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Le Tourisme Responsable : definition, reussites, echecs dun outil de developpement Des dérives du tourisme de masse aux alternatives bien intentionnées, quels sont les atouts et les limites du tourisme responsable dans le développement local des régions concernées? Quand le tourisme devient un produit de consommation standard M. Bernard profite du soleil des plages d’Agadir au bord… de la piscine de son hôtel. Lunettes de soleil sur la tête, le polar de l’été dans une main, l’autre posée sur une canette de soda bien fraîche, il savoure ses trois semaines de congés estivaux en compagnie de sa famille et de ses amis de longue date. Son épouse est au spa pour l’après-midi et ses enfants passent leurs journées au club jeunes. Le soleil est au zénith et le mercure atteint les 35°C à l’ombre. M. Bernard vient se réfugier dans le hall climatisé de l’hôtel. A l’accueil, où il souhaite récupérer les clefs de sa chambre, on l’informe que le lendemain l’hôtel organise une excursion encadrée dans la médina, la vieille ville d’Agadir. Très peu pour lui ! « Pourquoi sortirai-je alors qu’il y a ici tout le nécessaire et même plus ?» se demande-t-il. Depuis son arrivée, une semaine et demie auparavant, M. Bernard n’a pas mis les pieds dehors. D’ailleurs, le lendemain, son programme est déjà bien rempli, il a prévu d’aller au golf mesurer son adresse à celle de ses amis. Le tourisme est devenu un produit de consommation de masse standardisé : le voyageur profite du même confort que chez lui, en mieux et le soleil en plus. Depuis les années 1980, le tourisme n’a cessé de s’intensifier. Avec 1 milliard de voyageurs tous les ans, 10% du PIB et 8% de l’emploi mondial, il représente aujourd’hui la première industrie du globe, devant le pétrole et l’automobile. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter ! L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) prévoit une croissance de 4% du marché chaque année au cours de la prochaine décennie. En 2020, 1,6 milliards de touristes voyageront à travers le monde. Le tourisme de masse n’est pas sans impact sur les régions visitées M. Bernard est loin d’être un cas isolé. Son impact n’est pas négligeable quand il est multiplié par un grand nombre de voyageurs. Le tourisme de masse est accusé de générer des ressources financières accaparées par les opérateurs touristiques et les intermédiaires D’un point de vue environnemental, en effet… Le tourisme de masse entraîne une consommation excessive des ressources naturelles, à commencer par l’eau douce, dans des régions parfois déjà en stress hydrique avant l’arrivée massive de touristes. L’eau prélevée pour alimenter les piscines ou pour arroser les golfs n’est pas utilisée pour l’irrigation des cultures ou pour la consommation quotidienne de la population locale, qui voit le prix de l’or bleu fortement augmenter. De même, un nombre important de touristes génère une plus grande quantité de déchets et de pollution en tout genre dans des régions parfois dépourvues d’équipements spécialisés (d’autant plus dans les pays du Sud). Les milieux riches en biodiversité ou les sites exceptionnels du patrimoine, qui attirent les touristes, sont aussi les plus fragiles. La surfréquentation de ces sites participe à leur dégradation. La grande barrière de corail est par exemple sur le point de disparaître et le Machu Picchu fait l’objet de rénovations permanentes pour retarder son délabrement. D’un point de vue social également… Le tourisme de masse, et ses besoins en routes, hôtels et infrastructures de tout type, sont souvent à l’origine d’une urbanisation galopante favorisant l’exode rural. Cela entraîne l’abandon de certaines régions du pays, moins attractives touristiquement et dénuées d’atout, mais qui demeurent inexploitées. Cette urbanisation, souvent mal contrôlée, renchérit sur le prix du foncier et « chasse » les populations locales vers les bords de la ville où les tarifs

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Des dérives du tourisme de masse aux alternatives bien intentionnées, quels sont les atouts et les limites du

tourisme responsable dans le développement local des régions concernées?

