instrumental insistant accompagné par la répétition vocale du mot « Burnin ». La version produite par le défendeur est réalisée par The Heartless Crew, un groupe de musicien. The Heartless Crew utilise la version originale de « Burnin » comme une piste d'accompagnement, sur laquelle ils chantent leurs paroles de rap. Le troisième demandeur considère que The Heartless Crew, en agissant ainsi, portent atteinte au respect son travail. Il démontre que ces paroles du rap incitent à la violence et à l'usage de la drogue alors que sa version initiale est dénuée de toute référence à ces thèmes et à fortiori à toute forme d’incitation à ce type de comportement. 241 - Après avoir exposé les bases de la recherche de la démonstration de l’atteinte à l’oeuvre (1), l’on soulignera la rigueur du raisonnement du juge (2). Puis, l’on mettra en exergue l’importance du comportement de l’auteur lui-même dans la solution retenue par la juridiction (3).

1 - Les bases de recherche de l’établissement de l ’atteinte à l’oeuvre

242 - Après la vérification de la compatibilité avec la Convention de Berne (a), le juge procède à une recherche quelle que peu surprenante (b).

214 Confetti Records v Warner Music UK Ltd (2003) ECDR 31 215 Le musicien, M. Alcce est désigné comme le troisième demandeur 216 l’agent de M. Alce est désigné comme deuxième demandeur 217 La maison de disque de M. Alcee est désigné comme premier demandeur

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a - L’énoncé du fondement textuel compatible avec la Convention de Berne

243 - Le juge Lewison a considéré que selon l'article 6 bis de la convention de Berne, « l'auteur ne peut s’opposer à la déformation, la mutilation ou à la modification de son travail que si ce comportement est préjudiciable à son honneur ou à sa réputation218». De plus, il estime que l'intention des rédacteurs de la loi anglaise de 1988 n’est pas de modifier la portée des droits moraux de l'auteur, sur ce point particulier, au regard de Convention de Berne. Il rappelle, en outre que, dans le style de rédaction condensé de la législation du Royaume-Uni, le mot « autrement » suggère que la déformation ou mutilation est seulement de nature à être revendiquée si elle est préjudiciable à l'honneur ou à la réputation de l'auteur. Il est à noter que le juge Overend avait déjà adopté cette position dans une affaire précédente219.

b - Une recherche induisant une situation surréali ste selon le juge

244 - Ainsi, la résolution de l’affaire consiste à déterminer si les paroles du rap contiennent effectivement des références à la violence et à l’usage de la drogue. Le juge Lewison remarque alors que cette recherche a conduit « à la situation légèrement surréaliste imposant à trois gentlemen en perruques de crin d’examiner le sens d’expressions telles que «mish mish man», «shizzle (or sizzle) my nizzle » ou « string up220 ». Les « trois gentlemen en perruque » désignent les deux barristers et le juge même. On peut noter qu’une telle incise ne figurerait pas dans une décision d’une juridiction française. Dès lors, cette simple phrase permet de souligner l’état d’esprit du juge qui porte un jugement de valeur sur la mission confiée. Elle témoigne également du mode de rédaction totalement différent par rapport à la pratique judiciaire française. 245 - Par ailleurs, le juge souligne que la cession de ses droits d'auteur par le troisième demandeur au premier et deuxième demandeur n’affecte pas sa paternité par rapport à son œuvre. Dès lors, il conserve pleinement la jouissance de tous les droits moraux relatifs à son œuvre. Le juge conclut que le premier et le deuxième requérant n’étaient pas fondés à agir pour des préjudices causés à leur honneur ou leur réputation. Le juge estime que le premier défendeur ne peut démontrer l’atteinte à l’image de sa maison de disques en établissant que cette dernière n’a pas pour habitude de produire de telle chanson.

218 La citation en anglais est la suivante : « The autor can only object to distortion, mutilation or modification of his woork if it is prejudicial to his honour or reputation » 219 Pasterfield v Denham [1999] FSR 168. 220 La citation en anglais est la suivante : « This led to the faintly surreal experience of three gentlemen in horsehair wigs examining the meaning of such phrases as « mish mish man » and « shizzle my nizzle »

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2 - Un affinement rigoureux de la démarche de rech erche

246 - La démarche est rigoureuse et s’effectue en trois étapes : l’appréciation du caractère audible ou non des paroles (a), l’identification d’expression appartenant au langage de la rue (b) conduisant à une recherche sur Urban Dictionary (c).

a - Une contestions sur le caractère audible des p aroles

247 - De plus, les parties s’opposent sur l’existence même des paroles contenues dans la chanson. Cette discussion est possible, car les paroles de rap sont très difficiles à déchiffrer lors d’une lecture à vitesse normale de la chanson. Très logiquement, la constatation de difficultés de déchiffrage conduit le juge à estimer que la demande pour le traitement contraire au droit au respect de l’œuvre peut être difficilement prise en compte. 248 - Cependant, le premier demandeur, la maison de disques de l’auteur, avance un argument de nature à écarter la difficulté de déchiffrage. En effet, d’après lui, cette dernière n’a pas empêché certaines personnes, tiers aux débats, à percevoir certaines expressions employées dans le rap, comme une référence plus ou moins déguisée à la consommation de drogue et à son apologie.

b - La langue de la rue, une langue étrangère

249 - Le défendeur répond que le sens des expressions issues d’une langue étrangère ne peuvent être expliquées par des experts de ladite langue, les expressions litigieuses telles que « mish mish man » trouvant leur origine dans la langue jamaïcaine. De plus, il considère que les paroles du rap sont rédigées dans une sorte de langue étrangère, une langue « pratiquée dans la rue221 ». Le juge Lewison accueille cette argumentation en précisant « Je pense qu'il (défendeur) a raison, bien que les occasions où un trafiquant de drogue pourrait être appelé à témoigner en qualité d’expert devant la division de la chancellerie sont susceptibles d'être rares222 ». Une nouvelle fois, cette incise, ce trait d’humour du magistrat, qui prend ainsi personnellement position, conduit à introduire dans les débats un jugement personnel de valeur, attitude exclue par l’obligation de réserve imposée au juge français.

221 La citation en anglais est la suivante :« a language used in the street» 222 La citation en anglais est la suivante : « I think that he is right, although the occasions on which an expert drug dealer might be called to give evidence in the Chancery Division are likely to be rare»

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c - Le lancement d’une recherche sur Urban Diction ary

250 - Une recherche est alors lancée sur Internet, plus précisément sur le site du « Urban Dictionary ». Un certain nombre de définitions sont identifiées pour l’expression « Shizzle my nizzle », mais aucune ne fait référence à l’usage de drogue. En fait, il apparaît que le sens le plus populaire de l'expression serait « bien sur mec ». Par ailleurs, pour l’expression « mish mish man», le juge a constaté que le site ne propose aucune définition. Toutefois, après avoir procédé par nous - même à la recherche sur le site, il apparaît que ce denier propose actuellement plusieurs définitions tendancieuses.

3 - L’impact du comportement de l’auteur sur ses d roits moraux

251 - En raison de son propre comportement, l’auteur prive de toute légitimité sa revendication (a), la sanction de l’atteinte au respect de l’oeuvre imposant une atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur lui-même et non seulement à son oeuvre (b).

a - Le comportement de l’auteur écartant sa revend ication

252 - Cependant, le premier demandeur poursuit sa démonstration en indiquant que les paroles du rap « string dem up one by one » qui signifie « pends les un par un » est une « incitation » au lynchage. Le juge a alors considéré que cette expression ne conduit pas obligatoirement à cette interprétation. Il indique qu’« un partisan de la peine de mort qui déclare que les meurtriers devraient être « stung up » (c’est-à-dire pendus) serait habituellement regardé comme soutenant le retour au recours au bourreau et non au lynchage223 ». 253 - En définitive, le juge a considéré que la faiblesse fondamentale de l'argumentation de M. AIcee, le troisième demandeur, est l’absence de preuve établissant l’atteinte à l'honneur ou à la réputation de ce dernier. A l’opposé, Il a remarqué que, dans le clip de la chanson, M. AIcee apparaît en gangster des années 1930 et que cette présentation est de nature à elle seule à empiéter sur son honneur et sa réputation. En conséquence, le troisième demandeur ne subit aucun préjudice par l’emploi d’expressions telles que « string up », même si on admettait le sens violent et incitatif revendiqué par la maison de disque. La demande de dommages et intérêts est donc rejetée.

223 La citation en anglais est la suivante « a proponent of capital punishment who says that murderers should be « strung up» would usually be taken to advocate the return of a hangman, rather than lynching»

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b - Une double exigence pour retenir l’atteinte au respect de l’oeuvre

254 - Cet arrêt, qui constitue une des rares affaires concernant le droit au respect de l’œuvre au Royaume-Uni, soulève certaines interrogations sur son application et sa portée réelle. Il semble que l’exercice de ce droit exige la démonstration par l’auteur de l’œuvre que l’atteinte portée à son travail constitue également une atteinte à son honneur ou à sa réputation. Cette approche induit donc une seconde condition qui semble fragiliser la protection de l’oeuvre, en introduisant une appréciation subjective supplémentaire. 255 - Il faut alors souligner, une nouvelle fois, la résistance du droit anglais en la matière. En effet, en France, pays par excellence de la protection des droits moraux, on rappellera que la solution est différente. Il suffit que l'auteur démontre l’atteinte à son oeuvre et non à sa personne pour que le fait litigieux conduise le magistrat à constater le dommage et à prononcer une indemnisation. L’atteinte à l’oeuvre, prolongement de l’auteur, induit logiquement l’atteinte à sa personne.

C - Des exceptions limitant les droits de paternit é et au respect de l’oeuvre

256 - Le domaine des droits de paternité et du respect de l’oeuvre sont limités par l’existence de nombreuses dérogations. Les exceptions, dont l’impact est le plus important, sont mentionnées dans ces développements. Premièrement, sont exclus les programmes d'ordinateur ou les œuvres créées par ordinateur224. Deuxièmement, selon les sections 79(5) et 81(3) du CDPA, les travaux destinés à rapporter des événements actuels ne sont pas mentionnés. Troisièmement, le secteur de l'édition a obtenu l’admission d’un certain nombre exceptions, prévues à la section 79(6) et 81(4) du CDPA. Ces textes écartent la paternité et le droit au respect de l’œuvre lors de : « La publication dans (a) un journal, un magazine ou un périodique analogue, ou (b) dans une encyclopédie, un dictionnaire, un annuaire ou un autre ouvrage collectif de référence, d'une œuvre littéraire, théâtrale, musicale ou artistique réalisée aux fins d’une telle publication ou de mise à disposition avec le consentement de l'auteur aux fins de cette publication225 ».

224 Huston v Turner Entertainment Co (1992) ECC 334 225 La citation en anglais est la suivante : « In relation to the publication in (a) a newspaper, magazine or similar periodical, or (b) an encyclopaedia, dictionary, yeabook or other collective work of reference, of a literary, dramatic, musical or artistic work made for the purposes of such publication or made avaible with the consent of the author for the purposes of such publication»

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Enfin et quatrièmement, les exclusions les plus importantes sont celles relatives aux œuvres créées par les employés. Selon la section 79(3) du CDPA, « le droit de paternité ne s’applique aux travaux réalisés sous l’autorité du détenteur du droit d’auteur sur une œuvre, lorsque cette dernière appartenait initialement à l'employeur de l'auteur ou réalisateur, en vertu de la section 11 (2) du CDPA226». Dès lors, les auteurs employés disposent d’un droit de paternité sévèrement limité. De même, le droit au respect de l’œuvre ne s’applique pas à un travail de création du salarié. 256 - Plus qu’une simple présentation de l’élément matériel de la contrefaçon en droit français et en droit anglais, cette première partie visait à recherche l'établissement du rôle majeur de ce fléau européen et mondial en mettant en exergue ses dangers. Par ailleurs, nous avons confronté les techniques de définition du fait litigieux à caractère conceptuel pour le droit français et factuel pour le droit anglais. Cette confrontation nous a conduit à constater que les juristes anglais et français se rapprochent de plus en plus dans leur démarche respective. En effet, les premiers se réfèrent progressivement aux textes législatifs, en particulier en raison de l’européanisation croissante de la matière, alors que les seconds accordent nettement plus de prérogatives à ses magistrats, dépassant leur vieille peur du gouvernement des juges. De plus, nous avons pu constater l’importance de l’harmonisation des législations dans cette lutte contre la contrefaçon, cette dernière étant omniprésente aussi bien dans l’économie souterraine que dans l’économie officielle. Dans le cadre de cette lutte, nous avons regretté le manque de spécialisation des juridictions françaises et apprécier celle des juridictions anglaises. Enfin, nous avons adhéré totalement au raisonnement des magistrats anglais spécialisés, qui ne s’arrêtent pas aux simples ressemblances mais s’attachent également aux différences, pour établir le fait matériel de la contrefaçon. En agissant de la sorte, ils instaurent un équilibre entre liberté de création et protection des droits de propriété intellectuelle qui nous apparaît véritablement équitable. Toutefois, quelles que soient leurs techniques ou leurs logiques, il faut constater que les juridictions anglaises et françaises sont confrontées au caractère éminemment subjectif de la matière. Ce dernier entraine de part et autre de la Manche des décisions où l’aléa joue une place toujours trop important, l’européanisation restant impuissante face à cet inconvénient majeur. Le justiciable se confronte alors à une décision de justice au prononcé difficilement prévisible.

226 La citation en anglais est la suivante : « The right of attribution does not apply to anything done by or with the authority of the owner of copy right in a work, where ownership originally vested in the author’s or director’s employer under section 11 (2)».

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TITRE 2 : Les sanctions de la contrefaçon française et anglaise pour une dissuasion maximale

257 - Face à la contrefaçon, deux moyens d’action sont envisageables. Le premier consiste à mettre un terme à l’activité préjudiciable pour la victime de contrefaçon. Le second est destiné à lui accorder une indemnisation pour assurer la compensation la plus adéquate. Selon la première alternative qui correspond à une réparation en nature, il est possible de recourir à des mesures d’interdiction et de destruction des produits contrefaisants. Toutefois, malgré le travail des douanes, la démarche n’est pas toujours facile. En effet, une fois les contrefaçons introduites dans les réseaux de distribution, il est très délicat, voire impossible de les localiser en temps utile. En général, la capacité de réactivité n’est pas optimale et le mal déjà fait. 258 - En droit Anglais comme en droit français, cette approche existe. Elle est complétée par l’information du public grâce à la publicité des jugements qui assure deux grandes fonctions. La justice informe le consommateur que les produits illicites ont été retirés du marché. Ainsi, la juridiction sensibilise et décourage l’acheteur potentiel face à la persistance de tels produits dans les circuits de distribution. De plus, cette publicité établit la mobilisation de la victime de la contrefaçon à l’encontre du contrefacteur. Dans ce domaine, il est indéniable que la démarche européenne est percutante. En effet, en présence d’un titre de propriété intellectuelle européen227, la décision d’une juridiction dont l’objet est de contrer l’atteinte portée, ce droit se voit reconnaitre une entière application sur l’ensemble des Etats de l’Union européenne. Ainsi, dans un arrêt du 12 avril 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne précise qu’une : « Mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal communautaire en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuite des actes de contrefaçon (...) qu’il a prononcé, produit effet dans les Etats membres autres celui dont relève ce tribunal (...)228»

227 Comme une marque ou un modèle européen 228 Ce passage de l’arrêt du 12 avril 2011 de la CJUE est cité et placé en exergue par le Professeur Nicolas Binctin, dans son ouvrage intitulé : Droit de la propriété intellectuelle», LGDJ, Lextenso 3ème édition,2014, p 804, n°1343

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259 - Toutefois, nous avons choisi de centrer ces développements sur la seconde alternative conduisant à accorder une indemnisation aux victimes de contrefaçon. En effet, actuellement, cette indemnisation génère de multiples interrogations auprès des juridictions et des législateurs anglais, français ou européen. Il apparaît primordial d’assurer l’évolution de la réponse légale pour l’adapter aux attentes de la victime et pour lutter efficacement contre ce fléau international. En effet, cette indemnisation soulève un certain nombre de difficultés car elle se heurte en particulier à l’appréciation du préjudice réellement provoqué par l’activité contrefaisante et à son établissement par des moyens efficaces de preuve. De plus, cette réparation pécuniaire nous conduira notamment à nous interroger sur l’impact des dernières dispositions européennes en droit français avec, notamment, la prise en compte d’économies réalisées par le contrefacteur. Parallèlement, nous mènerons une comparaison avec le droit anglais qui dispose déjà d’une certaine expérience en la matière en raison de l’existence et de la jurisprudence sur les « account of profits ».

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Chapitre 1 : les dommages et intérêts, l’unique san ction financière apparemment admise en droit français

260 - Actuellement, le législateur français admet, semble-t-il exclusivement, comme sanction financière les dommages et intérêts. Ces derniers ont pour rôle très classiquement et essentiellement d’assurer la réparation du préjudice subi par la victime de la contrefaçon. Toutefois, l’introduction en droit français de la Directive européenne du 29 avril 2004 a conduit à l’instauration d’une nouvelle fonction des dommages et intérêts qui tend à assurer la restitution à la victime des profits réalisés par le contrefacteur. Par ailleurs, la mondialisation du phénomène conduit à s’inspirer des autres législations et notamment de la common law anglaise et américaine, pour envisager de passer à un stade supérieur, celui d’accorder des dommages et intérêts punitifs et de sanctionner la faute lucrative.

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Section 1 : De l’article 1382 du Code civil à la l oi de transposition de 2007

261 - En matière d’indemnisation du préjudice, l’article 1382 du Code civil constitue la pierre angulaire du dispositif français. Mais, en matière de contrefaçon, la prise en considération au niveau européen de ce fléau à conduit à une recherche de l’évolution de la conception de l’indemnisation. Cette dernière s’est effectuée progressivement et notamment lors de la loi de transposition du 29 octobre 2007 (I) qui a procédé à l’instauration d’un choix concernant la méthode d’évaluation du préjudice pour offrir à la victime de la contrefaçon la modalité la plus adaptée (II).

I L’objectif d’amélioration de l'indemnisation du préjudice de contrefaçon

262 - Incontestablement, l’objectif du législateur français est de parvenir à une amélioration sensible de l'indemnisation de la victime de la contrefaçon, dans le respect du principe de la limitation de la réparation au préjudice subi (A). Cependant, la Directive européenne du 29 avril 2004 relative au renforcement des droits de propriété intellectuelle a permis une amélioration de cette indemnisation, par l’introduction en droit français de nouvelles dispositions (B).

A - Le principe de la limitation de la réparation au préjudice subi

263 - L’action en réparation du préjudice généré dans le cadre de la contrefaçon est fondée très classiquement sur l’application de l’article 1382 du Code civil (1). Les difficultés majeures résident dans l'établissement et l’estimation du préjudice (2), cette situation conduisant souvent à une indemnisation jugée insuffisante par la victime de la contrefaçon (3).

1 - Une tradition française fondée sur l’applicati on de l’article 1382 du Code civil

264 - La contrefaçon est définie et sanctionnée comme un comportement illicite depuis la Révolution française229. Des lors, pendant plus de deux siècles, seul le droit commun et plus précisément l’article 1382 du Code civil était applicable en présence du comportement illicite de contrefaçon. Sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la victime pouvait demander réparation de son entier préjudice. 265 - Il faut souligner qu’aucun objectif de sanction de l’auteur de la violation de la législation n’est recherché. La mesure instaurée par le législateur français, à l’article 1382 du Code civil, a pour fonction exclusive d’assurer la réparation.

229 Nicolas Binctin, Le droit de la propriété intellectuelle, Droit d’Auteur, Brevet, Droits Voisins, Marque, Dessins et Modèles, 3 ème édition, 2014, LGDJ, n°1, p19

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Il s’agit de restaurer une situation juridique conforme au droit positif. Il faut noter que les dommages et intérêts sont accordés lorsque la nature du préjudice est telle que la remise en l’état est impossible. Dès lors, il nous paraît erroné d’affirmer que, selon l’article 1382 du Code civil, « il convient de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de fait dommageable - en l’occurrence, en l’absence de contrefaçon 230» En effet, la remise en l’état ne peut être effectuée. Il est impossible d’effacer le fait de contrefaçon : on ne peut supprimer, par exemple, la copie du sac de luxe, sa commercialisation à grande échelle et l’atteinte à l’image de la marque. On peut au mieux accorder des dommages et intérêts à la victime de la contrefaçon pour compenser le préjudice subi et tenter de rétablir un équilibre.

2 - Un préjudice difficile à estimer et à établir

266 - Selon l’article 1383 du Code civil, pour obtenir réparation de ce préjudice, il faut établir son caractère certain et direct. En matière de contrefaçon se pose alors tout particulièrement le problème de la détermination et de la preuve de l’entier préjudice231. En effet, comment peut-on, par exemple, apprécier avec exactitude le préjudice subi par le créateur du sac de luxe qui voit l’image de la marque malmenée par la multiplication des contrefaçons ? En particulier, il semble délicat de procéder à l’évaluation financière de la perte que représente la vulgarisation du produit de marque plus ou moins bien copié. L’atteinte à la marque sera t - elle plus importante si la copie est reproduite à bas prix ou si elle est de qualité 232? Dans le premier cas, on peut considérer que la confusion sera plus facilement écartée, mais le produit perdra son image d’objet de luxe d’exception en se banalisant et en se vulgarisant. Dans le second cas, la confusion sera plus forte, mais la bonne copie sera moins nocive pour l’image du produit, l’impression de qualité et l’esthétisme étant mieux respectés par la copie.

230 Benjamin May, « Améliorer l'indemnisation de la contrefaçon : la loi ne suffira pas» Propriété industrielle

n°3, Mars 2008, étude 4 231 Emmanuel Dreyer, Fascicule 1612 « Procédures et sanctions - Contrefaçon. Preuve et sanction, Jurisclasseur Propriété littéraire et artistique», 15 mars 2015, (voir n°2 à n°7): Olivier Mandel « Le nouvel arsenal de lutte contre la contrefaçon » Propriété intellectuelle, n°2, février 2009, étude 4, voir notamment dans cette étude le paragraphe intitulé « La preuve facilitée de la contrefaçon » n°65 à 87. 232 Supra n° 23

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On pourrait même pousser le paradoxe en avançant que la copie de mauvaise qualité ne peut en aucun cas se confondre avec l’original et ne concerne pas la même clientèle, voire que la copie lui assure une publicité gratuite à grande échelle. On peut multiplier à l’infini de telles interrogations qui conduisent indéniablement à rendre très difficile l’appréciation du préjudice subi et ce, d’autant plus, en l’absence d’une véritable spécialisation des juridictions françaises233.

3 - Une indemnisation jugée insuffisante par la vi ctime de contrefaçon

267 - En matière de contrefaçon, il apparaît évident qu’il est très difficile de déterminer et de rapporter la preuve de l’exact et entier préjudice. Certes, selon les principes de la responsabilité civile, le magistrat doit accorder une réparation intégrale234, mais l’évaluation du préjudice et les modalités de preuves constituent autant d'écueils à surmonter pour la victime235. 268 - Ainsi, cette situation conduit à des réparations jugées souvent insuffisantes, voire dérisoires par les victimes236. La faiblesse de ces dommages et intérêts décourage même parfois les actions en justice contre la contrefaçon et en particulier, les PME créatives hésitent à déclencher de telles actions devant la balance des coûts de la procédure et des résultats escomptés. A l’opposé et parallèlement, le contrefacteur est encouragé à entreprendre ou poursuivre son action illicite, en introduisant même le coût d’une éventuelle procédure dans ses prix de revient. Par ailleurs, il mise souvent sur l’absence de procédure, cette situation étant générée soit par le découragement de la victime, soit par la démarche ingénieuse du contrefacteur lui-même qui réussit à se soustraire à toute poursuite237.

