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Populisme : le grand ressentiment

Éric Fassin

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Populisme : le grand ressentiment

Le populisme indéfini 7

Le moment populiste 15

Le dépeupleur 25

Le coup d’État démocratique 35

Du peuple aux classes populaires 47

Un populisme néolibéral 59

Le grand ressentiment 67

Construire une gauche 79

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Partie ILe populisme indéfini

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Fin 2016, Donald Trump apparaît en couverture du magazine Time : un mois après le coup de tonnerre de son élection à la présidence des États-Unis, à l’instar de ses prédécesseurs, le milliardaire est consacré « personne de l’année ». Il succède à Angela Merkel : en 2015, c’est la chancelière allemande qui était célébrée pour son rôle dans les deux crises majeures qui ont secoué l’Union européenne – la première autour de la dette grecque puis la seconde déclenchée par l’afflux de demandeurs d’asile syriens. À l’époque, le candidat à la nomination républicaine protestait sur Twitter : pourquoi choisir cette femme qui « ruine l’Allemagne » en ouvrant la porte aux migrants plutôt que lui, qui propose au contraire de bâtir un mur à la frontière mexicaine ? Un an plus tard, loin de se réjouir d’obtenir enfin le titre, le président-élu en dénonce le « politiquement correct » : celui dont la campagne a révélé au grand jour le sexisme virulent aurait préféré être nommé « homme de l’année ».

Cette succession en forme d’inversion devient ainsi un sujet de satire. Dans un sketch de l’émission de comédie Saturday Night Live sur NBC, la dirigeante allemande (ou du moins l’actrice qui l’incarne) commence par regretter que l’honneur qui lui a été fait soit déprécié de la sorte ; puis, lorsqu’on l’interroge sur la montée des nationalismes en Europe, elle s’essaie au sarcasme : « mais qu’est-ce qui pourrait bien tourner mal ? » Nul ne l’oublie : c’est une Allemande qui parle. D’ailleurs, l’instant d’après, elle propose une traduction quand il est question d’alt-right, cette extrême droite « alternative » qui a pesé pour l’élection de Donald Trump, et dont « l’alternative » la menace aussi outre-Rhin : « en Allemagne, ça se dit :

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“la raison pour laquelle grand-père habite maintenant en Argentine” ! » Bref, si Angela Merkel est présentée comme un rempart contre le fascisme en Europe, c’est pour mieux l’opposer au populisme xénophobe du futur président des États-Unis.

Il est vrai qu’en un an, les choses ont basculé. Certes, en France, l’année 2015 avait été meurtrière – depuis Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher jusqu’au Stade de France et au Bataclan. En Allemagne, confrontée à un nombre exceptionnel de migrants, la chancelière n’en prononçait pas moins, le 31 décembre, des vœux optimistes pour la nouvelle année. Elle pariait sur la force économique et sociale de son pays et la générosité de ses compatriotes : non seulement « nous pouvons le faire » (« Wir schaffen das »), mais l’accueil des réfugiés est « une chance pour demain ». Or pendant ce même réveillon de la Saint-Sylvestre, des agressions sexuelles en masse, à Cologne et dans d’autres villes d’Allemagne et d’Europe, semblaient faites pour donner raison aux tenants du « conflit des civilisations » : c’est en matière de liberté sexuelle et d’égalité entre les sexes que la frontière culturelle entre « eux » et « nous » resterait ineffaçable…

Les États-Unis n’allaient pas échapper à cette rhétorique : le 12 juin 2016, des gays latinos étaient les premières victimes d’un massacre dans une boîte de nuit à Orlando, en Floride. La mécanique populiste était relancée : Donald Trump, qui pour lancer sa campagne avait traité les migrants mexicains de « violeurs », n’hésitait pas à se proclamer « meilleur ami des LGBT » que sa rivale Hillary Clinton. Dès le lendemain, le New York Times s’inquiétait des conséquences politiques de cet événement en

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comparant Omar Mateen, le terroriste états-unien né de parents afghans, à Gavrilo Princip, nationaliste serbe de Bosnie : en 1914, le meurtrier de l’Archiduc François-Ferdinand déclenchait par son geste la Première Guerre mondiale. De même, selon le chroniqueur Roger Cohen, cet attentat pourrait bien avoir « ouvert la porte de la Maison Blanche à Donald Trump, poussé la Grande-Bretagne hors de l’Union européenne, et livré la présidence française à Marine Le Pen, en entraînant le monde dans une spirale de violence. »

Ces sombres pronostics électoraux provoquaient alors l’incrédulité – même si, pour ma part, je citais déjà cette phrase dans un billet de blog en guise d’avertissement. Cependant, après la surprise du vote en faveur du Brexit quelques jours plus tard, et surtout depuis la défaite inattendue d’Hillary Clinton lors de l’élection du 8 novembre, qui oserait encore balayer d’un revers de main l’hypothèse d’un succès du Front national début mai 2017 ? Reste qu’en même temps l’interprétation de la percée populiste s’est déplacée : celle-ci n’est plus tant attribuée à une réaction raciste aux vagues migratoires et aux explosions terroristes qu’à un rejet des politiques néolibérales, en particulier dans les régions industrielles sinistrées, de l’Angleterre des Midlands au Nord de la France, en passant par la Rust Belt aux États-Unis. Désormais, dans le discours public, le populisme renvoie donc à une logique économique davantage que culturelle. Aussi résonne-t-il non seulement à droite, mais également, de plus en plus, à gauche.