Quand le tourisme devient un produit de consommation standard M. Bernard profite du soleil des plages d’Agadir au bord… de la piscine de son hôtel. Lunettes de soleil sur la tête, le polar de l’été dans une main, l’autre posée sur une canette de soda bien fraîche, il savoure ses trois semaines de congés estivaux en compagnie de sa famille et de ses amis de longue date. Son épouse est au spa pour l’après-midi et ses enfants passent leurs journées au club jeunes. Le soleil est au zénith et le mercure atteint les 35°C à l’ombre. M. Bernard vient se réfugier dans le hall climatisé de l’hôtel. A l’accueil, où il souhaite récupérer les clefs de sa chambre, on l’informe que le lendemain l’hôtel organise une excursion encadrée dans la médina, la vieille ville d’Agadir. Très peu pour lui ! « Pourquoi sortirai-je alors qu’il y a ici tout le nécessaire et même plus ?» se demande-t-il. Depuis son arrivée, une semaine et demie auparavant, M. Bernard n’a pas mis les pieds dehors. D’ailleurs, le lendemain, son programme est déjà bien rempli, il a prévu d’aller au golf mesurer son adresse à celle de ses amis. Le tourisme est devenu un produit de consommation de masse standardisé : le voyageur profite du même confort que chez lui, en mieux et le soleil en plus.

Depuis les années 1980, le tourisme n’a cessé de s’intensifier. Avec 1 milliard de voyageurs tous les ans, 10% du PIB et 8% de l’emploi mondial, il représente aujourd’hui la première industrie du globe, devant le pétrole et l’automobile. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter ! L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) prévoit une croissance de 4% du marché chaque année au cours de la prochaine décennie. En 2020, 1,6 milliards de touristes voyageront à travers le monde. Le tourisme de masse n’est pas sans impact sur les régions visitées M. Bernard est loin d’être un cas isolé. Son impact n’est pas négligeable quand il est multiplié par un grand nombre de voyageurs.

Le tourisme de masse est accusé de générer des ressources financières

accaparées par les opérateurs touristiques et les

intermédiaires D’un point de vue environnemental, en effet… Le tourisme de masse entraîne une consommation excessive des ressources naturelles, à commencer par l’eau douce, dans des régions parfois déjà en stress hydrique avant l’arrivée massive de touristes. L’eau prélevée pour alimenter les piscines ou pour arroser les

golfs n’est pas utilisée pour l’irrigation des cultures ou pour la consommation quotidienne de la population locale, qui voit le prix de l’or bleu fortement augmenter. De même, un nombre important de touristes génère une plus grande quantité de déchets et de pollution en tout genre dans des régions parfois dépourvues d’équipements spécialisés (d’autant plus dans les pays du Sud). Les milieux riches en biodiversité ou les sites exceptionnels du patrimoine, qui attirent les touristes, sont aussi les plus fragiles. La surfréquentation de ces sites participe à leur dégradation. La grande barrière de corail est par exemple sur le point de disparaître et le Machu Picchu fait l’objet de rénovations permanentes pour retarder son délabrement. D’un point de vue social également… Le tourisme de masse, et ses besoins en routes, hôtels et infrastructures de tout type, sont souvent à l’origine d’une urbanisation galopante favorisant l’exode rural. Cela entraîne l’abandon de certaines régions du pays, moins attractives touristiquement et dénuées d’atout, mais qui demeurent inexploitées. Cette urbanisation, souvent mal contrôlée, renchérit sur le prix du foncier et « chasse » les populations locales vers les bords de la ville où les tarifs

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sont plus abordables. Elle est aussi à l’origine d’un accroissement des inégalités au profit des territoires dignes d’intérêts touristiques et au détriment des autres. Par ailleurs, le tourisme de masse est créateur d’emplois souvent saisonniers, peu qualifiés et sous-payés. Surtout, l’attractivité du secteur touristique pour les travailleurs entraîne l’abandon de certaines activités traditionnelles moins rémunératrices mais qui appartiennent au patrimoine culturel de la région. Le tourisme de masse peut aussi générer d’autres effets pervers comme le travail des enfants dont la main d’œuvre bon marché est appréciée, sans parler de l’augmentation de la prostitution (tourisme sexuel). Enfin, le tourisme de masse est accusé de générer des ressources financières accaparées par les opérateurs touristiques et les intermédiaires souvent occidentaux. Ainsi, les populations locales ne profitent que très insuffisamment des revenus du tourisme alors même qu’elles sont victimes de nombreux sacrifices : augmentation du prix de l’eau et du foncier, dégradation de l’environnement naturel et culturel… Et quand bien même une part des bénéfices est reversée aux régions d’accueil, ces ressources sont souvent captées par une petite minorité corrompue. L’émergence d’alternatives pas toujours très lisibles pour Mr Tout le Monde