233 Supra n° 194 234 Ce principe de réparation intégrale est notamment rappelé dans un arrêt de la Cour de cassation de la 1er chambre civile, du 9 novembre 2004, Bull. civ. I, n°264 235 Le principe est celui du pouvoir souverain des juges du fond, lors de l’appréciation du montant des dommages et intérêts, la preuve pouvant être rapportée par tout moyen, Civ.23 Mai 1911: DP 1912, I, 421. En matière de contrefaçon, voir E. Maréchal « L’évaluation des dommages et intérêts en cas de contrefaçon , RTD com. 2012, 245 236 Supra n° et G. Triet « Propriété industrielle: le coût des litiges, études comparées entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis et les Pays-Bas», Editions de l’Industrie, mai 2000 237 Supra n° 26

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B - L'extension de l’indemnisation par la Directiv e européenne de 2004

269 - Devant la progression exponentielle du phénomène de contrefaçon, la mondialisation des échanges et le commerce sur internet238 aggravant le processus, l’intervention d’une Directive européenne semblait s’imposer. Cette nécessité était d’autant plus évidente que la libre circulation des marchandises instaurée au sein de la Communauté européenne et le manque d’unification des sanctions des pays européens conduisent les contrefacteurs à agir dans les Etats réprimants moins sévèrement la contrefaçon239. La première tentative notable de prise en compte de ce phénomène par les instances européennes a été matérialisée par une proposition de la Commission européenne du 30 janvier 2003 (1). Cette dernière sera finalement écartée et il faudra attendre la Directive européenne du 29 avril 2004 pour assister à la mise en place de dispositions innovantes (2). Cette directive sera transposée en droit français par une loi du 29 octobre 2007 (3). Toutefois, ces dispositions nécessiteront des précisions qui seront effectuées par la loi du 11 mars 2014 (4).

1 - La proposition du 30 janvier 2003 de la Commis sion européenne écartée

270 - Le 30 janvier 2003240, la Commission européenne formule une proposition très innovante et au fort potentiel dissuasif à l’égard des contrefacteurs. Elle envisage de sanctionner le contrefacteur de mauvaise foi et ce selon deux possibilités. Plus précisément, elle accorde au magistrat l’opportunité d’opter pour deux options. Il peut prononcer des dommages et intérêts correspondant « au double du montant des redevances ou des droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété en question » Egalement, il dispose de la possibilité de recourir « au recouvrement, au profit du titulaire de tous les bénéfices réalisés par le contrevenant qui sont imputables à cette atteinte et qui ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des dommages et intérêts compensatoires ». 271 - Cette proposition qui permettait d’envisager une meilleure indemnisation de la victime et qui présentait un caractère répressif à l’égard du contrefacteur n’a pas été retenue par la Directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

238Franck Guarnieri - Eric Przyswa « Cybercriminalité -contrefaçon: les interactions entre «réel et virtuel », Cahier de la sécurité juridique, n°5, janvier-mars 2011, p77 et s 239 Florence Chaltiel, « La lutte contre la contrefaçon en Europe - Développements récents » Contrats,Concurrences, Consommation N°7,juillet 2007, étude 9 240 Proposition de directive du 30 janvier 2003 relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle.

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Une partie de la doctrine le regrette241 et sur le plan de l’efficacité qui apparaît essentiel, on convient que cette proposition était très intéressante. Toutefois, cette solution aurait été en désaccord avec la ligne de conduite européenne qui, pour l’instant, rejette les dommages et intérêts punitifs comme non conformes au principe de responsabilité civile des pays de droit continental comme la France242.

2 - Les innovations de la Directive européenne du 29 avril 2004

272 - Il n’en demeure pas moins que la Directive européenne du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle a introduit des innovations importantes en matière de détermination du préjudice. Son article 13, intitulé « Dommages et intérêts », prévoit deux alternatives pour les autorités judiciaires des différents Etats européens. Ainsi, le texte 13 - a envisage la première possibilité de calcul des dommages et intérêts en prenant en considération des critères classiques qui sont le manque à gagner et le préjudice moral, mais aussi un nouveau élément « les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant ». Au 13 -b, Ia seconde possibilité et innovation est l’opportunité pour le magistrat de recourir à la fixation : « d’un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou des droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question ». Le magistrat optera donc, soit pour le calcul de dommages et intérêts en prenant en considération les conséquences économiques négatives, soit retiendra « une sorte de redevance fictive ». 273 - On peut alors observer que, même si au nom des principes de la responsabilité civile, les rédacteurs de la Directive se refusent à instaurer une peine privée à l’encontre du contrefacteur, un certain élément de la première alternative correspondant à la notion « des bénéfices injustement réalisés par le contrevenant » n’est pas totalement neutre. Indéniablement, l’introduction par la directive de cette notion constitue une avancée vers l’admission des dommages et intérêts punitifs243.

241 Benjamin May, « Améliorer l'indemnisation de la contrefaçon : la loi ne suffira pas» Propriété industrielle n°3, Mars 2008, étude 4 242 Article 1382 et 1383 du Code civil français 243 Six ans plus tard, dans un arrêt du 1er décembre 2010, la Cour de cassation, 1er chambre civile affirme que n’est pas contraire à l’ordre public de prononcer le versement de dommages et intérêts punitifs. Toutefois, la somme accordée ne doit pas être disproportionnée vis à vis du préjudice allégé et retenu.

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3 - L’impact limité de la loi du 29 octobre 2007

274 - La France n’a pas pris en considération la Directive européenne dans les délais normalement prévus. En effet, elle a mis en conformité sa législation avec une année de retard. Ainsi, ce n’est que par une loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007244 que la France a procédé à la transposition de la Directive 2004/48CE du 29 avril 2004. 275 - Cette loi a conduit à l’insertion de nouvelles dispositions figurant dans quatre articles du Code de la propriété intellectuelle. Plus précisément sont visés l’article 333 - 1-3 , l’article L 521 - 7, l’article L 615- 7, l’article L 716-14 de ce Code. Ces articles concernent respectivement les droits d’auteur, les dessins et les modèles et les marques. Une uniformisation du calcul du préjudice est ainsi mis en place. 276 - Ces textes énoncent les différentes sources de préjudice que le magistrat doit identifier distinctement pour apprécier l’ampleur du dommage et fixer le montant de l’ indemnisation245. Ces différentes sources du préjudice sont énumérées successivement dans trois alinéas de ces différents articles du Code de la propriété intellectuelle de la façon suivante : « 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée ; 2 ° Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.» 277 - Par cette énumération, il s’agissait d’offrir au magistrat une trame de calcul unifiée et précise de l’indemnisation, mais aussi d’inciter la victime à présenter une demande suffisamment argumentée et justifiée. Il a été souligné à juste titre que cette transposition permet : « L’ouverture d’une brèche dans le principe de responsabilité civile en prescrivant au juge de prendre en considération les bénéfices illicites du contrefacteur pour fixer ces dommages et intérêts246 ».

244 Loi n°2007-1544, 29 octobre 2007 sur la lutte contre la contrefaçon, JO 30 octobre 2007; Florence Chaltiel, « Une nouvelle loi pour lutter contre la contrefaçon. A propos de la loi du 29 octobre 2007, Contrats Concurrence Consommation n°12, Décembre 2007; Du même auteur : « Les avancées de la lutte contre la contrefaçon : la loi du 29 octobre 2007» Contrats Concurrence Consommation n°1, Janvier 2008, étude 1 245 Marina Cousté et Florent Guilbot « Réforme de l’indemnisation du préjudice de contrefaçon en France: du jardin à la française à l’Eldorado américain? - Point de vue de praticiens» Propriété industrielle n°12, Décembre 2007, étude 26; Christophe Caron « La loi du 29 octobre 2007 dite « de lutte contre la contrefaçon» JCPE, n°47, 22 novembre 2007 246 Guillaume Henry, « Les nouvelles évaluations du préjudice en matière de contrefaçon : entre régime compensatoire et peine privée, Communication Commerce électronique N°1, Janvier 2009, étude 2, p 2

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278 - Toutefois, l’application de la loi de 2007 par les tribunaux demeure très réservée. Le résultat escompté n’a pas été obtenu : on n’a pas assisté à une évolution notable de l’augmentation de l’indemnisation accordée par les juridictions compétentes. Cette situation est notamment soulignée par le rapport sur l’étude comparée sur les dommages alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume Uni et en Allemagne247. De plus, les juridictions françaises ne semblent pas avoir modifié l’élaboration des modalités de calcul de l’indemnisation et n’utilisent que rarement la deuxième alternative proposée à l’article 13-b de la Directive européenne. Cette alternative a été pourtant introduite dans chacun des quatre articles du Code de la propriété intellectuelle précédemment mentionnés248.

4 - L’apport de la loi du 11 mars 2014

279 - Dès lors, l’intervention du législateur français semblait nécessaire pour préciser les notions introduites par la loi de 2007. Une nouvelle loi du 11 mars 2014249 sur la lutte contre la contrefaçon procède ainsi à ces précisions et a introduit une notion nouvelle d’ « économie d’investissements », tendant à rendre plus performant le calcul du montant de l’indemnisation250. 280 - Il n’en demeure pas moins que certaines imprécisions et lacunes demeurent. En effet, lorsque l’on cherche à améliorer une législation face à un comportement illicite qui évolue en raison de la progression des technologies et de la mondialisation, le droit rencontre des difficultés à offrir une réponse en parfaite adéquation avec la réalité économique. Ce constat est malheureusement incontournable et la technologie, la science, l’internationalisation sont autant d’accélérateurs qui posent problème au législateur dont la réactivité peine à suivre une telle évolution et à proposer une législation adaptée. Par ailleurs, l’efficacité du dispositif législatif, même le plus aiguisé, demeure toujours limitée dans son application en présence d’un comportement illicite dont le chiffre noir reste très élevé251.

247 Etude comparée sur les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume uni et en Allemagne, op citée, p66 248 Supra n° 275 249 L. n° 2014-315, 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon, Journal Officiel 12 Mars 2014 250 Xavier Buffet Delmas d’Autane et Jules Fabre « Nouveautés, clarifications, carences et incertitudes du dispositif de lutte contre la contrefaçon tel que renforcé par la loi n°2014-315 du 11 mars 2014» Proprriété industrielle n°5 , Mai 2014, étude 12, notamment n°7 à n°13; Florence Meuris, « Une lutte immédiate contre la contrefaçon», Communication Commerce électronique, n°4, Avril 2014 251 Supra n° 17 et s.

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Un tel constat doit conduire le législateur, mais aussi la jurisprudence, à assurer la meilleure progression possible de l’appréciation du préjudice subi par les entreprises. Il apparait alors nécessaire de présenter les différentes techniques d’évaluation du préjudice qui constituent, malgré tout, un indéniable progrès dans la lutte contre la contrefaçon.

II Le choix de la méthode d’évaluation du préjudic e

281 - Actuellement, qu’il s’agisse de droits d’auteur, de brevets, de marques, de dessins ou de modèles, le législateur français offre à la victime de la contrefaçon deux méthodes d’évaluation du préjudice. Cette dernière peut ainsi opter, soit pour une méthode conduisant au calcul du préjudice en prenant en considération chacune de ces sources distinguées et énumérées par le législateur (A), soit pour une appréciation forfaitaire du préjudice (B).

A - La recherche de la détermination d’un calcul p ertinent du préjudice

282 - Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle conduisent à retenir trois types de préjudice que la victime doit justifier et que le magistrat doit prendre en considération252. Pour leur présentation, on suivra l’ordre adopté par le législateur dans les différents articles du Code de la propriété intellectuelle. On envisagera ainsi des conséquences négatives pour la victime de la contrefaçon sur le plan économique (1), le préjudice moral subi par cette dernière (2) et enfin, on prendra en compte dans le calcul les bénéfices dégagés par le contrefacteur (3).

1 - Les conséquences économiques négatives

283 - Cette première catégorie de préjudice recouvre les gains manqués (a) et la perte subie (b). Ces deux aspects du préjudice, de nature patrimoniale, ont été dégagés par la jurisprudence avant la loi de 2007. Le législateur les nomme expressément mais ne définit pas ces deux expressions. 284 - Toutefois, avant d’envisager précisément, ces deux conséquences négatives, il faut procéder à une observation d’un point de vue général.

252 Emmanuel Dreyer, Fascicule 1612 « Procédures et sanctions - Contrefaçon. Preuve et sanction, Jurisclasseur Propriété littéraire et artistique», 15 mars 2015, (voir n°68 à 90), Sur le montant des dommages et intérêts accordés en pratique voir Yann Basire «Les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon. Etude comparée en France, au Royaume-Uni et en Allemagne», Propriété industrielle n°7-8 Juillet 2014

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En effet, on peut se référer aux travaux de Gérard Cornu 253qui expose ces deux notions en se reportant à leurs origines latines qui correspondent au damnum emergens et au lucrum cessans. La première de ses locutions se traduit par la perte subie par le créancier du fait de l’inexécution du contrat et la seconde correspond au gain manqué qui s’ajoute au préjudice supporté par le créancier. On se reporte alors à l’article 1149 du Code civil qui utilise ces deux expressions dans le cadre de la définition des dommages et intérêts. Ainsi, ce texte prévoit que « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé (...) ». Cet article précise ainsi l’évaluation de l’indemnisation due à un créancier par le débiteur pour la réparation du dommage causé par l’inexécution, la mauvaise inexécution ou l’exécution tardive de son obligation. Il faut noter qu’en matière de contrefaçon, cette somme d’argent ne correspond pas à des dommages et intérêts mais plus justement à une indemnité, car elle est versée pour la réparation d’un préjudice causé par un délit ou quasi-délit254.

a - Le manque à gagner

285 - Le manque à gagner est donc juridiquement un gain manqué par la victime de la contrefaçon. Concrètement, il s’agit des ventes qui auraient pu être réalisées en l’absence de contrefaçon sur le marché concerné. Dans le silence des textes, la jurisprudence a pris en considération un certain nombre de critères pour calculer le manque à gagner. On peut citer, à ce propos, l’arrêt rendu en matière de contrefaçon de marque par la Cour d’appel de Colmar du 11 février 1997, qui est particulièrement explicite. En effet, il indique que « L’indemnité doit être appréciée eu égard à l’importance relative de l’exploitation de la marque invoquée, le volume de la contrefaçon, à la nature similaire des produits respectivement vendus par le titulaire de la marque et par le contrefacteur, à l’indemnité de clientèle ciblée et à la notoriété relative de la marque invoquée, ainsi qu’au rôle de la marque dans la décision d’achat »255. 286 - Ces critères jouent un rôle particulièrement important et sont utilisés pour tous les droits de propriété intellectuelle sans distinction de leur nature256.

253 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Puf , p 229 254 Gérard Cornu, Vocabulaire Juridique, Association Hernri Capitant, puf, p 229 et 287 255 Cour d’appel de Colmar du 11 février 1997 256 Benjamin May, « Améliorer l'indemnisation de la contrefaçon : la loi ne suffira pas » Propriété industrielle n°3, Mars 2008, étude 4, n°40 et suivant

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On peut considérer que la base du calcul du manque à gagner correspond à la masse contrefaisante; autrement dit, il s’agit du volume de la contrefaçon qui est déterminé par les saisies effectuées par les douanes. Il faut cependant remarquer qu’en la matière, le chiffre noir étant très important, cette base d’évaluation du préjudice est faussée et minorée par définition. 287 - Toutefois, d’autres critères peuvent servir de correcteur comme la durée plus ou moins longue pendant laquelle le contrefacteur sera intervenu sur le marché en faussant le chiffre d’affaires de la victime. De même, la notoriété du produit contrefait peut être un indicateur d’un manque à gagner lorsqu’elle oriente fortement les ventes vers le produit contrefait.257 A l’opposé, la manière dont la victime assure l’exploitation de son droit de propriété intellectuelle peut conduire à limiter le manque à gagner si la part de marché est restreinte en raison, par exemple, d’une capacité de production limitée. Cette réalité économique permet d’établir que la victime n’aurait pas pu assurer les ventes réalisées par le contrefacteur.

b - Les pertes subies

288 - Les pertes subies sont diverses et dépendent du droit de propriété intellectuelle visé par la contrefaçon. Toutefois, on peut distinguer deux grandes catégories, les pertes directes et indirectes. 289 - Les premières découlent de l‘introduction dans le réseau de distribution du produit contrefait. Il conduit la victime à assister à la destruction progressive parfois relativement lente ou au contraire très rapide, des investissements réalisés pour la mise au point du produit contrefait. De même, sont fragilisés voire anéantis les efforts de communication et de marketing assurant le succès, la progression de la promotion et la commercialisation du produit en cause. Ce recul des parts de marché peut être constaté pour le produit lui-même, mais aussi pour tous ses dérivés, qui dans le même temps, sont dévalorisés. Ainsi, par exemple, la contrefaçon d’un modèle de haute couture en le vulgarisant peut porter également atteinte aux accessoires commercialisés par la marque. Ces derniers ont la particularité de nécessiter de l’entreprise, un investissement créatif moindre et de présenter un coup plus abordable pour le consommateur. Toutefois, ces accessoires, comme par exemple, les lunettes de soleil ou le parfum qui portent le sigle de la marque génèrent un profit nettement supérieur à celui d’une collection haute couture. En effet, cette dernière ne constitue qu’une sorte de vitrine pour la marque de luxe.

257 Corinne Champagner Katz « L’évaluation et la réparation du préjudice né des actes de contrefaçon et ses évolutions depuis la loi de 2007, Cahier de la sécurité, n°15, Janvier-Mars 2011, p106 et s.

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On assiste alors à une diminution des ventes associées de produits accessoires aux produits de création emblématique qui constituent des pertes financières très importante pour la victime de contrefaçon. 290 - Les secondes pertes qualifiées d’indirectes sont induites par les frais de justice nécessaires à la poursuite du contrefacteur en justice. Elles peuvent représenter un poste très lourd financièrement, une dispersion d’énergie positive et un temps précieux qui pourraient être utilisés dans la création. Egalement, il peut s’agir de frais de communication, comme des campagnes de presse à grande échelle, engagées pour sensibiliser l’opinion publique face à la contrefaçon. Elles ont aussi pour objectif de dissuader le consommateur de se porter acquéreur d’un tel produit, si l’occasion se présentait, l’entreprise créatrice intervenant alors à titre préventif. Dans cet ordre d’idée, on peut citer les campagnes publicitaires couteuses des grandes marques de luxe françaises. Ainsi, notamment le Comité Colbert a t-il entrepris de mener des campagnes anti-contrefaçon. On peut décrire certains visuels de la campagne de 2009 qui cherchent à modifier la perception du produit contrefait258. Ce dernier ne doit plus apparaître comme une bonne affaire potentielle, permettant d'acquérir à moindre coût l’objet de marque convoité et parfois difficilement accessible pour le consommateur. A l’issue de la campagne, ce dernier doit être perçu comme une source potentielle de problèmes en justice et perdre tout attrait. Ainsi, une des affiches de cette campagne représente une montre de marque accompagnée de la mention «Avec elle vous allez avoir un succès fou à la douane ». De même sur une autre, une chemise de marque est photographiée, le message associé à l’image étant alors « Prochain défilé...Au palais de justice». Il est certain qu’avec de telles initiatives, on lutte contre la contrefaçon avec une approche de nature préventive très intéressante, mais cette dernière à un coût non négligeable. Elles constituent une des pertes indirectes pour les victimes de la contrefaçon, les obligeant à investir en amont de l’acte illicite. 291 - Il faut alors remarquer que, quelle que soit la perte directe subie, une constante se vérifie. Il est extrêmement difficile, voire impossible, de rapporter avec rigueur la preuve de la perte subie. Il s’agit d’établir un phénomène négatif, la preuve pouvant alors qualifiée de « diabolique259 ».

258 Elisabeth Ponsonsolle des Portes « La contrefaçon des produits de Luxe », Cahiers de la sécurité n°15, Les dangers de la contrefaçon, Janvier -mars 2011, p 51 259 Nicolas Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, 3ème édition, 2014, p 807, n°1346

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Par ailleurs, à ce niveau, il semble que le travail des experts ne soit pas d’un grand secours, comme le souligne avec un certain humour Charles de Hass260. En effet, dans son article, Il cite les propos d’un Président de Cour d’appel de Paris qui déclare « Avant l’expertise, j’avais une idée à peu près nette de ce qu’il fallait juger mais après, je n’en ai aucune ». Indéniablement, ces propos renvoient à la difficulté de la tâche. En fait, il faudrait que la victime de la contrefaçon ou l’expert se livrent à une véritable fiction261 dans laquelle, on imaginerait la progression des parts de marché du produit concerné, en dehors de toute contrefaçon et ce pendant une période relativement longue. Effectivement, il a été démontré par les économistes que, lorsque la contrefaçon existe, ses effets perdurent dans le temps, cette période pouvant s’étendre au moins pendant cinq années consécutives.

2 - Le préjudice moral

292 - Ce deuxième type de préjudice peut être établi par les personnes physiques et les personnes morales. Selon le législateur, il s’agit du « préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte ». 293 - Pour cerner ce deuxième préjudice, il faut remarquer immédiatement, comme le souligne l’ensemble de la doctrine, que ce préjudice moral ne doit pas être confondu avec l’atteinte portée au droit moral de l’auteur d’une oeuvre de l’esprit. Ce dernier est prévu expressément à l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle. Ce droit est reconnu exclusivement à la personne physique de l’auteur et concerne notamment le droit au nom et le droit au respect de l’oeuvre. Certes, ce préjudice moral sera pris en considération lors de l’atteinte au nom ou au respect de l’oeuvre de droits d’auteur mais il ne sera pas exclusif, car le préjudice moral peut être provoqué par l’atteinte à un droit patrimonial262. Une utilisation contestable de l’oeuvre est alors à l’origine d’un tel préjudice263. 294 - Pour les autres droits de propriété, comme les marques, les brevets et les dessins ou les modèles, l’identité de l’entreprise est constituée respectivement par l’image de la marque, par l’inventivité du brevet ou par l’originalité des dessins et des modèles264.

260 Charles Hass « L’évaluation de l’indemnisation de la victime d’une contrefaçon, entre incohérences et approximations» Propriété intellectuelle: notions cadres et mécanismes essentiels» Legicom, n°53- 2014/2, p75. 261 Charles Hass, op citée, p 75 262 V.P Stoffel - Munck, « Le préjudice moral des personnes», Mélanges Le Tourneau, Dalloz, éd 2008, 263 Emmanuel Dreyer, Procédure et sanction de la contrefaçon, Fascicule 1612, Jurisclasseur, 15 mars 2015, n°77 264 Voir Corinne Champagner Katz, déjà cité, p109

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Le préjudice moral est alors réalisé par l’atteinte à l’identité forte de ces entreprises qui subissent les actes de contrefaçon. Une partie de la doctrine265 considère que la fixation du montant du préjudice devient très subjective et ne peut être que forfaitaire. La raison étant que l’atteinte de cette identité est constituée par des éléments immatériels comme l’image, l’inventivité ou l’originalité qui assurent la fidélisation de la clientèle. Toutefois, ce préjudice, s’il est difficilement chiffrable, n’en est pas moins bien réel. Il induit notamment un détournement de la clientèle potentielle du produit par sa banalisation ou sa dévalorisation dans l’esprit du public. 295 - Il est certain qu’il est difficile de procéder à l’appréciation de la portée exacte de l’atteinte qui entraine l’affaiblissement de l’identité et qui nuit par exemple à l’image spécifique du produit. Un chiffrage mathématique avec exactitude semble difficile à effectuer, ce qui conduit les victimes à énoncer dans leur conclusion une demande sans réellement la justifier. Devant cette attitude qui traduit un certain aveu d’impuissance à effectuer une réelle démonstration, les magistrats sont alors très réservés et ne sont pas enclins à accorder une indemnité élevée au titre de ce préjudice moral. Toutefois, ces difficultés de chiffrage ne doivent pas être vécues comme une fatalité. Il appartient au juriste de recourir aux compétences des économistes et des spécialistes en marketing266. Ces derniers sont aptes à quantifier ce préjudice moral, en établissant notamment les pertes de parts de marché liées à l’atteinte à l’identité du produit par le contrefacteur, qui constituent un bon indicateur permettant d’établir une appréciation objective.

3 - La prise en considération des bénéfices du con trefacteur

296 - Il reste alors à envisager la troisième catégorie qui concerne « la prise en considération des bénéfices du contrefacteur ». Il s’agit de l’innovation essentielle apportée par la loi de 2007 dans le calcul de l’indemnisation de la victime de contrefaçon267.

