Jazz sud african - Sir Ali...le trompettiste Hugh Masekela et le pianiste Dollar Brand, lequel...

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PRINTEMPS 2018 Le journal gratuit trimestriel du jazz IX Hugh Masekela, trompettiste, chanteur, auteur, compositeur, activiste, ambassadeur culturel de l’Afrique du Sud… rebaptisé le papa du jazz africain nous a quitté ce 23 janvier. Un petit hommage lui est ici rendu, à son héritage et au jazz de sa terre natale… qui n’a jamais été exploité à sa juste valeur et apprécié par le grand public… et reste à découvrir. « La ségrégation, comme aux USA ?! Tu rigoles ! C’était bien pire en Afrique du sud. Au moins, en Amérique, les Blacks avaient des lieux pour jouer… et dès le début des 60’s, ils ont commencé à gagner des droits. Et ça coïncidait exactement avec le moment où les Noirs sud africains ont perdu leur honneur et le peu de droits qu'ils avaient… et la seule scène disponible était l’arrière d’une camion- nette !!… ainsi, les musiciens étaient en mesure de fuir dès que la police arrivait ! » Voilà, mot par mot, la réponse de Chris McGregor quand je lui ai demandé en 1983 de me faire un résumé de l’apartheid chez lui… au bout de 3 heures d’interview intense, survolant histoire et géographie, les vécus personnels, les conditions générales, distinguant le vrai du faux… Ce jour là, l’apartheid était loin de sa fin et Chris préparait son concert au New Morning Club de Paris, avec son grand orchestre, The Brotherhood of Breath… un de ses concerts auquel j’ai assisté !! En effet, j’avais la chance (et curiosité) de rencontrer quelques grandes figures du jazz sud africain, notamment le pianiste Chris McGregor qui était, au milieu des 50’s, le cofondateur de The Blue Notes, un des deux premiers groupes du jazz d’Afrique du Sud « reconnus mondiale- ment », correspondant au quintet hard bop de l’époque des jazzmen américains, tels qu’Art Blackey et Horace Silver. The Jazz Epistles était leur concurrent et, comme les Blue Notes, incluait des membres très talentueux qui avaient parfai- tement assimilé les idiomes du jazz avec l’atout d’une grande connaissance des sources de la musique traditionnelle du sud de l’Afrique, extrê- mement riche et variée et leur combinaison « Township swing ». Plus tard, la majorité des membres de ces deux groupes ont entamé des carrières internationales, Chris McGreogor, le saxophoniste Dudu Pukwana, le contrebassiste Johnny Dyani et le batteur Louis Moholo (seul survivant) et surtout les leaders des Jazz Epistles, le trompettiste Hugh Masekela et le pianiste Dollar Brand, lequel devint Abdullah Ibrahim quand Duke Ellington produisit son 1 er album ! Au début des 70’s, j’étais présent au concert de Hugh Masekela et il m’a immédiatement touché et profondément ! J’étais émerveillé par la beauté et la qualité douce et aigre de ses mélodies, magnifiées par la forte personnalité des harmo- nies et de leurs balancements syncopés sur des rythmes inattendus et pour couronner le tout, par les improvisations hypnotiques et fluides originales et non-américaines. Depuis ce jour, j’ai sauté sur toutes les occasions pour écouter et savourer la musique sud- africaine. C’est bien de cette façon qu’au fil des décennies j’ai réalisé combien était la richesse du jazz d’en bas, son authenticité, son évolution et ses influences politico-sociales. Donc, j’ose réclamer que Johannesburg est le petit frère oublié de la Nouvelle-Orléans et le reflet direct du jazz américain, en Afrique confi- dentiellement apprécié. Dans tous les cas, il est aisé de voir que le « jazz made in US » avait sa version sud africaine, époque par époque, genre par genre du ragtime au swing jusqu’au be-bop, hard bop, free et le tout concocté entre Johannesburg et Cape Town. Des similitudes historiques sont même frap- pantes : comparable à Congo Square et le quartier Français de New Orléans, Sophiatown, une banlieue multiraciale de Johannesburg, était le premier lieu où les peuples opprimés se réfugiaient, pour se réunir et s’amuser ensemble. Rapidement, ce point de départ est devenu le quartier où les spectacles de jazz se produisaient illégalement dans des shebeens (bars et clubs informels de townships). L’agitation et l’excitation de ces rassemblements perturbaient le gouvernement blanc et, en peu de temps, ils furent interdits. La production de la comédie musicale King kong en 1960 fut l’événement majeur pour la scène du jazz sud-africain et le sommet d’un mouvement incontournable. Miriam Makeba joua le rôle principal et les Blue Notes et Jazz Epistles inter- prétèrent sa musique. King Kong se produisit dans toutes les communes locales et, en 1961, fît ses débuts sur la scène internationale au Prince’s Theatre de Londres. Ce fut à ce moment que l’apartheid fut mondia- lement déclaré et que s’engagea ouvertement la lutte anti-apartheid. The Blue Notes est resté en Angleterre et Hugh Maskela et son épouse Miriam Makeba s’installèrent aux US… où Makeba (surnommée Mama Afrika) fît son audacieux discours anti- apartheid aux Nations-Unies. JAZZ & WORLD ©Z@IUS / NEXT MOVEMENT Jazz Sud Africain contre apartheid Johannesburg, le petit frère ignoré de la Nouvelle-Orléans PAR SIR ALI

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PRINTEMPS 2018 Le journal gratuit trimestriel du jazz IX

Hugh Masekela, trompettiste, chanteur, auteur, compositeur, activiste, ambassadeurculturel de l’Afrique du Sud… rebaptisé lepapa du jazz africain nous a quitté ce 23 janvier. Un petit hommage lui est icirendu, à son héritage et au jazz de sa terrenatale… qui n’a jamais été exploité à sa justevaleur et apprécié par le grand public… etreste à découvrir.