Devant les excès et les dérives du tourisme fordiste (produits touristiques standardisés et volumes importants), beaucoup d’initiatives ont été lancées depuis le début des années 2000. Jean Marc Mignon, délégué général de l’Union Nationale des Associations de Tourisme (UNAT), définit cette offre alternative comme une autre forme de tourisme dont « les retombées économiques profitent aux locaux plutôt qu’aux intermédiaires ». Concrètement, la dernière décennie a vu fleurir une terminologie abondante dont les concepts qui se chevauchent brouillent les cartes : tourisme durable, équitable, solidaire, responsable, éthique, participatif, écotourisme, j’en passe et des meilleurs… Impossible pour le consommateur lambda de s’y retrouver dans cette nébuleuse de bonnes intentions. Essayons malgré tout d’y voir un peu plus clair… Le tourisme durable est le concept le plus général. Il est devenu un champ d’application du Développement Durable défini dans l’Agenda 21 (agenda pour le XXIème siècle) du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, au Brésil. D’après l’OMT en 2004 : « L’objectif du tourisme durable est de rendre compatible l’amélioration des conditions environnementales et sociales qui résultent du développement touristique avec le maintien des capacités de développement pour les générations futures. »

Dans les faits, le tourisme durable : 1-Sauvegarde les ressources naturelles et la biodiversité 2-Préserve l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil 3-Génère une activité économique viable sur le long terme et dont les bénéfices sont répartis équitablement entre les parties prenantes dans un objectif de réduction de la pauvreté.

Le tourisme solidaire met au centre l’homme, la rencontre authentique entre les voyageurs et les populations autochtones, et le développement des territoires visités. La population d’accueil doit être impliquée dans le projet touristique qui doit servir son développement en même temps qu’il propose aux voyageurs une immersion culturelle unique. Le tourisme équitable met l’accent sur la juste répartition des bénéfices de l’activité touristique entre les membres de la communauté - via la révision des partenariats, trop souvent à l’avantage des tours opérateurs, et via une opposition constante à la tendance de brader les prix.

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Plus personne ne s’étonne d’une semaine en pension complète à Tunis pour 600€… Le tourisme équitable s’engage à rémunérer de manière juste et stable les partenaires locaux tout en leur assurant des conditions de travail décentes. L’International Ecotourism Society informe que l’écotourisme « est une forme de voyage responsable dans des espaces naturels qui contribue à la protection de l’environnement et au bien être des populations locales ». L’écotourisme est donc une forme de tourisme alternative focalisée sur la Nature et sa préservation. Il veut faire prendre conscience au voyageur de son impact sur les milieux naturels et les communautés qu’il traverse. Les devises générées par l’activité touristique sont allouées en partie à la préservation des sites. En somme, le touriste, amoureux des beaux espaces, doit s’acquitter d’une « dette écologique » et minimiser au maximum son empreinte. Enfin, le tourisme participatif invite le voyageur à participer financièrement et physiquement à la réalisation d’un projet de développement. Une partie du prix du voyage est directement allouée à sa réalisation et le touriste se retrousse lui même les manches pour creuser, porter, clouer ou peindre… Avis aux bricolos ! Le Programme Voisins du Monde de notre partenaire local Voisins Solidaires Togo vise à proposer des offres de tourisme participatif. Les voyageurs offrent leurs disponibilités et leurs compétences pour aider à développer l’association et/ou

pour participer à des camps chantier (rénovation, construction). En échange, ils ont la possibilité de visiter le pays de « l’intérieur » en séjournant chez des locaux pour un prix modique et des rencontres authentiques. Toutes les formes de tourisme alternatives se distinguent d’emblée du tourisme de masse par une meilleure information des voyageurs en amont du départ. Informations sur la situation économique et sociale, sur l’histoire du pays et de la région sur les us et coutumes et les règles de savoir vivre à respecter… Les groupes de 2 à 10 personnes contrastent avec les effectifs pléthoriques des voyageurs plus conventionnels, limitent l’impact de ces voyageurs et favorisent le contact avec les populations autochtones. Les lieux visités sont en général loin des grandes zones touristiques.