265 Voir notamment Guillaume Henry, n°5, déjà cité 266 Voir Benjamin May qui effectue une présentation très concrète du préjudice et du calcul de l’indemnité. Il donne en particulier une liste de pièces à fournir en cas de procès pour établir différentes preuves. Il s’agit plus précisément de « la preuve de l’existence et de la valeur du droit, la preuve de l’exploitation et de la notoriété, la preuve du gain manqué et des effets de l’arrivée du contrefacteur sur le marché, la preuve des pertes subies ». Cet article constitue ainsi un outil très appréciable dans le cadre de la défense de la victime de contrefaçon, n°38 et suivant, déjà cité 267 Jacques Raynard « Toques et brevets: de la nouvelle cuisine (française) de la réparation de la contrefaçon » Propriété industrielle n°2, Février 2012, comm.11. Dans cet article est commenté un arrêt de la Cour d’Appel de Colmar, 1ère chambre civile, 20 septembre 2011, EURL MBI c SARL GYRA, serait « une première application maximaliste de l’article L. 615-7 du Code de la propriété intellectuelle en fixant l’indemnité réparatrice allouée à la victime à l’aune des bénéfices réalisés par le contrefacteur ».

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En effet, jusqu’à cette date, on ne s'intéressait pas au contrefacteur et à ses bénéfices éventuels. Traditionnellement, les principes de responsabilité civile conduisent à ne se placer exclusivement que du point de vue de la victime. 297 - Cependant, une nouvelle fois, cette expression de « prise en considération des bénéfices » n’a pas été suffisamment explicitée par le législateur. Dès lors, elle a soulevé de nombreuses interrogations auxquelles la doctrine a tenté de répondre. Tout d’abord, on a pu se demander si cela conduisait à envisager de remettre à la victime l’ensemble des bénéfices générés par le contrefacteur ? Ou s’agissait-il de n’en attribuer qu’une partie en considérant que cette innovation de la loi constituait un nouvel instrument d’ajustement de l’indemnité268 ? Il est certain qu’en introduisant cette disposition le législateur souhaitait assurer l’augmentation de l’indemnisation versée à la victime de la contrefaçon, car elle était jugée généralement insuffisante. Cependant, au regard de la jurisprudence, il apparaît que c’est la deuxième interprétation qui doit être retenue. 298 - De plus, la doctrine269 a confronté cette disposition au principe de responsabilité délictuelle de droit commun qui commande de réparer l’intégralité du préjudice, mais uniquement le préjudice. On a alors pensé qu’il pouvait s’agir d’une atteinte à ce principe puisque l’on détermine l’indemnisation en ne se contentant pas de réparer mais de prononcer des dommages et intérêts punitifs, dont l’objectif serait de sanctionner la faute du contrefacteur. Toutefois, une telle analyse est en contradiction avec la directive de 2004 elle-même. En effet, cette dernière souligne que « Le but est non pas d’introduire des dommages et intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective270 ». 299 - Certains ont alors pensé qu’il s’agirait d’une « troisième voie » qui fonderait « un régime d’évaluation sui generis jusqu’alors inconnu du droit français271 ». Cette troisième voie permettrait d’améliorer l’indemnisation de la victime sans être punitif, mais elle serait de nature à produire un effet dissuasif à l’encontre du contrefacteur, ce dernier étant privé d’une part de ses bénéfices. Dès lors, ce dernier ne peut, aussi facilement qu'auparavant, postuler que l’indemnisation en cas d’une procédure éventuelle sera de toute façon inférieure à ses bénéfices.

268 Voir notamment Guillaume Henry, n°8, déjà cité 269 Voir notamment Guillaume Henry, n°8, déjà cité, dans le même sens Voir Corinne Champagner Katz,

déjà cité, p109 270 Directive de 2004/48/CE, p15 271 Voir notamment Guillaume Henry, n°8, qui renvoie à l’analyse de Carval, La responsabilité civile dans sa fonction privée, LGDJ, 1995

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300 - Il n’en demeure pas moins que cette innovation législative risque de se heurter à la difficulté majeure de la détermination des bénéfices réels du contrefacteur, qui ne sera pas plus aisée que la détermination des pertes de la victime. Toutefois, si la victime établit d’importants bénéfices réalisés par le contrefacteur, elle peut tenter de démontrer devant les juges du fond « l’impact réel de la contrefaçon ». En effet, de tels bénéfices peuvent permette d’établir l’existence d’une diffusion de masse à un prix dérisoire au regard du prix réel. Le produit ou l’oeuvre de l’esprit sont alors dévalorisés au regard du consommateur272. 301 - Il faut souligner que la loi de 2014 a apporté une précision à cette notion de bénéfice du contrefacteur. L‘objectif du législateur est d’assurer une meilleure compréhension du texte de 2007 et non de procéder à un changement d’orientation du droit positif273. Elle indique que ces bénéfices sont dus notamment aux « économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que le contrefacteur à retirées de l’atteinte aux droits ». En fait, cette disposition conduit la victime à procéder à une soustraction des bénéfices bruts réalisés par le contrefacteur aux économies effectuées au détriment de la victime274. Cette dernière peut alors rapporter la preuve du calcul de la marge bénéficiaire du contrefacteur ainsi dégagée. Cette marge est générée au détriment de victime, car le contrefacteur se dispense notamment de supporter les frais encourus par le titulaire du droit de propriété, comme par exemple les frais de recherche, d’identification ou de publicité. 302 - Enfin, il faut noter l’existence d’une disposition particulière adoptée par le législateur français concernant l’atteinte au droit d’auteur. Elle est prévue à l’article L.335-6 du Code de la propriété intellectuelle qui est rédigé dans les termes suivants « Le matériel, les objets contrefaisants et les recettes ayant donné lieu à la confiscation seront remis à la victime ou à ses ayants droits pour les indemniser de leur préjudice ». Cette disposition est d’une grande efficacité, mais elle semble comme le souligne la doctrine incompatible avec la prise en compte des bénéfices du contrefacteur dans le calcul de l’indemnisation prévue par la loi du 29 octobre 2007. En fait, elle apparaît faire double emploi. Cette situation est d’autant plus surprenante que l'introduction de cette disposition de l’article L. 335-6 du Code de la propriété intellectuelle est antérieure à la loi introduisant en droit français, la Directive européenne de 2004.

272 Emmanuel Dreyer, Procédure et sanction de la contrefaçon, Fascicule 1612, Jurisclasseur, 15 mars 2015, n°75 273 Florence Meuris, « Une lutte immédiate contre la contrefaçon », Communication, Commerce électronique, n°4, Avril 2014, 274 Arnaud Latil « Les économies d’investissements du contrefacteur » Communication Commerce électronique n°3 mars 2015, étude 6

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On peut alors s’interroger sur la volonté du législateur. Admet-il le cumul entre cette confiscation et la prise en considération des bénéfices du contrefacteur dans le calcul de l’indemnité accordée à la victime ? Ou s’agit-il en réalité d’un problème de cohérence et de coordination avec l’introduction de la Directive en droit français ? La question est posée et l’on peut espérer une réponse jurisprudentielle qui éclaircira cette situation.

B - La détermination d’une redevance fictive

303 - Cette détermination d’une redevance fictive correspond à l’article 13-b de la Directive européenne de 2004, elle a été introduite en droit français par la loi du 29 octobre 2007. Cette alternative doit être prise en considération par la victime de la contrefaçon dans deux hypothèses particulières. La première correspond à celle où la victime n’exploite pas son droit de propriété intellectuelle. La seconde vise la situation où le contrefacteur a généré un faible profit de son comportement illicite. 304 - Dans ces deux cas, évidemment, il n’est pas souhaitable, voire impossible pour la victime de recourir à une méthode analytique des bénéfices. Grâce à cette seconde alternative, on détermine alors une redevance fictive qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait conclu légalement la licence. 305 - Cette disposition conduirait à instaurer une sorte de licence légale qui est apparue critiquable, voire extrêmement dangereuse. En effet, le seul risque pris par le contrefacteur qui exploite le droit de propriété en violation de la loi, serait d’être contraint de régulariser simplement sa situation au regard de la victime de la contrefaçon. Le caractère dissuasif apparaît inexistant et l’on pourrait même considérait qu’il s’agit d’une incitation à la violation des droits de propriété intellectuelle. Toutefois, les tribunaux ont conscience que cette licence n’est que fictive et non négociée par les parties dans un contexte contractuel normal. Dès lors, les magistrats apprécient à la hausse le montant de la redevance. Il n’en demeure pas moins que l’on se heurte une nouvelle fois à la difficulté de procéder à une évaluation objective. Dans cette appréciation, le pouvoir souverain des magistrats s’exprime totalement : ils s’appuieront sur la démonstration de la victime. Cette dernière peut ainsi tenter d’effectuer une évaluation de son préjudice, en présentant des redevances réelles accordées dans des situations proches au regard de la nature de leur droit de propriété intellectuelle.

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Section 2 : L’avenir des dommages et intérêts puni tifs en droit français

306 - Depuis quelques années et en particulier avec l’adoption de la loi de 2007 sur la contrefaçon, la doctrine française débat avec passion d’une éventuelle introduction des dommages et intérêts punitifs275. Il est certain que le recours à la notion de « la prise en considération des bénéfices du contrefacteur » est loin d’être anodin. En effet, ces dommages et intérêts punitifs sont incontestablement sous-jacents à cette disposition, même si la Directive européenne de 2004 et le législateur français s’en défendent. Toutefois, nous pensons que non seulement elle est sous-jacente, mais qu’elle est également nécessaire. Dès lors, l’analyse de cette notion s’imposait pour envisager, sans faux - semblant (I), son introduction en droit français, pour une lutte efficace à la hauteur de l’ingéniosité des contrefacteurs, de leur puissance économique et de la dangerosité de ces pratiques (II).

I De l’exclusion de la peine privée au besoin d’un fort pouvoir de dissuasion

307 - Dans un premier temps, il faut essayer de comprendre cette résistance à l’instauration de dommages et intérêts punitifs en droit français et en particulier dans le cadre de la contrefaçon (A). Dans un second temps, il faut souligner le paradoxe de l’existence de certaines dispositions destinées, depuis fort longtemps, à punir au civil et notamment le contrefacteur (B).

A - Le refus du risque de confusion entre la sanct ion civile et la sanction pénale

308 - Il faut exposer le raisonnement qui conduit à rejeter les dommages et intérêts punitifs, en les qualifiant de peine privée. Ce refus serait justifié par un potentiel de risque de confusion entre la sanction civile et la répression pénale, conduisant au renforcement de la désaffection vis - à - vis de l’action au pénal (1) . Toutefois, à ces appréhensions, on opposera l’évolution historique de la distinction entre responsabilité civile et pénale (2).

275 Muriel Chagny «La notion de dommages et intérêts punitifs et ses répercussions sur le droit de la concurrence - Lectures plurielles de l’article 1371 de l’avant-projet de réforme du droit des obligations» JCPG, n°25, 21 juin 2006, I, 149. Pour mémoire l'article 1371 est ainsi rédigé « L'auteur d'une faute manifestement délibérée, et notamment d'une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables ».

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1 - Une désaffection de l’action pénale

309 - Pour la doctrine traditionaliste, les dommages et intérêts punitifs, envisagés notamment en matière de contrefaçon, seraient en contradiction avec les principes de la responsabilité civile. En effet, cette dernière prévoit la réparation intégrale du préjudice à l’exclusion de toute autre fonction, notamment punitive276. Ainsi, le juge civil répare un préjudice ou un dommage alors que le juge pénal réprime une infraction et prononce une peine. Cette dernière se définit comme un « châtiment édicté par la loi qui a l’effet de prévenir et, s’il y a lieu, de réprimer l’atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction277 ». 310 - Plus précisément, au pénal, la contrefaçon et la complicité de contrefaçon constituent un délit278. Ce dernier est sanctionné par une amende et une peine d'emprisonnement, auxquelles sont associées des peines complémentaires, comme la destruction des produits contrefaits ou l’éventuelle fermeture de l’établissement en cause. L’amende encourue par le contrefacteur est de 300 000 euros et l'emprisonnement de 3 ans. Des circonstances aggravantes peuvent conduire au prononcé d’une amende s’élevant à 500 000 euros et à un emprisonnement de cinq années du contrefacteur. Ces circonstances sont au nombre de trois : la contrefaçon commise en bande organisée279, la contrefaçon portant atteinte à l’intégrité physique des victimes, la contrefaçon réalisée sur « un réseau de communication en ligne ». 311 - Ces auteurs dénoncent l’amalgame dangereux entre réparation et sanction provoqué notamment par la « prise en considération des bénéfices du contrefacteur» et la multiplication non justifiée des peines privées280. Parallèlement, ils redoutent une accélération de la désaffection de l’action pénale au bénéfice de l’action civile. Toutefois, en matière de contrefaçon, ce décalage est déjà une réalité, le justiciable préférant recourir au juge civil plutôt qu’au juge pénal.

276 Supra n° 263 277 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, p 240 278 Caroline Le Goffic et Marion Wagner « La pénalisation de la contrefaçon», Droit pénal, n°12, Décembre 2009, étude 26 279 Article L.615-14, L. 716-9 et L.521-10 du Code de la Propriété intellectuelle 280 Infra n°316

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En effet, lors d’une procédure pénale, la victime peut certes demander une réparation au juge, mais ce dernier a pour mission principale d’assurer la défense de l’ordre social et de punir le délinquant, plutôt que de garantir la meilleure indemnisation possible à la victime. Dès lors, très naturellement, cette dernière, recherchant une meilleure indemnisation, se tourne vers le juge civil. Enfin, il faut noter qu’en agissant ainsi, la victime ne se prive pas de jeter l'opprobre sur le contrefacteur notamment en matière de droits d’auteur grâce à la publication de la décision de justice. Dès lors, elle n’a pas besoin de recourir au pénal pour assouvir son besoin de voir punir le responsable de la violation de ses droits.

2 - L’histoire des responsabilités civile et pénal e étroitement associées

312 - L’étude de l’histoire de la justice permet d’établir qu’initialement, ces fonctions réparatrices et répressives étaient intimement liées au sein d’une responsabilité, suivant une logique pénale281. En effet, son objectif principal était le rétablissement de l’ordre social et, seulement ensuite, était prise en considération la réparation de la victime. Les termes de punition, d’expiation, de vengeance étaient alors au centre des préoccupations. Il faut attendre l’instauration d’un Etat puissant pour envisager la séparation de la fonction réparatrice de la fonction répressive, en donnant naissance à la responsabilité civile. Cette responsabilité civile s’est largement développée ces dernières décennies, s’imposant pour garantir la sécurité du particulier et assurer sa réparation dans de multiples domaines du droit. Ainsi, l’évolution de notre société a conduit à une distinction de plus en plus tranchée entre responsabilités pénale et civile. 313 - Toutefois, cette séparation n’est pas toujours aussi évidente et dans son Vocabulaire juridique, Gérard Cornu attribue deux sens au terme de « peine ». Le premier a une portée pénale indéniable mais dans le second, la distinction des domaines pénal et civil apparaît moins nettement. Ainsi, il indique que, parfois, la peine désigne « une sanction infligée en matière civile et (non pénale), mais à titre de punition (et non de réparation). Il poursuit en précisent que la peine « privée est infligée à titre de sanction punitive, dans les cas spécifiés par la loi, à l’auteur d’agissements frauduleux282 »

281 Gérard Cornu, op citée p 588 et 589 282 Gérard Cornu, op citée, p 723 et 724

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314 - Aujourd’hui, cette opposition entre responsabilités civile et pénale ne doit pas empêcher de lutter à armes égales avec l’un des plus graves fléaux de notre époque. Ainsi, comme l’exprime parfaitement Patrice Jourdain : « Le lien entre les deux responsabilités n’a jamais été rompu. La dissociation ne fut jamais totale. Mieux, la tendance serait à leur rapprochement (...) les regards se croisent plutôt que de s’ignorer, et les fonctions se combinent 283».

B - La réalité juridique parfois éloignée de la si mple réparation

315 - Après avoir exposé les résistances à l’introduction des dommages et intérêts en droit français, il faut noter que l’observation de ce dernier conduit à constater l’existence de peines privées que l’on peut qualifier d’occultes (1). Par ailleurs, lors de la réparation du préjudice moral, l’indemnisation accordée à la victime par les tribunaux n’est pas sans laisser penser que les magistrats cherchent plus à punir qu’à réparer. Incontestablement, ils répondent ainsi aux véritables attentes de la victime de contrefaçon (2).

1 - L’existence des peines privée occultes

316 - L’introduction par le législateur en 2007 de la notion « de bénéfices réalisés par le contrefacteur » pour le calcul du préjudice de la victime de contrefaçon dépasse incontestablement la simple volonté de réparation. L’existence d’une « troisième voie284 » entre stricte réparation et sanction punitive nous apparaît peu probable. En réalité, au lieu de rechercher à concilier cette innovation législative avec le principe de réparation de la responsabilité civile, il est fondamental de constater et d’assumer cette évolution pour mieux l’encadrer. C’est la démarche suivie par une partie de la doctrine285 et certaines décisions de justice peuvent s’interpréter dans ce sens. Par ailleurs, loin d’être isolée une telle démarche a déjà été adoptée. On pense alors aux clauses pénales et aux astreintes judiciaires286.

283 Patrice Jourdain, Conclusion prospective, Responsabilité civile et assurances, n°5, dossier 35, Mai 2013, n°4 284 Supra n° 299 285 Patrice Jourdain, op citée. 286 Sur la notion de peine privée, voir Frédéric Stasiak « Les sanctions de la contrefaçon» Communication Commer électronique n°1, Janvier 2009, étude 1

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317 - Toutefois, pour l’instant, le droit positif français ne reconnait pas les dommages et intérêts punitifs, même si, dans une affaire récente en date du 1er décembre 2010, la première chambre civile de Cour de cassation a considéré que : « le principe d’une condamnation à des dommages et intérêts punitifs n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public287 ».

2 - Un cas particulier : la réparation du préjudic e moral

318 - Les prérogatives du droit d’auteur sont patrimoniales mais aussi morales: il s’agit d’une particularité très importante et caractéristique par rapport au droit des marques, des dessins et modèles ou au droit des brevets mais aussi par rapport au droit anglais288. Ce droit moral se compose notamment d’un droit de paternité prévu à l’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle. 319 - Il est à noter que ces actions sont rarement neutres sur le plan humain car elles opposent souvent deux auteurs qui revendiquent chacun l'originalité de leur oeuvre. Dès lors, elles sont imprégnées d’un aspect personnel très fort pouvant conduire à de redoutables batailles juridiques289. Dans certaines affaires, l’aspect financier n’est pas négligeable, les droits d’auteurs étant particulièrement élevés. Toutefois, le plus souvent, il s’agit d’honneur, de revanche et de punition. L’action civile et son rôle de réparation ne sont qu’un souvenir lointain. Les objectifs de la victime sont centrés sur la recherche de la punition du coupable sur la place publique et parfois même, elle ne réclame que l’euro symbolique.

287 Cassation 1er Chambre civile, 1er décembre 2010, JurisData : n°2010-022675; Journal de Droit International, 3 juillet 2011, O.Boskovic 288 Supra n° 228 et s. 289 On peut donner l’exemple récent du chanteur Calogero, en mars 2010, il est condamné pour contrefaçon pour «Un jour parfait», le texte de sa chanson reprenant prétendument les paroles d’un autre auteur. En 2011, le Tribunal de grande instance donnera raison au chanteur en écartant la contrefaçon. Il est à nouveau poursuivi pour contrefaçon pour une autre chanson et condamné en 2015 à 80 000 euros de dommages et intérêts. Son avocat qui évoque dans la presse l’appel exercé, le qualifie « de combat pour l’honneur » (express 21.novembre 2014). Ces affaires sont multiples mais on peut également citer celle de la bicyclette bleu dans laquelle cinq millions de Francs sont réclamés à Régine Deforges qui, à l’issue d’une longue bataille, juridique obtiendra gain de cause ou encore celle concernant Patrick Poivre d’Arvor, accusé de plagiat pour sa bibliographie d’Hemingway. Les éditions Arthaud déclarent que « Le texte imprimé, diffusé par erreur à la presse en décembre, était une version provisoire. Elle ne correspond pas à la version définitive validée par l’auteur. Patrick Poivre d’Arvor se défend en indiquant: « Je n’allais pas lui inviter une vie » et qualifie ce soupçon de «très désobligeant» (voir Wikipédia Patrick Poivre d’Arvor). A nouveau, il est poursuivi en contrefaçon pour son roman « Fragments d’une femme perdue » dans lequel il lui est reproché de reproduire onze lettres d’amour reçues d’une de ses anciennes amantes. Le Tribunal de Grande Instance de Paris, le 7 septembre 2011, le condamne à 33 000 euros de dommages et intérêts.

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Toutefois, les juridictions peuvent prononcer des sanctions complémentaires, comme la publication de la décision de condamnation pour contrefaçon. Ces publications sont ordonnées dans des revues relevant du domaine de compétence des auteurs et leur coût financier est loin d’être négligeable. Dès lors, on est en présence d’une peine privée occulte et redoutable. Cette situation a été parfaitement décrite et appréciée par un auteur dans les termes suivants : « l’action civile vindicative est une survivance modernisée et très édulcorée de la vengeance privée pratiquée dans les sociétés primitives. Elle n’en exprime pas moins une certaine confusion des fonctions de répression et de réparation290 ».

II Une réforme envisageable reposant sur une analy se pragmatique

320 - Incontestablement, ces peines privées occultes ou cette « prétendue troisième voie291 » ne sont que faux - semblants ou artifices qui nuisent à la lisibilité des décisions de justice (A). Elles constituent un véritable appel à une réforme de l'indemnisation de la contrefaçon par l'introduction en droit français des dommages et intérêts punitifs, adaptés à la faute lucrative, voire au « montant du profit retiré par le défendeur plutôt que la réparation du préjudice292 » (B).

A - L’abandon des peines privées occultes pour un encadrement

321 - L'hypocrisie des textes et l’imprévision du montant de l'indemnisation attendue sont toujours néfastes au respect de la règle de droit par le justiciable et, en définitive, à sa réelle application. Elles créent un sentiment d’arbitraire qui éloigne les victimes des prétoires et fait le jeu des contrefacteurs. L’introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français pourrait être une solution adaptée à cette problématique (2). Cependant, au préalable, une confrontation de cette forme d’indemnisation à l’ordre public français s’impose (1).

1 - La confrontation à l’ordre public français des dommages et intérêts punitifs

322 - Cette confrontation des dommages punitifs à l’ordre public français intervient en matière de droit international privé. Plus précisément, il s’agit de l’hypothèse de la soumission au juge français d’une décision prononcée par une juridiction étrangère accordant un tel mode d’indemnisation, pour obtenir son exécution sur le territoire français.

290 Patrice Jourdain, opinion déjà citée, n°6 291 Supra n°299 292 Patrice Jourdain, opinion déjà citée, n°10

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Pour accorder ou refuser l’exequatur, le juge français est alors conduit à se prononcer sur cette compatibilité de ces dommages et intérêts punitifs à l’ordre public français. Ainsi, ce principe de compatibilité avec l’ordre public français semble pouvoir être admis en raison de l’existence de peines privées établies en droit français293. 323 - Toutefois, le problème d’un éventuel enrichissement sans cause peut être posé par le versement d’une indemnité supérieure au dommage subi par la victime. On peut remarquer que le contrefacteur commet une faute volontaire et que, dès lors, l’enrichissement a pour cause « cette faute ainsi que dans la fonction punitive et dissuasive de la peine privée294» En définitive, on peut admettre le principe de la compatibilité des dommages et intérêts punitifs avec le droit français. Il n’en demeure pas moins qu’une nouvelle difficulté peut survenir. Il s’agit du montant de l’indemnisation fixé par la juridiction étrangère, car Il ne faut pas que ce dernier porte atteinte au principe constitutionnel français de la proportionnalité des peines. Il faut alors remarquer qu’on peut estimer raisonnablement que ce principe sera respecté notamment par les juridictions américaines. Ces dernières sont strictement tenues par la clause de « due process du XIV ème amendement », interdisant à toutes les juridictions américaines de prononcer une sanction manifestement excessive à l’encontre de l’auteur d’un délit.

2 - Pour une reprise des trois guideposts américai ns

324 - Cette confrontation effectuée avec succès, il est possible d’envisager l’introduction de cette forme d’indemnisation. Le législateur français pourrait s’appuyer sur les droits anglais et américain qui seront présentés plus loin dans ces développements. Il pourrait notamment s’inspirer des trois guideposts américains qui seront exposés en détail295. Il s’agit de lignes directives mises en place par un arrêt de principe américain296, qui encadre l’évaluation de la fixation des dommages et intérêts punitifs. Certes, ces guideposts n’ont pas été dégagés en matière de contrefaçon, mais il serait envisageable de reprendre ces dispositions pour offrir aux magistrats français un moyen de lutte efficace contre la contrefaçon, capable de dissuader réellement le contrefacteur.