Aujourd’hui, de Donald Trump à Vladimir Poutine, de Viktor Orbán en Hongrie à Jaroslaw Kaczynski

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en Pologne, ou encore de Recep Tayyip Erdogan en Turquie à Rodrigo Duterte aux Philippines, nombreux sont les chefs d’État ou de gouvernement qu’on qualifie de populistes. Dans d’autres pays, des forces politiques comparables menacent d’accéder au pouvoir, du Front national en France au FPÖ en Autriche en passant par le PVV néerlandais, ou du moins pèsent sur la politique nationale, comme UKIP qui a œuvré pour le Brexit, le Parti populaire danois ou celui des Vrais Finlandais, ou encore Alternative pour l’Allemagne. En Italie, le mouvement Cinque Stelle de Beppe Grillo vient troubler le jeu politique. D’ailleurs, le terme n’est pas réservé à l’extrême droite : même s’il a reculé en Amérique latine, après la mort d’Hugo Chávez au Venezuela et la fin du kirchnérisme en Argentine, le populisme redevient d’actualité à gauche – de Bernie Sanders chez les Démocrates états-uniens à Jeremy Corbyn pour les Travaillistes britanniques, de Syriza en Grèce, au moins dans un premier temps, à Podemos en Espagne, sans oublier la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

On peut donc parler comme John P. Judis d’une « explosion populiste ». Il n’en est que plus difficile de trouver un dénominateur commun à ces multiples variantes nationales, d’une extrémité du spectre politique à l’autre. Cet essayiste le souligne en effet : « De même qu’il n’y a pas une idéologie qui définisse le populisme, de même il n’y a pas un groupe social qui constitue ٣le peuple٣. » Et le recours à l’histoire ne résout rien : les déclinaisons actuelles ne sont pas la simple reprise du populisme agrarien de la fin du xixe siècle aux États-Unis ou de sa version intellectuelle contemporaine en Russie non plus que des figures qui se sont imposées sur la scène 12

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politique en Amérique Latine à partir des années 1930… Bref, comment définir un objet qui résiste à la définition, tant les significations du terme varient selon les circonstances historiques, les contextes nationaux et les usages politiques ? Pour le dire à la manière du philosophe Ludwig Wittgenstein, il faut renoncer à trouver une substance commune derrière le substantif : « comme dans le langage ordinaire, et c’est encore plus vrai dans le langage politique ordinaire, les gens et les partis qu’on appelle ٣populistes٣ ont entre eux des airs de famille, mais il n’y a aucun ensemble de traits dont ils partageraient tous l’exclusivité. » 1

Tous les travaux sur le sujet ou presque commencent ainsi, au moment de définir le terme, par un aveu de perplexité, voire de confusion ; ce qui ne les empêche pas, le plus souvent, de finir par constituer le populisme en concept. On serait plutôt tenté, dans cet essai, de suivre un juge à la Cour suprême des États-Unis, dans une décision de 1964 sur… la pornographie. À défaut de pouvoir la définir « de manière intelligible », Potter Stewart se contente d’adopter un principe opératoire : « je la reconnais quand je la vois. » (“I know it when I see it”). Pour identifier le populisme sans le définir, on pourrait donc retenir, avec le politologue Jan-Werner Müller, deux phrases qui en disent plus que de longs discours2. En Turquie, le président Erdogan répond à des manifestations hostiles par une interpellation : « Nous sommes le peuple, qui êtes vous ? » Ce

1 John P. Judis, The Populist Explosion. How the Great Recession Transformed American and European Politics, Columbia Global Reports, New York, 2016, introduction.

2 Jan-Werner Müller, Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace, trad. Frédéric Joly, Premier Parallèle, 2016.

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« nous » totalisant est inséparablement excluant, comme le montre aussi cette formule de campagne de Donald Trump : « La seule chose importante, c’est l’unification du peuple, parce que les autres gens ne comptent pas ! » La version originale est encore plus éloquente en répétant le même mot : “The only important thing is the unification of the people, because the other people don’t mean anything !” C’est l’anti-élitisme qui dessine en creux ce peuple. En France, le magazine Marianne résume ainsi la double surprise du référendum britannique et de l’élection aux États-Unis : c’est « la débâcle des élites. » Et d’éclairer son lectorat (sans craindre de se contredire) : « Pourquoi elles s’aveuglent ; comment elles nous mentent. »