Un mouvement en pleine expansion en France mais à l’importance encore toute relative L’offre alternative en tourisme n’a cessé de s’étoffer et de gagner en notoriété au cours des dix dernières années. Mais si 60% des français connaissaient le terme « tourisme responsable » (un synonyme de tourisme durable), d’après un sondage TNS Sofres de 2011, seulement

7% d’entre eux ont déjà souscrits à une offre. Il est à noter que la France est en retard sur la question, les pays anglo-saxons et l’Allemagne sont précurseurs en la matière. Pourquoi les français, à priori informés et favorables à cette offre alternative, ne sont-ils pas plus nombreux à sauter le pas ? Comme on peut s’en douter, c’est le facteur prix qui pèse lourdement dans la décision des touristes français. Aux prestations « sur-mesure » et de qualité, tarifs plus élevés. Le tourisme durable ne déroge pas à la règle. En moyenne, un voyage responsable coûte plus cher qu’un produit de masse « tout compris » même si aucune donnée fiable n’existe sur le sujet. D’ailleurs, les français ne s’y trompent pas, 71% d’entre eux jugent l’offre responsable trop chère, d’autant plus en cette période délicate pour les portefeuilles. De plus, l’offre alternative, bien intentionnée sur le papier, est la cible de critiques quant à son efficacité à insuffler le développement dans les régions d’accueil Le premier reproche qui est fait au tourisme responsable est inhérent à sa volonté de réduire l’impact du tourisme sur les régions visitées. Si le faible volume de voyageurs minimise les conséquences sur l’environnement naturel et culturel, il ne génère toutefois pas suffisamment d’activité pour avoir un impact économique positif. Comme le souligne Vincent Fonvielle, PDG d’un grand nom du voyage, « la véritable aide au

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développement c’est l’économie ». Le tourisme responsable a le vent en poupe et son potentiel d’expansion est suffisamment considérable pour capter l’attention des gros acteurs du secteur qui font montre d’une inégale adhésion à la logique du projet. Ceux-ci, parfois peu scrupuleux, maquillent des offres traditionnelles et les vendent sous une appellation « responsable ». Un des procédés en vogue est de s’engager auprès des voyageurs à reverser une partie du bénéfice à une ONG ou à un microprojet local. Au delà des interrogations sur la pertinence de ce système, c’est surtout son opacité sur les sommes versées qui est montrée du doigt. En jouant sur le sentiment de culpabilité des touristes du Nord qui visitent les pays du Sud, certains tours opérateurs augmentent leurs prix avec la promesse de financer des pseudos projets de développement local. L’astuce est bien pensée : le voyagiste redore son blason après les dérives du tourisme de masse,

de plus en plus médiatisées, sans pour autant que cela lui coûte un centime. Il attire aussi une nouvelle clientèle, plus sensibilisée, en jouant sur sa naïveté et sur le manque de structures du secteur.

De gros acteurs du secteur font montre d’une inégale adhésion à la logique du

projet Alors comment séparer le tourisme réellement responsable de l’ivraie marketing ? Des grilles de critères sérieuses existent pour évaluer le degré de responsabilité de l’offre touristique mais celles-ci ont du mal à s’imposer à l’échelle internationale. C’est le cas en France de l’effort de labellisation entrepris par l’Union Nationale des Associations de Tourisme et par l’association Agir pour un Tourisme Responsable. A côté, de nombreux labels autoproclamés sèment la confusion, d’autant plus que

les contrôles sont plus coûteux et difficiles à mettre en place que sur des produits standardisés. Le tourisme responsable est donc sur le papier un formidable outil de développement qui surfe sur l’engouement pour les voyages et répond aux besoins d’une clientèle de plus en plus sensible à son impact sur la préservation de l’environnement ainsi que sur le développement des territoires visités. Seulement, à l’instar du microcrédit, cette offre touristique alternative présente de sérieuses failles faute de structure clairement établie et d’une réglementation digne de ce nom: terminologie pléthorique et difficilement compréhensible, logique purement commerciale de certains acteurs peu scrupuleux… Le secteur a définitivement besoin de visibilité.

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tourisme_solidaire

http://www.linternaute.com

http://www.voyageons-autrement.com

http://www.ecosentour.org

http://www.ecotourisme-magazine.com

http://teoros.revues.org

http://www.veilleinfotourisme.fr

http://www.developpement-durable.gouv.fr

http://www.insee.fr

http://www.tns-sofres.com

http://equitecho.org

http://www.unat.asso.fr