293 Marie - Elodie Ancel, « Contrefaçon internationale : le juge face aux dommages et intérêts punitifs étrangers, Cahier de droit de l’entreprise n°4, juillet 2007, dossier 26 , Pauline Le More « 3 questions récentes, développements de la réparation au titre d’un préjudice commercial», JCP E, n°16, 18 avril 2013, 288, n°1 294 Marie - Elodie Ancel, opinion citée. Dans cet article renvoie notamment à l’article de J.Ortscheidt, « Les dommages-intérêts punitifs en droit de l’arbitrage international : LPA 20 novembre 2002, n°232, p17 et s. 295 Infra n° 379 296 Arrêt du 20 mai 1996 BMW of North America, Inc. v. Gore US 559

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B - Une réponse adaptée à la faute lucrative

325 - En présence de la contrefaçon, phénomène à l’impact économique colossal associé à un chiffre noir particulièrement inquiétant, il est important de mettre en exergue la faute lucrative par une appréhension de sa définition (1). Puis, pour tenter d’améliorer la moralisation de la vie des affaires, une sanction efficace de cette faute lucrative s’impose (2).

1 - La définition de la faute lucrative

326 - Si l’élaboration et la mise en oeuvre d’une technique efficace, permettant de lutter contre la faute lucrative, posent problème au juriste, à l’opposé sa définition se formule simplement. En effet, la faute lucrative se détermine en deux étapes étroitement liées. Elle a pour origine un calcul mathématique auquel se livre le contrefacteur et elle induit une situation contestable générée par le résultat de la décision de justice, limitée par le principe de réparation intégrale et exclusive297. 327 - Au début de cette étude298, nous avons mentionné que le contrefacteur procède à une appréciation chiffrée, grâce à laquelle il prend en considération le bénéfice potentiellement réalisable et le coût qui en découle dans le cas où son commerce illicite serait appréhendé. En fait, il prend sa décision à partir d’une prise de risque calculé comme tout homme d’affaires sauf que, dans le cas présent, le comportement générant le profit est formellement interdit par la loi. 328 - Cette faute lucrative met en évidence l’incapacité actuelle du législateur à apporter une réponse efficace à ce comportement. Ainsi, même lorsque la contrefaçon est identifiée et le contrefacteur poursuivi et condamné, ll reste parfois gagnant car l’indemnisation versée à la victime et les sanctions accessoires ne le privent pas totalement de son bénéfice. 329 - Certes, le respectable principe qui impose « toute la réparation mais rien que la réparation299 » pose problème, mais il faut également avoir conscience que le montant réel de la faute lucrative pose en lui - même une difficulté majeure.

297 Voir sur la question, Rodolphe Mésa « Précision sur la notion de faute lucrative et son régime » JCP G, n° 20, 21 mai 2012. Rodolphe Mésa cite en particulier un article de M-A Frison - Roche, « Les principes originels du droit de la concurrence déloyale et du parasitisme : RJDA6/94 p 483 298 Supra n°26 299 Article 1382 ou 1383 du Code civil

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En effet, les bénéfices sont tels qu’ils offrent au contrefacteur une puissance économique qui lui permet de prendre le risque d’être parfois poursuivi car, sur l’ensemble de ces affaires contrefaisantes, il reste globalement gagnant. La balance économique l’emporte sur la balance de la justice et l'ingéniosité du contrefacteur est alors récompensée, en constituant en fait la véritable caractéristique de cette faute lucrative.

2 - La moralisation de la vie économique ou une mo dernisation souhaitable de la responsabilité civile

330 - Ces dernières années, devant l’ampleur du phénomène et son impact économique, divers projets300 ont envisagé une modernisation des textes de la responsabilité civile, pour assurer une meilleure moralisation de la vie économique. On peut citer notamment celui de Pierre Catala301qui a dirigé en 2005 les travaux de l’avant-projet de réforme du droit des obligations. Ce texte envisageait l’introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français. Cet avant - projet prévoyait un article 1371 du Code civil rédigé dans les termes suivants : « L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages et intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et le montant distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables ». 331 - Plus récemment, on peut également mentionner le projet Terré de 2012302 qui prévoit dans son article 54 que : « Lorsque l’auteur d’un dommage aura commis intentionnellement une faute lucrative, le juge aura la faculté d’accorder, par une décision spécialement motivée, le montant du profit retiré par le défendeur plutôt que la réparation du préjudice subi par le demandeur ». Les objectifs de ces deux textes sont de contrer efficacement la faute lucrative. Toutefois, il faut constater que l’approche est différente, le projet Catala prévoyant l’introduction des dommages et intérêts punitifs avec le versement d’une partie au Trésor public. Le projet Terré leur préfère la remise du montant du profit retiré par l’auteur de la faute lucrative intentionnelle, adoptant une démarche plus directe.

300 Trois projets se sont succédés : celui du Professeur Pierre Catala en 2005, de Anziani et Béteille de 2009 et le projet Terré de 2011; Voir Pierre Catala, JCP édG 2005, I, 170; 301 Pierre Catala, il est temps de rendre au Code civil son rôle de droit commun des contrats, JCP G 2005,I, p170 302 Groupe de travail sur le projet intitulé : Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, sous la direction de François Terré, Cour de cassation, février 2012

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332 - Pour l’instant et malgré les avancées européennes, nous sommes dans l’attente de l’adoption d’une réforme qui permettra de lutter à armes égales avec le contrefacteur. 333 - Dès lors, il est particulièrement Intéressant de comparer la solution française précédemment étudiée à la solution anglaise. En effet, en droit anglais, les «accounts of profits», qui conduisent à attribuer à la victime les bénéfices réalisés par le contrefacteur, constituent une technique traditionnelle alors que le juge français n’a pas encore définitivement précisé certaines notions. Ces dernières sont « la prise en considération des bénéfices du contrefacteur » ou « les économies d’investissements » réalisées par le contrefacteur. Elles sont pourtant amenées à jouer un rôle déterminant dans un proche futur, sous l’impulsion européenne. De plus, les dommages et intérêts punitifs étant une construction de la Common Law, il est également important de comprendre la position retenue par le droit anglais dans ce domaine, après avoir présenté les principes du droit américain. Cette analyse permet de mieux envisager comment assurer l’introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français. Enfin, il est possible d’apprécier si l’efficacité de la sanction est identique ou diffère en France et en Angleterre et ce malgré la Directive européenne de 2004.

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Chapitre 2 : L’originalité de la solution anglaise, le choix entre deux sanctions financières possibles

334 - Au préalable à l’étude des dommages et intérêts, il est important de souligner qu’au Royaume Unis, l’action en contrefaçon se déroule en deux étapes distinctes303. Dans un premier temps, le demandeur cherche à établir l’existence de la contrefaçon sans procéder au calcul des dommages et intérêts. Dans un deuxième temps, si la contrefaçon est établie, la victime exerce une action destinée à déterminer le préjudice causé par l’auteur de l’acte litigieux et à évaluer le montant du dédommagement financier. 335 - Le droit du Royaume Uni présente une deuxième particularité, le demandeur peut solliciter de la juridiction, soit des dommages et intérêts, soit des accounts of profits304. Dès lors, on présentera successivement les différents « remèdes monétaires305 » offerts au demandeur dont le préjudice est établi, en soulignant les avantages et inconvénients de ces alternatives. 303 Tanya Aplin et Jennifer David , Intellectual Property Law, second édition, 2013, p 110 304 Voir la Section 61 (1) (c) et (d) Patent Act, la Section 14 (2) Trade Mark Act et la section 24A (2) Registered Design Act 305 En anglais pour désigner à la la fois le « Damages» et les « accounts of profits» on emploie l’expression générale de « monetary remedies »

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Section 1 : Les particularités de la notion « Dama ges »

336 - On peut considérer que la notion anglaise de « Damages » correspond à la notion française de dommages et intérêts. Toutefois, en droit anglais, ces dommages et intérêts présentent trois grandes particularités. Tout d’abord, il faut présenter les principes généraux de calcul associés à l’élaboration de règles spécifiques pour la prise en compte des pertes consécutives ou indirectes (I). Puis, doit être mentionnée l’admission d’une exemption susceptible d’être invoquée par le contrefacteur au titre de la bonne foi (II), Enfin, le droit anglais admet les dommages et intérêts punitifs, même s’il reste réservé dans leur application (III).

I Les principes généraux de calcul associés à des règles spécifiques

337 - Très classiquement, l'attribution de dommages-intérêts vise à compenser la perte ou le dommage causé par une atteinte aux droits de la propriété intellectuelle. Toutefois, les principes généraux d’évaluation des dommages et intérêts n’ont pas été établis comme en France par un texte législatif, mais par un arrêt de Chambre des Lords, cette construction étant complétée par un règlement de 2006 (A). A ces principes généraux sont associés des règles spécifiques à l’intérêt majeur qui seront exposées le plus concrètement possible (B).

A - Les principes de calcul en matière de contrefa çon

338 - Ces principes ont été posés dans l’affaire General Tire qui concernait la contrefaçon de brevets (1). Ils ont été ensuite appliqués aux violations des autres droits de propriété intellectuelle (2). Enfin, il faut mentionner l’existence d’un règlement d’application de la propriété intellectuelle de 2006 (3).

1 - Le case law, une affaire de contrefaçon de bre vet

339 - Ce case law présente deux intérêts. Premièrement, il illustre le déroulement de la procédure en deux étapes qui conduit les parties à s’affronter pour établir ou non la contrefaçon, puis à procéder à l’établissement du préjudice (a). Deuxièmement, il permet d’exposer les principes de calcul de l’indemnisation (b).

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a - La contrefaçon établie, des dommages et intérê ts contestés

340 - L’affaire jouant le rôle de « case law» ou d’arrêt de base est une affaire, en date de 1976, qui opposait deux entreprises General Tire and Rubber et Firestone Tyre. Il s’agissait de deux fabricants de pneu et la contestation portait sur un brevet assurant une fabrication plus performante. Plus précisément en l’espèce, aux États-Unis et au Royaume-Uni, un brevet306 est déposé concernant des composés de caoutchouc synthétique pour bandes de roulements pneumatiques. Cette invention permet des réductions substantielles dans les coûts de fabrication des pneus. La société détentrice du brevet, General Tire and Rubber, poursuit la seconde entreprise pour violation de leur brevet au Royaume-Uni. La contrefaçon est établie et une action en dommages et intérêts est exercée. Ainsi, en première instance, des dommages-intérêts sont accordés. Un appel est formé qui ne conteste pas la contrefaçon, mais le montant de l’indemnisation demandé par l’appelant n’est pas accordé. Toutefois, ce dernier obtient satisfaction devant la Chambre des Lords307.

b - L’exigence d’un ancrage dans la réalité

341 - Ainsi, Lord Wilberforce, membre de la Chambre des Lords, en charge de l’affaire, rejeté le verdict relatif aux dommages-intérêts, prononcé par le juge de première instance ainsi que par celui de la Cour d’appel. En effet, il estime qu’une double erreur a été commise par ces deux juridictions. Premièrement, ces juridictions se sont trop centrées sur le montant présumé équitable du par le contrefacteur et non sur la perte subie par le titulaire du brevet. En fait, les magistrats ont cherché à déterminer la perte subie en se basant sur un marché abstrait entre un concédant et un titulaire de la licence, ce dernier étant également tout aussi abstrait. 342 - D’après Lord Wilberforce, il aurait été préférable de raisonner à partir des relations entre le titulaire de la licence et le licencié réel. Il faut noter que les preuves étaient peu nombreuses pour justifier l'octroi des dommages et intérêts accordés. A l’opposé, on disposait de preuves solides sur le taux de redevance que les intimés étaient prêts à octroyer dans le cadre d’une licence pour l'utilisation de l'invention.

306 General Tire and Rubber Co v Firestone Tyre and Rubber Co Ltd [1976] RPC 197 307 La chambre des Lords a été remplacée par La Cour Suprême

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2 - Des principes de calcul étendus à toute contre façon

343 - Dans une deuxième affaire308, la question posée à la Cour d'appel était la suivante : un demandeur lors d’une action en contrefaçon de droits d'auteur pouvait t-il réclamer des dommages et intérêts calculés en fonction des bénéfices prévisibles pour la perte de ventes ? De plus, ces calculs pouvaient t-ils être complétés par la prise en compte des redevances pour les autres ventes de contrefaçon ? 344 - Le Vice-Chancelier Morritt309 a observé que, ce type de calcul étant valable en matière de brevets, aucune raison ne s’opposait donc à ne pas l'appliquer en matière de violation de droits d'auteur. Il a ajouté que : « le fait que le demandeur ne puisse pas être en mesure de prouver la pertinence d'une mesure des dommages, à savoir pour les ventes perdues, ne signifie pas qu’il n’a subi aucun préjudice; il convient plutôt de rechercher une autre mesure permettant d'évaluer la compensation à accorder pour compenser cette perturbation 310». L’objectif du Vice - Chancelier Morrit était la meilleure réparation possible du dommage du demandeur pour assurer le respect du droit de propriété et garantir la sécurité juridique, nécessaire dans ce domaine pour favoriser les investissements dans la recherche. Dès lors, la Cour, constatant que le demandeur se heurte à la difficulté de procéder au calcul exact des ventes perdues, lui offre la possibilité de compléter l’appréciation de son indemnisation. Dans cet objectif, il peut s’appuyer sur la notion de redevance, technique déjà évoquée en matière de contrefaçon de brevet311. Cet arrêt présente le double intérêt d’unifier les modalités de calcul en matière de contrefaçon et de mettre en évidence la volonté des magistrats anglais de garantir au titulaire de droits de propriété intellectuelle une indemnisation optimale.

308 Blayney v Clogau St David’s Gold Mines Ltd 309 Rix et Jonathan Parker LJJ partageaient la position du Vice -Chanceier Morritt 310 Le texte en anglais est le suivant : '[t]he fact that the claimant may not be able to prove the application of one measure of damages, namely lost sales, does not mean that be has suffered no damage at all, rather some other measure by which to assess the compensation for that interference must be sought’. 311 General Tire and Rubber Co v Firestone Tyre and Rubber Co Ltd [1976] RPC 197

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3 - Le règlement d’application de la propriété int ellectuelle de 2006

345 - Après avoir énoncé les règles posées par ce règlement (a), on soulignera les interrogations suscitées (b).

a - L’énoncé des différences dispositions

346 - Le Règlement d'application de la propriété intellectuelle de 2006312 introduit la règle, dénommée disposition 3, concernant les dommages et intérêts. Cette disposition prévoit que : (1) Lorsque, dans une action en contrefaçon d'un droit de propriété intellectuelle, le défendeur savait ou avait des motifs raisonnables de savoir qu'il s’engage à une activité contrefaisante, les dommages-intérêts accordés au demandeur doivent être adaptés au préjudice réel qu'il a subit à la suite du comportement illicite. (2) Lors de l'attribution de ces indemnités, tous les aspects appropriés doivent être pris en compte, y compris en particulier : (a) Les conséquences économiques négatives, y compris toutes pertes de profits, que le demandeur a subies, et les bénéfices injustement réalisés par le défendeur; (b) Des éléments autres que des facteurs économiques, y compris le préjudice moral causé au demandeur par le comportement illicite ; Le cas échéant, les dommages et intérêts peuvent être attribués sur la base des redevances ou droits qui auraient été dus si le défendeur avait obtenu une licence.

b - Les interrogations suscitées par ce règlement

347 - Cette disposition posée par ce règlement suscite certaines interrogations et incertitudes auprès des juristes anglais. 348 - Une première interrogation est provoquée par l'expression « tous les bénéfices injustement réalisés par le défendeur » au paragraphe (2) (a), car ce texte apparaît en contradiction avec la déclaration figurant au paragraphe (1). En effet, selon cette dernière, l'attribution de dommages-intérêts doit être adaptée au préjudice réel subi en raison du comportement illicite: cette attribution est centrée sur les pertes subies par le demandeur et non les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Ainsi, ces derniers doivent normalement relever des dommages et intérêts complémentaires, selon certains auteurs anglais313.

312The Intellectual Property Enforcement Régulations SI 2006/1028 313 Charlotte Waelde, Graeme Laurie, Abbe Brown, Smita Kheria, Jane Cornwell, Contemporary Intellectual Property, Law and Policy, Oxford, 3 ème édition, 2013

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349 - Une seconde interrogation concerne l'évaluation des dommages en fonction des royalties ou droits de licence qui apparaît comme une alternative à leur calcul sur la base de la perte de profits. Quel impact cette analyse présente t - elle sur une situation où, comme dans l’affaire Blayney314, les dommages ont été calculés en utilisant les deux bases ? Le point de vue adopté dans l’affaire Copinger est que ces mesures alternatives d’évaluation des dommages et intérêts n’invalideraient pas l'approche adoptée dans le cas Blayney. En effet, dans cette affaire, « les termes de la disposition 3 (2) (a) ont été appliqués à une partie des pertes, tandis que ceux de la disposition 3 (2) (b) ont été appliqués au reste315 ». Ainsi, le contrefacteur primaire, qui produit le bien, ne peut invoquer sa bonne foi qu’en indiquant qu’il n’avait pas conscience au moment de la conception de copier un modèle existant 350 - Une troisième et dernière interrogation conduit à l’affirmation suivante : on ne sait pas exactement ce qu'il faut entendre par « préjudice moral causé au demandeur par le comportement illicite316 ». On peut penser que cette disposition vise l’atteinte à l'image commerciale ou à la bonne réputation du titulaire des droits de propriété intellectuelle, les contrefacteurs vendant souvent des imitations de mauvaise qualité. Pour le juriste anglais, il semble que ce dommage relève plus du domaine économique que de la morale. 351 - Il est certain que ce règlement permettant l’introduction de la Directive européenne est doublement perturbant. Premièrement et classiquement, il impose une évolution des modes de calcul de l'indemnisation en matière de contrefaçon, comme en droit français. Deuxièmement, il est particulièrement délicat en droit anglais, au regard du mode d'élaboration des principes applicables. En effet, on a pu constater que cette élaboration est confiée aux magistrats dans des affaires concrètes, ces principes étant ensuite étendus à d’autres domaines et respectés selon la règle du précédent.

314 Blayney v Clogau St David’s Gold Mines Ltd (2003) FSR 19 315 Le texte en anglais est le suivant : 'in effect the terms of regulation 3(2)(a) were applied to some parts of the loss while those of regulation 3(2)(b) were applied to the rest’ 316 Le texte en anglais est le suivant : 'moral preiudice caused to the claimant by the infringement'

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B - Les règles particulières des pertes consécutiv es ou indirectes 317

352 - Il faut également s’interroger sur l’hypothèse où le demandeur subit des pertes secondaires ou indirectes découlant de l'acte de contrefaçon. On se confronte alors à procéder à une appréciation étroite ou large du préjudice (1), le juge retenant en définitive la seconde approche (2).

1 - L’appréciation étroite ou large du préjudice

353 - Cette question a été envisagée en 1997, dans une affaire célèbre de l’industrie du textile318. Dans cette espèce, les brevets concernés étaient relatifs à des machines assurant la découpe automatique des tissus. Habituellement, le demandeur vendait avec ses machines de conception assistée319 par ordinateur, d’autres machines pour produire des modèles de coupe. Aucune atteinte à un brevet quelconque n’était réalisée par la vente des premières machines. 354 - Toutefois, la justice avait accordé des dommages et intérêts pour compenser des pertes de profit, dans le cadre de la vente de ces machines de conception assistée par ordinateur. Le raisonnement du juge était le suivant : le demandeur aurait pu espérer en vendre plus en les commercialisant avec les machines de découpe automatique de tissus. Les défendeurs ont interjeté appel contre l’octroi de ces dommages-intérêts. L’argumentation reposait sur le raisonnement logique mais réducteur selon lequel les dommages doivent être limités à la perte de profits liés aux comportements qui, en eux-mêmes, entrainent une violation de brevet.

2 - Une appréciation large en présence d’une polit ique publique spécifique

355 - Dans son jugement, le Lord Justice Staughton a estimé que l'approche correcte de calcul des dommages et intérêts est de décider précisément quel est le type de perte qui doit être compensée. La Haute Cour a jugé le défendeur responsable de toutes les conséquences de ses actes illicites. Selon Staughton LJ, une telle analyse et position se justifient par l’existence d’une politique publique spécifique.

317 L’expression anglaise exacte étant « consequential loss » 318 Gerber Garment Technology Inc v Lectra Systems Ltd [1997] RPC 443. 319 Ces machines de conception assistée sont appelées en anglais «Computer-aided design», en abrégé CAD

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Dans le cas présent, il s’agissait d’assurer la meilleure protection possible aux titulaires des brevets pour favoriser l’investissement et en conséquence l'innovation. 356 - En définitive, il apparaît que, pour ce qui est des dommages-intérêts exigibles pour violation de droits de propriété intellectuelle, les principes de la responsabilité délictuelle générale sont applicables. Dans le cas mentionné précédemment, les dommages et intérêts ont pu être accordés pour les ventes perdues de machines de conception assistée par ordinateur, vendues avec les machines brevetées. En effet, il s’agissait d’une perte prévisible causée par les activités de contrefaçon du défendeur. De plus, il n’existait aucune raison de politique publique pour limiter le droit de détenteur du brevet à l’unique compensation des machines protégées par le droit de propriété intellectuelle. Une nouvelle fois, on retrouve une solution juridique en accord avec la logique économique. Elle conduit à favoriser au maximum l’indemnisation de la victime de contrefaçon, la préoccupation majeure étant ainsi d’encourager l’investissement dans toutes les démarches innovantes.

II La prise en considération de la contrefaçon inv olontaire ou de bonne foi 320

357 - En droit anglais, on emploie l’expression « innocent infringement» qui se traduit littéralement en français par : «infraction innocente». On est alors en présence d’un véritable oxymore pour le juriste français. Il est certain que cette prise en considération de la contrefaçon involontaire ou de bonne foi est une solution originale au regard du droit français qui ne l’introduit que lors des poursuites pénales. Il est incontestable que la solution anglaise, qui prend en compte la bonne foi du contrefacteur lors de l’action civile et de l’action pénale, assure une cohérence à la matière juridique qui fait cruellement défaut en droit français (A). Toutefois, en droit anglais, il faut souligner l’existence d’une solution divergente dépendant du lieu de l’enregistrement des dessins et des modèles (B). Dès lors, pour le juriste français, il est passionnant d’étudier cette particularité du droit anglais qui, de plus, conduit à établir une distinction entre les contrefacteurs primaire et secondaire. De plus, s’inspirer du droit anglais, en introduisant la notion de bonne ou de mauvaise foi dans la détermination des dommages et intérêts fixés lors de l’action civile, pourrait constituer une nette avancée dans l’amélioration de la lutte contre la contrefaçon (C). 320 L’expression exacte en anglais est la suivante : « Innocent infringement »

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A - Une solution originale au regard du droit fran çais

358 - Ainsi, à la différence du droit français, les contrefacteurs de bonne foi ou les contrefacteurs involontaires bénéficient d’une exonération du paiement des dommages et intérêts. Cette exonération est accordée en matière de droits d'auteur, pour les bases de données de droit sui generis, pour les modèles britanniques non enregistrés, pour les modèles enregistrés au Royaume-Uni et pour les contrefaçons de brevets (1). Toutefois, aucune exemption de ce type n’est valable en cas de violation des droits de dessins ou modèles enregistrés au niveau européen321 ou de contrefaçon de marques ou de « passing off 322». 359 - Certaines conditions doivent être remplies pour que le contrefacteur soit considéré comme involontaire ou de bonne foi et dès lors, puisse bénéficier d’une exonération d’indemnisation (1). La démonstration s’effectue en deux étapes (2).

1 - L’absence de maintien ou l’inexistence du droi t d’auteur

360 - Ainsi, la section 97 (1) du Copyright, Designs and Patents Act de 1988 323stipule que, si au moment de l'infraction, le défendeur « ne savait pas et n’avait pas de raisons de penser que le droit d'auteur existait sur l'œuvre à laquelle l'action se rapporte324 », alors le demandeur ne peut exiger à son encontre des dommages-intérêts. 361 - A ce propos, il est fondamental de souligner que l'absence de connaissance du défendeur doit porter sur l’existence du droit d'auteur. Ainsi, le défendeur ne peut pas avancer comme argument de défense qu’il n’avait pas conscience, qu’en copiant ou reproduisant l’oeuvre, le brevet, le dessin ou le modèle en cause, il avait adopté une démarche illicite. En effet, une telle option ouvrirait la voie à une défense sans limite.