« La ségrégation, comme aux USA ?! Tu rigoles !C’était bien pire en Afrique du sud. Au moins, enAmérique, les Blacks avaient des lieux pour jouer…et dès le début des 60’s, ils ont commencé à gagnerdes droits. Et ça coïncidait exactement avec le moment où les Noirs sud africains ont perdu leurhonneur et le peu de droits qu'ils avaient… et laseule scène disponible était l’arrière d’une camion-nette !!… ainsi, les musiciens étaient en mesure defuir dès que la police arrivait ! »Voilà, mot par mot, la réponse de Chris McGregorquand je lui ai demandé en 1983 de me faire un résumé de l’apartheid chez lui… au bout de 3 heures d’interview intense, survolant histoire etgéographie, les vécus personnels, les conditionsgénérales, distinguant le vrai du faux… Ce jour là,l’apartheid était loin de sa fin et Chris préparaitson concert au New Morning Club de Paris, avecson grand orchestre, The Brotherhood ofBreath… un de ses concerts auquel j’ai assisté !! En effet, j’avais la chance (et curiosité) de rencontrer quelques grandes figures du jazz sudafricain, notamment le pianiste Chris McGregorqui était, au milieu des 50’s, le cofondateur deThe Blue Notes, un des deux premiers groupesdu jazz d’Afrique du Sud « reconnus mondiale-ment », correspondant au quintet hard bop del’époque des jazzmen américains, tels qu’ArtBlackey et Horace Silver. The Jazz Epistles étaitleur concurrent et, comme les Blue Notes, incluaitdes membres très talentueux qui avaient parfai-tement assimilé les idiomes du jazz avec l’atoutd’une grande connaissance des sources de la musique traditionnelle du sud de l’Afrique, extrê-mement riche et variée et leur combinaison « Township swing ». Plus tard, la majorité desmembres de ces deux groupes ont entamé descarrières internationales, Chris McGreogor, lesaxophoniste Dudu Pukwana, le contrebassisteJohnny Dyani et le batteur Louis Moholo (seulsurvivant) et surtout les leaders des Jazz Epistles,le trompettiste Hugh Masekela et le pianiste Dollar Brand, lequel devint Abdullah Ibrahim

quand Duke Ellington produisit son 1er album ! Au début des 70’s, j’étais présent au concert deHugh Masekela et il m’a immédiatement touchéet profondément ! J’étais émerveillé par la beautéet la qualité douce et aigre de ses mélodies, magnifiées par la forte personnalité des harmo-nies et de leurs balancements syncopés sur desrythmes inattendus et pour couronner le tout,par les improvisations hypnotiques et fluides originales et non-américaines.Depuis ce jour, j’ai sauté sur toutes les occasionspour écouter et savourer la musique sud-africaine. C’est bien de cette façon qu’au fil des décenniesj’ai réalisé combien était la richesse du jazz d’en bas, son authenticité, son évolution et sesinfluences politico-sociales. Donc, j’ose réclamer que Johannesburg est lepetit frère oublié de la Nouvelle-Orléans et le reflet direct du jazz américain, en Afrique confi-dentiellement apprécié. Dans tous les cas, il est aisé de voir que le « jazzmade in US » avait sa version sud africaine,époque par époque, genre par genre du ragtimeau swing jusqu’au be-bop, hard bop, free et letout concocté entre Johannesburg et Cape Town. Des similitudes historiques sont même frap-pantes : comparable à Congo Square et le

quartier Français de New Orléans, Sophiatown,une banlieue multiraciale de Johannesburg, était le premier lieu où les peuples opprimés seréfugiaient, pour se réunir et s’amuser ensemble.Rapidement, ce point de départ est devenu lequartier où les spectacles de jazz se produisaientillégalement dans des shebeens (bars et clubs informels de townships). L’agitation et l’excitation de ces rassemblementsperturbaient le gouvernement blanc et, en peu de temps, ils furent interdits.La production de la comédie musicale King kongen 1960 fut l’événement majeur pour la scène dujazz sud-africain et le sommet d’un mouvementincontournable. Miriam Makeba joua le rôle principal et les Blue Notes et Jazz Epistles inter-prétèrent sa musique. King Kong se produisitdans toutes les communes locales et, en 1961, fîtses débuts sur la scène internationale au Prince’sTheatre de Londres.Ce fut à ce moment que l’apartheid fut mondia-lement déclaré et que s’engagea ouvertement lalutte anti-apartheid.The Blue Notes est resté en Angleterre et Hugh Maskela et son épouse Miriam Makebas’installèrent aux US… où Makeba (surnomméeMama Afrika) fît son audacieux discours anti-apartheid aux Nations-Unies.

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