321 Supra n°172 et s. 322 Le passing off est une autre particularité anglaise. En effet, en Angleterre, lorsqu’une marque n’est pas enregistrée, elle peut malgré tout bénéficier d’une certaine protection grâce à l’action en « passing off». Elle concerne exclusivement «la capacité de la marque à attirer de nouveaux clients (....) conséquence notamment de la réputation des produits et des services qui portent sur la marque en question. De plus, le passing off n’implique pas la reconnaissance au titulaire de la marque d’un quelconque droit exclusif, mais seulement d’un droit à une indemnité pour les dommages qu’il a subis ». Pour plus d’information sur la question voir Dario Moura Vicente, La propriété intellectuelle en droit international privé, Livre de poche de l’Académie de droit international de la Haye», 2009, p 62, 63 et 69 323 Abréviation officielle : CDPA 324 Le texte en anglais est le suivant : 'did not know or have reason to believe that copyright subsisted in the work to which the action relates'

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362 - En 2002, dans l’affaire Nottinghamshire Healthcare325, le juge Pumfrey a retenu l’établissement de la bonne foi du contrefacteur au regard de sa croyance dans l’inexistence du droit auteur. En effet, il a estimé que l’exonération ne peut être retenue valablement qu’après l’étude des faits. Cette dernière doit conduire à constater qu’il est raisonnable de supposer que le droit d'auteur ne protège plus l’œuvre considérée. Concrètement, cette hypothèse peut être envisagée lorsque l’oeuvre est ancienne ou que sa nature induit qu’il est peu probable que le droit d'auteur la protège toujours.

2 - Une démonstration en deux étapes

363 - Dans une autre affaire326, le Lord Justice Buctdey a exposé la façon de démontrer l’établissement de la conscience de l’existence ou de l'absence du droit d'auteur sur une œuvre : Dans un premier temps, il souligne l’évidence selon laquelle chaque affaire doit être étudiée au cas par cas. En effet, plus que jamais, la solution dépend des faits propres et spécifiques révélés par l’espèce. Dans un deuxième temps, il remarque qu’en l’absence d’enquête ou d’examen approprié réalisé, il est difficile d’établir la réalisation de la condition. En effet, il est très délicat, voire impossible de se contenter d’effectuer des suppositions. Plus précisément, il est insuffisant de supposer que la personne se proposant d'utiliser l’œuvre en cause n'avait pas de raison de soupçonner que ce dernier ou cette dernière pouvait être soumis à un droit d'auteur. 364 - En d'autres termes, le défendeur aurait à réaliser des enquêtes pertinentes pour déterminer si, effectivement, l’œuvre est soumise au droit d'auteur ou s’il n’existe pas de protection. Seul, l’établissement de la réalisation de telles enquêtes préliminaires menées par le défendeur, pourrait établir sa bonne foi. 365 - La rigueur et la logique de la démarche anglaise apparaissent particulièrement séduisantes et opportunes. Toutefois, sur le plan de la pure efficacité de la protection des droits de propriété intellectuelle, on peut considérer la solution française qui exclut l’exception fondée sur la bonne foi comme plus radicale. Cette opposition entre ces deux analyses est mise en exergue en matière de dessin et modèle par l’existence d’une solution divergente, induite par la prise de position du Parlement Britannique.

325 Nottinghamshire Healthcare National Health Service Trust v News Group Newspaper Ltd (2002) RTC 49 326 Infabrics Ltd v Jaytex Ltd, (1980) Ch 282

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B - Une solution divergente selon le lieu d’enregi strement du modèle

366 - Pour comprendre la spécificité de cette solution, il faut d’abord procéder à une distinction entre contrefacteurs primaire et secondaire (1). Puis, exposer le moyen présenté par la partie en défense (2), pour enfin souligner un besoin d’unification pour garantir au justiciable une plus grande cohérence et sécurité juridique (3).

1 - La distinction entre contrefacteurs primaire e t secondaire

367 - En matière de droit de dessins ou modèles non enregistrés au Royaume-Uni, la section 233 (1) du CDPA prévoit que lorsque : « Au moment de l'infraction, le défendeur ne savait pas, et n'avait pas de raison de croire, qu’un droit subsistait sur la conception du dessin ou modèle à laquelle l'action est relative, le demandeur n’a pas droit alors à des dommages et intérêts327 ». Ce moyen de défense du contrefacteur est similaire par rapport au texte évoqué en matière de droit d'auteur. Toutefois, selon la section 233 (3) du CDPA, l'acquisition d’un article contrefait est effectuée de bonne foi, lorsque l’acquéreur ignore ou n’a pas de raison de soupçonner sa contrefaçon. Cette disposition vise donc le contrefacteur secondaire qui se porte acquéreur d’un bien contrefait, le contrefacteur primaire étant celui qui produit le bien contrefait. Ces deux textes conduisent donc à une distinction perçue comme objective et particulièrement pertinente par certains auteurs anglais328. Au regard de cette disposition, trois juges, Laddie, Prescott et Victoria, observent que le contrefacteur secondaire peut invoquer sa bonne foi dans un nombre de situations plus important que le contrefacteur primaire. En effet, le contrefacteur secondaire peut invoquer sa bonne foi, notamment lorsqu’il savait que le produit était une copie, mais qu’il pouvait raisonnablement penser que la copie avait été autorisée. Il peut également affirmer qu’il ne savait pas que des droits subsistaient sur le bien contrefait par le contrefacteur primaire. 368 - Toutefois, il faut noter que, lorsque le contrefacteur primaire établit sa bonne foi, il est alors totalement exempté du paiement de dommages et intérêts.

327 Le texte en anglais est le suivant : « at the time of the infringement the defendant did not know, and had no reason Io believe, that design right subsisted in the design to which the action relates, the plaintiff is not entitled to damages against him » 328 Sir Robin Jacab, Daniel Alexander, Lindsay Lane, Intellectual Property, Patents, Trade Marks, Copyright and Desings, 5th Edition,Thomson, Sweet &Maxwell, 2012

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A l’opposé, si le contrefacteur secondaire peut plus facilement établir sa bonne foi, son exemption n’est pas systématiquement accordée. Il est possible que le juge le condamne au versement de dommages et intérêts correspondant à une redevance raisonnable.

2 - Un moyen de défense, l’absence de « connaissan ce pertinente »

369 - En matière de dessins et de modèles enregistrés au Royaume-Uni, le contrefacteur qui établit sa bonne foi bénéficie d’une exemption de dommages et intérêts. De plus, il ne peut être condamné à la restitution des bénéfices. Cette règle, posée par la disposition 24B (1) de la RDA, emploie l’expression de « connaissance pertinente » du contrefacteur pour retenir ou écarter la bonne foi. Immédiatement, on s’interroge alors sur la signification de cette expression. Il faut noter alors que la section 24B (2) de la RDA donne une indication sur l’interprétation de l’expression « connaissances pertinentes ». Ainsi, elle indique que l’estampillage d'un produit avec le mot « enregistré » ou une quelconque abréviation de ce dernier ne sera pas suffisant pour établir une connaissance réelle ou présumée. Toutefois, la solution est différente lorsque le numéro du modèle accompagne le terme « enregistré ». 370 - Cependant, en droit anglais, il n’existe pas d’exonération similaire de la responsabilité du contrefacteur de bonne foi en matière de modèles et dessins enregistrés au niveau européen. Le juge Floyd a dégagé cette solution dans l’affaire J. Choo329. En l’espèce, l’entreprise J .Choo poursuit l’entreprise Towerstone pour la vente de sacs à main similaires aux siens. L’entreprise J.Choo avait enregistré un modèle au niveau communautaire pour ce type de sac à main. Toutefois, le défendeur avait acquis ce modèle auprès d'un tiers. Dès lors, l’acquéreur du modèle était - il un contrefacteur involontaire ou de bonne foi, dont la responsabilité ne pouvait être engagée ? 371 - L’argument du défendeur, acquéreur du modèle, s’expose alors en deux temps. Tout d’abord, il fait remarquer que le Parlement britannique admet la bonne foi du contrefacteur pour lui permettre d’écarter sa responsabilité, lorsqu’il s’agit de modèle enregistré au Royaume - Uni. Toutefois, cette solution ne se justifie par aucune nécessité de politique juridique évidente, l’entreprise soulignant que la défense des modèles est prioritaire. 329 L’affaire J Choo (Jersey) Ltd v Towerstone Ltd (2008) FSR 19

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Puis, il souligne qu’au contraire, le Parlement britannique n’autorise pas le recours à la bonne foi dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive européenne en matière de modèle enregistré au niveau européen. Cette position apparaît alors paradoxale car, en vertu des termes de la directive, il serait possible de l’admettre. 372 - Dans la décision de justice, le juge Floyd exprime nettement son accord avec l’argument du défendeur qu’il estime pertinent et opportun. Toutefois, il ne peut qu’exprimer ses regrets, car il ne peut pas suivre cette argumentation. En effet, le Parlement britannique qui a retenu la solution contestée est souverain et le juge mentionne « qu’il n’est pas loisible aux tribunaux de la troubler330»

3 - Un besoin d’uniformisation

373 - Ainsi, le droit anglais accepte l’exemption reposant sur la bonne foi quand il s’agit de modèle enregistré au Royaume - Uni. Mais, il ne l’accepte pas quand ces dessins ou modèle sont enregistrés au niveau européen, alors que la Directive européenne, à l’article 13 -2, laisse à la discrétion des Etats la possibilité de retenir ou non la bonne foi comme élément d’exemption331. Dès lors, au regard de ce moyen de défense, l’affaire J.Choo permet de mettre en évidence une forte disparité en matière de dessins et modèles enregistrés, selon leur lieu d’enregistrement. Par ailleurs, pour les Britanniques, Il existe un autre décalage concernant cette exemption qui est fondée sur la bonne foi. En effet, en matière de dessins et modèles et de droit d'auteur, ce moyen de défense est recevable alors que cette possibilité n’est pas retenue dans le cadre de la contrefaçon de marques. On peut alors s’interroger sur l’opportunité de ces situations divergentes et sur les modalités nécessaires pour créer une approche uniforme.

330Le texte en anglais est le suivant : « It was not open to the courts to disturb it» 331 « Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motif raisonnable de le savoir, les Etats membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages-intérêts susceptibles d’être préétablis »

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C - Pour une prise en compte de la notion de bonne ou mauvaise foi en droit français

374 - L’introduction de la notion de la notion de bonne ou mauvaise foi en droit français serait une réponse souhaitable et cohérente à la progression et à la pression économique subie par l’entreprise dont le produit est contrefait. De plus, elle permettrait de sanctionner plus durement la dangerosité que représente la contrefaçon pour le consommateur acquéreur d’un produit non conforme aux normes de sécurité en vigueur. Par ailleurs, il est à noter que ce produit est élaboré par un contrefacteur uniquement soucieux de la réalisation du meilleur profit possible. Dès lors, la prise en compte de la notion de mauvaise foi apparaît particulièrement adaptée face à ce type de contrefacteur, qui n’hésite pas froidement, à mettre en danger la vie d’autrui au nom de la rentabilité maximale de sa marge bénéficiaire personnelle. 375 - Elle offrirait également la possibilité de supprimer la disparité existante entre l’action civile et l’action pénale. Ce n’est pas en pérennisant cette distinction, que l’on renversera la tendance qui conduit la victime à délaisser les juridictions pénales pour les juridictions civiles. En effet, on l’a déjà souligné, ce que recherche la victime de la contrefaçon, c’est la meilleure indemnisation possible. Ainsi, la prise en compte de cet élément de bonne ou mauvaise foi permettrait aux juridictions de moduler une indemnisation qui offrirait une meilleure adéquation avec le préjudice subi par la victime, elle serait de nature à répondre à ses attentes. De ce fait, la victime serait encouragée à poursuivre le contrefacteur devant la juridiction civile. Ce dernier ne pourrait plus introduire dans son équation profit/risque, l’abandon par la victime de toute procédure qu’elle soit pénale ou civile, en raison d’une réponse inadaptée au préjudice subi. 376 - Concrètement, l’introduction de cette notion en droit français permettrait, dès que la mauvaise foi serait démontrée, une augmentation de l'indemnisation, tout en respectant les principes de responsabilité civile. Parallèlement, l’établissement de la bonne foi pourrait conduire le législateur à mettre en place des dispositions, incitant un règlement à l’amiable, de telles procédures étant déjà en place en droit anglais332.

332 Tim Press, Intellectual Property Law, Oxfod, 2013

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III L'admission par le droit anglais des dommages et intérêts punitifs

377 - En Common Law, les dommages et intérêts punitifs sont admis mais leur perception est différente en Angleterre et aux Etat-Unis d’Amérique. Pour apprécier la position anglaise mais aussi pour mieux comprendre ce mode d’indemnisation qui pourrait être introduit en droit français, on présentera dans un premier temps la position américaine (A) pour, dans un second temps, envisager la conception anglaise (B). Enfin, on effectuera des propositions pour une introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français et plus généralement en droit continental (C).

A - Les dommages et intérêts punitifs, une traditi on de la Common law des Etats -Unis d’Amérique

378 - Il est impératif de présenter la conception et l'application des dommages et intérêts punitifs aux Etats - Unis d’Amérique, car il s’agit d’une notion juridique traditionnellement reconnue et appliquée par la justice fédérale et par celle des Etats fédérés. Cette présentation nous permettra notamment d’établir qu’il serait réducteur et caricatural de penser qu’une simple faute intentionnelle peut entrainer le versement de dommages et intérêts punitifs très élevés, grâce notamment au recours au jury en matière civile333 . 379 - C’est pourquoi, nous avons choisi de présenter un arrêt de la Cour Suprême des Etats - Unis d’Amérique du 20 mai 1996334. Cet arrêt n’a aucun rapport avec la contrefaçon, mais il permet de souligner le rôle du XIV amendement (1). De plus, il est le « case law » par excellence en la matière, puisqu’il a conduit à l’élaboration des trois piliers ou lignes directrices des dommages punitifs (2).

1 - Le XIV amendement ou l’interdiction d’une sanc tion excessive

380 - On peut rappeler brièvement les faits et la procédure. En janvier 1990, Ira Gore Jr. achète à un commerçant de l’Alabama une voiture neuve de la marque BMW pour un montant de 4 075 dollars.

Neuf mois après son acquisition, Ira Gore apprend que son véhicule a déjà été repeint en partie et ce, probablement à la suite d’un dégât minime qui serait intervenu avant l’importation du véhicule aux Etats-Unis.

333 Pascal Kamina « Quelques réflexions sur les dommages et intérêts punitifs en matière de contrefaçon », Cahier de droit de l’entreprise n°4, juillet 2007, dossier 23. Cet auteur considère qu’une « faute intentionnelle suffit en principe » à application (des dommages et intérêts punitifs). 334 Arrêt du 20 mai 1996 BMW of North America, Inc. v. Gore US 559

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Ira Gore intente alors un procès à BMW of North America, le distributeur américain de BMW.

Il considère que le défaut d’information sur le dégât et la réparation subie par son véhicule constitue une atteinte à son droit information335. Il demande 500 000 dollars de dommages et intérêts, pour « punitive damages ».

381 - BMW reconnait les faits mais affirme que le comportement contesté est parfaitement compatible avec la politique du groupe sur les dommages survenus sur les véhicules lors de la fabrication ou du transport.

Il est précisé que, si le coût des réparations du véhicule n’excède pas 3% de son prix de vente au détail, celui-ci peut être vendu comme un produit neuf. Le vendeur du véhicule ne doit alors fournir aucune information particulière à l’acheteur.

382 - En première instance, le Jury accorde à la victime des « compensatory damages» fixés à 4000 dollars pour la diminution de la valeur de la voiture mais également des « punitives damages » d’un montant de 4 millions de dollars. Pour atteindre ce montant, il faut multiplier le préjudice supporté par l’acheteur soit 4000 dollars par le nombre de voitures vendus et concernés sur le territoire américain. En deuxième instance, la Cour suprême de l’Alabama a réduit à 2 millions de dollars, en ne prenant en considération que les intérêts des consommateurs de l’Alabama. Malgré une réévaluation notable à la baisse des «punitive damages» par la Cour d’Alabama, la Cour Suprême les a considérés comme étant « grossly excessive », c’est-à-dire manifestement excessifs et en conséquence, inconstitutionnels. En effet, la clause de « due process du XIVème amendement » interdit à tout Etat d’imposer à l’auteur d’un délit, une sanction manifestement excessive. La Cour Suprême de l’Alabama a alors réduit le montant des « punitive damages » à $50.000.

2 - Les trois « guideposts» ou piliers

383 - Pour réduire ces dommages, la haute juridiction a posé trois « guideposts » qui correspondent à trois lignes directrices ou piliers. Désormais, les autres magistrats doivent utiliser ces règles dans l’évaluation des « punitive damages », afin qu’ils soient conformes à la Constitution. On envisagera successivement ces trois piliers qui sont l’établissement du degré de réprobation (a), l'adéquation entre le préjudice effectif ou potentiel et les dommages punitifs (b) et la recherche d’équilibre entre les dommages punitifs du jury et l’amende civile (c). On pourra ainsi constater que la simple faute intentionnelle ne suffit pas à prononcer des dommages aux montants vertigineux.

335 En anglais « constitute suppression of material facts»

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a - Le degré de réprobation

384 - Le premier «guidepost» est le « degree of reprehensibility » qui correspond au degré de réprobation. Il permet de déterminer à quel point la conduite est répréhensible. Selon la Cour, il s’agit du critère le plus important dans l’évaluation des « punitive damages». La Cour rappelle que, dans l’un de ses précédents remontant à cent cinquante ans, elle avait déjà affirmé que ces « punitive damages » devaient refléter « l’énormité du délit » commis et ne pas être « entièrement disproportionnés336 ». 385 - Pour évaluer ce degré de réprobation, la Cour prend en considérations précisément six facteurs. Premièrement, elle estime nécessaire de rechercher si l’auteur du délit a eu ou non recours à la violence ou à la menace de violence. Deuxièmement, la Cour cible le cas particulier de la fraude, de la ruse et de la tromperie. Troisièmement, elle s’intéresse à la nature du dommage. Est-ce un dommage physique ou purement économique, comme dans l’affaire en cause ? La Cour souligne que le manquement reproché à BMW n’a eu aucune incidence sur les garanties de sécurité, normalement offertes par le véhicule. Quatrièmement, un autre critère lié au précédent doit être pris en considération. Le juge doit rechercher si l’acte illicite a été pratiqué avec une indifférence ou une totale négligence envers la santé ou la sécurité d’autrui. En l’espèce, la sécurité des consommateurs n’a pas été affectée par le comportement de BMW. Cinquièmement, il faut rechercher également si la cible du délit visé est une personne financièrement vulnérable. En l’espèce, cette circonstance n’est pas retenue, car il s’agissait de consommateurs de véhicules de marque de luxe. Sixièmement, la Cour indique qu’un récidiviste doit être plus sévèrement puni que celui qui aurait agi de manière ponctuelle. Il s’agit de déterminer si le comportement en cause a impliqué des actions répétées ou s’il s’agit d’un incident isolé. En l’espèce, le défendeur faisait valoir que la conduite de BMW était d’autant plus répréhensible qu’elle s’inscrivait dans le cadre de sa politique nationale. D’après M.Gore, BMW devait donc être traité comme récidiviste et ce d’autant plus que BMW aurait dû anticiper que sa politique serait perçue comme frauduleuse.

336 Arrêts Day v. Woodworth et Browing-Ferris Industries v. Kelco Disposal, Inc).

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Mais la Cour n’a pas retenu cette argumentation. En effet, la fraude aurait supposé que BMW se soit rendu coupable d’une déformation des faits matériels. L’entreprise aurait ainsi induit en erreur le consommateur, ce qui n’est absolument pas le cas, en l’espèce,. De plus, la Cour relève qu’il n’existe aucune preuve que BMW ait persisté dans sa ligne de conduite après qu'elle ait été jugée contraire à la loi. A fortiori, la Cour souligne qu’il n’existe aucune preuve que BMW ait agit de mauvaise foi. 386 - En définitive, la Cour a retenu que BMW ne s’était rendu coupable d’aucune fausse affirmation, d’aucun recel de preuve ou d’aucun acte ayant pour but de travestir la réalité. Elle retient tout de même l’omission de faits matériels, les concessionnaires BMW n’informant pas les acheteurs de certains dommages subis par les véhicules vendus. Toutefois, la Cour affirme qu’une telle omission est moins répréhensible qu’un acte positif délibéré. Ainsi, au regard de ce premier indicateur, la Cour a pu considérer que BMW n’avait pas adopté une conduite justifiant la condamnation au paiement de 2 millions de dollars.

b - L'adéquation entre le préjudice effectif ou po tentiel et les dommages punitifs

387 - Le deuxième « guidepost » est le rapport au préjudice réel causé au demandeur. Il s’agit d’éviter une trop grande disparité entre le préjudice effectif ou potentiel subi par l’auteur et les « punitive damages ». Sur ce point, la Cour se réfère à deux arrêts essentiels : Haslip et TXO. Dans le premier arrêt337, la Cour a affirmé que des « punitive damages » d’un montant quatre fois supérieur à celui des « compensatory damages» restaient conformes aux exigences constitutionnelles. Dans le second arrêt338, le ratio était de dix et il a été considéré comme acceptable, mais la Cour avait pris le soin de réaffirmer l’exigence d’une relation et d’un rapport raisonnable entre les « punitive damages » et le préjudice actuel ou potentiel. 388 - En revanche en l’espèce, la Cour réaffirme, comme elle l’avait déjà fait dans l’arrêt TXO, qu’il ne s’agit pas d’établir, au moyen d’une formule mathématique, la limite exacte entre ce qui serait ou non constitutionnel, en terme de « punitive damages ». La Cour se réfère d’avantage au bon sens. En effet, le ratio étant de cinq cent, il paraissait manifestement disproportionné et donc contraire aux exigences constitutionnelles.

337 Haslip 499 U.S. 338 TXO 509 U.S

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c - L’équilibre entre dommages punitifs du jury et amende civile

389 - Enfin, le troisième et le dernier guidepost tient dans la comparaison entre le montant des « punitive damages » accordés par le jury et les amendes civiles autorisées ou imposées dans des cas semblables : il doit exister entre les deux un rapport raisonnable. Dans l’arrêt Browning-Ferries Industries v. Kelco Disposal Inc Justice, O’Connor a ainsi pu affirmer qu’il était nécessaire : « d’accorder une considération substantielle au jugement législatif concernant les sanctions appropriées pour les comportements en causes 339»,. Dans cette espèce, le montant des « punitive damages » accordés était très élevé par rapport à ce qui était envisageable normalement au civil. Toutefois, il faut mentionner qu’une peine d’emprisonnement aurait pu être prononcée. Dès lors, il a été considéré que, malgré tout, la proportionnalité était respectée. 390 - Dans l’affaire en cause, la sanction civile maximale encourue dans l’Etat de l’Alabama s’élevait seulement à deux mille dollars. Dans d’autres Etats aux législations plus sévères, elle pouvait atteindre un montant de dix mille dollars. Ainsi, ces chiffres apparaissaient sans commune mesure avec les deux millions de dollars accordés en appel au titre des « punitive damages ». 391 - On peut ainsi constater que ces dommages punitifs sont très encadrés par ces trois «guideposts» ou piliers et que la pratique américaine apparaît particulièrement intéressante notamment en matière de contrefaçon pour décourager ces pratiques. Toutefois, il faut noter que l’attitude de la common law anglaise reste prudente dans l’admission d’un tel type de dommage.

B - Une attitude de la common law anglaise réservée

392 - En droit anglais, on peut considérer que les dommages et intérêts punitifs correspondent aux dommages et intérêts complémentaires (1) et aux dommages exemplaires (2). Dans les deux éventualités, les juridictions restent réservées sur les montants des indemnités attribuées à ce titre.

339 Browning-Ferries Industries v. Kelco Disposal, Inc Justice, 492 U.S

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1 - Dommages-intérêts supplémentaires ou complémen taire 340

393 - Pour le droit d'auteur et des dessins ou modèles non enregistrés Royaume-Uni, il est prévu que les tribunaux peuvent accorder des dommages-intérêts supplémentaires lorsque les faits l’exigent341. Le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances. En particulier, le tribunal doit prendre en considération le caractère flagrant de l'infraction et tous les avantages bénéficiant au contrefacteur en raison de son comportement illicite. Il faut d’abord s’interroger sur la nature de ces dommages et intérêts (a), puis sur l’exigence du caractère cynique du comportement du contrefacteur (b).

a - Une indemnisation compensatoire ou punitive

394 - La nature des « dommages et intérêts supplémentaires ou additionnels » est une question très controversée et non encore résolue par les Cours du Royaume-Uni. En particulier, on s’interroge sur leur caractère compensatoire ou punitif. 395 - En la matière, on peut citer une décision de 2002342, dans laquelle le demandeur détenait un droit d'auteur sur une photographie d’un patient à l'hôpital Rampton. Cette dernière était une des pièces du dossier médical du patient et, à ce titre, ce document bénéficiait du droit de confidentialité reconnu au patient. Une copie de la photographie a été communiquée à un journaliste écrivant pour le journal régional « The Sun ». Elle a été publiée comme l’illustration d'un article à sensation concernant une lettre d’insultes envoyée par le patient à un employé de McDonalds avec lequel il avait eu une dispute. L’auteur du comportement illicite a été poursuivi pour violation du droit d’auteur sur la photographie du patient prise par l'hôpital. Ainsi, des dommages et intérêts ont été réclamés à ce titre. Par ailleurs, l’hôpital a sollicité une indemnisation complémentaire et a affirmé que celle -ci devrait inclure un aspect punitif substantiel. 396 - Le juge Pumfrey a accordé 450 livres au titre des dommages et intérêts et 10.000 livres au titre des dommages-intérêts supplémentaires. Pour fixer ce dernier chiffre, le juge Pumfrey a pris en compte un certain nombre d’éléments.

340 Traduction de l’expression « additional damages » 341 Pascal Kamina « quelques réflexions sur les dommages et intérêts punitifs en matière de contrefaçon», Cahiers de droit de l’entreprise n°4, Juillet 2007, dossier 23, voir plus précisément la position de l’auteur pour lequel les « additional damages» seraient de «nature punitive». 342 Nottinghamshire Healthcare National Health Service Trust v News Group Newspapers Ltd [2002] RPC 49

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Tout d’abord, le vol et la transmission de la photographie qui permettaient d’établir le caractère manifestement illicite du comportement. Puis, la conduite du défendeur qui notamment n’avait présenté aucune excuse pour l'utilisation de la photographie. Enfin, le juge a pris en considération le haut degré de perturbation causé à l'hôpital au regard de son image et de la violation du secret professionnel. 397 - Le caractère punitif de ces dommages et intérêts supplémentaires apparait établi par le choix des éléments de faits retenus et mis en exergue par le juge Pumfrey. En effet, il démontre que l’acte de contrefaçon a dépassé largement le simple désordre de la reproduction de la photographie, pour provoquer un bouleversement incontestablement plus répréhensible sur le plan humain. De toute évidence, en accordant ces 10 000 livres supplémentaires, le Juge recherchait à punir un comportement particulièrement critiquable du contrefacteur.

b - L’exigence du caractère cynique

398 - Le fait d’avoir sciemment violé le droit d'auteur du demandeur ne conduira pas nécessairement à l’attribution d’une indemnisation complémentaire, à moins que le caractère « cynique » du comportement illicite soit établi par sa nature même. 399 - A priori, en droit français, le terme cynique n’a pas de traduction strictement superposable Toutefois, au regard de la jurisprudence, l’infraction cynique correspond à l’hypothèse suivante. Le défendeur commet un acte de contrefaçon motivé par le calcul qu’il lui permet d’estimer que la condamnation éventuelle au versement de dommages-intérêts compensatoires sera plus rentable que l'obtention légale d'une licence. Le caractère cynique sera tout particulièrement établi lorsque la victime de la contrefaçon a refusé d’accorder la licence au futur contrefacteur343. Lorsqu'un demandeur a réussi à obtenir un jugement sommaire344, une évaluation des dommages-intérêts complémentaires peut ne pas être possible. La seule exception admise correspond à l’hypothèse dans laquelle le défendeur a eu l'occasion de mettre en évidence des facteurs qui pourraient être pertinents pour cette évaluation345.

343 Ludlow Music Inc v Williams (2002) FSR, 57, Para 53 344 Il s’agit d’une décision obtenue dans des délais très courts et suivant une procédure simplifiée 345 Michael O’Mara Books Ltd v Express Newspapers Plc(1999) FSR 49

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400 - En matière d’utilisation abusive de renseignements personnels, Campbell soutient la capacité des tribunaux à accorder des dommages et intérêts aggravés. Cette démarche a notamment était suivie par une décision australienne dans l’affaire Giller v Procopets de 2008.

2 - Exemplary Damages 346

401 - La section 17 (3) de la Loi sur le droit d'auteur de 1956 a été remplacée par la section 97 (1) du CDPA347 Il a été considéré par certains que l'article 17 (3) avait introduit une forme légale de dommages-intérêts exemplaires348. Cependant, on pouvait légitimement penser qu’il s'agissait en fait d’une forme légale de dommages-intérêts majorés, aggravés349. On observe le développement d’un débat qui concerne la nature compensatoire ou punitive du texte 97 (1) du CDPA, la position actuelle paraissant s’orienter en faveur de la première solution. Il est peu probable que cette disposition en tant que telle soit considérée comme incorporant une forme légale de dommages-intérêts exemplaires. 402 - L'attribution de dommages-intérêts exemplaires peut néanmoins être possible dans le cadre de la compétence inhérente de la Cour. Selon la décision de la Chambre des Lords dans l’affaire célèbre Kuddus350 en date de 2002, il a été affirmé qu’une juridiction peut accorder des dommages et intérêts exemplaires. Toutefois, ils ne peuvent être accordés que dans les deux hypothèses précises suivantes. Dans le premier cas, il faut que le comportement du défendeur soit arbitraire ou incorrect au regard de l’action elle-même.

346 « Exemplary damages» est l’expression anglaise exacte qui peut être traduite en français par dommages

et intérêts exemplaires 347 CDPA, Copyright Designs Patents Act de 1988 348 Copyright Committee of 1952 349 Rookes v Barnard (1964) AC 1129 350 Kuddus v Chief Constable of Leicestershire Constabulary 2002

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Dans le deuxième cas, l'accusé a estimé que le profit retiré de son comportement illicite pourrait dépasser le montant de la compensation, dont il aurait éventuellement à s’acquitter, au bénéfice du demandeur dans le cadre d’un procès351. En matière d’atteinte aux droits de la propriété intellectuelle, on s’est demandé dans quelle mesure il était souhaitable que les cours puissent exercer une telle compétence ? 403 - Dans l’affaire Mosley352, le juge Eady a estimé que les dommages et intérêts exemplaires ne sont pas attribuables dans le cadre d’un procès pour violation de la vie privée ou abus de confiance. Le juge s’est prononcé ainsi car il a considéré qu’il n’avait pas l’autorité pour justifier une telle sentence. De plus, il aurait ainsi risqué de limiter, de façon injustifiée, le droit à la liberté d'expression prévue à l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme353. Toutefois, le récent rapport Leveson354 a retenu l’octroi éventuel de dommages-intérêts exemplaires dans des affaires particulières. Le rapport vise ainsi expressément des affaires relatives à des violations du droit au respect de la vie privée, à un abus de confiance et à des délits engageant la responsabilité des médias.

C - Des propositions pour une introduction des dom mages et intérêts punitifs en droit français

404 - Il est possible de s’inspirer de la jurisprudence anglaise et des trois guideposts américains qui ont été présentés précédemment en détail355, pour une éventuelle introduction des dommages et intérêts en droit français et européen. A la différence de la jurisprudence anglaise étudiée en matière d’ « exemplary damages» et d’ « additional domages », l’arrêt américain n’a pas été rendu en matière de contrefaçon Toutefois, il serait souhaitable de reprendre l’ensemble de ces règles de common law pour offrir aux magistrats français un moyen de lutte efficace contre la contrefaçon, capable de dissuader réellement le contrefacteur.

351 Rookes v Barnard (1964) AC 1129 352 Mosley v News Group Newspapers Ltd (2008) 353 L’article 10 de la CEDH 354 Leveson Report, An Inquiry into Culture, Practices and Ethics of the Press Vol. IV, (5.9)- ( 5.12), pp.1511-12 355 Supra n° 383 et s.

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Dans cet objectif, l’appréciation du degré de réprobation de l’acte accompli par le contrefacteur (1) et la recherche de l’adéquation entre préjudice effectif et dommages et intérêts punitifs (2) apparaissent comme les deux étapes de la démarche à suivre.

1 - L’appréciation du degré de réprobation en mati ère de contrefaçon

405 - Le premier «guidepost» conduit à prendre en considération le degré de réprobation de l’acte accompli. Ce degré de réprobation, ou encore le caractère cynique pour la jurisprudence anglaise, sont appréciables à partir d’un certain nombre de facteurs qui peuvent être vérifiés en matière de contrefaçon. 406 - Ainsi, si la violence ou la menace de violence ne sauraient être retenues en matière de contrefaçon, la fraude, la ruse et la tromperie seraient facilement établies. Par exemple, lors de la contrefaçon de brevet et notamment de médicament, le contrefacteur cherche à tromper le patient sur la qualité de la spécialité pharmaceutique356. De même, en matière de contrefaçon de marque, ou de dessin et de modèle, il cherche à provoquer la confusion dans l’esprit du consommateur357.

407 - De même, il serait possible pour apprécier le montant de ces dommages et intérêts punitifs de distinguer si la contrefaçon a porté atteinte exclusivement à des intérêts économiques ou a causé également un dommage physique.

Les contrefaçons de médicaments358 mais aussi celle de jouets, de pièces détachées de l’industrie automobile ou encore d’aliments ne respectant pas les normes de sécurité, peuvent générer un dommage physique359.

En effet, elles mettent en danger la vie d’autrui, le consommateur du produit contrefait étant susceptible de subir les conséquences du non-respect des normes habituellement strictement contrôlées aux quelles est soumis le produit non - contrefait.

Par ailleurs, un dommage économique est réalisé à l’encontre de l’entreprise victime de la contrefaçon360. Egalement, dans tous les cas de contrefaçon précédemment évoqués, il pourrait être établi que l’acte illicite a été réalisé en totale indifférence envers la santé ou la sécurité du consommateur ou du patient361.

356 Supra n°50 et n°108 357 Supra n°103 et n°104 358 Supra n°49 et s, n°106 et s. 359 Supra n° 53 et n°54, n°108 360 Supra n°°46 à n°48, n°50, n°107, n°110 et s. 361 Supra n°51

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Le caractère « cynique», exigé par la jurisprudence anglaise, serait démontré aisément car seule la recherche du profit, avec la marge bénéficiaire la plus haute, préoccupe le contrefacteur362.

408 - Par ailleurs, Il serait également possible d’établir des dommages et intérêts punitifs plus ou moins élevés, selon que l’acte de contrefaçon concerne une personne financièrement vulnérable ou non.

Il est certain alors que la contrefaçon des produits de marque de luxe acquis par le consommateur peu scrupuleux serait moins pénalisée que la contrefaçon des médicaments acquis par les populations des pays en voie de développement363.

409 - Enfin, le magistrat pourrait également introduire, dans l’évaluation des dommages et intérêts punitifs, la récidive ou l’absence de récidive du contrefacteur et ce qu’il s’agisse de marque, de brevet, de dessin et de modèle ou de droit auteur.

2 - L’appréciation de l’adéquation entre le préjud ice effectif ou potentiel et les dommages punitifs

410 - Il est certain que permettre à des magistrats la recherche d’un équilibre entre le préjudice effectif ou potentiel et les dommages punitifs permettrait d’offrir un moyen de lutte efficace contre la contrefaçon.

La victime aurait moins l’impression, à la sortie des prétoires, que l’indemnisation est insuffisante, voire en décalage total avec la réalité économique.

De plus, les juridictions françaises étant composées de magistrats professionnels, le risque du prononcé d’une indemnisation disproportionnée serait écarté.

Enfin, la mise en place de juridictions spécialisées ne pourrait que renforcer l’appréciation opportune et cohérente de l’adéquation entre préjudice et montant des dommages et intérêts punitifs.

Incontestablement, l’introduction des dommages et intérêts punitifs permettrait d’apporter une réponse dissuasive à la contrefaçon.

Par ailleurs, la démonstration détaillée du degré de réprobation, la recherche de l’adéquation entre préjudice et montant des dommages et intérêts punitifs ainsi que le recours à des juridictions spécialisées seraient autant de garanties pour une justice à la fois efficace et équilibrée.

362 Supra n°51 et n°52 363 Supra n°53

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Section 2 : L’alternative des account of profits

411 - Pour obtenir indemnisation de son préjudice, la victime de contrefaçon sollicite habituellement des dommages et intérêts. Toutefois, en droit anglais, elle dispose d’une alternative, elle peut solliciter une ordonnance pour un « account of profits »364.

412 - Il faut immédiatement souligner qu’il s’agit dʼun recours dʼ« equity » et en conséquence, il appartient à la Cour de répondre favorablement ou non à cette demande.

Les « account of profits » diffèrent des dommages et intérêts, car ils conduisent à calculer le gain réalisé par le défendeur grâce à son action illicite de contrefaçon en les opposant aux pertes du demandeur.

Deux affaires emblématiques aux solutions divergentes permettront de présenter les spécificités des account of profits, en soulignant leurs avantages et leurs inconvénients.

I Les principes généraux applicables à un « account of profits»

413 - La différence entre « account of profits » et dommages et intérêts a été envisagée dans un certain nombre d’affaires célèbres et notamment dans le secteur de l’industrie chimique avec un arrêt de 1999365.

Dans cette affaire, le brevet concerne une méthode de fabrication dʼun type dʼacide acétique, dont la particularité était l’absence d’impureté dʼiodure.

414 - Dans un premier temps, il est établi que le brevet est contrefait par BP Chemicals Ltd. Dans un deuxième temps, le titulaire du droit de propriété, Celanese International Corporation, ne sollicite pas de dommages et intérêts mais des « accounts of profits ».

Celanese International Corporation estime que la Cour doit pouvoir opérer une nette distinction entre les profits issus de la contrefaçon et ceux réalisés indépendamment de celle-ci par le contrefacteur, grâce à ses efforts strictement personnels.

Dans le cas contraire, l’incapacité de la Cour à effectuer une telle distinction devait conduire au prononcé de la restitution de tous ses profits par le contrefacteur à la victime ou au minimum 20 % de tous les profits.

415 - Le contrefacteur se défend alors en revendiquant la mise en avant « d’ une approche croissante progressive ».

Cette approche effectue la distinction entre deux types de calcul de profits. Le premier conduit à déterminer les profits obtenus grâce à lʼutilisation illicite du processus breveté, le second à rechercher ceux qui auraient été obtenus sans le recours à la contrefaçon.

On peut alors effectuer la différence entre ces deux types de profits et mettre ainsi en évidence ce que le contrefacteur désigne par l’expression « d’approche croissante progressive », qui relève plus de la discipline économique que juridique

364 Daniel Ryan et Andrew Wynn « Les sanctions économiques de la contrefaçon en Angleterre : profit perdu ou restitution des bénéfices? Prropriété industruelle n°2 , Février 2011, étude 6 365 Celanese International Corp v. BP Chemicals Ltd [1999] RPC 203

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416 - La présentation des faits et des arguments des parties effectuée, il faut remarquer que cet arrêt présente un intérêt majeur car le juge Laddie, en charge de l’affaire, expose les principes généraux applicables à un « account of profits ».

Le juge rappelle que le demandeur, le titulaire du brevet, a réussi à établir la violation de son droit lors de la première partie du procès.

Il a alors la possibilité, dans la deuxième partie consacrée à la détermination de l’indemnisation, de procéder à un choix entre deux modes d’indemnisation : les dommages et intérêts et les « account of profits ».

Le juge expose alors les différences entre ces deux modes d’indemnisation (A). Toutefois, le principe commun de causalité juridique est mis en évidence, (B) ainsi que les conséquences de ce principe (C)

A - La différence entre « damages » et « account of profits »

417 - Des dommages et intérêts conduisent à déterminer la perte vraiment subie. Cette dernière peut excéder largement le gain réalisé par le contrefacteur par la commission de lʼinfraction.

De plus, si lʼactivité du défendeur viole différents droits du demandeur, le contrefacteur devra indemniser tous les dommages subis par la victime, après une évaluation distincte.

Il faut noter l’absence de toute limite supérieure à lʼindemnisation que le contrefacteur peut être amenée à verser.

L’importance du préjudice supporté est en étroite corrélation avec le montant de l’indemnisation.

Pour procéder à son évaluation, la Cour expose les actes illicites commis366 par le contrefacteur. Ainsi, elle peut identifier les dommages et apprécier le montant financier de l’indemnité à accorder.

418 - Un « account of profits » se distingue nettement de ce mode d’indemnisation que représentent les dommages et intérêts. En effet, le juge ne doit pas se focaliser sur les effets négatifs du comportement infligés au demandeur par le contrefacteur, mais prendre en compte le profit réalisé par ce dernier.

Pour calculer le montant de l’indemnisation, le juge ne se place plus du côté du demandeur, qui a subi le préjudice mais de celui du contrefacteur, qui a réalisé un bénéfice grâce à la violation du droit de propriété.

Le Tribunal élabore alors une fiction en considérant que le défendeur a réalisé des affaires commerciales et dégagé des profits dans lʼintérêt exclusif du demandeur.

366 Cette question est préalablement traitée dans la première phase du procès qui permet de retenir ou non la contrefaçon. Dans cette seconde phase, les éléments initialement dégagés sont simplement repris.

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Un certain nombre de conséquences en découlent. L'une d'entre elles est que le versement maximal indemnitaire, susceptible d’être ordonné, correspond au bénéfice total réalisé par le défendeur. Il se peut que ce montant dépasse largement le préjudice subi par le demandeur367. En effet, en matière de dommages et intérêts, le juge apprécie poste par poste le préjudice réellement subi par le demandeur. Ce dernier peut rencontrer des difficultés à rapporter les preuves afférentes à chaque type de préjudice. Le montant de l’indemnisation sera en conséquence réduit aux dommages strictement établis. La raison essentielle qui conduit alors les demandeurs à solliciter un « account of profits » est l’espoir d’obtenir un meilleur résultat financier que s’ils optaient pour une indemnisation basée sur des dommages et intérêts, qui semble conduire à une démonstration plus complexe.

B - L’existence d’un principe commun de causalité juridique

419 - Un « account of profits » et des dommages et intérêts peuvent entrainer le versement d’une indemnisation financière très différente. Il n’en demeure pas moins que ces deux demandes se fondent sur un principe commun de causalité juridique. Pour répondre à la demande de dommages et intérêts, le tribunal détermine les dommages causés par des actes illicites du défendeur. Toutefois, le tribunal doit distinguer deux situations. La première est classique, la contrefaçon étant la cause directe de la perte, le demandeur doit être indemnisé. La seconde est moins évidente, la perte intervenant indirectement, le juge précise « à l'occasion de la contrefaçon »368. Ainsi, aucun lien de cause à effet direct n’étant établi, l’indemnisation n’est pas alors exigible. 420 - La même règle est superposable aux « account of profits »: le tribunal recherche à apprécier le montant des bénéfices générés par les actes illicites. La Cour d'appel fédérale du Canada, dans l’affaire Imperial Oil369, l’ a exprimé dans les termes suivants : « Il est possible pour Imperial Oil de démontrer qu'une partie des bénéfices réalisés sur les ventes de contrefaçon ne sont pas les bénéfices « découlant de l'infraction » en ce qu'ils ne sont pas causés par elle, mais faits à l'occasion de cette violation ». Ainsi, dans l’affaire United Horse Shoe370, lord Watson a indiqué qu’il serait déraisonnable de donner au détenteur d’un brevet des bénéfices, qui n’auraient pas été gagnés par l'utilisation de son invention.

367 Colburn v Simms (1843) 2 Hare 543. 368 Galoo v vives Grahams Murray [1994] 1 WLR 1360 369 Imperial Oil119 v Lubrizol [1996] 71 CPR (3d) 26 à 30 370 United Horse Shoe120 and Nail v Stewart (1888) 5 RPC 260

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C - Les conséquences de l’existence d’un principe commun de causalité juridique

421 - La conséquence de ce principe de causalité est que le défendeur ne peut pas s’opposer à une demande d’« account of profits » en avançant qu’il aurait pu généré les mêmes bénéfices, en adoptant une démarche étrangère à toute contrefaçon. Toutefois, le juge a écarté cette argumentation, en considérant qu’il s’agissait d’une extrapolation déraisonnable sur laquelle aucune défense ne pouvait se fonder. Cette même logique peut s’opposer au demandeur qui réclamerait une évaluation supérieure aux profits générés réellement par le contrefacteur. En effet, reprocher une exploitation insuffisamment performante ou voire non performante au contrefacteur relève à nouveau d’une extrapolation irréaliste. Il n’est pas raisonnable de prétendre récupérer les bénéfices qui ne sont pas gagnés par le contrefacteur dans le cadre de l'utilisation illicite de l’invention. Une telle demande ne s’appuie sur aucune réalité économique ou juridique et elle ne cherche en définitive qu’à servir les intérêts du demandeur, en s’éloignant de tout contexte économique réel371. 422 - Il n’en demeure pas moins que, dans certaines hypothèses, le juge conclut que tous les bénéfices générés sont attribuables à l'acte de contrefaçon. Une telle conclusion a été retenue par le juge Pennycuick dans l’affaire Peter Pan. Dans ce cas, il s’agissait d’une entreprise de bonneterie, le défendeur fabriquant l’ensemble de sa production de soutien-gorge, grâce à l'utilisation de renseignements confidentiels, appartenant à l’entreprise du demandeur et obtenus illégalement. Il est alors logique de déduire, sans pour autant procéder à des calculs savants ou à des extrapolations déraisonnables, qu’en l’absence de ces informations le modèle de soutien-gorge produit à grande échelle n’aurait pas existé. Dès lors, aucune répartition n’est nécessaire entre les bénéfices issus de la contrefaçon et ceux provenant des efforts personnels du contrefacteur. De même, le tribunal peut estimer que l'invention contrefaite est l'élément essentiel dans l’élaboration du produit distribué. Ainsi, une nouvelle fois, aucune répartition n’est nécessaire entre deux catégories de bénéfices372.

371 Dart Industries v Décor Corp Pty Ltd [1994] SFR 567 à 590. 372 Voir également, Dart Industries Corp. v Décor Corp.

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II Les avantages et inconvénients des « account of profits »

423 - Parfois, la validité de la répartition est admise entre les bénéfices qui découlent directement de la contrefaçon et ceux qui ont été réalisés parallèlement à cet acte illicite. Dès lors, dans un deuxième temps, le tribunal doit procéder à une évaluation distincte pour ensuite procéder à une répartition équitable (A). Par ailleurs, il faut s’interroger sur l’opportunité de recourir aux « account of profits» ou aux dommages et intérêts (B).

A - Une évaluation judicieuse permettant une répar tition équitable

424 - Une évaluation judicieuse du préjudice conduit à écarter une remise intégrale des bénéfices à la victime de la contrefaçon (1). Un tel comportement permet de prendre en considération les efforts personnels du contrefacteur (2) qui conduit à une répartition délicate mais équitable des bénéfices (3).

1 - La contestation de la remise intégrale des bén éfices

425 - On peut citer une illustration particulièrement explicite de cette hypothèse : il s’agit de l’affaire Potton v Yorkclose373, dans laquelle était en cause le droit d'auteur de l'architecte. En l’espèce, un architecte élabore des plans pour la construction d’une maison mais ces plans sont utilisés en violation de son droit d’auteur à quatorze reprises par la construction de quatorze maisons contrefaites. 426 - Toutefois, les défendeurs contestent la remise intégrale des bénéfices réalisés par la vente des maisons.Ils estiment logique et juste d’exclure de l’indemnisation accordée à l’architecte certains bénéfices qui découlent de leurs efforts personnels, indépendants totalement, de la contrefaçon des plans de construction.

2 - La prise en considération d’effort personnel a u cas par cas

427 - Ainsi, en l’espèce, les défendeurs proposent de prendre en considération, au titre des efforts personnels, pas moins de quatre types d’éléments précis. Il s’agit premièrement de l'aménagement paysager et du choix du terrain sur lequel les maisons ont été construites. Deuxièmement, est mentionnée l'augmentation de la valeur des maisons elles-mêmes entre l'achèvement des travaux de construction et la signature des contrats de vente. Troisièmement, il est indiqué que doivent également être pris en considération la publicité et le marketing qui ont permis la vente de ces maisons. 373 Potton v Yorkclose (1990) FSR11

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Quatrièmement et enfin, les défendeurs avancent qu'ils ont effectué de nombreux travaux, comme notamment l'installation matérielle de la cuisine, qui n'était pas prévue par les dessins de l’architecte. En conséquence, à ce titre, aucune reproduction ne pouvait être reprochée. 428 - Le juge Millett considère qu’un tel effort personnel peut raisonnablement être distingué des actes de contrefaçon avérée de la construction des maisons. Dès lors, une partie des profits ne doit pas être remis aux demandeurs. 429 - Le juge poursuit en considérant que, pour trancher sur la nécessité de restituer au défendeur la totalité ou seulement une partie des bénéfices réalisés, il est souhaitable de se référer à la Cour d'appel fédérale canadienne. En effet, cette dernière, dans l’affaire Imperial Oil précédemment citée374, exprime, sans aucune ambiguité, que cette répartition des bénéfices est une stricte question de fait, qui doit impérativement s'apprécier au cas par cas.

3 - Une répartition nécessaire associée à une diff icile évaluation

430 - Dans l’affaire Potton, il a été par ailleurs souligné que même si une répartition est nécessaire, il est parfois très délicat de trancher précisément la proportion des bénéfices issus des actes de contrefaçon. 431 - Dans le cadre de cette recherche, le juge Millett cite l’ouvrage d’Aristophane, « Les grenouilles », dans lequel le philosophe, féru de justice, expose une sombre histoire de droit d’auteur et de réparation. Ainsi, le philosophe adopte une attitude pragmatique face à l'impossible tâche de répartir équitablement les bénéfices générés par un livre entre deux parties. Dans les faits, l’auteur d’un ouvrage reprochait la reproduction d’un passage à un second auteur. Devant les arguments de l’un avançant l’antériorité de l’oeuvre qui établissait sa paternité et les arguments de l’autre évoquant sa liberté de création et la portée limitée de l’emprunt, le maître a alors tranché le différend d’une façon très concrète. Il n’a pas hésité à couper les passages incriminés avec une paire de ciseaux et à les placer dans la balance en les opposant au reste du livre. Il lui a suffi alors de constater de quel côté penchait la balance, pour apprécier l’apport et l’effort personnel du second auteur en dehors de toute contrefaçon. En rapportant cette histoire, le juge Millett précise que, bien évidemment, la méthode ne peut être suivie dans le cas présent. Toutefois, ce rappel historique et culturel lui permet de souligner la difficulté de procéder à une telle répartition. 374 Imperial Oil119 v Lubrizol [1996] 71 CPR (3d) 26 à 30, supra n°420

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Il apparaît ainsi qu’une telle opération peut se révéler impossible, voire relever de l’absurde dans certaines circonstances. 432 - Enfin, il souligne qu’en la matière, il lui semble ne devoir donner que des orientations générales, pour éviter de lier inutilement ses successeurs. Ainsi, selon son opinion, dans un cas similaire à l'espèce, les bénéfices ne doivent pas être répartis en s’appuyant sur la spéculation de l’intérêt des acheteurs réels ou hypothétiques, pour les différents aspects du travail réalisé par les deux parties. Le magistrat ne peut pas, comme Aristophane, recourir à la balance de la justice.en plaçant d’un côté les plans de l’architecte et de l’autre l’aménagement du jardin, le choix du terrain, les opérations de marketing et l’installation de la cuisine. Il ne peut pas non plus alors observer de quel côté et dans quelle proportion la balance penchera. 433 - D’après le juge, les principes comptables ordinaires sont un meilleur guide, susceptibles de fournir les éléments nécessaires à cette appréciation délicate. En effet, sauf quelques rares exceptions, les bénéfices d'un projet sont attribués à différents aspects ou phases du projet dans les mêmes proportions que les frais et dépens leur sont attribués. Dès lors, on dispose d’une base d’évaluation a priori objective et relativement précise. Toutefois, il mentionne les propos du juge Slade375 qui a souligné que, pour répondre à ce type de demande, on ne peut espérer s’appuyer sur l'exactitude mathématique mais que l’on se doit de rechercher une approximation raisonnable.

B - Le choix entre les « account of profits » et les dommages et intérêts

434 - A la suite de cette présentation, le juge Millet s’interroge sur les avantages et inconvénients d'opter pour un « account of profits », par opposition à l'octroi de dommages et intérêts (2). Au préalable, le juge rappelle qu’un choix initial s’impose au demandeur qui ne peut pas jouer sur les deux registres en demandant à la fois des dommages-intérêts et une ordonnance pour un « account of profits » (1).

1 - Un choix initial obligatoire

435 - Dans une affaire datant de 1996376, le demandeur est propriétaire de droit d'auteur sur des enregistrements audio où figurent des interprétations d’œuvres musicales de Cat Stevens. Selon le demandeur, ce droit auteur aurait été violé par le défendeur.

375 Affaire My Kinda Town Limited v Soll, à la page 58 376 Island Records Ltd v Tring International Plc [1996] 1 WLR 1256

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Sa demande retenue par le juge, le demandeur doit classiquement et préalablement à une revendication de son indemnisation, procéder à un choix en demandant, soit des dommages et intérêts, soit un « account of profits ». Ce choix ne doit pas se réduire à un simple pari (a), mais doit intervenir après la communication de certaines informations (b).

a - Le refus d’un pari, l’exigence d’un choix écla iré

436 - Pour écarter ce choix préalable, le demandeur avance « qu’il ne doit pas être contraint à choisir avant qu'il ne soit en mesure de faire un choix éclairé ». Le défendeur conteste alors une telle analyse et exigence. 437 - Selon le juge Lightman, le demandeur doit pouvoir choisir en connaissance de cause et non procéder à un simple pari. Plus précisément, il considère « qu’il est tout à fait déraisonnable d'exiger du demandeur de spéculer dans l'obscurité pour déterminer si la somme recouvrable à titre de dommages et intérêts dépassera celle recouvrable dans le cadre d’une demande en « account of profits377 ». Le demandeur doit donc disposer de tous les renseignements nécessaires. Dans cette optique, le tribunal peut ordonner la communication de l’information qui concrètement s’effectue, par exemple, par un audit des comptes ou par la transmission de rapports vérifiés. La Cour « ne devrait pas être détournée de cette route378» par le fait que l'information nécessaire doive être également recherchée sur un compte ou dans le cadre d’évaluations comptables. Toutefois, toute recherche d’une durée excessive ou inutilement sophistiquée doit être exclue. 438 - Le demandeur ne peut prétendre à connaître le montant exact des dommages-intérêts ou des « account of profits» que le juge accordera. Il peut seulement obtenir des informations que le tribunal estime être une base équitable d'appréciation pour procéder à son choix dans les circonstances particulières de l'espèce, pour un choix.

377 Le texte original en anglais est le suivant : « It is quite unreasonable to require the plaintiff to speculate totally in the dark as to whether or not the sum recoverable by way of damages will exceed that recoverable under an account of profits». 378 L’expression exacte en anglais est «The court should not be deterred from this course». Elle a été traduite ainsi dans les développements, car il s’agit d’une expression que l’on retrouve fréquemment dans les décisions anglaises pour souligner le caractère nécessaire et incontournable de la question.

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b - La divulgation d’informations raisonnablement nécessaires

439 - Le juge Lightman a résolu ce dilemme par la proposition suivante. Le tribunal peut ordonner au défendeur de mettre à la disposition du demandeur les informations qui sont raisonnablement nécessaires pour permettre un choix éclairé. Le demandeur peut alors procéder à un choix judicieux en optant pour un « account of profits » ou des dommages et intérêts, sans avoir pour autant bénéficié d’une divulgation complète des montants respectifs de ces deux indemnisations. En contre partie, le demandeur a l’obligation d’effectuer son choix entre des « account of profits » ou des dommages-intérêts dans un délai raisonnable. 440 - A la suite de cette affaire, d’autres espèces ont conduit les juges à examiner les informations que le défendeur devrait fournir pour que le demandeur puisse procéder à son choix. Notamment, le Juge Jacob, dans une affaire379, a cherché à établir un juste équilibre entre le besoin pour le demandeur d’effectuer un choix éclairé et le poids des exigences d’information qui en découlait pour le défendeur. Il a ainsi concrètement élaboré la liste des informations suivantes : « Il est suffisant pour qu’un choix en connaissance de cause soit réalisé que les défendeurs fournissent une déclaration sous serment énonçant le nombre d’appareils fabriqués et vendus, les sommes reçues ou à recevoir et une estimation approximative des coûts encourus, cette estimation approximative incluant une déclaration quant à la façon dont l'estimation a été faite380 ». Ainsi, grâce à ces différentes affaires, il est possible pour le demandeur d’effectuer un choix raisonnable et éclairé entre ces deux modes d’indemnisation.

2 - Une préférence pour les dommages et intérêts

441 - Un bilan a priori favorable pour les « account of profits» se dégage (a), mais la réalité judiciaire est différente : cette approche permet de mieux comprendre les réticences des juridictions françaises au regard des lois de 2004 et 2007 (b).

379 Brugger v Medicaid ( 196) FSR 380 Le texte original en anglais est le suivant : « it is sufficient for an Informed election to be made that the defendants should supply an affidavit setting forth the numbers of infringing devices made and sole, the sums received or receivable and an approximate estimate of the costs incurred, that approximate estimate to include a statement as to how the estimate was made » .

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a - Un bilan argumentaire a priori favorable aux « account of profits»

442 - A priori, il semble que le demandeur ait intérêt à choisir les « account of profits» qui permettent d’exiger la restitution des bénéfices réalisés par le contrefacteur dans le cadre de son activité illicite. Ainsi, cette solution offrirait une indemnisation optimale en plaçant artificiellement le contrefacteur dans la position de celui qui a exploité le droit de propriété intellectuelle dans l’intérêt du titulaire du droit en cause. De plus, pour la victime, le calcul de l'indemnisation apparaît simplifié : il n’est plus nécessaire d’identifier les différents dommages patrimoniaux et moraux et d’en rapporter la preuve. Enfin, la victime de la contrefaçon peut alors éprouver le sentiment que la condamnation du contrefacteur est véritablement en adéquation avec le préjudice subi et que le contrefacteur ne quittera pas les prétoires en conservant une partie du bénéfice généré par l’activité contrefaisante. 443 - Ce bilan argumentaire plaiderait pour une telle option. Il pourrait nous conduire à penser que l’introduction, par le droit français par la loi de 2007, de la notion de « la prise en considération des bénéfices du contrefacteur » serait une évolution significative pour la victime. En effet, elle serait de nature à nous permettre de nous rapprocher de la solution anglaise des «account of profits » et de ses avantages majeurs.

b - L’impact de ce bilan sur l’appréciation de l’é volution française

444 - Toutefois, depuis 2007, on constate que les tribunaux français restent réservés face à cette nouvelle disposition. Le législateur a estimé que ce comportement était du à un problème d’interprétation de la notion et qu’il était donc nécessaire d’apporter une précision. Ainsi, la loi de 2014 précise la notion de bénéfice du contrefacteur en indiquant qu’ils sont dus notamment aux « économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que le contrefacteur a retirées de l’atteinte aux droits ». 445 - Mais, au regard de la pratique judiciaire anglaise, il apparait que le plaideur préfère le plus souvent, opter pour les dommages et intérêts. En effet, les « account of profits » présente l'inconvénient majeur d’imposer l’identification des bénéfices découlant exclusivement de la contrefaçon, le contrefacteur pouvant établir que certains bénéfices sont issus de son activité exclusivement personnelle. Il semble alors que la réserve des juridictions françaises repose en réalité sur l’anticipation de ces difficultés au regard des enseignements dégagés par la pratique judiciaire anglaise.

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446 - Il n’en demeure pas moins que l’option anglaise entre « damage» et « account of profits » est séduisante, car elle offre un choix à la victime et donc une forme de liberté dans la recherche de son indemnisation. Enfin, ce choix est particulièrement intéressant car actuellement, il ne se réduit plus à un simple pari à l’aveugle mais s’effectue après une évaluation des deux modes d’indemnisation.

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CONCLUSION

447 - Cette étude, consacrée à la comparaison de la lutte contre la contrefaçon en droit anglais et français, nous conduit à effectuer un premier bilan sur notre démarche de comparatiste. Il est évident que, pour assurer la comparaison la plus enrichissante possible, il est nécessaire de se garder de certains réflexes spontanés. Ainsi, il faut s’interdire de considérer tout principe ou toute notion juridique comme définitivement acquis. Pour illustrer ces propos, on peut donner l’exemple du vénérable principe de responsabilité civile français qui permet à la victime de réclamer la réparation de son entier préjudice, mais uniquement de ce dernier. En effet, peut - être ce principe sera-t-il amené à composer avec la sanction de la faute lucrative et l’introduction des dommages et intérêts punitifs, en droit français ? L’objectif étant de renforcer la crédible la lutte contre la contrefaçon et de répondre aux attentes des victimes, la transgression de ce principe semble s’imposer. Ainsi, la découverte et la compréhension des différences de techniques et de logiques juridiques permettent de procéder aussi bien à une critique positive que négative de notre législation. Pour l’avenir, ce travail de réflexion conduit à l’acquisition d’une arme nouvelle, pour une meilleure compréhension de notre droit national. 448 - Cet état d’esprit souligné, il apparaît que deux difficultés majeures doivent être surmontées. Tout d’abord, l'honnêteté intellectuelle conduit à admettre la délicatesse d’une étude de micro - comparaison, sans disposer d’une formation globale dans le droit étranger que l’on compare à son propre droit national. Cette situation pose d’autant plus de problèmes lorsque le droit étranger relève de la Common law alors que le juriste est formé à la Civil law. De plus, la maitrise parfaite de la langue étrangère du droit étudié s’impose. En effet, la discipline juridique se caractérise par une grande subtilité et une grande complexité des textes législatifs et des décisions de justice, dont la lecture, la compréhension et l’analyse s’imposent pour procéder à une réelle comparaison. En effet, Il faut s’interdire une approche superficielle qui, par définition, est fausse car incomplète ou pire erronée. Dans cette étude, nous avons pratiqué la transparence, sans éluder la difficulté lorsqu’elle se présentait.

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Toutefois, nous sommes convaincus qu’une immersion totale reste la clé pour permettre une comparaison afin de se libérer des « cryptotypes », comme le recommandent les bons auteurs381. Dans tous les cas et quelles que soient les difficultés382, nous ne nous abandonnerons pas à dire : « Je me jette sur mon lit, je rumine et je décide : dorénavant, de l’autre, ne plus rien vouloir saisir ». R. Barthes dans « Fragments d’un discours amoureux383 ». 449 - Sur le fond, cette étude comparatiste des politiques de lutte contre la contrefaçon française et anglaise nous a conduit à mesurer l’ampleur du phénomène et à apprécier l’efficacité des sanctions imposées. Sur ces deux plans, il est apparu que, après analyse des techniques françaises, anglaises et européennes, les Etats sont loin d’enrayer le phénomène, voire simplement de maîtriser sa progression. En effet, il est toujours très difficile de contrer les pratiques de l’économie souterraine et en particulier des organisations criminelles ; nous pensons d’ailleurs que notre approche aurait intérêt à être complétée par une étude en droit pénal comparé des affaires. Cependant, il est certain que l’harmonisation voire l'unification concernant la détermination de l’élément constitutif et l’application de la sanction est l’un des meilleurs atouts, face à ce fléau de dimension européenne et mondiale. De plus, nous sommes convaincues de la nécessité de recourir aux dommages et intérêts punitifs, pour contrer les calculs financiers des contrefacteurs et les décourager pour prévenir leurs actions. Dans ce domaine, il nous semble particulièrement intéressant de s’inspirer de la tradition de la common law et notamment des trois guideposts élaborés par le droit des Etats-Unis d’Amérique. 450 - En définitive, il apparait que, loin de s’opposer, les juristes de la common law et les juristes de droit continental doivent unir leur force et leur compétence. En effet, nos démocraties occidentales sont face à cet enjeu majeur que représente la lutte contre la contrefaçon, cette dernière générant des milliards d’euros, parfois utilisés pour financer les mouvements terroristes.

381 Antonio Gambaro, Rodolfo Sacoo, Louis Vogel, Le droit de l’Occident et d’ailleurs, LGDJ, Lextenso éditions, p 5 et 6 382 Cette citation est effectuée par Pierre Legrand, sous le titre de son chapitre1, intitulé « Comparer les droits», de son ouvrage : Le droit comparé, éd Puf, 1999 383 R. Barthes «Fragements d’un discours amoureux » dans Oeuvres complètes, 2éd., Seuil, 2002, p 285

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Dès lors, il est temps, comme l’exprime si bien Frédéric Audren et Jean-Louis Halperin, d’éviter : « de spiritualiser le droit et de voir partout la spécificité de la culture nationale, ainsi nous serons mieux à même de comprendre la diversité du common law (en Angleterre, aux Etats - Unis ou dans tous les pays qui se sont inspirés de tel ou tel point de cette tradition aux multiples visages) et de ne pas dresser l’Occident (supposé porteur d’une tradition juridique supérieure) contre le reste du monde384 ».

384 Frédéric Audren, Jean-Louis Halpérin « La culture juridique française », Entre mythes et réalités, CNRS, EDITIONS, novembre 2013

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ANNEXES

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TABLES DES MATIERES

PLAN SOMMAIRE ..................................... ....................................................................................................... 2

INTRODUCTION ............................................................................................................................................. 3

TITRE 1 : La difficile détermination française et a nglaise des éléments matériels de la contrefaçon . 11

Chapitre 1 : Les difficultés économiques et juridiq ues de la détermination de l’élément matériel de la contrefaçon 12

Section 1 : Un fléau majeur associé à un chiffre no ir ................................................ ....................... 13

I Un impact économique européen et mondial nécessitant un dispositif efficace 13

A - Les réalités économiques permettant une meilleure évaluation de la contrefaçon ................. 14

1 - Trois types de contrefaçon de l’industrie du luxe aux produits de consommation ............... 14

2 - Le recours à un réseau de commercialisation insaisissable sur la toile ............................... 15

3 - 3 - Une capacité financière associée à des pratiques ingénieuses ..................................... 15

B - La place prédominante de la Chine dans la production des produits contrefaits ..................... 16

1 - La Chine, spécialiste de la contrefaçon de marque ............................................................. 16

2 - Une tentative d’explication de cette prééminence chinoise .................................................. 16

3 - La Chine, opposition entre contrefaçon et innovation .......................................................... 17

II De la limitation de l’investissement à la mise en danger du consommateur 17

A - L'insatisfaction des victimes face à l’indemnisation .................................................................. 18

1 - Une indemnisation variable devant les juridictions anglaises et française ........................... 18

a - Une indemnisation apparemment plus élevée en Angleterre ....................................... 18

b - Des frais de justice élevés ............................................................................................. 19

2 - Un ratio demande / indemnisation plus favorable en Angleterre ......................................... 19

a - Entre anticipation de la pondération et insuffisance des justifications alléguées .......... 19

b - Une moindre sensibilité économique liée à une spécialisation limitée .......................... 20

B - Les secteurs particulièrement concernés de l’industrie du luxe et du médicament ................. 20

1 - La fragilisation de l’industrie du luxe et de la haute technologie .......................................... 21

a - Le besoin d’un recours à des réseaux étanches ........................................................... 21

b - La fragilisation des réseaux nuisant à l’image du produit.............................................. 21

2 - Le secteur du médicament, la mise en danger de la santé du consommateur .................... 22

a - Une marge bénéficiaire favorable au contrefacteur ...................................................... 22

b - Le consommateur face à la dangerosité favorisée par internet .................................... 23

Section 2 : Les difficultés françaises et anglaises de définition du fait litigieux .................. ......... 23

I Des définitions générales laissées à l’appréciation des magistrats français 24

A - La présentation des définitions des droits de propriété intellectuelle ....................................... 24

1 - Le droit des marques, droit des signes distinctifs ................................................................. 25

a - Une marque nominale, sonore, figurative...................................................................... 25

b - L’acquisition de la marque par enregistrement ............................................................. 27

2 - Le droit des brevets, droit des inventions ............................................................................. 28

a - Une création technique susceptible d’application industrielle ....................................... 28

b - L’accession au brevet par le dépôt ................................................................................ 29

3 - Le droit des dessins et des modèles, l’apparence d’un produit ............................................ 30

a - L’apparence d’un produit nouveau à caractère propre .................................................. 30

b - L’acquisition de la protection par le dépôt ..................................................................... 32

4 - Le droit d’auteur, le droit des oeuvres de l’esprit .................................................................. 33

a - L’oeuvre créatrice et originale d’une personne physique .............................................. 33

b - La reconnaissance de deux catégories de prérogatives ............................................... 34

c - L’oeuvre de l’esprit protégée sans formalité particulière ............................................... 35

B - La définition de la contrefaçon liée à la diversité des droits de propriété ................................. 36

1 - La contrefaçon de marque, économie de la distinction ........................................................ 37

2 - La contrefaçon du brevet, l’économie de l’invention ............................................................ 38

3 - La contrefaçon des dessins et des modèles, l’économie de la nouveauté .......................... 40

4 - La contrefaçon du droit auteur, l’économie de l’originalité ................................................... 41

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II La règle du précédent, contrainte ou souplesse dans la définition de l’élément constitutif 42

A - La règle du précédent au service de la détermination du fait litigieux ..................................... 43

1 - La règle du précédent à la base de la construction juridique anglaise ................................ 43

2 - Les spécificités de la mise en oeuvre de la règle du précédent ........................................... 44

a - La distinction entre la ratio decidendi et « obiter dictum» ............................................. 44

b - Les faits, une obsession de la pratique judiciaire .......................................................... 45

c - La possibilité du revirement de jurisprudence ............................................................... 45

B - Un exemple de détermination de l’élément constitutif de la contrefaçon ................................. 46

1 - La présentation synthétisée des faits et de la procédure ..................................................... 46

2 - Le raisonnement du juge de première instance retenant la contrefaçon ............................. 48

a - Le modèle Rodéo tombé dans le domaine public ......................................................... 48

b - L'identification de l’utilisateur éclairé ............................................................................. 49

c - La spécificité du modèle Trunki justifiant une protection ............................................... 49

d - Le modèle Rodéo impuissant à écarter la contrefaçon ................................................. 49

e - Trois préalables à la comparaison entre la valise Trunki et la Kiddee. ......................... 50

f - La comparaison par un tableau de différences et de ressemblances ............................ 51

3 - Le raisonnement du Lord Justice écartant la contrefaçon en appel s’appuyant sur les même précédents ................................................................................................................................. 52

a - Des rappels sur l’objet et la portée de l’enregistrement ................................................ 53

b - L’exposé des précédents pour l’interprétation de l’enregistrement ............................... 54

c - L’application des précédents pour rejeter une appréciation non globale du produit ..... 56

d - L’application du précédent pour confirmer la définition de l’utilisateur éclairé .............. 57

e - L’application du précédent pour rejeter l’application de la notion d’utilisateur éclairé par le juge de première instance ............................................................................................... 58

4 - Une démarche conceptuelle française et factuelle anglaise relativement proches.............. 59

Chapitre 2 : Une efficacité des moyens de lutte fra gilisée par un manque d’harmonisation 63

Section 1 : Entre un besoin de spécialisation des j uridictions et d’uniformisation des droits protégés .......................................... ....................................................................................................... 64

I Harmoniser les droits de propriété intellectuelle pour renforcer leur protection 64

A - Une double harmonisation européenne parfaitement réalisée ................................................ 64

1 - Le droit des marques, la première unification ....................................................................... 64

a - La coexistence d’une marque européenne et nationale................................................ 64

b - Le nécessaire respect des prescriptions européennes ................................................. 65

c - L’élaboration de « case law » par la Cour de justice de l’Union européenne................ 65

2 - Les dessins et modèles, la deuxième harmonisation ........................................................... 66

a - La résolution du résolution du cumul de deux droits ..................................................... 66

b - L’instauration d’un titre européen .................................................................................. 66

B - Un effort d’harmonisation en cours de réalisation .................................................................... 67

1 - Le droit des brevets .............................................................................................................. 67

a - L’absence d’un titre européen ....................................................................................... 67

b - L’établissement d’un dépôt européen ............................................................................ 68

2 - Le droit auteur, une européanisation en devenir .................................................................. 68

II Pour une spécialisation des juridictions et des magistrats 69

A - Un début de spécialisation du système judiciaire français ....................................................... 69

1 - Une répartition des litiges entre certaines juridictions .......................................................... 69

a - Les litiges sur des titres nationaux de propriété intellectuelle ....................................... 69

b - Des litiges sur des titres européens de propriété intellectuelle ..................................... 70

2 - Les freins de la spécialisation ............................................................................................... 70

B - Une tradition anglaise de spécialisation ................................................................................... 71

1 - Des juridictions civiles centralisées et spécialisées ............................................................. 72

a - Une répartition des compétences selon le droit de propriété concerné ........................ 72

b - Des conseillers en propriété intellectuelle et des juges hautement spécialisés ............ 73

2 - Les juridictions spécialisées pour les titres européens ........................................................ 74

Section 2 : L’illustration de la délicate harmonisa tion des législations nationales .................. .... 75

I Une évolution délicate de l’introduction des droits moraux en droit anglais 75

A - L’historique de l’introduction des droits moraux ....................................................................... 75

1 - Une création de civil law ....................................................................................................... 75

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2 - Les dispositions actuelles des sections 77 à 85 du CDPA ................................................... 76

B - L’attribution d’une qualification de droit moral contestable ....................................................... 77

1 - « False attribution » .............................................................................................................. 77

2 - « Privacy right » .................................................................................................................. 79

II Les spécificités de l’introduction des droits moraux 81

A - Les spécificités textuelles de la reconnaissance de droits moraux .......................................... 81

1 - « Right of attribution» ou l’attribution du droit de paternité ................................................... 81

a - Une revendication préalable de l’oeuvre nécessaire ..................................................... 81

b - Une revendication incompatible avec la Convention de Berne ..................................... 82

2 - « Right Integrity » ou le droit au respect de l’œuvre ............................................................. 83

a - Le conflit d’intérêt majeur............................................................................................... 83

b - Une notion précise mais restrictive ................................................................................ 83

B - Une pratique jurisprudentielle réservée .................................................................................... 85

1 - Les bases de recherche de l’établissement de l’atteinte à l’oeuvre ..................................... 85

a - L’énoncé du fondement textuel compatible avec la Convention de Berne ................... 86

b - Une recherche induisant une situation surréaliste selon le juge ................................... 86

2 - Un affinement rigoureux de la démarche de recherche ....................................................... 87

a - Une contestions sur le caractère audible des paroles ................................................... 87

b - La langue de la rue, une langue étrangère.................................................................... 87

c - Le lancement d’une recherche sur Urban Dictionary .................................................... 88

3 - L’impact du comportement de l’auteur sur ses droits moraux .............................................. 88

a - Le comportement de l’auteur écartant sa revendication ............................................... 88

b - Une double exigence pour retenir l’atteinte au respect de l’oeuvre .............................. 89

C - Des exceptions limitant les droits de paternité et au respect de l’oeuvre ................................ 89

TITRE 2 : Les sanctions de la contrefaçon française et anglaise pour une dissuasion maximale....... 91

Chapitre 1 : les dommages et intérêts, l’unique san ction financière apparemment admise en droit français 93

Section 1 : De l’article 1382 du Code civil à la lo i de transposition de 2007 ........................ .......... 94

I L’objectif d’amélioration de l'indemnisation du préjudice de contrefaçon 94

A - Le principe de la limitation de la réparation au préjudice subi.................................................. 94

1 - Une tradition française fondée sur l’application de l’article 1382 du Code civil .................... 94

2 - Un préjudice difficile à estimer et à établir ............................................................................ 95

3 - Une indemnisation jugée insuffisante par la victime de contrefaçon ................................... 96

B - L'extension de l’indemnisation par la Directive européenne de 2004 ...................................... 97

1 - La proposition du 30 janvier 2003 de la Commission européenne écartée ......................... 97

2 - Les innovations de la Directive européenne du 29 avril 2004 .............................................. 98

3 - L’impact limité de la loi du 29 octobre 2007 ......................................................................... 99

4 - L’apport de la loi du 11 mars 2014 ..................................................................................... 100

II Le choix de la méthode d’évaluation du préjudice 101

A - La recherche de la détermination d’un calcul pertinent du préjudice ..................................... 101

1 - Les conséquences économiques négatives ....................................................................... 101

a - Le manque à gagner.................................................................................................... 102

b - Les pertes subies ......................................................................................................... 103

2 - Le préjudice moral .............................................................................................................. 105

3 - La prise en considération des bénéfices du contrefacteur ................................................. 106

B - La détermination d’une redevance fictive ............................................................................... 109

Section 2 : L’avenir des dommages et intérêts punit ifs en droit français ............................. ....... 110

I De l’exclusion de la peine privée au besoin d’un fort pouvoir de dissuasion 110

A - Le refus du risque de confusion entre la sanction civile et la sanction pénale ....................... 110

1 - Une désaffection de l’action pénale .................................................................................... 111

2 - L’histoire des responsabilités civile et pénale étroitement associées ................................ 112

B - La réalité juridique parfois éloignée de la simple réparation .................................................. 113

1 - L’existence des peines privée occultes .............................................................................. 113

2 - Un cas particulier : la réparation du préjudice moral .......................................................... 114

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II Une réforme envisageable reposant sur une analyse pragmatique 115

A - L’abandon des peines privées occultes pour un encadrement .............................................. 115

1 - La confrontation à l’ordre public français des dommages et intérêts punitifs ..................... 115

2 - Pour une reprise des trois guideposts américains ............................................................. 116

B - Une réponse adaptée à la faute lucrative ............................................................................... 117

1 - La définition de la faute lucrative ........................................................................................ 117

2 - La moralisation de la vie économique ou une modernisation souhaitable de la responsabilité civile ......................................................................................................................................... 118

Chapitre 2 : L’originalité de la solution anglaise, le choix entre deux sanctions financières possibles 120

Section 1 : Les particularités de la notion « Damag es » ................................................................ 121

I Les principes généraux de calcul associés à des règles spécifiques 121

A - Les principes de calcul en matière de contrefaçon ................................................................ 121

1 - Le case law, une affaire de contrefaçon de brevet ............................................................. 121

a - La contrefaçon établie, des dommages et intérêts contestés ..................................... 122

b - L’exigence d’un ancrage dans la réalité ...................................................................... 122

2 - Des principes de calcul étendus à toute contrefaçon ......................................................... 123

3 - Le règlement d’application de la propriété intellectuelle de 2006 ...................................... 124

a - L’énoncé des différences dispositions ......................................................................... 124

b - Les interrogations suscitées par ce règlement ............................................................ 124

B - Les règles particulières des pertes consécutives ou indirectes ............................................. 126

1 - L’appréciation étroite ou large du préjudice........................................................................ 126

2 - Une appréciation large en présence d’une politique publique spécifique .......................... 126

II La prise en considération de la contrefaçon involontaire ou de bonne foi 127

A - Une solution originale au regard du droit français .................................................................. 128

1 - L’absence de maintien ou l’inexistence du droit d’auteur ................................................... 128

2 - Une démonstration en deux étapes .................................................................................... 129

B - Une solution divergente selon le lieu d’enregistrement du modèle ........................................ 130

1 - La distinction entre contrefacteurs primaire et secondaire ................................................. 130

2 - Un moyen de défense, l’absence de « connaissance pertinente » .................................... 131

3 - Un besoin d’uniformisation ................................................................................................. 132

C - Pour une prise en compte de la notion de bonne ou mauvaise foi en droit français ............. 133

III L'admission par le droit anglais des dommages et intérêts punitifs 134

A - Les dommages et intérêts punitifs, une tradition de la Common law des Etats -Unis d’Amérique ................................................................................................................................... 134

1 - Le XIV amendement ou l’interdiction d’une sanction excessive......................................... 134

2 - Les trois « guideposts» ou piliers ....................................................................................... 135

a - Le degré de réprobation .............................................................................................. 136

b - L'adéquation entre le préjudice effectif ou potentiel et les dommages punitifs ........... 137

c - L’équilibre entre dommages punitifs du jury et amende civile ..................................... 138

B - Une attitude de la common law anglaise réservée ................................................................. 138

1 - Dommages-intérêts supplémentaires ou complémentaire ................................................. 139

a - Une indemnisation compensatoire ou punitive ............................................................ 139

b - L’exigence du caractère cynique ................................................................................. 140

2 - Exemplary Damages ......................................................................................................... 141

C - Des propositions pour une introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français 142

1 - L’appréciation du degré de réprobation en matière de contrefaçon ................................... 143

2 - L’appréciation de l’adéquation entre le préjudice effectif ou potentiel et les dommages punitifs ...................................................................................................................................... 144

Section 2 : L’alternative des account of profits ............................................................................... 145

I Les principes généraux applicables à un « account of profits» 145

A - La différence entre « damages » et « account of profits » ..................................................... 146

B - L’existence d’un principe commun de causalité juridique ...................................................... 147

C - Les conséquences de l’existence d’un principe commun de causalité juridique ................... 148

II Les avantages et inconvénients des « account of profits » 149

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A - Une évaluation judicieuse permettant une répartition équitable............................................. 149

1 - La contestation de la remise intégrale des bénéfices ........................................................ 149

2 - La prise en considération d’effort personnel au cas par cas .............................................. 149

3 - Une répartition nécessaire associée à une difficile évaluation ........................................... 150

B - Le choix entre les « account of profits » et les dommages et intérêts ................................... 151

1 - Un choix initial obligatoire ................................................................................................... 151

a - Le refus d’un pari, l’exigence d’un choix éclairé .......................................................... 152

b - La divulgation d’informations raisonnablement nécessaires ....................................... 153

2 - Une préférence pour les dommages et intérêts ................................................................. 153

a - Un bilan argumentaire a priori favorable aux «account of profits» .............................. 154

b - L’impact de ce bilan sur l’appréciation de l’évolution française ................................... 154

CONCLUSION .............................................................................................................................................. 156

ANNEXES ..................................................................................................................................................... 159

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INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES I. OUVRAGES SPECIALISES

Tanya APLIN et Jennyfer DAVIS - Intellectual Proprerty Law, Second Edition, Oxoford Universite Press, 2013 Frédéric AUDREN, Jean-Louis HALPERIN - La culture juridique française, Entre mythes et réalités, CNRS, EDITIONS, novembre 2013 Nicolas BINCTIN - Droit de la propriété intellectuelle, droit d’auteur, brevet, droits voisins, marque, dessins et modèles, 3 éd, LGDJ, 2014 Antoine J.BULLIER - La Common Law, 3ème édition, Dalloz Jean - Michel BRUGUIERE - Droit des propriétés intellectuelles, 2 édition, Ellipses, mai 2001 Jean - Marc BRUGUIERE et M VIVANT, - Droit d’auteur, 2 éd. Dalloz, 2013 Nicolas CADDICK, Ben LONGSTAFF - A User’s guide to trade marks and passing off, Fourth Edition, Bloomsbury Professional, London 2015 Gérard CORNU, - Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 1996 René DAVID - Les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, 1982 FRANCON - Cours de propriété littéraire, artistique et industrielle, Cours de droit, Litec 1999 Antonio GAMBARO, Rodolfo SACCO, Louis VOGEL, - Le droit d’Occident et d’ailleurs, Traité de droit comparé, LGDJ, Lextenso éditions, 2011

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Henri GAUMONT - Droit de la propriété industrielle, 3 éd, LexisNexis, 2013 Andy HYEANS - Marchés criminels, Un acteur global, PUF, mai 2010 Pierre LEGRAND, - Le droit comparé, éd Puf,1999 - Pour la relance des droits étrangers, les voies du droit, RJS éditions, mars 2014 André LUCAS, - Propriété littéraire et artistique, Dalloz et Pierre - Yves Gautier Propriété littéraire et artistique, PUF Laure MARINO - Droit de propriété intellectuelle, Thémis droit, 2013 Dario MOURA VICENTE, - La propriété intellectuelle en droit international privé, Livre de poche de l’Académie de droit international de la Haye » 2009 François PELLEGRINI et Sébastien CANEVET, - Droit des logiciels, PUF, 2013 Tim PRESS - Intellectual Property Law, Oxfod, 2013 P STOFFEL - MUNCK, - Le préjudice moral des personnes, Mélanges Le Tourneau, Dalloz, éd 2008, The Rt. Hon. Sir Robin Jacob, Daniel Alexander, Lindsay Lane - A Guidebook to Intellectual Property, Patents, Trade Marks, Copyringht and Designs,

5Th Edition, SWEET & MAXWELL, London 2004 G. TRIET - Propriété industrielle: le coût des litiges, études comparées entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis et les Pays-Bas », Editions de l’Industrie, mai 2000 Séverine VISSE - CAUSSE - Droit de propriété intellectuelle, Gualino, Lextenso éditions, 1er édition, 2014. Charlotte WAELDE, Graeme LAURIE, Abbe BROWN, Smita KHERIA, Jane CORNWELL, - Contempory intellectual Property, Law and Policy, 3éd, Oxford, 2013

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II. ARTICLES DE REVUES

Marie - Elodie ANCEL - « Contrefaçon internationale : le juge face aux dommages et intérêts punitifs étrangers, Cahier de droit de l’entreprise n°4, juillet 2007, dossier 26 Yann BASIRE - « Les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon. Etude comparée en France, au Royaume-Uni et en Allemagne », Propriété industrielle n°7-8 Juillet 2014 Xavier BUFFET DELMAS d’AUTANE et Jules FABRE - « Nouveautés, clarifications, carences et incertitudes du dispositif de lutte contre la contrefaçon tel que renforcé par la loi n°2014-315 du 11 mars 2014 » Propriété industrielle n°5, Mai 2014, étude 12, notamment n°7 à n°13 Christophe CARON - « La loi du 29 octobre 2007 dite « de lutte contre la contrefaçon » JCPE, n°47, 22 novembre 2007 Pierre CATALA - « II est temps de rendre au Code civil son rôle de droit commun des contrats », JCP G 2005, I, p170 Florence CHALTIEL - « La lutte contre la contrefaçon en Europe - Développements récents» Contrats, Concurrences, Consommation N°7, juillet 2007, étude 9 - « Une nouvelle loi pour lutter contre la contrefaçon. A propos de la loi du 29 octobre 2007, Contrats Concurrence Consommation n°12, Décembre 2007 - « Les avancées de la lutte contre la contrefaçon : la loi du 29 octobre 2007» Contrats Concurrence Consommation n°1, Janvier 2008, étude 1 Muriel CHAGNY - «La notion de dommages et intérêts punitifs et ses répercussions sur le droit de la concurrence - Lectures plurielles de l’article 1371 de l’avant-projet de réforme du droit des obligations» JCPG, n°25, 21 juin 2006, I, 149. Corinne CHAMPAGER KATZ - « L’évaluation et la réparation du préjudice né des actes de contrefaçon et ses évolutions depuis la loi de 2007, Cahier de la sécurité, n°15, Janvier-Mars 2011, p106 et s

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Marina COUSTE et Florent GUIBOT - « Réforme de l’indemnisation du préjudice de contrefaçon en France: du jardin à la française à l’Eldorado américain? - Point de vue de praticiens » Propriété industrielle n°12, Décembre 2007, étude 26 Patrice DE CANDE - « Les critères d’appréciation de la portée de la protection du modèle» Propriété intellectuelle n°3, mars 2010, étude 5 Bruno DOMINGO - « Douane et contrefaçon », Cahier de la sécurité n°15 INHESJ, Janviers - mars 2011, p 121 Blandine FAURAN - « Les enjeux de la lutte contre les faux médicaments » Cahiers de la sécurité n°15, « Les dangers de la contrefaçon », p 67 M-A FRISON - ROCHE, - « Les principes originels du droit de la concurrence déloyale et du parasitisme : RJDA6/94 p 483 Hélène GAUMONT-PRAT - « Contrefaçon et médicaments falsifiés » Propriété industrielle n°6, juin 2013, étude 6 Jane GINSBURG - « Droit d’auteur et propriété de l’exemplaire d’une oeuvre d’art : Etude de droit comparé », Revue internationale de droit comparé, 1994, Volume 46, n°3, p881-821 Franck GUARNIERI - Eric PRZYSWA - « Cybercriminalité - contrefaçon : les interactions entre « réel et virtuel », Cahier de la sécurité juridique, n°5, janvier-mars 2011, p 77 et s Charles HASS - « L’évaluation de l’indemnisation de la victime d’une contrefaçon, entre incohérences et approximations » Propriété intellectuelle : notions cadres et mécanismes essentiels » Legicom, n°53- 2014/2, p75 Guillaume HENRY, - « Les nouvelles évaluations du préjudice en matière de contrefaçon : entre régime compensatoire et peine privée, Communication », Commerce électronique N°1, Janvier 2009, étude 2, p 2

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Andy HYEANS - « La contrefaçon dans le monde : entre dangers, profits et perspectives », Les dangers de la contrefaçon, Cahiers de la sécurité n°15, INHESJ, Janviers - mars 2011, p 41 Patrice JOURDAIN - « Conclusion prospective, Responsabilité civile et assurances », n°5, dossier 35, Mai 2013, n°4 Pascal KAMINA - « Pratique contentieuse, Agir en contrefaçon en Angleterre et au Pays de Galles », Communication Commerce électronique n°11, Novembre 2010 - « Quelques réflexions sur les dommages et intérêts punitifs en matière de contrefaçon », Cahier de droit de l’entreprise n°4, juillet 2007, dossier 23 Séverine KUPFER - « Sept ans de réflexion : une période transitoire pour lever les doutes des justiciables de la future juridiction unifiée du brevet », Propriété industrielle n°5, Mai 2014, étude 14 Arnaud LATIL - « Les économies d’investissements du contrefacteur » Communication Commerce électronique n°3 mars 2015, étude 6 Alexandre LE GARS - « La contrefaçon des marques dans le luxe : l’approche du droit commerciale (jurisprudence française et européenne) », Propriété industrielle n°12, Décembre 2011, étude 21 Caroline Le GOFFIC et Marion WAGNER - « La pénalisation de la contrefaçon », Droit pénal, n°12, Décembre 2009, étude 26 Pauline Le MORE - « 3 questions récentes, développements de la réparation au titre d’un préjudice commercial », JCP E, n°16, 18 avril 2013, 288, n°1 Jean-Michel LOUBOUTIN - « Lutte contre la contrefaçon au niveau international - Regards et perspectives d’INTERPOL », Les dangers de la contrefaçon, Cahiers de la sécurité n°15, INHESJ, Janviers - mars 2011, p 101 E. MARECHAL - « L’évaluation des dommages et intérêts en cas de contrefaçon », RTD com. 2012, 245

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David MASSON - « Le brevet unitaire - Il faut saisir la balle au bond » JCPE, n°21-22, 22 mai 2014 Benjamin MAY - « Améliorer l'indemnisation de la contrefaçon : la loi ne suffira pas » Propriété industrielle n°3, Mars 2008, étude 4 Florence MEURIS - « Une lutte immédiate contre la contrefaçon », Communication Commerce électronique, n°4, Avril 2014 Rodolphe MESA - « Précision sur la notion de faute lucrative et son régime » JCP G, n° 20, 21 mai 2012. J.ORTSCHEIDT - « Les dommages-intérêts punitifs en droit de l’arbitrage international », LPA 20 novembre 2002, n°232, p17 et s. Philippe MAITRE et Muriel PERRINO - « Contrefaçon et ostentation », Revue d’économie industrielle, 1er trimestre n°117, p.75-92 Elisabeth PONSONSOLLE des Portes - « La contrefaçon des produits de Luxe », Cahiers de la sécurité n°15, Les dangers de la contrefaçon, Janvier -mars 2011, p 51 Jacques RAYNARD - « Toques et brevets: de la nouvelle cuisine (française) de la réparation de la contrefaçon » Propriété industrielle n°2, Février 2012, comm.11 Mickaël R. ROUDAUT - « Contrefaçon : un crime invisible » Les dangers de la contrefaçon, Cahiers de la sécurité n°15, INHESJ, Janviers - mars 2011, p26 à 35 Daniel RYAN et Andrew WYNN - « Les sanctions économiques de la contrefaçon en Angleterre : profit perdu ou restitution des bénéfices? » Propriété industrielle n°2 , Février 2011, étude 6 Frédéric STASIAK - « Les sanctions de la contrefaçon » Communication Commerce électronique n° 1, Janvier 2009, étude 1

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Bertrand WARUSFEL - « La contrefaçon entre concurrence et délinquance » Cahiers de la Sécurité, n° 15, Les dangers de la contrefaçon, janvier - mars 2011, p10 III. ENCYCLOPEDIES

Gaelle BLORET-PUCCI - « Contrefaçon de marques de fabrique, de commerce ou de service », Fascicule n°10 Jurisclasseur Pénal des affaires, mars 2014, n° 21 Emmanuel DREYER - « Procédures et sanction - Contrefaçon. Eléments constitutifs (CPI, art.L.121-1 à L.123-2 et L.333-1 à L.335-10), Propriété littéraire et artistique », Fascicule 1612, Jurisclasseur, 15 janvier 2014 Hélène GAUMONT-PRAT - « Contrefaçon et médicaments falsifiés » Propriété industrielle n° 6, juin 2013, étude 6 François GREFFE - « Concurrence déloyale et concurrence parasitaire » Fascicule n° 3495, n° 93, 25 novembre 2012 Joffrey SIGRIST - « Rôle des douanes en matière de contrefaçon », Fascicule 7530, Jurisclasseur, 4 mars 2015 IV. COURS DE DROIT

Bertrand ANCEL - «Théorie générale du droit comparé », Master 2 Droit comparé, Université Panthéon - Assas (Paris II), 2008-2009 V. CASES LAW

- Blayney v Clogau St David’s Gold Mines Ltd (2003) FSR 19

- BMW of North America, Inc. v. Gore US 559, 20 mai 1996

- Browning-Ferries Industries v. Kelco Disposal, Inc Justice, 492 U.S (2001)

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- Brugger v Medicaid (1966) FSR

- Celanese International Corp v. BP Chemicals Ltd [1999] RPC 203

- Clark v Associated Newspapers Ltd[1998] 1 WLR 1558

- Colburn v Simms (1843) 2 Hare 543.

- Confetti Records v Warner Music UK Ltd (2003) ECDR 31

- Dart Industries v Décor Corp Pty Ltd [1994] SFR 567 à 590

- Day v. Woodworth et Browing-Ferris (2003)

- England and Wales Hight Court, 11 juillet 2013

- Eli Lilly v Human Genome Sciences (2010) RPC 14

- Galoo v vives Grahams Murray [1994] 1 WLR 1360

- General Tire and Rubber Co v Firestone Tyre and Rubber Co Ltd [1976] RPC 197

- Gerber Garment Technology Inc v Lectra Systems Ltd [1997] RPC 443.

- Grupo Promer v OHIM (2010 ECDR 7)

- Huston v Turner Entertainment Co (1992) ECC 334

- Infabrics Ltd v Jaytex Ltd, (1980) Ch 282

- Imperial Oil v Lubrizol [1996] 71 CPR

- Island Records Ltd v Tring International Plc [1996] 1 WLR 1256

- J Choo (Jersey) Ltd v Towerstone Ltd (2008) FSR 19

- Kuddus v Chief Constable of Leicestershire Constabulary 2002

- Lonon Tramways v London County concil, 1898

- Ludlow Music Inc v Williams (2002) FSR, 57, Para 53

- Magnetic Ltd v PMS International Ltd, 28 février 2014

- McCosh v Crow & Co de 1903.

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- Michael O’Mara Books Ltd v Express Newspapers Plc (1999) FSR 49

- Mosley v News Group Newspapers Ltd (2008)

- Mosley v Nouvelles journaux Group Ltd 2002.

- Norman v Bennett de 1974, 1 WLR 1229, 1232

- Nottinghamshire Healthcare National Health Service Trust v News Group Newspapers Ltd [2002] RPC 49

- Pasterfield v Denham [1999] FSR 168.

- PepsiCo v Grupo Promer (2012 FSR 5)

- Pollard v Photographic Co de 1889

- Potton v Yorkclose (1990) FSR11

- Procter & Gamble Co v Reckitt Benckiser (UK) Ltd de 2006, EWHC 3145.

- Procter & Gamble Co v Reckitt Benckiser, (2007) EWCA Civ 936

- Rookes v Barnard (1964) AC 1129

- Samsung Electronics (UK) Ltd v Apple Inc. (2013)

- Unilin Beheer BV c Berry Floor NV

- United Horse Shoe1 and Nail v Stewart (1888) 5 RPC 260